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FILIALE DE CARDIOLOGIE PEDIATRIQUE ET CONGENITALE
AVRIL 2015
Interview sur le divan : Jean François PIECHAUD Magalie LADOUCEUR, Adeline BASQUIN Pour cette Newsletter, le Dr PIECHAUD s’est prêté au jeu de l’interview sur le divan avec Magalie LADOUCEUR le 1er Avril 2015 à l’Institut Jacques Cartier à Massy. Autodidacte, il nous y raconte les débuts du cathétérisme interventionnel et nous confie sa vision du futur. Bonne lecture ! ML : Bonjour Mr Piechaud, pouvez-­‐vous nous faire partager votre histoire ? Tout d’abord, comment avez-­‐vous commencé à faire du cathétérisme cardiaque pédiatrique ? JFP : Je n’ai pas passé l'Internat en 1972, donc je me suis retrouvé comme Externe dans le Service de cardiologie Pédiatrique de Bicêtre à faire des trucs qui n’étaient pas très intéressants. Mais mon idée était de faire de la Médecine générale. D'ailleurs, au moment où j'ai dû choisir où aller pour faire le stage interné, puisque à l'époque on devait faire un an de stage interné, pour valider en quelque sorte la fin des études, j'avais choisi d'aller à l'Hôpital de Clamecy dans la Nièvre. Je devais faire de la médecine, de la chirurgie et des accouchements, c'était ça le rôle des stagiaires internés. Quinze jours avant de partir faire mon stage à Clamecy, coup de téléphone du Directeur de l'Hôpital qui me dit : « écoutez, je suis désolé monsieur, mais FILIALE DE CARDIOLOGIE PEDIATRIQUE ET CONGENITALE
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d'habitude personne ne vient chez nous et cette année, nous avons deux personnes qui veulent venir, alors, vous ne pouvez pas venir ». Alors, je ne savais pas trop quoi faire. Je n'ai pas râlé, et je suis allé voir Michel Ribierre qui venait de remplacer Jean Nouailles. « Voilà la situation dans laquelle je suis », et je lui ai demandé si je pouvais faire mon stage d'Interné, ici, il me dit : « bien sûr PIECHAUD, pas de problème ». Il était bon chic, bon genre, très gentil et c'est donc comme cela que j'ai commencé à m'incruster dans ce service de cardiopédiatrie. J'ai d'abord été externe puis je suis resté. J'ai continué à faire un peu le travail comme les externes à la consultation, on ne faisait pas grand-­‐chose. A l'époque, le service était à temps partiel, on travaillait que le matin. Il n'y avait pas de Médecin l ‘après-­‐midi dans ses services, à partir de 14H00, il n'y avait plus personne, c'était comme cela. Donc, moi j'étais là et j'étais intéressé par ce qui se passait, car les consultations étaient au sous-­‐sol, à côté des deux salles de cathétérisme. Les salles de cathétérisme étaient dirigées par le Dr Michelle THIBERT. C'était un endroit un peu secret, personne n'y entrait, il n'y avait qu'elle et les Attachés vacataires. Les médecins, même du service, ne rentraient pas, c'était fermé. Donc, moi, pendant l'année de stage interné, petit à petit je me suis approché de la porte. Alain BATISSE arrivé comme Chef, venant de Saint Vincent de Paul, en tant que réanimateur, qui faisait avec Jean Kachaner de la cardiologie pédiatrique un peu plus moderne. A Bicêtre, c'était attentiste, car il y avait une quantité d'enfants, 80 lits à peu près, qui étaient remplis de pauvres petits crevards, de CIV, qu'on gavait et qu'on faisait manger, mais qu’on n’opérait pas. Alain BATISSE lui, avait envie de développer cette activité et moi j'étais toute la journée dans le service (pas que le matin !), je faisais un petit bout de consultation et puis le reste de la journée, je travaillais avec lui et les internes, et c'est donc comme cela que cela a commencé. Je suis resté là, une année de stage interné, mais comme je n'avais rien de nouveau à faire ensuite, je suis resté: j’ai commencé par avoir une vacation. J'ai passé ma Thèse et pour être reconnu Attaché Vacataire dans FILIALE DE CARDIOLOGIE PEDIATRIQUE ET CONGENITALE
