Le rôle des espèces sauvages ou domestiques dans la rage
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Le rôle des espèces sauvages ou domestiques dans la rage
Rev. sci. tech. Off. int. Epiz., 1985, 4 (2), 273-285. Le rôle des espèces sauvages ou domestiques dans la rage vulpine en Europe M. ARTOIS* Résumé : La propagation de la rage est étroitement liée à un vecteur animal, le renard. En effet, en phase épizootique, cette espèce représente 96 % des animaux sauvages enragés. Cette pathobiocoenose s'explique par l'étroite adaptation de l'écosystème du renard à la maladie rabique, notamment sous l'influence de l'homme. Le renard est très sensible au virus rabique, il l'excrète dans sa salive en grande quantité et son cycle biologique favorise sa dissémination. Les autres carnivores sauvages, le chien et le chat, présentent une immunité naturelle plus grande à l'égard du virus rabique. Cependant, on peut remarquer qu'en Amérique du Nord, ce virus est relativement bien adapté à la moufette et, en Afrique australe, à certains félins sauvages. En Europe, les espèces sauvages autres que le renard jouent en général un rôle épidémiologique mineur, à l'exception du chien viverrin en U.R.S.S. La faible extension de la rage parmi les herbivores sauvages s'explique par la rareté des morsures infectantes. Dé même, les animaux domestiques sont peu sensibles au virus rabique mais les chiens et les chats errants peuvent cependant donner naissance à des foyers localisés. Ces derniers nécessitent une vigilance particulière. MOTS-CLÉS : Animaux domestiques - Animaux sauvages - Contamination Destruction d'animaux - Ecologie - Epidémiologie - Rage Renard. Il est devenu banal a u j o u r d ' h u i de rappeler que la rage est une maladie connue depuis la plus haute Antiquité. Mais on peut s'interroger sur l'actualité réelle de cette maladie telle qu'elle sévit aujourd'hui dans la plupart des régions du m o n d e . Il paraît vraisemblable que la rage citadine, véhiculée par les chiens existe depuis que l ' h o m m e a bâti des villes. Mais il en va autrement des formes sauvages. P o u r celles-ci, nous manquons évidemment de documents authentiques. E n Amérique du N o r d , la rage vulpine est mentionnée au début du 19 siècle alors q u ' e n E u r o p e , on fait remonter l'origine de la présente épizootie en 1939 (34) à partir d ' u n foyer d'origine polonaise. Si l'on aborde la question de la rage a u j o u r d ' h u i sous u n angle écologique, on est enclin à émettre l'hypothèse que la forme épizootique de la rage des animaux sauvages est d ' u n e apparition très récente, et, par conséquent, que cette maladie se développe à mesure que la civilisation interfère avec le fonctionnement des écosystèmes naturels. Deux questions se posent alors : pourquoi certaines espèces d'animaux saue * Ministère de l'Agriculture, Direction de la Qualité, Services Vétérinaires, Centre National d'Etudes sur la Rage, B . P . n° 9, 54220 Malzeville (France). — 274 — vages deviennent-elles un beau jour vectrices de cette virose, et comment leur écologie permet d'en expliquer l'épidémiologie ? Nous essaierons d'apporter des éléments de réponse à ces questions, non sans faire référence, lorsque cela sera nécessaire, à d'autres continents q u ' à l ' E u r o p e . BIOGÉOGRAPHIE DE LA RAGE On associe à différentes régions du monde des formes de rage généralement caractérisées par leur vecteur primordial : le renard en Europe et au C a n a d a ou le chien dans le bassin méditerranéen par exemple. Ceci résulte d'une évidence épidémiologique : à un moment donné, un grand nombre d'individus d'une espèce sont trouvés enragés dans un espace aux limites généralement définies. C'est bien le cas du renard. La situation en Europe ne se différencie pas fondamentalement des autres « pathobiocénoses »*. Remarquons toutefois que la précellence d ' u n vecteur n'est pas toujours absolue comme nous le verrons plus loin. Pour l'Europe, la précellence du renard est indiscutable : cette espèce représente 96 % des animaux sauvages enragés dans les zones frontalières de l'épizootie