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ARTICLE paru dans GESTIONS HOSPITALIERES, n°521, décembre 2012, pages 638-639 Clothilde POPPE, juriste, consultante du Centre de droit JuriSanté Manon QUILLEVERE – Stagiaire du Centre de droit JuriSanté Responsabilité médicale Vers l’indemnisation du préjudice d’impréparation pour tous ? Le rapprochement entre les juridictions administratives et judiciaires se concrétise en matière de responsabilité médicale. En effet, le Conseil d’Etat reconnaît, dans un arrêt du 10 octobre 2012 (CE, 10 octobre 2012, n°350426), pour la première fois « le préjudice d’impréparation », indépendamment de la perte de chance, qui découle également d’un manquement à l’obligation d’information du médecin sur les risques d’un acte médical et qui est indemnisé depuis 2010i par la Cour de cassation. En l’espèce, un patient avait subi, au sein d’un centre hospitalier régional et universitaire, une intervention chirurgicale rendue nécessaire par la découverte d’une tumeur rectale. Huit jours après l’opération, un abcès périnéal et une fistule sont apparus. Ces complications ont été traitées pendant plusieurs mois sans succès. Ce n’est qu’à la suite d’une intervention chirurgicale dans un autre hôpital que le patient a vu son état de santé consolidé. Le patient et son épouse ont alors recherché la responsabilité du CHRU en invoquant à la fois un manquement de l’hôpital à son obligation d’information sur les risques de complications graves, en particulier une atteinte probable à ses fonctions sexuelles, et une faute médicale portant sur le choix thérapeutique qui s’est avéré inadapté. S’agissant de la responsabilité du CHRU au titre d’une faute médicale, le Conseil d’Etat casse l’arrêt de la cour administrative d’appel et renvoie l’affaire. La cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’une erreur de qualification juridique des faits en retenant que le choix thérapeutique ne présentait pas un caractère fautif, alors que, selon le rapport d’expertise, les médecins avaient persisté à pratiquer un traitement inefficace, réalisant ainsi un retard thérapeutique. S’agissant de la responsabilité du CHRU au titre d’un manquement à l’obligation d’information du patient, rappelons tout d’abord l’évolution jurisprudentielle en la matière. La loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé fait de l’obligation d’information un droit des patients. Pour cela, le législateur a repris l’œuvre jurisprudentielle. En effet, le droit à l’information du patient par son médecin a tout particulièrement émergé dans les années 90 sous l’impulsion du juge judiciaireii. Le juge administratif lui a ensuite emboité le pasiii. Jusqu’à un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 3 juin 2010 (Civ 1ère, 3 juin 2010, n°09-13.591), le juge administratif et le juge civil étaient tout deux d’accord pour indemniser le défaut d’information en cas de préjudice de la perte de chance de se soustraire à la réalisation du risque. Cependant, les juges de l’ordre judiciaire en ont décidé autrement. Effectivement, le 3 juin 2010, la première chambre civile de la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence. Selon cette dernière, le défaut d’information cause directement et systématiquement un préjudice au patient, indépendamment d’un éventuel préjudice de la perte de chance. De ce fait, le patient ne peut être laissé sans réparation. Les juges de la Cour de cassation parlent de préjudice moral d’impréparation. Cette jurisprudence sera par la suite confirmée, comme le démontre l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 juin 2012 (Civ 1ère, 12 juin 2012, n°11-18327). Ainsi, une inégalité entre le patient du secteur public et celui du secteur privé apparaissait. Selon que le patient se retournait devant le juge administratif ou devant le juge judiciaire, ses chances de se voir indemniser en cas de défaut d’information n’étaient pas les mêmes. Toutefois, les juges du fond de l’ordre administratif tentaient de faire évoluer les choses de leur côté iv en reconnaissant la possibilité d’indemniser le préjudice moral d’impréparation, indépendamment du préjudice de la perte de chance. C’était sans compter l’intervention du Conseil d’Etatv venant stopper cette prise d’initiative en condamnant la solution des juges du fond. Mais, le 10 octobre 2012, la Haute juridiction administrative est venue mettre un terme à cette querelle jurisprudentielle en reconnaissant le préjudice moral d’impréparation, indépendamment de celui de la perte de chance. En l’espèce, les juges du Conseil d’Etat ont dans un premier temps appliqué la position classique sur la perte de chance (I) puis ont consacré le préjudice moral d’impréparation issue de la juridiction judiciaire (II). I- Une application de la jurisprudence classique sur la perte de chance Le Conseil d’Etat reprend tout d’abord sa jurisprudence relative à la perte de chance en disposant « qu’un manquement des médecins à leur obligation d’information engage la responsabilité de l’hôpital dans la mesure où il a privé le patient d’une chance de se soustraire au risque lié à l’intervention en refusant qu’elle soit pratiquée ; que c’est seulement dans le cas où l’intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d’aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent nier l’existence d’une perte de chance ».vi En l’espèce, cette intervention était impérieusement requise pour extraire la tumeur du patient et le manquement des médecins à leur obligation d’information n’a pas privé l’intéressé d’une chance de se soustraire à l’intervention et d’ainsi échapper aux conséquences dommageables subies. Le Conseil d’Etat réitère sa position habituelle en écartant toute indemnisation au titre de la perte de chance lorsque l’intervention chirurgicale est nécessaire et que le défaut d’information n’a pas privé le patient d’aucune chance de se soustraire au dommage. II- Une consécration de la reconnaissance du préjudice d’impréparation Ensuite, la haute juridiction relève « qu’indépendamment de la perte d’une chance de refuser l’intervention, le manquement