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ce service. Heureusement, je n'étais pas marié, je n'avais pas de dépenses et je pouvais donc vivoter avec cela. Un jour, j'ai un peu poussé la porte et j'ai parlé avec Michelle THIBERT, pour savoir si je pouvais rentrer voir comme cela se passait en salle de cathétérisme. Le premier cathétérisme que j'ai fait, c’était en 1974. A l'époque, on en faisait des quantités, on avait deux salles de cathétérisme, pour faire le diagnostic de la cardiopathie. C'était pourtant une salle de cathétérisme temps partiel, c’est-­‐à-­‐dire que si tu avais une transposition qui arrivait le jeudi soir, le programme de cathétérisme du vendredi était occupé, on prévoyait donc le Rashkind le lundi ! Il n’y avait pas d'activité l'après-­‐midi, c'était fermé, même la nuit. C'est avec Alain BATISSE que l'on a commencé à avoir le culot de prendre la clé l'après-­‐midi, de rentrer en salle de cathétérisme pour faire éventuellement des gestes nécessaires, comme un Rashkind par exemple. ML : Le Rashkind existait déjà en France? JFP : Le Rashkind date des années 70, donc cela existait déjà avec du matériel que l'on n'oserait plus utiliser maintenant. On dénudait les vaisseaux. A voir comme cela, c'était un peu une boucherie. Il a fallu moderniser cette activité avec d'abord une activité toute la journée : on a donc développé cette activité "d'urgence". Pour faire le diagnostic cardiologique de la malformation il fallait cela. Pas encore d’échographie. J'ai continué ma carrière en salle de cathétérisme. Je n'ai pas fait qu'y rentrer. Je me suis occupé de tout, du matériel, de l'équipement de la salle. On a commencé à ventiler les malades. Avant la ventilation, on appelait la réanimation, et si on ne pouvait pas opérer l’enfant, on le laissait s'étouffer comme un poisson hors de l'eau. On a donc un peu commencé à ventiler les patients en salle de cathétérisme. On descendait les respirateurs, parce FILIALE DE CARDIOLOGIE PEDIATRIQUE ET CONGENITALE
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qu'il n'y avait pas de respirateurs en sous-­‐sol. Et puis, avec BATISSE principalement puis Jean KACHANER, on a construit des accessoires pour pouvoir les mettre sur nos appareils pour que l'on ne soit pas obligé de déplacer les respirateurs à pied à chaque fois que l'on bougeait l'enfant. Tout cela se passait dans les années 1974,1975, 1976. Moi, je suis resté là, j'ai fait du cathétérisme, 1,10 puis de plus en plus. J'étais là tout le temps. ML : Vous êtes donc parmi les premiers à avoir fait du cathétérisme pédiatrique en France ? JFP : Non, les premiers ont été faits par Michelle THIBERT et ses attachés. Surtout, ce n'était que du cathétérisme diagnostique. Il n’y avait aucune procédure interventionnelle en dehors du Rashkind. Les angiographies, à l'époque, étaient des angiographies sur des grands films 35*35 faites avec des machines qui faisaient 6-­‐8 images par seconde maximum. Il n'y avait pas d'arceau, le malade était couché sur le dos et tu faisais une angiographie de face et de profil, donc cela donnait des informations, certes, mais il y avait un taux de complication effrayant. Les injecteurs utilisés ne donnaient aucun moyen de savoir s'il avait des bulles d'air dedans, il arrivait même que l'on injecte carrément de l'air ! On injectait avec des petites sondes, et parfois c’était par erreur dans le myocarde. C'était des myographies massives. Il y avait des erreurs sur les transfusions, pas de prise en charge médicale du bébé, et on n'avait pas de contrôle de gaz du sang. C'est pour cela que petit à petit, on a mis en place des moyens pour améliorer les soins de ces enfants et diminuer les complications et la mortalité au cathétérisme. ML : Les premiers cathétérismes interventionnels en dehors du Rashkind, c'était avec vous ? FILIALE DE CARDIOLOGIE PEDIATRIQUE ET CONGENITALE
