RENCONTRES AUTOUR DE FEMMES LACANIENNES
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RENCONTRES AUTOUR DE FEMMES LACANIENNES
Afin de préparer la rentrée des cartels à Rennes, qui se tiendra en présence de Rose-Paule Vinciguerra autour de son livre Femmes lacaniennes, des psychanalystes membres de l’École de la Cause freudienne, hommes et femmes, ont accepté de répondre à quelques-unes des questions que nous nous sommes posées pendant la préparation de ce rendez-vous à ne pas manquer. Qu’ils en soient ici vivement remerciés ! Jean Luc Monnier, et de Rose-Paule Aujourd’hui, les réponses de Dominique Holvoet Vinciguerra. À lire également au fil de ces interviews, les contributions de l’équipe librairie emmenée par Françoise Morvan. Bonne lecture et très bonne rentrée ! Pour le cartel préparatoire, « Continent noir » Trois figures féminines apparaissent dans le dernier film de Frédéric Mermoud, Moka, trois positions subjectives face à la perte d’un objet d’amour. Dans le cadre idyllique du Lac Leman (l’aimant ?), on suit le parcours de ces femmes. « Que veulentelles ? » disait Freud ; Lacan, lui, a pu dire « toutes les femmes sont folles » ! Renversé par une voiture, le fils de Diane décède. Elle vacille. Être la femme d’un homme se présentant comme père résigné lui devient insupportable. Diane, mère et femme douloureuse, quitte tout et part vers cette quête du chauffard introuvable. Elle fait rupture. Diane sera-t-elle la chasseresse ? Proche du précipice, on pressent le pire pour elle. Dans sa course, elle croise et rencontre Marlène. Cette dernière lui confiera ressentir la perte d’amour de son compagnon. Cela viendrait-il éclairer ce que Rose-Paule Vinciguerra tente de nous enseigner sur la position féminine ? « La femme est « entre », entre le centre de la fonction phallique à laquelle elle participe dans l’amour pour un homme et… l’absence. »1 Reste Élodie, la fille de Marlène. Afin de mettre en tension l’enjeu mère/fille, Rose-Paule Vinciguerra indique que l’adolescente pour « faire exister son corps féminin », c’est-à-dire supporter l’existence, attend de sa mère « cette substance » qui « a pour fond un « ravissement » au sens du rapt. Le corps de la fille est « ravi » car la féminité est impossible à partager… »1 Ainsi, F. Mermoud, sur fond hitchcockien, illustre en quoi « rien ne fonde une définition universelle des femmes »1, il n’y a donc pas La femme ! Éric Laurent évoque que pour la femme un glissement est « possible entre la seule et l’unique »1, tout en étant Pas-toute ! Françoise Morvan 1. Rose-Paule Vinciguerra, Femmes lacaniennes, Éditions Michèle p. 38. 2. Ibid., p.58. 3. Ibid., p.37. 4. Ibid., p.14. Julien Berthomier, Anne Brunet, Noémie Jan, Simon Bouin et Danièle Olive, plus-un. RENCONTRES AUTOUR DE FEMMES LACANIENNES Discussion avec Dominique Holvoet (Tournai, Belgique) : DH : Est-ce si sûr qu'on dise encore de telles choses au XXIème siècle ? Nous avons en tout cas connu une période où la différenciation sexuelle était effacée au profit d'une mode unisexe dans la période du combat féministe. Aujourd'hui, la sexuation est recherchée dans la nature profonde des choses, jusqu'à la croyance que l'enfant puisse choisir son sexe en dehors de tout référentiel. Laissé à lui-même, on veille à ne surtout pas intervenir dans son choix, jusqu'à laisser la chirurgie corriger les erreurs que la nature aurait pu produire (Cf. les Gender development services à Chicago par exemple). Quoi qu'il en soit il n'en demeure pas moins qu'il faut encourager le porteur du phallus d'assumer son sexe, plus qu'il ne le faut pour la fille qui, comme dit Freud, a vu et a jugé. La psychanalyse explique ce paradoxe en traduisant la formule « assumer son sexe » par son équivalent qui est d'assumer sa castration. Autrement dit il s'agit pour le garçon de pouvoir faire avec le manque, la détumescence, la disparition de la brillance phallique, faire avec le jeu des semblants. Qu'est-ce à dire sinon que ce que le garçon ne peut supporter, c'est bien la castration de l'Autre. Il maintient coûte que coûte que l'Autre ne manque pas. DH : Le Nom-du-père, c'est le nom de la