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miguel torga,
écrivain universel
avant-propos
de Eduardo Lourenço
LA DIFFÉRENCE
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LIMINAIRE
par João Pedro Garcia
Le Centre culturel Calouste Gulbenkian de Paris a
organisé, pour commémorer le centenaire de la naissance de
Miguel Torga, un colloque international dont les contributions
sont désormais disponibles pour le lecteur français.
En tant que directeur du Centre, je tiens à adresser mes
plus chaleureux remerciements aux personnalités suivantes :
Carlos Mendes de Sousa, pour avoir coordonné le colloque
avec efficacité, simplicité et patience ; Clara Rocha, fille
de Miguel Torga et Professeur à l’Université Nouvelle de
Lisbonne, qui a participé au projet depuis le début et nous a
grandement aidés par son enthousiasme et ses conseils
précieux ; Catherine Dumas, de l’Université de Paris III,
qui a accepté de revoir l’édition française des textes ; et Maria
Teresa Salgado, à qui l’on doit l’organisation matérielle de
l’événement et de la présente publication.
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AVANT-PROPOS
LA VIGNE DU SEIGNEUR
par Eduardo Lourenço
A inquietação que me traz cada livro ! Mas, com
todos os riscos, prefiro assim. Tudo, menos ser um
escritor demitido, um artista que desistiu da sua chama
de criador. Da chama que o ilumina… e o queima
Diário, 28/7/1949
Posso imaginar-me tudo, porque não sou nada. Se
fosse alguma coisa, não poderia imaginar. O ajudante
de guarda-livros pode sonhar-se imperador romano ; o
rei de Inglaterra não o pode fazer, porque o rei de
Inglaterra está privado de ser, em sonhos, outro rei que
não o rei que é. A sua realidade não o deixa sentir
Bernardo Soares, Livro do Desassossego
La théorie des « deux corps du roi », inventée par une
historiographie autre, convient comme un gant à l’auteur de
Bichos (Arche) qu’aujourd’hui nous commémorons ou évoquons en commun dans cette ville de Paris qui ne fut pas
pour lui celle de « son cœur » ni de sa passion, comme pour
Sá-Carneiro, mais celle d’une visibilité tardive. Comme dans
cette vision des deux « corps du roi », forgée ou ritualisée en
plein absolutisme pour son aptitude à comprendre l’essence
de la royauté et de sa fonction, Torga est, en osmose profonde, sa réalité, son corps écrit, ou son affirmation en termes
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de force et de volonté – et son « mythe » qui ne naît pas tant
de son œuvre qu’il ne la précède. Peut-être parce que, très
tôt, Torga s’est su ou s’est voulu un « prédestiné ». À quoi
donc ? Sans doute à être l’une de ces figures de vitrail, cette
espèce d’êtres à part, uniques, destinés à éclairer le chemin
des autres comme un Moïse à qui il s’identifiera dans le poème
mythique et mythifiant le plus célèbre de tous ceux où est
confirmée et glosée itérativement cette figure prophétique.
Prophète de soi-même, comprenons-nous bien, en son nom
propre ou à travers les multiples masques ostentatoires où
nous le reconnaissons, Job, Jonas, Lazare. Figures que nous
trouvons précocement dans ce qui fut le Livre-unique du poète
de Outro Livro de Job, reçu des mains de sa mère, la Bible.
