Les démocrates reprennent pied au Congrès

Transcription

Les démocrates reprennent pied au Congrès
la Croix
Jeudi 9 novembre 2006
Les élections américaines
3
Les démocrates reprennent
pied au Congrès
P Les élections de mardi aux États-Unis ont donné la majorité à la Chambre des représentants au Parti
démocrate, tandis que le résultat au Sénat restait incertain P George W. Bush devait hier soir faire un premier
discours postélectoral. P Quels seront les changements de fond liés à cette nouvelle donne politique ?
REPÈRES
RÉSULTATS
DU VOTE DE MARDI
C À la Chambre des
représentants : avantage aux
démocrates. Ils passent de 201
à 226 sièges et deviennent pour
la première fois depuis 1994
majoritaires. Les républicains,
quant à eux, voient leur nombre
de sièges passer de 232 à 193.
Le parti indépendant conserve
son siège. 15 sièges restaient
hier encore en fin d’après-midi
dans l’incertitude.
C Au Sénat : égalité provisoire.
Les démocrates passent de 44
à 49 sièges. Les républicains
passent de 55 à 49 sièges.
L’incertitude demeure pour les
résultats du Montana et de la
Virginie. Dans ces deux États
hier, le candidat démocrate était
en tête mais l’écart trop étroit
pour un résultat définitif.
MIKE THEILER/REUTERS
George W. Bush mardi sur la pelouse de la Maison-Blanche. Si le Sénat basculait lui aussi, le président serait contraint à davantage de précaution.
CLEVELAND ET WASHINGTON
De nos envoyés spéciaux
L.
e mur a vacillé mais il était trop tôt hier
pour savoir s’il s’est effondré. Mardi, lors
des élections générales aux États-Unis, le
Parti démocrate a repris le contrôle de la
Chambre des représentants, qu’il avait perdu en
1994, mais le résultat au Sénat restait hier incertain après une nuit fébrile de décomptes dans
deux États, le Montana et la Virginie, laissant
provisoirement les deux partis à égalité avec
49 sénateurs. Pour l’emporter les démocrates
devront obligatoirement gagner ces deux sièges. En cas d’égalité finale avec 50 sénateurs
chacun, la majorité reviendra en effet automatiquement aux républicains : le vice-président
des États-Unis, actuellement Dick Cheney, est
juridiquement le « speaker » (président) du Sénat
et fait alors pencher la balance.
Comment l’équilibre
des pouvoirs va-t-il changer
à Washington ?
C La victoire des démocrates va provoquer un
certain retour à la normale à Washington, où il
est rare que le même parti contrôle la MaisonBlanche et les deux chambres du Congrès. En
outre, depuis les attentats du 11 septembre
2001, la majorité républicaine ne se souciait
guère de forger un consensus bipartisan. Le
11 septembre a également conduit les démocrates à serrer les rangs derrière « la guerre
contre le terrorisme » et la plupart ont approuvé
le déclenchement de la guerre en Irak en 2003.
Le Congrès s’est ainsi montré docile envers
la Maison-Blanche, abandonnant le rôle de
contre-pouvoir du président que lui confère
la Constitution.
La victoire des démocrates, surtout si elle est
limitée à la Chambre des représentants, va pro-
voquer « la fin d’un style de gouvernement, mais
pas la fin de l’influence » de George W. Bush, explique John F. Harris, coauteur d’un ouvrage
consacré aux méthodes de gouvernement de
Bill Clinton et de l’actuel locataire de la Maison-Blanche, The Way to win. « La présidence
est la plate-forme principale des institutions,
souligne-t-il. Bush restera fort mais il devrait
rechercher des éléments de programme que les
démocrates trouveront judicieux de soutenir. »
Les deux camps ont en effet en ligne de mire
l’élection présidentielle de 2008. Alors que les
électeurs ont clairement signifié leur aspiration à un mode de gouvernement moins partisan, démocrates et républicains pourraient
s’essayer à coopérer, ne serait-ce que pour
pouvoir accuser l’autre camp d’obstruction. Le
rôle du futur président (speaker) de la Chambre
sera déterminant. La seule candidate à ce jour
pour ce poste, la Californienne Nancy Pelosi, a
clairement affirmé qu’elle ne voulait pas d’une
« guerre frontale ».
Si le Sénat bascule dans le camp démocrate,
George W. Bush sera contraint à encore plus
de précautions. Au cas où les deux chambres
cherchaient l’affrontement en adoptant des lois
politiquement insupportables pour lui, il pourrait alors utiliser son droit de veto, qui oblige
les deux chambres à revoter une loi à une majorité qualifiée. Selon la Constitution, le Congrès
a notamment le pouvoir de décider la politique
fiscale, la politique commerciale, de déclarer
la guerre et d’entretenir l’armée. Il peut aussi
destituer le président et le vice-président par
une procédure d’« empêchement ».
Quel sera l’impact des élections
sur la situation en Irak ?
C Il est probable que chaque électeur a pensé à
la guerre en Irak au moment de voter. Ce lourd
problème a fini par cristalliser l’hostilité d’une
grande partie de l’opinion envers la façon dont
le parti républicain et le président Bush ont
mené le pays depuis cinq ans. La guerre a même fini par éroder la crédibilité dont disposait
le président en matière de sécurité intérieure.
La plupart des électeurs démocrates, et encore
moins les dirigeants du parti, ne s’attendent
toutefois pas à un retrait rapide des troupes.
