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D CONTRAT DE TRAVAIL
258-2
Téléréalité : un jeu ou un travail ?
Cass. soc., 3 juin 2009, pourvois n° 08-40.981 à n° 08-40.983 et n° 08-41.712 à n° 08-41.714, arrêt n° 1159, FS-P+B+R+I
La Cour de cassation décide que les participants au jeu « L’Île de la tentation » sont des
travailleurs salariés, se fondant sur le fait qu’il leur était demandé de se comporter
comme des acteurs. Elle refuse, en revanche, la qualification de travail dissimulé.
LES FAITS
À l’origine de l’affaire, il y a la signature, par huit personnes, d’un document intitulé « Règlement participants ».
Les signataires s’engagent à participer, dans un hôtel
thaïlandais, au tournage d’une émission produite pour
TF1 par la société Glem, dont le concept est ainsi défini : « Quatre couples non mariés et non pacsés, sans enfant, testent leurs sentiments réciproques lors d’un séjour
d’une durée de douze jours sur une île exotique, séjour pendant lequel ils sont filmés dans leur quotidien, notamment
pendant les activités (plongée, équitation, ski nautique,
voile, etc..), qu’ils partagent avec des célibataires de sexe
opposé. À l’issue de ce séjour, les participants font le point
de leurs sentiments envers leur partenaire. Il n’y a ni gagnant, ni prix ». Simplement, la société s’engage à défrayer les participants.
LES DEMANDES ET ARGUMENTATIONS
Le tournage fini, plusieurs joueurs décident d’intenter
une action prud’homale : à leurs yeux, en effet, « L’Île
de la tentation » n’a pas été un jeu mais un vrai travail.
On les a traités comme des acteurs, ils veulent par conséquent être payés en conséquence et ajoutent à leur revendication une demande d’indemnité pour travail dissimulé.
De part et d’autre, les arguments fusent. Principal chef
de bataille de la société Glem : l’immixtion de caméras
dans la vie privée ne saurait caractériser un travail. Les
volontaires se voyaient proposer des activités auxquelles
ils étaient libres de participer ou non et d’ailleurs, certains ont usé de cette liberté sans être sanctionnés pour
autant. En un mot comme en cent, l’activité qui « réclame seulement de chacun d’eux qu’il perpétue, sous l’œil
de la caméra, en restant naturel et spontané, son mode de
vie privée, en livrant son intimité au public », ne peut
s’analyser comme une prestation relevant du Code du
travail.
Décoder les
lettres accolées
aux numéros
d’arrêt de
la Cour de
cassation
F = Formation
FS = Formation
de section
FP = Formation
plénière
P = Publication
dans le
Bulletin
civil de la
Cour de
cassation
jurisprudence générale
arrêts
Du côté des participants, on souligne les contraintes imposées : nécessité d’une disponibilité permanente pour
les tournages, interdiction de sortir du site et de communiquer avec l’extérieur tant que le film n’est pas terminé. Contrairement aux affirmations de la société, il
ne s’agissait pas de se laisser vivre devant une caméra
discrète ; les réactions n’étaient pas spontanées mais dictées par le producteur ; de plus, il fallait répéter et refaire la prise si elle n’était pas bonne.
LA DÉCISION, SON ANALYSE ET SA PORTÉE
Ces derniers arguments vont faire pencher la balance
en faveur du contrat de travail. L’employeur – c’est désormais le nom qui convient – devra donc verser un salaire, des heures supplémentaires, des congés payés, un
préavis…
La Cour de cassation commence par rappeler que le
contrat de travail existe indépendamment de la qualification que lui ont attribuée les parties :
« Mais attendu que l’existence d’une relation de travail ne
dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la
dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais
des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité
des travailleurs ».
Puis elle relève un à un tous les éléments témoignant
d’un lien de subordination entre la société productrice
et les joueurs et en déduit « que les participants étaient
liés par un contrat de travail à la société de production ».