des médecins à leur obligation d’informer le patient des risques courus ouvre pour l’intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d’obtenir réparation des troubles qu’il a pu subir du fait qu’il n’a pas pu se préparer à cette éventualité, notamment en prenant certaines dispositions personnelles ». Elle accepte ainsi pour la première fois l’existence d’un préjudice, autonome de la perte de chance que l’on peut qualifier de préjudice d’impréparation. En l’espèce, la cour n’avait commis aucune erreur de droit en ne déduisant pas de la seule circonstance que son droit d’être informé des risques de l’intervention avait été méconnu, l’existence d’un préjudice lui ouvrant droit à réparation puisque l’existence d’un tel préjudice n’a pas été invoquée devant les juges du fond. Par cet arrêt, les juges du Conseil d’Etat se rapprochent de la jurisprudence développée par la première chambre civile de la Cour de cassation depuis le récent revirement jurisprudentiel relatif à l’obligation du patient de 2010 (voir ci-dessus). Comme la Cour de cassation, le Conseil d’Etat admet désormais qu’il existe un préjudice réparable, en cas de manquement au devoir d’informer le patient des risques encourus par un acte médical, autre que la perte de chance de refuser l’intervention. Rappelons le, le préjudice de la perte de chance et celui dit « d’impréparation » sont indépendants l’un de l’autre. Le préjudice moral d’impréparation est celui de ne pas pouvoir se préparer aux complications et prendre certaines dispositions personnelles en ce sens. Il s’agit donc d’un préjudice de nature psychologique. Cette réparation était sans doute utile puisque l’indemnisation pour perte de chance de se soustraire au traitement ou à l’intervention n’est pas systématiquement reconnue. Autrement dit, si le juge constate que, même si un patient en étant correctement informé, ne peut se soustraire à l’acte médical faute d’alternative thérapeutique, le préjudice de la perte de chance doit être écarté. En revanche, dès lors qu’un patient peut se soustraire à l’acte médical car une autre alternative médicale peut être choisie, le préjudice de la perte de chance doit être retenu. Cependant, deux éléments se distinguent encore, et démontrent que la conception des juges administratifs est plus étroite que celle des juges judiciaires. Le premier élément est relatif à la définition du préjudice réparable. Pour le Conseil d’Etat, il s’agit bien du préjudice d’impréparation, qui prend en compte les troubles que le patient a pu subir du fait qu’il n’a pas pu se préparer à la réalisation des risques connus, notamment en prenant certaines dispositions personnelles. C’est seulement si le défaut d’information a eu un impact psychologique sur le patient, charge à lui de le prouver, que le préjudice moral d’impréparation sera reconnu par les juges du Conseil d’Etat Pour la cour de cassation la notion est plus large. En effet, à la lecture des arrêts de la première chambre civile du 3 juin 2010 et du 12 juin 2012, on note que pour le juge judiciaire, le défaut d’information cause nécessairement un préjudice au patient, fût-il uniquement moral, que le juge ne peut laisser sans réparation. En d’autres termes, contrairement au juge administratif, la Cour de cassation indemnise le préjudice moral d’impréparation, quelles qu’en soient les conséquences « psychologiques » pour le patient. Ainsi, « le non-respect par un médecin du devoir d’information dont il est tenu envers son patient, cause à celui auquel cette information était légalement due un préjudice qu’en vertu du texte susvisé [principes du respect de la dignité humaine et d’intégrité du corps humain et l’article 1382 du code civil] le juge ne peut laisser sans réparation » (Civ 1ère, 12 juin 2012). Le deuxième élément porte sur les circonstances permettant la réparation. Contrairement à la Cour de cassation, le Conseil d’Etat limite le droit à réparation à la nécessité que le risque se soit réalisé. En effet, la Haute juridiction administrative précise dans son arrêt du 10 octobre 2012, « qu’indépendamment de la perte de chance de refuser l’intervention, le manquement des médecins à leur obligation d’informer le patient des risques courus pour l’intéressé » donne « le droit d’obtenir réparation des troubles qu’il a pu subir du fait qu’il n’a pas pu se préparer à cette éventualité », seulement si « ces risques se réalisent ». A contrario, la Haute juridiction judiciaire ne contraint pas l’indemnisation du dit-préjudice à la réalisation effective des risques. Du fait de ces divergences la portée de l’obligation d’information n’est pas la même devant le juge judiciaire que devant le juge administratif. Effectivement, les juges de la Cour de cassation renforcent la portée de l’obligation d’information du médecin envers son patient. D’autant plus que, ces derniers rendent leurs solutions au visa des principes fondamentaux de la dignité humaine et de l’intégrité de la personne. En définitive, le Conseil d’Etat progresse dans l’application du droit des patients à l’information, consacré par l’article L.1111-2 du code de la santé publique. Mais la porté de ce droit demeure plus réduite que celle du droit privé. Pour finir, si la reconnaissance d’un préjudice moral d’impréparation est une avancée considérable pour les droits des patients, l’indemnité pour perte de chance reste plus importante que celle réparant le préjudice moral d’impréparation. En effet, pour évaluer le préjudice de la perte de chance, on mesure les chances de refus de l’acte médical en cas d’information. Ensuite, on applique le pourcentage obtenu au préjudice du dommage corporel. Cependant l’indemnisation du préjudice moral d’impréparation est intéressante à défaut d’identification par le juge d’un préjudice de perte de chance. Renseignement et inscription Nadia HASSANI – 01 41 17 15 43 [email protected] i ère Cass, Civ 1 , 3 juin 2010, n°09-13.591 ère Cass, Civ 1 , 7 octobre 1998, n°10179 iii CE, 5 janvier 2000, n°181899 iv CAA Marseille, 10 mai 2010, n°08MA01638 v CE, 2 juillet 2010, n°323885 vi Voir l’arrêt du CE, 15 janvier 2011, n°184386 ii