Rapport de recherche IHESI - retouralaccueil Érudit
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Rapport de recherche IHESI - retouralaccueil Érudit
CENTRE DE RECHERCHES CRIMINOLOGIQUES FACULTE DE DROIT UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES Bilan des connaissances sur la police de proximité en Belgique Rapport final Janvier 2000 Thierry HENDRICKX Sybille SMEETS Cedric STREBELLE Carrol TANGE (sous la direction de Philippe MARY) I.H.E.S.I. Ministère de l’Intérieur (France) Convention de recherche 99/1111 1 2 LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS UTILISEES B.A.V. C.C.P.D. Dév. et soc. J.P. M.B. Mouv. Com. Off. pol. P.G.R. R.D.P.C. R.I.C.P.T. S.G.A.P. V.S.P.P. Z.I.P. Bureau d’assistance aux victimes Conseil consultatif (communal) de prévention de la délinquance Déviance et société Journal des procès Moniteur belge Mouvement Communal L’Officier de police Police générale du royaume Revue de droit pénal et de criminologie Revue internationale de criminologie et de police technique Service général d’appui policier Secrétariat permanent à la politique de prévention Zone interpolices 3 4 INTRODUCTION A la demande de l’Institut des Hautes Etudes sur la Sécurité Intérieure, le Centre de recherches criminologiques de l’Université Libre de Bruxelles (U.L.B.) s’est vu confier la rédaction d’un « Bilan des connaissances sur la police de proximité en Belgique ». De manière générale, le Centre développe depuis quelques années une expertise importante sur les questions policières en Belgique. En effet, plusieurs de ses membres travaillent depuis près de cinq ans sur celles-ci, en particulier via des recherches portant sur la police de proximité en Belgique (réalisées pour le compte du ministère de l’Intérieur), sur l’organisation des services de police à Bruxelles, ou encore via leurs activités professionnelles hors du Centre (participation à diverses commissions parlementaires : commission sur la criminalité organisée, commission Dutroux et consort). L’ensemble de ces activités a débouché sur diverses publications sous forme d’ouvrages ou d’articles dans des revues scientifiques. En outre, l’actuelle réforme des services de police a été suivie au fur et à mesure de son élaboration par le Groupe de réflexion sur la législation pénale (Réflex) rattaché à l’Ecole des sciences criminologiques et a donné lieu à la rédaction de notes remises au Parlement et à l’organisation de conférences sur la question. Enfin, de par son activité de recherche couvrant l’ensemble du champ d'administration de la justice pénale, à tous les stades d’intervention, les membres du Centre disposent également d’une expertise permettant d’envisager les problématiques policières sur fond de l’ensemble du contexte sociétal belge. De manière spécifique, cette recherche a été confiée à quatre chercheurs du Centre de recherches criminologiques, spécialisés dans les matières touchant à l’institution policière et à la police de proximité en particulier. Délimitation de l’objet de recherche et sources mobilisées Cette recherche vise non pas à évaluer l’opérationnalisation ou même la pertinence de la mise en place d’une police de proximité en Belgique mais bien à dresser un bilan des connaissances portant sur celle-ci. C’est pourquoi, l’option choisie par l’équipe de recherche est de présenter ce bilan autour des trois « pôles de connaissance » sur la police de proximité que sont le politique, l’institution policière et la recherche scientifique. Le premier « pôle de connaissance » - le politique - vise à cerner comment la police de proximité est envisagée dans les discours des principaux acteurs concernés au niveau décisionnel. 5 Ce niveau « politique » sera, dans un premier temps, abordé à travers le niveau de décision supra-local (le pouvoir fédéral). En effet, la volonté de mettre en œuvre une politique policière de proximité en Belgique est récente, mais est principalement due à l’initiative du pouvoir fédéral – ministère de l'Intérieur en particulier. Dès lors, pour cerner « l’état des connaissances sur la police de proximité en Belgique », nous ne pouvions faire l’économie de nous intéresser au préalable à l’existence et à la définition d’une telle politique. Pour cette partie, les sources d’information mobilisées sont tout naturellement les différents textes législatifs et réglementaires, ainsi que les déclarations gouvernementales portant sur les questions de police. Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons à l’intégration du concept de police de proximité aux niveaux décisionnels locaux (provinces et communes) dans la mesure où, comme nous le verrons, c’est le niveau local qui sera désigné par le gouvernement fédéral comme le plus pertinent pour l’opérationnalisation d’une police de proximité. Pour cette partie, nous nous sommes basés sur les discours des pouvoirs locaux tels qu’ils apparaissent dans différentes publications (principalement sous forme d’articles) et les conférences et colloques. Le deuxième « pôle » se base sur les discours policiers sur la police de proximité (principalement ceux des responsables policiers) tel qu’il apparaît principalement, comme pour les niveaux locaux, dans différentes publications spécialisées et au cours des conférences et colloques portant sur des questions policières ou de sécurité afin de cerner dans quelle mesure et comment le concept de police de proximité a été reçu par les policiers et s’inscrit éventuellement dans la définition d’une politique policière et dans les pratiques policières locales. C’est donc principalement via l’analyse des discours - sur les intentions et sur les pratiques - que ce bilan des connaissances sur la police de proximité sera d’abord envisagé. Nous terminerons par le « pôle » scientifique en nous intéressant aux programmes de recherche portant sur la police et plus spécifiquement sur la police de proximité en Belgique. Dans ce cadre, nous pourrons également aborder, à la lumière des résultats de ces recherches, les divergences et les convergences entre les discours et les pratiques de terrain des policiers de base. Avant de rentrer dans le vif du sujet, il nous semble indispensable de mentionner quelques remarques d’ordre méthodologique. 6 Premièrement, s’agissant de faire un « bilan des connaissances sur la police de proximité », l’équipe est partie du principe que pour qu’une source d’information soit mobilisée, il faut qu’elle soit rendue publique et accessible à tous. Nous n’avons dès lors pas tenu compte des sources « internes » destinées uniquement aux acteurs d’une institution spécifique (notes de travail parlementaire, journal interne, etc.). Pour des raisons de temps cette fois-ci, nous n’avons pas tenu compte non plus des informations publiées dans les différents médias belges. Deuxièmement, en raison de la première remarque, notre intention n’est pas de faire ici un tableau exhaustif de la connaissance sur la police de proximité mais de dégager des tendances, de repérer ou de distinguer des logiques à l'œuvre. Cela est d’autant plus vrai que nous disposions de peu de temps et de moyens dans le cadre de cette recherche. Cependant, les chercheurs chargés de cette recherche sont ceux ayant travaillé sur les (seules) recherches portant sur l’évaluation de la mise en œuvre concrète de la police de proximité en Région bruxelloise (C. Tange) et en Région Wallonne (Th. Hendrickx, S. Smeets et C. Strebelle). Cette « expertise » de plusieurs années a été bien évidemment mis à la disposition de ce « bilan des connaissances ». De plus, pour pallier les manques que cette synthèse – comme toute synthèse - ne pourra éviter de rencontrer, le lecteur intéressé trouvera en annexe de ce rapport une bibliographie, que nous espérons la plus complète possible, sur la police en Belgique et en particulier sur la police de proximité belge. Le paysage policier belge1 Il y a actuellement en Belgique trois services de police générale : la police judiciaire près les parquets, la gendarmerie fédérale et la police communale. La police judiciaire près les parquets est compétente en matière judiciaire sur le territoire de l’arrondissement judiciaire. Elle est placée sous l’autorité du Ministre de la Justice et sous la direction directe du procureur du Roi et du procureur général du parquet duquel elle dépend. La police judiciaire dispose de plus ou moins 1.400 fonctionnaires. 1 Cette partie vise à permettre au lecteur de ce faire une idée générale (et rapide) du paysage policier belge – à bien des égards spécifique. Pour plus d’informations le lecteur se réfèrera utilement à L. VAN OUTRIVE, Y. CARTUYVELS, P. PONSAERS, Les polices en Belgique; histoire socio-politique du système policier de 1794 à nos jours, Bruxelles, Vie ouvrière, 1991 ; E. DERRIKS, G. RENAULT, La collaboration entre les trois services de police réguliers, Bruxelles, Politeia, 1996. Sur les aspects plus juridiques, voy. not. D. BATSELE, La loi du 11 février 1986 sur la police communale, Bruxelles, Nemesis, 1989 ; Ch. DE VALKENEER, Le droit de la police. La loi, l’institution et la société, Bruxelles, De Boeck Université, 1991 ; G.L. BOURDOUX, Ch. DE VALKENEER, La loi sur la fonction de police, Bruxelles, Larcier, 1993 ; Th. VANDENHOUTE, La réforme de la police en Belgique Bruxelles, Bruylant, 2000 (à paraître). 7 La gendarmerie est compétente en matières judiciaire et administrative sur l’ensemble du territoire belge. Globalement, la gendarmerie est constituée de deux composantes principales : les éléments nationaux (état-major, unités opérationnelles et services d’appui nationaux) et les éléments locaux (unités territoriales). Ces unités sont réparties en districts – qui correspondent aux arrondissements judiciaires -, euxmêmes divisés en brigades (427). Chaque district possède également une brigade de surveillance et de recherche (B.S.R.) qui se charge des tâches judiciaires spécialisées. L’effectif de la gendarmerie s’élève à plus ou moins à 16.000 membres. Enfin, chaque commune possède un corps de police communale (583) dirigé par un chef de corps. Les polices communales sont compétentes en matières judiciaire et administrative sur le territoire de la ville ou de la commune. Les effectifs d’une police communale varient d’un policier à plus ou moins 1.600. Le cadre organique de la police communale est d’environ 19.000 personnes, l’effectif réel est de plus ou moins 16.000 policiers. Pour l’exercice de leurs missions, les polices communales et la gendarmerie sont soumises à des autorités administratives (tâches administratives) et judiciaires (tâches judiciaires) spécifiques. Les autorités administratives sont le bourgmestre (maire) pour la commune, le gouverneur pour la province et le Ministre de l’Intérieur pour l’ensemble du pays. Les autorités judiciaires sont le procureur du Roi et le procureur général. En outre, le Ministre de la Justice (sur base ou non des avis rendus par le Collège des procureurs généraux) peut donner aux services de police les directives générales qu’il juge nécessaires à l’accomplissement des tâches judiciaires. Depuis 19922, ces trois services de police ont une législation commune, mais il existe pour chacun de ces services une loi particulière déterminant leurs tâches spécifiques, leur organisation et leurs compétences3. En outre, depuis 1997, le gouvernement s’est lancé dans une vaste réforme des services de police visant à instituer un service de police intégré, structuré à deux niveaux, local et fédéral. Ce projet à été concrétisé dans la loi du 7 décembre 19984 et devrait connaître sa matérialisation dans le courant de l’année 2001. 2 Loi du 5 août 1992 sur la fonction de police (M.B. 22.XII.1992). La loi du 7 avril 1919 (M.B. 12.IV.1919) pour la police judiciaire près les parquets, la loi du 2 décembre 1957 (M.B. 12.XII.1957) pour la gendarmerie et le titre IV de l’Arrêté royal du 24 juin 1988 sous l’intitulé « Nouvelle loi communale », ratifié par la loi du 26 mai 1989 (M.B. 30.V.1989) pour la police communale. 