Beaucoup estiment qu’un tel désengagement
plongerait l’Irak dans une guerre civile totale.
En revanche, la recherche d’une réorientation
stratégique devrait s’accélérer dans les prochaines semaines.
Un rapport produit sous la houlette de l’ancien secrétaire d’État James Baker, un proche
de la famille Bush, devrait être rendu public.
Des fuites sans doute calculées à la mi-octobre
ont permis d’instiller certaines idées reprises
durant la campagne. L’une suggère une coopération plus poussée entre les États-Unis et
les pays voisins de l’Irak, notamment la Syrie.
L’autre la diminution du pouvoir central à Bagdad, au profit de grandes régions extrêmement
autonomes les unes par rapport aux autres. Les
appels à la démission du ministre de la défense,
Donald Rumsfeld, se multiplient par ailleurs, y
compris chez les républicains. « Les dirigeants
des deux partis sont convaincus que la guerre
est une catastrophe, souligne John Harris. Ils
veulent reprendre les clés du dossier à Bush. Les
républicains, notamment, considèrent que le
rêve de recréer le monde selon les critères de la
démocratie n’est pas près de se concrétiser. »
Mais George W. Bush, qui est selon la
Constitution le chef des armées, n’est
pas homme à céder devant des opinions
contraires. Il croit à la menace du terrorisme islamiste et juge que les États-Unis
affrontent là un ennemi redoutable. PPP
(Lire la suite page suivante.)
GILLES BIASSETTE
ET JEAN-CHRISTOPHE PLOQUIN
C Pour les gouverneurs : sur
les 36 postes de gouverneurs
en jeu, 16 ont été remportés par
un candidat républicain et 20
par un candidat démocrate. Les
démocrates ont remporté six
sièges de gouverneurs cruciaux
pour la présidentielle de 2008
(Ohio, Pennsylvanie, Arkansas,
New York, Massachusetts et
Colorado). Pour la première
fois depuis douze ans, les
gouverneurs des 50 États
américains sont majoritairement
démocrates (28).
C Les référendums :
les électeurs de sept États
(Colorado, Idaho, Caroline du
Sud, Tennessee, Dakota du
Sud, Virginie et Wisconsin)
ont interdit les mariages
homosexuels. Quant aux
électeurs du Dakota du Sud,
ils ont rejeté la proposition
d’interdire totalement
l’avortement.
LES CAS PARTICULIERS
Voici les résultats de divers cas
particuliers que nous avions
évoqués dans nos éditions
précédentes
C Dans le Tennessee, le
démocrate Harold Ford Jr est
battu au poste de sénateur
(éditions du 4 et 5 novembre).
C Dans l’Ohio, le démocrate
Ted Strickland devient
gouverneur (éditions du
7 novembre)
C Dans le Michigan, 58 %
des électeurs ont annulé la
discrimination positive mise en
place dans les écoles et dans les
entreprises.
C Dans le Connecticut,
Joseph Lieberman, ancien
candidat démocrate devenu
indépendant, a été réélu
sénateur (nos éditions du
8 novembre).
Les élections
la Croix
Jeudi 9 novembre 2006
PPP Dans les prochaines semaines, on pourrait donc assister à un
renforcement des troupes en Irak,
qu’a publiquement demandé fin
octobre le général Casey, le plus
haut gradé américain à Bagdad.
Relativement impuissants à déterminer une nouvelle politique, les
démocrates pourraient chercher à
mettre en évidence les erreurs de
l’administration Bush en Irak depuis 2003, en créant des commissions d’enquête parlementaires.
Ils pourraient notamment faire
comparaître Donald Rumsfeld.
En revanche, les principaux dirigeants démocrates au Congrès
s’opposent au déclenchement
d’une procédure d’empêchement
contre George W. Bush.
Quels changements
à attendre concernant
les autres dossiers ?
C En vue des élections de mardi, le
Parti démocrate avait défini une
ébauche de politique – « Six points
pour 2006 ». Dans ce document,
les démocrates promettaient « un
leadership honnête, une véritable
sécurité nationale, une politique
d’indépendance énergétique, une
économie prospère et une éducation de qualité, un système de
santé pour tous, une retraite sûre ».
Un programme plutôt général,
non une plate-forme de gouvernement. De fait, ce sont surtout des
mesures très concrètes que les démocrates vont
Les
s’efforcer de
représentants
promou voi r,
devraient
principa leégalement
ment sur leur
se pencher
terrain
de
sur les questions prédilection,
énergétiques,
le social. Très
l’un des thèmes
r a pide me nt ,
de campagne
la Chambre
des démocrates. des représentants devrait
ainsi entériner la hausse du salaire minimum au niveau fédéral
– 5,15 dollars (4 €) de l’heure –,
la révision de la sécurité sociale
américaine pour permettre à
l’État de négocier directement
avec les grandes entreprises
pharmaceutiques ou encore la
baisse des taux d’intérêt pour les
prêts étudiants. « Ce sont ce genre
de mesures qu’ils peuvent prendre
rapidement, car elles font l’unanimité dans leur propre camp »,
estime Herbert Asher, professeur
de sciences politiques à l’iniversité de l’Ohio.