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JFP : Les premiers cathétérismes interventionnels se sont déroulés à Necker. On était à Bicêtre jusqu'en 1978 et puis on a migré à Necker. On a ouvert le service le 04/04/1978. Les angiographies que l'on fait maintenant avec des incidences inclinées, on ne pouvait pas le faire avec un système classique. Pourtant, elles avaient été décrites Bargeron : lui, il installait les enfants en les soulevant, en les asseyant un peu, et en les mettant de biais. On faisait déjà çà, malgré que l’on n’ait pas de double arceau, on faisait des incidences axiales, en 4 cavités. J'avais imaginé un système d'angiographie plus moderne, un double arceau biplan. Il y a beaucoup de biplan maintenant qui sont utilisés, mais nous on a eu le premier au monde, puisque c'est moi qui l’avais imaginé avec ce qui s'appelait à l'époque la CGR. Il n'y avait pas d'ordinateur donc les ingénieurs de la CGR on construit uniquement sur plans ! On avait aussi travaillé sur des techniques d'abord vasculaire, parce qu'on ne faisait que des dénudations des veines axillaires ou des veines saphènes. On a commencé à utiliser des techniques percutanées. Le cathétérisme interventionnel a commencé aux alentours du début des années 1980. Je ne me souviens pas des dates exactes, mais les premières choses que l'on a fait, c'est dilater des sténoses valvulaires pulmonaires de l'enfant. ML : Etes-­‐vous allé vous former dans un autre centre? JFP : Non, je ne suis allé voir nulle part. En fait, je suis absolument autodidacte. J'ai eu une chance inouïe, c'est que le volume de KT était énorme, que j'étais là en permanence, que j'assistais à tout, et cela m'a permis d'avoir une certaine dextérité, une expérience. La seule fois où je suis parti à l'étranger, c'est quand je suis allé à Boston. Jim LOCK, qui depuis des années faisait du cathétérisme cardiaque pédiatrique, était extrêmement connu. J’ai passé 15 jours là-­‐bas et j'ai vu des choses que nous ne faisions pas du tout. A la fois des gestes qu'on ne faisait pas du tout, comme stenter ou poser des coils, mais aussi du matériel que nous n’utilisions pas FILIALE DE CARDIOLOGIE PEDIATRIQUE ET CONGENITALE
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du tout. De toute façon, en France, même s’il y avait des centres qui faisaient de la cardiologie pédiatrique et du cathétérisme – et éventuellement du cathétérisme interventionnel -­‐ il n'y avait personne de très connu. Ce n’était que des anglais, comme Michael Tynan, ou des américains. Du coup, petit à petit, on est passé des sténoses pulmonaires du grand enfant à celle du petit et du nouveau-­‐né. On avait beaucoup de problème matériel, mais j'ai commencé à dilater très rapidement. C'était énorme puisqu'on avait une activité absolument monstrueuse. On a pu cathétériser et publier 100 nouveaux nés. C'est Véronique GOURNAY qui a écrit l'article: Sténoses pulmonaires dilatées chez les nouveaux nés en 1995 [1]. Puis on s'est aussi lancé dans les sténoses aortiques. Là aussi on a eu pas mal de succès. Cela a représenté beaucoup de malades. Il n'y avait pas beaucoup de centres chirurgicaux, et ils n'opéraient pas forcément des nouveaux nés. L'étape suivante, on a commencé à envisager des fermetures vasculaires. La première chose que l'on a faite, c'est le canal artériel. Là aussi, j'ai la chance d'avoir été le premier à le faire avec Mickael Tynan. Ce matériel était énorme. C'était la double ombrelle. On parle toujours d'ombrelle, mais c'était vraiment une double ombrelle. Elles embolisaient, n’étaient pas toujours étanches. Puis les coils sont arrivés ce qui a rendu service. Vers 1990, on faisait les canaux artériels et des dilatations valvulaires. L’étape suivante, a été fermeture des communications inter-­‐auriculaires. J'avais refusé la première prothèse proposée par le Docteur Sidéris. Elle avait été utilisée par d’autres centres Français (Nancy, Lille) et aussi Monaco. C'est la première prothèse qui a été disponible en France et qui donnait des résultats très problématiques avec des fractures, des embolisations. Moi j'étais assez content de ne pas l'avoir utilisée. On avait pris des contacts pour utiliser la prothèse américaine Cardioseal®. J’avais monté une étude pour le faire à Necker puisque l’on commençait à exiger des preuves scientifiques sur l’utilisation des matériaux médicaux. On ne pouvait plus faire ce que l'on faisait avant. On avait décidé de commencer à fermer des CIA avec FILIALE DE CARDIOLOGIE PEDIATRIQUE ET CONGENITALE
