Premières étapes de la lecture de la musique

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Premières étapes de la lecture de la musique
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Premières étapes de la lecture de la musique
En général, les enfants ne sont pas capables de comprendre les explications abstraites. Il est donc
préférable d'aborder tous les sujets de manière active et concrète. Les explications abstraites et les
généralisations seront plus compréhensibles si elles viennent dans un deuxième temps.
Ce principe reste souvent valable pour les adultes qui apprennent la musique sur le tard, mais il faut
alors d'autant plus s'adapter à la disposition mentale de chaque individu.
Division du processus en trois étapes
Les deux paramètres de la musique sont :
- le rythme,
- la mélodie.
(Le rythme peut être considéré comme un niveau de vibration lent, et la mélodie comme un niveau
de vibration rapide.)
Pour la majorité des individus, le rythme est plus facile à apprendre que la mélodie. Il est donc en
général préférable de commencer par le rythme.
Ensuite, pour ajouter la mélodie, il faut tout d'abord savoir reconnaître les notes sur la portée.
Lorsque l'élève est capable de dire le nom des notes en rythme, cela constitue une base sur laquelle
il peut confortablement apprendre la mélodie, ce qui – à ce stade – ne peut se faire qu'avec l'aide du
professeur ou d'un instrument de musique.
Pour lire une mélodie, je divise donc le processus en trois étapes :
1) lecture rythmique,
2) lecture parlée (du nom des notes, en rythme),
3) lecture chantée (avec l'aide du professeur ou d'un instrument).
Solmisation des notes
Les moyens techniques des étapes 2) et 3) sont bien connus, puisqu'il suffit d'utiliser la solmisation
traditionnelle. Je n'entre pas dans le débat d'une préférence pour la solmisation absolue ou relative.
Je pense que tous les systèmes sont bons, pourvu qu'ils soient utilisés de manière cohérente.
Solmisation du rythme
Le problème est donc surtout l'étape 1), puisqu'il n'existe pas dans notre culture de « solmisation »
rythmique d'un usage suffisamment répandu pour constituer une référence. Je vais donc proposer cidessous la méthode que j'utilise.
Au début de l'apprentissage, on peut se contenter d'utiliser les valeurs rythmiques suivantes, en
conservant le principe qu'une noire vaut un temps.
- ronde,
- blanche pointée,
- blanche,
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- noire pointée,
- noire,
- croche,
- double-croche.
Une solution consiste à utiliser cette nomenclature pour en faire un système de solmisation
rythmique. On dira donc par exemple :
blan-anch' deux-croch's noir'
Le principal défaut de ce système est la présence de consonnes inutiles, qui compliquent la diction.
En particulier, les consonnes qui se trouvent à la fin des valeurs rythmiques posent un problème
important, parce que l'élève ne sait jamais clairement à quel moment il doit les prononcer.
Il me paraît donc préférable d'utiliser un système dans lequel chaque valeur rythmique est
prononcée sous la forme de :
- une consonne qui marque le début de la valeur,
- une voyelle qui en fait sonner la durée.
Concernant les consonnes, j'ai adopté le principe d'alterner des T et des K. Ce mouvement alterné de
la langue est confortable et facilite la vitesse, comme on le voit dans les « doubles coups de
langue » des instruments à vent, et dans le système rythmique indien.
Pour les voyelles, j'ai adopté le principe de changer de voyelle chaque fois que la valeur se multiplie
ou se divise par deux. Ce qui donne comme système de base :
ronde :
blanche :
noire :
deux croches :
quatre doubles-croches :
to-o-o-o
tou-ou
ta
téké
tikitiki
Les notes pointées sont formées par addition. Par exemple, une blanche pointée est l'addition d'une
blanche et d'une noire, soit « tou-ou-ta », et finalement « tou-ou-a ». Ça paraît un peu compliqué,
mais en pratique, si on l'explique clairement, ça marche assez bien.
Le principe général est de commencer avec seulement deux valeurs rythmiques (par exemple la
noire et la blanche), et de n'ajouter ensuite une nouvelle valeur que lorsque chaque étape est
totalement maîtrisée.
Il faut préciser que ce système convient très bien pour les temps binaires, mais est nettement moins
confortable pour les temps ternaires. On pourrait imaginer qu'une noire pointée, qui vaut alors un
temps ternaire, se prononce « ta », une blanche pointée « tou-ou », etc., mais je n'ai pas encore
expérimenté cette idée avec des élèves.
