BAD BUSINESS_BAT

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BAD BUSINESS_BAT
Gin
Bad Business
Chapitre 1
Sa chatte ressemblait à un shar-pei.
Le genre fripé, brunâtre et moussu… Au cœur d’une
fente apparemment normale, la fille avait une
espèce de boule de lèvres, gonflée de volutes charnues, qui devait être rasée de frais. Sur le moment,
j’en avais autant envie que de me taper une retraite
jésuite.
Mais il me fallait séduire ce bout de chair sensible
et, accessoirement, le cerveau qui allait derrière. Lui
faire croire, en un bouche-à-con empli de soupirs et
de gourmandise, que j’en appréciais autant le goût
que la texture. La fille devait gémir, crier, remettre
en cause ses certitudes, faute de quoi je perdrais mon
marché.
Je suis un commercial, comme on dit. Un de ces
types bourrés de charme, qui vendrait son carnet à
souches à une contractuelle acariâtre. On m’appelle
Golden-burnes dans les milieux où, sur des devis,
j’ai fait saigner les Montblanc.
Et la fille que je tenais à portée de langue avait
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pour elle une vue imprenable sur les offres de mes
concurrents. Il me fallait lui en donner pour son
grade de secrétaire au nom de la trahison qu’elle
devait commettre. Bien sûr, j’en étais pas très fier.
Mais ce marché était capital pour le groupe d’industriels que je représentais.
Ça faisait en effet un an que je m’étais rapproché
d’un consortium dont la spécialité était la vente de
tout ce qui touche au milieu hospitalier, du bassin
d’aisance au scanner nucléaire de dernière génération. Le groupe avait été créé par trois frères : Karl,
Samson et Louis Gougnard.
Au début de l’an 2000, et alors que le cadet sortait
à peine de faculté, les frères avaient mis au point une
invention extraordinaire qui allait bouleverser le
monde très fermé de la suture. Les trois gars avaient
eu l’idée d’intégrer aux fibres du fil chirurgical des
microcapteurs capables d’informer le praticien sur
l’état de cicatrisation interne du malade et ce, par
une simple connexion.
Le succès avait été fulgurant.
Par la suite, ils avaient développé le concept en
intégrant encore plus de technologie dans ce fil
génial. Ainsi était-il possible aujourd’hui de modifier le serrage des points, de brancher n’importe quel
ordinateur familial pour connaître la situation de la
plaie, de délivrer à volonté des antibiotiques intégrés
ou des produits de désinfection et même, de permettre une localisation satellitaire des malades
nomades. Une invention aussi pratique que lucrative qui rapportait, bon an mal an, un petit milliard
de dollars à chacun.
Bref, les trois frères n’avaient plus de soucis à se
faire pour les étrennes de leur gardienne…
Et moi, le torse conquérant, le boxer-short ajusté
sur ma barre à mine à bonheur, j’étais là, debout
devant cette fille qui commençait à miauler sévèrement. La parfumée-pas-cher ondulait de la croupe,
me laissant voir à l’envi son bestiau à plaisirs.
Son impatience faisait plaisir à voir ! D’autant que
je ne l’avais rencontrée que quelques minutes plus
tôt dans l’ascenseur. J’avais enquêté sur la môme
durant quelques jours. Et je savais tout d’elle. Ses
origines, ses habitudes, ses consommations, ses relations, ce qu’elle votait, ses commerçants préférés, le
contenu de ses poubelles, son état de santé, son
cycle menstruel… Bref, tout.
