BAD BUSINESS_BAT
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Gin Bad Business Chapitre 1 Sa chatte ressemblait à un shar-pei. Le genre fripé, brunâtre et moussu… Au cœur d’une fente apparemment normale, la fille avait une espèce de boule de lèvres, gonflée de volutes charnues, qui devait être rasée de frais. Sur le moment, j’en avais autant envie que de me taper une retraite jésuite. Mais il me fallait séduire ce bout de chair sensible et, accessoirement, le cerveau qui allait derrière. Lui faire croire, en un bouche-à-con empli de soupirs et de gourmandise, que j’en appréciais autant le goût que la texture. La fille devait gémir, crier, remettre en cause ses certitudes, faute de quoi je perdrais mon marché. Je suis un commercial, comme on dit. Un de ces types bourrés de charme, qui vendrait son carnet à souches à une contractuelle acariâtre. On m’appelle Golden-burnes dans les milieux où, sur des devis, j’ai fait saigner les Montblanc. Et la fille que je tenais à portée de langue avait 7 Bad Business 8 pour elle une vue imprenable sur les offres de mes concurrents. Il me fallait lui en donner pour son grade de secrétaire au nom de la trahison qu’elle devait commettre. Bien sûr, j’en étais pas très fier. Mais ce marché était capital pour le groupe d’industriels que je représentais. Ça faisait en effet un an que je m’étais rapproché d’un consortium dont la spécialité était la vente de tout ce qui touche au milieu hospitalier, du bassin d’aisance au scanner nucléaire de dernière génération. Le groupe avait été créé par trois frères : Karl, Samson et Louis Gougnard. Au début de l’an 2000, et alors que le cadet sortait à peine de faculté, les frères avaient mis au point une invention extraordinaire qui allait bouleverser le monde très fermé de la suture. Les trois gars avaient eu l’idée d’intégrer aux fibres du fil chirurgical des microcapteurs capables d’informer le praticien sur l’état de cicatrisation interne du malade et ce, par une simple connexion. Le succès avait été fulgurant. Par la suite, ils avaient développé le concept en intégrant encore plus de technologie dans ce fil génial. Ainsi était-il possible aujourd’hui de modifier le serrage des points, de brancher n’importe quel ordinateur familial pour connaître la situation de la plaie, de délivrer à volonté des antibiotiques intégrés ou des produits de désinfection et même, de permettre une localisation satellitaire des malades nomades. Une invention aussi pratique que lucrative qui rapportait, bon an mal an, un petit milliard de dollars à chacun. Bref, les trois frères n’avaient plus de soucis à se faire pour les étrennes de leur gardienne… Et moi, le torse conquérant, le boxer-short ajusté sur ma barre à mine à bonheur, j’étais là, debout devant cette fille qui commençait à miauler sévèrement. La parfumée-pas-cher ondulait de la croupe, me laissant voir à l’envi son bestiau à plaisirs. Son impatience faisait plaisir à voir ! D’autant que je ne l’avais rencontrée que quelques minutes plus tôt dans l’ascenseur. J’avais enquêté sur la môme durant quelques jours. Et je savais tout d’elle. Ses origines, ses habitudes, ses consommations, ses relations, ce qu’elle votait, ses commerçants préférés, le contenu de ses poubelles, son état de santé, son cycle menstruel… Bref, tout. La séduction express a ses exigences. Bien connaître sa cible est primordial. La plupart des hommes négligent cette dimension. Draguer une femme, c’est avant tout enquêter sur elle. Les dragueurs de base le savent lorsqu’ils questionnent leur proie au détour d’un linéaire de supermarché : « Savez-vous où se trouvent les huiles ? » Et déjà, la relation s’établit sur une triple dimension : valorisation, reconnaissance, gratitude. De quoi autoriser ensuite toutes les audaces. Bien sûr, je n’avais pas interrogé la fille comme cela. Il m’avait suffi de lui demander si elle connaissait un bon serrurier, prétextant un oubli de clé… Pour elle, j’étais un voisin esseulé, nouvellement installé dans l’immeuble… Un « Cela vous ennuierait beaucoup de l’appeler pour moi ? Je n’ai plus de portable depuis le décès de ma femme… » avait eu raison de ses craintes primales. 