près de 80 % dans la zone centrale (rapport de l ' O . M . S . - E u r o p e ) . Cette différence peut s'expliquer par une diversité plus importante des vecteurs mais aussi par une attitude différente du public. On peut penser en effet que celui-ci, accoutumé à l'existence de renards enragés, soumet moins régulièrement cette espèce que d'autres au diagnostic de rage. De janvier 1979 à juin 1984, les statistiques de la rage en Europe montrent, grâce au Rabies Bulletin Europe, que le renard représente presque 90 % des animaux sauvages enragés (Tableau I), En France, parmi les renards soumis au diagnostic de rage à Nancy, 62,09 % sont enragés, ce qui représente la proportion la plus forte de tous les animaux sauvages. Toutefois, tous ces chiffres sont fortement biaisés par la modification du comportement qui facilite la capture du renard enragé. Le seul moyen d'approcher le taux d'incidence à un m o m e n t donné est l'examen de renards tués à la chasse avec un comportement normal : 2,3 % d'entre eux TABLEAU I Nombre de cas de rage diagnostiqués en Europe (« Rabies Bulletin Europe », 1979, n° 5 ; 1980, 81, 82, 83, n° 4 ; 1984, n° 2) Année Renard 1979* 1980* 1981* 1982* 1983* 1984** 11 12 13 15 15 9 Total 78 410 791 749 262 488 890 230 Blaireau Autres mustélidés Cervidés 327 296 291 389 314 198 364 445 418 441 455 227 685 584 524 705 699 396 1 815 2 350 3 592 Animaux domestiques • Animaux sauvages Total 3 468 4 348 4 788 5 549 4 860 2 210 13 348 14 255 14 759 17 210 17 530 10 168 18 816 18 603 19 547 22 759 22 390 12 378 25 223 87 270 112 493 » du 1/01 au 3 1 / 1 2 . ** du 1/01 au 3 0 / 0 6 . * Terme créé par Audy (1958) pour désigner le « super-organisme » constitué par le virus — l'hôte — l'environnement. — 275 — sont enragés selon Wandeler et col. (46a et b). A titre de comparaison, 21,9 % des renards polaires (Alopex lagopus) pris au piège dans un des territoires du Nord-Ouest canadien et aucun parmi plusieurs centaines provenant d'autres de ces territoires étaient enragés (40). Incontestablement le taux d'incidence doit donc varier en fonction de la phase épidémiologique à un endroit donné, mais nos références sur le renard sont très réduites dans ce domaine. Dans le cas de la rage du renard la présence d'anticorps sériques est toujours faible, à des taux souvent bas et sans que la spécificité des substances neutralisantes circulantes soit toujours établie (46 b, 19). Sikes (41) a trouvé des anticorps neutralisants chez 3 % des renards capturés dans des zones où existait la rage en Amérique. La « culpabilité » du renard étant établie, il importe d'examiner les rapports entre la rage et les écosystèmes. Nous disposons dans ce domaine des résultats obtenus par H . Jackson et L. Schneider (26) en Allemagne. A u lieu d'étudier la rage sur de vastes zones comme on le faisait habituellement, ces auteurs ont eu l'idée d'en étudier l'incidence (toutes espèces confondues) depuis l'apparition de la maladie j u s q u ' à nos jours, dans chacun des Lander de la R . F . A . Il se dégage de cette étude quatre modèles épidémiologiques distincts : prévalence insignifiante, faibles ondulations, pics intermittents et fortes oscillations. Les régions où la prévalence de la rage est insignifiante sont à moins de 100 m d'altitude et sont couvertes par moins de 10 % de forêts. A l'opposé, les régions de fortes oscillations sont à plus de 200 m d'altitude et couvertes par une moyenne de 35 % de forêts. Ces résultats nous révèlent qu'il n'existe pas un seul modèle universel de la rage vulpine, mais plusieurs qui sont adaptés à des conditions différentes d'habitat. La pathobiocénose de la rage vulpine se caractérise donc par une grande variété d'habitats, d'ailleurs insuffisamment définis pour le moment. Le vecteur est fréquemment contaminé et rarement immunisé. Enfin, en ce qui concerne l'Europe, il se révèle être le porteur sauvage presque exclusif de la maladie. ECOLOGIE DES VECTEURS, DU RENARD EN PARTICULIER Les vecteurs de rage sont tous des mammifères, ils peuvent être carnassiers, hématophages ou insectivores, donc prédateurs, mais on trouve