La lutte contre la fraude

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La lutte contre la fraude
Juridique
Analyse
La lutte contre la fraude
L’ESSENTIEL
■ Priorité du gouvernement
La lutte contre la fraude sociale est présentée comme une priorité du gouvernement pour combler les déficits de l’Etat. Les moyens mis en place sont de plusieurs ordres : recoupement des informations relatives aux allocataires ou aux
demandeurs et croisement des fichiers entre les administrations concernées
(allocations familiales, assurance maladie, assurance chômage…), renforcement
des sanctions, mise en place d’une Délégation nationale de lutte contre la fraude…
■ Volonté intentionnelle
La fraude et l’escroquerie nécessitent toutes deux une volonté intentionnelle
de l’auteur, qui doit donc être prouvée. En cas d’erreur involontaire, il s’agira
d’un « indu » ou d’un « trop perçu » que l’allocataire devra rembourser.
■ Pénalités graduées
Lorsque le montant de la fraude ne dépasse pas certains seuils, les directeurs
des organismes concernés peuvent prononcer des pénalités et, en cas de non
paiement, des mises en demeure puis, éventuellement et dans un troisième
temps, une contrainte comportant tous les effets d’un jugement et, notamment,
le bénéfice de l’hypothèque judiciaire. Au-delà de ces montants, une plainte,
avec éventuellement constitution de partie civile, doit être déposée auprès du
procureur de la République.
I
nscrite dans la révision générale des politiques publiques, la lutte contre la fraude
sociale constitue une priorité du gouvernement. Une Délégation nationale à la lutte contre
la fraude (DNLF) a été créée le 18 avril (lire p. 54)
afin d’accroître la coopération « entre les services de l’Etat et d’articuler leur intervention avec
celle des organismes sociaux et, le cas échéant, des
collectivités locales ». En matière de protection
sociale, un répertoire national des bénéficiaires,
mis en place par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), est opérationnel depuis
le début de l’année. Il permet déjà d’échanger des
données sur les allocataires et leurs conjoints avec
d’autres organismes de protection sociale, grâce
à l’utilisation d’un même numéro d’identification au répertoire (NIR), qui évite les doubles
affiliations. Une version plus complète intégrant
les enfants des allocataires sera opérationnelle en
octobre. Une base d’informations nationale des
fraudes détectées dans les différentes CAF a également été mise au point, et devrait être prochainement déclarée auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).
Le gouvernement entend aussi faire la chasse
aux abus sur l’assurance maladie. Comme l’indique Olivier Selmati, directeur du projet de
lutte contre la fraude à la direction de la Sécurité
sociale, « un répertoire national commun, prévu par l’article L.114-12-1 du Code de la Sécurité sociale va être prochainement mis en place.
60 - LA GAZETTE SANTÉ-SOCIAL
Des échanges d’informations pourront se faire
avec l’ensemble des organisations de protection
sociale à partir du NIR. En revanche, il n’existe
pas de projet de base nationale des fraudeurs à
l’heure actuelle ».
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
La fraude et l’escroquerie nécessitent toutes deux
une volonté intentionnelle de leur auteur, qui
doit donc être prouvée. Une erreur involontaire
entraîne un « trop perçu » ou un « indu » pour
l’allocataire, qui devra donc le rembourser à
l’organisme allocataire. Depuis plusieurs années,
la lutte contre la fraude fait l’objet d’un renforcement de la législation et de la réglementation.
Volonté intentionnelle
L’article 92 de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2005 prévoit, par exemple,
des pénalités en cas d’absence de déclaration par
l’assuré d’un changement de sa situation modifiant la nature des prestations sociales perçues. Le
même article précise que les revenus des titulaires de la couverture maladie universelle (CMU)
feront l’objet de vérifications.
Toujours en matière de protection sociale, l’article 131 de la LFSS pour 2007 oblige toute personne qui cesse de bénéficier des droits aux prestations à l’assurance maladie parce qu’elle ne
réside plus en France à en informer l’organisme
d’assurance maladie auquel elle est rattachée, et
à restituer sa carte Vitale. Toute personne qui incite les assujettis à refuser de se conformer aux
prescriptions de la législation de Sécurité sociale,
notamment de s’affilier à un organisme de Sécurité sociale ou de payer les cotisations et contributions dues, est punie d’un emprisonnement de
six mois et d’une amende de 15 000 euros, ou de
l’une de ces deux peines seulement (art. 129 de la
LFSS pour 2007).