4 Loi du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux, M.B. 5.I.1999. Voy. à ce propos Th. VANDENHOUTE, op. cit. 3 8 PREMIERE PARTIE. – LE POLITIQUE 9 Titre premier. - Le niveau supra-local Chapitre premier. – Contexte général d’émergence de la police de proximité Depuis les années 70, dans la plupart des pays occidentaux, l’institution policière connaît des modifications profondes qui correspondent à une volonté politique d’impulser une vision nouvelle de la nature de son travail et de son organisation. Les profonds changements qu’ont connus et que connaissent nos sociétés modernes ont contribué à transformer le mode de fonctionnement de la police. La crise économique de l’Etat social, caractérisée par la croissance du chômage, sa concentration dans certaines classes d’âge et certains groupes sociaux, le renforcement des inégalités sociales, le développement des phénomènes d’exclusion, la crise des finances publiques (et donc des services publics) et des mécanismes de redistribution, concourent non seulement à alimenter un sentiment d’insécurité auquel correspond un accroissement de la victimisation, mais aussi à une focalisation sur la petite délinquance considérée et/ou présentée comme la principale, voire même la seule cause de l’insécurité. Cette focalisation se trouvera renforcée par un certain nombre de prises de position des instances internationales en matière de politique criminelle. Ainsi, de la Déclaration de Caracas,5 adoptée lors du sixième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime tenu en 19806 aux travaux du neuvième Congrès tenu au Caire en 1995, les priorités se sont sensiblement précisées dans une optique qui viendra légitimer certaines orientations. En 95, il fut notamment rappelé : que la coopération internationale, par l'intermédiaire de l'O.N.U., paraissait indispensable dans des matières telles que la criminalité urbaine ou la délinquance juvénile; que l'approche communautaire dans le domaine du maintien de l'ordre était à privilégier en vue de susciter une plus grande participation du public aux activités policières; qu'il était nécessaire de développer une approche intégrée et décentralisée des problèmes liés à l'insécurité (notamment sur base d'un renforcement des politiques locales, partenariales, contractuelles, communautaire et l'amélioration de l'équipement et de la formation des services de police)7. 5 Adopté par l'Assemblée générale le 15 décembre 1980 par sa résolution 35/171. Insistant sur la nécessité de « réviser les stratégies traditionnelles de lutte contre la délinquance qui sont fondées exclusivement sur des critères juridiques » pour les coordonner « avec les stratégies de développement social, économique, politique et culturel ». 7 Un rôle important est donc joué par les Nations Unies dans la définition des orientations des politiques de prévention. Si l’on peut s’interroger sur la portée réelle des textes adoptés par les différents organes onusiens, il reste que bon nombres des lignes de force qui s’y dessinent se 6 10 Tout comme les Nations Unies, le Conseil de l’Europe va mettre la prévention à son ordre du jour. Dès 1987, il recommande aux Etats membres de consacrer « un effort particulier à des stratégies préventives de la criminalité visant à réduire la victimisation et à alléger les charges imposées à la justice pénale »8. La quatrième conférence de politique criminelle de 19909 marque encore davantage l’intérêt du Conseil de l’Europe pour le domaine de la prévention en mettant l’accent sur la prévention de type situationnelle et le développement de partenariat sous forme contractuelle entre, d’une part, les pouvoirs publics et privés, et d’autre part, les pouvoirs publics et le citoyen. Tout comme dans les politiques de l’O.N.U., c’est la petite délinquance urbaine qui sera ciblée via la mise en œuvre de politiques locales, globales, alliant social et répression. Enfin, diverses conférences internationales sont organisées par des collectivités locales qui vont, d’une certaine manière, orienter les politiques de prévention vers une perspective « localiste »10. Les "grands messes de la prévention" que constituent ces Conférences internationales “ ont, de toute évidence, contribué à diffuser le modèle, à l’élaborer et à le légitimer. Des réseaux plus ou moins formalisés sont nés ou se sont développés à partir de ces rencontres, plusieurs organisations internationales et nationales vouées à la promotion et au soutien du modèle de prévention en voie de développement ont été mises en place dans la foulée de ces réunions internationales, avec leurs personnels, leurs experts, leurs budgets et leur propre production documentaire. Ces rencontres internationales ont joué un rôle important pour les acteurs des ‘nouvelles politiques de prévention’, ils y ont trouvé un lieu d’échange et de valorisation de leurs projets et expériences ”11. Cette influence est évidemment intimement liée à la qualité des acteurs qui participent à ces grands messes. On distingue à cet égard deux types d'acteurs qui ont pu orienter le développement des nouvelles politiques de prévention en Europe: d’une part les acteurs nord américains, retrouveront dans les politiques belges : prévention, ciblage de la petite délinquance ou de la délinquance urbaine, politiques locales, logiques contractuelles, partenariat, approche communautaire (Voy. Ph. MARY, G. CAPPELAERE, « Le programme des Nations Unies pour la prévention du crime et la justice pénale », R.D.P.C., 1996, n°1, pp. 76 et sv.). 8 Comité européen pour les problèmes criminels, Organisation de la prévention de la criminalité, Strasbourg, Conseil de l’Europe, 1988. 9 Conseil de l’Europe, Quatrième conférence de politique criminelle (Strasbourg, 9-11 mai 1990), Strasbourg, CDPC (91)2, 1991. 10 Outre la Conférence permanente des pouvoirs locaux et régionaux d’Europe (Genève, 3-5 juin 1993), nous citerons également les trois Conférences internationales sur la sécurité, les drogues et la prévention de la délinquance en milieu urbain organisées à l’initiative du Forum des collectivités territoriales européennes pour la sécurité urbaine (Barcelone en 1987, Montréal en 1989 et Paris en 1991). La Conférence de Montréal est particulièrement importante en ce sens qu’elle a influencé directement la Déclaration de La Havane. Nous noterons également que les deux dernières conférences ont été organisées en collaboration avec les municipalistes nord-américains. 11 I. POULET, Les nouvelles politiques de prévention, Une nouvelle forme d’action publique ?, Bruxelles, S.S.T.C., 1995, p. 7. 11 d’autre part des municipalistes. Deux influences directes sont donc à prendre en compte pour tenter de comprendre l’orientation prise par les politiques de prévention, d’autant que ces conférences ont reçu l’aval tant des Nations Unies que du Conseil de l’Europe, renforçant par là leurs légitimités12. Progressivement donc, la question de l’insécurité, transformée en « problème public », va être projetée au rang d’enjeu des débats et des luttes politiques, renforcé en cela par l’émergence de l’extrême droite de plus en plus présente et dont quelques thèmes de prédilection (immigration, délinquance, etc.) susciteront une attention nouvelle de la part des partis démocratiques, voire, parfois, viendront contaminer le discours d’un certain nombre d’entre eux. Cette politisation du sentiment d’insécurité aura pour conséquence directe d’accroître, dans la plupart des pays, l’attention portée à l’organisation policière, à ses activités et aux aspects de sa politique13. Dans ce contexte, un constat s’imposera : alors qu’elle se donne comme mission principale la répression de la délinquance, la police est mise en échec. Son manque d’efficacité sera d’autant plus critiqué que le taux d’élucidation ne cessera de diminuer et ce, malgré l’augmentation des effectifs policiers. Ce constat aura pour conséquence l’émergence d’un questionnement général du politique en réaction à l’échec d’un modèle de police criminelle, qui s ’est développé au 20ème siècle en tant que forme d’organisation policière dominante et dont le champ d’investigation principal est la répression du crime. Ce questionnement a généralement mené à des propositions qui privilégient un « nouveau »14 modèle de police, dit de community policing, qui est encore présenté, à l’heure actuelle, comme la réponse la plus pertinente à la répression du crime sur le plan local, mais aussi à sa prévention et au maintien de l’ordre. 12 Pour un inventaire des stratégies de prévention du crime en Europe et en Amérique du Nord, voy. J. GRAHAM, T. BENNETT, Crime prvention strategies in Europe and North America, Helsinki, HEUNI, 1995. 13 Pour la Belgique, voy. not. Ph. MARY, Délinquant, délinquance et insécurité. Un demi-siècle de traitement en Belgique (1944-1997), Bruxelles, Bruylant, 1998, spéc. pp. 603-637; G. PYL, « Les contrats de sécurité », Politeia, 21 octobre 1992, n° 4, pp. 18-19; J.-C. VAN CAUWENBERGHE, « Des contrats de sécurité pour les villes et communes », in Institut Emile Vandervelde, « Les villes et les communes face à la violence urbaine : les contrats de sécurité (Colloque organisé le 19 juin 1992) », Notes de documentation, décembre 1993, n° 37 ; Y. CARTUYVELS, « Insécurité et prévention en Belgique : les ambiguïtés d’un modèle “ global-intégré ” entre concertation partenariale et intégration verticale », Dév. et Soc., 1996, n° 2, pp. 153-171 et « Les politiques de prévention socio-pénales en Belgique, métamorphoses de l’action étatique ? », in Ph. GERARD, Fr. OST, M. VAN DE KERCHOVE, (Sld.), Droit négocié, droit imposé ?, Bruxelles, P.U.B., F.U.S.L., 1996, pp. 581-603 ; P. HEBBERECHT, « La nouvelle politique fédérale belge de prévention de la criminalité », in P. HEBBERECHT, F. SACK, (Sld.), La prévention de la délinquance en Europe, Paris, L’Harmattan, 1997, pp. 101-128 ; I. POULET, op. cit. ; A. REA, « Sécurité ou solidarité. Confusion dans la politique de sécurisation des villes », Cahiers marxistes, 1995, n° 200, pp. 51-66. 14 Si le modèle de community policing peut apparaître comme un phénomène récent dans les services de police, certains auteurs précisent qu’il s’agit, en réalité, d’une approche renouvelée, « de la réapparition du concept original du service de police public en milieu urbain », abandonné durant une certaine période au profit d’un modèle de police plus professionnelle. A. NORMANDEAU, « Police de proximité, police communautaire, police d’assurance pour l’an 2000 », R.D.P.C., 1994, n° 6, p. 712. 12 D’autres événements, tels ce que l’on a appelé les émeutes urbaines15, vont questionner encore plus gravement la police, car ils mettront notamment en évidence des lacunes importantes dans les rapports que la police entretient avec les citoyens. Souvent, en effet, le déclenchement de l’émeute est dû à un incident qui intervient à un moment de tension extrême entre la population d’un quartier et la police, et qui met directement en cause la légitimité de l’action de celle-ci. Comme le souligne D. Monjardet, se pose ainsi à l’égard de la police « la question de sa productivité, de la quantité et la qualité de son travail, sous le double aspect de son efficacité (dans le traitement de la délinquance) et de sa pertinence (dans les rapports qu’elle entretient avec la population), et cette double question est posée de l’extérieur, par les usagers du service public policier, les groupes sociaux, les associations, les élus locaux ou nationaux, etc. »16. Face aux problèmes de délinquance et d’émeute, c’est en définitive tout le fonctionnement policier qui est mis en cause. Il y a crise du système et apparaîtra, dans la plupart des pays occidentaux, une production importante et continue de réformes ou de projets de réformes contribuant à mettre en œuvre un nouveau modèle policier. Les autorités politiques vont ainsi tenter de répondre à la problématique de l’insécurité par la mise en œuvre de « politiques publiques de sécurité » privilégiant la voie de la prévention dans le cadre d’une réflexion sur les modalités d’intervention de la police. Peu à peu, il semble que se soit opérée une prise de conscience tendant à mettre en évidence que, si la police occupe une place privilégiée dans le dispositif sécuritaire, notamment par la possibilité de recourir à la force physique, elle ne saurait néanmoins remplir cette fonction seule, particulièrement aujourd’hui, sans prendre en considération l’évolution de la société et l’action d’autres institutions. Une tendance dominante consistera à affirmer qu’une politique de sécurité efficace suppose de situer l’action et les stratégies policières dans une perspective à la fois de collaboration avec le public et de partenariat avec d’autres institutions concernées par la gestion de la sécurité publique, notamment les institutions à finalités socialisatrices comme l’école, la famille, les associations, les travailleurs sociaux, etc.17 15 Dans le monde occidental de l’après-guerre et plus précisément dans le courant des années 60, les Etats-Unis ont connu une première vague d’émeutes. L’Angleterre n’a pas été épargnée par le phénomène (événements de Brixton de 1981). En France, le phénomène apparaîtra avec une première émeute en 1989 bien que certains événements avaient déjà défrayé la chronique depuis 1981. Mentionnons déjà que la Belgique connaîtra elle aussi le même phénomène bien que dans une moindre mesure (1991, 1997). 