Je ne sais s’il y apprit à lire, comme Sophia de Mello
Breyner Andresen dans l’Odyssée. Sans ce texte, supplément sacré, comme parole de Dieu et comme texte de poésie et de fiction sans pareil dans notre Occident, son œuvre
n’a pas de lecture possible. Ou seulement la lecture « naturaliste » évidente que son livre le plus salué a voulu
configurer. Ce n’est pas autre chose que la version pour
« humain » ou pour « vivant » de l’histoire divine qui est
dans le texte sacré la parole d’autrui, voix d’un Autre, transcendance absolue, et, dans ce texte, est impérativement et
énigmatiquement proposée ou s’y révèle. Cette naturalisation du texte sacré, elle est certainement depuis longtemps
sur le chemin de notre tradition occidentale – et notre littérature n’est, tout bien vu, pas autre chose que cette permanente transsubstantiation du « verbe divin » en « verbe
profane » et, en filigrane, cette recréation du texte sacré en
des termes de plus en plus profanes, ou plutôt simplement
humains. C’est ce qui se reflète clairement, en surface, dans
l’œuvre de Torga et, ostensiblement, dans la version autobiographique déclarée sous le titre superbe de La Création
du monde. Titre superbe à la superbe innocence ; Torga s’y
assume comme le créateur de lui-même, ou plus précisément
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et plus justement, comme un « être humain » qui n’a pas
d’essence ou, s’il en a une, c’est celle d’inventer son existence qui n’est qu’une donnée en attente d’un nom que seule
notre vie lui confère. Mais il anticipe jusque dans ce projet,
et s’anticipe lui-même. En changeant son nom de baptême,
Torga a eu la conviction que ce nouveau baptême faisait de
lui « le créateur de soi » et que ce défi – être Torga – allait
constituer dorénavant son destin paradoxal pour anticiper
en lui ce que personne n’est certain d’atteindre.
Cette assomption réitérée d’un soi comme « créateur
de soi-même » n’est pas une prétention vaine ou grotesque
de quelqu’un qui réellement, à un moment donné, a cessé
de croire puérilement dans le Dieu de son enfance. Quelqu’un qui s’émancipe, décidant une fois pour toutes, comme
certains d’entre nous l’ont fait au long des siècles, de rayer
Dieu de son esprit, ou du moins de penser et d’agir comme
s’il n’existait vraiment pas ou que son incompréhensible
existence n’avait rien à voir avec notre vie. Cependant, cette
dénégation iconoclaste de Dieu n’a jamais été – si ce n’est
comme simple jeu poétique ou fictionnel – la vision de
Torga. Il vaudrait mieux dire la vision de la culture où Torga
est né, où il est enraciné, qui donne un sens et une autre
dimension à la vie de tous les jours et qui a l’épaisseur des
siècles. En somme, la nôtre, celle de cette époque-là, à nous
pour qui, et nous n’étions pas rares, la « mort de Dieu »,
par la suite tellement banalisée, était déjà vécue comme un
signe d’émancipation de toute référence transcendante, remplacée par l’acceptation du monde tel qu’il est donné.
Torga n’était ni un théologien ni un philosophe, mais son
éducation chrétienne laissera en lui une marque indélébile. Il
aurait pu recevoir – dans son enfance, parmi nous, l’atmosphère culturelle qui se reflétait à l’école et qui avait déjà un
arrière-goût de laïcité chez les classes illustrées des villes –
un enseignement marginal ou étranger à des siècles de tradition chrétienne, mais ce ne fut pas le cas. L’« inscription
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religieuse », on la respirait dans l’air, dans les voix, dans la
topographie du monde, rustique à l’extérieur, religieux à
l’intérieur, au sens le plus archaïque du terme, où c’était
moins une prise de conscience du dogme abstrait qu’une
mythologie vécue, une règle de vie et un impératif social.
Notre vocabulaire, en lui-même, est une réitération du rituel
linguistique d’origine religieuse. De cette religiosité d’un village portugais, buvant à une source païenne encore si visible
et qui résiste aux sublimations théologiques incompréhensibles, Torga a hérité la religiosité « tellurique, viscérale, organique ». Celle qui, dans le nom de Dieu, allait prendre tout
d’abord la forme d’une énigme, avec quelque chose de paternel, et plus tard celle de la Présence tyrannique que l’on
interpelle et convertit en interlocuteur de choix à qui l’on
demande des comptes du monde qu’il a créé, de l’être sorti
de ses mains. Il ne cessera d’avoir dans son imaginaire cette
image de Vieillard des temps sorti d’un nuage, celui qui modèle la glaise humaine et surgit d’un simple geste, comme à
la Sixtine où il le contemplera un jour, extasié.
