Affinité de la position du psychanalyste et de la position féminine
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Affinité de la position du psychanalyste et de la position féminine
Affinité de la position du psychanalyste et de la position féminine Interview de Rose-Paule Vinciguerra à propos de son livre Femmes lacaniennes Votre livre est intitulé Femmes lacaniennes. Ce titre sonne comme une coupure. Est-ce qu’il y aurait un avant et un après Lacan sur la question féminine ? Avant lui, vous le soulignez page 19 de votre livre, il y avait eu Freud qui avait su entendre des femmes et briser nombre de tabous sur la sexualité féminine. Alors, il y aurait eu un franchissement de la femme freudienne à la femme lacanienne ? et lequel ? Rose-Paule Vinciguerra : Freud a ôté le bâillon mis sur la bouche des femmes en laissant parler les hystériques mais il est resté pris dans son époque, notamment en pensant la sexualité féminine à partir de l’Œdipe et de la question phallique. Lacan, en levant le voile sur ce qui échappe à l’ordre phallique, a posé qu’une femme n’y est « pas toute » et que son rapport à la fonction phallique est contingent(1). Donc sans doute une coupure par rapport à Freud. Mais celle-ci a occasionné un renversement de perspective dans la psychanalyse, notamment avec la considération de ce qui est au-delà de l’Œdipe. D’où cette mise en regard de la position féminine et de la position du psychanalyste dont le titre tente de rendre compte. En effet, « c’est du pas tout que relève l’analyste »(2). À cet égard, Lacan reconnaissait aux analystes femmes d’être « moins empêtrées »(3) à l’endroit de l’inconscient. D’être dépassées par l’insu extime de leur corps les rend sans doute plus accessibles à ce que la psychanalyse touche chez tout parlêtre, le réel indicible, inapprivoisable, rebelle à la signification. Cependant, je ne crois pas que cela doive leur monter à la tête. Il y a des analystes hommes qui savent très bien ménager, dans leur écoute, la place de ce qui échappe à la symbolisation permise dans une analyse et accueillir le « mystère du corps parlant »(4). Ce titre concerne donc les psychanalystes contemporains et notamment ceux qui pensent que l’enseignement de Lacan est incontournable, aujourd’hui plus que jamais. Vous soulignez qu'en cette période d'éclatement de la civilisation, elles (les femmes) se renforcent, jusqu'à écrire à leur propos page 230 : « ... elles savent vouloir ». Éclairez nous sur ce savoir. R.-P. V. : C’est un paradoxe que la dissémination des plus-de-jouir renforce les femmes. De fait, moins prisonnières de l’avoir, celles-ci acquièrent une liberté que Lacan d’ailleurs leur reconnaissait dans « RSI » (pas toutes cependant, notait-il). Et en effet, certaines se rabattent sur une possession phallique qui entraîne une forme de vouloir, pas très engageant celui-ci. À l’envers, la liberté qu’elles ont dans cette jouissance qui n’est pas toute phallique est au principe d’un vouloir ne pas transiger avec les semblants lorsque ceux-ci sont par trop mensongers. Elles peuvent aussi vouloir, car elles n’ont rien à perdre, prendre le risque d’une jouissance un peu plus « aérée » et agir en conséquence. Ce pourquoi on continue encore dans nos sociétés modernes à les diffamer. Vous écrivez, avec Lacan, page 33 que « position masculine et féminine se fondent toutes deux sur la raison phallique et ne représentent rien dans l'inconscient qui, lui, ne parle pas du sexe mais de la valeur de jouissance ». Est-ce que, toutefois, l'expérience analytique peut amener à élaborer un savoir qui permettra à un sujet de savoir mieux y faire avec son être de femme ou d'homme ? R.-P. V. : Oui à condition de ne pas oublier qu’homme, femme, ce sont des semblants, c’està-dire des signifiants qui se font prendre pour du réel quoiqu’ils n’aient d’effets qu’imaginaires et que c’est le signifiant de la castration qui les fait homme ou femme. Bien sûr, il y a, comme le dit Lacan, trente-six formes de castrations différentes et cela peut autoriser aussi bien des « femmes couleur d’homme » et des « hommes couleur de femme »(6). À cet égard, la fin de l’analyse serait plutôt de savoir mieux y faire avec son partenaire-symptôme et là, il y a assurément une différence dans les fins d’analyse d’homme ou de femme. Vous apportez un éclairage nouveau sur le ravage maternel, lorsque vous indiquez, page 59, qu’une fille peut connaître une forme de laisser tomber de la part de sa mère. Il s'agit non pas d'une absence de soin, de paroles blessantes ou de rejet, mais d'une certaine forme de silence. Il y a « tout ce que la mère ne peut dire et qui prend toute sa puissance » et « la fille se trouve alors aux prises avec cette jouissance muette ». Comment, une cure analytique, qui est une expérience de parole, permet-elle de traiter cette modalité du ravage maternel très spécifique ? R.