16 D. MONJARDET, Ce que fait la police. Sociologie de la force publique, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 238. 17 J.L. LOUBET DEL BAYLE, La Police; approche socio-politique, Paris, Montchrestien, 1992, p. 63. 13 Mais de manière plus large, et peut-être plus fondamentale, la (re)valorisation du modèle de community policing constitue une tentative de réponse à un malaise, à une crise d’efficacité et de légitimité, qui touche l’ensemble des mécanismes de contrôle social des démocraties occidentales. En effet, ces mutations ne concernent pas uniquement l’institution policière, mais s’étendent à un mouvement d’ensemble qui implique la justice (avec, par exemple, la médiation pénale ou les maisons de justice), ainsi que la plupart des agences de l’Etat pour lesquelles les notions de « proximité », de « service au profit du public » sont devenues cruciales à la suite des principales critiques émises à leur encontre et, en particulier leur mode de fonctionnement monolithique, stigmatisant, inégalitaire et trop éloigné des préoccupations et des attentes des citoyens18. Nombre de ces critiques font régulièrement, depuis plusieurs années, la une de l’actualité belge, mais ne sont pas pour autant nouvelles. L’on peut ainsi mentionner celles relatives au système pénal, portées dans les années 80 par le mouvement abolitionniste, dénonçant le fait que ce système s'appropriait le conflit des personnes qui y sont impliquées, le retirait du contexte et l'interprétait selon des stéréotypes pour finalement le transformer en problème abstrait et n'y apporter en retour que des solutions elles-mêmes stéréotypées car limitées à la stigmatisation par la punition19. De ces critiques est notamment née la proposition de mettre en œuvre un nouveau modèle qui se concrétiserait, non plus au niveau macro-structurel, mais au niveau microsociologique. Il ne ferait plus référence ni à une culture rétributive, ni à une culture réhabilitative, mais bien à une culture réparatrice ou restauratrice. Le modèle de police de proximité peut, à maints égards, être rattaché à une telle proposition. Chapitre II. –Emergence d’un concept « belge » de police de proximité Notre objectif, dans cette partie, n’est pas de définir le modèle de police de proximité tel qu’il est opérationnalisé dans les différents corps ou services de police mais de dégager les contours qu’a pris cette notion lors de son introduction dans le paysage policier belge. Le développement d’un discours sur la pertinence du modèle de police de proximité est indissociable en Belgique d’un contexte politique fort troublé par une série d’événements aux conséquences considérables pour le champ policier belge. Il est également indissociable du développement d’une politique policière. En effet, à 18 Y. CARTUYVELS, Ph. MARY, « Malaise de la justice : et au-delà ? », in L’affaire Dutroux. La Belgique malade de son système, Bruxelles, Complexe, 1997, pp. 97-126. 19 L. HULSMAN, J. BERNAT de CELIS, Peines perdues. Le système pénal en question, Paris, Le Centurion, 1982. 14 l’instar de la quasi-inexistence d’une politique criminelle20, la Belgique n’a pas connu de politique policière uniforme avant le début des années 90. C’est pourquoi nous nous proposons de mettre en évidence brièvement dans ce chapitre les événements conjoncturels qui sont à l’origine de la réflexion entamée, ainsi que les mesures prises par le gouvernement fédéral qui sont de nature à avoir une influence sur la mise en œuvre de la police de proximité. Cette analyse, dans laquelle s’articuleront les éléments de définition de la police de proximité telle qu’elle a été envisagée par le pouvoir Fédéral, constitue, selon nous, un point de passage obligé si l’on veut comprendre les logiques et les tendances d’un tel discours. En effet, comme nous le verrons, le discours sur la police de proximité a été construit au fur et à mesure des différentes réformes ou réorganisations des services de police – et donc des textes réglementaires (lois, circulaires et directives) issus principalement du ministère de l'Intérieur - pour finalement n’acquérir sa « forme finale » que très récemment. Section Ière. - Les années 80 : les événements catalyseurs d’une politique policière orientée vers le citoyen De manière schématique, on peut dire que l’ensemble des réformes concernant la police ces dix dernières années trouve son origine dans différents événements dramatiques qui ont marqué les années 80 (tragédie du Heysel, terrorisme des Cellules Communistes Combattantes, tueries du Brabant). Ces évènements ont en effet conduit le pouvoir politique à porter son attention sur le fonctionnement des appareils policiers et judiciaires et à engager une réflexion en profondeur sur la politique à l’égard de la délinquance et de l’ordre social, ainsi que sur le rôle et les modalités d’intervention des services de police. L’importance politique de la question policière était ainsi reconnue21. Comme dans d’autres pays occidentaux, on peut distinguer deux types de mesures prises par le gouvernement au cours de la décennie qui va suivre. Dans un premier temps, on assistera surtout à une augmentation quantitative des moyens (augmentation budgétaire, renforcement du personnel de la gendarmerie, création de différentes structures orientées vers la grande criminalité). De même, dès 1985, le gouvernement accordera les crédits nécessaires à la réalisation d’un audit des services 20 21 Sur cette question, voy. Ph. MARY, Délinquant, délinquance et insécurité, op. cit. Voy. Y. CARTUYVELS, op. cit., pp. 154-155. 15 de police22, ainsi qu’au financement d’un premier programme de recherches universitaires concernant « la police et la sécurité du citoyen ». C'est également à cette époque que sera instaurée la Commission parlementaire chargée d’enquêter sur la façon dont la lutte contre le banditisme et le terrorisme a été menée (dite « Commission Bourgeois »), dont les résultats des travaux seront rendus publics en avril 199023. Ce que l’on peut retirer, pour notre étude, des travaux de la Commission (et qui corrobore partiellement les résultats de l’audit commandité quelques années auparavant), c’est le constat unanime de la nécessité de réformer le fonctionnement des services de police en général en améliorant la qualité du service offert au citoyen. Ce qui sera mis en avant, au-delà de la question du manque d’effectifs, sera essentiellement la dispersion, les doubles-emplois et la concurrence entre les services de police ainsi que la nécessité de moderniser et de restructurer l’appareil policier en Belgique. La Commission d’enquête pointera le manque de définition d’une politique explicite à l’égard de la délinquance et de l’ordre social, de lignes directrices précisant le rôle et les modalités d’intervention de la police, l’ineffectivité du contrôle de ses activités, ces différents éléments étant considérés comme de nature à mettre sérieusement en danger sa légitimité démocratique, d’autant que l’on s’interrogera sur l’autonomie de l’appareil policier par rapport au politique et sur l’importance de la relation de confiance avec le public. La Commission d’enquête parlementaire, bien que s'intéressant peu à la police communale, soulignera que la première mission de la police réside dans la prévention des infractions et qu’il est préférable que cette tâche puisse être reconnue à un service de première ligne, lié à la population. Section II. - Les années 90 : l’amélioration du fonctionnement des services de police La réponse du gouvernement au rapport de la Commission parlementaire (le « Plan de la Pentecôte » du 5 juin 1990) ne retiendra que pour partie les propositions de la commission parlementaire, mais va esquisser une nouvelle politique policière en marquant clairement une ligne de conduite fédérale qui, dans les années 90, mettra en œuvre une série de mesures en vue d’améliorer le fonctionnement des services de police. Parmi les différences notables avec les conclusions de la Commission, on peut 22 Pour une analyse critique, à la fois de l’initiative du gouvernement et de cet audit voy. Ch. DE VALKENEER, « Analyse de l’audit réalisé sur les services de police en Belgique », J.P., 21 avril 1989, n° 149, pp. 10-13 et 5 mai 1989, pp. 17-20. 23 Voy. J. MOTTARD, R. HAQUIN, Les tueries du Brabant. Enquête parlementaire sur la manière dont la lutte contre le banditisme et le terrorisme est organisée, Bruxelles, Complexe, 1990. 16 souligner le fait qu’alors que la police communale n’avait que peu retenu l’attention de la commission, le plan de Pentecôte lui accorde une attention particulière. Il prévoit davantage des mesures qualitatives que quantitatives, marquant ainsi une différenciation avec les mesures qui avaient été prises majoritairement dans les années 80. Dans ce cadre, le plan mentionnera, entre autres, que « globalement, la Belgique n’affecte pas moins de moyens humains et financiers aux services de police que les autres Etats qui lui sont comparables (...). Le Gouvernement estime qu’en raison de la situation difficile des finances publiques, il s’agira avant tout de faire mieux avec ce qu’on a, de mieux utiliser les ressources humaines, financières et matérielles et de n’envisager qu’avec la plus grande prudence les augmentations de crédits sollicités »24. Cependant, si l’ambition du gouvernement est de mieux travailler avec les moyens humains, financiers et matériels disponibles, le programme ne mentionne pas la mise en place d’un nouveau modèle de police et, de ce fait, ne présente pas de rupture fondamentale avec la fonction de police telle que définie jusqu’alors. Les mesures qui seront prises marqueront ce manque d’ambition politique dans la redéfinition de cette fonction policière. Globalement, il concerne : 1. le projet de loi sur la fonction de police en vue de créer un cadre légal commun aux trois services de police générale ; 2. la volonté de revaloriser la fonction de la police communale, en mettant l’accent sur le rôle des bourgmestres en tant que responsables de l’ordre public et de la sécurité et la nécessité de l’intégration de l’intervention policière dans une politique globale de prévention. Le plan rappelle aussi l’importance « de moderniser et d’augmenter le professionnalisme de la police communale en améliorant la formation, le recrutement, l’organisation, l’équipement (...) ». En effet, « dans les petits corps surtout, la police communale n’a pas toujours réussi à se développer de manière suffisamment rapide pour pouvoir assurer aujourd’hui une fonction de police moderne et complète. Que la police communale soit de moins en moins un service de police à part entière, constitue une évolution préoccupante ». Dans la même optique, « le gouvernement souligne l’importance d’un contact étroit avec la population afin d’assurer une police efficace et démocratique. A ce sujet, il s’en réfère notamment aux constatations de la Commission d’enquête concernant la fonction de l’agent de quartier ». Pour la réalisation de ces 24 Communication gouvernementale du 5 juin 1990, p. 6. 