Par ailleurs, lorsqu’il est constaté par l’organisme
local de Sécurité sociale, à l’occasion de l’instruction d’une demande ou lors d’un contrôle, une
disproportion marquée entre le train de vie du
demandeur ou du bénéficiaire et les ressources
qu’il déclare, une évaluation forfaitaire des éléments du train de vie est effectuée. Celle-ci est
prise en compte pour déterminer les droits aux
prestations familiales, à la protection complémentaire en matière de santé et au revenu minimum
d’insertion (art. 132 de la LFSS pour 2007).
Contrôle et sanction
La LFSS pour 2008 comprend plusieurs dispositions sanctionnant la fraude. L’article 105 prévoit
en cas de fraude constatée à la Sécurité sociale
(art. L.114-9 du Code de la Sécurité sociale – CSS)
que les organismes nationaux peuvent agir, au
nom et pour le compte de l’organisme lésé, à
l’expiration d’un délai d’un mois après une mise
en demeure de ce dernier restée infructueuse. Les
organismes nationaux de Sécurité sociale peuvent
aussi déposer plainte avec constitution de partie
civile au nom et pour le compte d’un ou plusieurs
organismes de Sécurité sociale qui les mandatent à cette fin. Les caisses nationales doivent par
ailleurs mettre en œuvre et coordonner des actions de contrôle sur le service des prestations,
afin de détecter les fraudes et les comportements
abusifs. Elles peuvent utiliser des traitements
automatisés des données relatives au service des
prestations et requérir la participation des caisses
de base à ces actions (art. 109 de la loi).
La fraude aux allocations logement et à l’aide
personnalisée au logement, notamment la fausse
déclaration délibérée ayant abouti au versement
de prestations indues, lorsqu’elle est constatée
pour un montant supérieur à deux fois le plafond mensuel de la Sécurité sociale (4 546 euros),
est sanctionnée par la suppression du service de
ces allocations (art. L.114-17 du CSS). La durée
de la sanction est fixée selon la gravité des faits,
dans la limite d’un an à compter de la décision
administrative de suppression. Cette disposition s’applique jusqu’au 31 décembre 2009. Le
ministre chargé de la Sécurité sociale doit transmettre au Parlement, avant le 30 juin 2009, un
rapport d’évaluation de cette mesure, assorti
des observations des organismes ayant participé
N° 41 - Mai 2008
P. SCHULLER / SIGNATURES
sociale renforcée
En cas de fraude, le directeur d'une caisse primaire d'assurance maladie peut suspendre le remboursement des prestations.
à l’expérimentation (art. 110-I de la loi). Enfin,
l’article 110-II de la LFSS pour 2008 étend les
pénalités encourues en cas de fraude à l’assurance
maladie (art. L.162-1-14 CSS) à la CMU complémentaire. L’allocation aux adultes handicapés est également concernée : l’article 106 de la
LFSS pour 2008 précise que les articles L.11413, L.377-2 et L.583-3 du CSS s’appliquent aussi
à l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Ces
articles prévoient la condamnation à une amende de 5 000 euros de « quiconque se rend coupable de fraude ou de fausse déclaration pour obtenir, ou faire obtenir ou tenter de faire obtenir »
une AHH qui ne serait pas due, la condamnation
à une amende de 3 750 euros de tout intermédiaire convaincu d’avoir offert ou fait offrir ses services moyennant émoluments à un assuré social
en vue de lui faire obtenir l’AAH.
Ces articles détaillent également les modalités de
contrôle par des organismes concernés des déclarations des allocataires ou des demandeurs,
relatives notamment à leur situation de famille,
N° 41 - Mai 2008
à leurs enfants et personnes à charge, à leurs ressources, au montant de leur loyer et à leurs conditions de logement.