Les représentants devraient
également se pencher sur les
questions énergétiques, l’un des
thèmes de campagne des démocrates. On s’attend, d’une part, à
l’examen de la politique menée
par le tandem Bush-Cheney sur
cette question, la Chambre pouvant user de son pouvoir d’enquête pour mettre au jour les relations entre le monde de l’or noir
et le vice-président, bête noire de
la nouvelle majorité à la Chambre
des représentants, et d’autre part,
à la promotion de technologies alternatives au pétrole.
Enfin, la seule bonne nouvelle
de la soirée de mardi pour la Maison-Blanche est que son projet
de réforme de l’immigration, qui
prévoit un programme d’accueil
de travailleurs mexicains et de
légalisation partielle, pourrait
sortir de l’impasse : George
W. Bush n’avait en effet pas réussi
à convaincre les républicains de la
Chambre des représentants, hostiles à toute idée de légalisation.
GILLES BIASSETTE
ET JEAN-CHRISTOPHE PLOQUIN
T La démocrate Nancy Pelosi devrait bientôt présider la Chambre des représentants
Nancy Pelosi devrait mener
la vie dure à George W. Bush
WASHINGTON
De notre envoyé spécial
L
e Parti républicain s’en est
servi comme d’un épouvantail durant la campagne.
Mais après la conquête de la
Chambre des représentants par le
Parti démocrate, avant-hier, le jour
de gloire est arrivé pour Nancy Pelosi. Élue sans discontinuer dans la
circonscription de San Francisco
depuis 1987, elle devrait être désignée en janvier, lors du lancement
de la nouvelle législature, « speaker » (présidente) de la Chambre,
devenant ainsi le troisième personnage de l’État, derrière le président
Bush et le vice-président Cheney.
Ce sera la première fois qu’une
femme atteindra une aussi haute
position aux États-Unis.
Sauf anicroche, aucun élu démocrate ne devrait lui disputer le
poste. Ces quatre dernières années, cette mère de cinq enfants
– quatre filles, un garçon –, entrée
en politique lorsque le dernier avait
14 ans, a dirigé le groupe démocrate à la Chambre des représentants.
Épouse d’un millionnaire, elle a acquis l’admiration de ses collègues
par sa capacité à lever des fonds et
à unir les démocrates contre leurs
concurrents. Ses incessants voyages pour soutenir les candidats les
plus exposés durant la campagne
lui vaudront aussi la reconnaissance des nouveaux élus.
La nouvelle speaker devrait mener la vie dure à George W. Bush.
Durant la campagne, le stratège du
président, Karl Rove, a conseillé à
nombre de candidats républicains
de l’utiliser comme un chiffon rouge pour mobiliser leurs électeurs.
Qualifiée de « libérale » – sous-entendu, de « permissive » –, figure
de proue de San Francisco, ville
caricaturée comme celle de tous
NICK WASS /AP
4
Nancy Pelosi a voté contre le recours à la force en Irak en 2002 et contre le renouvellement du Patriot Act.
les excès, elle a servi de repoussoir contre le renouvellement du Patriot
dans les publicités télévisées dites Act, une législation qui donne des
« négatives » que les candidats ont le pouvoirs étendus au gouvernement
droit de diffuser pour dénoncer les en matière antiterroriste, et contre
lacunes, voire les défauts de leurs la création d’un département de la
adversaires.
sécurité intérieure.
« J’ai le cuir épais », a coutume Ces quatre
Elle est favorable au
de répondre cette élégante dernières
financement public
femme brune, d’ascendance années, cette
des cliniques pratiitalienne, née en 1940 et qui mère de
quant l’avortement,
a grandi à l’ombre d’un père cinq enfants
à la recherche sur
maire de Baltimore de 1947 à a dirigé
les cellules souches
1959. Elle-même a un jour qua- le groupe
embryonnaires et
lifié George W. Bush d’« incom- démocrate à la au suicide assisté
pétent » et les républicains de Chambre des
(euthanasie). Elle
« corrompus » et « d’immoraux », représentants. s’est par ailleurs
après de récents scandales
opposée au projet
au Congrès. Elle a voté contre le de construction d’un mur le long
recours à la force en Irak en 2002, de la frontière mexicaine.
La cohabitation risque donc de
faire des étincelles. L’ambiance,
chez nombre de démocrates, est
à la revanche, la Chambre des représentants leur ayant échappé
depuis 1994 et les républicains
en ayant profité pour politiser
le travail parlementaire. Nancy
Pelosi a indiqué qu’elle entendait
faire voter une hausse du salaire
minimum et le financement public de la recherche sur les cellules souches embryonnaires.
Et elle saura comme toujours
jouer des coudes. À la maison,
quand elle était enfant, elle
était la seule fille au milieu de
cinq garçons.
J.-C. P.
T La réussite des démocrates a été provoquée par un fort rejet des leaders républicains
Le « parti de l’âne » donne
un sérieux coup de « bleu » au Congrès
CLEVELAND (Ohio)
De notre envoyé spécial
L
es démocrates, dont le
symbole est l’âne et la couleur le bleu, sont de retour
à Washington : douze ans
après avoir perdu la majorité au
Congrès, six ans après avoir quitté
la Maison-Blanche et concédé deux
défaites en 2000 et 2004. Pourtant,
la réussite hier des troupes bleues
emmenées par Howard Dean,
président du Parti démocrate, souligne la défaite de leurs adversaires
plus que leur propre victoire. Car
toutes les enquêtes confirment
que les Américains, au moment de
glisser leur bulletin dans l’urne ou
d’appuyer sur les écrans tactiles,
étaient remontés contre les leaders
républicains.
