la methode des groupes focalises (focus groups)
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la methode des groupes focalises (focus groups)
LA METHODE DES GROUPES FOCALISES (FOCUS GROUPS) APPLIQUEE A L’ETUDE DES PROBLEMES DE LA CONTRACEPTION DANS LES CERCLES DE KAYES - MOPTI ET LE DISTRICT DE BAMAKO - MALI AMIGA M.(1) - SANOGO N.(2) - DOUCOURE A.(3) - JOHNS N.(4) RESUME La méthode des groupes focalisés, appliquée à l’étude de la contraception au Mali, consiste à re n d re des groupes de population cible homogènes au niveau de l’âge, du sexe et de l’appartenance culturelle pour discuter et proposer des approches à des problèmes comme la sexualité du couple ou sa fécondité. Il est rapporté des résultats sur l’abstinence des hommes au cours de la période du post-partum, comme moyen de contraception en milieu rural ; parce que la contraception moderne y est absente. Mots-clés : Focus groups, contraception, fécondité, Mali. 1. INTRODUCTION Il s’agit à notre connaissance, d’une “première” expérience au Mali pour l’étude des conditions sociales et culturelles de la fécondité, par la méthodologie de “focus groups” utilisée dans le domaine du marketing. Cette méthode qualitative, bien que très riche en enseignement par elle-même, représente pour nous, un préalable et un complément à une analyse quantitative à laquelle elle ne saurait se substituer. L’idée force de cette méthode est de stimuler les participants à exprimer des opinions personnelles et originales, à faire partager ou confronter leur propre expérience. Les risques sont d’autant plus importants que les thèmes abordés se rapportent à la fécondité et à la sexualité. L’animateur ou l’animatrice doit : - être du même sexe que les membres du groupe - avoir une expérience d’animation ou de dynamique de groupe - parler couramment la langue vernaculaire du groupe. Les idées exprimées par le groupe sont alors simultanément enregistrées sur bande magnétique et notées par un secrétaire de séance qui identifie ainsi les auteurs successifs des prises de parole. Le système de repérage et de notation peut être représenté par un plan topographique de la situation des participants indiquant les caractéristiques du groupe, le lieu et la date de séance, la position des participants pendant la séance peut se présenter ainsi : (*) 6 1 5 (**)SS 4 2 3 (*) Animateur ou animatrice (**) Secrétaire de séance 2. METHODE ET MATERIELS Suit alors la liste chronologique des prises de parole agencée en colonnes verticales successives dont la configuration est la suivante : 2.1. Les conditions de fonctionnement d’un gro u p e focalisé : La méthode des groupes focalisés est basée sur un débat de groupe, animé par un animateur/animatrice, dans un climat de confiance, de convivialité et dans un contexte homogène au niveau de l’âge, du sexe, du niveau social et de l’appartenance culturelle. La constitution d’un groupe focalisé nécessite la présence d’un animateur/animatrice chargé(e) de dynamiser, de régulariser les débats et de mettre en confiance les participants pour une discussion libre des thèmes abordés. Cette notation est indispensable au moment de l’audition des enregistrements. (1) Epidémiologiste, INRSP B.P. 1771 Bamako MALI (2) Démographe, INRSP B.P. 1771 Bamako MALI (3) Psycho-pédagogue, DNAS, Ministère de la Santé Publique - Bamako, MALI (4) Socio-politologue, Université de Provence Marseille - FRANCE A 1 6 3 2 4 5 2 A 3 6 2 5 1-2 4 3 1-4 3 5 A 1 6 2 4 3 A 5 - etc Médecine d'Afrique Noire : 1992, 39 (6) AMIGA M.( - SANOGO N.) - DOUCOURE A.) - JOHNS N. 416 2.2. Le matériel de terrain : se compose d’un magnétophone, de cassettes d’enregistrement, de bloc-notes et de crayon de papier. 3. RESULTATS 3.1. Utilisation de méthodes traditionnelles par les hommes contraceptives Nous avons essayé de cerner dans notre enquête l’existence d’un autre déterminant des intervalles avant et entre les naissances : l’utilisation des moyens contraceptifs traditionnels autres que l’abstinence. Nous avons abordé ce sujet en demandant aux hommes s’ils connaissaient des moyens pour “faire reposer” leurs femmes, et en demandant aux femmes si elles connaissaient des moyens pour retarder ou empêcher une grossesse. Nous pouvons déceler de très grandes différences entre population rurale et population urbaine en particulier pour les hommes. Dans le cercle de Mopti, les hommes, tous groupes ethniques confondus, se sont montrés très réticents à admettre qu’il existe même de tels moyens pour “faire reposer” une femme ; encore moins approuvent-ils une telle pratique. L’abstinence post-partum est considérée pour la