9 Bad Business 10 La fille s’était d’un coup perdue en excuses, en désolations, en sympathies polymorphes… Il me suffit alors de lui dire que cela faisait déjà quelque temps et que nous étions sur le point de nous séparer avant le funeste événement pour qu’elle envisage de me consoler sans avoir à respecter un quelconque veuvage… Génial, non? En tout cas, dès le cling annonçant l’étage, je me retrouvai à suivre du regard sa croupe ondulante s’orienter sans aucune crainte vers son appartement. Entre-temps, dans l’ascenseur, je m’étais inquiété du poids de ses sacs de commissions et les lui avais pris des mains d’autorité, doublant ainsi d’un coup mon capital sympathie. La clé introduite, je découvris un appartement gentillet comme seules les femmes célibataires de plus de trente ans savent les décorer… Tout était au cordeau. On aurait dit qu’elle attendait la visite d’un photographe de magazine féminin, faisant un reportage sur le néoclassicisme des appartements de moins de 50 m2. Les bibelots s’alignaient sur des napperons niais dans un faux aléatoire, les photographies s’étalaient sur des pêle-mêle à aimants, exposant de bonnes copines rieuses, rougeaudes et sans doute éméchées, quelques enfants tendres dont elle devait être la marraine, la tante ou la cousine, un chat ahuri aux yeux rouges et trois couchers de soleil évoquant certainement pour elle un grand amour de vacances brutalement interrompu par les goujateries d’un bellâtre bronzé. Comme toujours dans ce type d’appartement, des plaids protégeaient les coussins d’un canapé trop cher. Des potspourris exhalaient leurs odeurs bigarrées, conférant à l’endroit une salubrité presque désagréable. De l’ordre et une féminité bonbonnière. On sentait que l’homme et ses éructations bordéliques n’avaient pas séjourné ici depuis longtemps. Je pronostiquais des magazines déco dans des toilettes impeccables, tout comme j’étais sûr de trouver un alignement d’échantillons de parfums à jamais inutilisés dans la salle de bains. Ce qui – si mon intuition se révélait juste – m’assurait inévitablement de trouver la demi-bouteille de champagne dans le frigo et l’inébranlable nounours sur le lit, uni définitivement à une poupée hors d’âge, atteinte de calvitie et d’une lourdeur de paupière… Bref, je connaissais les lieux sans même les avoir visités. Que voulez-vous, la vie moderne autorise la solitude mais normalise les esseulés… Ma mission était donc simple, claire et tracée. La fille devait succomber, s’amouracher et, par conséquence, m’amener d’une façon ou d’une autre à connaître l’offre de mon principal concurrent. J’imaginais, pour mon amour-propre, que le confrère en question allait employer des moyens sûrement plus inavouables pour connaître la nôtre. Le marché valait son pesant d’or. Il s’agissait d’assurer l’approvisionnement des Hôpitaux nationaux pendant trois ans pour toutes les fournitures d’opérations et de soins. Au bas mot, une première commande de quarante millions de dollars. Et pour bibi, une commission qui me permettrait d’acheter une ou deux Ferrari et d’inviter à dîner à vie les soupireuses épilées qui vont avec. Mais pour tout dire, 11 Bad Business 12 dans ce job, ce n’était pas le pognon qui me motivait le plus, plutôt la victoire sur l’adversaire. L’instinct de prédation en quelque sorte. Quand je tape une affaire, je ressens comme une jouissance, une plénitude postcoïtale qui me laisse sur le coup un rictus nigaud, un sentiment quasi extatique. Normal que dans ces conditions, je n’hésite pas à séduire une fille pour arriver à mes fins. Et ma méthode avait l’avantage de permettre à deux adultes consentants de se donner mutuellement du plaisir. Après tout, n’était-ce pas déjà là une victoire? — Venez, hummmm, qu’attendez-vous ? Je suis toujours épaté par cette nouvelle manie qu’ont les femmes de cet âge de vouvoyer les hommes rencontrés de frais et qui sont à deux doigts de leur coller paupaul dans la gorge… Ça doit les faire mouiller bourgeoise… La fille s’appelait Lisa. Et la Lisa en question n’avait plus sur elle