D Le débat sur la notion de « travail »
C’est à Agnès Fossaert, conseiller à la Chambre sociale
de la Cour de cassation qu’est échue la lourde tâche de
présenter le rapport concernant cette affaire. Comme elle
le rappelle d’emblée : « Toute la doctrine s’accorde à considérer que trois éléments cumulatifs caractérisent le contrat
de travail : un travail, une rémunération, un lien de subordination. Mais elle relève parallèlement que, parmi ces trois 3
B = Flash dans
le Bulletin
d’information de la
Cour de
cassation
R = Mention
dans le
rapport
de la
Cour de
cassation
I = Figure
sur le site
internet
de la
Cour de
cassation
Jurisprudence Sociale Lamy - 30 juin 2009 - n° 258
9
Téléréalité : un jeu ou un travail ?
éléments, la prestation de travail et la rémunération ne sont
pas distinctifs du contrat de travail, d’autres catégories de
contrats (par ex. le contrat d’entreprise) les comportant également. En revanche, le « critère décisif » est celui du lien
de subordination. » (D. Alliaume, D. Jourdan, O. Chenédé,
Le contrat de travail, Delmas, 4e éd.).
Elle rappelle que : « Dans certains cas, en dépit de la réunion de plusieurs, voire de tous les éléments caractérisant
en principe le contrat de travail, cette qualification est exclue. C’est la finalité de la prestation de travail qui apparaît comme le cœur de cette exclusion » (P. Fieschi-Vivet,
Les éléments constitutifs du contrat de travail, RJS 7/91).
Et de citer plusieurs cas où l’on a écarté la qualification
de contrat de travail en raison de la finalité de l’activité,
les stagiaires dont le but est de se former (Cass. soc.,
18 juill. 2001, n° 99-42.525, Bull. civ. V, n° 278 ; Cass.
soc., 21 sept. 2005, n° 03-46.231 ; Cass. soc., 4 oct.
2007, n° 06-44.106, Bull. civ. V, n° 153), les handicapés qui travaillent dans un CAT dans un but d’éveil et
de rééducation (Cass. soc., 18 mars 1997, n° 94-41.716,
Bull. civ. V, n° 112). L’un des cas les plus frappants est
celui des compagnons d’Emmaüs (Cass. soc., 9 mai 2001,
n° 98-46.158, Bull. civ. V, n° 155) : ceux-ci, quand ils
rentrent dans la communauté, adhèrent à une certaine
« règle de vie » qui comporte, entre autres, la sujétion de
récupérer dans la rue des objets mobiliers, en échange
de quoi ils recevaient une rémunération constituée d’avantages en nature et d’une allocation hebdomadaire. Les
ingrédients du contrat de travail semblaient réunis et la
Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait jugé en ce sens
mais la Cour de cassation ne l’avait pas suivie, estimant
que les « règles de vie communautaire qui définissent un
cadre d’accueil comprenant la participation à un travail
Texte de l’arrêt (extraits)
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE,
a rendu l’arrêt suivant :
I. Statuant sur les pourvois n° K 08-40.981,
M. 08-40.982 et N 08-40.983 formés par la
société GLEM, devenue TF1 productions,
société par actions simplifiées,
II. Statuant sur les pourvois n° s E 08-41.712,
F 08-41.713 et H 08-41.714 formés par :
1° M. Anthony Brocheton,
2° Mme Marie Adamiak,
3° M. Arnaud Laize (...)
Vu la communication faite au procureur
général ;
LA COUR, composée conformément à l’article
R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire,
en l’audience publique du 29 avril 2009, où
étaient présents : Mme Collomp, président,
Mme Fossaert, conseiller rapporteur,
Mme Mazars, conseiller doyen, MM. Texier,
Bailly, Trédez, Chauviré, Mme Morin,
M. Blatman, Mme Perony, MM. Marzi,
10
destiné à l’insertion sociale des compagnons », étaient exclusives de tout lien de subordination.
La Cour de cassation aurait donc très bien pu s’attacher
à la finalité de l’émission « L’Île de la tentation », « un
divertissement entre adultes consentants n’agissant qu’à des
fins purement personnelles et non professionnelles », selon les termes de l’avocat général, pour écarter la qualification de contrat de travail, ce n’est pas la voie qu’elle
a choisie.
D Le constat du lien de subordination
Dès lors qu’elle décide de ne pas tenir compte de la
finalité de l’activité, la Cour de cassation a beau jeu de
constater l’existence d’un lien de subordination.
