La difficile recherche de traces

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La difficile recherche de traces
POINT CHAUD
RECHERCHE
La difficile
recherche de traces
Dans la recherche des causes de la maladie de Parkinson, l’hypothèse s’impose de plus en
plus au sein des communautés de chercheurs : la maladie pourrait trouver son origine dans
l’appareil digestif et les protéines jouer un rôle particulier. Une revue de Jörg Rothweiler.
« Le Parkinson naît-il dans l’estomac ? » C’est sous
ce titre que nous avons mentionné, au mois de juin
2010 (PARKINSON n° 98, p. 14) une découverte
des chercheurs de l’Université de Technologie de
Dresde. Ces derniers avaient réussi à simuler la progression du Parkinson chez l’animal à l’aide de
roténone, un pesticide administré par l’intermédiaire d’une sonde gastrique à des souris, qui ont
ensuite présenté des symptômes similaires à ceux
de la maladie. Comme l’ont démontré des analyses
de tissus, l’intoxication a déclenché chez les rongeurs la formation d’agrégats de protéine alphasynucléine, et ce le long d’une ligne de neurones
connectés par des synapses reliant le système nerveux entéral de l’intestin à la substance noire en
passant par la moelle épinière – exactement de la
même manière que chez les patients parkinsoniens.
Avec cette découverte, les chercheurs dresdois
ont confirmé l’hypothèse des neuroanatomistes, qui
postulent une diffusion systématique des processus
pathologiques du Parkinson et d’autres maladies
neurologiques progressives.
L’opinion des neuroanatomistes est confortée
Le Prof. Dr Heiko Braak est l’un d’entre eux. Depuis
près de quatre décennies, ce chercheur dans le domaine cérébral recherche dans les tissus de défunts
des indices de migration des effets pathogènes des
troubles neurologiques le long des tissus nerveux
entre le tube gastro-intestinal et le cerveau. Grâce
à des analyses précises des cerveaux des défunts, il
a élaboré pour le Parkinson, mais également pour
la maladie d’Alzheimer, les dits stades de Braak. Ces
derniers classifient les altérations pathologiques qui
se déroulent au cours de l’évolution des différentes
maladies (dans le cas du Parkinson, la répartition
des agrégats d’alpha-synucléine) en stades de la
maladie. Par ailleurs, M. Braak a recherché dans les
cerveaux de très jeunes individus qui semblaient
« en bonne santé » au moment de leur décès les premières altérations neurodégénératives identifiables,
c’est-à-dire des marqueurs pour le diagnostic précoce. Il a démontré que les premières altérations
sont souvent déjà décelables bien avant que les patients ne présentent les premiers symptômes. Particulièrement flagrant, le cas d’un enfant de six ans
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décédé d’un empoisonnement du sang dans le cerveau duquel M. Braak a indubitablement décelé des
altérations de type Alzheimer et la protéine tau mal
« repliée » en cas d’Alzheimer, et donc pathogène.
Le Parkinson n’est pas seulement
une maladie cérébrale
Les recherches de M. Braak ont en outre prouvé que
la pathologie parkinsonienne va bien au-delà de la
mort des neurones dopaminergiques dans la substance noire. Il est vrai que la carence en dopamine
est responsable des symptômes moteurs de la maladie. Toutefois, en cas de Parkinson, d’autres parties
du système nerveux sont également endommagées
– ce qui explique la complexité de la maladie et la
multitude de symptômes non moteurs.
M. Braak présume par ailleurs que le Parkinson
trouve son origine dans le système nerveux du tube
gastro-intestinal. En effet, il a déterminé par ses
analyses que les agrégats de l’alpha-synucléine typiques du Parkinson (baptisés corps de Lewy) sont
déjà identifiables à un stade très précoce de la maladie dans les cellules nerveuses de l’estomac.
La présomption de M. Braak est confortée par
les conclusions des chercheurs de Dresde. Ils sont
également d’avis que le Parkinson est déclenché par
un initiateur externe pénétrant dans le système nerveux par le tube gastro-intestinal, dans le cas étudié
la roténone, qui provoque des altérations pathologiques dans les tissus nerveux de l’estomac et met
en branle un processus qui progresse pendant des
années le long du système nerveux vers le cerveau
et, une fois arrivé à destination, déclenche les premiers symptômes moteurs identifiables.