qu’un soutien-gorge sans coutures et une paire de mules à talons, sans doute neuves vu l’état des semelles. Elle avait entamé une chaloupe sur canapé, faisant onduler son corps au rythme de ses propres gémissements. Le plaid protecteur des coussins n’y avait pas résisté. Il avait laissé la place à la Lisa qui n’avait pas dû voir un os à plaisir depuis des lustres. Il y avait fort à parier qu’elle allait aimer mon électrode à sensation. Et plus j’appréciais le temps qui passait et plus la Lisa s’échauffait les sens. Les baiseurs du dimanche sont vraiment des glands. Lorsqu’ils sautent avec impatience sur leur gonzesse, leur empoignant d’autorité un sein ou pire le berlingot, ils se privent d’un plaisir pourtant évident : laisser la fille s’échauffer toute seule. C’est tout bénef. Elle se met d’autorité à la bonne cuisson, il n’y a plus qu’à déguster… Bref, Lisa avait de toute évidence atteint une température vésuvienne et je sentis que mon heure d’entrer en scène avait sonné… D’une main agile et soigneusement manucurée, j’attrapai le nœud de ma cravate pour en libérer le serrage. Ce geste pourtant anodin sembla attiser encore plus l’excitation de ma pseudo-voisine. Se relevant fougueusement, elle se mit à genoux sur son sofa et donna à sa voix une intonation rauque, suave et surnaturelle. Elle me tendit les bras et, comme je m’approchai pour lui donner entière satisfaction, m’attrapa par les passants de ma ceinture. Utilisant ces poignées improvisées, elle m’attira vers elle. Sans modifier l’angle de son visage baissé sur son futur ouvrage de déshabilleuse, elle me regarda dans les yeux avec impertinence et interrogation. Comme toujours en pareilles circonstances, je sentis enfler mon reproducteur. Mon bâton à pèlerine avait déjà atteint sa taille adulte quand elle prit congé de ma ceinture. Puis, j’entendis le crépitement discret de ma fermeture éclair faire écho à ses soupirs gourmands. Quelques secondes encore et il y aurait une conférence au sommet. Si la fille ne se reculait pas, elle prendrait mon gland dans le nez. À ce degré d’engorgement sanguin, ma pine peut avoir un ressort uppercut. Protège-dents obligatoire pour la môme gourmande qui débusque sans distance ma 13 Bad Business 14 tige à boules. Ma chemise était toute déboutonnée et je m’empressai de la quitter. Le look liquette pendante avec chibre au milieu, pantalon sur les chevilles et chaussettes, très peu pour moi… En un éclair, je m’en débarrassai sans craindre de la froisser et de devoir la repasser au Caterpillar. Entretemps, Lisa avait eu raison de mon boxer et s’émerveillait sans retenue de mon perchoir à autruche. Heureusement, j’avais eu le temps de me rafraîchir et me présentai donc à la bouche de la demoiselle sans redouter une négligence de trappeur canadien. Elle ne s’y trompa pas et m’engama jusqu’à la garde, dans un bruit proche de celui d’une meute de vieilles rombières se délectant d’un éclair au chocolat dans leur salon de thé préféré… J’en fus moi-même surpris. Rares sont les femmes à la gorge profonde… La plupart des gisquettes te travaillent le gland en amuse-gueule de chez Weight Watchers… Pas de gourmandise, pas de râles étouffés, elles te pompent comme si ta queue se résumait aux cinq premiers centimètres… Et quant à recevoir un petit compliment sur les balloches… tiens, fume ! Bref, j’étais pompé comme rarement, ce qui me laissait le loisir de mieux mater la déco de son appartement… De temps en temps, je regardais la Lisa à l’ouvrage, relevais avec douceur une mèche de ses cheveux… Elle y mettait du cœur, et une telle ardeur faisait plaisir à voir. Un coup d’œil sur ma montre aussi : j’aime bien chronométrer les performances de cette nature. Et puis soudain, sans que je comprenne la manœuvre, elle stoppa net son fellatoire tutoiement, se mit à tousser, éructer, aboyer des sons sans mots, mousser et vomir un peu. Je m’inquiétai. Surpris, je vis la fille se contorsionner, se tordre en convulsions. Ces spasmes n’étaient pas des spasmes de jouissance, même si mon ego me permettait de l’envisager. Et avant même de pouvoir dire quoi que ce soit, Lisa