Au premier d’entre eux, le locataire de la Maison-Blanche,
ils entendaient dire leur rejet de
la guerre en Irak et de la façon
dont elle est conduite. Mardi,
lors de son discours de victoire à
Cleveland, le nouveau sénateur
de l’Ohio, Sherrod Brown, a reçu longue pour un parti en verve pour
une ovation lorsqu’il a lancé qu’il défendre la morale.
était « temps de mettre un terme à
Dans ce climat de frustration et de
la guerre en Irak ». Le message des colère grandissante, les démocrates
électeurs, comme celui des démo- ont su avancer leurs pions. Ils ont
crates, est à la fois clair et ambigu : beaucoup parlé d’Irak, certes, mais
les Américains ont manifesté la aussi d’économie, de santé et d’éduvolonté de mener une autre poli- cation. Des thèmes déjà présents
tique irakienne, sans se prononcer dans la campagne présidentielle
cependant sur une alternative que 2004, mais que les électeurs, toudes démocrates ne présentaient
jours traumatisés
d’ailleurs pas.
Les victoires
par les attentats
Mais les Américains sont éga- de mardi
du 11 septembre
lement en colère contre les lea- traduisent
2001,
n’avaient
ders républicains du Congrès. la réconciliation écoutés que d’une
Depuis plusieurs mois, un cli- avec une classe
oreille.
Depuis,
mat de corruption empoisonne moyenne
ces
problèmes
l’atmosphère sur le Capitole : qui fuyait les
n’ont fait que s’agcoup sur coup, plusieurs scan- démocrates.
graver : les coûts
dales ont mis en cause des élus
de santé et d’édurépublicains, pris au piège d’un cation ont continué à augmenter
pouvoir exercé sans partage. En à un rythme difficile à suivre. En
juin, leur leader à la Chambre des un an, les frais d’inscription dans
représentants, le très puissant élu les universités privées ont encore
texan Tom DeLay, avait dû démis- connu une hausse de 6 % : il faut
sionner pour avoir profité des lar- désormais l’équivalent de 53 semaigesses du lobbyiste Jack Abramoff. nes de salaire moyen pour inscrire
Plusieurs autres élus ont dû l’imiter son enfant. Près d’un an de travail
depuis. La liste commençait à être pour une année d’études…
Les victoires de mardi traduisent enfin la réconciliation avec
une classe moyenne qui fuyait les
démocrates depuis que le parti
avait accordé son attention aux
plus pauvres et aux minorités. De
bonne augure pour 2008. D’autant
que, quel qu’il soit, le candidat
démocrate pourra compter sur le
soutien de nombreux gouverneurs :
les démocrates dirigent désormais
l’exécutif de 28 États.
Or, être à la tête d’un État est un
plus pour le candidat du parti dans
un système où les élections sont
organisées au niveau local : si la
Floride n’avait pas été dirigée par un
républicain en 2000, l’issue du scrutin aurait été différente. En 2004,
c’est l’Ohio, encore aux mains des
partisans de Bush, qui avait décidé
du sort du vainqueur de l’élection,
dans un climat de controverses.
Mais mardi, l’Ohio a été « repeint
en bleu » et dans deux ans, la présidentielle dans cet État se tiendra
sous la houlette du démocrate Ted
Strickland, élu mardi.
G. B.
4
Les élections
la Croix
Mardi 7 novembre 2006
T Depuis quinze ans, l’Arizona est devenu la principale voie d’entrée pour les clandestins sud-américains
A Nogales, l’élection se jouera sur l’immigration
NOGALES
De notre envoyé spécial
JILL CONNELLY/GAMMA
J
osé Luis Morales est assis sur
un bout de trottoir en marge
d’un parking défoncé de la
ville de Nogales Sonora, du
côté mexicain de la frontière avec
l’Arizona. Il montre ses poignets
et sa lèvre supérieure qui portent
les traces de l’échec de sa tentative
de pénétrer illégalement sur le
territoire américain. Il s’est blessé
en tentant de passer par-dessus le
mur de trois mètres de haut, couvert de barbelés, qui court dans
cette région le long de la frontière.
Une patrouille l’a ramassé et remis
aux autorités mexicaines. Mais le
jeune homme de 24 ans, originaire
de l’État d’Oaxaca, dans le sud du
Mexique, tentera à nouveau sa
chance. Il a déjà travaillé clandestinement aux États-Unis, cuisinier
dans un restaurant de Long Beach,
en Californie, payé 9 dollars (8 €)
l’heure, l’équivalent d’une journée de travail dans le bâtiment
au Mexique. Chaque semaine, il
envoyait 200 dollars (173 €) à sa
mère. Lorsqu’elle est tombée malade, il est rentré. Depuis, sa mère
est morte. Plus rien ne le retient.
En Californie, José Luis Morales
n’a jamais eu maille à partir avec la
police et son employeur se moquait
de savoir s’il avait des papiers. Neuf
autres illégaux travaillaient avec
lui. Il est prêt à assumer ce statut
précaire jusqu’à ce qu’une chance
de régularisation se présente. En
attendant, le passage clandestin
lui coûtera sans doute 3 000 dollars
(2 500 €). Les filières ne manquent
pas à Nogales Sonora, ruche de
400 000 habitants, séparée par
le mur de Nogales, l’américaine,
sœur jumelle florissante où des
milliers de Mexicains se rendent
légalement tous les jours.