De nouveaux résultats étayent
les théories avancées
Sur la base de l’idée de la migration de la maladie
le long des voies nerveuses, les scientifiques dresdois ont peaufiné leur méthode et leur analyse dans
les expériences sur des souris avec le pesticide roténone. Avec succès, comme en attestent les derniers
résultats qui viennent d’être présentés dans la publication spécialisée Nature Scientific Reports. Ainsi,
le groupe de chercheurs de Francisco Pan-Montojo,
qui officie dans la clinique universitaire Carl Gustav
Photo : Wolfram Scheible
Carus à Dresde, sait à présent que l’intoxication des
souris à la roténone renforce la sécrétion d’alphasynucléine des neurones du tube gastro-intestinal
des animaux, ce qui provoque la formation des agrégats de protéines pathologiques qui migrent ensuite
le long des voies nerveuses jusqu’au cerveau. Quand
les chercheurs ont sectionné les voies nerveuses
décisives de la région gastro-intestinale, et ainsi
empêché la poursuite de la migration des agrégats,
la lésion du mésencéphale n’a pas eu lieu et les
souris n’ont pas développé de symptômes parkinsoniens, ou seulement très légèrement.
Un autre soutien pour les théories de Braak et des
chercheurs dresdois est venu de Marbourg. En effet,
les scientifiques de la clinique neurologique de l’Université de Marbourg ont démontré à l’aide de vidéos
IRM en temps réel que chez les patients parkinsoniens, la contraction gastrique est plus faible que
chez les sujets sains dès les stades très précoces.
L’estomac, une porte ouverte
Mais pour quelle raison l’estomac serait-il justement
la voie d’accès pour l’initiateur d’un trouble neurologique ? Les chercheurs ont aussi une réponse à
cette question : dans les tissus nerveux du tube gastro-intestinal, quelques appendices de neurones
(les axones) traversent la couche musculaire de la
muqueuse gastrique pour atteindre les tissus
conjonctifs, où ils terminent leur course entre les
glandes gastriques tubulaires – c’est-à-dire à
quelques millièmes de millimètres seulement de la
surface interne de l’estomac. La muqueuse gastrique étant toujours lésée ou affectée par des maladies, l’initiateur peut pénétrer relativement faci-
lement dans les cellules nerveuses et lentement se
frayer un passage vers le cerveau par l’intermédiaire
des liaisons synaptiques des neurones. Par ailleurs,
le fait qu’il ait – une fois dégluti ou introduit dans
la gorge et le pharynx par le nez – beaucoup de
temps dans l’estomac pour mener à bien son attaque
fatale tourne à son avantage. En effet, le contenu
de l’estomac n’est pas évacué dans l’intestin en
continu, mais par portions, de temps en temps.
La recherche du facteur déclenchant
Jusqu’ici, tout est clair. Mais quel est cet initiateur ?
Un poison comme le pesticide utilisé par les chercheurs dresdois, la roténone ? Un virus ? Ou peutêtre un agent infectieux à base de protéine comme
dans le cas de la maladie de la vache folle (ESB)
– un prion ? Du reste, c’est le Prof. Dr méd. Stanley
Prusiner, de l’Université de Californie à San Francisco qui avait émis l’hypothèse de son existence au
début des années 1980. À l’époque, il a été moqué
et traité d’hérétique par ses collègues. En 1997, il a
reçu le prix Nobel de médecine.
Pour trahir la fin de l’histoire : personne ne croit
à un virus. Les chercheurs de Dresde pensent que
la roténone peut déclencher dans les neurones de
l’estomac un mauvais repliement de l’alpha-synucléine, ce qui conduit à la formation de corps de
Lewy. On sait que de telles altérations de la conformation des protéines (en cas d’Alzheimer, de la protéine tau, en cas de Parkinson de l’alpha-synucléine) peuvent être induites par l’environnement
et favorisées par des facteurs génétiques.