17 objectifs, le ministre de l’Intérieur25 organise dans chaque province une table ronde pour discuter des propositions et des mesures à prendre26 ; 3. la proposition de démilitariser la gendarmerie ; 4. le contrôle des services de police et de renseignements, pour rétablir la confiance de la population dans ses services, en garantissant le respect des libertés et droits fondamentaux des citoyens, et pour examiner le fonctionnement, l’efficacité et la coordination de ces services. Dans la foulée de ce plan, une série de mesures furent effectivement prises, qui se succéderont à un rythme qui donne la mesure de l'importance accordée au problème. Ainsi, on peut mentionner, sans être exhaustif, le vote de la loi sur la fonction de police27, la mise sur pied de la concertation pentagonale28, un ensemble de circulaires relatives à la collaboration policière entre les communes, à l’aide aux victimes et à la prévention de la criminalité, la démilitarisation de la gendarmerie, le contrôle des services de police et de renseignements, les normes de sécurité minimales, la mise sur pied d’un service général d’appui policier (S.G.A.P.) et d'une commission permanente de la police communale, etc. S’affichait, ce faisant, une volonté d’offrir au citoyen un ensemble de garanties de nature à rendre plus démocratique l’exercice de la fonction de police. Ainsi, cet extrait de la communication du 5 juin 1990 : « Libertés démocratiques, transparence, efficacité et responsabilités sont les quatre principes à la lumière desquelles doivent se comprendre toutes les mesures qui seront annoncées. Tout en étant indispensables au respect des libertés démocratiques et des droits de l’homme, le maintien de l’ordre, la sécurité des citoyens et la répression des délits, impliquent nécessairement, l’usage de la contrainte. La recherche d’une meilleure efficacité de nos services de police préventive et de l’appareil répressif, ne peut donc en aucune façon, signifier un 25 Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Louis Tobback, sera le « grand instigateur » non seulement de l’ensemble des réorganisations de la police communale mais également de la politique de prévention de la délinquance au niveau local. Les ministres de l’Intérieur qui lui succèderont ne feront qu’appuyer ces politiques. 26 Voy. L. TOBBACK, Revalorisation de la police communale : propositions et initiatives du Ministre de l’Intérieur, Bruxelles, Politeia – Vanden Broele, 1991. 27 Loi du 5 août 1992 (M.B. 22.XII.92). Cette loi ne fera qu’entériner des pratiques policières antérieures sans donner de pistes ou de lignes de force permettant de réorienter les pratiques policières dans une optique nouvelle. 28 La loi de 1992 prévoit que dans chaque arrondissement judiciaire, les bourgmestres et le procureur du Roi organisent une concertation systématique « avec les chefs de la gendarmerie, de la police communale et de la police judiciaire près les parquets, ou leurs représentants » et cela dans le but de promouvoir une meilleure coordination entre les fonctions de police administrative et de police judiciaire, la collaboration entre les services de police et une politique administrative, criminelle et 18 affaiblissement des libertés individuelles et collectives puisque les polices doivent être au service de la population. Les moyens et pouvoirs reconnus aux polices administratives et judiciaires, aux autorités chargées de l’action publique et aux juges, doivent être utilisés dans la stricte mesure où ils sont indispensables à l’exercice des missions pour lesquelles ils ont été attribués »29. Le gouvernement marquera également la volonté de revaloriser les polices communales et de voir leur intervention s’inscrire dans le cadre d’une politique globale de prévention. C'est dans ce cadre que sera impulsée une politique globale de prévention avec l’adoption, en juin 1992, des contrats de sécurité. Ceux-ci viseront notamment la réorganisation du travail des polices communales dans une optique de police de proximité, de manière à répondre à la critique selon laquelle la police communale n’exerce pas suffisamment la surveillance préventive et n’est pas assez disponible aux demandes et besoins de la population. C’est dès lors dans le cadre des contrats de sécurité, et au départ des polices communales, que la police de proximité sera impulsée par le ministère de l'Intérieur. Section III. - L’impulsion d'une politique intégrée de sécurité sur le plan local par la mise en œuvre des contrats de sécurité A la suite des élections législatives de novembre 1991 caractérisées par la nette progression des partis d'extrême droite, mais également des « émeutes » qui ont marqué le mois de mai 1991 à Bruxelles, le nouveau gouvernement présenta son Pari pour une nouvelle citoyenneté pour répondre au malaise de l'électeur30 et un « programme d'urgence sur les problèmes de société » afin de garantir la sécurité du citoyen31. Le 19 juin 1992, le conseil des ministres adopta un certain nombre de mesures parmi lesquelles les contrats de sécurité. Ces contrats, passés entre les communes, les régions et l'Etat fédéral, sont à l'image des préoccupations du gouvernement : la police, la prévention et l'aide aux victimes. Le lien avec les réformes en cours au niveau policier est très clairement établi puisque les obligations minimales en matière de sécurité, mais également la concertation pentagonale et le recours au recrutement supra-local constitueront un préalable au contrat. L’objectif de ces contrats sera de garantir la sécurité des citoyens dans les villes policière intégrée au niveau local dans le domaine de l’ordre public, de la prévention et de la lutte contre la criminalité et l’exécution de cette politique par les services de police. 29 Communication gouvernementale du 5 juin 1990, p. 3. 30 M. WATHELET, Le pari pour une nouvelle citoyenneté, Bruxelles, 1992. 31 Services du Premier ministre, Déclaration gouvernementale prononcée devant le Parlement, le 9 mars 1992 par le Premier ministre, Bruxelles, INBEL, 1992. 19 et les communes, de rétablir la qualité de la vie et de répondre aux besoins locaux en matière de sécurité et de protection des citoyens. Ils visent également à rétablir la confiance des citoyens dans les autorités, à commencer par les autorités communales, considérées comme étant les premières responsables de la sécurité des citoyens, mais aussi en améliorant les contacts avec les services de police et en augmentant la qualité et la rapidité de ceux-ci. Les contrats de sécurité viseront ainsi la mise en œuvre d’un travail policier plus proche du citoyen et des problèmes sur le terrain, mais également de toute mesure de nature à prévenir la criminalité, qu’elle soit d’ordre technique ou social, dans le cadre d’une politique de prévention intégrée. Les contrats de sécurité ambitionnent ainsi de développer une organisation policière fortement intégrée dans la “ communauté ” et en contact avec elle : « Le métier de policier ne peut être essentiellement un métier de bureau (...). Le métier de policier ne doit pas s’exercer exclusivement à bord d’engins motorisés. Le policier doit aussi être dans la rue en contact direct avec les citoyens. C’est par les services qu’il rend qu’un agent apprend à connaître et à comprendre les problèmes des gens. A partir de ce moment, il verra les familles en détresse, les enfants maltraités, ceux qui ne vont pas à l’école, ceux qui se droguent..., il pourra mesurer la déviance des uns, la délinquance des autres »32. Dans ce cadre, il est rappelé l’importance d’une police de quartier : « On n’insistera jamais assez sur le rôle déterminant de la police communale en matière de sécurité locale. Ainsi faut-il accentuer encore son rôle en fonction des principes suivants : (...) sacraliser l’agent de quartier (îlotier) »33. Bien qu’il ne se « nomme » pas encore, on retrouve ici l’essentiel des lignes de force d’un futur modèle de police de proximité34. En effet, à ce moment, si l’on parle déjà de « police de proximité », le concept lui-même – ou son application aux services de police – n’est pas encore défini per se. Deux ans après le « Pari », le ministre de l’Intérieur de l’époque mentionne cette situation lors de la remise d’un rapport du Comité P (comité de contrôle des services de police) sur la relation entre les services de 32 M. WATHELET, op. cit., p. 28. Ibid., p. 29 (nous soulignons). 34 Précisons encore que, fin de la guerre froide et démantèlement de l’Etat social aidant, ces réformes s’inscrivent dans un changement de conception de la police qui, de force de maintien de l’ordre, apparaît de plus en plus comme une « force de sécurité intérieure ». En effet, comme l’indique Y. Cartuyvels, « la mutation est significative du tournant politico-social des années 1980 : la fin des grandes ébullitions sociales et d’une culture intégratrice du conflit, la montée d’un terrorisme violent et l’émergence de nouvelles figures de l’exclusion actualisent un changement de perception de la question sociale et de l’appareil policier »(Y. CARTUYVELS, op. cit., p. 156). Et, de son côté, P. Hebberecht a pu souligner que « pour une nouvelle génération d’officiers supérieurs de la gendarmerie, l’insécurité était de moins en moins associée à une déstabilisation politique par les syndicats de gauche et par la gauche radicale et de plus en plus par la criminalité. Pour ces officiers, le maintien de l’ordre (établi) devenait moins prioritaire comme tâche policière. Par contre, la recherche d’auteurs de délits était perçue comme une tâche de plus en plus importante »(P. HEBBERECHT, op. cit., p. 104). 33 20 police : « Le comité a consacré beaucoup d’attention à la notion de police de proximité sans pour autant la définir explicitement. Il n’a d’ailleurs pas examiné ce que les services de police (...) entendent par cette notion et ce qu’elle implique dans leur fonctionnement. En l’absence d’une définition claire et d’une étude en la matière, les critiques qui s’y rapportent deviennent très vagues »35. Il ajoute cependant que « selon moi, la notion de police de proximité se réfère au mode d’intervention. C’est un concept, une philosophie qui doit être sous-jacente à tout acte ou intervention d’un policier. La police de proximité est donc une méthode de travail. Elle ne modifie donc en rien la répartition des tâches »36. Pourtant, comme nous allons le voir, c’est bien dans le cadre normatif concernant le partage des tâches entre gendarmerie et police communale que va se définir la police de proximité en Belgique... Section IV. - Un cadre opérationnel pour la mise en œuvre du modèle de police de proximité : les zones interpolices Au chapitre des réformes consacrées aux services de police et à la mise en œuvre de politiques de sécurité coordonnées et concertées, se trouve la volonté du gouvernement de valoriser la mise en place de zones interpolices (Z.I.P.) en vue notamment d’améliorer la collaboration entre les différents services de police et de promouvoir la définition d’une politique policière sur le plan local. Différentes circulaires ont veillé à opérationnaliser cette nouvelle forme de collaboration entre services de police37.. Leur contenu est intéressant à préciser en ce qu’il permet de tracer les lignes directrices qui sous-tendent cette nouvelle conception et d’énoncer les modalités d’action qui visent à l’opérationnaliser. D’autre part, et comme nous le verrons, c’est à travers ces différentes circulaires que va se définir « cette » police de proximité que le gouvernement entend mettre en place dans les polices communales. Le principe de base est la mise en place d’une nouvelle collaboration policière dans le cadre de zones interpolices par une répartition des tâches prioritaires entre la police communale et la gendarmerie. Il s’agit, dans un premier temps, de délimiter le territoire qui peut être composé d’une ou plusieurs communes au sein desquelles la politique de sécurité et la collaboration entre les services de police générale seront définies par une Charte de sécurité. 35 C. JANSSEN, S. JANSSENS, entretien avec J. Vande Lanotte, ministre de l’Intérieur, « Tous sur le terrain... », Politeia, 1994, n° 10, p. 8. 36 Ibid., p. 9. 37 Dont la plus importante pour notre propos est la circulaire Z.I.P.1 du 5 décembre 1995. 