La séduction express a ses exigences. Bien connaître
sa cible est primordial. La plupart des hommes négligent cette dimension. Draguer une femme, c’est
avant tout enquêter sur elle. Les dragueurs de base le
savent lorsqu’ils questionnent leur proie au détour
d’un linéaire de supermarché : « Savez-vous où se
trouvent les huiles ? » Et déjà, la relation s’établit sur
une triple dimension : valorisation, reconnaissance,
gratitude. De quoi autoriser ensuite toutes les
audaces. Bien sûr, je n’avais pas interrogé la fille
comme cela. Il m’avait suffi de lui demander si elle
connaissait un bon serrurier, prétextant un oubli de
clé… Pour elle, j’étais un voisin esseulé, nouvellement installé dans l’immeuble… Un « Cela vous
ennuierait beaucoup de l’appeler pour moi ? Je n’ai
plus de portable depuis le décès de ma femme… »
avait eu raison de ses craintes primales.
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La fille s’était d’un coup perdue en excuses, en
désolations, en sympathies polymorphes… Il me
suffit alors de lui dire que cela faisait déjà quelque
temps et que nous étions sur le point de nous séparer avant le funeste événement pour qu’elle envisage de me consoler sans avoir à respecter un
quelconque veuvage… Génial, non? En tout cas, dès
le cling annonçant l’étage, je me retrouvai à suivre
du regard sa croupe ondulante s’orienter sans aucune
crainte vers son appartement. Entre-temps, dans l’ascenseur, je m’étais inquiété du poids de ses sacs de
commissions et les lui avais pris des mains d’autorité, doublant ainsi d’un coup mon capital sympathie. La clé introduite, je découvris un appartement
gentillet comme seules les femmes célibataires de
plus de trente ans savent les décorer… Tout était au
cordeau. On aurait dit qu’elle attendait la visite d’un
photographe de magazine féminin, faisant un reportage sur le néoclassicisme des appartements de moins
de 50 m2. Les bibelots s’alignaient sur des napperons
niais dans un faux aléatoire, les photographies s’étalaient sur des pêle-mêle à aimants, exposant de
bonnes copines rieuses, rougeaudes et sans doute
éméchées, quelques enfants tendres dont elle devait
être la marraine, la tante ou la cousine, un chat
ahuri aux yeux rouges et trois couchers de soleil
évoquant certainement pour elle un grand amour
de vacances brutalement interrompu par les goujateries d’un bellâtre bronzé. Comme toujours dans
ce type d’appartement, des plaids protégeaient
les coussins d’un canapé trop cher. Des potspourris exhalaient leurs odeurs bigarrées, conférant
à l’endroit une salubrité presque désagréable. De
l’ordre et une féminité bonbonnière.
On sentait que l’homme et ses éructations bordéliques n’avaient pas séjourné ici depuis longtemps.
Je pronostiquais des magazines déco dans des toilettes impeccables, tout comme j’étais sûr de trouver
un alignement d’échantillons de parfums à jamais
inutilisés dans la salle de bains.
Ce qui – si mon intuition se révélait juste – m’assurait inévitablement de trouver la demi-bouteille
de champagne dans le frigo et l’inébranlable nounours sur le lit, uni définitivement à une poupée
hors d’âge, atteinte de calvitie et d’une lourdeur de
paupière…
Bref, je connaissais les lieux sans même les avoir
visités. Que voulez-vous, la vie moderne autorise la
solitude mais normalise les esseulés…
Ma mission était donc simple, claire et tracée. La
fille devait succomber, s’amouracher et, par conséquence, m’amener d’une façon ou d’une autre à
connaître l’offre de mon principal concurrent.
J’imaginais, pour mon amour-propre, que le
confrère en question allait employer des moyens
sûrement plus inavouables pour connaître la nôtre.
Le marché valait son pesant d’or. Il s’agissait d’assurer l’approvisionnement des Hôpitaux nationaux
pendant trois ans pour toutes les fournitures d’opérations et de soins. Au bas mot, une première commande de quarante millions de dollars. Et pour
bibi, une commission qui me permettrait d’acheter
une ou deux Ferrari et d’inviter à dîner à vie les soupireuses épilées qui vont avec. Mais pour tout dire,
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dans ce job, ce n’était pas le pognon qui me motivait le plus, plutôt la victoire sur l’adversaire.