Pour commencer, elle rappelle le principe d’indisponibilité de la qualification : le contrat de travail existe « nonobstant la dénomination et la qualification données au
contrat litigieux » (Cass. soc., 19 déc. 2000, n° 98-40.572).
Ensuite elle déroule tous les éléments de fait qui conduisent à l’inévitable solution de la requalification, car le
déploiement d’autorité est patent et permanent.
Seul point de désaccord avec les participants, elle refuse de sanctionner la maison de production au titre du
travail dissimulé : « le caractère intentionnel ne peut se
déduire du seul recours à un contrat inapproprié ».
Sur ce dernier point, au moins, on ne peut qu’approuver : quand on lit les nombreuses critiques, émanant
d’auteurs aussi éminents que les professeurs Jean-Emmanuel Ray et Antoine Jeammaud (Semaine sociale Lamy
n° 1403), que suscite cette décision, on ne saurait reprocher à la société Glem de s’être trompée sur la qualification des relations qui la liaient aux participants ! 9
Gosselin, Moignard, conseillers, Mmes BobinBertrand, Bouvier, M. Rovinski, Mme PécautRivolier, conseillers référendaires, M. Allix,
avocat général, Mme Ferré, greffier de
chambre ;
Vu la connexité, joint les pourvois n° K 0840.981, M. 08-40.982, N 08-40.983, E 0841.712, F 08-41.713 et H 08-40.714 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués, que
Mme Adamiak, M. Brocheton et M. Laize (les
participants) ont consenti, en signant un acte
intitulé "règlement participants" à participer du
14 au 28 mars 2003, dans un hôtel
thaïlandais du golfe du Siam, au tournage de
l’émission "L’île de la tentation", saison 2003,
produite pour TF1 par la société Glem, dont le
concept est défini comme suit : "quatre
couples non mariés et non pacsés, sans
enfant, testent leurs sentiments réciproques
lors d’un séjour d’une durée de douze jours
sur une île exotique, séjour pendant lequel ils
sont filmés dans leur quotidien, notamment
pendant les activités (plongée, équitation, ski
nautique, voile, etc..) qu’ils partagent avec des
n° 258 - 30 juin 2009 - Jurisprudence Sociale Lamy
Marie Hautefort
célibataires de sexe opposé. A l’issue de ce
séjour, les participants font le point de leurs
sentiments envers leur partenaire. Il n’y a ni
gagnant, ni prix" ; qu’ils ont saisi la juridiction
prud’homale pour voir requalifier le
"règlement participants" en contrat de travail à
durée indéterminée et obtenir paiement de
rappels de salaire et heures supplémentaires
ainsi que des indemnités et dommagesintérêts consécutifs à la rupture ;
Sur les premier, deuxième et troisième
moyens, réunis, du pourvoi de la société
Glem, devenue TF1 productions :
Attendu que la société TF1 productions fait
grief aux arrêts d’avoir accueilli la demande
des participants, alors, selon le moyen :
1° que le contrat de travail implique
l’accomplissement d’une prestation de travail,
qu’elle soit manuelle ou intellectuelle, au profit
d’un cocontractant ; qu’en l’espèce, l’arrêt
attaqué relève que l’activité en cause,
consistait, pour le participant à une émission
dite de télé-réalité, « à exprimer ses propres
commentés
sentiments et à s’impliquer dans des relations
interpersonnelles générées naturellement par
une vie communautaire entre couples et
célibataires » ; qu’une telle activité, en ce
qu’elle réclamait seulement de chacun d’eux
qu’il perpétue sous l’œil de la caméra, en
restant naturel et spontané, son mode de vie
privée, en livrant son intimité au public, ne
réclamait précisément aucun travail de la part
de l’intéressé, et ne pouvait par suite
s’analyser en une prestation de travail relevant
des dispositions des articles L. 1221-1 et
suivants du Code du travail ; qu’en décidant le
contraire, au motif inopérant que la
participation à l’émission litigieuse demandait
de la part du candidat qu’il déploie une
« activité créatrice », exigeant un « effort
soutenu », consistant en une mise à l’épreuve
de ses sentiments à l’égard de son
compagnon ou conjoint, la cour d’appel a
violé le texte susvisé ;
2° que, serait-elle accomplie dans le respect
d’un certain nombre de directives, une activité
exercée à des fins autres que la perception
d’une rémunération ne saurait revêtir la
qualification de prestation de travail, laquelle
doit, pour relever des dispositions du Code du
travail, présenter un caractère professionnel ;
qu’en l’espèce, il ressort des propres
constatations de l’arrêt et du « Règlement
participants » signé par chacun des candidats
à l’émission que l’objet de celle-ci consistait,
pour les membres d’un couple, « à tester leurs
sentiments mutuels lors d’un séjour de douze
jours sur une île exotique », chacun
garantissant « qu’il participe au programme à
des fins personnelles et non à des fins
professionnelles » ; que telle était ainsi la
cause de leur participation, exclusive de tout
contrat de travail ; en sorte qu’en se
prononçant comme elle l’a fait, la cour d’appel
a violé, derechef, les articles L. 1221-1 du
Code du travail, 1131 et 1134 du Code civil
(...)