eut un râle plus fort, une crispation brutale, et mourut sans dire au revoir, foudroyée ! Je ne sais pas si cela vous arrive souvent, mais voir claquer une personne à moins d’un mètre de vous, ça bouleverse son homme. Alors imaginez si elle était en train de vous administrer une pipe de première… Autant dire que j’ai débandé illico. Ma queue ressemblait à une zézette de bambin juste sorti d’une baignade dans la Manche en plein hiver… Luisante encore de la salive de la défunte, elle se sentait aussi ridicule que responsable. Je me retrouvai comme un con au milieu du salon, avec à mes pieds une créature inerte et à jamais refroidie. J’en eus un vertige. Une sorte de malaise. Bien sûr, sur l’instant, j’essayai de ranimer la belle… Fouillant sa bouche, assenant claques et bousculades, l’appelant de tous ses noms, m’essayant même au boucheà-bouche et au massage cardiaque. Et dire qu’il aura fallu qu’elle meure pour que mes lèvres touchent les siennes… La vie est mal faite, mais la mort est pire. Blanc. KO debout. Rien à espérer du gong pour être sauvé… La moquette devint sable mouvant. J’eus l’impression que tout basculait. C’est elle qui était morte mais c’est ma vie à moi qui défilait sous 15 Bad Business 16 mes yeux. Que faire ? Devais-je appeler la police ? Les secours ? Devais-je appeler mon ami Pierre, Jean-Marc ou Sylvain ? Devais-je appeler mon père ? Allô, Papa, une fille est morte en me tétant l’ergot, j’l’ai pas fait exprès ! Devais-je ne rien dire et filer discrètement non sans avoir, comme un assassin, effacé mes traces et empreintes ? Devais-je attaquer le cadavre encore chaud au couteau électrique ? J’étais perdu, looser de première, renvoyé direct à la case du faux départ. Ah ! Il était beau le séducteur à deux balles. Il avait fière allure le commercial de pointe à la stratégie fine, le représentant en train de se rhabiller comme un con devant sa conquête défaite et défunte. Moi qui d’habitude aimais me saper vite après l’amour, fuyant comme la peste les tendresses affectueuses et lancinantes du postcoït, là je n’y arrivais pas. Comme si m’habiller m’imposait une décision, une action… J’avais comme la nausée, une gerbe incoercible. Le coup de blues massif. Je ne pus m’empêcher de la déplacer et de la couvrir, lui donner une expression décente et fermer définitivement cette bouche restée entrouverte et encore mouillée de son plaisir… Bon, il me fallait prendre une décision. Machinalement, je m’orientai vers la salle de bains. Envie de me rafraîchir, de m’inonder le visage d’eau fraîche, de me laver l’esprit en même temps que la peau. Et cette envie s’amplifiait au fur et à mesure que j’avançais vers la salle d’eau, au point de devenir une impérieuse nécessité. La flotte me fit un bien fou. Peut-être était-ce la distance entre moi et la fille qui me soulageait. Il faut dire que je n’avais pas eu tellement l’occasion jusque-là de voir des morts… Quelques accidents de la route, une vieille tante, un voisin de lit d’hôpital lors d’un bref séjour pour une banale opération de l’appendicite et un copain, terrassé par le sida. Mais jamais une fille si jeune, et encore moins en pleine vitalité. La serviette de bain était douce et sentait bon le linge de maison. J’aurais donné cher pour que mon visage ne sorte jamais de cette tendre étoffe. Je savais que dès que j’aurais retiré ma tête, il me faudrait agir. Alors j’en profitais. En reposant la serviette, je vis la collection d’échantillons de parfums que j’avais pronostiquée en arrivant. En d’autres temps, cela m’aurait fait sourire. Mais là, non. Par chance, la collectionneuse avait ma marque. Je vidai la mignonnette dans ma paume et m’en frottai le visage et la nuque. Puis je pris soin d’ajuster ma chemise et de rouler ma cravate dans ma poche. S’il me fallait faire des efforts – déplacer un cadavre par exemple – autant être à mon aise. En sortant de la salle de bains, je pris le temps de visiter l’appartement plus en profondeur. Je pénétrai dans la chambre à coucher, alcôve qui aurait pu abriter la suite de nos ébats fougueux. Mais la pièce resterait à jamais privée de nos présences agitées et soupireuses. Là encore, j’avais eu raison quant à la présence du nounours et de la poupée au clin d’œil éternel, sur le lit. Je jetai un rapide coup d’œil et, machinalement, contournai le lit et me dirigeai vers un bureau au fond de la pièce où se tenait, fier, un ordinateur. 