L’instinct de prédation en quelque sorte. Quand je
tape une affaire, je ressens comme une jouissance,
une plénitude postcoïtale qui me laisse sur le coup
un rictus nigaud, un sentiment quasi extatique.
Normal que dans ces conditions, je n’hésite pas à
séduire une fille pour arriver à mes fins. Et ma
méthode avait l’avantage de permettre à deux
adultes consentants de se donner mutuellement du
plaisir. Après tout, n’était-ce pas déjà là une victoire?
— Venez, hummmm, qu’attendez-vous ?
Je suis toujours épaté par cette nouvelle manie
qu’ont les femmes de cet âge de vouvoyer les
hommes rencontrés de frais et qui sont à deux
doigts de leur coller paupaul dans la gorge… Ça
doit les faire mouiller bourgeoise…
La fille s’appelait Lisa. Et la Lisa en question n’avait
plus sur elle qu’un soutien-gorge sans coutures et
une paire de mules à talons, sans doute neuves vu
l’état des semelles. Elle avait entamé une chaloupe
sur canapé, faisant onduler son corps au rythme de
ses propres gémissements. Le plaid protecteur des
coussins n’y avait pas résisté. Il avait laissé la place à
la Lisa qui n’avait pas dû voir un os à plaisir depuis
des lustres.
Il y avait fort à parier qu’elle allait aimer mon électrode à sensation. Et plus j’appréciais le temps qui
passait et plus la Lisa s’échauffait les sens. Les baiseurs
du dimanche sont vraiment des glands. Lorsqu’ils
sautent avec impatience sur leur gonzesse, leur
empoignant d’autorité un sein ou pire le berlingot,
ils se privent d’un plaisir pourtant évident : laisser la fille s’échauffer toute seule. C’est tout bénef.
Elle se met d’autorité à la bonne cuisson, il n’y a
plus qu’à déguster… Bref, Lisa avait de toute évidence atteint une température vésuvienne et je
sentis que mon heure d’entrer en scène avait
sonné…
D’une main agile et soigneusement manucurée,
j’attrapai le nœud de ma cravate pour en libérer le
serrage. Ce geste pourtant anodin sembla attiser
encore plus l’excitation de ma pseudo-voisine. Se
relevant fougueusement, elle se mit à genoux sur
son sofa et donna à sa voix une intonation rauque,
suave et surnaturelle. Elle me tendit les bras et,
comme je m’approchai pour lui donner entière
satisfaction, m’attrapa par les passants de ma ceinture. Utilisant ces poignées improvisées, elle m’attira vers elle.
Sans modifier l’angle de son visage baissé sur son
futur ouvrage de déshabilleuse, elle me regarda dans
les yeux avec impertinence et interrogation. Comme
toujours en pareilles circonstances, je sentis enfler
mon reproducteur. Mon bâton à pèlerine avait déjà
atteint sa taille adulte quand elle prit congé de ma
ceinture. Puis, j’entendis le crépitement discret de
ma fermeture éclair faire écho à ses soupirs gourmands. Quelques secondes encore et il y aurait une
conférence au sommet. Si la fille ne se reculait pas,
elle prendrait mon gland dans le nez. À ce degré
d’engorgement sanguin, ma pine peut avoir un ressort uppercut. Protège-dents obligatoire pour la
môme gourmande qui débusque sans distance ma
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tige à boules. Ma chemise était toute déboutonnée
et je m’empressai de la quitter. Le look liquette pendante avec chibre au milieu, pantalon sur les chevilles et chaussettes, très peu pour moi…
En un éclair, je m’en débarrassai sans craindre de la
froisser et de devoir la repasser au Caterpillar. Entretemps, Lisa avait eu raison de mon boxer et s’émerveillait sans retenue de mon perchoir à autruche.