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ces prothèses, et pour justifier des frais astronomiques, j’ai monté un dossier. En 1995, je me suis cassé la jambe en courant pour prendre un bus puisque je voulais aller à Laennec pour voir une intervention de Pascal Vouhé : je suis tombé et je me suis cassé la jambe. Je suis revenu cathétériser au bout de 4 ou 5 mois. Jean Kachaner me payait un chauffeur et je cathétérisais en fauteuil ! C’était assez cocasse de faire cela à l'hôpital. C'est vrai que j'étais seul et je n'avais même pas de poste à cette époque, puisque j'étais attaché vacataire. J'ai eu un poste de Praticien Hospitalier temps plein à 41 ans ! A l'époque le salaire n'était pas gros, avec 4 enfants et j'habitais Paris. J’ai eu ce poste en 1991, quand Michelle THIBERT est partie, son poste était soit disant perdu et finalement, on a réussi à le récupérer pour moi. J'ai passé le concours de PH. J’avais un carton avec 130 publications. Je m'étais inscrit au DES de cardiologie mais je n'avais pas le temps d'aller sur les bancs, ni au stage de cardiologie adulte chez VACHERON. J’avais réussi avec succès la première année et puis j'attends la convocation pour l'examen de fin et un de mes collègues, me demande si cela s’est bien passé. En réalité je n’avais pas été convoqué, comme punition, puisque je n'allais pas en cours. Le comble c’est que le sujet était « transposition des gros vaisseaux chez les nouveau-­‐nés et attitude pratique ». Bien évidemment, j'aurais pu répondre. J'ai demandé au Conseil de l'Ordre de me donner la spécialité de cardiologie, donc je suis Cardiologue, mais je n'y connais rien à la cardiologie. Ils m'ont dit : « on vous la donne mais vous jurez de ne pas faire de cardiologie ». « Je vous le promets, je reste Cardiopédiatre. » ML : On peut dire que vous aimez votre métier envers et contre tout ! JFP : En fait, j'adorais ce que je faisais. Non seulement j'adorais, mais par-­‐dessus le marché, j'étais tout seul, pour la salle de cathétérisme, il n'y avait personne, absolument personne d'autre, donc ils n'avaient pas le choix. Ce n'est pas facile de trouver une place, une compétence demandée. Un jour Yves Lecompte m’a FILIALE DE CARDIOLOGIE PEDIATRIQUE ET CONGENITALE
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demandé si je pouvais envisager de faire un peu de cathétérisme au Bois de Verrières. Il m’a dit : « c'est casse pied, on a des patients qui ont besoin d'un cathétérisme, ils viennent de loin, il y a des salles de KT, est-­‐ce que tu peux venir les faire? ». Innocemment j’ai répondu « oui », donc j'ai fait un ou deux KT. Puis un jour, Yves m'a dit : « on va quitter le Bois de Verrières qui va fermer et va être détruite, on va aller à Massy. Laurence (Cohen) et moi on pense qu'un service de chirurgie cardiaque dans lequel il n'y a pas de cathétérisme et pas de cathétérisme interventionnel ce n’est pas bien». Moi j'étais de cet avis, je trouvais aussi qu'il y avait un avantage considérable à avoir de la chirurgie et des KT. Travailler avec les chirurgiens, j'ai toujours pensé que c'était indispensable. Les gestes que l'on fait peuvent être complétés, ou peuvent précédés par la chirurgie. J'ai donc réfléchi et j’ai quitté Necker. J'ai quitté Necker en septembre 1996 et tout le monde m'a dit c'est super, c'est très bien, on va t'envoyer des patients. Je suis arrivé à Massy, et pendant un ou deux mois je n’ai eu aucun patient. Marie Claude Morice m’a proposé de faire de la coronarographie. Donc j'ai commencé à faire de la coro, de l'angioplastie coronaire. Au bout de 4 mois, je faisais deux malades par mois, cela n'était pas possible. Assez rapidement, l'activité a démarré et les Correspondants qui travaillaient avec Yves LECOMPTE et Laurence COHEN m'ont adressé des patients. L'activité de KT est devenue importante : je travaillais 4 demi-­‐journées par semaine, et comme je travaillais très vite, je faisais une vingtaine de malades par semaine. J'ai commencé à fermer les CIA, j'ai demandé l'extension du Protocole de Necker à Massy, ce qui a été accepté, puis ensuite j'ai travaillé avec l'Amplatz. J'étais le premier à utiliser une prothèse d'Amplatz pour les CIA et les canaux en France, (1500 CIA ont été fermées à Massy). C'était une activité qui était très agréable et il y avait un avantage à travailler avec les chirurgiens, puisqu'on est tout le temps ensemble, avec Joy et Emré : on discute des dossiers et on pose des indications selon le cas de KT ou de chirurgie ensemble, ce ne sont pas des décisions que l'on FILIALE DE CARDIOLOGIE PEDIATRIQUE ET CONGENITALE