aussi des mangeurs de fruits, de feuilles, d'herbes ou de graines. Ils appartiennent à des familles de carnivores, chiroptères, ongulés... Si l'on écarte les porteurs accidentels de la rage, ce qui caractérise les vecteurs principaux semble essentiellement être leur accoutumance à l'activité humaine. La plupart des vecteurs importants ont même tiré un profit direct de la présence de l ' h o m m e : tel est le cas du renard, du vampire, de la mangouste aux Caraïbes, du r a t o n laveur en Amérique du N o r d , du k o u d o u en Namibie, etc. et en premier lieu, du chien errant. En Europe, le renard roux, dans son environnement naturel, caractérise bien l'écologie d ' u n vecteur rabique. Nous ignorons de façon détaillée comment et à quelle époque le renard a tiré profit de l'aménagement humain de cet environnement (alors que, pour le vampire, nous savons que le facteur déterminant a été l'introduction du gros bétail en Amérique du Sud). Mais nous constatons a u j o u r d ' h u i qu'il chasse dans les dépôts d'ordures, les pâturages ou les cultures, qu'il se fait écraser sur des routes et surtout qu'il colonise nos villes (Macdonald, sous presse). — 276 — Cette capacité colonisatrice du renard est confirmée par sa vaste aire de répartition, la plus grande parmi les mammifères sauvages paléarctiques (23). Celle-ci s'explique principalement par le comportement opportuniste du renard. Celui-ci constituant le meilleur exemple de ce qu'Anderson et Erlinge (1) appellent u n prédateur généraliste. Le régime alimentaire « catholique » (28) du renard est principalement basé sur l'ingestion de micromammifères très répandus {microtidae en particulier) ainsi que sur des lapins. Mais il s'étend à toute une gamme de proies vertébrées ou invertébrées (insectes et lombrics principalement). Il inclut particulièrement en hiver dans les zones septentrionales ou en montagne, la consommation de carcasses d'ongulés. Enfin, son régime peut être composé d'une large variété de fruits en fin d'été et en automne. La structure sociale du renard est extrêmement diversifiée (30) et, selon les contraintes du milieu, sa stratégie peut varier de façon considérable, ce qui rend aléatoire les généralisations à partir d'observations faites à un endroit précis (45). Le renard a souvent été décrit dans la littérature ancienne comme u n solitaire caractérisé, ce qui reste vrai dans bien des régions ; mais aujourd'hui beaucoup d'auteurs considèrent le couple comme l'unité sociale de base. Dans certaines circonstances, le couple accepte sur son territoire des femelles supplémentaires. Il se crée alors un groupe organisé hiérarchiquement dans lequel seule la femelle dominante élève ses petits, avec l'aide plus ou moins directe des autres femelles du groupe (32). Cette socialite complexe du renard influe directement sur sa démographie et sur la fréquence des rencontres entre individus : deux paramètres essentiels dans l'épidemiologie de la rage. La socialité est en relation directe avec la disponibilité de la nourriture et sa dispersion dans le milieu (31, 35). Les facteurs de régulation des populations de renards sont de trois ordres : l'action volontaire ou accidentelle de l'homme, la socialité et la disponibilité de la nourriture. Ce dernier élément ne semble jouer un rôle que dans les régions nordiques (27) ou de montagne (43). Ailleurs si la pression humaine ne réduit pas la croissance du renard, ses populations sont soumises à un contrôle intraspécifique ou bien la rage apparaît. Le cycle biologique du renard comporte à chaque saison des événements pouvant retentir sur l'épidemiologie de la rage vulpine. Les naissances sont généralement groupées au début du printemps (29, 3), les petits commencent à s'émanciper en été et se dispersent à partir du mois d'août à la recherche de leur propre territoire (50). Le début de l'hiver est l'époque de la réorganisation des hiérarchies et de la recherche d'un partenaire sexuel ; la fin de l'hiver, celle de la diète et de la régulation par le piégeage ou la famine. MODES DE TRANSMISSION D E LA RAGE Le virus rabique peut se