Séquences pédagogiques d`analyse de séquence par Sandrine

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Séquences pédagogiques d`analyse de séquence par Sandrine
Séquence de travail de 2h
4 extraits
Notions abordées
: vivre sous l'occupation djihadiste, interdits et résistance féminine,
propagande, le réalisme symbolique de Sissako.
Introduire la séance, en présentant le parcours atypique du réalisateur (un cinéaste africain, formé
à l'école russe et porte-parole de sa communauté), le contexte du film (la guerre du Nord-Mali en
2012), rapporté é à l'actualité récente (les attentats terroristes, revendiqués par l'Etat islamique).
Outils : livret pédagogique Lycéens au cinéma. Articles de presse
Extrait 1 Ouverture du film : l'expression du réalisme symbolique de Sissako
Timecode (lecteur de référence VLC) : 00 :00 :30 – 00 :02:31)
L'extrait correspond au début du film. Nous voyons une gazelle courir à vive allure dans un
paysage désertique. Le silence qui accompagne sa course est soudain déchiré par des
déflagrations ; Contrechamp qui change le point de vue sur la scène. Des terroristes islamistes,
embarqués sur une fourgonnette qui roule à vive allure la prennent en chasse. La caméra est
instable. L'harmonie est rompue. La violence a fait irruption dans le cadre. Plan raproché sur les
hommes enturbannés, vêtus de djellabas blanches. Un drapeau noir, cerclé d'inscriptions
blanches flotte au vent. C'est le drapeau de l'organisation terroriste Ansar Dine (littéralement «
les défenseurs de la religion »), groupe armé salafiste djihadiste, fondé et dirigé par Iyad Ag
Ghali, un des principaux chefs de la rébellion touarègue, participant au conflit du Nord-Mali. Le
chef somme ses hommes de fatiguer l'animal mais pas de la tuer, tandis que les tirs se
poursuivent. Carton noir sur lequel se découpe, en lettres blanches, le titre du film : Timbuktu,
ancrant géographiquement le récit. Changement d'angle. Les fondamentalistes vident maintenant
leurs chargeurs sur des statues, alignées les unes à côté des autres. Elles se détériorent sous
l'impact des balles. Métonymies de l'art traditionnel malien et du patrimoine culturel d'un pays
que saccage l'occupant. Dans cette scène liminaire, scindée par le carton noir, barré du titre du
film, tous les enjeux narratifs sont posés de manière symbolique.
Comment travailler avec les élèves, à partir de cet extrait ?
Leur demander de décrire la scène et d'identifier les éléments symboliques présents dans l'extrait.
A commencer par la gazelle, qui raccorde bien sûr avec la séquence finale du film où la petite
fille Toya, poursuivie par les salafistes, se substitue à l'animal. Elle représente, comme la gazelle,
l'innocence et la beauté qu'on sacrifie. Et cet animal qu'on fatigue, les populations épuisées par
l'occupation et vouées à la reddition. Quant aux statues, pourquoi tant d'ardeur à vouloir les
détruire ? Il faudra préciser que ces œuvres d'art sont les métonymies d'un patrimoine qu'on
saccage. On pourra parler de la destruction de la cité de Palmyre en Jordanie, évoquer avec les
élèves la destruction et le pillage de sites historiques. Dans cette séquence, les terroristes sont
une force destructrice puissante, un groupe indifférencié, animé par la volonté d'éradiquer la
beauté. Par la suite, ce bloc destructeur se désolidarise, laissant apparaître les individualités. Le
style de Sissako, marqué par un réalisme symbolique, est manifeste dans cet extrait.
Extrait 2 : la résistance au féminin
Timecode : 1:01:01 – 1:02:50)
Le début de la scène s'ouvre sur les mains, gantées de noir de la chanteuse, qui a été arrêtée par la
police islmaique, dans l'appartement où elle jouait avec son groupe. La musique étant interdite,
elle passe devant un tribunal islamique qui va la condamner à la flagellation, en place publique.
Elle va transformer son cri de douleur en chant de résistance, manière de se soustraire aux lois
imposées par les djihadistes.
Comment travailler avec les élèves sur cet extrait ?
Demander aux élèves de noter le changement d'apparence de la chanteuse. Les gants, le voile
intégral (ou « niqab ») tranchent avec les vêtements colorés qu'elle portait dans la séquence
précédente. Elle est dorénavant silencieuse. On l'a réduite au silence. C'est un homme qui répond
à sa place. Ses juges la condamnent à 40 coups de fouet pour la musique, plus 40 autres pour «
avoir été avec un homme dans une chambre ». Ses parents étant là pour attester de sa bonne
moralité, sa peine a été allégée (!). Le musicien lui, n'est pas condamné. Il est d'ailleurs présent
lors de la sentence, puis lors de son application, comme simple spectateur.