L’obstination de ce jeune homme
reflète la poussée migratoire qui a
fait de l’immigration clandestine
un des sujets chauds des élections
d’aujourd’hui. Le 26 octobre,
douze jours avant le scrutin, le
président Bush a ainsi paraphé
une loi approuvant la création
Parmi la communauté hispanique de Los Angeles, qui constitue un réservoir de main-d’œuvre bon marché.
d’un nouveau mur sur 1 300 kilomètres entre son pays et le
Mexique, soit plus d’un tiers de la
longueur totale. Pendant un an, au
Congrès, le débat a fait rage entre
les partisans d’une fermeté envers
les immigrants clandestins et les
défenseurs d’une approche pragmatique. Deux sénateurs prestigieux, le républicain John McCain
et le démocrate Edward Kennedy,
ont coparrainé un projet adopté
en mars au Sénat, qui prévoyait
notamment la régularisation et
l’accession à la citoyenneté de centaines de milliers de travailleurs illégaux, ainsi que la mise en place
d’un programme d’immigration
temporaire permettant la venue
de « travailleurs invités ». Mais la
Chambre des représentants, où
les leaders du Parti républicain
ne voulaient pas entendre parler
d’un accord avec les démocrates,
a adopté son propre projet de loi,
beaucoup plus intransigeant. Au
final, les deux chambres n’ont pour l’élection présidentielle de
pu s’accorder que sur le mur, un 2008. « Le projet McCain-Kennedy
projet qui n’a toutefois pas été revient à amnistier les clandestins »,
budgétisé.
explique-t-il à un groupe de jourAujourd’hui, en Arizona, le nalistes européens (1). Randy Graf
résultat de l’élection comptant a rejoint les Minutemen, des volonpour la Chambre des reprétaires qui organisentants est considéré comme Pendant
sent des rondes
un test national de l’humeur un an,
de surveillance à
des Américains sur la question au Congrès,
la frontière.
de l’immigration. Dans la 8e le débat a fait
Selon les sondacirconscription, qui longe le rage entre
ges, ce discours
Mexique sur plusieurs centai- les partisans
musclé ne sufnes de kilomètres, un « faucon d’une fermeté
fira pas à Randy
de la frontière » se présente. envers
Graf pour gagner
Randy Graf est partisan de la les immigrants
aujourd’hui
et
tolérance zéro, à tel point que clandestins
ce serait alors
le sénateur sortant, Jim Kolbe, et les défenseurs une femme, Gamembre comme lui du Parti d’une approche brielle Giffords,
républicain, a décidé de ne pas pragmatique.
qui enlèverait au
le soutenir. Des cheveux de jais,
Parti républicain
chaussant des bottes… mexicai- une circonscription qu’il détenait
nes, Randy Graf s’est aussi dressé depuis vingt-deux ans. Élégante
contre John McCain, sénateur de et vive, les cheveux ramassés en
l’Arizona et candidat probable à queue-de-cheval, Gabrielle Gifl’investiture du Parti républicain fords ne minimise pas le poids de
l’immigration clandestine qui a
contribué, avec l’afflux de retraités américains s’installant dans cet
État parmi les plus ensoleillés du
pays, à augmenter la population de
l’Arizona de 40 % en dix ans. Mais
elle souligne l’importance d’une
main-d’œuvre bon marché pour
l’agriculture, le tourisme et le bâtiment. Et elle dénonce la passivité
de l’administration Bush. Depuis
quinze ans, l’État fédéral a renforcé
le contrôle des frontières du Mexique avec la Californie et le Texas
et c’est l’Arizona qui est devenu la
principale voie de passage.
« La construction d’un mur ne
changera rien, assure Gabrielle Giffords. Il y aura davantage d’échelles,
davantage de tunnels. D’autant qu’il
n’y aura personne pour assurer une
surveillance 24 heures sur 24. » Sur
le long terme, explique-t-elle, il
faut que les États-Unis favorisent
le développement du Mexique,
en incitant ses multinationales
à y investir, et il faut développer
l’immigration temporaire. Ce
n’est toutefois pas sur l’immigration qu’elle fait campagne. « Le
vote démocrate, ce sera en faveur de
l’amélioration du système éducatif,
d’une hausse des salaires et d’un
retrait des troupes d’Irak », résume
Docky Straskeller, une volontaire.
À Nogales, côté américain, le
shérif du comté de Santa-Cruz,
Tony Estrada, se souvient des années 1950, lorsqu’il n’y avait, pour
séparer les deux côtés de la ville,
que quelques barbelés. Le mur,
qui s’étire localement sur quelques
dizaines de kilomètres, est apparu
en 1995, après une brutale flambée
de la criminalité. La même année,
le premier tunnel de contrebande
était découvert. « Plus on renforce
le contrôle, constate-t-il, plus le
passage rapporte aux réseaux criminels qui contrôlent aussi le trafic
de drogue. »
JEAN-CHRISTOPHE PLOQUIN
(1) Huit journalistes européens ont été
invités par la Fondation German Marshall Fund of the United States à couvrir
l’élection américaine en Arizona et au
Connecticut.
T Les démocrates ont décidé de ne plus laisser à leurs adversaires le monopole de la foi. Exemple dans l’Ohio
Ted Strickland affiche ses convictions religieuses
CLEVELAND (Ohio)
De notre envoyé spécial
L.
orsqu’un
candidat
du
Parti démocrate lance une
campagne électorale, les
mêmes références sont au
rendez-vous : Franklin Roosevelt,
Harry Truman et John Kennedy
sont régulièrement invoqués. Ted
Strickland, candidat au poste de
gouverneur de l’État de l’Ohio, a
placé sa campagne à un tout autre
niveau : son modèle, c’est Jésus.