21 Les prémisses sur lesquelles se fonde l’élaboration de ce nouveau mode de fonctionnement sont les suivantes : - un solide ancrage policier local qui confirme le principe de la décentralisation politique de la police. Cette approche décentralisée est symbolisée par la personne du bourgmestre qui doit assumer un rôle important en matière de sécurité ; - une police axée sur la communauté. Il est fait référence à une police qui ne peut être un instrument au-dessus de la communauté ayant uniquement une fonction répressive et de contrôle. Tous les services de police doivent adopter une nouvelle mentalité qui consiste, en collaboration avec la population, à veiller à ce que les libertés et droits fondamentaux soient garantis en toute sécurité et dans un contexte de respect de l’ordre public; - la nécessité pour la police de rendre des comptes qui renvoie au devoir de justification à l’égard des autorités; celles-ci doivent, avec les services de police, déterminer progressivement leurs objectifs en matière de politique de sécurité dans le cadre de la concertation pentagonale, et préciser la manière dont elles entendent le réaliser. Les conclusions en la matière doivent être décrites dans la Charte de sécurité qui fera l’objet d’une communication auprès de la population; - l’abandon de l’idée de subsidiarité d’un service de police par rapport à un autre qui part du principe que la sécurité du citoyen sur l’ensemble du territoire doit être garantie par l’implication d’un maximum de personnel policier sur la voie publique et ce, dans un esprit de collaboration; - corollaire indispensable : la nécessité de procéder à une répartition claire des tâches, à une coordination et à une collaboration plus poussées ainsi qu’à une transmission plus développée de l’information38. La philosophie que le ministère de l’Intérieur veut promouvoir par la mise en place de ces Z.I.P. est explicitement celle du community policing au travers de ce qu’il nomme une « philosophie d’exécution policière des tâches orientées vers la population ». Dans ce cadre, la première circulaire relative à cette matière traduit la notion de community policing par celle de « fonction de police de base » définie comme « une vision, une philosophie et un concept, relatif à l’approche et à l’exécution policière des tâches qui est essentiellement axée sur les sentiments et les problèmes d’insécurité de la population dans un territoire donné et qui se traduit par une police visible, accessible et abordable, qui a pour but de résoudre les problèmes d’insécurité en concertation 38 Circulaire Z.I.P.1 du 5 décembre 1995. 22 avec les autorités locales et la population ainsi qu’avec toutes les autres instances locales ou organisations qui peuvent y contribuer. Elle requiert de la part de la police une orientation externe (orientation vers le client) et un souci de qualité et, de la part de la population, une disponibilité de collaborer avec la police et une confiance (rétablie) en celle-ci »39. Cette définition du nouveau modèle à mettre en place s’articulera dès lors autour de deux problématiques qui sont loin d’être récentes : d’une part, le partage des tâches entre services de police et d’autre part, le souci de légitimité de ceux-ci. Section V. - Les « années blanches » : la réorganisation des services de police Si les événements dramatiques de la fin des années 80 avaient amené le pouvoir politique à dessiner les première lignes d’une politique policière, lignes qui vont se renforcer au fur et à mesure des circulaires ministérielles, les affaires d’enlèvements et de meurtres d’enfants qui ont défrayé la chronique belge durant les années 1996 et 1997, vont amener le gouvernement, dans sa déclaration du 7 octobre 199740, à précipiter la restructuration de l’appareil policier belge. Ainsi, une dizaine d’années après l’instauration d’une première commission d’enquête parlementaire chargée d’enquêter sur la façon dont la lutte contre le banditisme et le terrorisme a été menée, une autre commission (sur la manière dont l’enquête, dans ses volets policiers et judiciaires a été menée dans l’affaire « Dutroux-Nihoul et consorts ») va voir le jour. Ses débats, retransmis en direct par la télévision et suivis par des millions de Belges, remettront l’appareil policier (et judiciaire) sur la sellette, reproduisant, dans les grandes lignes, ce que la Commission de 1990 avait déjà pointé comme « dysfonctionnement ». S’en suivra un programme de réformes très ambitieux - et surtout jamais égalé – de la justice, dans lequel figurera une réforme profonde des services de police41. Profonde, car si divers projets de restructuration fonctionnelle avaient tenté de mettre un terme à la guerre des polices en opérant une répartition des tâches entre les services, la réforme proposée par le gouvernement, en réponse principalement au rapport de la « Commission Dutroux », entreprend de modifier de manière beaucoup plus radicale et structurelle le paysage policier belge. 39 Ibidem. Voy. Annexe 3 de la déclaration gouvernementale du 7 octobre 1997. 41 Voy. à propos du contexte, Y. CARTUYVELS, Ph. MARY, « Malaise de la justice : et au-delà ? », op. cit. 40 23 Si elle touche directement notre objet d’étude par les modifications structurelles qu’elle entend apporter, la réorganisation ainsi amorcée nous interpelle surtout par l’objectif annoncé d’atteindre une structure policière orientée vers la population et au service de tous les citoyens, vers une « approche intégrée des problèmes de maintien du droit et de l’ordre public », par l’entremise « d’une approche globale des problèmes de la société ». Après une série de négociations, la Chambre finira par adopter, le 22 octobre 1998, le projet de loi organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux42. Sur le plan structurel, cette loi prévoit la mise en place d’une structure policière à deux niveaux autonomes – le niveau fédéral et le niveau local – assurant ensemble la fonction de police intégrée sous les auspices d’autorités distinctes. L’article 3 énonce que « la police locale assure au niveau local la fonction de police de base, laquelle comprend toutes les missions de police administrative et judiciaire nécessaires à la gestion des événements et des phénomènes locaux sur le territoire de la zone de police, de même que l’accomplissement de certaines missions de police à caractère fédéral. (...) La police fédérale assure sur l’ensemble du territoire, dans le respect des principes de spécialité et de subsidiarité, les missions spécialisées et supralocales de police administrative et judiciaire, ainsi que des missions d’appui aux polices locales et aux autorités de police ». La fonction de police de base sera donc assurée par la police locale, et uniquement par elle précise l’exposé des motifs43, c’est-à-dire par les polices communales et les brigades territoriales de la gendarmerie constituées en un seul service de police sur le territoire de chaque zone de police (actuelle zone interpolices). L’exposé des motifs précise en outre que les missions de la police locale doivent s’exécuter dans une approche intégrée basée sur le community policing : « Depuis le Plan dit de Pentecôte du 5 juin 1990, on a opté pour une approche intégrée des phénomènes de sécurité. (...) La même approche plaide également pour une fonction de police axée sur la communauté, ce que l’on appelle le community policing »44 . « Notre police doit reposer sur le concept de la police de proximité, principe qui commence à se développer en Belgique. En effet, la première condition d’un service de police moderne qui fonctionne bien, c’est que la police poursuive une intégration optimale dans la communauté. La police de proximité est, à la fois, une stratégie philosophique et organisationnelle qui permet à la police et à la population locale de coopérer étroitement et afin de résoudre crimes, délits, et d’éviter le sentiment d’insécurité, les désordres sociaux, la délinquance de quartier. Des contacts étroits 42 Loi du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux, M.B., 5.I.1999. 43 Proposition de loi organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux, Exposé des motifs, Chambre des Représentants de Belgique, 1997-1998, n° 1676/ 1, p. 4. 44 Ibid., pp. 4-5. 24 permanents et personnels constituent ici une première condition. Une police intégrée socialement peut disposer d’informations sociales. Celles-ci permettront sans nul doute de signaler des conflits et des problèmes et de les éviter »45. Section VI. - Conclusions Si le premier pas d’une politique policière de proximité est franchi avec le plan de la Pentecôte, c’est en 1991, à la suite d’« émeutes urbaines » à Bruxelles et d’élections traduisant une montée de l'extrême droite, que sont réorientées de façon décisive les thématiques développées jusqu'alors à propos de la police, en mettant l’accent cette fois sur le manque de confiance des citoyens dans leurs institutions, avec en point d’orgue les services de police. Dans l’intervalle, on observe, à l’instar de ce qui a pu être fait dans d’autres pays, un glissement de la problématique du grand banditisme vers la gestion de la petite et moyenne délinquance en milieu urbain essentiellement. Apparaît donc à ce moment une nouvelle préoccupation venant se greffer sur la première : comment faire face à la petite délinquance et surtout comment rétablir la confiance du public en sa police ? La thématique du sentiment d'insécurité devient et restera un cheval de bataille tout au long de cette évolution du discours politique, en ce compris celui de la police de proximité. Rapidement, deux dimensions se recouvrent. L'une est liée au manque endémique de moyens constaté dans les polices communales et qui tend à laisser croire que de toute manière aucun modèle de fonctionnement n'aurait de chance dans de telles conditions. L'autre pose la question de savoir quel mode de gestion du travail policier (dépendant du modèle choisi) offre le plus d'avantages pour répondre à l'inquiétude de la population. Peu à peu, les préoccupations purement structurelles et matérielles font place à l'idée qu'il est nécessaire d'adopter une nouvelle approche en matière de travail policier. Et cette nouvelle orientation prendra le visage du community policing. Cependant, si la volonté de mettre en place « une nouvelle philosophie » d’action existe, un problème demeure : il n’existe pas de consigne sur la façon de traduire cette philosophie de manière opérationnelle et, tout comme on le constate en France, « malgré la multiplication des textes de référence, la police de proximité présente un contour plutôt flou »46. Cette absence de clarification du concept se retrouve très clairement dans l’utilisation d’un vocabulaire lié à des pratiques déjà anciennes auquel vont s’ajouter une série de termes plus ou moins équivalents que l’on estime ex post être parents de la notion de 45 Doc. Parl., Sénat, 1996-1997, n° 1/700/1, pp. 129-130. B. JANKOWSKI, « La police de proximité : regard de la recherche sur un nouveau style de police », Les Cahiers de la sécurité intérieure, 1993, n° 13, pp. 209- 230. 