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prend seul. Cela ne m'est jamais arrivé qu’un chirurgien opère une CIA qui est accessible à une fermeture percutanée et jamais je ne vais essayer de fermer une CIA qui est clairement trop grande. Donc, c'est une façon de travailler qui est extrêmement agréable, c'est sûr. ML : D’après vous, quel est le geste de cathétérisme qui vous a le plus impressionné dans votre carrière? JFP : Celui qui est le plus impressionnant avec souvent des résultats qui sont spectaculaires, c'est l'APSI. J’ai fait une très grande quantité de perforations pulmonaires avec un taux de complications ridicule. Bien évidemment, il y a des cas où il y a besoin d’une anastomose, mais il y a un certain nombre d'enfants qui, même au prix d'une anastomose, sont complètement guéris et ont un cœur strictement normal. Ça, c'est vraiment un geste extrêmement jouissif. Notre travail ne consiste pas à faire quelque chose et être content de l’avoir fait, mais à être content d’un travail bien fait, et d’avoir rendu service au patient. C’est mon avis par exemple pour la valve Melody. Moi, j'en mets très très peu, et quand je dis très peu, c'est 4 à Massy. On a fait opérer beaucoup de patients, les chirurgiens ayant une grande habitude de cette intervention qui se passe très bien. Ils utilisent des prothèses avec un « vrai » diamètre. Je ne suis pas un fanatique de ce genre de geste ni de celui qui consiste à fermer des communications inter-­‐auriculaires très grandes. Personnellement, je trouve que cela n'a aucun intérêt, je préfère mettre une prothèse qui est très bien placée dans une CIA qui est à la bonne taille, plutôt que d'essayer de jouer au cowboy et prendre des risques. Moi je sais dans ce cas que c'est pour la chirurgie. On n'a pas eu de mort sur ce type d’indication, tout se passe très bien, donc je ne vois pas pourquoi je refuserais la chirurgie pour jouer et emboliser une prothèse. FILIALE DE CARDIOLOGIE PEDIATRIQUE ET CONGENITALE
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ML : Ètes-­‐vous un « pro-­‐procédure hybride » ? JFP : Non, je ne suis pas pro-­‐procédure hybride, d'abord parce ce que très souvent, des procédures où il y a besoin de l'hybride absolument ensemble au même moment, sont très rares. J'en ai fait quelques-­‐unes. Ce n'est pas du tout facile de travailler avec un chirurgien au même moment dans la même pièce. Et puis il y a des choses que l’on peut faire en salle de KT dans un environnement très calme. Il y a donc que les procédures où il y a besoin du thorax ouvert par exemple pour les hypo VG, quand on fait des cerclages des branches pulmonaires, et un stenting du canal, on en a fait 3 ou 4. Là, on est obligé d'être en salle hydride, et ensemble avec le chirurgien. Il y a aussi la fermeture des collatérales aorto-­‐pulmonaires avant de mettre la CEC en route pour réparer une APSO, ça c'est un truc qui peut être fait en salle hydride, c'est très utile. Mais des procédures pour jouer ou faire cela pour faire... Je vais te dire franchement, je ne serais pas malheureux si on n'avait pas de salle hybride. Certains font des procédures qui sont très tordues mais franchement, je pense que l'on peut faire la même chose avec de la chirurgie. Une procédure qui est satisfaisante, c'est le stent des coarctations, parce que j'en ai aussi fait pas mal et depuis longtemps. Cela marche bien, mais c'est la procédure qui me stresse le plus. Je ne sais pas pourquoi, alors que j'en ai fait beaucoup et j'en fais même à l'étranger dans des conditions qui ne sont pas forcément optimales, et sans la moindre complication même vasculaire. Je ne sais pas pourquoi, mais je me dis que si le stent bouge ou si je ne le mets pas au bon endroit, c'est un problème. Je n'aime pas l'approximatif. C'est donc la procédure qui me stresse le plus, mais par contre, je peux faire des trucs très tordus. Ce qui me plait dans une procédure interventionnelle, ou même un cathétérisme diagnostique, c'est qu'au bout, on ait le résultat que l'on veut. C’est-­‐à-­‐dire, si on ferme un canal, une CIA, si on stente une coarctation, le résultat est beau et va se FILIALE DE CARDIOLOGIE PEDIATRIQUE ET CONGENITALE