« La foi ne signifie pas seulement
croire, dit-il régulièrement. Selon
ma perception de la foi chrétienne,
cela signifie suivre l’exemple du
Christ pour une vie au service des
autres. » Sur les estrades, ce solide
sexagénaire, blond, yeux clairs, en
parle avec aise. Ted Strickland est
un ancien pasteur de l’Église méthodiste. « Pour lui, exposer sa foi
est important, explique son porteparole, Keith Dailey. Car c’est de là
qu’il tire ses valeurs d’aujourd’hui. »
Venant d’un démocrate, ce dis-
cours est plutôt neuf. De leurs Mais la présentation est différente.
échecs successifs, les démocrates « Élu gouverneur, je me battrai pour
ont retenu la leçon : ils ont décidé de ce que j’appelle les “kitchen-table
ne plus laisser à leurs adversaires le issues” (NDLR : « questions de table
monopole de la foi. D’où le choix de de cuisine »), expliquait-il ce weekcandidats prêts à mettre en avant end, lors d’un dernier meeting à
leur foi. Hormis Ted Strickland, Cleveland, en compagnie de la
il faut ainsi compter avec Harold nouvelle coqueluche des démoFord Jr. dans le Tennessee, qui crates, Barack Obama, sénateur
est en course pour le Sénat et qui afro-américain de l’Illinois. Ce
rappelle régulièrement combien sont les questions dont les parents
il « aime Jésus », et un autre can- discutent autour de la table de la
didat, cette fois en Virginie. Ce
cuisine quand
nouveau discours n’est pas sans « Ce nouveau
les enfants sont
provoquer des changements sur discours
couchés : Comle fond. Sur certains dossiers ne signifie pas
ment
allonssensibles, comme l’avortement que nous suivons
nous payer les
par exemple, les démocrates les républicains
études des ensont aujourd’hui plus modérés. sur leur terrain. »
fants ? Que faire
« Ted Strickland est pour la lépour couvrir les
galisation de l’avortement, précise frais des assurances-santé ? Ce sont
Keith Dailey. Mais il est également ces questions qu’il faut mettre en
favorable à certaines restrictions avant. »
ou certains encadrements, pour les
« Questions éthiques » contre
mineures par exemple. »
« questions de table de cuisine », en
Pour autant, son programme re- somme ? « Certainement pas, réprend les grands principes démo- pond Keith Dailey. L’avenir de leur
crates : emploi, santé, éducation… famille fait partie des “questions
Ted Haggard reconnaît sa culpabilité
C Ted Haggard, 50 ans, qui a démissionné jeudi de son poste de
président de l’Association nationale évangélique (NAE), a reconnu
dimanche « être coupable de débauche sexuelle ». Il a fait cette
confession dans une lettre lue au cours du service de l’Église
de la nouvelle vie (New Life Church) dont il était responsable à
Colorado Springs (ouest). Ted Haggard est un important responsable
évangélique, une frange chrétienne très conservatrice qui a beaucoup
compté dans la victoire de Bush en 2004. En 2005, le magazine Time
classait ce pasteur parmi les 25 plus influents leaders évangéliques.
La NAE revendique 30 millions de membres dans le pays.
éthiques” ! S’occuper des gens, trouver des solutions à leurs problèmes,
c’est aussi un devoir moral, un devoir
religieux : la Bible nous dit qu’il faut
aider les plus pauvres, et nous aider
les uns les autres. » Un nouveau ton
qui, semble-t-il, passe plutôt bien
chez des militants, lassés des défaites. « Cette tendance est nouvelle,
explique Mike, volontaire de la
campagne de Ted Strickland. C’est
de la bonne politique. La droite religieuse, depuis les années 1980-1990,
a revendiqué le monopole de la foi.
Ce nouveau discours ne signifie pas
que nous suivons les républicains
sur leur terrain. Car les démocrates
parlent de leur foi pour dire qui ils
sont. Certains sont personnellement
opposés à l’avortement, par exemple,
mais favorables à sa légalisation. Ils
reconnaissent aux autres le droit de
choisir. Les républicains, eux, parlent
de leur foi pour imposer aux autres
leurs vues. »