transmettre au travers des muqueuses saines ou par inoculation au travers de la peau. Il est essentiellement excrété par la salive et transmis par voie buccale, aérienne ou percutanée, cette dernière étant la voie la plus fréquente. Dans des circonstances particulières, mais qui ne sont pas forcément exceptionnelles, le virus peut ainsi être transmis par consommation de cadavres, abreuvement, léchage ou inhalation. Mais, au moins en ce qui concerne l'Europe, le m o d e quasiexclusif de passage est la morsure. La transmission nécessite donc deux conditions : l'excrétion salivaire du virus et la morsure infectante. Chez le renard l'excrétion sali- — 277 — vaire est quasi constante. A u moins 93 % (46 b) des renards ont le virus présent dans la salive en quantité souvent importante. Chez le blaireau enragé l'infection salivaire est présente dans 83 % des cas et chez la m a r t r e dans 50 % (46 b), celle du chat est comprise entre ces deux valeurs (5) ; celle du furet quasiment nulle (15). Les quantités de virus excrétées sont généralement plus faibles que chez le renard. En France, onze renards roux ont été marqués à l'aide de colliers-émetteurs (149 MHz) entre 1980 et 1983, sur u n terrain d'étude proche de Nancy. Six d'entre eux, atteints de rage, ont présenté des symptômes qui ont pu être étudiés plus ou moins en détail grâce au radio-pistage (2, 6). Sans constituer u n échantillonnage permettant de généraliser de façon définitive, ces observations permettent d'aboutir aux conclusions suivantes sur le comportement du renard enragé : — Le renard enragé perd le sens de son organisation spatiale et temporelle, sans toutefois s'éloigner beaucoup de son domaine habituel. — Son niveau global d'activité est augmenté, principalement en raison d'importants déplacements diurnes. Ceux-ci semblent se faire sans but décelable. — La paralysie qui atteint progressivement l'animal l'immobilise en u n endroit résultant du hasard de ses errances. Il en résulte une plus grande fréquence des arrêts en limite de domaine, dans des secteurs habituellement peu fréquentés par les renards sains. Ce phénomène semble favoriser la transmission de la maladie par contamination d ' u n individu sain, cherchant à repousser l'individu malade, gêné dans ses déplacements. Ces observations sont en faveur d ' u n m o d e de transmission de proche en proche de la rage vulpine, tout à fait en accord avec l'évolution saisonnière des maximums d'incidence de rage, qui correspondent à des périodes de contacts n o m b r e u x entre individus sains : dispersion en a u t o m n e et reproduction au printemps. E n effet, le comportement individuel (relations de voisinage), ou social (période de rut et de dispersion) et les événements extérieurs, comme la rareté de la nourriture, favorisent les rencontres et engendrent des stress. Ces deux facteurs se combinent pour donner chez le renard comme chez les autres vecteurs des périodes d'accroissement de l'incidence saisonnière de la rage. SENSIBILITÉ A L'INFECTION RABIQUE ET RÔLE DES ESPÈCES SECONDAIRES Beaucoup de vecteurs principaux de la rage se révèlent particulièrement sensibles au virus. C'est n o t a m m e n t le cas du renard et du chien. Mais ce qui est frappant c'est la différence de sensibilité de chaque hôte aux différentes souches de virus. Un virus rabique d'origine vulpine a été inoculé, à doses variables, à des chiens, et un virus sauvage d'origine canine, à des renards (16). Ces essais ont m o n t r é que le chien était beaucoup plus résistant que le renard à l'inoculation du virus (hétérologue) adapté à cette dernière espèce, et inversement. Paradoxalement, dans ce dernier cas, le renard s'est m o n t r é d ' a u t a n t plus résistant au virus rabique hétérologue (canin) que les doses inoculées étaient plus fortes. La plupart des renards survivant à ces inoculations ont résisté ultérieurement à l'inoculation d ' u n virus vulpin homologue, mortelle pour les témoins. Les renards contami- — 278 — nés mortellement par le virus hétérologue n ' o n t réexcrété ce virus que dans cinq cas sur huit. La technique des