Sommaire I / Le constat : la prégnance du couple symbolique

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Sommaire I / Le constat : la prégnance du couple symbolique
MASCULIN FEMININ
Sommaire
I / Le constat : la prégnance du couple symbolique
masculin-féminin
II / Aperçu sur quelques explications de cette prégnance
1. Explications religieuses et métaphysiques
a. Reflet d’une réalité théologique
b. Reflet d’une organisation archétypale
c. Reflet d’une organisation principielle
II/ Explications sociales et psychologiques
a. Reflet de la différence sexuelle
b. Reflet des structures profondes du langage
c. Reflet de la différence sociale
d. Reflet des structures de la pensée
III / Questionnements
1. Sur la dévalorisation du féminin
2. Sur les niveaux de réalité
3. Sur le rapport bipolaire
I / Le constat :
la prégnance du couple symbolique masculin-féminin
Lorsqu’on étudie les systèmes de pensées dans les cultures humaines, on constate
que les valeurs masculines sont généralement assimilées à des principes actifs et les
valeurs féminines à des principes passifs. Si le masculin renvoie au soleil et au feu, le
féminin renvoie à la lune et à l’eau. Cette dualité, basée sur une opposition
masculin / féminin symétrique, représente une façon universelle de comprendre la
réalité connaissable.
Toutefois, on remarque quelques positions particulières dont voici quelques
exemples :
- la plupart des cultures considère l’axe vertical comme masculin et l’axe horizontal
comme féminin. Pourtant, cette relation géométrique est inversée dans certaines
cultures.
- les indiens Gé au Brésil considèrent la lune comme une divinité mâle, sans lien de
parenté avec le soleil.
- dans les pays arabes, sudarabique et éthiopien, on trouve des peuples nomades qui
considèrent la lune de nature masculine et le soleil de nature féminine.
Sur le plan linguistique, si l’on s’amuse à comparer ne serait-ce que quelques
langues européennes, on s’aperçoit que l’article défini destiné à donner le genre
masculin ou féminin au mot diffère selon les langues étudiées. Par exemple, si dans
les langues latines, le soleil est bien de genre masculin tandis que la lune est de
genre féminin, ce n’est pas le cas en allemand ou le soleil est de genre féminin (die
Sonne) et la lune est de genre masculin (der Mond). On remarque aussi que le mot
eau en espagnol est de genre masculin : el agua. L’anglais n’utilise pas d’articles
définis masculin ou féminin.
Il y aurait d'autres exemples d'une telle relativité culturelle mais globalement il
semble qu'il y ait des valeurs universellement attribuées au masculin et au féminin.
C'est le cas pour les couples expir-inspir, extérieur-intérieur, saillant-rentrant,
fécondant-nourrissant, donnant-recevant, etc… La pensée symbolique a
universellement schématisé le masculin par un triangle dont la base est en bas et le
féminin par un triangle dont la base est en haut.
Ainsi, le sigle commun masculin, constitué d’un cercle et d’une flèche oblique vers le
haut droit est exactement le symbole de la planète Mars en astrologie traditionnelle.
Or Mars est le Dieu de la guerre pour les romains (Ares pour les grecs) et en latin le
mot « mars » possède le sens figuré de guerre et de bataille.
Quant au sigle féminin commun, constitué d’un cercle et d’une croix vers le centre
bas, il est exactement le symbole en astrologie traditionnelle de la planète Vénus. Or
Vénus pour les romains est la Déesse de la beauté (Aphrodite pour les grecs) et le
mot « venus » en latin possède le sens figuré d’amour et des plaisirs de l’amour.
Ainsi, on peut retenir que dès que l’homme ou la femme dépasse le stade de
l’indifférencié originel ou puéril, la bipolarité s’instaure. A la féminité correspond le
don de la vie, à la masculinité, la procréation. Tous les vases, les récipients, aux
formes arrondies et pleines, déterminent le côté féminin, alors que les outils et les
armes se rapportent au masculin.
Il est difficile de préciser la place de l’homme et de la femme dans le Paléolithique
ancien (800000 à 600000 av. JC).
A partir du Paléolithique moyen (200000 à 35000 av. JC). La mère a un rôle
primordial, qui éclipse celui du père, et la déesse mère consacre cet état de fait. Si la
femme est active intérieurement par la gestation, l’homme l’est extérieurement, au
travers de l’action.
Différentes explications ont été proposées pour expliquer cette prégnance du
masculin-féminin. Certaines sont religieuses et métaphysiques, d’autres sont sociales
et psychologiques.