castration. C'est le principe qui garantit la symbolisation, qui permet que quelque-chose de la jouissance du corps soit extrait au profit de l'articulation symbolique, donc de la pacification du rapport à l'autre. L'affaiblissement du Nom-du-père, sa pluralisation, a pour conséquence une féminisation du monde. Le congrès Pipol 7 annonçait que le futur se conjuguerait au féminin. Je l'entends comme un plus grand rapport au pas-tout. Féminisation veut dire que la castration est de départ, qu'elle n'est d'aucun auteur, aucun Autre qui annonce la Loi. Le pas-tout, c'est le sans limite de la jouissance, c'est l'errance de ce début de siècle, mais c'est aussi une liberté plus grande, qui participe du délire généralisé. Mais le pas-tout, c'est aussi la fin de la catégorie, de la paroisse, c'est le règne du singulier. À chacun son délire. Cela produit un retour en force de la norme, de la collectivisation forcée, des régimes autoritaires, tout cela sous l'empire du chiffre. Ce que la psychanalyse maintient est précisément qu'il est réaliste de penser un monde au singulier et au féminin, mais cela requiert une éthique, celle de prendre à bras le corps son propre cas, son propre délire, et l'analyser avec un sujet supposé savoir qui se prête à l'opération. DH : C'est clair ! C’est plus difficile d'être analyste quand on est un homme, c'est-à-dire un obsessionnel. Mais au bout d'une analyse, on peut quand même attendre de l'analysant homme qu'il se soit au minimum hystérisé, voire féminisé un peu, bref qu'il ait lâché un bout, et un fameux ! Le fond de l'affaire est de pouvoir occuper cette place de semblant d'objet a, autrement dit de connaître (par sa propre analyse) la nature des semblants, et du Nom-du-père pouvoir se servir, sans y croire. Tant qu'on est à se servir du Nom-du-père, on n'est pas encore tout à fait dans la psychanalyse. Ce qui en jeu, c'est l'inexistence de l'Autre, c'est-à-dire la rencontre avec le hors sens et l'impossible. L'appui sur le réel. DH : Les pires lorsqu'elles sont négligentes quant au semblant. L'exercice de la psychanalyse c'est du cousu main, un dosage entre se servir du Nom-du-père et s'en passer. Les femmes peuvent se montrer féroces lorsqu'elles sont trop mères et s'attachent à leur analysant, obérant toute fin d'analyse, ou lorsqu'elles sont trop femmes et ne supportent aucune boussole que celle de leur jouissance. Discussion avec Jean Luc Monnier (Rennes) : JLM : Vous faites référence à la question de Lacan dans le Séminaire XIX …Ou pire, à laquelle Rose-Paule Vinciguerra fait aussi allusion à la page 29 de son livre. Lacan dit exactement ceci : « c’est assez rigolo tout de même que dans l’usage comme ça, du signifiant, on dise au gars « sois un homme », on ne lui dit pas « sois l’homme », non, on lui dit « sois un homme », pourquoi ? Ce qu’il y a de curieux, c’est que ça ne se dit pas beaucoup « sois une femme », mais on parle par contre de « la femme », article défini. « Sois un homme, et non l’homme » implique au moins deux choses : que, comme l’indique la généralité même impliquée par ce un, l’on sache ce qu’est un homme, et que cet homme identifié comme tel, élément d’une espèce, est à même d’entrer dans une série de semblables : 1+1+1. De ce point de vue, ce un de dénombrement est en fait paradoxalement un un totalisant, à l’horizon de cet un se dessine un ensemble possiblement complet. « On parle de la femme » complète Lacan, ou comme le reprend Rose-Paule Vinciguerra : « on ne dit pas à une petite fille « sois une femme ». Pourquoi ? Parce qu’on ne sait pas ce qu’est une femme. La femme n’existe pas, dit Lacan, éclairant ainsi par la logique l’impasse freudienne quant à la féminité ; un « être femme » non plus réglé sur un manque, un déficit, mais au contraire sur un supplément. À côté de la jouissance phallique à laquelle une femme choisit de consentir ou pas, Lacan isole une jouissance supplémentaire, faite d’absence et d’ignorance « qui excède à toute mesure et qui comme telle introduit l’infini »1. L’article défini emporte avec lui l’idée de généralité, c’est-à-dire en l’occurrence l’idée d’un idéal qui n’existe