L’hypothèse des Dresdois coïncide avec les autres
résultats de recherche. Ainsi, l’on sait que la
Un véritable pionnier de
la recherche sur le cerveau : le Professeur Dr
Heiko Braak (75), chercheur invité au centre
de recherche clinique de
l’Université d’Ulm, a
développé dans le cadre
de plusieurs décennies
de travail et à l’aide de
milliers d’examens anatomiques un système
permettant de classifier
en stades les altérations
cérébrales en cas
d’Alzheimer et de Parkinson. Il en est quasiment sûr : le Parkinson
trouve son origine dans
le système nerveux du
tube gastro-intestinal,
où des processus métaboliques pathologiques
ou des protéines mal repliées qui deviennent
elles-mêmes infectieuses jouent un rôle
essentiel.
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POINT CHAUD
RECHERCHE
roténone perturbe la respiration cellulaire mitochondriale et donc endommage les mitochondries
(de minuscules organites de la cellule qui font office
de centrales énergétiques). Dans ce contexte, les
chercheurs de l’Université de Tübingen ont découvert il y a environ trois ans que les protéines PINK1
et Parkin étaient responsables de l’évacuation des
mitochondries endommagées en dehors des cellules. Si l’élimination échoue dans les neurones
dopaminergiques de la substance noire, ceux-ci
meurent – et une maladie de Parkinson se développe (cf. PARKINSON, n° 97, p. 11).
M. Braak présume que l’initiateur est un processus métabolique pathologique ou une protéine défectueuse qui devient elle-même infectieuse. Il est
donc d’accord avec des chercheurs tels que le Prof.
Mathias Jucker, de l’Institut Hertie de recherche
clinique sur le cerveau de l’Université de Tübingen.
Ce dernier pense même que les déclencheurs sont
les protéines elles-mêmes : celles qui se multiplient
et se répandent de façon similaire comme les prions,
qui peuvent provoquer des maladies telles que la
maladie de Creutzfeldt-Jakob, l’insomnie fatale familiale et le kuru (une maladie qui s’est déclarée
au XXe siècle sous forme d’épidémie dans la tribu
des Fore en Papouasie-Nouvelle-Guinée, déclenchée par l’endocannibalisme, c’est-à-dire la consommation de chair de parents décédés).
Point commun entre toutes les maladies à
prions : les protéines deviennent pathogènes de par
l’altération de leur structure secondaire, provoquent les mêmes altérations dans les protéines
voisines (reproduction) et s’amoncellent en agrégats qui ont des effets nocifs sur les cellules. Malheureusement, les maladies à prions sont transmissibles, et dans certains cas (comme l’ESB) d’une
espèce à l’autre, des bovins à l’humain.
Sources :
Pour rédiger son article,
l’auteur s’est appuyé sur
les contenus des sources
suivantes : www.bio-pro.
de, le portail Internet de
la biotechnologie et des
sciences du vivant de BIOPRO Baden-Württemberg
GmbH ; le magazine de la
Société Allemande de
Neurologie DGN 2012 ;
Bild der Wissenschaft, y
compris éditions spéciales ; Deutsches Ärzteblatt ; Ärzte­zeitung ; sites
Internet de différentes
universités et cliniques
universitaires.
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Tirer les leçons des maladies à prions
Cette crainte est infondée en cas de Parkinson.
Comme d’autres maladies dégénératives, le Parkinson est considéré (jusqu’à présent) comme non infectieux. Toutefois, les résultats de recherche des dernières années alimentent l’hypothèse selon laquelle
l’action des protéines pertinentes pour la pathogenèse
de telles maladies est similaire à celle des prions.
Ainsi, le Prof. Mathias Jucker a pu démontrer que des
souris en bonne santé présentent des altérations cérébrales de type Alzheimer quand on leur injecte dans
l’abdomen une protéine pathogène issue du cerveau
d’animaux affectés. Des alpha-synucléinopathies ont
également pu être inoculées à des animaux sains.
Cependant, et c’est rassurant, contrairement à l’ESB,
aucune transmission n’a été possible en administrant
le complexe pathogène de protéines par la bouche,
le nez, les yeux ou directement dans le sang. Le Professeur Jucker ne souhaite pas pour autant exclure
que les dépôts de protéines pathogènes puissent être
générés par des substances présentes tout à fait normalement à la périphérie de l’organisme humain.
Comment un mauvais repliement peut-il se transmettre d’une protéine à une autre ? Le Prof. Dr méd.