Expliquer aux élèves que dans la loi islamique, la femme est inférieure à l'homme. Son
témoignage, par exemple, vaut la moitié de celui d'un homme. On peut se référer à l'article «
Rapport hommes et femmes dans l'islam » (Wikipédia) pour étayer le propos. Cet extrait pose
plus généralement la question de la condition de la femme, première victime de l'obscurantisme
religieux et de la charia, édictée par les islamistes radicaux. Réduction des libertés, mariages
forcés, arrestations arbitraires, asservissement, esclavage sexuel etc... Le film de Sissako est
dominé par le féminin et la sensualité, précisément pour ces raisons-là. En faisant des femmes
(Satima, la folle, la vendeuse de poisson), les figures de la résistance dans son film, Sissako leur
rend justice.
On peut encore demander aux élèves d'observer par quels regards la scène de flagellation est
objectivée. C'est-à-dire qui regarde la flagellation. Trois points de vue cohabitent dans cette
scène : celui d'un autochtone (les exécutions sont publiques, comme on peut le voir encore lors
de la scène de lapidation), celui d'Abdelkrim, le chef des djihadistes. Il préfère s'en aller,
traduisant sans doute son manque de solidarité avec la punition. Enfin, on voit brièvement un
terroriste filmer la scène, au moyen d'une petite caméra, à des fins propagandistes. Ce qui permet
d'enchaîner avec l'extrait suivant.
Extrait 3 : propagande et vidéo
Timecode : 0:26:22 – 0:29:04
Cet extrait illustre la tentative laborieuse d'enregistrement d'une vidéo de propagande par un
jeune djihadiste qui manque manifestement de conviction, tant dans son jeu d'acteur que par
rapport à ses motivations « religieuses ». La propagande sur internet et les réseaux sociaux
constituant le nerf de la guerre de l'islamisme radical, cette séquence prend une tonalité
parodique mais aussi tragique.
Les vidéos de propagande représentent, pour des organisations terroristes comme Daesh ou l'Etat
Islamique, un outil de communication imparable. Mettant en scène des exécutions d'otages, des
appels à la charia, des menaces proférées contre l'Occident, elles circulent essentiellement sur
internet. Les fanatiques se sont même dotés d'unités de production pour diffuser leurs messages
qui ont gagné en sophistication, grâce à de nouveaux moyens techniques (3D, drones). Dans
cette séquence, Abderrahmane Sissako prend le contre-pied des représentations ultraviolentes qui
pullulent sur la Toile, pour les parodier. Il évacue en premier lieu le caractère habituellement
spectaculaire de ces vidéos, en montrant un enregistrement, réalisé dans des conditions précaires
et avec un jeune « acteur » médiocre. L'ancien rappeur, qui s'est radicalisé, se repentit devant
la caméra. Il affirme qu'il était dans le péché lorsqu'il faisait de la musique. Mais son manque de
conviction agace le réalisateur qui le filme au moyen d'une petite caméra digitale, posée sur pied.
Il lui montre alors comment dire son texte avec cœur, en prenant place à son tour devant la
caméra. La scène est éclairée par un chef opérateur improvisé qui passe son temps à réparer une
lampe défectueuse. On est loin des grandes mises en scène, façon jeux vidéo ou films d'action,
élaborés par les groupes terroristes. Fidèle à son style épuré, le réalisateur vide sa scène au
maximum, ce qui contribue à la dépouiller de toute menace. Ce faisant, il ridiculise les vidéastes,
acteurs et techniciens amateurs. Outre son caractère parodique, cette séquence introduit, de
manière intéressante, la réalisation d'un film à l'intérieur du film. Un geste «
méta
» qui, par
opposition, souligne la virtuosité du cinéma de Abderrahmane Sissako, aux antipodes de ces
bricolages vidéo amateurs. L’œuvre d'art annihile, en somme, ce régime bâtard d'image, qui imite
les superproductions américaines. Acte de résistance là encore que de défier, sur le terrain des
images, les terroristes.
Comment travailler la séquence avec les élèves ?
Les amener à identifier le caractère « méta » du dispositif, mis en place par Abderrahmane
Sissako. C'est-à-dire, identifer les instances de production rudimentaires en présence : le metteur
en scène (qui tente de diriger le piètre acteur), l'éclairagiste (avec sa lampe défectueuse) et
l'acteur. Le réalisateur endosse aussi le rôle de l'acteur. La scène a beau être comique, elle s'ancre
là aussi dans la réalité, comme l'ensemble du film. Nombre de jeunes djihadistes, comme l'un des
frères Kouachi (auteur de la tuerie de Charlie Hebdo) avaient évolué dans le milieu du rap. Cet
extrait permet d'enchaîner avec une autre représentation de la jeunesse qui entre, à l'instar des
femmes, en résistance.
