Tous au Larzac - Dossier pédagogique Prix
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Tous au Larzac - Dossier pédagogique Prix
éduSCOL Tous au Larzac de Christian Rouaud Prix national lycéen du cinéma Dossier pédagogique Prix National Lycéen du Cinéma Dossier réalisé par Charlotte Garson / Zérodeconduite.net « France profonde » ? Tous au Larzac fait le récit d’un combat commencé en 1971 : il retrace dix ans de résistance des paysans des Causses contre l’Etat français déterminé à agrandir un camp militaire sur le plateau du Larzac. Le film dépasse de loin le document historique : en mêlant entretiens face caméra avec neuf témoins, images super-8 tournées par l’un des paysans à l’époque et images d’archives, Christian Rouaud, qui a déjà retracé le combat social des ouvriers de Lip (Les Lip, l’imagination au pouvoir, 2006), réactive la mémoire collective dans les paysages actuels du Larzac. Comment résister localement à un pouvoir central ? Quelle forme peut prendre un engagement politique spécifiquement paysan ? Tous au Larzac ne se soucie pas d’offrir un point de vue « équilibré », car ce n’est pas un « film-dossier » soucieux de balancer le pour et le contre. Rouaud signe plutôt une ode à la lutte joyeuse. Ce faisant, il s’interroge la capacité à susciter un désir collectif au présent. Le paysage, un livre ouvert La beauté des plans sur les fermes en pierre du Causse et les roches érodées par le vent ancre immédiatement Tous au Larzac dans un paysage singulier. Rarement vu au cinéma, cet espace habité mais sauvage évoque les étendues des westerns. Pierre Burguière (interviewé avec sa femme Christiane) se souvient d’ailleurs de la venue d’une actrice amérindienne sur les lieux en 1973 ; devant le plateau, elle s’était assise en tailleur avant de déclarer : « C’est chez nous ! ». Mais ce paysage mythique, la caméra en prélève des fragments qui portent trace du passé. Il s’agit de signaux militaires incongrus dans ce lieu naturel : écussons de régiments peints sur les murs d’une ferme ou panneau « Terrain militaire, défense d’entrer », auxquels répondent des graffiti : « L’armée tue » ou « GARDAREM LO LARZAC ». Ces inscriptions permettent à Christian Rouaud d’enclencher le récit dès ces premiers plans apparemment purement descriptifs : le paysage parle à livre ouvert, et ce livre est à la fois un tract et un manuel d’histoire. Filmer un paysage en majesté, ce n’est donc pas « faire de belles images ». L’enjeu de la lutte qui s’engage en 1971 entre le collectif de paysans et le ministre de la Défense Michel Debré est la conservation de ce territoire, de son « visage » particulier. Les plans paysagers font comprendre visuellement au spectateur l’attachement qu’une telle terre a fait naître chez ceux qui l’habitent et la travaillent. L’éloignement des fermes souligne la force morale dont des agriculteurs apparemment coupés du monde ont fait preuve pour s’unir en un groupe collégial. Les plans sur la majestueuse bergerie de la Blaquière – un édifice élevé contre l’avis des autorités – offrent une image « en dur » de la lutte. Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative (DGESCO) Prix national lycéen du cinéma – Dossier pédagogique – Tous au Larzac http://eduscol.education.fr/prix-national-lyceen-cinema/ Avril 2012 L’initiation politique d’une génération Dans ce paysage singulier, l’Etat français de 1971 (sous la présidence de Georges Pompidou) décide que la population est numériquement négligeable : il ne s’agit selon le secrétaire d’Etat à la Défense que de « quelques paysans qui élevaient vaguement quelques moutons en vivant moyennâgeusement ». Cette formulation pose la question des droits auxquels une minorité peut prétendre : le fonctionnement de la démocratie (dans laquelle le vote majoritaire l’emporte) est une rhétorique employée pour balayer toute revendication de la part d’un nombre réduit de citoyens. L’intérêt de Tous au Larzac est de montrer que les paysans n’étaient pas des guerriers-nés. Le film relate donc non seulement une lutte mais, d’abord, l’éveil d’une conscience politique. « J’étais un paysan normal, je votais à droite, j’allais à la messe […] En mai 68, j’ai eu un peu peur. » : en quelques mots, Léon Maille résume l’état d’apolitisme qu’il partageait avec ses collègues. Géographiquement et culturellement éloignés des étudiants de mai 1968, comment les paysans du Larzac sont-ils passés à l’action politique ? Le film construit un double suspense qui porte à la fois sur l’issue politique de la lutte (l’Armée étendra-t-elle ou non le camp militaire ?) et sur