plupart comme une nécessité imposée à l’homme par le fait que la femme est “impure” à cette période, période qu’ils essayent d’ailleurs de réduire au strict minimum. L’abstinence est rarement vue comme un moyen d’espacer les naissances. Les hommes Bozos disent ne pas connaître de moyens traditionnels d’espacement , mais reconnaissent que “les agents de santé et les blancs, eux quand même peuvent faire quelque chose”. Les jeunes hommes célibataires Soninkés sont les seuls capables d’évoquer des moyens autres que l’abstinence : ils citent la nivaquine pour empêcher une grossesse et le filtre (eau bénite) fait par un marabout ou un fétichiste bambara. mais ils disent ne pas les utiliser ; “le seul médicament est la sagesse” (Homme soninké 24 ans, école coranique). Les jeunes hommes mariés Soninkés expliquent que, même si on utilise un moyen de contraception, on n’en parle pas. “Les voyageurs sont capables de beaucoup de choses...(mais)...c’est strictement réservé au couple”. (Homme soninké 31 ans, sans enfant). La migration et l’éducation semblent être des facteurs qui influent sur les attitudes et comportements en matière de Médecine d'Afrique Noire : 1992, 39 (6) contraception. Dans le groupe d’hommes mariés à Bamako, le seul “cadre” du groupe est également le seul à admettre, avoir “arrêté” sa femme, en l’emmenant à la clinique, après qu’elle ait eu 8 enfants. Quelques-uns, toutefois, reconnaissent le besoin d’espacer les naissances. Un membre du groupe qui conçoit la contraception comme une limitation des naissances, juge qu’on devrait apprendre des choses de l’expérience occidentale. “Faire arrêter une femme, ce n’est pas bon”. Les hommes parlent des gris-gris et “d’autres médicaments” mais, hormis “l’homme éduqué”, la seule méthode qu’ils admettent est celle de la séparation. “Je laisse la femme partir chez ses parents (4 mois)... parce que je ne peux pas me retenir”. 3.2. Connaissance et utilisation des méthodes modernes Les jeunes bamakois sont beaucoup plus au fait des méthodes modernes de contraception, bien qu’il existe des différences selon le niveau de scolarisation. Les jeunes peu scolarisés connaissent la pilule et l’avortement pratiqué chez les guérisseurs traditionnels, mais sont très divisés quant à leur usage. Les jeunes plus scolarisés reconnaissent que ce sont surtout les élèves qui connaissent le “planning”, grâce aux cours donnés dans les écoles en 9ème année, les livres, et les activités de l’Association Malienne pour la Promotion de la Protection de la Famille (A.M.P.P.F.). Ils ne citent pas seulement la pilule, mais également les ovules (spermicides), la méthode de cycles et les préservatifs masculins. Les jeunes filles de Bamako scolarisées, arrivent facilement à répertorier les méthodes contraceptives : la pilule, le stérilet, l’ovule, le condom et l’abstinence sont cités par les filles peu scolarisées ; à cette liste les filles scolarisées ajoutent les injections et les méthodes des “vieilles”, bagan et tafo. Elles ont entendu parler de ces méthodes à l’école (pour celles qui ont fait 9 années de scolarité), à la PMI (Centre Pilote Niaréla), à la radio et à la télévision. Néanmoins, certains hommes, Peuls, Dogons, et Tamasheqs, sont conscients des dangers que peuvent représenter des grossesses trop rapprochées : “on n’aime pas une telle situation...ce que nous préférons c’est que le premier soit sevré à deux ans, avant qu’elle ne contracte une nouvelle grossesse, car les grossesses rapprochées nuisent à la santé de l’enfant et celle de la mère”, le même homme LA METHODE DES GROUPES FOCALISES (FOCUS GROUPS) APPLIQUEE A L'ETUDE DES PROBLEMES DE LA CONTRACEPTION… reconnait également que “la femme qui fait des enfants à intervalles trop rapprochés ne peut pas être fréquentée par son mari”. Ceci semble indiquer l’utilisation d’autres méthodes d’espacement que l’abstinence, mais les hommes n’évoquent que celle-ci : “Je peux m’abstenir tout le temps que cela lui est nuisible, et jusqu’à ce que ses forces reviennent” (Tmasheq 53 ans, 1 femme, 1 enfant). Ce dernier estime d’ailleurs qu’il faut surtout s’abstenir en saison chaude :”en cette saison, si vous l’approchez seulement, elle enregistre”. La plupart des hommes mariés disent que même s’ils connaissaient des méthodes ils n’en feraient pas usage ; “nous ne cherchons pas à savoir...