anticorps monoclonaux spécifiques de l'antigène nucléocapsidique ou glycoprotéinique révèle dans le m o n d e l'existence de variants antigéniques du virus rabique (48). Schneider et Meyer (37) et Sureau et col. (44) ont démontré une relative homogénéité des souches sur chaque continent, en E u r o p e et en Afrique. Vis à vis de la souche vulpine européenne, le renard est l'espèce la moins résistante. D'autres espèces présentent une immunité naturelle 40 fois (lièvre), 240 fois (souris), 50 000 fois (furet), 300 000 fois (chat) ou 1 000 000 fois (buse variable) supérieure et n'excrètent pas ou rarement le virus dans leur salive (14). L ' i m m u n i t é naturelle vis à vis d'un virus rabique sauvage serait donc moins un caractère spécifique de l'espèce hôte, q u ' u n caractère d'agressivité spécifique du virus, adapté à cet hôte par mutations successives selon cet auteur. A des doses suffisantes toutes les espèces mammaliennes se montrent sensibles à l'infection rabique. Mais dans une pathobiocénose donnée un très petit n o m b r e d'entre elles, parfois une seule, sont capables de véhiculer la maladie. Quelques exemples vont permettre de clarifier leur rôle respectif. Chiroptères Malgré plusieurs cas de rage enregistrés en E u r o p e , rien ne permet de penser que la maladie existe sur les chiroptères de notre continent. D'ailleurs certaines de ces chauves-souris ont été trouvées dans des villes portuaires et les caractéritiques des virus trouvés rapprochent ceux-ci des variants africains (38). Carnivores (à l'exception du renard) En Amérique du Nord, la mouffette rayée a pris récemment la précellence vectorielle sur le renard roux. Un troisième vecteur, le raton laveur occupe a u j o u r d ' h u i une très importante place épidémiologique (9) ; dans le centre et le sud des U . S . A . , le renard gris est un vecteur non moins important. Dans une région africaine située au sud du désert de Kalahari, au sud-ouest de la Namibie et au nord de la province du C a p , des félins et des genettes constituent une guilde de carnivores partageant la même niche écologique. Ce complexe comprend trois espèces du genre Genetta et quatre du genre Felis, et représente 76 % des cas de rage (10). Ces deux exemples montrent la possibilié de diversification des vecteurs dans la zone de « préséance » d'une souche rabique, bien que nous ne disposions pas encore de toutes les précisions nécessaires sur ce point. En E u r o p e , il n ' e n est rien, ou presque... Les statistiques européennes (Rabies Bulletin Europe, 1979-1984 (n° 2)) montrent que les mustélidés seulement dépassent 1 °7o des cas de rage d ' a n i m a u x sauvages. Blaireaux : 2,1 % . Mustélidés divers : 2,7 % (8 espèces) A l'exception des cervidé, toutes les autres espèces sauvages confondues représentent 1,3 °7o des 87 270 cas de rage d'animaux sauvages. P a r m i celles-ci on trouve — 279 — le loup (en Turquie et en Pologne : 30 cas en six ans), le r a t o n laveur (16 cas) et le chat sauvage (16 cas). Aucune de ces espèces ne j o u e u n rôle épidémiologique indépendamment du renard, bien q u ' e n E u r o p e centrale de brefs cycles de rage des martres et fouines semblent évoluer m o m e n t a n é m e n t en dehors de l'influence de la rage vulpine (17). Toutefois une espèce de carnivore semble prendre a u j o u r d ' h u i de l'importance. Il s'agit du chien viverrin (Nyctereutes procyonoides). Ce canidé a été introduit dans les Républiques européennes de l ' U . R . S . S . dans les années trente. Son aire d'origine est l'Extrême-Orient où il occupe la niche écologique d ' u n opportuniste alimentaire consommant beaucoup de végétaux et de petites proies invertébrées (25). Le succès de son introduction est tel que son aire de répartition en E u r o p e est plus vaste que la zone d'origine en Asie. En U . R . S . S . , le chien viverrin représente dans certaines Républiques j u s q u ' a u tiers des animaux sauvages enragés (20). En Pologne, le n o m bre des cas est encore peu élevé (2 ou 3 % des animaux sauvages) mais ne cesse d'augmenter : 14 cas en 1979, 17 en 1980, 11 en 