l’initiation politique des agriculteurs. « On ne savait pas du tout ce qu’était la politique, les manifestations, les pressions sur le pouvoir, l’opinion publique… ». Ces mots d’un autre témoin, Michel Courtin, pointent le sujet véritable du film : une prise de conscience qui relève du mystère, sinon du miracle, tant le mouvement du Larzac a concilié des tendances éloignées voire contradictoires : agriculture et politique, conservatisme de droite et esprit révolutionnaire de mai 68, catholicisme (« on était tous catholiques ») et gauchisme… Du local au national : une mosaïque humaine Tous au Larzac détaille les étapes d’une action qui, si elle s’ancre dans des revendications locales, va prendre une ampleur nationale. Le montage montre la variété des relais politiques dont ont bénéficié les paysans : « zippies » (hippies), prêtres, militants occitans, ouvriers en grève de Lip qu’évoque l’activiste paysan Bernard Lambert, ou encore militants maoïstes – ces intellectuels parisiens ultra politisés qui ont commencé par « apporter de l’explosif ». Une telle mosaïque politique créait un risque sérieux de récupération du mouvement par des groupes aux intérêts propres. Le film semble naître d’un étonnement : que cette récupération n’ait pas eu lieu, comme si les paysans, non contents de résister à l’Etat, avaient aussi eu la sagesse de se méfier de leurs « amis ». D’une première pétition à la marche sur Rodez en tracteur, en passant par la fondation d’un petit journal qui continue d’exister ou par un jeûne collectif, les actions de cette décennie s’ancrent dans la particularité du mode de vie paysan. C’est encore le paysage qui semble inspirer aux leaders du mouvement l’idée d’étendre leur lutte au niveau national : « Et pourquoi pas réunir toute la France un jour sur le Larzac ? ». Au cours des années le rassemblement passe de 60 000 à 120 000 personnes. La construction collective de la bergerie de la Blaquière matérialise ensuite l’utopie à travers un édifice architectural. Suivent les occupations de fermes rachetées par l’Armée et la prise de la souspréfecture après le plastiquage d’Etat d’une ferme habitée. La montée à Paris des paysans est le pendant de la venue des « missionnaires » maoïstes à la campagne : l’erreur d’un petit Parisien devant une brebis (« C’est un dromadaire ! ») souligne le fossé entre deux modes de vie. La dernière étape égrenée par le film concerne les lendemains de la victoire, après l’élection de François Mitterrand : comment maintenir en vie un collectif une fois que son but a été atteint ? Les entretiens avec les neuf témoins du film permettent au spectateur de prendre l’ampleur de l’impact émotionnel que leur engagement a exercé sur eux. Si « le Larzac » a été politique, il a été du même coup une aventure humaine qui pour certains ne prendra fin qu’à leur mort. Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative (DGESCO) Prix national lycéen du cinéma – Dossier pédagogique – Tous au Larzac http://eduscol.education.fr/prix-national-lyceen-cinema/ Page 2 sur 4 Hier et aujourd’hui Même s’il réactive une mémoire à l’aide de souvenirs et d’images d’époque, Tous au Larzac est fortement ancré dans le présent de son tournage. Cela pose un problème concernant Guy Tarlier, leader du mouvement qui n’a pu être interviewé puisqu’il est mort. Le cinéaste parvient à faire exister cette figure de biais, à travers son épouse Marizette (la séquence au cimetière, la colère noire de Tarlier quand sa femme a été emprisonnée). Le lien avec le présent se fait notamment par la présence de José Bové, identifiable aujourd’hui par de nombreux spectateurs comme syndicaliste de la Confédération paysanne et homme politique. Son témoignage raccorde cette lutte spécifique des années 1970 à des luttes récentes : contre la mondialisation (altermondialisme), les OGM, le nucléaire, la « malbouffe » (saccage du McDonald’s de Millau) ou plus récemment, contre les dérives du capitalisme dans un monde en crise économique (les « Indignés »). Au-delà de Bové comme trait d’union vivant entre l’hier et l’aujourd’hui, le film suggère que l’aventure du Larzac pourrait constituer un modèle de lutte. Comme le film précédent du documentariste Les Lip, il pourrait être sous-titré « l’imagination au pouvoir » (expression qui a fait florès en mai 1968). L’inventivité des moyens utilisés pour manifester (tracteurs, brebis, marche silencieuse avec des bâtons frappant le bitume…) sont des exemples concrets d’action politique imaginative. Mais le cinéaste prend garde d’éviter tout didactisme : la possibilité du Larzac