G. B.
Monde
18
la Croix
Mercredi 8 novembre 2006
ÉLECTIONS Les Américains se prononçaient aussi hier sur des référendums locaux
La discrimination positive divise le Michigan
le meeting ne se termine par la
reprise, tête baissée et main dans
la main, du chant symbole des
endant
la
campagne années de lutte, We shall overélectorale américaine, les come. À la tête de la coalition One
panneaux piqués dans les United Michigan – qui regroupe,
jardins ont été nombreux entre autres, leaders républicains
le long de la Seven Mile Road, qui et leaders démocrates, l’Église catraverse un quartier populaire tholique du Michigan et l’Aclu, fer
noir de Detroit. Ils portaient pour de lance de la laïcité –, Kimberly
l’essentiel les couleurs des can- Trent a mené la charge contre
didats démocrates aux fonctions cette proposition. « Depuis le déélectives locales (gouverneur, but, nos adversaires multiplient les
secrétaire d’État, ministre de la ambiguïtés pour tromper l’électeur
justice, juges…). Mais le panneau sur les véritables objectifs, explile plus en vue affichait un mes- que-t-elle. Quand ils ont lancé
sage : « Non à la n° 2. Ne faites pas leur pétition, ils ont dit à certaines
machine arrière. »
personnes qu’ils avaient recrutées
Dans tous les États, les électeurs pour recueillir les 508 000 signatuétaient appelés hier à choisir leurs res que le projet visait à protéger les
élus au Congrès, mais également droits des minorités ! »
à se prononcer sur des référenLe discours des opposants à la
dums locaux. Si certains n’avaient discrimination positive est en efqu’une portée très régionale, fet bien rodé : il a fait ses preuves
l’affaire était tout autre dans le en Californie, en 1996, puis dans
Michigan, où la proposition 2 l’État de Washington, où deux
prévoyait l’introduction d’un textes similaires ont reçu le feu
amendement tirant un trait sur vert des électeurs. Le nom même
la discrimination positive, pode leur projet
litique publique mise en place Le discours
en
témoidans les années 1960 pour des opposants
gne : « Initiadonner un coup de pouce aux à la discrimination
tive pour les
minorités ethniques dans les positive est en effet
droits civiécoles, les entreprises, etc. « Je bien rodé.
ques du Min’aurais jamais cru que je serais On en oublierait
chigan ». On
à nouveau en train de défendre presque qu’il est
en oublierait
cette politique qui nous a ouvert soutenu par
presque que
tant de portes », disait lundi le Ku Klux Klan.
cette initialors d’un meeting le Révérend
tive a reçu le
Lowery, 85 ans, figure historique soutien du Ku Klux Klan. Idem
du mouvement des droits civi- dans la formulation : la propoques, au Greater Grace Temple, sition prévoyait « d’amender la
une des églises de Detroit.
Constitution de l’État pour interL’un des plus proches collabo- dire des programmes de discrimirateurs de Martin Luther King, nation positive qui accordent un
présent dans le combat depuis le traitement préférentiel à un groupe
boycott des bus lancé après l’ar- ou à des individus en raison de leur
restation de Rosa Parks à Mon- race, de leur sexe, de leur couleur,
tgomery, en Alabama, en 1955, de leur origine ethnique ou de leur
avait tenu à être présent si loin de origine nationale pour l’attribuchez lui, en Géorgie, pour souli- tion d’emplois, de contrats ou la
gner l’ampleur de l’enjeu. « Car sélection à l’entrée à l’université ».
s’ils gagnent ici, ils vont continuer
Les partisans de la proposition 2
partout », a-t-il affirmé, avant que jouent en effet la carte de l’antiDETROIT (Michigan)
De notre envoyé spécial
TOM GRALISH/WORLD PICTURE NEWS
P
L’un des QG de campagne démocrates en Pennsylvanie. La discrimination positive en faveur des minorités ethniques,
en vigueur depuis les années 1960, est soumise à référendum dans plusieurs États américains.
racisme. « Il faut passer à autre
chose et ne plus juger les gens sur
la couleur de leur peau, explique
Doug Tietz, directeur de campagne du Michigan Civil Rights
Initiative Committee. Ce n’est
pas au gouvernement de choisir
les vainqueurs et les perdants ! Et
puis, qu’est ce que la diversité ?
Qu’en est-il des différences socioéconomiques ? La diversité, ce n’est
pas ce qui se voit sur une photo. »
Un raisonnement qui fait bondir Ted Spencer, responsable
des admissions à la très sélective université du Michigan. Ce
Noir-Américain a grandi dans le
Tennessee, quand la ségrégation
était encore à l’ordre du jour. Puis
il a vu monter les revendications
et a profité de la discrimination
positive. Mais surtout, il est con-
vaincu que l’université a raison.
Car l’initiatrice de la proposition 2 n’est pas une inconnue :
il y a plusieurs années, Jennifer
Gratz avait porté plainte contre
l’université, l’accusant de n’avoir
pas été admise alors qu’elle avait
de meilleures notes que d’autres
étudiants acceptés parce que
noirs.
En 2003, l’affaire était remontée
à la Cour suprême qui avait donné
raison à l’université sur le fond,
tout en contestant sa méthode.
« Pour chaque critère, nous avions
un nombre de points, explique
Ted Spencer, pour nous assurer de
la diversité des étudiants. Diversité
ethnique, mais aussi économique,
géographique… Désormais, nous
continuons à faire de même, mais
sans les points. »
« Depuis la fin des années Nixon,
la discrimination positive est
remise en cause, continue Ted
Spencer. Avec les années Bush,
le phénomène s’est accéléré.
D’ailleurs, devant la Cour suprême
en 2003, la Maison-Blanche était
aux côtés de nos adversaires. Mais
l’armée était avec nous. Comme le
monde des affaires, convaincu que
des étudiants qui ont l’occasion de
vivre dans un milieu de diversité
sont plus aptes à travailler avec
les autres. » Et tout porte à croire
que cette diversité ne survivrait
pas à la fin de la discrimination
positive : en Californie, le nombre des Afro-Américains dans les
universités publiques est en chute
libre depuis 1996.