Heureusement, j’avais eu le temps de me rafraîchir et me présentai donc à la bouche de la demoiselle sans redouter une négligence de trappeur
canadien. Elle ne s’y trompa pas et m’engama jusqu’à la garde, dans un bruit proche de celui d’une
meute de vieilles rombières se délectant d’un éclair
au chocolat dans leur salon de thé préféré… J’en fus
moi-même surpris.
Rares sont les femmes à la gorge profonde… La
plupart des gisquettes te travaillent le gland en
amuse-gueule de chez Weight Watchers… Pas de
gourmandise, pas de râles étouffés, elles te pompent
comme si ta queue se résumait aux cinq premiers
centimètres… Et quant à recevoir un petit compliment sur les balloches… tiens, fume !
Bref, j’étais pompé comme rarement, ce qui me
laissait le loisir de mieux mater la déco de son
appartement… De temps en temps, je regardais la
Lisa à l’ouvrage, relevais avec douceur une mèche
de ses cheveux… Elle y mettait du cœur, et une telle
ardeur faisait plaisir à voir. Un coup d’œil sur ma
montre aussi : j’aime bien chronométrer les performances de cette nature.
Et puis soudain, sans que je comprenne la
manœuvre, elle stoppa net son fellatoire tutoiement,
se mit à tousser, éructer, aboyer des sons sans mots,
mousser et vomir un peu. Je m’inquiétai. Surpris, je
vis la fille se contorsionner, se tordre en convulsions.
Ces spasmes n’étaient pas des spasmes de jouissance,
même si mon ego me permettait de l’envisager. Et
avant même de pouvoir dire quoi que ce soit, Lisa
eut un râle plus fort, une crispation brutale, et mourut sans dire au revoir, foudroyée !
Je ne sais pas si cela vous arrive souvent, mais voir
claquer une personne à moins d’un mètre de vous,
ça bouleverse son homme. Alors imaginez si elle
était en train de vous administrer une pipe de première… Autant dire que j’ai débandé illico. Ma
queue ressemblait à une zézette de bambin juste
sorti d’une baignade dans la Manche en plein
hiver… Luisante encore de la salive de la défunte,
elle se sentait aussi ridicule que responsable. Je me
retrouvai comme un con au milieu du salon, avec à
mes pieds une créature inerte et à jamais refroidie.
J’en eus un vertige. Une sorte de malaise. Bien sûr,
sur l’instant, j’essayai de ranimer la belle… Fouillant
sa bouche, assenant claques et bousculades, l’appelant de tous ses noms, m’essayant même au boucheà-bouche et au massage cardiaque. Et dire qu’il aura
fallu qu’elle meure pour que mes lèvres touchent les
siennes… La vie est mal faite, mais la mort est pire.
Blanc. KO debout. Rien à espérer du gong pour
être sauvé… La moquette devint sable mouvant.
J’eus l’impression que tout basculait. C’est elle qui
était morte mais c’est ma vie à moi qui défilait sous
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mes yeux. Que faire ? Devais-je appeler la police ?
Les secours ? Devais-je appeler mon ami Pierre,
Jean-Marc ou Sylvain ? Devais-je appeler mon père ?
Allô, Papa, une fille est morte en me tétant l’ergot,
j’l’ai pas fait exprès !
Devais-je ne rien dire et filer discrètement non
sans avoir, comme un assassin, effacé mes traces et
empreintes ? Devais-je attaquer le cadavre encore
chaud au couteau électrique ? J’étais perdu, looser
de première, renvoyé direct à la case du faux départ.
Ah ! Il était beau le séducteur à deux balles. Il avait
fière allure le commercial de pointe à la stratégie
fine, le représentant en train de se rhabiller comme
un con devant sa conquête défaite et défunte. Moi
qui d’habitude aimais me saper vite après l’amour,
fuyant comme la peste les tendresses affectueuses
et lancinantes du postcoït, là je n’y arrivais pas.