comme modèle ne se lit qu’en filigrane, elle n’est jamais faite explicitement à travers l’usage de cartons (texte écrit entre des séquences) ou d’une voix off (un procédé souvent associé au reportage télévisuel et que Rouaud n’emploie pas). Filiations Tous au Larzac s’inscrit dans le renouveau d’un genre tombé en désuétude avant un regain dans les années 2000 : le documentaire paysan. Ce genre avait connu son heure de gloire avec Farrebique de Georges Rouquier (1947) qui suit au gré des saisons la vie d’une famille de paysans de l’Aveyron (le même département que Tous au Larzac). Dans les années 2000, une prise de conscience écologique ainsi que la raréfaction de la population paysanne a donné lieu non seulement à des reportages mais à des documentaires de création : aperçus sur la vie paysanne des familles des élèves d’Etre et avoir de Nicolas Philibert (2002) ; salut ému à ses origines paysannes par le documentariste Raymond Depardon dans sa trilogie Profils paysans (2000-2007) ; enquête sur le monde agricole d’une grande élégance formelle (Le Temps des grâces de Dominique Marchais, 2010).... : le cinéma documentaire se propose aujourd’hui de témoigner d’un mode de vie peu représenté, soumis au vieillissement et à la précarité économique. Mais par-delà son sujet, Tous au Larzac s’inscrit aussi dans la lignée longue et internationale de documentaires militants, tels que Black Panthers, le court métrage qu’Agnès Varda tourna lors du procès du militant noir américain Huey Newton en 1968, ou les films réalisés à la même époque par les ouvriers du Groupe Medvedkine, comme Classes de lutte (13 de ces films sont réunis en coffret DVD paru aux éditions Montparnasse) ; citons encore Le dos au mur de Jean-Pierre Thorn (1979) sur une grève des ouvriers d’Alsthom à Saint-Ouen, et même un documentaire américain, Woodstock de Michael Wadleigh, tourné au cours du concert-événement d’août 1969 à Woodstock, et dont les plans du grand rassemblement sur le plateau du Larzac avec les sacs de couchage bleus et orange convoque aussi le souvenir. L’un des exemples récents les plus réussis est Paroles de Bibs de Jocelyne Lemaire Darnaud (2001), avec les ouvriers du groupe Michelin. Notons que Tous au Larzac se distingue de ces films par l’écart temporel entre le moment de l’action et celui du tournage : son dispositif cherche à provoquer une remémoration. Souvent cantonné à la télévision, ce type de travail est ici exploré dans toute sa richesse formelle, comme il l’a été dans Les Lip, l’imagination au pouvoir. Le pari – réussi – tient à la difficulté à faire d’une lutte passée un récit vivant. Le choix des témoins et la longueur de leurs témoignages, le soin apporté à la façon dont le paysage est filmé ainsi qu’un usage libre et non-chronologique des images d’archives contribuent au rendu organique de cette époque. Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative (DGESCO) Prix national lycéen du cinéma – Dossier pédagogique – Tous au Larzac http://eduscol.education.fr/prix-national-lyceen-cinema/ Page 3 sur 4 Synopsis Marizette, Christiane, Pierre, Léon, José sont quelques uns des acteurs, drôles et émouvants, d’une incroyable lutte, celle des paysans du Larzac contre l’Etat, affrontement du faible contre le fort, qui les a unis dans un combat sans merci pour sauver leurs terres. Un combat déterminé et joyeux, mais parfois aussi éprouvant et périlleux. Tout commence en 1971, lorsque le gouvernement, par la voix de son ministre de la Défense Michel Debré, déclare que le camp militaire du Larzac doit s’étendre. Radicale, la colère se répand comme une trainée de poudre, les paysans se mobilisent et signent un serment: jamais ils ne cèderont leurs terres. Dans le face à face quotidien avec l’armée et les forces de l’ordre, ils déploieront des trésors d’imagination pour faire entendre leur voix. Bientôt des centaines de comités Larzac naitront dans toute la France… Dix ans de résistance, d’intelligence collective et de solidarité, qui les porteront vers la victoire. Plus que jamais le Larzac est vivant ! Fiche technique France, 2011 Durée : 1 h 58 Format : 1.85 Réalisation et scénario : Christian Rouaud Producteurs : Sandrine Brauer, Marie Masmonteil, Denis Carot Distribution France : Ad Vitam Sortie française : le 23 novembre 2011 Crédits Dossier rédigé par Charlotte Garson pour le site Zérodeconduite.net Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative (DGESCO) Prix national lycéen du cinéma – Dossier pédagogique – Tous au Larzac http://eduscol.education.fr/prix-national-lyceen-cinema/ Page 4 sur 4