Mais attendu que l’existence d’une relation de
travail ne dépend ni de la volonté exprimée
par les parties ni de la dénomination qu’elles
ont donnée à leur convention mais des
conditions de fait dans lesquelles est exercée
l’activité des travailleurs ;
Qu’ayant constaté que les participants avaient
l’obligation de prendre part aux différentes
activités et réunions, qu’ils devaient suivre les
règles du programme définies unilatéralement
par le producteur, qu’ils étaient orientés dans
l’analyse de leur conduite, que certaines
scènes étaient répétées pour valoriser des
moments essentiels, que les heures de réveil
et de sommeil étaient fixées par la production,
que le règlement leur imposait une
disponibilité permanente, avec interdiction de
sortir du site et de communiquer avec
l’extérieur, et stipulait que toute infraction aux
obligations contractuelles pourrait être
sanctionnée par le renvoi, la cour d’appel, qui,
répondant aux conclusions, a caractérisé
l’existence d’une prestation de travail exécutée
sous la subordination de la société Glem, et
ayant pour objet la production d’une "série
télévisée", prestation consistant pour les
participants, pendant un temps et dans un lieu
sans rapport avec le déroulement habituel de
leur vie personnelle, à prendre part à des
activités imposées et à exprimer des réactions
attendues, ce qui la distingue du seul
enregistrement de leur vie quotidienne, et qui
a souverainement retenu que le versement de
la somme de 1 525 euros avait pour cause le
travail exécuté, a pu en déduire, sans
dénaturation et abstraction faite des motifs
surabondants critiqués par les huitième et
neuvième branches, que les participants
étaient liés par un contrat de travail à la
société de production ; que le moyen n’est pas
fondé (...)
Mais sur le quatrième moyen du pourvoi de la
société Glem, devenue TF1 productions :
Vu l’article 455 du Code de procédure civile ;
Attendu que pour condamner la société Glem
à payer à chacun des participants une
indemnité pour travail dissimulé, les arrêts
énoncent que la proposition de signature d’un
"règlement participants" au lieu d’un contrat
de travail, l’absence de déclaration
d’embauche et payement de cotisations
sociales, d’établissement de bulletins de
salaire, notamment, caractérisent l’intention
de la société de production de dissimuler au
sens de l’article L. 324-10 devenu L. 8221-5,
du Code du travail l’engagement d’un salarié
dont le travail est de surcroît accompli à
l’étranger ;
jurisprudence générale
arrêts
Qu’en statuant ainsi, alors que le caractère
intentionnel ne peut se déduire du seul
recours à un contrat inapproprié, la cour
d’appel a statué par un motif inopérant
équivalent à un défaut de motif ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce
qu’ils ont condamné la société Glem à payer à
Mme Adamiak, M. Brocheton et M. Laize une
indemnité pour travail dissimulé, les arrêts
rendus le 12 février 2008, entre les parties, par
la cour d’appel de Paris ; remet, en
conséquence, sur ce point, la cause et les
parties dans l’état où elles se trouvaient avant
lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie
devant la Cour d’appel de Paris, autrement
composée (...)
Jurisprudence Sociale Lamy - 30 juin 2009 - n° 258
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