46 25 community policing : « police de proximité », « police de base », « police de première ligne », « police à part entière », etc. Ainsi, les pistes et orientations en provenance du gouvernement fédéral apparaîtront toujours sous la forme de circulaires du ministère de l’Intérieur, et cela par couches successives induisant au fil du temps une agrégation de termes multiples sous celui, fédérateur, de « fonction de police de base ». Ces divers vocables ont ceci de commun qu’ils soulignent dans les vœux du supralocal l’importance d’offrir un service policier accessible, disponible, efficace et efficient en étant à l’écoute des besoins locaux dans l’exercice des missions tant administratives que judiciaires. Mais, outre que les précisions apportées par ces circulaires interviennent fort tardivement et de manière connexe à l’objet principal de celles-ci (fin 1994 et 1995 pour les plus importantes), venant remplir a posteriori une nouvelle politique policière que l’on souhaiterait voir suivie par l’ensemble des corps de police communale du pays, le contenu de ces textes ne permet que difficilement de remplacer instantanément tout en les fédérant la multiplicité des termes employés jusqu’alors. Ainsi, l’idée centrale dans le modèle que l’on cherche à promouvoir est que les services de police exécutent leurs missions dans « un cadre de travail orienté vers la population ». Qu'est-ce à dire? Si le ministre de l'Intérieur aménage ce cadre de travail dans sa circulaire Z.I.P. 1 selon la philosophie du community policing qu'il assimile purement et simplement, comme nous l’avons dit, à l'appellation fonction de police de base, il apparaîtra toujours que la seule chose qui ne demeure pas dans un flou important est la définition d’une clé de répartition des tâches entre services de première ligne (composante de base) et services spécialisés (composante additionnelle), si tant est que ces tâches soient elles-mêmes définies de manière telle qu’il n’y ait pas sujet à discussion. Bref, on oscille ainsi en permanence entre des principes généraux d’exécution des tâches, une philosophie de travail policier, et la volonté d’opérer une répartition des tâches policières en fonction du critère de proximité et qui débouche sur la définition de deux « composantes opérationnelles » de la fonction de police. Chose notable, face à cette préoccupation de rapprocher la police du citoyen, outre la focalisation du discours fédéral sur la police communale (plutôt que la gendarmerie) acteur pourtant relégué pendant longtemps à l’arrière plan des préoccupations politiques - , c’est presque tout naturellement la figure de l’agent de quartier - et éventuellement celle de l’îlotier - qui fera l’objet de l’attention lorsqu’il faudra trouver une concrétisation à cette police que l’on présente désormais comme constituant l’épine dorsale de la police de base. Nous aborderons ce « choix » - plus pratique qu’idéologique – dans la partie relative aux discours des policiers sur la police de proximité. 26 En ce qui concerne la réforme actuelle des services de police, si la réorganisation votée s’inscrit en des termes nouveaux sur le plan structurel, nous pouvons relever une certaine continuité en ce qui concerne la politique policière qui sous-tend cette réforme. En effet, c’est à une confirmation, voire un renforcement des politiques menées en matières de police ces dernières années, auxquels nous sommes conviés, non sans quelques paradoxes. En termes d’objectifs tout d’abord et de moyens ensuite. En termes d’objectifs, la volonté manifestée durant les années 80 de moderniser un appareil policier défaillant, d’en augmenter l’efficacité et, surtout, de lui redonner une légitimité auprès de la population reste plus que jamais d’actualité. Loin de nier que d’importants efforts ont été consentis pour atteindre ces objectifs, la « tornade blanche », dix ans plus tard, est venue poser le bilan des réformes entreprises jusqu’à ce jour. Échec ou insuffisance des moyens mis en œuvre, le vote de défiance manifesté à l’égard de la politique policière au sens large renforce l’idée selon laquelle les objectifs n’ont pas été atteints et qu’il convient de se remettre à l’ouvrage. En termes de moyens, pour ce qui nous concerne, l’accent est mis sur le renforcement des dispositifs impulsés par le Plan de la Pentecôte. Zones interpolices, concertation pentagonale, renforcement du rôle du bourgmestre, renforcement de la fonction de police de base au service de tous les citoyens, politique de prévention globale et intégrée, autant de moyens qui ont, entre autres, été lancés pour rendre plus moderne, efficace et légitime l’institution policière. Autant de moyens qui se trouvent aujourd’hui renforcés alors même que, paradoxe des paradoxes, non seulement ces moyens n’ont pas permis de rencontrer les objectifs posés au début des années 90, mais ils ont de surcroît montré tantôt leur insuffisance, tantôt leur inadéquation, voir même n’ont encore rien démontré... Nous pouvons donc conclure, en ce qui concerne le discours du pouvoir fédéral sur la police de proximité. 1. Que l’intérêt pour les services de police et la politique policière est né suite à une série d’évènements dramatiques et a consisté en une réponse à l’événement - et donc à l’opinion publique - plutôt qu’en une décision politique mûrement réfléchie. 2. Que cet intérêt a d’abord porté sur les aspects quantitatifs avant de s’intéresser aux aspects qualitatifs de la réorganisation des services de police. 3. Que le modèle de police de proximité s’est défini ex post par rapport à une volonté de rapprochement de la police avec la population, d’amélioration de la qualité du service policier et de la (re)légitimation de l’institution policière. 27 4. Qu’en pratique, la mise en place de la police de proximité se fait en priorité dans les polices communales et surtout dans le cadre des contrats de sécurité. 5. Enfin, que le discours fédéral sur la police de proximité se caractérise par le flou le plus total, du moins en ce qui concerne sa définition. Qu’au surplus, le modèle luimême – ou du moins ses caractéristiques – est associé aux « concepts » de « fonction de police de base », « police à part entière », « community policing » ou encore « police communautaire », créant de ce fait une confusion – et même une ambiguïté - entre pratiques et philosophie, principes organisationnels et définitions d’une fonction policière. 28 Titre II. – Le niveau local L’histoire policière de la Belgique est, depuis ses origines, mâtinée d’un débat sur le degré de décentralisation à conférer à ses forces de l’ordre. Dès 1830, en réaction aux systèmes qui ont préexisté, le Constituant opte pour une structure policière assez largement décentralisée. Si la gendarmerie et, dans une moindre mesure, la police judiciaire forment chacune un corps unique, il en va tout autrement pour les polices communales morcelées aujourd’hui en 583 corps distincts, éparpillées sur tout le territoire national. Cette décentralisation est d’autant plus significative que cette police a toujours occupé, du moins formellement, une place relativement importante dans le paysage policier belge. Cependant, cet émiettement des polices communales tend depuis toujours à marginaliser ce corps de police. Alors qu’en matière de police administrative, la gendarmerie, centralisée, parle d’une seule voix, les polices locales dépendent chacune d’autorités différentes et offrent à ce titre une multitude de visages et autant de configurations possibles pour la mise en œuvre de la police de proximité. De quelles autorités parle-t-on ? Chaque police communale du royaume relève de l’autorité d’un gouverneur47, personnage hybride, à la fois chef de l’exécutif provincial et fonctionnaire représentant le ministre de l’Intérieur au niveau de la province. Dans cette dernière fonction, il est chargé de veiller au maintien de l’ordre dans la province et à l’application des règlements de police. Pour mener à bien ces fonctions, il dispose d’un pouvoir réglementaire, de tutelle et de coordination à l’égard des polices locales, ce qui lui fait jouer un rôle potentiellement significatif en matière de définition d’une politique policière locale. Il pourra se substituer au bourgmestre en cas de défaillance de celui-ci. Le bourgmestre représente en fait la véritable figure de proue de la politique policière au sein de la commune, la mission du gouverneur, en matière d’autorité de police administrative, étant d’une certaine façon seulement supplétive. 47 Il existe un gouverneur pour chacune des dix provinces du pays ainsi qu’un onzième pour l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale. 29 Chapitre premier. - L’attentisme des pouvoirs locaux La loi communale48 impose à chaque commune l’obligation de mettre sur pied un corps de police. Pour le reste, la loi laisse, théoriquement, une très grande autonomie au pouvoir communal, essentiellement en la personne du bourgmestre49, en ce qui concerne l’organisation et le fonctionnement de son corps de police. Cette autonomie n’est pas illimitée puisque, outre les compétences du gouverneur dont il a été question, le pouvoir fédéral définit pour sa part des éléments tels que l’uniforme, l’armement, la formation, la nomination des commissaires de police tandis que le pouvoir régional50 exerce une tutelle à l’égard des décisions communales. Toutefois, c’est au bourgmestre que revient, en principe, la tâche de déterminer l’importance qu’il désire donner au corps de police communale, les priorités qu’il souhaite fixer dans le choix des missions, les moyens qu’il veut lui conférer, le choix d’assurer une permanence de garde et d’intervention 24 heures sur 24, etc., soit autant d’éléments qui façonnent au quotidien le travail des polices communales. Toutefois, ce principe tend à être battu en brèche depuis quelques années. En effet, dès l’aube des années 90, la politique mise en œuvre par le gouvernement fédéral aura tendance à investir la police communale sinon à réduire cette autonomie communale, tout en affirmant, dans le discours, sa volonté de faire du bourgmestre la personne clé en matière de sécurité et d’ordre public sur le territoire communal. Ce renforcement constant de l’emprise du ministère de l’Intérieur sur la police communale va être mis en œuvre par le biais de la réglementation et, surtout, des modes de financement, ce qui sera aussi de nature, bien sûr, à influencer les orientations de ce corps de police. Un facteur explique plus particulièrement cette reprise en main. A cette époque, les polices communales sont, de très loin, le parent pauvre du paysage policier belge. Sur le plan politique, les mandataires communaux ne prennent guère leurs responsabilités par rapport à la question policière. Le résultat de ce désintérêt est qu’il n’y a guère, tout comme au niveau fédéral, de définition d’une politique policière communale de la part des élus locaux. On cherche en vain des lignes directrices tant au niveau de l’organisation que dans la philosophie d’action des polices communales. Sur le plan fonctionnel, les échanges sont peu nombreux entre les bourgmestres et leur commissaire en chef. La définition des priorités auxquelles devrait s’attacher la police communale fait seulement l’objet de contacts très ponctuels et informels. Bien qu’ils 48 Article 170 de la « nouvelle loi communale » du 24 juin 1988 (M.B., 3.IX.1988). Le Conseil communal, soit l’assemblée locale, dispose quant à elle de compétences en matière de définition du cadre, d’approbation du budget ou de recrutement des membres de la police communale. 50 Les trois Régions du pays (flamande, wallonne et bruxelloise) disposent de la tutelle administrative sur les communes. 49 30 soient la figure clé de la politique policière locale, les bourgmestres n’en n’ont pas moins le plus souvent une très mauvaise connaissance des besoins et du fonctionnement des corps de police. « On en arrive ainsi à ce que, soit, l’autonomie communale devienne en réalité l’apanage du chef de corps dont les conseils et suggestions sont pris pour argent comptant par le bourgmestre qui ne fait qu’entériner la volonté de celui-ci, soit, le désintérêt pour le corps de police est tel que le chef de corps ne dispose ni de lignes de conduites, ni de moyens pour mener une véritable action policière au sein de la commune »51. Du reste, ce manque d’intérêt des bourgmestres à l’égard de leur police s’explique aussi par leur manque de connaissances dans ce domaine. Au mieux, les bourgmestres semblent seulement s’intéresser aux « dysfonctionnements », lorsqu’ils sont interpellés ou encore à leurs obligations purement légales. Le manque endémique de moyens et, pour corollaire, le sous-effectif chronique de l’ensemble des polices communales sont les conséquences les plus visibles de cette politique. Dans un tel contexte, on ne s’étonnera guère que, fin des années 80, les polices communales, à quelques rares exceptions près, semblent avoir fait le deuil d’une police proche de la population, préfiguration du concept actuel de police de proximité tel que défini au niveau supra-local. Pourtant, une telle pratique, inhérente à des petits corps de police et à l’image du garde champêtre qui leur est associé, est restée omniprésente dans le paysage policier, en particulier dans les zones rurales, jusqu’au milieu des années 70. A partir de 1976, la fusion des communes représente un cap qui sera fatal à cette organisation. A l’époque bon nombre des 2359 communes du royaume ne disposent, tout au plus, que de quelques gardes champêtres et leur corps de police sont, de fait, très peu spécialisés. Les policiers opèrent encore dans un cadre spatial restreint au sein de communautés locales à taille humaine. Le nombre d’entités communales va alors fondre, radicalement, passant d’un seul coup de 2359 unités à 589. La fusion des communes, qui touche évidemment directement les polices communales, est davantage l’occasion d’une rationalisation de celles-ci que d’un redéploiement sur la base, par exemple, d’un certain nombre de principes constitutifs du modèle de police de proximité. Un des objectifs de ce regroupement consistait alors à créer des entités d’une taille suffisante pour mener une gestion locale plus efficace des affaires publiques, ce qui aurait dû également avoir un impact positif sur le travail policier à l’échelle du quartier. Toutefois, l’apport positif que pouvait représenter la culture policière rurale au sein des nouvelles polices communales à été fortement négligé et refoulé. A l’époque, il n’a pas non plus été jugé opportun de préparer la police à un monde en pleine mutation. Dans les années qui vont suivre ce regroupement, crise 51 E. DERRIKS, G. RENAULT, op. cit., p.44. 