Stéphane Clerget - Centre LGBT de Nantes

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Stéphane Clerget - Centre LGBT de Nantes
Stéphane Clerget : On ne naît ni homo, ni hétéro
Médecin psychiatre et pédopsychiatre, Stéphane Clerget est à la fois chercheur et clinicien. Il travaille notamment sur la
construction de l’identité sexuée chez l’enfant. Il revient pour "Illico" sur "Comment devient-on homosexuel ou hétérosexuel
?", le premier ouvrage qu’il consacre à l’homosexualité. Comment vous est venue l’idée de consacrer, à votre tour, un
ouvrage à ce sujet ? Qu’apporte-t-il de nouveau ?
On trouve dans de nombreux ouvrages généralistes relatifs à la sexualité le chapitre convenu sur les
"causes" ou les "origines" de l’homosexualité. Les réponses sont habituellement toutes aussi
convenues. Chez les anglo-saxons, il est question du gène ou des hormones qui clôt toute réflexion. Or
l’analyse des études montre qu’il n’y a pas de vérité génétique ni hormonale des préférences sexuelles.
Chez nous, on en est surtout resté aux tout premiers écrits freudiens, mal interprétés de surcroît, et il
est alors question pour les homos masculins de narcissisme, de perversion ou d’un excès de mère
associé à une carence paternelle. Quant à l’homosexualité féminine, c’est encore plus lapidaire.
D’autres part, les écrits sur le sujet prennent rapidement une dimension idéologique qui parasite la
réflexion. Le simple fait que l’on questionne sur les "causes" de l’homosexualité sans se
questionner sur celles de l’hétérosexualité démontre un a priori sur l’homosexualité, qui serait,
sinon pathologique, du moins issue d’une déviance par rapport à un développement
hétérosexuel qui irait de soi. Ce livre est, je crois, le premier à proposer un regard approfondi et
synthétique sur la question en mêlant les approches psychologiques, médicales, historiques,
sociologiques, ethnologiques, c’est-à-dire des points de vue complémentaires et qui se trouvent être
convergents dans l’affirmation du caractère essentiellement acquis de notre orientation sexuelle. Il
apporte aussi un regard neuf en tenant compte des recherches génétiques de ces quinze dernières
années, et des avancées toutes récentes en neurobiologie. Enfin il est nourri des résultats de mes
observations personnelles dans le cadre de psychanalyses d’enfants et d’adolescents. Les avancées
actuelles en psychanalyse doivent beaucoup aux psychanalystes d’enfants.
Dans votre livre, vous avez choisi de convoquer de nombreuses disciplines (l’histoire, l’ethnologie, l’éthologie …) assez
éloignées de la médecine, de la psychologie… Pourquoi un tel choix ? Est-ce par crainte d’enfermer votre propos dans un
discours trop médical qui susciterait le rejet ?
Si une crainte était à l’origine de ce choix, ce n’était pas celle d’un hypothétique rejet mais plutôt celle
que mon regard fût incomplet. Mais en effet, une approche purement médicale ou psychiatrique de
l’homosexualité préjugerait de son caractère pathologique. La sexualité et l’amour chez l’homme ne
sont la chasse gardée ni des médecins, ni des poètes. Ils ont leurs places dans chacun de ces champs
d’études. C’est par l’ensemble des sciences humaines que l’on peut prétendre approcher de la vérité
humaine. A la différence des animaux, notre sexualité est surtout dans la tête en raison de l’importance
de notre néocortex. Et la dimension culturelle illustrée par l’approche historique, ethnologique ou
sociologique influence la perception que chacun a de sa propre sexualité et de celle des autres, et
participe à son orientation. L’environnement social et culturel donne des modèles et des voies possibles
ou non, en fonction de notre apparence et de notre statut. Le regard des historiens rappelle la relativité
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des représentations sociales. Ainsi ai-je été surpris de découvrir qu’il a existé pendant des siècles un
ancêtre de PACS au moyen age nommé le contrat d’affrèrement.
Votre ouvrage, d’entrée de jeu, affirme qu’on "ne naît pas homo mais qu’on le devient". Vous étayez cette thèse en faisant le
point sur les dernières découvertes en neurobiologie ou en génétique avec des arguments qui semblent imparables.
Comment expliquez-vous que de nombreux homosexuels et lesbiennes, à chaque génération, soutiennent encore la thèse
que leur orientation sexuelle est innée ?
Si d'entrée de jeu j’affirme que l’on devient homo, c’est parce que je donne d’emblée le résultat de mes
recherches. Je ne suis pas parti d’un a priori. J'affirme aussi, et ce n'est pas anodin, que l'on ne naît pas
hétéro. Mais les réactions que j’ai recueillies autour de ce travail vont dans le sens de ce que vous
dites. En effet des homos réagissent mal à l’idée du caractère acquis de leurs préférences sexuelles.