Dans la droite ligne d’Antero de Quental, de Junqueiro,
de la contestation de plus en plus radicalisée de l’image de
Dieu inculquée par des siècles de théologie et de pratique
effective et affective de notre catholicisme, respirant l’air du
temps pour qui cette référence deviendra de plus en plus un
mythe poétique incompréhensible ou anachronique dont les
mânes conjuguées de Darwin, Marx et Freud firent fi, Torga
et sa génération avaient presque tout ce qui était nécessaire
pour s’assumer en tant qu’authentiques poètes de « la mort
de Dieu ». Mais ils n’allèrent jamais bien au-delà de l’ironie
douloureuse d’Antero envers Jéhova ou de l’anticléricalisme
de ce même Antero que parodiera burlesquement Junqueiro
dans Velhice do Padre Eterno. Ce n’est chose possible que
dans un imaginaire catholique aussi infantilement anthropomorphique que le nôtre et dialectiquement remplacé par une
nouvelle image du Christ coupée de la mythologie dont
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l’église l’avait défigurée, incarnation suprême d’une sainteté rédemptrice et humaine. Parmi nous, la contestation et
la démolition poétique de Dieu-Jéhova ont servi à séparer
le religieux de son lien historique avec le Pouvoir et de son
compromis avec tous les ordres, mais non pas pour reléguer le Christ au rôle de « voleur d’énergies », à la Rimbaud, et encore moins à l’image-symbole de la négation de
la vie comme la comprendra Nietzsche. Elle n’a jamais été
effective au Portugal, cette froideur, cette glaciation de
l’image divine. Cette biffure ne concerne pas le Seigneur
qui pendant deux mille ans avait donné un sens aux valeurs
de la société appelée chrétienne, mais son essence réduite à
la « négation du monde », à la contestation radicale de ce
monde, de son humanité, comme ayant en soi son union,
suffisante et épique, raison d’être entièrement étrangère à
l’illusion de « mondes de l’au-delà », où son essence de vie
maudite ou dénuée de sens se rachètera d’elle-même. Elle a
affleuré avec une note darwinienne chez Aquilino, elle est
latente dans « l’humanisme prométhéen et lyrique » de
Torga ; mais, chez aucun d’eux nous ne trouvons un
« athéisme » assumé, si ce n’est comme une manière d’aborder poétiquement le problème pour convaincre Dieu d’être
naturel, comme il l’était dans sa version païenne. Ou bien
d’être à nouveau ce Père qui, pour des raisons mystérieuses, l’a abandonné, et c’est là l’un des points les plus obscurs de la mythologie claire de Miguel Torga.
Depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à Torga (avec Pessoa
quelque part au milieu), la contestation poétique de Dieu ou
d’un Dieu transcendant, d’un Dieu réalité, par définition surnaturel, en somme, cette entité à qui s’adresse depuis des
millénaires la prière humaine en sollicitant ce que nos pouvoirs n’obtiennent pas, ou les louanges, quand les humains
croient qu’elle les comble de biens comme Job après la tempête, correspond à un mouvement souterrain du « retour des
dieux » auquel rêvera Pessoa. C’est une religiosité qui n’est
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pas d’un type nouveau, mais qui est nouvelle parce qu’elle
est refus ou biffure du transcendantalisme ingénu ou justifié
de la religion traditionnelle. Bien que n’étant pas la crête de
la vague de ce mouvement, Torga en est l’expression la plus
religieuse, comme la croisade humaniste de toute son œuvre,
et d’une façon militante – celle qui est représentée par sa
Poésie –, il l’exprime.
On pourrait relier le sens de cette paradoxale croisade,
de ce prêche poétique d’une « religion naturelle » à une Ode
de 1946 idéalement païenne dans son intention et toujours
« christique » dans ses images d’Orphée, mythe très tôt investi par Torga :
Eis-me nu e singelo !
Areia branca e o meu corpo em cima,
Um puro homem, natural e belo,
De carne que não peca e que não rima.
[…]
Dançam toninhas lúdicas no céu
Que visitam ligeiras e felizes ;
Uma força sonâmbula as ergueu
Mas seguras à seiva das raízes.
Nem paz, nem guerra, nem desarmonia ;
O sexo alegre, mas a repousar ;
Em pleno, largo e caudaloso dia,
Sem horas e minutos a passar.
Vem até mim, onda que trazes vida !
Soro de redenção !
Vem com o sangue doutra mãe pedida
Na hora de dar mundo ao coração.