Comme si m’habiller m’imposait une décision, une
action… J’avais comme la nausée, une gerbe incoercible. Le coup de blues massif. Je ne pus m’empêcher de la déplacer et de la couvrir, lui donner une
expression décente et fermer définitivement cette
bouche restée entrouverte et encore mouillée de son
plaisir…
Bon, il me fallait prendre une décision.
Machinalement, je m’orientai vers la salle de
bains. Envie de me rafraîchir, de m’inonder le visage
d’eau fraîche, de me laver l’esprit en même temps
que la peau. Et cette envie s’amplifiait au fur et à
mesure que j’avançais vers la salle d’eau, au point
de devenir une impérieuse nécessité. La flotte me
fit un bien fou. Peut-être était-ce la distance entre
moi et la fille qui me soulageait. Il faut dire que je
n’avais pas eu tellement l’occasion jusque-là de voir
des morts… Quelques accidents de la route, une
vieille tante, un voisin de lit d’hôpital lors d’un bref
séjour pour une banale opération de l’appendicite
et un copain, terrassé par le sida. Mais jamais une
fille si jeune, et encore moins en pleine vitalité.
La serviette de bain était douce et sentait bon le
linge de maison. J’aurais donné cher pour que mon
visage ne sorte jamais de cette tendre étoffe. Je
savais que dès que j’aurais retiré ma tête, il me faudrait agir. Alors j’en profitais. En reposant la serviette, je vis la collection d’échantillons de parfums
que j’avais pronostiquée en arrivant. En d’autres
temps, cela m’aurait fait sourire. Mais là, non. Par
chance, la collectionneuse avait ma marque. Je
vidai la mignonnette dans ma paume et m’en frottai le visage et la nuque. Puis je pris soin d’ajuster
ma chemise et de rouler ma cravate dans ma poche.
S’il me fallait faire des efforts – déplacer un cadavre
par exemple – autant être à mon aise. En sortant
de la salle de bains, je pris le temps de visiter l’appartement plus en profondeur. Je pénétrai dans la
chambre à coucher, alcôve qui aurait pu abriter la
suite de nos ébats fougueux. Mais la pièce resterait
à jamais privée de nos présences agitées et soupireuses.
Là encore, j’avais eu raison quant à la présence du
nounours et de la poupée au clin d’œil éternel, sur
le lit. Je jetai un rapide coup d’œil et, machinalement, contournai le lit et me dirigeai vers un bureau
au fond de la pièce où se tenait, fier, un ordinateur.
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Sur l’écran, une boule en 3D faisait office d’économiseur, rebondissant mollement au gré de ses fantaisies. À peine touchée, la souris la fit disparaître.
Par chance Lisa n’avait pas éteint sa machine. Je
pouvais donc regarder ce qu’elle contenait sans avoir
à craquer d’éventuels mots de passe.
Direction le menu Démarrer, rubrique Documents
récents. Envie de voir ce qui avait motivé Lisa peu de
temps avant sa mort…
Figuraient quelques lettres. J’ouvris ces documents
et lus. L’une d’elles était adressée à une amie, une
certaine Mia. Elle faisait mention d’un séjour prochain que les deux copines passeraient ensemble.
Les deux filles devaient se retrouver pour parler d’un
voyage et apparemment Lisa était ultrapressée d’arriver à cette date de retrouvailles. En revanche, ce
qui me surprit, ce fut le style qu’elle employait pour
évoquer ses motivations. Il y avait bien sûr des
envies de vacances, mais également une furieuse
envie de mettre de la distance entre elle et un certain Marc.
Je décidai de l’imprimer. Je voulais garder ce courrier.
J’en ouvris un autre. Il concernait une contestation envoyée aux barons du fisc. Lisa avait eu des
soucis avec un agent de cette vénéneuse institution.