DISPOSITIONS
RÉGLEMENTAIRES
Suspension des remboursements
Selon le décret n° 2007-972 du 15 mai 2007 relatif à la suspension du remboursement des prestations d’assurance maladie en cas de fraude ou
de fausse déclaration du montant des ressources,
cette suspension peut être décidée par le directeur de la caisse ou de l’organisme compétents à
l’égard d’un assuré dont la mauvaise foi est établie par des faits caractérisant l’intention de ne
pas payer les cotisations obligatoires d’assurance
maladie, ou en cas de fraude ou de fausse déclaration sur le montant des ressources. Dans ce
cas, le directeur de la caisse compétente adresse à
l’assuré une mise en demeure, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, l’invitant à régulariser sa situation sous trente jours.
A défaut, le versement desdites prestations est
suspendu mais il est notifié à l’assuré par lettre
recommandée avec demande d’avis de réception que cette décision est susceptible de recours
(art. R.142-1 et R.142-6 du CSS).
Contrôle du train de vie
Autre texte réglementaire majeur, le décret
n° 2008-88 du 28 janvier 2008, pris en application de l’article 132 de la LFSS pour 2007 précité,
précise les modalités d’évaluation forfaitaire des
éléments du train de vie pour les bénéficiaires ou
les demandeurs du revenu minimum d’insertion.
Dix éléments sont pris en compte dans le cadre
d’un usage privé ou personnel. En cas de disproportion marquée entre le train de vie du demandeur ou du bénéficiaire du RMI et les ressources déclarées, le président du conseil général, sur
demande ou après consultation de l’organisme
payeur, adresse à la personne concernée une lettre recommandée avec accusé de réception pour
l’informer du lancement d’une procédure détail- >>
LA GAZETTE SANTÉ-SOCIAL -
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Juridique
Analyse
>> lée dans le décret (lire La Gazette Santé-Social
n° 39, p. 40). L’évaluation forfaitaire du train de
vie prévue pour les prestations familiales et assimilées prend en compte les mêmes éléments et
barèmes que ceux du RMI. Le décret précise également des dispositions relatives à la protection
complémentaire en matière de santé et à l’aide
au paiement d’une assurance complémentaire
santé, précisant sur ce point la composition du
foyer, notamment en cas de garde alternée de
mineurs, ainsi que les modalités d’appréciation
des ressources (art. R.861-6 du CSS).
Echanges entre administrations
Le principe d’un échange de documents entre
les administrations dans le cas d’une présomption de fraude figure dans le décret n° 2005-1624
du 22 décembre 2005 relatif au suivi de la recherche d’emploi, lequel prévoit que les agents relevant du ministre chargé de l’emploi peuvent,
sur leur demande, se faire communiquer par les
administrations fiscales, en cas de présomption de
fraude, « toutes données et documents nécessaires à l’accomplissement de leur mission ». L’article 139 de la LFSS pour 2007 a complété ce dispositif, précisant que lors des demandes d’admission
au bénéfice des prestations régies par le CASF ou
de l’exercice de missions de contrôle et d’évaluation, « les autorités attribuant ces prestations
échangent, avec les personnes morales de droit
public ou les personnes morales de droit privé
TÉMOIGNAGE
gérant un service public, les informations ou les
pièces justificatives ayant pour objet d’apprécier
la situation des demandeurs ou des bénéficiaires
au regard des conditions d’attribution ». De la
même manière, ces personnes morales doivent
tenir « ces autorités informées, périodiquement
ou sur demande de celles-ci, des changements de
situation ou des événements affectant les bénéficiaires et pouvant avoir une incidence sur le versement des prestations ».
Notons, depuis la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2008 (art. 115), les organismes
de protection sociale peuvent solliciter des informations auprès des personnes publiques ou
privées – fournisseurs d’eau ou d’énergie, opérateurs de téléphonie ou d’internet, banques… –
sur la situation de ses allocataires dans le respect
du droit des usagers (art. L.114-20 du CSS). Une
circulaire du 20 février 2008 a précisé les modalités de cette utilisation par les organismes de Sécurité sociale. Le décret n° 2008-365 du 16 avril,
modifiant le décret n° 85-1343 du 16 décembre
1985 instituant un système de transfert de données sociales, et un arrêté du même jour précisent
les catégories d’information que les destinataires
des déclarations annuelles de données sociales
sont habilités à recevoir, par l’intermédiaire des
centres de transfert de données sociales, institués
au sein de chaque organisme chargé localement
de la gestion du risque vieillesse du régime général de la Sécurité sociale, et de la Caisse nationale
d’assurance vieillesse des travailleurs salariés à
compter des déclarations de l’année 2007.