17 Bad Business 18 Sur l’écran, une boule en 3D faisait office d’économiseur, rebondissant mollement au gré de ses fantaisies. À peine touchée, la souris la fit disparaître. Par chance Lisa n’avait pas éteint sa machine. Je pouvais donc regarder ce qu’elle contenait sans avoir à craquer d’éventuels mots de passe. Direction le menu Démarrer, rubrique Documents récents. Envie de voir ce qui avait motivé Lisa peu de temps avant sa mort… Figuraient quelques lettres. J’ouvris ces documents et lus. L’une d’elles était adressée à une amie, une certaine Mia. Elle faisait mention d’un séjour prochain que les deux copines passeraient ensemble. Les deux filles devaient se retrouver pour parler d’un voyage et apparemment Lisa était ultrapressée d’arriver à cette date de retrouvailles. En revanche, ce qui me surprit, ce fut le style qu’elle employait pour évoquer ses motivations. Il y avait bien sûr des envies de vacances, mais également une furieuse envie de mettre de la distance entre elle et un certain Marc. Je décidai de l’imprimer. Je voulais garder ce courrier. J’en ouvris un autre. Il concernait une contestation envoyée aux barons du fisc. Lisa avait eu des soucis avec un agent de cette vénéneuse institution. Apparemment, le litige portait sur des notes de frais contestées par un petit inquisiteur sourcilleux et teigneux. Leurs échanges s’étaient visiblement mal passés car Lisa réclamait un arbitrage à un chef de service qui, certainement, se contenterait d’une réponse type, aussi négative que mal photocopiée. Il y était question de harcèlement moral, de menaces directes, d’atteintes à la vie privée, de regards libidineux, d’allusions grossières et de tentatives d’intimidation. Bref, rien de très surprenant. Cela me rappelait un contrôle que j’avais eu alors que j’étais étudiant. J’avais eu la bonne idée de me faire un peu d’argent de poche pour mes vacances en revendant à des copains d’amphi des petits logiciels qu’un voisin autiste avait conçus. Ces petites merveilles permettaient de craquer n’importe quel mot de passe libérant l’accès à des sites Internet payants. Sitôt lancé sur un ordinateur, le logiciel de ce génie générait des combinaisons et, en moins de cinq minutes, les portes du paradis s’ouvraient. Imaginez le succès auprès de mes potes qui se voyaient autoriser l’accès à des centaines de sites de fesses. De quoi leur permettre des années entières de branlettes. Ce logiciel offrait l’accès à un éden de chattes et de culs digitalisés. Bref, en quelques semaines, je me fis assez d’argent de poche pour me payer une voiture et envisager un petit mois de vacances dans un club coûteux où je pus faire reluire des mères de famille snobinardes, délaissées par la sportivité saisonnière de leurs maris ventrus, et accessoirement déniaiser leurs filles. Le problème, c’est que, parmi mes collègues d’école, se trouvait le fils d’un inspecteur des Finances. Ce gamin était un trou-du-cul dont la descente testiculaire était en cours et qui portait sur sa gueule de raie autant de points noirs que j’avais eu de conquêtes. Ce qui en langage clair voulait dire qu’avec 20 % de comédons en plus, 19 Bad Business 20 l’émasculé naturel aurait pu être pris pour un Black. Malheureusement pour moi, le puceau à vie était de surcroît un ardent défenseur de la moralité. Et sa haine de moi n’avait d’égal que le gras de sa peau. Éduqué dans la plus pure tradition de l’amour de la délation et de la torture, il m’avait balancé à son père qui s’était employé à faire de moi un exemple. L’aubaine était trop belle pour montrer à son fils qu’il ne fallait pas plaisanter avec le pognon facile, et, qui plus est, obtenu en permettant à d’autres l’accès à des créatures de perdition. Bref, en moins d’un mois, mon cas était devenu la coqueluche du centre des Impôts. Tous les