Claudio Soto, neurologue de l’Université d’Houston, au Texas, l’explique : une protéine mal repliée
devient souvent plus immobile, ce qui rend plus
plausible un mauvais repliement analogue des molécules voisines. Les molécules se serrent les unes
contre les autres. Quand une masse critique est atteinte, la fixation de nouvelles molécules s’accélère
en cascade et des agrégats insolubles se forment.
Toutefois, ils sont mobiles. C’est ce qu’a découvert
le Prof. Dr méd. Virgina Lee de l’Université de Philadelphie. Ainsi, chez l’animal les agrégats d’alphasynucléine se trouvent d’abord dans les axones neuronaux. Ils peuvent être assimilés par les neurones
des souris saines et migrer le long du neurone et
de la fente synaptique vers les cellules voisines. Ils
sont ainsi en mesure de progresser de la périphérie
jusqu’au cerveau. De toute évidence, les protéines
mal repliées, qui peuvent déclencher des troubles
neurologiques tels que le Parkinson, peuvent également provoquer un mauvais repliement des protéines correctement formées. En outre, les transmissions par le biais des cellules et (seulement dans
des conditions de laboratoire) d’animal à animal
sont possible.
Les protéines sont décisives
Les protéines semblent donc essentielles pour déterminer si quelqu’un sera atteint du Parkinson un
jour. En effet, ces liaisons chimiques (présentes par
milliers dans chaque cellule de notre organisme et
actives à chaque instant pour des tâches spécifiques) déterminent si des processus vitaux extrêmement complexes se déroulent bien ou prennent
une direction totalement erronée.
Le fait que la fonction des protéines soit également décisive pour l’apparition de maladies
n’étonne pas le Prof. Dr Dr hc Michael Przybylski
de l’Université de Constance. Ce chercheur sur les
protéines pense que si les gènes étaient les seuls
responsables, le mystère d’Alzheimer et du Parkinson serait élucidé depuis longtemps. Bien sûr, les
gènes jouent un rôle essentiel, explique-t-il. Cependant, ils ne peuvent pas expliquer à eux seuls pourquoi une maladie telle que le Parkinson ou Alzheimer se déclare la plupart du temps avec l’âge. De
plus, M. Przybylski renvoie au fait que les chenilles
et les papillons ont certes un génome identique,
mais en définitive, c’est l’œuvre de la protéine qui
leur confère des caractéristiques aussi différentes.
De la même manière, seule l’analyse du « protéome », c’est-à-dire de l’ensemble des protéines,
pourrait fournir les indications critiques pour la
recherche des causes.
M. Przybylski s’applique lui-même depuis des
années à dévoiler les secrets des protéines. Il a
déjà de nombreuses découvertes à son actif. Vous
trouverez davantage d’informations à ce propos
en page 30 et 31.
Les profilers du Parkinson
Un neurologue d’Ulm et un chimiste de Constance cherchent des protéines grâce auxquelles il serait possible de prédire une démence en cas
de Parkinson. Les deux scientifiques ont peut-être fait une découverte
bien plus importante. Judith Rauch*.
* Judith Rauch est journaliste. Elle a rédigé le
présent article pour la
revue spécialisée « Bild
der Wissenschaft plus ».
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Lorsqu’on aborde le sujet de la maladie de Parkinson
avec le Prof. Dr Dr hc. Michael Przybylski, chimiste
à Constance, il devient très vite formel : « Comment
apparaissent ces célèbres agrégats de protéines qui
se forment dans le cerveau ?», demande-t-il. « Comment naissent-ils sur le plan chimique ? »
En effet, le modèle est le même, que le trouble
cérébral s’appelle Parkinson, Alzheimer ou Creutzfeldt-Jakob : des protéines s’agglutinent alors
qu’elles ne sont pas censées le faire. Elles forment
des agrégats composés de 10 000 à 100 000 molécules identiques ou similaires. Les proportions de
ces formations deviennent si massives qu’elles envahissent des réseaux entiers de neurones. De plus en
plus de fonctions cessent ; la mémoire est également affectée. Par chance, pas toujours : dans le
cadre du Parkinson, qui se caractérise d’abord par
des troubles moteurs ou des douleurs, « seuls »
30 % des patients risquent la démence pendant
l’évolution de la maladie.