Apparemment, le litige portait sur des notes de frais
contestées par un petit inquisiteur sourcilleux et
teigneux. Leurs échanges s’étaient visiblement mal
passés car Lisa réclamait un arbitrage à un chef de
service qui, certainement, se contenterait d’une
réponse type, aussi négative que mal photocopiée.
Il y était question de harcèlement moral, de
menaces directes, d’atteintes à la vie privée, de
regards libidineux, d’allusions grossières et de tentatives d’intimidation. Bref, rien de très surprenant.
Cela me rappelait un contrôle que j’avais eu alors
que j’étais étudiant. J’avais eu la bonne idée de me
faire un peu d’argent de poche pour mes vacances
en revendant à des copains d’amphi des petits logiciels qu’un voisin autiste avait conçus. Ces petites
merveilles permettaient de craquer n’importe quel
mot de passe libérant l’accès à des sites Internet
payants. Sitôt lancé sur un ordinateur, le logiciel de
ce génie générait des combinaisons et, en moins de
cinq minutes, les portes du paradis s’ouvraient.
Imaginez le succès auprès de mes potes qui se
voyaient autoriser l’accès à des centaines de sites de
fesses. De quoi leur permettre des années entières
de branlettes. Ce logiciel offrait l’accès à un éden de
chattes et de culs digitalisés. Bref, en quelques
semaines, je me fis assez d’argent de poche pour me
payer une voiture et envisager un petit mois de
vacances dans un club coûteux où je pus faire reluire
des mères de famille snobinardes, délaissées par la
sportivité saisonnière de leurs maris ventrus, et
accessoirement déniaiser leurs filles.
Le problème, c’est que, parmi mes collègues
d’école, se trouvait le fils d’un inspecteur des
Finances. Ce gamin était un trou-du-cul dont la
descente testiculaire était en cours et qui portait
sur sa gueule de raie autant de points noirs que
j’avais eu de conquêtes. Ce qui en langage clair
voulait dire qu’avec 20 % de comédons en plus,
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l’émasculé naturel aurait pu être pris pour un Black.
Malheureusement pour moi, le puceau à vie était
de surcroît un ardent défenseur de la moralité. Et
sa haine de moi n’avait d’égal que le gras de sa peau.
Éduqué dans la plus pure tradition de l’amour de
la délation et de la torture, il m’avait balancé à son
père qui s’était employé à faire de moi un exemple.
L’aubaine était trop belle pour montrer à son fils
qu’il ne fallait pas plaisanter avec le pognon facile,
et, qui plus est, obtenu en permettant à d’autres
l’accès à des créatures de perdition. Bref, en moins
d’un mois, mon cas était devenu la coqueluche du
centre des Impôts. Tous les inspecteurs vénéraient
mon nom. Je provoquais, à la simple évocation de
ce qu’on allait me faire, des scènes de liesse où l’on
voyait les polyvalents se trémousser, s’ébrouer, se
féliciter mutuellement… Certains organisèrent des
happenings où l’on brûlait en autodafé des fac-similés
de demandes de grâce, et certaines contrôleuses se
retrouvèrent enceintes.
J’en pris donc plein ma besace. Convocations,
recommandés, descentes inopinées en plein amphi
avec fouille au corps et touché rectal, contrôles fiscaux étendus à mes parents, mes tantes, oncles,
nièces, voisins de palier, concierge, facteur et boulangère. Je connus l’enfer. Autopsié de mon vivant,
j’étais devenu un contribuable pour vivisection
administrative. Les amis qui me restaient fidèles
communiquaient avec moi par signaux de fumée de
clopes et faisaient mine de ne pas me connaître pour
ne pas attirer la vindicative observation de mon
délateur purulent et néanmoins éleveur émérite de
vers de peau. Même les filles qui d’ordinaire se trémoussaient à l’entrée de l’école lorsque j’arrivais le
matin, hurlant leurs pulsions femelles sans aucun
amour-propre, se méfiaient d’être vues en ma présence et étaient obligées d’employer mille manigances pour avoir la joie et l’émoi de ma légendaire
saillie. L’affaire s’était soldée par une suite de tracasseries auxquelles je mis fin en envoyant au père
de mon Judas de promotion une pure Mata Hari.