Un comité national
Le Comité national de lutte contre la fraude
(CNLF) en matière de protection sociale a été
créé par le décret n° 2006-1296 du 23 octobre
2006. Placé auprès du ministre chargé de la Sécurité sociale, il regroupe des représentants de l’Etat,
des organismes de Sécurité sociale et des organismes de protection sociale. La composition du
CNLF en matière de protection sociale a été complétée par le décret du 28 février 2007 associant
notamment les directeurs généraux de l’Agirc,
de l’Arrco, de l’Unedic et le secrétaire général de
l’Union nationale des organismes complémentaires d’assurance maladie. Un décret (n° 2008-371)
du 18 avril a placé le CNLF sous la présidence du
Premier ministre (lire p. 54).
Les sanctions
En matière de protection sociale, le décret
n° 2006-1744 du 23 décembre 2006 relatif au
contrôle et à la lutte contre la fraude prévoit que
l’organisme de Sécurité sociale compétent pour
prononcer les pénalités financières (art. L.114-17
et L.524-7 du CSS) est celui qui a supporté l’indu
en cause. Lorsqu’il envisage de faire application
de l’article L.114-17 ou L.524-7, le directeur de
l’organisme le notifie à l’intéressé, en précisant
les faits reprochés et le montant de la pénalité
Daniel Buchet, responsable de la mission « Fraudes » à la Cnaf
« L’arsenal juridique est globalement suffisant »
«L
es dispositions utiles et nécessaires à la lutte contre
la fraude ont été prises. Je pense par exemple
au décret concernant l’évaluation du train de vie,
mesure certes réservée à des cas très limités mais permettant
d’apporter une réponse à certaines situations choquantes, ou
à l’extension de notre droit de communication. Nous pouvons,
depuis la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2008,
demander des informations sur la situation de nos allocataires
à de nouveaux tiers – fournisseurs d’énergie, opérateurs de téléphonie ou d’internet, banques…
Nous avons détecté 3 654 cas de fraudes en 2006. Ce chiffre
représente-t-il la moitié ou un dixième des fraudes ? Nous l’ignorons, mais nous nous engageons en 2008 dans une opération
d’évaluation pour disposer enfin de chiffres objectifs. Nous comptabilisons près de 3 millions de dossiers de régularisation, indu
ou trop-perçu. Ce chiffre est élevé, structurel, lié à la complexité
de notre système de prestations et à la mouvance des situations
des allocataires. Dans cette masse, il est parfois difficile de distinguer les erreurs, les oublis, les négligences des fraudes. Nous
le faisons assurément mieux depuis 2005. En cas de fraude, il est
important de réagir. La sanction doit être adaptée et proportionnée à l’importance de la fraude et à la situation sociale de l’auteur,
si l’on veut qu’elle ait un caractère pédagogique, préventif. Un
simple « rappel à loi » peut suffire. 75 % des fraudes sont liées à
de fausses déclarations, 21 % sont caractérisées par la production de faux documents et 4 % relèvent de l’escroquerie.
En 2006, 200 peines d’emprisonnement ont été prononcées
suite à des dépôts de plainte de caisses d’allocations familiales.