pas. Parler de la femme revient donc à admettre, paradoxalement, qu’on ne sait pas ce qu’est une femme. « Psychanalyses-toi la face ! »1 JLM : Il y a au moins deux façons d’entendre votre proposition. Le discours de la science a dénudé l’impuissance du père en pulvérisant les idéaux qui se soutenaient de ses figures, en les rendant obsolètes et défaillants à enchâsser, pour les sujets parlants, l’exigence individuelle de jouissance. De ce fait l’affaiblissement du nom du père voyage de conserve avec l’Autre qui n’existe pas et promeut la jouissance. C’est ce que Lacan résume par son expression bien connue « la montée au zénith social de l’objet a ». La place du père, du maître, du S1 et donc du pouvoir s’avère être un semblant. Les femmes ont une pratique « naturelle » des semblants et cela leur donne une plus grande habileté lorsqu’il s’agit d’occuper une place de décideur ou d’organisateur. Le discours de la science a une autre conséquence, peut-être plus essentielle. En dénudant l’impuissance du père, il a permis à Lacan de mettre en logique la part de la jouissance féminine qui échappe à l’hégémonie phallique et ouvre sur l’infini. Il se trouve que cette logique du pas-tout répond aussi bien de la singularité de la jouissance féminine que de la variabilité, de la multiplicité, de la flexibilité, du caractère contingent et sans limite des modes de jouir de notre époque. Conséquence plus essentielle car plus inquiétante car ouvrant sur une jouissance toujours susceptible de virer en une passion mortifère qui peut tout engloutir, que Lacan nomme « surmoitié »2. « La féminisation du monde » comme s’exprime Jacques-Alain Miller relève donc au moins de ces deux dimensions qui ne s’excluent pas l’une l’autre. Dans son ouvrage, Femmes lacaniennes, Rose-Paule Vinciguerra rappelle : « La psychanalyse ne s’occupe que de sujets singuliers et pourtant, elle a vocation à s’intéresser au mouvement du monde dans lequel elle est plongée »2. Comment alors, nous, orientés par la psychanalyse, ne pas nous intéresser à ce qui se passe sur la toile et particulièrement à la chaîne Youtube de Manue ? Cette Youtubeuse se décrit comme une « blogueuse beauté décalée, spécialisée en psychanalyse ». En quoi est-elle « décalée » des jeunes femmes qui postent en ligne les vidéos nommées notamment « tutos beauté » ? Ces dernières tentent de dire le féminin mais n’en donnent finalement que des semblants puisque, comme l’a énoncé Lacan, « La femme n’existe pas », il n’y a en effet pas de signifiant pour dire « La femme ». Ces vidéos viennent davantage mettre en exergue ce que souligne Rose-Paule Vinciguerra dans son chapitre, Horizon de l’hystérie : « Si aujourd’hui en effet, c’est le lien social de communautés de jouissance qui vient parer au défaut de l’Autre et en tenir lieu, l’hystérique n’inscrit-elle pas directement son corps dans la jouissance tyrannique de ces nouveaux impératifs ? Elle essaierait alors de faire exister réellement cet Autre du lien en y faisant jouer son propre corps, par une mise physique… »3. Manue, quant à elle, psychologue de formation, avec sa chaîne Youtube Mardi noir, subvertit ces tutos en venant montrer l’impossible à dire le féminin. À ce propos, elle nous dit : « Je n'ai pas une tête de poupée, au niveau du make up, du maquillage, je ne suis pas sûre que ça soit sur ma chaîne qu'on va apprendre le plus de choses ». C’est en ça que cette femme est la plus lacanienne des youtubeuses beauté. À travers ses courtes vidéos illustrées d'exemples du quotidien, et avec humour, elle tente de nous expliquer quelques concepts de la psychanalyse lacanienne. Juliette Duval JLM : Jacques-Alain Miller donne une réponse précise à 1. Titre donné à une série de vidéos de la chaîne Youtube Mardi noir 2. Vinciguerra Rose-Paule, Femmes lacaniennes, Éditions Michèle, p. 25 3. Ibid., p. 92-93 votre question dans son cours intitulé « La question de Madrid », le 12 décembre 1990. La position féminine et la position de l’analyste sont analogues en ce sens qu’elles sont toutes deux des positions de rebut. Rebut de la culture occidentale pour les femmes – Éric Laurent précise dans son