1982, 28 en 1983 et 29 dans les six premiers mois de 1984... L'extension du chien viverrin vers l'Ouest semble bloquée sur la rive orientale du Rhin (4) mais vers le sud, la Yougoslavie a été atteinte il y a peu de temps (18). Incontestablement l'extension de la rage du chien viverrin en E u r o p e est le problème épidémiologique le plus préoccupant à l'heure actuelle. P o u r le m o m e n t , le r a t o n laveur (Procyon lotor) dont des populations importantes existent en E u r o p e à la suite d'introductions accidentelles ou volontaires, ne semblent pas soulever ce type de problème. Petits mammifères terrestres : insectivores, rongeurs et lagomorphes Les statistiques européennes révèlent, parmi les 87 270 cas analysés de 1979 à juin 1984, 149 rongeurs. Ceux-ci sont en majeure partie constitués de souris domestiques provenant de Turquie. En Algérie, la rage du rat surmulot est apparue en même temps qu'un épisode de rage féline (13). Tout porte à croire, dans ces deux cas, que la forme canine de rage (celle qui sévit en Turquie) autorise de temps à autre des passages exceptionnels sur les rongeurs commensaux de l ' h o m m e . Il n ' e n va pas de m ê m e , semble-t-il, de la rage vulpine bien q u ' à plusieurs reprises le virus rabique ait été isolé de rongeurs sauvages en Tchécoslovaquie (42), des tentatives faites en Allemagne (36) ont échoué. U n e revue récente fait le point sur cette question (7) et avec l'auteur, nous pensons que ce n'est pas l'existence d ' u n réservoir-rongeur qui permet a u j o u r d ' h u i d'expliquer la réapparition périodique de la rage des carnivores, même si l'existence de populations de rongeurs m o m e n t a n é ment infestées ne peut pas être niée. Seize lagomorphes et 6 insectivores (hérissons et musaraignes) reconnus enragés depuis six ans, constituent t o u t au plus des curiosités épidémiologiques. Ongulés Les épisodes de rage des ongulés ne sont pas si rares q u ' o n pourrait le penser. Le plus célèbre d'entre eux est la véritable épizootie qui a sévi sur des daims (Dama dama) dans le parc de Richmond (Angleterre) en 1886 et 1887 (21). La rage a probablement été introduite dans ce parc clôturé de 931 ha par un chien. P a r la suite, elle s'est répandue de daim à daim par morsure. — 280 — Les cervidés représentent 4,1 % des cas de rage d ' a n i m a u x sauvages pendant ces six dernières années en Europe, en outre 50 autres ongulés (chamois, mouflons, bouquetins, etc.) et 60 sangliers ont été reconnus enragés pendant la même période. Un renne a été trouvé enragé en Alaska (24) et un antilocapre dans le D a k o t a du Sud (47). Toutes ces données confirment la sensibilité des ongulés aux différentes souches de rage, comme l'atteste d'ailleurs le grand nombre de têtes de bétail qui meurent de rage chaque année. Ce qui semblait limiter j u s q u ' à présent l'extension de la rage au sein des populations d'herbivores est la rareté des morsures infectantes. Celles-ci n ' a y a n t de chances de survenir que dans les conditions exceptionnelles d ' u n enclos où les animaux sont confinés, ce qui était le cas à Richmond. Mais la rage du k o u d o u en Namibie nous a appris q u ' à la faveur de circonstances particulières, le virus peut être transmis par léchage ou par contact indirect dans l'eau de boisson ou sur les végétaux consommés. Dans le cas du grand koudou africain, le rapprochement des animaux a été favorisé par un épisode de sécheresse qui a réduit la végétation consommable et le nombre des points d'eau. Auparavant les koudous s'étaient énormément multipliés grâce à une sorte d'élevage extensif de cette antilope, destinée à la chasse. Il semble que la rage du koudou ait été précédée par une recrudescence de la rage du chacal dans la même région. La conjonction de tous ces facteurs a provoqué une épizootie de rage qui a fait près de 50 000 victimes parmi les antilopes (11, 12, 39). Rien ne permet d'écarter l'hypothèse que de tels événements ne puissent se produire localement en Europe. Espèces domestiques Dans cette revue nous n'avons pas tenu compte des animaux domestiques. Ils