Marie-France était son nom.
Et la Marie-France en question avait, pour elle et
pour ma cause, trois atouts majeurs : une paire de
seins énormes, un caractère de pure dominatrice et
un gode-ceinture faisant de l’ombre à l’obélisque de
la Concorde. L’idée était de piéger mon tortionnaire.
Marie-France eut vite fait de le séduire en se rendant
à son bureau un lundi matin, habillée comme il se
doit d’un tailleur strict emprunté à sa voisine inspectrice de l’Éducation nationale. Objet de la visite :
opérer une bonne fausse délation. Le sadique fiscal
avait été subjugué par cette noble démarche et par
la méchanceté affirmée de ma poitrinaire amie. Le con
avait eu l’audace de lui proposer aussitôt un rendezvous en cinq à sept pour le soir même. Rendez-vous
qu’elle accepta à condition qu’il trouve lui- même
un hôtel aussi chic que coûteux et discret.
Arrivé sur les lieux, le fonctionnaire avait connu
l’extase. Marie-France l’avait accueilli en lui décernant en guise de bonsoir une gifle phénoménale. Le
genre de claque que l’on ne sent pas tout de suite
mais qui vous fait siffler l’oreille pendant une
semaine.
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Le mec en avait immédiatement conçu une érection qui lui fit claquer quelques vaisseaux sanguins
à la base de sa chipolata à baise. Il interpréta cette
inédite vigueur comme un don de Dieu et, tandis
qu’il se signait à genoux en psalmodiant, les yeux
remplis de larmes, Marie-France lui intima l’ordre
de lui lécher les bottes. Il faut dire qu’elle avait
revêtu une tenue de circonstance à mi-chemin entre
le folklore tyrolien et la charge de la cavalerie légère,
le tout évidemment en pur skaï. Puis, comme elle
n’était pas en manque d’inspiration, elle couvrit le
perfide d’insultes de la plus belle espèce. Vaincu par
tant de bonheur, l’inspecteur-contrôleur ne contrôlait plus rien et demanda lui-même sa pénitence
anale. Il supplia sa nouvelle égérie de forcer son
rond, ce qu’elle fit avec son gode phénoménal, à
grands coups de reins et sans aucuns préliminaires
lubrificateurs.
Je n’arrivai pas bien à distinguer la chose sur ma
vidéo, mais il me sembla qu’à la première introduction, les yeux de l’enculé fiscal lui sortirent de la
tête… Trois jours d’arrêt maladie après, pour cause
de cicatrisation, le dominé intime reçut dans son
bureau l’un de mes amis qui lui montra, en guise
de bande-annonce, quelques extraits de son premier
rôle-titre. La réaction fut immédiate et le marché
conclu. Fin de mon aventure fiscale avec les honneurs du jury.
Le troisième courrier de Lisa, lui, me mit sur le cul.
Il s’agissait ni plus ni moins que de sa démission.
Ainsi donc, Lisa était depuis près de trois semaines
sur le point de quitter les fonctions qui m’avaient
poussé à la séduire. Bien sûr, je ne me doutais pas
un seul instant de ce projet. Quel gâchis ! Non seulement j’avais dragué cette jeune femme pour des
motifs peu avouables mais en plus, je m’étais trompé
de cheval. Lisa devait être sur le point de finir son
préavis et elle aurait été bien incapable de m’aider
dans mes investigations commerciales. J’imprimai le
document.
Je décidai enfin d’aller faire un tour sur le Web et
de voir, grâce à la mémoire de son navigateur, les
sites que Lisa aimait. Rien de très passionnant, sauf
peut- être son inscription récente à un club de rencontres. Mot de passe ? Je ne l’avais pas. Je ne
connaissais que son pseudo : SœurAnne. Original.
