La vérité selon Grand-mère

Transcription

La vérité selon Grand-mère
La vérité selon Grand-mère
L
es portières de la voiture claquèrent. Quatre policiers
en uniforme se dirigèrent vers la maison. Le chien se
précipita sur eux en aboyant. La femme qui le tenait en
laisse avait du mal à le contenir.
– Retenez votre chien, madame.
– Grand-mère ! Au pied !
La bête aboyait de plus en plus fort.
– On dirait qu’il connaît cette maison, chef !
– Forcément qu’il la connaît ! C’est sa maison.
– Vous connaissez son maître ?
– Ch’t’homme-là, dans le quartier, c’était ch’Dieu ! Sauf pour Grandmère ! Quand je l’ai recueillie, elle avait plus que la peau et les os !
Les assassins, c’est toujours comme ça : « Il était si gentil ! Il aurait
pas fait de mal à une mouche ! Comment imaginer qu’il découperait sa
femme en morceaux ! » Vous descendez d’la lune, ma parole ! Ça pue
l’cadavre !
– Comment savez-vous qu’il l’a découpée en morceaux ?
– Il a eu peur que ch’cadavre se réveille ! Allez, Grand-mère, on reste
pas là. Ça sent la mort.
– Très bonne idée, madame. Circulez…
Le chien aboya de plus belle.
– Grand-mère, elle aime pas qu’on lui crie dessus. Changez d’ton,
messieurs les poulets !
– Vos papiers, madame, s’il vous plaît.
La femme se pencha sur la bête.
– Attention, chef, elle va lâcher le clébard !
– Vous voulez mes papiers ou pas !
La femme prit un papier dans un cylindre fixé sur la laisse de Grandmère.
– Lisez ça. Ça vous aidera à comprendre la mentalité de l’assassin.
Le policier déplia la feuille de papier.
– « La fée fit remonter le temps, le temps d’un simple instant, moment
magique et émouvant, tellement heureux de cet adieu. Il est l’heure de
s’envoler pour un passage dans le présent. Je laisse le passé derrière
moi. J’avancerai, quoi qu’il en soit. Un jour, tu sais, petite fée, tu
seras libérée, désenchantée, pour avancer vers ce destin que tu auras
mérité. » C’est quoi, ces conneries ?
– Des conneries ! T’entends ça, Grand-mère ? C’est la clef du
mystère !
Le chien aboya en rafale.
– Ce type était obsédé par des rêves de super-pouvoirs. Il nous en a
parlé un soir qu’il était carrément bourré. Il voulait être invisible, voler
comme un oiseau, remonter le temps pour dire au revoir à ses parents,
effacer les souvenirs mauvais, devenir un prince des ténèbres. Et
pourquoi pas retourner dans le bidon à sa môman ! Comme les bonnes
fées s’étaient pas penchées sur son cerveau, il s’est rabattu sur le seul
qui était à sa portée : ôter la vie à une pauvre fille qui se trouvait là au
mauvais moment.
La femme arracha le papier des mains du policier.
– Un jour, tu sais, petite fée, tu seras libérée, désenchantée, pour
avancer vers ce destin que tu auras mérité. Comme si quelqu’un pouvait
mériter de finir découpé comme un poulet… On ne vous apprend pas la
psychologie, à l’école de Police ! Si vous creusez la cave, ch’suis d’avis
que vous en trouverez d’autres…
– D’autres quoi ?
– Des cadavres, ch’bourricot ! Allez, Grand-mère, on se tire d’ici ! On
va remonter le temps avec Tatie Georgette. Essayer de se souvenir de
belles choses. Messieurs les poulets, salut !
Amiens, 22 mai 2015
Jean-Jacques, Florine, Frédéric, Marc, Marie-Agnès, Sophie, Sylvie.
Illustration André Zetlaoui.
Leitura Furiosa est organisée par l’association Cardan, les bibliothèques d’Amiens Métropole, la Maison de la culture d’Amiens, Bulles de théâtre, A Casa da Achada à Lisbonne, le Museu Serralves et Hélastre
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