II / Quelques explications sur l’universalité de cette
prégnance
1. Explications religieuses et métaphysiques
a. Reflet d’une réalité théologique
La première explication religieuse concerne les religions abrahamiques qui
s’inscrivent dans la lignée de l’Ancien Testament. Il s’agit bien sûr de celle qui
consiste à comprendre le couple masculin-féminin dans sa réalité théologique. Ainsi,
dans la Genèse biblique, il est révélé que la divinité bisexuée a créé l'être humain à
son image, c'est-à-dire homme et femme (Genèse, I, 27). Dieu était hermaphrodite
avant la Création ; il s’est ensuite partagé en deux êtres opposés, dont le coït a
produit le monde.
b. Reflet d’une organisation archétypale
Une autre explication est d’ordre symbolique. L'opposition masculin-féminin
refléterait une organisation archétypique de la réalité. Cette thèse, proche de la
vision traditionnelle, a été proposée par Jung. L’animus est la partie masculine la
femme et l’anima est la partie féminine de l’homme. Selon lui, l'homme comme la
femme sont chacun à la fois féminin et masculin.
c. Reflet d’une organisation principielle
Une autre explication d’ordre est proposée par la pensée chinoise et d’une façon
générale, par la métaphysique orientale. L’équivalent du masculin serait le Yang
tandis que l’équivalent du féminin serait le Yin. Le Yang est sec et positif : il
représente les forces d’expansion, de dissipation et d’évolution. Le Yin est humide et
négatif : il représente les forces de contraction, de condensation et de rétraction. Le
Yin et le Yang correspondent à l’aspect obscur et lumineux de toute chose. Le
rapport entre eux est de nature complémentaire.
Dans le symbole graphique du Tai- ji, le yin et le yang s’engendrent mutuellement
dans un mouvement circulaire perpétuel. Quand le Yang, de couleur blanche, est à
son apogée, il se charge en Yin… alors Yin, de couleur noire, grandit et quand il
atteint son maximum, il se charge à son tour en Yang. Yang recèle un élément Yin
(appelé « petit yin » représenté par le point noir) et Yin recèle un élément yang
(appelé « petit yang » représenté par le petit point blanc). C’est la représentation de
la complémentarité dans la différence.
Autre exemple, la kabbale (tradition juive donnant une interprétation mystique et
allégorique de l'Ancien Testament). Pour la kabbale, le monde est entièrement
composé de composantes masculines et féminines. L'aspect masculin est en relation
avec « ce qui donne » et le féminin avec « ce qui accueille ». Ainsi l'homme qui
reçoit et accueille est « féminin » tandis qu’une femme qui offre est dans la
dimension du don et de la modalité du masculin.
On retrouve cette complémentarité entre le masculin et le féminin compris comme
l’union de deux principes également dans l’alchimie : « Fais de l'homme et de la
femme un cercle rond, et extrais-en un carré, et du carré un triangle. Fais-en un
cercle rond, et tu auras la pierre philosophale » ( Rosarium philosophicum), mais
aussi dans la littérature apocryphe : « … Et lorsque vous ferez de l'homme et de la
femme une seule chose, en sorte que l'homme ne soit pas homme et que la femme
ne soit pas femme ..., alors vous entrerez dans le Royaume » ( logion 22, Évangile
de Thomas).
Passons maintenant à quelques explications sociales et psychologiques.
2. Explications sociales et psychologiques
a. Le reflet de la différence sexuelle : psychanalyse freudienne
La réponse la plus évidente qui expliquerait l'opposition universelle masculin /
féminin serait la différence sexuelle. Ce serait ainsi le biologique qui formerait le
fondement et la cause de l'omniprésence de cette opposition dans le psychisme. Ce
réductionnisme biologique est, par exemple, développé par la psychanalyse
freudienne. Bien sûr, il s’agit de replacer les travaux de Freud dans le contexte de
son époque, sinon on aurait du mal à comprendre certaines de ses prises de position
comme ces citations l’expriment :
« …l’infériorité intellectuelle de tant de femmes, qui est une réalité indiscutable, doit
être attribuée à l’inhibition de la pensée, inhibition requise pour la répression
sexuelle.» Sigmund Freud, La vie sexuelle (1908).
b. Le reflet de la différence sociale : les sciences humaines (marxisme)
Une autre réponse a été proposée par les sciences humaines et spécialement le
marxisme. L’origine ce cette opposition serait culturelle. Elle serait comprise alors
comme reflétant les relations constitutives d'un système politique de division en
classes économiques réparties selon les sexes.
Marx n’a-t-il pas écrit : « Dans la famille, l'homme est le bourgeois ; la femme joue
le rôle du prolétariat. »
(Karl Marx 1818-1883 - L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'État)
Ce serait cette division sociale qui sous-tendrait tous les systèmes symboliques et
catégoriaux composant une culture. Ces systèmes idéologiques renforceraient et
stabiliseraient les valeurs de dépendance pour la femme et de domination pour
l'homme.