Je demanderai plus tard à un ami de me permettre
d’endosser virtuellement l’identité de ma défunte
maîtresse et ainsi de dialoguer avec des gens qui
peut-être m’en diraient plus sur la morte.
Avant de partir, je fis une sauvegarde de son
disque dur sur un CD. Lisa était bien équipée.
J’aurai tout le contenu de son ordinateur pour
mieux comprendre sa personnalité.
En retournant vers le salon, je me demandais ce
que j’allais bien pouvoir faire. Le couloir était
devenu lugubre. Il me menait à cette fille décédée
et j’aurais payé cher pour ne pas avoir à nouveau à
lui faire face. Je redoutais la rigidité cadavérique,
étais terrorisé de voir son visage sans doute bleui…
Ô couloir, ne te termine jamais… Dans la pièce
régnait encore une sorte d’ambiance de vie. Je me
rappelais mon arrivée et le plan que j’avais en tête.
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Je m’en voulais amèrement. Mais ce que je vis me
glaça le sang presque davantage que le trépas auquel
j’avais assisté depuis le bout de ma queue.
Lisa avait purement et simplement disparu. Son
corps avait fui le plaid dont je l’avais recouvert.
Celui-ci avait même été plié soigneusement et remis
à sa place. Machinalement je fis un tour sur moimême, me faisant un panoramique complet de la
pièce. J’allais jusqu’aux rideaux vérifier si la fille ne
me faisait pas le coup du « si tu me trouves, tu me
baises… » Doucement, j’appelai. Lisa ? Lisa ? Lisa ?
Je passai dans toutes les pièces, ouvris les portes des
placards, regardai partout dans les moindres recoins.
Pas de Lisa. Rien. Il me fallait un verre. Là, franchement, l’ambiance devenait cauchemardesque.
Recherchant le corps, j’avais repéré un placard où se
tenaient quelques bouteilles d’alcool. Une bouteille
de whisky neuve, une de porto déjà bien entamée,
une de bénédictine à l’étiquette vieillotte et fort heureusement… une de vodka. Je pris un verre, y déversai le breuvage salutaire et portai le tout à ma
bouche. Une lampée digne d’un moujik en rut à qui
on vient d’apprendre que sa datcha a été réquisitionnée avec son stock de pois chiches par un dignitaire du parti, amouraché de sa gonzesse collectiviste.
Le genre de gorgée qui vous passe l’appareil digestif au déboucheur liquide. L’alcool me redonna furtivement une vigueur que j’avais perdue dans cette
infernale séquence de ma vie. Mais tout de suite
après l’inflammation de mon estomac et la remise
en place de mes méninges, la vodka me scia les
jambes et je dus trouver au plus vite une chaise pour
m’asseoir. Faire le point. Résumons-nous : je suis sur
une affaire de plusieurs millions de dollars, je séduis
une fille proche des décisionnaires pour en savoir
plus sur mes concurrents, je me fais pomper gentiment sans l’avoir demandé et la fille claque avant
même d’avoir eu le temps de se refaire un stock de
salive, je me rafraîchis, investigue pour comprendre
et de retour dans la pièce funèbre, le cadavre de la
fille a disparu. Bon là, il me fallait un sous-titrage de
première. Je ne pigeais plus rien.
Je décidai de quitter les lieux. Je n’avais plus rien à
y faire sinon prendre quelques éléments qui me permettraient peut-être de comprendre le scénario de
ce film inclassable : le CD, les tirages papier, l’agenda
que je trouvai près du téléphone, un jeu de clés des
lieux et le sac à main, encore présent au milieu des
sacs de provisions.
Direction la porte, l’ascenseur, puis la rue.
L’air du soir était frais. Il me fit du bien.
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