Ici, comme dans d’autres poèmes où domine la tonalité
lyrique, affleure par simple contraste la note contestataire
qui a très tôt institué le poète en figure de Job interpellant
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Dieu sur le mal du monde. Et il fait partie de la mythologie
personnelle de Torga, ce baptême d’Orphée Rebelle, du nouveau Job insoumis – et même indigné – du monde qu’a créé
Dieu et du destin qui l’a bibliquement conditionné en le plaçant dans un Paradis pour qu’il décide de sa perdition. Dieu
est-il le tentateur suprême ? Une telle tentation ne se réduit
pas à un dialogue/soliloque au contour ambigu, très tôt souligné par Torga dans l’un de ses poèmes les plus célèbres :
Aqui, diante de mim,
eu, pecador, me confesso
de ser assim como sou.
Il assume avec une sorte de complaisance sarcastique sa
condition de pécheur que, toute métaphysique soit-elle, il
désigne et accepte. Il assume de devoir payer sa rébellion,
sa revendication en somme d’une plénitude humaine, d’une
autonomie face au Créateur – coupure du cordon ombilical
sous notre responsabilité. Mais Torga ne serait pas Torga s’il
renvoyait toute cette histoire sainte qu’enfant il a apprise dans
la Bible au rang de pure fiction ou d’allégorie. Ou bien même,
à la plus subtile des inventions d’une histoire bien à nous
avec l’« Ennemi du genre humain », le Diable.
Avant lui, la scène où la tragédie ou le drame humain se
révèlent à eux-mêmes comme dilacérant la substance humaine
était montée, et ce n’est pas Torga qui allait la déserter. Sa
dépendance ou son osmose littéraire et mystique avec le texte
biblique sont du même ordre que celles de Régio qui allait
vite finir par reconnaître la « grandeur de Dieu », se torturant
sans fin parce qu’il sait qu’une distance infinie le sépare, le
séparera ou nous sépare pour toujours de cet Absolu, à la fois
évident et hors d’atteinte. Torga fait du même texte une lecture différente. Ou plutôt, tel qu’il était, il a lu ce texte dans
son propre texte, réclamant et refusant cette omnipotence d’un
autre qui le laisserait, lui (et nous), sans une réalité digne de
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ce nom, même promise non à un Néant que crée l’ombre de
Dieu lui-même, de son absence, mais à un Homme qui le
résume et qui concentre en lui le sens de la Vie.
Torga fera tout cela, non seulement sous la figure de l’Orphée de la Poésie comme Verbe du monde, mais en tant que
nouveau Christ « prédicateur de la bonne nouvelle humaine »
et qui serait également un Zarathoustra à la portugaise, si le
contenu réel de son message n’était toujours découpé dans
la mythologie même du Christ en personne, comme il le
programme dans ce poème presque prophétique :
Missão
Anda a pregar a boa nova humana,
A salvação eterna neste mundo.
Anda a pregá-la, bárbaro e sozinho,
Perseguido por César, por Deus.
Não lhe juncam de palmas o caminho,
Nem é rei dos judeus.
É um pocesso da vida
Faz os milagres com as mãos e os pés,
E explica-os no fim.
Abram-lhe as veias, se não acreditam
Que todas as verdades que palpitam
São assim.
L’Évangile (humain) selon Torga – comme dans un autre
sens celui de Saramago après lui – est moins sulfureux –
disons hérétique – que la banale bigoterie de notre patrie,
comme il l’a lui-même parfois laissé entendre, ou aurait
désiré qu’on le comprenne. Quelque part, entre l’héritage
de Rousseau et celui de Nietzsche, sa « religiosité congénitale » et son paganisme virtuel – le paganisme est un excès
de dieux – se répand, se divinise et se sublime dans sa célébration d’une Nature érotiquement assimilée à la Mère, dans
une volonté de communion réellement vécue, extasiée ou
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épouvantée, si sincèrement assimilée à la matière de son
être que communier avec elle, c’est se sentir éternel. Et au
moins, dans ces moments d’extase comme dans ceux de la
Promenade de Rousseau, il oublie l’angoisse qui est le fond
de l’existence et accède à un Paradis jamais perdu, toujours
présent malgré la fable sainte qui depuis sa jeunesse lui a
servi de référence :
Não sei que tem a luz da Primavera
Que me embebeda !
Será que eu bebo por telepatia
A alegria
Da vinha que há-de vir !