Plus récemment, on pense bien sûr au livre de Pierre Bourdieu, édité en 1998, « La
domination masculine ». Pour Bourdieu, la domination masculine est tellement
ancrée dans nos inconscients que nous ne l’apercevons plus. Nous sommes tellement
accordés à nos attentes que nous avons du mal à la remettre en question. La vision
androcentrique (andro = mâle) se donnerait une légitimation biologique et naturelle
mais ne serait ni plus ni moins que la reconduction d’une construction mentale et
sociale arbitraire, celle de la domination masculine.
d. Le reflet des structures de la pensée : structuralisme
Plus philosophiquement, certains ont tenté de rendre compte de cette opposition à
l'intérieur des structures mentales proprement dites. Ainsi, la thèse structuraliste
tenterait de comprendre cette opposition par rapport aux structures même de la
pensée. On pense ici aux travaux de l’anthropologue Claude Levi-Strauss et plus
récemment, à ceux de Françoise Héritier qui s’est appuyée sur l’œuvre de LeviStrauss.
Françoise Héritier, dans son livre Masculin/féminin [tome 1 La pensée de la
différence (1996) et tome 2 Dissoudre la hiérarchie (2002)], explique que la
différence des sexes ne relève pas de faits purement biologiques et universels. Pour
elle, dans toutes les sociétés humaines, la distinction masculin/féminin est toujours
une construction d'ordre rationnel, mythologique ou idéologique, même si elle
s'élabore sur des données qui appartiennent à la nature.
III / Questionnements
1. Sur la dévalorisation du féminin
Il ne fait aucun doute que d’une façon quasi générale, tout ce qui peut se rapporter
au féminin a été dévalorisé tout au long de l’histoire humaine. Dans les recherches
philosophiques et linguistiques faites sur les mots « recto » et « verso », la
dévalorisation de tout ce qui peut être assimilé au féminin, donc au verso, ne fait
aucun doute. Celle-ci a été effectuée au profit de tout ce qui se rapporte au
masculin, c’est-à-dire au recto.
2. Sur les niveaux de réalité
Ce constat de dévalorisation du féminin par rapport au masculin étant admis, même
si l’on retient la thèse traditionnelle de la dualité originelle du masculin et du féminin,
à la façon du Yang et du Yin oriental, comment peut-on comprendre et accepter que
tout ce qui peut être rapporté au féminin ait été manifestement dévalorisé ?
Sur le plan métaphysique, le masculin et le féminin s’avèrent être nécessaires. Ils
ont chacun leur fonction et leur cohérence. Comment se fait-il qu’à partir d’une
relation d’égalité métaphysique, l’espèce humaine en ait tiré des conclusions
entraînant la supériorité du masculin sur le féminin ? On pourrait même dire que la
dévalorisation du féminin est métaphysiquement absurde.
La confusion des niveaux de réalité peut entraîner les pires égarements, et permettre
les dérapages idéologiques et culturels dont parlent à juste titre Françoise Héritier.
Aussi, l’inégalité de traitement entre le masculin et le féminin sur le plan humain et
social ne peut avoir valablement comme justification la dualité originelle.
3. Sur le rapport bipolaire
Le couple masculin-féminin renvoie clairement à un type de relation à deux termes,
soit bipolaire. Or, cette bipolarité pose questions.
D’abord, la réalité, même la plus prosaïque, est souvent plus multipolaire que
bipolaire. Bien des situations n’entraînent pas la présence d’un terme contraire.
Ainsi, si vous êtes en train de marcher, quel est le contraire ? Courir ? S’arrêter ?
S’allonger sur le sol ? Sauter en l’air ? Les situations où peuvent s’appliquer un
rapport bipolaire construit sur deux termes contraires sont finalement assez rares.
Ensuite, ce rapport bipolaire est trop souvent présenté sur une relation d’opposition
de deux contraires alors que souvent, les deux termes sont plutôt complémentaires.
Enfin, ce rapport bipolaire exclusif répond à la logique aristotélicienne du tiers exclu
et ne prend pas en compte la logique du tiers inclus. La logique du tiers inclus
stipule que dans une relation antagoniste entre deux termes, il existe un troisième
terme d’une autre nature qui traverse d’une certaine façon chacun des deux termes
et qui permet par là même d’envisager leur dépassement.
Pour finir, je dirais que sur le plan symbolique, le couple masculin / féminin renvoie
probablement à autre chose que le couple masculin / féminin compris habituellement
dans le sens homme / femme. De toute façon, même si nous nous plaçons
uniquement sur le plan de la sexualité, il semble évident que l’homme et la femme
ne sont pas totalement masculin, ni totalement féminin. Et que dire des homosexuels
et des transsexuels ? Il n’en reste pas moins que dans le quotidien, dans le rapport
entre les hommes et les femmes, rien ne peut justifier une inégalité de traitement
des uns au profit des autres. Rien ne justifie également un désir effréné de
nivellement et de suppression des spécificité de chaque pôles.
Référence :
Extrait d’une conférence de Michel de Cazo.