Il s’agissait le plus souvent de délits importants : faux, usages
de faux et escroquerie. Dans la plupart des cas, ces peines sont prononcées avec
sursis, même si dans les
« 75 % des fraudes situations les plus grasont liées
ves, la prison ferme est
à de fausses
requise. Ce fut notamdéclarations,
ment le cas lors de
4 % relèvent
de l’escroquerie. » l’affaire de la déclaration dans dix-sept CAF
de faux quintuplés : la
mère a été condamnée en mai 2007 à cinq ans
de prison ferme et 150 000 euros de dommages et intérêts. Cette création d’identités fictives devrait disparaître grâce au répertoire
national des bénéficiaires, puisque le numéro d’identification au répertoire des personnes physiques est systématiquement vérifié. S’il
n’est pas répertorié, une vérification de l’état civil
est menée. »
J. BER
62 - LA GAZETTE SANTÉ-SOCIAL
N° 41 - Mai 2008
➤
UN PHÉNOMÈNE LIMITÉ
Le 6 décembre 2007, Frédéric van Roekeghem, directeur de la Cnam, a annoncé 206 millions
d’euros d’économies réalisées grâce à la lutte contre la fraude ces deux dernières années, alors
que « seuls 13 millions d’euros de fraudes avaient été détectés en 2005 ». Le risque de fraude
est toutefois évalué à seulement 1 % des dépenses d’assurance maladie. En 2007, la Cnam
a concentré ses contrôles sur les arrêts de travail abusifs (34 millions d’économies depuis
deux ans), le contrôle des tarifs pratiqués par les établissements (70,7 millions) et la prise en
charge d’opérations de chirurgie esthétique (13,7 millions). La Cnam annonce en 2008 des
contrôles renforcés en matière de transports sanitaires, de facturation des établissements pour
personnes âgées… La Cnaf évalue pour sa part à 35,1 millions le montant des fraudes en 2006,
pour 64 milliards de prestations versées aux allocataires (prestations légales et action sociale
familiale). Ces chiffres étaient respectivement de 21,5 millions et 61 milliards en 2005. Le
14 mars 2008, le haut commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté, Martin Hirsch,
dans un entretien au Généraliste, précisait à propos de la CMU : « Il faut une politique contre
la fraude sociale ou fiscale, mais je suis contre la stigmatisation de la fraude la plus facile à
dénoncer. Et puis, quand un système est contourné, c’est souvent qu’il a été mal conçu ».
encourue, et en lui indiquant qu’il dispose d’un
délai d’un mois à compter de la réception de la
notification pour demander à être entendu, s’il
le souhaite, ou pour présenter des observations
écrites. Après réception des observations écrites,
ou après audition de la personne dans les locaux
de l’organisme, ou à l’issue du délai d’un mois à
compter de la notification restée sans réponse, le
directeur peut décider de poursuivre la procédure, selon des modalités précisées par décret. Le
texte donne une échelle des pénalités en fonction
de la gravité des faits reprochés.
Le décret n° 2006-1612 du 15 décembre 2006 fixe
le seuil du montant au-delà duquel les directeurs
des organismes de Sécurité sociale et des organismes admis à encaisser des cotisations, ou à servir
des prestations au titre des régimes obligatoires
de base, peuvent se constituer partie civile lors
de leur dépôt de plainte. Pour les prestations des
branches maladie et accidents du travail et maladies professionnelles, le seuil est fixé à trois fois
le montant du plafond mensuel de la Sécurité
sociale (8 319 euros) applicable au moment des
faits ou, lorsqu’elle s’est répétée, à la date du début de la fraude. Pour les prestations des branches
famille et vieillesse, le seuil est égal à 11 092 euros,
dans les mêmes conditions. Enfin, pour le recouvrement des cotisations et contributions, il est de
22 184 euros.
Depuis 2007, chaque CAF peut ainsi, dans le
cadre d’une procédure contradictoire, sanctionner les fraudeurs en leur infligeant une pénalité
proportionnelle à la gravité des faits, selon un
barème établi par la Cnaf. Cette pénalité est prononcée par le directeur de la CAF, après avis d’une
commission constituée au sein de son conseil
d’administration. La personne mise en cause
peut faire valoir ses arguments dans un délai
d’un mois. En l’absence de paiement dans le délai
prévu par la notification de la pénalité, le directeur envoie à l’intéressé une mise en demeure de
payer dans le délai d’un mois. Celle-ci ne peut
concerner que des pénalités notifiées dans les
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deux ans précédant son envoi. En cas de mise en
demeure restée sans effet, le directeur peut délivrer une contrainte qui, à défaut d’opposition du
débiteur devant le tribunal des affaires de Sécurité
sociale, comporte tous les effets d’un jugement et
confère le bénéfice de l’hypothèque judiciaire.