inspecteurs vénéraient mon nom. Je provoquais, à la simple évocation de ce qu’on allait me faire, des scènes de liesse où l’on voyait les polyvalents se trémousser, s’ébrouer, se féliciter mutuellement… Certains organisèrent des happenings où l’on brûlait en autodafé des fac-similés de demandes de grâce, et certaines contrôleuses se retrouvèrent enceintes. J’en pris donc plein ma besace. Convocations, recommandés, descentes inopinées en plein amphi avec fouille au corps et touché rectal, contrôles fiscaux étendus à mes parents, mes tantes, oncles, nièces, voisins de palier, concierge, facteur et boulangère. Je connus l’enfer. Autopsié de mon vivant, j’étais devenu un contribuable pour vivisection administrative. Les amis qui me restaient fidèles communiquaient avec moi par signaux de fumée de clopes et faisaient mine de ne pas me connaître pour ne pas attirer la vindicative observation de mon délateur purulent et néanmoins éleveur émérite de vers de peau. Même les filles qui d’ordinaire se trémoussaient à l’entrée de l’école lorsque j’arrivais le matin, hurlant leurs pulsions femelles sans aucun amour-propre, se méfiaient d’être vues en ma présence et étaient obligées d’employer mille manigances pour avoir la joie et l’émoi de ma légendaire saillie. L’affaire s’était soldée par une suite de tracasseries auxquelles je mis fin en envoyant au père de mon Judas de promotion une pure Mata Hari. Marie-France était son nom. Et la Marie-France en question avait, pour elle et pour ma cause, trois atouts majeurs : une paire de seins énormes, un caractère de pure dominatrice et un gode-ceinture faisant de l’ombre à l’obélisque de la Concorde. L’idée était de piéger mon tortionnaire. Marie-France eut vite fait de le séduire en se rendant à son bureau un lundi matin, habillée comme il se doit d’un tailleur strict emprunté à sa voisine inspectrice de l’Éducation nationale. Objet de la visite : opérer une bonne fausse délation. Le sadique fiscal avait été subjugué par cette noble démarche et par la méchanceté affirmée de ma poitrinaire amie. Le con avait eu l’audace de lui proposer aussitôt un rendezvous en cinq à sept pour le soir même. Rendez-vous qu’elle accepta à condition qu’il trouve lui- même un hôtel aussi chic que coûteux et discret. Arrivé sur les lieux, le fonctionnaire avait connu l’extase. Marie-France l’avait accueilli en lui décernant en guise de bonsoir une gifle phénoménale. Le genre de claque que l’on ne sent pas tout de suite mais qui vous fait siffler l’oreille pendant une semaine. 21 Bad Business 22 Le mec en avait immédiatement conçu une érection qui lui fit claquer quelques vaisseaux sanguins à la base de sa chipolata à baise. Il interpréta cette inédite vigueur comme un don de Dieu et, tandis qu’il se signait à genoux en psalmodiant, les yeux remplis de larmes, Marie-France lui intima l’ordre de lui lécher les bottes. Il faut dire qu’elle avait revêtu une tenue de circonstance à mi-chemin entre le folklore tyrolien et la charge de la cavalerie légère, le tout évidemment en pur skaï. Puis, comme elle n’était pas en manque d’inspiration, elle couvrit le perfide d’insultes de la plus belle espèce. Vaincu par tant de bonheur, l’inspecteur-contrôleur ne contrôlait plus rien et demanda lui-même sa pénitence anale. Il supplia sa nouvelle égérie de forcer son rond, ce qu’elle fit avec son gode phénoménal, à grands coups de reins et sans aucuns préliminaires lubrificateurs. Je n’arrivai pas bien à distinguer la chose sur ma vidéo, mais il me sembla qu’à la première introduction, les yeux de l’enculé fiscal lui sortirent de la tête… Trois jours d’arrêt maladie après, pour cause de cicatrisation, le dominé intime reçut dans son bureau l’un de mes amis qui lui montra, en guise de bande-annonce, quelques extraits de son premier rôle-titre. La réaction fut immédiate et le marché conclu. Fin de mon aventure fiscale avec les honneurs du jury. Le troisième courrier de Lisa, lui, me mit sur le cul. Il s’agissait ni plus ni moins que de sa démission. Ainsi donc, Lisa était depuis près de trois semaines sur le point de quitter les fonctions qui