31 économique et endettement des communes aidant, la fusion va davantage être synonyme de repli que de redéploiement des services, tout en créant, dans le chef de la population, un sentiment d’éloignement du politique, de son administration et donc de sa police. Etant donné qu’il est difficile de comprimer la rémunération ou les avantages sociaux des agents, la rationalisation a davantage porté sur la localisation des divisions ou des services policiers. On a surtout spécialisé les services et les commissariats de quartier ont été vidés de l’essentiel de leurs effectifs quant il n’ont pas purement et simplement été fermés. Le pouvoir communal a eu d’autant moins d’états d’âme que, comme nous l’avons souligné, la police communale ne représentait guère une priorité à leurs yeux. Chapitre II. - Vers une reprise en main par le fédéral Début des années 90, le champ étant libre, et sous la pression d’un certain nombre d’événements52, le gouvernement fédéral va reprendre les choses en main. L’enjeu sécuritaire devient alors prioritaire. Dans un tel contexte, on constate également un revirement de la part de quelques mandataires communaux. De fait, un certain nombre de grandes figures politiques locales, en particulier les bourgmestres socialistes de grandes entités urbaines53, plus particulièrement touchées par les carences matérielles et fonctionnelles de leur corps de police, vont peser de tout leur poids pour que le fédéral ouvre son porte-monnaie à leurs polices, décidément fort désargentées, et mette en œuvre une politique à l’image de celle développée en France depuis les années 80. Le bourgmestre de Charleroi, très impliqué dans l’élaboration et la mise en œuvre des contrats de sécurité, prend, au nom des bourgmestres, position en ce sens : « Le monde municipal veut s’impliquer davantage, pressé qu’il est par son opinion publique et par des citoyens insatisfaits de la façon dont on assure la sécurité puisqu’on a pas toujours les outils pour pouvoir le faire. Il nous paraissait qu’une façon d’avoir ces outils était justement d’imaginer, comme nos amis français le font, un certain nombre de contrats entre les villes, l’Etat et les Régions pour appliquer sur le terrain un certain nombre de politiques »54. Le niveau communal, et partant la police communale, devient, pour le gouvernement fédéral, le niveau par excellence où déployer cette nouvelle politique. Outre la « pression » des instances supra-nationales insistant sur la nécessité d’un retour au local (voy. supra), un tel choix peut s’expliquer aisément. Malgré les carences observées, la police communale dispose encore de nombreux atouts : elle reste la plus proche de la population et possède des facultés d’adaptation potentiellement 52 53 voy. supra. J.-Cl. VAN CAUWENBERGHE, op. cit., p.99. 32 intéressantes, ce qui va surtout s’avérer utile lorsque la politique de prévention mise en œuvre par les gouvernement successifs va se focaliser de plus en plus sur la question de la petite criminalité urbaine. Du point de vue officiel du ministère de l’Intérieur, ce contact étroit de la police communale avec la population reste le garant d’un service de police efficace et démocratique. Chapitre III. - Les contrats de sécurité Le fer de lance de cette politique devient, dès 1992, les contrats de sécurité. Ils seront finalement moins inspirés par l’expérience française que par les politiques « administratives » menées dans les pays anglo-saxons et aux Pays-Bas, des programmes qui ont très fortement imprégné le discours des hommes politiques qui vont se succéder au poste de ministre de l’Intérieur. Dotés d’une forte implantation locale, ils contractualisent un partenariat entre le gouvernement fédéral et les principales villes du pays. L’insertion locale des contrats vise à donner une place centrale aux autorités communales dans le développement de cette politique, en particulier le bourgmestre et le chef de corps de la police communale, en raison du contact plus étroit qu’elles entretiennent avec la population, de leur meilleure connaissance des problèmes rencontrés par celle-ci, sans oublier les spécificités locales de ces problèmes. Ces contrats, d’orientation nettement sécuritaire, comportent aux côtés d’un volet préventif, un important volet policier. Face, d’une part, à une gendarmerie toujours plus professionnelle et spécialisée dans la grande criminalité, capable d’assurer un large éventail de missions et occupant, de facto, une position centrale dans « l’échiquier » policier belge et, d’autre part, à une police communale dévalorisée par un sous-investissement chronique55 et de moins en moins apte à répondre aux demandes toujours croissantes de la population, le ministère de l’Intérieur entend donner, par la mise en œuvre de ce volet, une impulsion sans précédent aux corps de police communale. On entend renforcer le rôle des bourgmestres, inscrire l’intervention policière dans une politique globale de prévention et moderniser l’appareil policier (en termes de formation, de recrutement, d’organisation et d’équipement). Cependant, selon le bourgmestre de Charleroi, « les actions devront être tournées vers le délinquant et vers la victime, et non en faveur du policier. Le contrat de sécurité ne constitue pas un plan pour revaloriser la police communale. Il n’est pas un plan pour organiser différemment son travail. C’est un plan pour sécuriser davantage. Et notre 54 55 Ibid., p. 101. Ch. DE VALKENEER, « La commune et la sécurité », Mouv. Com., 1994, n° 3, p.135. 33 objectif est bien clair : c’est à la fois le monde des délinquants sur le territoire de notre commune et le monde des victimes. Nous voulons privilégier, à travers les contrats de sécurité, une approche intégrée qui agit sur des terrains de prévention et de répression, et non pas une mécanique policière nouvelle »56. De manière générale, le discours du pouvoir local donne l’impression de ne pas avoir perçu un certain nombre d’enjeux, en particulier la mise en œuvre de la police de proximité, les contrats n’étant pour eux qu’une sorte de « manne céleste ». Sur le terrain, les moyens supplémentaires dégagés par le ministère de l’Intérieur traduisent pourtant également une volonté de travailler autrement, au travers de la mise en œuvre d’un certain nombre d’éléments directement inspirés du modèle de police de proximité. Ils doivent permettre d’embaucher de nouvelles recrues et plus particulièrement de redéployer la fonction d’agent de quartier, devenu figure de proue de cette nouvelle politique de proximité57. Il sera aussi question de créer de nouveaux services (administratifs, avec l’engagement, plus particulièrement de personnel civil, pour soulager les policiers des tâches administratives, assistants de police, brigade canine, service d’analyse, cellule routière ou section judiciaire), de l’intensification de la coopération avec la gendarmerie et entre polices communales, notamment pour l’échange de données, des contacts avec la population (information sur la police, visites à la population, visites de la population, visites dans les écoles), de l’amélioration des infrastructures policières et de l’accueil dans les commissariats, en particulier au point de vue de l’aide aux victimes (tant au niveau de la formation des policiers, de l’accueil ou de la coopération avec les structures locales), de la sécurisation des commissariats de police et des maisons communales. Au demeurant, à travers la création de postes décentralisés, la revalorisation de la police de première ligne et en particulier des agents de quartier, l’amélioration de la formation et des conditions d’accueil de la population, nombre de ces mesures montrent une volonté de mettre clairement l’accent sur la police de proximité. De cette manière le ministère de l’Intérieur ne fait que reprendre un concept « à la mode ». Il « drible » également les pouvoirs locaux incapables de prendre seuls les choses en main. Chapitre IV. - La loi de fonction de police et les zones interpolices La même année, le parlement vote la loi de fonction de police qui, de manière générale, fixe les règles de compétences, les obligations et les missions des différents services de police et détermine les relations entre ceux-ci et les autorités administratives et judiciaires. Dans la foulée, la loi met aussi en œuvre la concertation 56 57 J.-Cl. VAN CAUWENBERGHE, op. cit., pp. 103-105. Pour rappel, le Plan de Pentecôte parle littéralement de « sacraliser » l’agent de quartier. 34 pentagonale qui, de manière à réduire les dysfonctionnements, notamment en matière de coordination, mis en évidence par la commission d’enquête parlementaire sur le banditisme et le terrorisme, associe à différents niveaux (provincial, local et par arrondissements judiciaires) les autorités administratives (le gouverneur et le bourgmestre) et judiciaires et les représentants des trois grands corps de police. Dans les faits, c’est surtout le gouverneur, institution à mi-chemin entre le pouvoir local et fédéral, qui se voit investi d’une mission de coordination, les bourgmestres ayant émis les plus vives réserves face à ce qu’ils considèrent comme une nouvelle atteinte à l’autonomie communale58. Le ministère de l’Intérieur ne s’arrête pas en si bon chemin. Considérant que la petite taille de nombreuses polices communales est un handicap, dans la mesure où il ne permet pas à ces entités d’assurer un service complet à l’égard de la population, le pouvoir fédéral entend dès lors obliger les communes à assurer une permanence continue. Ce faisant, il s’agit de rationaliser les moyens des polices de première ligne en développant la collaboration entre gendarmerie et polices communales et en constituant des Z.I.P.59 et les Chartes de sécurité. Pratiquement ces Chartes attribuent les missions à caractère national à la gendarmerie, la police communale se voit, quant à elle, systématiquement confinée aux missions strictement locales, principalement les tâches administratives, les moins valorisées au sein de l’appareil policier. Chapitre V. - La réforme des polices Il semble que la réforme des polices qui doit aboutir à l’horizon 2001 ait été l’occasion d’un dernier sursaut de la part des bourgmestres. Voyant l’affirmation selon laquelle « l’organisation d’une police locale dépasse la sphère des intérêts communaux»60, comme une intrusion claire et nette du pouvoir fédéral dans une prérogative (la sécurité communale), chasse gardée des bourgmestres, ces derniers sont finalement montés au créneau. Malgré l’évidente disparité des situations locales entre grandes agglomérations urbaines et communes rurales, les bourgmestres, parlant d’une seule voix, ont profité de l’occasion pour réaffirmer le caractère démocratique de l’échelon local et partant la nécessité d’y établir une police proche du citoyen61 : « On peut (...) craindre que sur le terrain l’administration de la police se détache de plus en plus de l’administration communale. Or une étroite collaboration entre ces deux administrations est restée, 58 L. VAN OUTRIVE, op. cit., p. 9. Ces Z.I.P. n’ont jamais été mises en place en Région bruxelloise. 60 Ch., SO 1997-1998, 1676/1, p. 41. 