-P. V. : Ce ravage n’est pas celui qu’évoque Freud autour de la revendication phallique de la fille et qui est « insatisfaction pré-castrative » comme le dit Lacan(7). Il met en jeu la jouissance Autre et énigmatique de la femme qu’est la mère. C’est là sans doute que la mère est la plus puissante, elle en devient réelle. Et comment une fille y répondrait-elle si ce n’est par un surmoi dévastateur, une surmoitié(8), dont les dits poussent à s’arracher à toute limite, sans appui, sans garantie. Mais il n’y a pas d’Autre de l’Autre pour répondre à l’exigence de cet appel – pas plus d’ailleurs qu’il n’y a de nomination de l’être d’une femme ni de référent substantiel à son corps. À cet égard, les analystes ont à éviter l’illusion de la réparation faite par le « bon parent » venant à la place du parent traumatique. Une interprétation analytique peut cependant, en apportant le signifiant équivoque qui manque, contrer le réel, inscrire un bord, là où une expérience de jouissance se répète inlassablement. La fin de l’analyse témoignerait donc de la façon particulière dont a pu se taire cette voix de la surmoitié, ce point de jouissance rebelle à quelque assomption de l’énonciation. La passe peut rendre compte de cela. Votre ouvrage traite également des effets de la chute de l'ordre symbolique et notamment de la multiplication des modes de jouir d’un côté et de la radicalisation du discours du maître de l'autre. Votre analyse avance une version moderne, renouvelée de la psychanalyse, affranchie des impasses mises en lumière par Freud (au delà de l’Œdipe donc). Pouvez-vous cerner pour nous un point crucial de cette version moderne de la psychanalyse ? R.-P. V. : En effet, on assiste aujourd’hui à ce choc frontal entre sociétés où le culte du Nom unique règne jusqu’à la caricature sanglante et sociétés où l’interdit de jouir est dissous, même si ce sont celles où la psychanalyse peut s’exercer. La montée au zénith de l’objet a(9), comme l’avait établi Jacques-Alain Miller, a pris le pas sur les impasses du malaise dans la civilisation mises au jour par Freud. Les modes de jouir sont dispersés, échappent à l’empire du tout et mettent en jeu l’appel à une féminisation du monde, à une extension du pas-tout, aussi bien qu’à l’évidence que le rapport sexuel n’existe pas. La psychanalyse aujourd’hui rencontre des formes de symptômes qui objectent de façon radicale à la norme œdipienne. L’au-delà de l’Œdipe théorisé par Lacan a ouvert dans la psychanalyse le champ de la reconfiguration de la fonction du Nom-du-Père. C’est là sans doute que les psychanalystes lacaniens peuvent intervenir en favorisant des nominations qui suppléent à ce Nom-du-Père en déclin. Par là, ils manifestent un souci éthique qui n’abrase pas le réel des sujets et préserve la singularité de leur désir, leur liberté de désirer dans un monde où la furie soignante n’a souci que de conformité et d’uniformité. Interview réalisé par Agnès Vigué Camus et Pierre-Ludovic Lavoine Novembre 2014 (1) Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, … ou pire, Paris, Seuil, 2010, p. 105 (2) Lacan J., « Note italienne », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 308. (3) Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « RSI », 11 février 1975, Ornicar ?, n°4, p. 95. (4) Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 118. (5) Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « RSI », op. cit. (6) Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2004, p. 116. (7) Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’angoisse, Paris, Seuil, 2004, p. 233 (8) Lacan J., « L’étourdit », Autres écrits, op. cit., p. 468. (9) Miller J.-A., « Une fantaisie », Mental, no15, février 2005, p. 19.