D’où viennent ces différences ? Jusqu’à présent,
la recherche sur le Parkinson partait tacitement du
principe que tous les patients parkinsoniens présentaient plus ou moins les mêmes types de dépôts
dans le cerveau : les corps de Lewy, baptisés ainsi
d’après le nom du neurologue Friedrich Lewy
(1885–1950), expulsé d’Allemagne vers les ÉtatsUnis par les nazis. Ils se composent principalement
d’une petite protéine habituellement soluble, l’alpha-synucléine, constituée de 140 acides aminés.
De bons et de mauvais agrégats
Mais vraisemblablement, la situation n’est pas­
aussi simple. « Le lien entre la démence et le dépôt
est imprécis et grossier », déclare le Professeur
­Przybylski. Cette découverte est récente. Lors de
l’analyse des agrégats typiques du Parkinson, deux
groupes de recherche ont distingué deux types :
ceux qui sont très toxiques pour les nerfs et les
autres, dont la nocivité est moindre. « Nous devons
donc supposer qu’il existe des bons et des mauvais
agrégats », simplifie M. Przybylski. Ce qui intéresse
à présent vivement le chimiste : « Comment sont-ils
précisément composés ? » Le chercheur de protéines
a déjà une hypothèse : les mauvais agrégats pourraient bien ne pas se composer d’alpha-synucléine
intacte, mais d’un morceau, d’un fragment de la
molécule. Le schéma serait similaire à celui de la
maladie d’Alzheimer, qui présente deux formes
d’évolution : une grave et une moins grave. Dans
Photos : Wolfram Scheible pour Bild der Wissenschaft
le cas grave, la molécule
responsable, la bêta-amyloïde, possède deux acides
aminés de plus que la forme
légère. Le responsable est une mutation génétique qui provoque une coupure de la molécule précurseur au mauvais endroit.
En cas de Parkinson, il semble que le
« méchant » soit aussi un produit de
décomposition : l’alpha-synucléine
est rompue en son milieu. « La séquence qui contient les acides aminés
72 à 140 est le fragment décisif », explique M. Przybylski. Il peut l’affirmer avec
une grande certitude. En effet, en 2010 une thèse
de troisième cycle et une thèse de Master ont vu le
jour entre les murs de son institut. À l’aide d’une
méthode de mesure particulière très moderne, la
spectroscopie de masse à mobilité ionique, la doctorante Camelia Vlad a débusqué le candidat dans
le complexe de protéines des cellules du cerveau
de souris génétiquement modifiées qui développent
des symptômes du Parkinson à la place des humains. Elle a pour ainsi dire trouvé « l’aiguille dans
la meule de foin », comme M. Przybylski aime à le
comparer. Quant à l’étudiante en Master Kathrin
Lindner, elle a synthétisé chimiquement un gène
du fragment et veillé à ce qu’il soit déchiffré dans
des cellules bactériennes. Dans ce système artificiel
également, il s’est avéré que la séquence s’agglutinait plus rapidement que l’alpha-synucléine intacte.
Son responsable, le Professeur Przybylski, a déjà tiré les conséquences de sa découverte. Il développe en collaboration avec l’entreprise Boehringer
Ingelheim une substance inhibitrice susceptible
d’empêcher la désagrégation de l’alpha-synucléine.
Une demande de brevet a déjà été déposée. Si cette
substance inhibitrice permettait de développer un
médicament antiparkinsonien efficace et bien toléré, il s’agirait d’une « véritable révolution »,
comme le fait remarquer Michael Przybylski non
sans fierté.
À Constance, un neurologue est responsable des
recherches : Markus Otto, professeur et chef de
laboratoire à la clinique universitaire d’Ulm. La
Baden-Württemberg Stiftung, qui soutient le duo
de détectives depuis 2007, répond également présent. La proposition de projet ne mentionnait aucunement un nouveau médicament antiparkinsonien. L’objectif était formulé bien plus modestement : « Identifier des marqueurs neurochimiques
permettant un diagnostic précoce de la démence
parkinsonienne, afin d’administrer à ces patients
un traitement répondant à leurs besoins spécifiques. » Tandis que son partenaire de Constance
gagnait du terrain sur les détails moléculaires de
l’apparition du Parkinson, M. Otto donnait une
suite cohérente à l’approche diagnostique : à l’aide
d’une batterie de méthodes d’examen protéo-
miques, il a recherché les différences dans la fluidité du liquide céphalorachidien des patients parkinsoniens déments et non déments.