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maintenir. Si les choses qui sont à peu près, j'ai l'honnêteté de le dire, cela va me travailler toute la journée. Je me demande comment cela va être le lendemain. C’est pour cela que peut-­‐être je ne joue pas au cowboy, parce que je ne veux pas faire des choses dont les résultats ne seront pas parfaits, alors que je sais qu'il y a d'autres possibilités. ML : Si un jeune interne de cardiopédiatrie veut faire du cathétérisme, que lui diriez-­‐
vous? JFP : Je lui dirai, ce que j'ai toujours dit, c'est que malheureusement, aujourd'hui le cathétérisme cardiaque se résume à des procédures interventionnelles. Hors, la dextérité, l'expérience, on ne peut plus l'acquérir aujourd'hui, parce qu'il n'y a plus assez de volume. Quand j'ai quitté Necker, il y avait 28 000 examens faits, et le premier que j'ai fait avait le numéro 4096. Cela veut dire que j'ai vu ou j'étais présent sur 24 000 examens de cathétérisme. J'ai participé à un très grand nombre, donc cela donne une grande expérience de manipulation, de réactivité. Aujourd'hui, c'est impossible à acquérir, parce qu'il n'y a plus les malades. Il m'est arrivé d'aller montrer à des confrères comment fermer un PFO. Quand on ferme le PFO, on monte la sonde, on la met comme il faut et on passe le PFO. On voit les autres qui sont en train de tourner à droite, à gauche, ils ne savent même pas où c'est. Donc aujourd'hui, il faudrait pouvoir apprendre ces manipulations, hors il n'y a plus d’endroit où il y a un volume de patients où on manipule suffisamment, et on est plongé directement dans des procédures interventionnelles. Et cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas le faire, si on dit à quelqu'un tu vas fermer une CIA, il va apprendre sur des malades, s'il est précis, il va le faire. Mais si je lui demande de cathétériser un Fallot, pour un diagnostic, il ne saura rien faire. J'ai une vision de l'avenir qui n'est pratiquement pas partagée par les autres. Je pense qu'il y a trop de centres qui font du KT, il y a trop de centres qui font de la chirurgie, et je pense qu'il FILIALE DE CARDIOLOGIE PEDIATRIQUE ET CONGENITALE
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faut fermer ça, c'est trop dangereux. Il y a trop de complications, trop d'à peu près. C'est dangereux et moi, je suis partisan de la réduction de ces centres. Il y a très longtemps j'avais proposé à Daniel SIDI de créer un énorme centre pour y rassembler Necker, Marie Lannelongue et Massy dans un même lieu. Même s'il y avait trois équipes, parce qu'on aurait eu des gros moyens et on aurait invité des praticiens à venir faire leurs procédures dans ce centre. On aurait arrêté de faire du cathétérisme diagnostique bidon, interventionnel de merde avec des complications ou sans intérêt. Je pourrais citer des tonnes d'exemples de malades qui ont été pris en charge où c'est absolument n'importe quoi. Il faut que cela s'arrête. Donc si on me demande ce qu'il faut faire, il faut fermer. Nous, quand on reçoit un patient à Massy qui a déjà eu un KT ou IRM ou Scanner, on ne recommence pas. On se dit que c'est dommage car les examens n’apportent pas toujours toute l’information. Moi, je serai assez partisan d'avoir des très gros centres. Donc s'il y a un jeune qui veut faire du KT, je lui dirais qu’il devra en faire vraiment beaucoup. Par contre si c'est pour aller fermer 3 CIA par an, cela n'a aucun intérêt. Il faut qu'il y ait des techniques bien établies, des protocoles bien établis, pas d’indications fantaisistes, l'indication ne dépend pas de l'opérateur ou de la ville. ML : Qu'est-­‐ce que vous imaginez dans le futur comme nouvelle invention ou technique de cathétérisme ? JFP : Je vais te raconter un truc que j'ai fait il y a pas mal d'années. Les gens de Général Electric sont venus me rencontrer, ils me disent : « Docteur PIECHAUD, on voudrait vous interviewer pour que vous nous disiez qu'est-­‐ce que c'est l'avenir des salles de KT ? ». Je leur ai répondu : « écoutez, il n'y en a pas ». Je ne voyais pas l’explosion de l’interventionnel. Quand on a commencé à faire de l'échographie, on voyait que c'était formidable, c'était embryonnaire, mais formidable. J'ai beaucoup FILIALE DE CARDIOLOGIE PEDIATRIQUE ET CONGENITALE