D'autre part, à partir du moment où il faut apprendre des rythmes plus compliqués, j'abandonne
totalement ce système, et j'en utilise un autre qui est basé sur la décomposition des temps en
comptant les croches sur les doigts, par groupes de deux ou trois. A ce stade, j'abandonne aussi les
changements de voyelles.
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La mesure
Le principe de la mesure en musique est extrêmement difficile à expliquer aux enfants, car les
notions de « cycle » et de « période » sont totalement abstraites pour eux. En revanche, il est
extrêmement facile de la leur apprendre de manière pratique et sans aucune explication, car tout ce
qui est rythmique est naturel pour l'enfant (voir les explications de Rudolf Steiner à ce sujet).
Je n'utilise pas la manière traditionnelle de « battre la mesure » comme un chef d'orchestre, qui me
semble inadaptée à l'enseignement de base et en particulier aux enfants, car c'est un système dont le
but est de transmettre une information à un orchestre, par la voie optique et sans faire de bruit, et
donc pas du tout conçu dans le but recherché ici.
J'utilise donc un autre système de battue, basé sur le principe de frappes organisées dans l'espace.
De cette manière, on produit un son sur chaque temps, et d'autre part chaque temps est associé à un
geste précis. On peut utiliser d'autres systèmes, mais il me paraît bon, une fois qu'un système a été
adopté avec des élèves, de ne plus le changer, afin qu'ils puissent acquérir un automatisme et se
baser dessus pour lire les rythmes.
Les quatre frappes que j'utilise sont :
- frapper sur le sol ou sur la chaise,
- frapper sur les cuisses,
- frapper dans les mains,
- claquer les doigts.
Les trois mesures utilisées avec les débutants sont à deux, trois et quatre temps, donc on obtient les
gestes suivants :
- deux temps : cuisses-mains,
- trois temps : cuisses-mains-doigts,
- quatre temps : sol-cuisses-mains-doigts.
Ce système est très vite acquis par les enfants et présente les avantages suivants :
- il produit un accompagnement sonore, à la manière d'une batterie corporelle, ce qui facilite la
compréhension musicale de la mesure et la cohésion rythmique du groupe,
- il simplifie énormément les explications, car on peut dire par exemple « la note que tu dois dire en
frappant dans les mains », au lieu de « la note qui tombe sur le deuxième temps »,
- chaque mesure est formée par un mouvement ascendant des mains, ce qui correspond au système
traditionnel, et permet facilement d'expliquer des notions comme la « levée ».
Processus d'apprentissage du rythme
Chaque rythme doit être maîtrisé tout d'abord par le biais de l'improvisation. Lorsque l'élève sait
improviser un rythme, le passage à la lecture est extrêmement facile.
Avec un groupe d'enfants, je procède de la manière suivante :
1ère étape
- Le groupe s'assied par terre en cercle, le professeur est parmi eux.
- Le professeur choisit une mesure, et apprend au groupe à la frapper de façon continue.
- Le professeur invente des rythmes longs d'une mesure, et les élèves les répètent immédiatement,
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sans que la battue de la mesure ne soit jamais interrompue.
- Pour commencer, le professeur n'utilise par exemple que des noires (ta) et des blanches (tou-ou). Il
fait répéter aux élèves toutes les combinaisons possibles de ces deux valeurs à l'intérieur d'une
mesure.
2ème étape
- Chaque élève devra maintenant inventer lui-même des combinaisons sur le même principe.
Chaque fois qu'un élève a fait un rythme, tout le groupe le répète, et on progresse d'un élève à
l'autre en suivant le cercle. A ce stade, il y a de nombreuses interruptions dues aux hésitations, aux
tâtonnements et aux erreurs. Le professeur corrige les erreurs, ce qui permet d'introduire des
clarifications.
- Ensuite, le but est d'arriver à faire la même chose sans interruption.
3ème étape.
- Lorsque tout le groupe maîtrise l'étape 2, le professeur n'a plus qu'à montrer comment chaque
valeur s'écrit, sous la forme de notes, et le passage à la lecture ne pose pour ainsi dire aucun
problème.
Lecture parlée des notes
Chaque mélodie est tout d'abord lue en lecture rythmique. Lorsque cette étape est maîtrisée, l'élève
doit apprendre à lire le nom de chaque note, et ensuite à le faire en rythme et en battant la mesure.