Extrait 4 : le match de football sans ballon
Timecode : 0:41:54-0:43:47
Parmi les séquences les plus fortes de Timbuktu, on retient celle du match de football sans
ballon. Elle fait immédiatement suite à une scène de procès. Des djihadistes condamnent à vingt
coups de fouet, un homme qui aurait enfreint l'interdiction de jouer au football. L'absurdité de
cette sentence et des diktats imposés par les intégristes à la population est étayée par cette scène
où des gamins simulent un match de football sans ballon. La séquence s'ouvre par un plan de
demi-ensemble, filmé depuis une cage de foot. Le filet, au premier plan, barre l'image et la
recouvre. Bord cadre à droite, la silhouette du gardien, bras étendus, se découpe. Face à lui, un
joueur s'apprête à effectuer un tir au but, tandis qu'en arrière-plan, ses coéquipiers disséminés sur
le terrain, suspendent leurs mouvements à l'action en cours. Les jeunes semblent pris dans les
rets de ce filet, au premier plan, qui symbolise l'état de siège, subi par la population. Il est le
rappel physique d'une liberté entravée, sa réification d'autant plus sinistre, qu'on le sait, le
football reste le sport le plus populaire en Afrique. Le match doit donc se jouer selon les
nouvelles règles fixées par les intégristes. Le plan suivant, on voit le jeune joueur se pencher et
mimer le geste de ramasser, à ses pieds, un ballon dont il épouse, avec ses mains, les contours
invisibles.
Sissako élargit le champ et passe à un plan d'ensemble qui permet d'apprécier, dans sa globalité,
les joueurs et le décor dans lequel ils évoluent. Comme si l'on était passé d'une vision subjective
à une réalité objective dans laquelle l'absence du ballon est maintenant une évidence. Au moment
du tir au but, la tension culmine. La musique extradiégétique, composée par Amine Bouhafa est
très expressive. Ele commente l'intensité du match, les émotions des joueurs, et surtout permet de
matérialiser le ballon, notamment au moyen de légères percussions, qui évoquent les coups de
pied que les jeunes footballeurs donnent dedans. Grâce à la bande originale, le ballon quitte le
champ de l'abstraction et s'incarne. Comme dans Blow Up d'Antonioni où des mimes donnaient
vie à un match de tennis sans balle, ni raquettes, célébrant le pouvoir de l'imagination et du
simulacre sur la réalité et introduisant le doute sur la vérité tangible de nos perceptions.
Mais le match s'interrompt brutalement, en raison de l'intrusion d'un âne (l'arbitre?) dans la
partie. Il traverse le cadre de part et d'autre. L'introduction de cet élément comique permet de
dynamiter la tension, par l'humour. Ce que fait Sissako constamment dans la première partie de
son film, user de l'art du contrepoint. La comédie s'invite au cœur du drame. La musique épouse
les pas nonchalants de l'animal. On rappellera , au passage, l'importance du bestiaire chez
Sissako. C'est d'ailleurs la mort d'une vache qui précipite le drame et scelle tragiquement les
destins de ses personnages.
Le cinéaste isole maintenant les joueurs dans le cadre. Des travellings accompagnent leurs
déplacements sur le terrain. C''est une manière canonique de filmer les matchs de foot, tels qu'on
peut les voir retransmis à la télévision. Les joueurs se passent la balle invisible sous les yeux de
spectateurs en arrière-plan, assis sur un muret de pierres. La musique gonfle et s'amplifie, gagne
en intensité, comme le match, mais un sentiment tragique en émane. Un but est marqué. On peut
lire des expressions de joie sur les visages. La scène, dans son ensemble, ne bénéficie pas de sons
directs, la musique la sonorise à elle seule. Chaque coup porté dans le ballon est accompagné
d'une légère percussion.
Les joueurs marquent une pause. Pendant cette mi-temps au cours de laquelle ils s'étirent, un
second élément extérieur, après l'animal, fait irruption dans la partie. Ce sont des djihadistes en
moto qui s'assurent qu'il n'y a pas de ballon sur le terrain. La musique, à ce moment précis, se
charge de menaces. Dans cette courte séquence, Sissako dose admirablement le drame et la
comédie et donne à éprouver la réalité absurde et tragique d'une oppression que contrecarre un
match de foot, comme un acte de résistance, ultime et désespéré, match qui atteste aussi de toute
la vitalité et des ressources de l'imagination des populations face à l'envahisseur.
Comment travailler la séquence avec les élèves ?
On recommande aux enseignants, en préalable de la diffusion de l'extrait, d'inciter les élèves à
être attentifs à la musique symphonique de Amine Bouafa, laquelle donne à la séquence toute son
expressivité. Chaque coup porté dans le ballon invisible est accompagné d'une légère percussion
métallique. Repérer ces tintements est très ludique. Cela permet surtout aux élèves de voir que le
réalisateur met tous les moyens de la mise en scène au service de son film et de sa croyance
profonde en la jeunesse, capable de déployer des trésors d'imagination, pour résister aux
terroristes.