m’avaient poussé à la séduire. Bien sûr, je ne me doutais pas un seul instant de ce projet. Quel gâchis ! Non seulement j’avais dragué cette jeune femme pour des motifs peu avouables mais en plus, je m’étais trompé de cheval. Lisa devait être sur le point de finir son préavis et elle aurait été bien incapable de m’aider dans mes investigations commerciales. J’imprimai le document. Je décidai enfin d’aller faire un tour sur le Web et de voir, grâce à la mémoire de son navigateur, les sites que Lisa aimait. Rien de très passionnant, sauf peut- être son inscription récente à un club de rencontres. Mot de passe ? Je ne l’avais pas. Je ne connaissais que son pseudo : SœurAnne. Original. Je demanderai plus tard à un ami de me permettre d’endosser virtuellement l’identité de ma défunte maîtresse et ainsi de dialoguer avec des gens qui peut-être m’en diraient plus sur la morte. Avant de partir, je fis une sauvegarde de son disque dur sur un CD. Lisa était bien équipée. J’aurai tout le contenu de son ordinateur pour mieux comprendre sa personnalité. En retournant vers le salon, je me demandais ce que j’allais bien pouvoir faire. Le couloir était devenu lugubre. Il me menait à cette fille décédée et j’aurais payé cher pour ne pas avoir à nouveau à lui faire face. Je redoutais la rigidité cadavérique, étais terrorisé de voir son visage sans doute bleui… Ô couloir, ne te termine jamais… Dans la pièce régnait encore une sorte d’ambiance de vie. Je me rappelais mon arrivée et le plan que j’avais en tête. 23 Bad Business 24 Je m’en voulais amèrement. Mais ce que je vis me glaça le sang presque davantage que le trépas auquel j’avais assisté depuis le bout de ma queue. Lisa avait purement et simplement disparu. Son corps avait fui le plaid dont je l’avais recouvert. Celui-ci avait même été plié soigneusement et remis à sa place. Machinalement je fis un tour sur moimême, me faisant un panoramique complet de la pièce. J’allais jusqu’aux rideaux vérifier si la fille ne me faisait pas le coup du « si tu me trouves, tu me baises… » Doucement, j’appelai. Lisa ? Lisa ? Lisa ? Je passai dans toutes les pièces, ouvris les portes des placards, regardai partout dans les moindres recoins. Pas de Lisa. Rien. Il me fallait un verre. Là, franchement, l’ambiance devenait cauchemardesque. Recherchant le corps, j’avais repéré un placard où se tenaient quelques bouteilles d’alcool. Une bouteille de whisky neuve, une de porto déjà bien entamée, une de bénédictine à l’étiquette vieillotte et fort heureusement… une de vodka. Je pris un verre, y déversai le breuvage salutaire et portai le tout à ma bouche. Une lampée digne d’un moujik en rut à qui on vient d’apprendre que sa datcha a été réquisitionnée avec son stock de pois chiches par un dignitaire du parti, amouraché de sa gonzesse collectiviste. Le genre de gorgée qui vous passe l’appareil digestif au déboucheur liquide. L’alcool me redonna furtivement une vigueur que j’avais perdue dans cette infernale séquence de ma vie. Mais tout de suite après l’inflammation de mon estomac et la remise en place de mes méninges, la vodka me scia les jambes et je dus trouver au plus vite une chaise pour m’asseoir. Faire le point. Résumons-nous : je suis sur une affaire de plusieurs millions de dollars, je séduis une fille proche des décisionnaires pour en savoir plus sur mes concurrents, je me fais pomper gentiment sans l’avoir demandé et la fille claque avant même d’avoir eu le temps de se refaire un stock de salive, je me rafraîchis, investigue pour comprendre et de retour dans la pièce funèbre, le cadavre de la fille a disparu. Bon là, il me fallait un sous-titrage de première. Je ne pigeais plus rien. Je décidai de quitter les lieux. Je n’avais plus rien à y faire sinon prendre quelques éléments qui me permettraient peut-être de comprendre le scénario de ce film inclassable : le CD, les tirages papier, l’agenda que je trouvai près du téléphone, un jeu de clés des lieux et le sac à main, encore présent au milieu des sacs de provisions. Direction la porte, l’ascenseur, puis la rue. L’air du soir était frais. Il me fit du bien. 25