Embriagado, ando de certeza
A cair
Só de ver outro Sol na natureza.
La Nature fut son unique idole, devant qui il s’agenouilla
comme Catarina dans son roman orgiaque Vendange devant
le fétiche lusitanien. Mais, à son tour, cette Nature était la
mort d’un Dieu ambigu, éblouissant et terrifiant, le « dieu »
qu’il a lui-même osé se supposer dans les moments où la
Poésie l’a touché, faisant de lui ce poète iconoclaste qui s’est
voulu si ostensiblement rebelle, pour qu’un Dieu l’entende
et l’aide à mieux supporter sa solitude viscérale :
Canto a ver se o meu canto compromete
A eternidade no meu sofrimento.
Il l’a sûrement compromise, cette éternité, en quelque
chose, sinon nous ne serions pas ici pour l’évoquer.
Paris, le 16 octobre 2007
(Traduit par Catherine Dumas)
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INTRODUCTION
par Carlos Mendes de Sousa
Ce volume rassemble les textes des communications présentées au colloque Miguel Torga, qui a eu lieu à Paris les 17
et 18 octobre 2007, au Centre culturel Calouste Gulbenkian.
Cet hommage à Miguel Torga a pris une signification symbolique très particulière, Bichos, le premier ouvrage de l’auteur
traduit en France et publié sous le titre Arche, ayant paru
justement avec l’appui du Centre, dans une coédition avec les
Presses universitaires de France. La traduction de Bichos est
due à Claire Cayron, dont j’aimerais saluer ici la mémoire ;
son nom est intimement associé à la diffusion de l’œuvre de
Torga en France car elle en a traduit la quasi-totalité. Je tiens
à rendre hommage à son travail, marqué par un dévouement
et une fidélité exemplaires à l’écrivain portugais.
Arche a été publié en 1980. La décennie suivante a été un
moment fort en ce qui concerne la diffusion de l’œuvre de
Torga en France. Les traductions se sont succédé et les titres
publiés ont obtenu un succès critique considérable dans la
presse et les revues spécialisées. Cette reconnaissance s’est
accompagnée, du point de vue institutionnel, d’une série
d’hommages, de décorations et de prix accordés au poète.
Rappelons que Miguel Torga a été fait officier dans l’ordre
des Arts et Lettres par le président de la République François
Mitterrand, le 2 juin 1989.
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Dans la correspondance passive de l’écrivain, nous trouvons une lettre datée de 1988, dans laquelle le ministre de
la Culture de l’époque, Jack Lang, invite Torga à participer à une manifestation consacrée à la littérature portugaise
contemporaine, « Les Belles Étrangères ». Jack Lang lui
écrit en ces termes : « Votre présence aurait une valeur symbolique très importante pour le public français pour qui vous
incarnez le Portugal. »
Nous sommes très souvent frappés par les témoignages
de lecteurs étrangers auxquels Torga a fait découvrir le Portugal. Il en est de même pour beaucoup de Portugais, ou
d’enfants de Portugais vivant à l’étranger, qui, pour des raisons diverses, ont trouvé dans les livres de Torga le moyen
de mieux connaître leur pays. Les deux journées du colloque, ainsi que les ateliers réalisés le 16 octobre, sous la direction de M. le Professeur José Manuel Esteves, nous ont
rapprochés de cette présence vivante. Ils nous ont donné à
voir le portrait d’un Portugal qui demeure, qui n’a pas disparu, et que l’œuvre de Torga configure littérairement dans
un très vaste tableau.
Tout près d’atteindre le terme de son œuvre, l’auteur écrit
dans le quinzième volume de son Journal : « Le Portugal.