Leurs parents aussi d’ailleurs qui se croient coupables d’avoir mal fait. C’est peut-être pour soutenir
leurs parents que ces homosexuels défendent la thèse de l’inné. La réponse génétique a l’avantage
d’être simple. Elle permet à ceux qui n’aiment pas se prendre la tête d’éviter de se poser des questions
sur leur développement personnel. Homo ou hétéro que craint-on dans l’idée du caractère acquis ?
Sans doute de perdre ses certitudes. L’idée qu’on aurait pu être différent réveille l’inquiétante
perspective qu’on pourrait devenir quelqu’un d’autre. Et notre conscience de soi n’aime guère les
jeux de miroir. Il y a des désirs qu’on a refoulés, homo ou hétéro et on n’a pas envie d’un retour du
refoulé. Mais la principale raison est, je crois le jugement défavorable, quand ce n’est pas franchement
hostile, qui continue d’être porté sur l’homosexualité. Et partant de là, le caractère acquis fait croire qu’il
y a eu une malfaçon dans la construction de leur identité. "Revendiquer" le caractère inné est alors
une façon de revendiquer dans leur construction l’absence de "faute", de "déviance" ou de
"péché" au nom de quoi violence est faite à l’encontre des homos. Si l’homosexualité, comme cela
le fut en d’autres cultures, n’était pas considérée de façon péjorative, peu importeraient aux personnes
concernées le caractère acquis ou inné de son origine. Mais, dans mon livre, je montre que le caractère
acquis de l’homosexualité n’implique pas un accident de parcours ou une déviation dans le
développement. C’est acquis comme l’est par exemple le langage. Il y a différentes façons de
s’exprimer aussi normales les unes que les autres. Bien sûr il existe des troubles du langage comme il y
a des troubles du développement psycho-sexuel mais ils concernent autant les homos que les hétéros.
Futurs homos ou hétéros nous passons tous par les mêmes stades de développement. Apprentissages,
expériences, rencontres nous sont plus ou moins communes. Mais si l’on fait le même voyage, on en
garde pas tous le même souvenir. Notre orientation sexuelle est la synthèse de ces souvenirs.
Votre livre, qui est respectueux des homosexuels, défend l’idée que l’homosexualité est en très grande part acquise. Or c’est
justement en référence à cette idée (l’homosexualité est un choix) que de nombreux opposants aux revendications des
homosexuels leur contestent le droit à une égalité sociale et juridique. Quel est votre avis et que pensez-vous de l’utilisation
ainsi faite de cet argument ?
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Le caractère acquis de l’homosexualité n’en fait pas un choix volontaire et conscient. On ne
décide pas un beau matin de devenir homosexuel. Mais l’enfant a une part active dans ce qu’il
deviendra, ne serait ce que dans ses choix d’identifications, dans ses choix de réaliser tel désir
conscient ou non d’un parent, dans ses choix relationnels, dans ses renoncements aussi. Si
l’orientation sexuelle est en partie la conséquence de certains de ces choix, c’est une conséquence
indirecte. Quand vous parlez des revendications a une égalité sociale et juridique, je pense que vous
parlez de l’égalité de droits des couples (union civile, adoption, succession). Quand bien même
l’homosexualité résulterait d’un choix volontaire et conscient. En quoi cela justifierait-il que des couples
homos n’aient pas des droits équivalents aux couples hétéros. Le désir homosexuel ou le renoncement
à l’hétérosexualité n’est pas synonyme du renoncement à former un couple. Devenir homosexuel est
simplement le désir d’accomplir ce "nous-même" avec un autre de son sexe. De même le désir
hétérosexuel ou le renoncement à l’homosexualité n’implique pas de renoncer à former des amitiés
avec des personnes de son sexe. Quant au désir d’élever des enfants, il est indépendant de
l’orientation sexuelle. Il n’y a pas habituellement de renoncement à la procréation ou à la parentalité
dans l’origine du désir homosexuel. D’ailleurs le fantasme de procréation peut être présent dans
l’inconscient de personnes de même sexe qui font l’amour.
Ce discours des "opposants" que l’on pourrait résumer par "les homos veulent le beurre et l’argent du
beurre" est probablement tenu par ceux là même qui ont renoncé amèrement au cours de leur
développement à des désirs homos afin de s’assurer la réalisation de leur vœu à fonder une famille. Le
constat que des personnes cherchent à réaliser ces deux types de désirs (désir homos et famille)
suscitent en eux l’envie, terreau de la haine.