ça serait un grand péché”. Les hommes Sonrhais ont compris grâce aux marabouts qu’il existe des moyens pour laisser reposer leurs femmes, mais ils ne semblent pas avoir des idées claires sur le sujet : “Vous avez un moyen qui vous éloigne de votre femme !... comment on fait pour ne pas visiter sa femme ?” (Homme sonhrai 42 ans, 1 femme, 3 enfants). Les services actuels ne touchent pas la population, en dehors de grandes ou moyennes villes. Les hommes et les femmes des zones rurales ne sont pas informés et n’ont pas accès aux services. Ces manques résultent des carences logistiques, de problèmes financiers, de la trop forte concentration en ville des personnels sanitaires formés, au détriment des zones rurales, du manque total de personnel social formé, des résistances des autorités villageoises et religieuses. Actuellement, le travail de la femme en milieu rural a peu d’effet sur sa fécondité ; si non pour amplifier l’épuisement de la femme et augmenter les risques sanitaires liés à la grossesse et à la naissance. Il est notoire que les femmes rurales sont généralement exclues du système éducatif et très peu touchées par les campagnes d’alphabétisation. Dans leur statut familial, elles restent inférieures à l’homme qui prend toutes les grandes décisions tant dans la gestion du ménage, qu’en matière de fécondité. Le succès d’un programme de planification familiale dépend essentiellement à notre avis d’une double démarche : - améliorer la condition de la femme, et par conséquence étendre son pouvoir de décision ; - mais aussi sensibiliser les hommes aux avantages de l’espacement des naissances. Mais il existe une importante différence entre ces deux 417 groupes : si toutes ont une activité sexuelle, les jeunes filles scolarisées ont réussi à éviter une grossesse précoce, grâce à la contraception ou par recours à l’avortement ? Alors que les jeunes filles non scolarisées ont presque toutes fait l’expérience d’une grossesse. Les femmes mariées à Bamako se montrent également plus informées sur les méthodes contraceptives que leurs homologues rurales. Elles connaissent “pilule, injection, capotes, mousses et beaucoup d’autres...”. Elles se sont renseignées sur ces méthodes au “planning” à Niaréia, à la PMI, et disent que “les femmes les utilisent”. Elles-mêmes admettent avoir planifié leurs propres enfants. “C’est très fréquent maintenant à cause des difficultés de la vie actuelle”. Ces femmes connaissent et utilisent la contraception bien qu’étant pour la plupart illettrées ou n’ayant fréquenté l’école coranique (la plus éduquée 4 années de scolarité) et ayant été élevées à la campagne. L’expérience de migration, l’accès aux informations et aux services, semblent avoir beaucoup facilité la connaissance et la pratique de la contraception. 4. CONCLUSION Notre étude indique qu’il existe plusieurs facteurs qui favorisent l’utilisation des moyens contraceptifs : - le milieu urbain, l’accès à l’information dès l’école, des conseils, et la fourniture des contraceptifs, généralement introuvables en milieu rural. - l’éducation : les jeunes scolarisés, garçons et filles, sont mieux informés et plus motivés en ce qui concerne les moyens de retarder la première naissance. Pour les jeunes peu scolarisés, la contraception est utilisée pour retarder une deuxième naissance. Les conditions qui, par contre, découragent l’homme et la femme d’utiliser des moyens contraceptifs sont surtout liées à un manque d’information qui résulte, entre autres, d’une confusion entre l’espacement et la limitation des naissances. S’ajoutent également la méconnaissance des textes du Coran en matière de fécondité et les croyances ; plus ou moins entretenues sciemment, de l’existence d’un interdit islamique au niveau de la pratique contraceptive. Les populations islamisées et surtout parmi les hommes et les vieux, estiment que Dieu décide le nombre des enfants, et qu’on ne peut que souhaiter qu’il en envoie beaucoup et qu’il assure leur survie. Médecine d'Afrique Noire : 1992, 39 (6) AMIGA M.( - SANOGO N.) - DOUCOURE A. ) - JOHNS N. 418 Dans toutes les régions, on constate que : . l’habitude d’espacer les naissances existe déjà chez ces populations . les moyens utilisés traditionnellement sont inefficaces ou en train de diminuer en importance : les toiles d’araignées, les gris-gris, l’eau bénite, l’accouchement dans la famille, l’abstinence post-partum, l’allaitement totale de longue durée. Les raisons avancées par les femmes pour espacer des naissances sont surtout la fatigue de la mère, et le problème d’assurer l’alimentation et la survie de l’enfant. BIBLIOGRAPHIE 1 - DAVIS K., BLAKE J. “Social structure and fertility : an analytic frameword” Economic developments and cultural change. 4, (4), 1956. 2.a - BONGAARTS J. “A framework for analysing the proximate determinants of fertility”. 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