C’est en cherchant à le comprendre que j’ai compris quelque
chose de moi » (Coimbra, 29 juin 1988). Cette quête incessante prend de multiples formes et se projette de façon marquée sur la production autobiographique (sujet de plusieurs
communications). Elle se manifeste dans l’extraordinaire expérience de vie que La Création du monde reconstruit et recrée, de même que dans les pages du Journal, impressionnant
registre de la mémoire du temps intime, ainsi que de la mémoire du temps historique, politique, social et culturel de plus
d’un demi-siècle. L’autoportrait se confond avec le portrait de
la patrie, comme l’énoncent ces deux très beaux vers du poème
« Portugal », dans le tome X du Journal : « Avivo no teu rosto
o rosto que me deste, / E torno mais real o rosto que te dou. »
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Le projet littéraire de Miguel Torga s’est formé très tôt
sur l’idée de la représentation du Portugal, à partir d’une
forte conviction que le local comporte la plus profonde expression de l’universel, dont le but final est de toucher à
l’essence de l’humain. C’est ainsi que doivent être compris
son programme sur la dimension ibérique et sa réflexion
sur le mode portugais d’exister. En 1942, Torga notait dans
le deuxième volume du Journal : « Ce n’est qu’après avoir
bien évalué ses caractéristiques particulières et après les
avoir trempées dans le grand feu universel, que l’on peut
être en même temps citoyen de Trás-os-Montes et citoyen
du monde. » Sophia de Mello Breyner Andresen a trouvé la
juste formule, lorsqu’elle a affirmé que Miguel Torga est
« un poète qui grâce à une conscience passionnée de son
pays natal nous apprend à chercher la vérité universelle de
notre habitation humaine du terrestre ».
Au cours de l’année 2007, ayant participé à plusieurs
manifestations célébrant le centenaire de Miguel Torga, j’ai
compris à quel point un acte commémoratif ne se limite pas à
la lettre morte dictée par le calendrier. Je peux témoigner de
la fascination que l’exemple civique de l’écrivain, la diversité
de son œuvre et son écriture ciselée continuent à susciter.
L’adhésion de nombreux lecteurs, surtout des jeunes, prouve
de façon éclatante l’extraordinaire vitalité de l’œuvre.
Le colloque du Centre culturel Calouste Gulbenkian a
constitué, sans aucun doute, un moment très fort des commémorations du centenaire de l’écrivain, du point de vue
de la diffusion de son œuvre en dehors du Portugal. Sur les
rayons des librairies de Paris, dans les secteurs de littérature de langue portugaise, nous constatons que les traductions des livres de Torga n’ont pas disparu. Je crois
sincèrement que l’excellente collaboration que les essayistes et professeurs ont apportée à ce colloque pourra susciter
chez les lecteurs français l’envie de revisiter l’œuvre d’un
des plus grands écrivains portugais du XXe siècle.
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Je ne terminerai pas sans exprimer toute ma gratitude à
M. Emílio Rui Vilar, président de la Fondation Calouste
Gulbenkian, à qui nous devons l’initiative de cet hommage à
Miguel Torga, pour l’invitation qu’il m’a adressée. Organiser
scientifiquement ce colloque international consacré à l’œuvre
de Miguel Torga a été pour moi un très grand plaisir.
Je souhaite également remercier M. João Pedro Garcia,
directeur du Centre culturel Gulbenkian, pour son appui,
ainsi que Mme Maria Teresa Salgado, coordinatrice du
Centre, avec laquelle j’ai travaillé en étroite collaboration
pendant plusieurs mois.
Je tiens à souligner l’appui inconditionnel de Clara
Rocha et à lui témoigner publiquement ma reconnaissance
pour avoir mis à notre disposition des matériaux inédits pour
l’exposition présentée dans le cadre du colloque (photos,
documents personnels de Miguel Torga, lettres adressées à
l’écrivain, premières éditions et manuscrits de poèmes).
Je remercie aussi Mme le Professeur Cristina Robalo
Cordeiro, directrice de la Maison-musée Miguel Torga,
d’avoir autorisé la reproduction dans ce volume de quelques
photos appartenant aux archives de l’écrivain. Et je remercie
enfin la directrice régionale de la Culture, Mme Helena
Gil, qui a pourvu à la numérisation des images (réalisée
par le photographe António Pinto) pour l’exposition biobibliographique commémorant le centenaire de Miguel
Torga, et qui a bien voulu nous les céder pour les actes du
colloque.
(Traduit par Clara Rocha)
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Ouvrage publié avec le concours du Centre culturel Calouste
Gulbenkian à Paris.
© Fundação Calouste Gulbenkian, 2009.
© SNELA La Différence, 30 rue Ramponeau, 75020 Paris, 2009,
pour la présente édition.
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