représentent pourtant 22,4 % du nombre total des cas de rage enregistrés de 1979 à juin 1984. Mais cette proportion est bien sûr largement surévaluée par r a p p o r t à celle des animaux sauvages. On peut, en effet, penser que la quasi-totalité des animaux domestiques enragés sont connus, exception faite des individus errants. Mais ceux-ci sont en pratique indifférenciables. C'est pourquoi toute comparaison entre espèces sauvages et domestiques est sans intérêt épidémiologique. E n effet, rares sont les animaux sauvages enragés qui parviennent j u s q u ' à un laboratoire de diagnostic. Isolés du « réservoir » sauvage, les animaux domestiques ne jouent de rôle épidémiologique dans la rage vulpine qu'en tant que relais entre celle-ci et l ' h o m m e . Rassemblées en troupeaux (bétail) ou en bandes (carnivores errants), ces espèces peuvent toutefois donner naissance à des foyers localisés. Heureusement, leur relative résistance spontanée à la souche vulpine a, pour le moment, évité l'apparition de graves incidents. Toutefois cette résistance est moindre chez les ovins, et des cas en série dans des troupeaux de moutons ne sont pas exceptionnels. Enfin, des cas de rage canine erratiques peuvent se produire dans la zone où cette forme a disparu, à la suite d'importation irrégulière d ' u n animal en incubation. Cela s'est produit en France dans le département de Vendée en 1982 à partir d ' u n chien enragé provenant de Sierra Leone. Une vigilance particulière est toutefois nécessaire en ce qui concerne l'augmentation des carnivores errants : chats et chiens. La population de ces animaux de compagnie a considérablement augmenté au cours de ces dernières années en Europe occidentale. Et corrélativement, notamment à cause des abandons qui précèdent les vacances estivales, les individus errants sont en augmentation. Si ce p h é n o m è n e n'est pas contrôlé énergiquement le retour de la rage canine dans les régions où elle a disparu depuis près de trente ans, n'est pas à exclure. — 281 — CONLUSIONS L'apparition d ' u n nouveau vecteur de rage semble, d'après notre analyse, émerger localement lorsque certaines conditions sont réunies. La première d'entre elles résulte du pouvoir pathogène d ' u n variant du virus rabique pour l'espèce vectrice en question. Le virus se trouvant mis en présence du nouveau vecteur par des vecteurs d'autres espèces ou par l'introduction de cette espèce dans un nouveau milieu. Mais si ce facteur est nécessaire, il n'est pas suffisant. Il faut en outre que l'espèce en question ait atteint une densité particulièrement élevée. A p p a r e m m e n t , de telles densités ne se rencontrent pas dans des écosystèmes n o n transformés par l ' h o m m e (sauf peut-être pour T. brasiliensis en Amérique centrale). Les modes de régulation naturelle des populations sauvages maintiennent généralement celles-ci en dessous du seuil épidémique. Ceci toutefois ne suffit pas encore à déclencher l'apparition d'une nouvelle forme de rage si la transmission du virus n'est pas efficacement assurée. Celle-ci nécessite une excrétion salivaire importante et une concentration élevée du virus dans la salive. E n outre le comportement de l'animal sain doit lui permettre de se contaminer au contact d ' u n congénère enragé. L'expérience montre que les interventions humaines dans le milieu naturel ont grandement contribué à rendre possible un tel enchaînement de facteurs. Sinon le virus rabique serait peut-être resté, comme d'autres virus qui lui sont apparentés, isolé dans le secret des forêts tropicales africaines... Une fois le processus enclenché, et pour autant que les facteurs déclenchants continuent à exister, l'épidémiologie de la rage dépend de l'écologie du vecteur. La vitesse de progression et la périodicité des maxima d'incidence sont fonction des grandes étapes de son cycle biologique : reproduction, dispersion, migration, etc. Mais avant de finir, il faut insister sur la grande diversité des formes de rage. Celle-ci rend possible à tout m o m e n t et de façon a u j o u r d ' h u i difficilement prévisible, l'émergence