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d'imagination et je dis souvent aux patients : « dans quelques années, on vous mettra dans un appareil genre scanner où on va reconstruire ce qui anormal avec des programmes qui vont faire bouger les cellules ». On va forcément s'orienter vers l'ingénierie tissulaire, implanter des trucs qui vont devenir la structure manquante du malade, et que le KT va avoir un rôle très important là-­‐dedans. Les robots peut-­‐
être ? Peut-­‐être que les robots pourront être une sécurité dans certains cas. Je suis certain que dans quelques années on va rire des façons que l'on a maintenant de travailler. L’écho3D aussi, dans un certain nombre de cardiopathies congénitales pour guider le geste chirurgical. Le chirurgien serait très content de pouvoir le simuler parce que ce que l'on voit en échographie, même si cela est très bien fait, ce n'est pas facile de le comprendre toujours. C’est une chance que les chirurgiens qui sont à coté de nous comprennent très bien l'échographie. Je pense que la reconstruction tridimensionnelle de certaines cardiopathies pourrait être un progrès pour la prise en charge chirurgicale, et je pense en effet, qu'il y aura des machines qui vont faire cela. Il y a déjà du doppler énergie capable de créer des trous, (cf intervention programme du Congrès à la Martinique). J'en ai entendu parler depuis longtemps. Il y a les techniques de colle, de suture sans fil avec l'éclairage par les ultraviolets. ML : Est-­‐ce que vous avez des regrets ? JFP : Non, je n'ai aucun regret, aucun regret de ma vie personnelle, je n'en ai aucun. Je voulais être Médecin parce que mes parents étaient médecins, je n'avais pas d'ambition particulière. Il se trouve que je suis rentré dans ce circuit de la cardiologie pédiatrique où je me suis éclaté et où j'ai rencontré des milliers de personnes, puisque je connais tout le monde. J'ai rencontré des gens de toute sorte, mais beaucoup étaient très intéressants. Je n'ai pas rencontré des gens qui ont été désagréables, en dehors des problèmes que l'on peut avoir dans la vie quotidienne. FILIALE DE CARDIOLOGIE PEDIATRIQUE ET CONGENITALE
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Je n'ai pas de regret. Tu sais, on dit que quand on est réincarné, c'est toujours pour réparer des trucs qu'on avait fait dans la vie d'avant. Moi, je ne suis puni de rien, je suis très content et satisfait de ce que je fais. ML : Les meilleurs souvenirs que vous avez : JFP : Je n'ai pas vraiment un souvenir exceptionnel. Bon, mais dans mon travail en tout cas, je crois que c’est le jour où j'ai finalement été nommé, alors que j'étais là, comme une boniche depuis des années et des années, tous les jours que Dieu fait, et on me disait toujours : « il n'y a pas de possibilité, pas de ci, pas de ça, tu n'as aucune chance, il n'y a pas de poste... » Et un jour, il y a quand même eu un poste, donc je pense que j'étais assez content. J’ai été très content de venir à Massy aussi, et ça été finalement très simple de démarrer. Ma vie a été et est toujours très bien. JFP : Ce que je voudrais, c'est que les gens qui font ce métier que je fais soient conscients de leur rôle. Ce n'est pas de faire des gestes, leur rôle c'est de soigner, car quand on est devant un patient, une famille, on doit le connaitre, on doit connaitre son dossier. On doit connaitre la vie qu'il a eu et qu'il aura, parce que c'est trop facile de dire on va faire une dérivation cavo-­‐pulmonaire et « vous allez voir, c'est le paradis », alors que des fois c'est l'enfer. Donc je pense que c'est une chose très importante d’être en compassion avec les malades pour faire vraiment le meilleur travail. 1. Gournay V, Piéchaud JF, Delogu A, Sidi D, Kachaner J. Balloon valvotomy for critical stenosis or atresia of pulmonary valve in newborns. J Am Coll Cardiol. 1995 Dec;26(7):1725-­‐31.