Pour l’allocation de parent isolé (API), le montant de cette pénalité ne peut excéder 3 000 euros
(art. 524-7 du CSS). Aucune pénalité ne peut être
prononcée lorsque la personne concernée a, pour
les mêmes faits, déjà été définitivement condamnée par le juge pénal ou a bénéficié d’une décision définitive de non-lieu ou de relaxe. Si une
décision de non-lieu ou de relaxe intervient postérieurement au prononcé d’une pénalité par le
directeur de la caisse, la révision de cette pénalité est de droit. Si, à la suite du prononcé d’une
pénalité par le directeur de la caisse, une amende
pénale est infligée pour les mêmes faits, la pénalité s’impute sur cette amende. En cas de préjudice supérieur à 11 092 euros (art. L.114-17 du
CSS), la CAF doit déposer plainte et se constituer
partie civile auprès du procureur de la République. Le prononcé de pénalités ne se cumule pas
avec le dépôt de plainte. Selon la Cnaf, trois fraudes sur quatre sont sanctionnées par une amende,
une sur quatre fait l’objet d’une poursuite pénale.
En 2006, environ 200 peines d’emprisonnement
ont été prononcées pour fraude aux allocations
familiales.
LA JURISPRUDENCE
Le 13 février 2007, le tribunal correctionnel de
Paris a prononcé une peine de deux ans de prison
ferme pour fraude aux prestations sociales. M. G.
a été condamné pour faux, usage de faux en écriture et escroquerie aux Assedic et à trois CPAM,
à quatre ans d’emprisonnement, dont deux ans
avec sursis. Il doit rembourser 106 500 euros aux
Assedic et 37 500 euros aux trois CPAM. M. G.
créait des dossiers fictifs d’Assedic permettant à
de faux salariés de percevoir des allocations sociales suite à des déclarations de licenciement ou
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d’accident de travail. Ces personnes achetaient
des dossiers complets, ou rétrocédaient un pourcentage des allocations sociales. Elles ont aussi été
condamnées à des peines de prison avec sursis.
Les tribunaux cherchent de plus en plus souvent à voir si les fausses déclarations ne s’apparentent pas à des escroqueries. La Cour de cassation a ainsi annulé un arrêt de la cour d’appel de
Caen du 29 janvier 2007, dans la procédure suivie
contre Mme X, accusée de fausse déclaration pour
obtenir des allocations d’aide aux travailleurs privés d’emploi. L’arrêt s’était prononcé sur les intérêts civils sans reconnaître d’infraction pénale.
Pour la Cour de cassation, « le versement des allocations d’aide aux travailleurs privés d’emploi
a été déterminé par des moyens frauduleux […]
qu’en omettant de rechercher si les faits reprochés
à Mme X ne pouvaient pas être qualifiés d’escroquerie au sens de l’art. 313-1 du Code pénal, la
cour d’appel a violé les textes visés ».
L’article 313-1 du Code pénal prévoit que « l’escroquerie est le fait, soit par l’usage d’un faux nom
ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou
morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice
ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds,
des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un
service ou à consentir un acte opérant obligation
ou décharge ». Elle est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.
Les mêmes conclusions ont été adoptées dans
une affaire similaire par la Cour de cassation le
même jour (n° 07-81397). En l’espèce, le bénéficiaire des allocations d’aide aux travailleurs privés
d’emploi, n’avait pas déclaré à l’Assedic l’exercice
d’une activité professionnelle. ■ Hélène Delmotte
REPÈRES
◗ Loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007
de financement de la Sécurité sociale pour 2008.
◗ Loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006
de financement de la Sécurité sociale pour 2007.
◗ Loi n° 2004-1370 du 20 décembre 2004
de financement de la Sécurité sociale pour 2005.
◗ Décret n° 2008-365 du 16 avril 2008
(système de transfert de données sociales).
◗ Décret n° 2008-88 du 28 janvier 2008
(évaluation du train de vie).
◗ Décret n° 2007-972 du 15 mai 2007
(suspension des remboursements).
◗ Décret du 28 février 2007 relatif au Comité national
de lutte contre la fraude en matière de protection
sociale.
◗ Décret n° 2006-1744 du 23 décembre 2006
relatif au contrôle et à la lutte contre la fraude.
◗ Décret n° 2006-1612 du 15 décembre 2006
(dépôt de plainte).
◗ Décret n° 2006-1296 du 23 octobre 2006
créant un Comité national de lutte contre la fraude
en matière de protection sociale.
◗ Décret n° 2005-1624 du 22 décembre 2005
relatif au suivi de la recherche d’emploi.
LA GAZETTE SANTÉ-SOCIAL -
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