« Protéomique » est l’une des formules magiques
des sciences biologiques modernes. Une seule cellule peut contenir dans différentes proportions plus
de 100 000 protéines différentes, qui exécutent
leurs tâches spécifiques. Les méthodes d’analyse qui
permettent non seulement d’identifier les différentes protéines, mais également d’en définir la
quantité, ont été extrêmement perfectionnées ces
dernières années.
Triple offensive contre les
« protéines parkinsoniennes »
L’électrophorèse sur gel est encore utilisée (à Ulm
également) : les protéines sont séparées en fonction
de leur taille et de leur charge sur une surface recouverte de gel de 25 centimètres sur 20. Elles forment des taches sur lesquelles se regroupent les
protéines dont les propriétés sont similaires. Deuxième arme : les processus de séparation immunologiques, qui recourent aux anticorps, ont également fait leurs preuves pour « trouver l’aiguille dans
la meule de foin ». À cette fin, Markus Otto collabore
volontiers avec ses collègues de l’Institut MaxPlanck de médecine expérimentale de Göttingen,
autour du Dr Olaf Jahn, et avec le chimiste Michael
Przybylski en ce qui concerne « l’analyse protéomique des affinités ». Troisième arme : les procédés
de spectroscopie de masse, qui supposent l’utilisation d’un appareil de Boehringer Ingelheim. Le procédé iTRAQ (Isobaric Tags for Related and Absolute
Quantitation) permet également de séparer les protéines de poids moléculaire très proche en les fixant
à différentes étiquettes chimiques (tags).
Difficile à croire : un état d’excitation euphorique règne également à Ulm. La triple offensive
contre les protéines des patients parkinsoniens
avec et sans démence a révélé un candidat altéré
en cas de démence. M. Otto se refuse à tout commentaire quant à l’identité de cette « protéine X ».
Il révèle seulement qu’il s’agit d’une molécule de
protéine relativement petite, susceptible d’exister
sous une « isoforme » altérée. En d’autres termes,
elle est repliée différemment que chez les sujets
sains ou chez les parkinsoniens qui ne souffrent
pas de démence. D’après M. Otto, en identifiant le
facteur X il n’a pas seulement trouvé le marqueur
recherché pour le diagnostic précoce d’une démence parkinsonienne. « Nous avons également
des indices d’un mécanisme qui se déroule différemment en cas de maladie de Parkinson. »
Le neurologue n’a pas peur des défis. « En laboratoire, on doit oser les ratages », dit-il. Au moment
de la demande, rien ne laissait croire que le projet
onéreux de protéomique donnerait des résultats
tangibles. À présent, il semble que son partenaire
Przybylski et lui n’aient rien raté, mais bel et bien
réussi deux coups en un de manière imprévue.
Le Professeur Dr Markus Otto (à gauche sur
la photo) est professeur
de neurologie et responsable du service de
consultation externe de
l’école supérieure de
neurologie, clinique universitaire d’Ulm. Ce spécialiste de la « protéomique » recherche par
diverses méthodes
d’analyse les biomarqueurs pour le diagnostic différentiel et précoce
de différentes maladies
neurologiques telles que
le Parkinson, la maladie
d’Alzheimer et la sclérose latérale amyotrophique (SLA).
Le Professeur Dr Dr h.c.
Michael Przybylski
(à droite sur la photo,
avec un modèle de protéine) développe dans le
laboratoire de chimie
analytique et d’analyse
structurale des biopolymères de l’Université de
Constance de nouvelles
méthodes pour les applications biomédicales.
À l’aide de spectromètres de masse haute
définition, il recherche
les protéines responsables de maladies
telles qu’Alzheimer ou
Parkinson. Grâce à
« l’analyse protéomique
des affinités » développée dans son laboratoire, il identifie ces protéines plus rapidement
qu’auparavant – et propose des approches thérapeutiques.
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