Lecture chantée
A ce stade, il est absolument impossible pour l'enfant de deviner la mélodie. Il ne peut l'apprendre
que par imitation. Mais la maîtrise des étapes précédentes facilite énormément cet apprentissage.
On passe donc directement de la lecture parlée à la mélodie, que le professeur fait répéter par
fragments. Finalement, les élèves doivent savoir chanter la mélodie sur le nom des notes et en
battant la mesure.
Lorsque je reprends une mélodie connue avec le groupe, je repasse en général par les trois étapes
(lecture rythmique, parlée et chant), ce qui permet à chaque élève, et en particulier aux moins
performants, de consolider leur compréhension de la lecture musicale à tous les niveaux.
Jeu à l'instrument
Dès que les élèves savent chanter la mélodie, je leur demande d'apprendre à la jouer sur leur
instrument. Les petits métallophones portatifs (appelés « carillons » dans la méthode Willems) sont
très pratiques pour cela. Il est indispensable qu'ils soient chromatiques, pour l'apprentissage des
gammes et de la transposition, et que les noms des notes soient écrits sur les lames. Cet instrument
n'a pas forcément un grand intérêt sur le plan sonore, mais il permet à l'élève de visualiser
clairement notre système musical. Je pense donc qu'il a probablement le même rôle et la même
efficacité pédagogique que le monocorde dans le passé. D'autre part, l'instrument permet à l'élève
d'apprendre à chanter la mélodie en l'absence du professeur.
Je pense qu'il est très important de ne faire apprendre aux élèves que des belles mélodies, car les
belles mélodies se mémorisent plus facilement que les médiocres.
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Apprentissage des gammes
Lorsque les élèves ont une certaine pratique de la gamme de DO majeur, il faut leur apprendre les
autres gammes, ce qui implique à plus ou moins long terme de comprendre le système du cycle des
tonalités par quintes. Pour les enfants, ce système est extrêmement compliqué et abstrait. Un moyen
très efficace de rendre cet apprentissage concret, est de pratiquer immédiatement la transposition.
J'utilise une mélodie que les enfants connaissent parfaitement par cœur, et qu'ils savent jouer sans
difficulté sur leur carillon. Je leur demande alors de jouer la même mélodie en partant d'une autre
note, et de chercher eux-mêmes les notes altérées nécessaires pour que la mélodie soit identique
malgré la transposition. En leur montrant des exemples, en les guidant dans leur propre recherche et
en introduisant les notions théoriques aux moments opportuns, les notions qui paraissent difficiles
peuvent devenir parfaitement compréhensibles et sensées pour les enfants.
Concernant les gammes mineures, je n'utilise en général pas les notions de gammes « naturelle »,
« harmonique » et « mélodique », qui sont pour les enfants un casse-tête sans signification, qu'on
peut très bien leur apprendre plus tard, et qui sont de toute façon très discutables sur le plan de la
théorie musicale. Je commence par leur apprendre uniquement des mélodies en gamme mineure
« naturelle », puis j'ajoute progressivement la notion que certaines notes de cette gamme sont
mobiles (la 7ème note principalement, et la 6ème note secondairement).
Intervalles
Il est très important que les enfants apprennent les intervalles le plus vite possible, car c'est par ce
moyen qu'ils pourront devenir autonomes dans la lecture mélodique (sans parler de toutes les autres
raisons pour lesquelles cette connaissance est nécessaire).
Pour y parvenir, la meilleure méthode à ma connaissance est l'apprentissage d'une douzaine de
chansons mnémotechniques, chaque chanson commençant par un intervalle différent (voir les
méthodes Willems et Arbaretaz).
Pour reconnaître les intervalles, si le professeur joue les deux notes simultanément au piano :
- L'élève doit tout d'abord arriver à dissocier les deux sons et à les chanter clairement. Cette aptitude
ne s'obtient à ma connaissance que par un effort de concentration. Il est par contre utile de dire aux
élèves qu'écouter la « couleur » de l'intervalle est une méthode inefficace.
- Lorsque l'élève peut chanter clairement les deux notes, il n'a plus qu'à trouver la chanson qui
correspond. Il est souvent nécessaire de rappeler aux élèves de vérifier en chantant à haute voix le
début de la chanson. L'élève ayant au préalable appris par cœur la correspondance des chansons et
des intervalles, la réponse ne pose alors plus de difficulté.
G.L. 4 mai 2013