GILLES BIASSETTE
T Démocrate mais défenseur de la guerre en Irak, le sénateur du Connecticut a dû se battre pour garder son siège
Joe Lieberman, un faucon qui ne lâche pas l’Irak
HARTFORD (Connecticut)
De notre envoyé spécial
D
ans un paysage politique
américain fortement renouvelé par les élections
d’hier (1), un homme devrait apparaître comme un imbattable dur-à-cuire. Joe Lieberman,
sénateur sortant du Connecticut,
un petit État paré des couleurs de
l’automne juste au nord de New
York, s’est présenté contre sa propre formation, le Parti démocrate,
pour garder le siège qu’il détenait
depuis dix-huit ans. Ce centriste,
qui compte depuis 2003 parmi les
plus sûrs supporteurs de la guerre
en Irak déclenchée par George
W. Bush, a choisi pendant sa campagne de s’appuyer sur une puissante vague de fond : la lassitude
des électeurs envers la dureté et la
stérilité de l’affrontement bipartisan au Congrès des États-Unis.
Le scrutin dans sa circonscription se jouait hier entre lui, Ned
Lamont, candidat officiel des
démocrates, et Alan Schlesinger,
membre du Parti républicain.
Depuis août, le sénateur sortant
a fait la course en tête, crédité
dans les sondages de plus de dix Parti démocrate, le 8 août, en l’atpoints d’avance sur son challen- taquant durement sur son soutien
ger démocrate. À Washington, le à la guerre. Mais durant la campaParti républicain avait décidé de le gne, le challenger n’a pas été capasoutenir, contraignant Alan Schle- ble de proposer une alternative.
singer à jouer les figurants, et une Ses appels à un retrait rapide des
majorité d’électeurs enregistrés troupes n’ont guère convaincu une
comme républicains ou comme classe moyenne qui adhère encore
indépendants étaient décidés à au discours sur la guerre contre le
voter pour lui. En revanche, les terrorisme.
démocrates l’ont rejeté comme un
Joe Lieberman s’est posé en fédépoliticien retors. « Il a trahi ce en rateur, assurant que, s’il était réélu,
quoi il croyait », pestait hier John il jouerait « un rôle pivot au Sénat
Cusano, 54 ans, un électeur sor- pour dégager un consensus » sur la
tant du bureau de vote installé
meilleure sortie de
dans la bibliothèque du centre- La violente
crise possible en
ville de Hartford. « Il a voté pour répulsion des
Irak. Il demande
la guerre en Irak. Il a franchi les démocrates
notamment
la
limites. Il a été longtemps un bon envers
démission du misénateur mais il a une trop forte la politique
nistre de la défense
idée de lui-même depuis qu’il a du président
Ronald Rumsfeld,
été candidat à la vice-présidence Bush en Irak
la réunion d’une
avec Al Gore », regrettait Margin pourrait
conférence interKreitler, 59 ans.
nationale sur l’Irak
ne pas suffire
Si la victoire de Joe Lieberman pour créer
et une action déterétait confirmée, cela montre- des majorités. minée du gouverrait que la violente répulsion
nement de Bagdad
des démocrates envers la politique pour mettre au pas les milices.
du président Bush en Irak ne leur
« Faire campagne comme indésuffit pas pour créer des majorités. pendant n’était pas mon premier
Ned Lamont l’avait devancé lors de choix, expliquait-il encore lundi
la primaire organisée au sein du soir devant les sapeurs-pompiers
de East Hartford. Mais cela a fait
de moi le candidat du peuple. » À 64
ans, ce mandarin de la politique
est apparu parfois vexé de devoir
se battre pour son siège et aura
dépensé l’équivalent de 25 millions d’euros – tout comme son
concurrent – pour sa campagne. Il
a par avance signé l’armistice avec
les dirigeants du Parti démocrate
au Sénat, qui lui ont assuré qu’ils
ne lui retireraient pas les fonctions
qu’il assumait durant la dernière
législature s’il restait dans leur
groupe. Le soutien financier et
l’appui politique que plusieurs
dirigeants républicains lui ont
apporté durant la campagne, notamment le vice-président Dick
Cheney et le maire de New York,
Michael Bloomberg, ont révélé par
ailleurs une alliance qui n’est pas
que de circonstance.
En cas de victoire, Joe Lieberman
apparaîtrait alors dans un rôle
central, susceptible de faciliter des
accords bipartisans. « La priorité est
de construire des ponts plutôt que
des murs, affirmait-il dimanche
lors de son dernier grand discours
public avant le scrutin. Elle est de
s’écouter mutuellement plutôt que
de se crier dessus ; de réaliser et
de reconnaître qu’aucun des deux
partis n’a le monopole des bonnes
idées. »
Depuis 2001, Joe Lieberman s’est
montré plutôt démocrate sur les
questions relatives à l’environnement, au mariage homosexuel ou
au droit à la contraception, mais
il est très proche des républicains
néoconservateurs en matière de
politique étrangère. Il apporte
un soutien indéfectible à Israël,
compare le président iranien Mahmoud Ahmadinejad à Hitler et
Ben Laden, et vitupère contre Fidel
Castro ou Hugo Chavez. Son adhésion à la lutte contre le terrorisme
version George W. Bush l’a conduit
à accepter les entorses aux Conventions de Genève relatives aux
droits des prisonniers de guerre.
En cas de victoire, il freinera sans
doute les efforts des démocrates
d’obtenir une révision radicale de
la politique étrangère de son allié,
le président.
JEAN-CHRISTOPHE PLOQUIN
(1) La Croix donnera les résultats des
élections américaines, connus dans
la nuit de mardi à mercredi, dans ses
prochaines éditions.