cours « Vers un savoir nouveau en psychanalyse » que les femmes font fonction de rebut de l’humanité, du seul fait qu’il n’y a pas de signifiant de la femme –, quant à l’analyste, sa fonction, qui est d’incarner le semblant d’objet a pour l’analysant, lui confère de la même façon cette place de rebut, de déchet. Lacan est précis là-dessus dans la Note Italienne : « il n’y a d’analyste qu’à ce désir lui vienne, soit que déjà par là il soit le rebut de la dite (humanité). » Les hommes analystes, puisqu’il y en a aussi (sans doute !), ne sont pas indemnes de cette marque de rebut lorsqu’ils occupent la place de semblant d’objet. D’une certaine manière, la condition de semblant d’objet les « féminise », comme la possession de la lettre féminise celui qui la détient dans le conte d’Edgard Poe, La lettre volée. JLM : La réponse à votre question n’est pas sans rapport avec les réponses précédentes. Jacques-Alain Miller suppose dans son cours « la question de Madrid » qu’une femme peut être tentée par la position maternelle, qui va dans le sens d’une certaine phallicisation, pour s’opposer ainsi, en tant que femme, à sa condition de rebut. De ce point de vue la promotion de ce que l’on appelle l’éthique du care dans les différents domaines du soin va dans le sens de cette hypothèse : c’est une position qui s’oppose en tout point à la condition de semblant d’objet a que requiert la place de l’analyste. Une autre hypothèse pourrait être avancée, je le fais à partir de la leçon du 12 janvier 1983 du cours de Jacques-Alain Miller intitulé « du symptôme au fantasme et retour » et celui d’Éric Laurent du 20 novembre 1991 intitulé « Le transfert ». Jacques-Alain Miller souligne qu’une cure analytique pourrait bien à l’occasion être identifiée à l’amour courtois, et il ajoute : « Bien sûr, ce sont des dames qui se sont laissées tenter par cette interprétation de l'analyse comme amour courtois. Ce sont les dames analystes qui se voyaient très bien comme les belles cruelles de l'expérience. » Éric Laurent ajoute, quant à lui, qu’une femme-analyste pourrait être tentée de se prendre pour La femme. Position aussi incompatible que la précédente avec la place de l’analyste. Mais n’oublions pas la première partie de la remarque de Lacan que vous rappelez. « D’entre nous elles sont les meilleures ». Ce n’est pas non plus sans rapport avec la réponse aux questions précédentes. Rose-Paule Vinciguerra le fait remarquer dans son ouvrage Femmes lacaniennes, page 171 : « les femmes ont une proximité plus grande avec les corps vivants. » Nous pouvons ajouter avec la jouissance, le réel et, comme nous le disions plus haut, les semblants : qualité qui les rend peut-être plus adroites, « plus attentives » lorsqu’il s’agit de soutenir chez l’analysant(e) l’approche de l’insoutenable. 1. Miller J.-A. cours du 14 mai 2003, un effort de poésie. 2. Vinciguerra R.-P., « Deux notes sur la féminité chez Lacan », site de l’ECF. Discussion avec Rose-Paule Vinciguerra (Paris) : RPV : Garçon et fille se distinguent naturellement mais dès qu’il y a identification, la nature est rejetée car les identifications ressortissent à une logique. Quant aux parents, s’ils s’émerveillent de ce que tel petit garçon soit conquérant ou telle petite fille gracieuse, c’est par l’effet rétroactif que les signifiants « garçon » et « fille » ont pris pour eux et par l’effet de la place du signifiant phallique dans leur structure. C’est que « la petite différence » du sexe a, « depuis une paye », comme dit Lacan, pris un sens pour ces parents. Ainsi, ce que l’on attribue à la nature est entièrement sous la dépendance du langage. Dire à un petit garçon qu’il sera un homme, c’est dire qu’il a « les titres en poche ». Lui dire « sois un homme », c’est-à-dire « pas une mauviette », c’est l’inviter à participer à un imaginaire de la virilité et, par-delà, au tout des hommes. Si on lui disait « sois l’homme » – ce qui ne se dit pas –, ce serait le poser comme pouvant avoir rapport avec La femme, ce qui est impossible. Ne serait-ce pas aussi le mettre dans la place de l’au-moins – un qui dit non à la fonction phallique ? Si on ne dit