Vous présentez très longuement les développements modernes de la psychanalyse sur la question de la sexualité et par
conséquent de l’homosexualité. A tel point qu’on peut penser que cette discipline, qui n’est pas une science, a plus
d’importance encore (pour expliquer que nous ne naissons pas homosexuels) que la neurobiologie, la génétique… Est-ce ce
que vous pensez ? Et dans ce cas, n’y a-t-il pas un problème à privilégier ainsi une discipline qui a très largement contribué
à ostraciser les homosexuels ?
Les théories neurobiologiques sont peut-être plus faciles à résumer que la psychanalyse où il faut faire
davantage attention au poids des mots. Quoi qu’il en soit, l’abord neurobiologique me fait également
conclure au caractère essentiellement acquis de l’homosexualité. N’oublions pas que les premiers
psychanalystes se sont élevés contre le concept de dégénérescence mentale prôné depuis un siècle à
propos de l’homosexualité. Freud refusait de la considérer comme une maladie ou un délit. Certes par
la suite, beaucoup de psychanalystes ont remplacé la "dégénérescence" par la perversion, le trouble de
personnalité voire la psychose. Pourtant la psychanalyse reste un formidable moyen de compréhension
de fonctionnement humain et est surtout un outil très performant pour libérer les individus de leurs
entraves psychiques. Mais c’est un art difficile et le meilleur des outils n’est capable de rien sans bon
artisan. Hélas, l’épouvantable homophobie sociale et individuelle dans l’occident du XXe siècle n’a pas
contaminé que les psychanalystes. Vous savez, les neurobiologistes n’ont pas été les derniers à
ostraciser les homosexuels. Jusqu’au milieu du XXe siècle les traitements hormonaux, les castrations,
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les lobotomies (ablation d’une partie du cerveau), les chocs électriques, les épilepsies provoquées ont
été allègrement utilisés pour "guérir" les individus de leur homosexualité considérée comme la
résultante d’un problème neurobiologique. Si j'ai développé davantage la partie consacrée à la
psychanalyse par rapport aux autres disciplines c'est qu'il me fallait argumenter avec précision des
conceptions psychanalytiques innovantes qui donnent une interprétation autre de l'homosexualité. Et
qui vont en effet à contre courant avec les interprétations psychanalytiques erronées, discriminatoires
ou pathologisantes qui ont été avancées jusqu'à présent.
D’après votre expérience de médecin et de thérapeute, estimez-vous qu’il est important ou non pour les gays et les
lesbiennes de comprendre pourquoi ils sont homosexuels ou elles sont lesbiennes ?
Non. Sauf si eux-mêmes le considèrent. Mais pour se libérer de certaines entraves à un
épanouissement personnel ou simplement par curiosité, on peut être conduit à se questionner sur soi,
son fonctionnement, et donc sur son histoire personnelle et familiale. Chemin faisant, on croisera
certainement alors certains fondements à nos désirs, entrelacés avec les piliers de notre personnalité.
Ce peut être aussi l’occasion, pour certains, de réaliser qu’être homosexuel n’est pas une anomalie de
développement. Savoir qui l’on est et comment on le devient peut nous apaiser et nous rendre plus fort.
Dans les faits, beaucoup d’homos s’interrogent. Ce qui pourrait être
important en revanche c’est que les hétéros se posent au moins une fois la question sur l’origine de leur
propres choix et renoncements, ne serait-ce que pour réaliser que les homos et les hétéros ont bien
plus de points communs que de différences.
Dans votre conclusion, vous expliquez qu’il ne faut pas confondre l’orientation sexuelle (être homo, hétéro, bi ou autre) et
l’identité sexuelle (être homme ou femme). Vous indiquez que la nomination de l’orientation sexuelle n’est rien moins qu’un
"étiquetage social" amené à évoluer. Par quels moyens, peut-on le faire évoluer ? Est-il souhaitable qu’il disparaisse ,
Si j’ai en effet conclu là-dessus, c’est pour passer le relais à autrui. Je vous rétrocède donc la question.
La vision de l’homosexualité varie d’une culture à une autre. Chez nous, jusqu’à il y a deux siècles, les
comportements érotiques de chacun, condamnés ou non, ne conféraient pas une identité. Votre journal,
des mouvements associatifs, des politiques, vos lecteurs contribuent, je crois, à faire avancer la
réflexion sur la façon dont on pourrait faire évoluer cet étiquetage social afin que les personnes
concernées vivent en paix avec eux-mêmes et avec les autres. Si cet étiquetage disparaissait,
l’orientation sexuelle d’un individu aurait socialement autant d’importance que la couleur de ses yeux.
La question qui se poserait alors serait simplement de savoir si on a envie ou non de plonger son
regard dans le sien.
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