d ' u n nouveau vecteur. P a r conséquent, la surveillance de la rage sur toutes les espèces sensibles ne doit pas se relâcher. A ce titre, l'échange des informations épidémiologiques revêt une importance essentielle. Dans ce contexte, il est important de tendre vers une homogénéisation des contrôles de routine : tant au point de vue de l'échantillonnage que de celui des méthodes de diagnostic. Enfin, lorsqu'une nouvelle espèce comme le chien viverrin en E u r o p e , apparaît jouer u n rôle nouveau dans l'épidémiologie de la rage, sa surveillance doit être renforcée. * * * THE ROLE OF WILD OR DOMESTIC SPECIES IN VULPINE RABIES IN EUROPE. — M. Artois. Summary: The dissemination of rabies is closely linked with a vector animal, the fox. In fact, in the epizootic phase, this species makes up 96% of wild rabid animals. This pathobiocoenosis is explained by the close adaptation of the ecosystem of the fox to the rabic disease, mainly through man's intervention. The fox is very susceptible to the rabic virus, excreting it in the saliva in great quantity; its biological cycle is a factor of its dissemination. Other wild carnivores, the dog and the cat, have greater natural immunity with regard to the rabic virus. However, in North America, it can be seen that this virus is relatively well adapted to the skunk and, in southern Africa, to certain wild felines. In Europe, wild species other than the fox play a minor epidemiological role — 282 in general, with the exception of the raccoon dog in Russia. The low spread of rabies among wild herbivores is explained by the rarity of infecting bites: In the same way, domestic animals are not very susceptible to the rabic virus, but stray dogs and cats can, however, give rise to localised outbreaks. The latter require a special surveillance. KEY WORDS: Contamination - Destruction of animals - Domestic animals Ecology - Epidemiology - Fox - Rabies - Wild animals. * * * EL PAPEL DE LAS ESPECIES SALVAJES O DOMESTICAS EN LA RABIA VULPINA EN EUROPA. — M. Artois. Resumen : La propagación de la rabia vulpina está unida íntimamente a un vector animal, el zorro, por cuanto en la fase epizoótica, esta especie representa el 96 % de los animales salvajes con rabia. Esta patobiocenosis se explica por la íntima adaptación del ecosistema del zorro a la enfermedad rábica, especialmente bajo la influencia del hombre. El zorro es muy sensible al virus rábico, lo excreta en la saliva en gran cantidad y su ciclo biológico favorece la diseminación del mismo. Los demás carnívoros salvajes, el perro y el gato, presentan una mayor inmunidad natural respecto al virus rábico. No obstante, cabe observar que en América del Norte, este virus está relativamente bien adaptado a la mofeta y, en Africa austral, a algunos felinos salvajes. En Europa, las otras especies salvajes que no son el zorro suelen desempeñar un papel epidemiológico menor, con excepción del perro viverrino en U.R.S.S. La baja extensión de la rabia entre los herbívoros salvajes se explica por las pocas mordeduras infectantes. Asimismo, los animales domésticos son poco sensibles al virus rábico, aunque no obstante los perros y gatos vagabundos pueden originar focos localizados, que necesitan una vigilancia especial. PALABRAS-CLAVE : Animales salvajes - Contaminación - Destrucción de animales - Ecología - Epidemiología - Rabia - Zorro. * * BIBLIOGRAPHIE 1. ANDERSSON M. et ERLINGE S. (1977). — Influence of predation on rodent populations. Oikos, 29, 591-597. 2. ANDRAL L., ARTOIS M. AUBERT M.F.A. et BLANCOU J. (1982). — Radio-pistage de renards enragés. Comp. Immun. Microbiol. Infect. Dis., 5, (1-3), 285-291. 3. ARTOIS M. AUBERT M.F.A. et GERARD Y. (1982). — Reproduction du renard roux (Vulpes vulpes) en France. Rythme saisonnier et fécondité des femelles. Acta Oecol., Oecol. Appl., 3 (2), 205-216. 4. ARTOIS M. et DUCHENE M.J. (1982). — Première identification du chien viverrin (Nyctereutes procyonoides) en France. Mammalia, 46 (2), 265-267. — 283 — 5. ARTOIS M., AUBERT M.F.A., BLANCOU J. et PERICARD M. 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