pas à une petite fille « sois une femme », c’est qu’il n’y a pas d’essence de la féminité et qu’une femme existe. RPV : Il ne faudrait pas prendre cette féminisation comme une réponse constituée à l’envers du Nom-dupère en déclin. Dans cette perspective, ce serait une revanche des femmes contre l’ordre patriarcal. Plutôt peut-on penser que le déclin de ce Nom et l’impossibilité de mise en ordre du monde par des universels laissent place à ce qui est au-delà de l’Œdipe, au-delà lui-même conçu à partir de l’espace illimité du pastout excédant la fonction phallique. C’est dans cet espace indéfini que viendrait s’inscrire la déconstruction, la pluralisation des modes de jouissance contemporains. Mais on peut aussi se demander : n’est-ce pas l’hubris correspondant à l’exigence illimitée du surmoi féminin qui rend compte de l’impératif de jouissance à tout crin ? Il faut pourtant constater que les conséquences dans le politique de la déflation du signifiant maître peuvent être aussi la réaction fondamentaliste avec son cortège macabre. Et là, le pas-tout n’est pas concerné. Littoral1 Puisque personne ne la connaît sur cette île, elle sera « L’inconnue ». Marie Nimier n’a ainsi pas voulu nommer l’héroïne de son roman, pour qu’elle reste, dit-elle, comme « une figure dans la nature ». Nous savons seulement que l’inconnue « veut laisser l’avenir derrière elle », « voyager léger », « voyager pour se débarrasser ». Elle part seule, sur les traces d’un souvenir fiévreux, comme attirée par ce lieu aujourd’hui vide, cette grotte obscure où ils s’étaient trouvés. Elle devra s’affronter en chemin à un paysage qui résiste à toute description, et traverser une « enfilade de plages », toutes elles aussi sans nom. Qu’on ne s’y trompe pas, « il y a de l’égarement dans l’air » et sans doute un peu de cette « nostalgie d’être, sans origine, paradis de toujours perdu » dont nous parle Rose-Paule Vinciguerra. Là-bas, tout au bout, dans cette grotte sans fond, il faudra l’imprévu de la rencontre d’un homme et de son désir, et d’une jouissance « resuscitée », pour que l’inconnue se souvienne finalement de ce qu’elle était venue chercher : « cet oubli d’elle-même. Ce moment d’abandon ». Gabrielle Ombrouck RPV : Parler de cette affinité, ce n’est pas parier sur une identité. Lacan ne donne pas un blanc-seing aux analystes femmes : à l’occasion, il souligne aussi la difficulté spéciale qu’ont celles-ci dans le fait de tenir cette position, notamment dans le fait d’être « semblant de déchet ». À l’actif des analystes femmes cependant, leur position anti-sublimation et une jouissance moins empêtrée de l’inconscient, plus ouverte à une logique de l’inconsistance. Assurément, cela exclut que l’analyste se pose dans le registre de l’avoir. À cet égard si, comme le dit Lacan, « l’analyste se fait du pastout », l’affaire n’est pas une question de sexe. Il s’agit plutôt d’une ouverture, ouverture à une orientation vers « l’inconscient réel » dans les cures, ce dont témoigne la passe. 1-A propos du livre de de Marie Nimier La plage RPV : Ce sont les pires à l’occasion, car elles font parfois les mères. Et puis il y a les féministes qui privilégient la voix du corps. Mais il n’y a pas plus de voix du corps qu’il y a de nature anti-phallique. Les meilleures ? Lacan n’hésitait pas à comparer les analystes femmes à Don Juan ! Non pas à cause du fantasme que fomentent les femmes sur Don Juan mais parce que Don Juan est celui qui affirme sa liberté eu égard aux semblants. Comme les analystes femmes qui éprouveraient cette liberté ! « La femme a dans la peau un grain de fantaisie », notait Lacan à la fin du Séminaire VI et, à propos de cette ouverture, il notait « … ce n'est pas seulement de la femme que nous avons à souhaiter ce grain de fantaisie (ou... ce grain de poésie), c'est de l'analyse elle-même ». Cette « échancrure » dans la jouissance phallique n’est pas sans l’absence hors sens à laquelle ont affaire les femmes : elle permet en tout cas l’éveil à la conjoncture d’indéterminisme dans laquelle peut se rencontrer in fine la lettre écrite dans le corps jouissant, lettre qui fait bord à l’absence.