61 Ch., SO 1997-1998, 1391/1, pp. 345 et sv. 59 35 jusqu’à présent le meilleur gage d’un service de police proche de la population dans toutes ces matières qui concernent directement la population »62. Un tel argument sert évidemment, au premier chef, les intérêts des bourgmestres puisque qui, sinon eux, incarne par essence le pouvoir le plus proche de la population et, partant, celui qui est le plus à même de défendre cette police de proximité ? Chapitre VI. - Conclusions Si le local est le principal levier en matière de redéploiement des services de police, force est de constater que ces réformes ont eu pour conséquences de « vassaliser » toujours davantage les autorités communales. En effet, l’octroi des budgets des contrats de sécurité s’accompagne de la mise en œuvre d’un certain nombre de directives élaborées par le ministère de l’Intérieur. Ces dispositions touchent plus particulièrement l’amélioration de la coordination entre la police communale et la gendarmerie par la constitution de zones interpolices, la mise en place d’un conseil communal de prévention de la délinquance (C.C.P.D.), comme en France, et d’une concertation pentagonale mais aussi par des normes minimales d’encadrement à atteindre63, en matière de recrutement des policiers, de budget et d’équipement. Le cas échéant, en cas de non respect de ces dispositions, le gouvernement est en droit de suspendre ou de récupérer les sommes allouées aux communes. Ces dernières, motivées par des pressions essentiellement de nature financière, ne peuvent qu’emboîter le pas aux réformes instiguées par le ministère de l’Intérieur. L’adhésion à ces programmes se fait bien souvent sans grand enthousiasme, davantage parce que le déblocage des subsides est conditionné par la remise de projets et par des négociations impliquant les autorités locales. Et lorsque les bourgmestres réagissent, il s’agit surtout d’interventions basées sur des intérêts purement locaux. Autrement dit, les contrats de sécurité ont forcé les bourgmestres à s’intéresser à leur police ne fût-ce que par les négociations que les contrats impliquent mais, in fine, la définition de la politique policière est aujourd’hui davantage dans les mains des institutions fédérales. Somme toute, le paysage policier local n’en est pas pour autant changé du tout au tout, le pouvoir fédéral se révélant autant incapable de définir une politique policière cohérente64. 62 « La réforme des polices : position de l’Union des villes et communes de Wallonie », Mouv. Com., 1997, n° 6-7, pp. 332-333. 63 Arrêté royal du 9 mai 1994 relatif au nombre minimum d’emplois à prévoir au cadre organique des fonctionnaires de police de la police communale. 64 L. VAN OUTRIVE, op. cit., p. 12. 36 DEUXIEME PARTIE. – LE POLICIER 37 S’agissant de faire l’inventaire du discours des acteurs policiers concernant la police de proximité, il convient de garder à l’esprit deux choses. Premièrement, comme nous l’avons déjà évoqué, la réflexion générale sur la police en Belgique s’est constamment profilée dans un contexte d’urgence, de réponse à l’événement, et n’a finalement fait l’objet, de la part des acteurs institutionnels, que de peu de réflexions à proprement parler. Les responsables policiers eux-mêmes ont souvent mis en évidence ce biais : « Les seules discussions menées [en Belgique] sur ces thèmes ont trop souvent lieu à l’occasion d’incidents ou de crises »65. « On dit bien souvent que la police a autre chose à faire que de combattre des incidents et notamment qu’elle doit se charger de résolution de problèmes mais, l’autorité ellemême donne le mauvais exemple »66. Deuxièmement, il faut tenir compte de la structuration des organes de police et des voies de communication dont ils disposent pour se faire entendre. Pour cette partie, nous nous sommes donc basés sur les articles de policiers publiés dans les revues belges des services de police : L’Officier de police – Revue de la Fédération royale des commissaires et commissaires adjoints de Belgique ; Politeia – Revue professionnelle belge des services de police – remplacée par le Journal de la police depuis janvier 1999 ; Vigiles – Revue du droit de police ; et la Revue de la Gendarmerie. Cependant, on peut également mentionner comme sources d’information disponibles les divers syndicats policiers – mais dont les positions sont essentiellement véhiculées par la presse – et les divers « organes représentatifs » de la police. En ce qui concerne spécifiquement la police communale, deux organes entrent dans cette catégorie : la Fédération royale des commissaires et commissaires adjoints et la Commission permanente de la police communale. Ces deux organes sont d’autant plus importants que s’agissant de représenter 583 corps de police ayant chacun ses spécificités et ses intérêts propres, ils sont les seuls à présenter une position commune. La Fédération royale des commissaires et commissaires adjoints fut créée en 1969. Elle remplit un rôle de représentation des polices communales belges auprès des autorités 65 R. VAN DE SOMPEL, « Return to sender ou back to the future ? L’évolution de la gendarmerie vers une fonction de police orientée vers la communauté », Politeia, 1997, n° 5, p. 17. 66 P. DE BRUYN, commissaire en chef de la police communale de Dilbeek, « Rôle, objectif et ensemble des tâches de la police locale de demain », Off. Pol., 1999, n° 6, p. 99. Voy. égal. à propos de la dernière réforme des polices et de son contexte : F. MULLENERS, commissaire en chef de la police communale de Genk, « Armageddon », Off. Pol., 1999, n° 2, pp. 5-11 ; C. DE TROCH, président de la commission permanente de la police communale, « La police communale dans un modèle de police futur », Off. Pol., 1997, n° 5, pp. 147-152 ; D. STEELANDT, « L’agent de quartier entre le slogan et la réalité », Off. Pol., 1995, n° 7, pp. 11-15. 38 fédérales et a pour but de s’impliquer dans les décisions relatives aux politiques de sécurité. La création de la Commission permanente de la police communale était prévue depuis 1986 par la loi sur la police communale du 11 février 1986 mais n’a vu le jour qu’une dizaine d’années plus tard67. La Commission a pour mission d’étudier et de donner des avis sur tous les problèmes relatifs à la police communale. Sa composition est déterminée par l’arrêté royal du 5 avril 1995 et tient compte de l’équilibre linguistique, de la classe des communes et de la répartition géographique. La présidence de la Commission permanente ainsi que celle de la Fédération est assurée par la même personne68. Titre premier. – « Les acteurs policiers et la terminologie » « Une discussion fondamentale sur l’organisation policière doit partir de la question : quelle sorte de fonction de police souhaite-t-on pour résoudre quels problèmes de sécurité ? »69. La réponse, pour l’heure, fait toujours défaut et cette absence de débat et de réflexion structurée se retrouve notamment, comme nous l’avons déjà dit, dans l’utilisation d’un vocabulaire lié à des pratiques déjà anciennes. Ce point de vue est d’ailleurs très largement partagé par les policiers. Dans ce cadre, il est intéressant de constater que l’essentiel de la littérature concernant le community policing en Belgique se trouve concentré en un seul numéro d’une revue destinée aux personnels des services de police, numéro publié en 199570 et dans lequel s’exprime le commissaire Carlos de Troch pour la police communale et le Colonel Roger Van de Sompel pour la gendarmerie71. Les deux auteurs y relèvent les confusions de langage entre le community policing, d’une part, et la police de proximité, d’autre part ou encore l’usage de terminologie à consonances trompeuses. Cette notion, somme toute, embarrasse : « Dans tous les textes (…) on trouve des expressions et des déclarations concernant la criminalité, la sécurité du citoyen, 67 A.R. du 5 avril 1995 (M.B. 10.V.1995). Pour de plus amples informations concernant la Commission permanente de la police communale, voy., e. a., Politeia, 1997, n° 4, pp. 8 et sv. 69 R. VAN DE SOMPEL, « La fonction de police de base au sein de la gendarmerie », Politeia, 1995, n° 9, p. 21. 70 Politeia, 1995, n° 9. Outre les articles des auteurs précités, on y trouve également des articles de J. Alderson, commissaire en chef d’honneur des comtés de Devon et Cornouailles au Royaume-Uni, T. Vanden Broek et Ch. Eliaerts, collaborateur scientifique et professeur à la Vrije Universiteit Brussel (V.U.B.) et J. Vande Lanotte, ministre de l’Intérieur. 71 Ce dernier était à l’époque coordinateur national des projets service de police de base de qualité au sein de la gendarmerie. 68 39 community policing, police de base et autres, mais, en pratique il semble que ces notions sont expliquées et appliquées autrement et que tout le monde n’a pas les mêmes idées »72. Chapitre premier - La voix de la police communale On constate en particulier, au travers d’articles émanant de chefs de corps, que l’attention porte essentiellement sur la figure (relativement ancienne en Belgique) de l’agent de quartier. « L’agent de quartier est la carte d’identité de la police communale. Une police communale dépourvue de travail de quartier fait le même travail que la gendarmerie » relatait un policier communal73. Il est le « particularisme »74 de la police communale : « Au centre de l’idée ‘agent de quartier’ il y a la conception redécouverte que la population est la partenaire de la police et non son adversaire. L’agent de quartier répond par excellence à l’image que l’on se fait d’une police visible, accessible, contactable telle qu’elle existe dans la conception d’une assistance policière de base ou communautaire »75. De manière générale, face à la priorité accordée à ce policier en particulier, on peut émettre l’hypothèse qu’en l’absence d’une prise de position plus précise dans ce domaine par les pouvoirs politiques supra locaux76 et face au risque que cette précision fait courir de devoir se lancer dans un processus ample de réformes, certains bourgmestres et chefs de corps ont préféré se rabattre sur la remise au goût du jour77 – du moins dans le discours – de l’agent de quartier78. Cette focalisation sur un service 72 P. DE BRUYN, op. cit., p. 100. Y. NAESEN, C. JANSSEN, N. DE MAN, S. JANSSENS, « La proximité, un gage de la satisfaction des citoyens. À la rencontre de la police communale », Politeia, 1997, n° 4, p. 26. 74 C. JANSSEN, S. JANSSENS, entretien avec Ph. Warny, commissaire en chef de la police communale de Namur, « À propos de la police communale et de son avenir », Politeia, 1997, n° 6, p. 4. 75 D. STEELANDT, op. cit., p. 5. 76 P. De Bruyn rappelait lors de son intervention à la » Journée de la police communale » (Bruxelles, 7 mai 1999) que, rien dans l’analyse de la littérature ne permet de dire que le législateur a une quelconque vision de la police, de son rôle, de sa finalité sociale (P. DE BRUYN, op. cit., pp. 98-108). 77 Voy. Y. HENDRIX, commissaire adjoint à la police communale de Flémalle, « Agent de quartier : une profession vide de sens », Off. Pol., 1998, n° 6, pp. 41-44 ; P. PIRARD, commissaire adjoint à la police communale de St – Trond, « L’agent de quartier au Limbourg », Off. Pol., 1997, n° 10, pp. 13-17 ; Ph. WARNY, « La police de quartier est indispensable », Off. Pol., 1997, n° 5, pp. 131-137. 78 C. De Troch rapporte également un témoignage intéressant sur ce sujet. À l’opposé de la gendarmerie, dit-il, « les membres de la police communale exerçaient leurs tâches et leurs missions au sein de la population, parmi laquelle ils avaient été recrutés. Leur connaissance de la communauté locale et les liens étroits qui les unissaient à elle étaient d'ailleurs considérés comme une faiblesse de la police communale ; faiblesse qui concernait la manière dont étaient menées les missions répressives judiciaires. (...) Les solutions aux problèmes relatifs à ce qu'on dénomme aujourd'hui la ‘petite criminalité’ (...) comme les actes de vandalisme, les disputes familiales, les larcins, etc., étaient le fruit d'une étroite collaboration avec la population. (...) En outre, nombre de situations conflictuelles étaient évitées, sinon ramenées à leur juste proportion, du fait que la police n'était pas seule à être au courant du phénomène. 73 40 est, en effet, moins coûteuse en moyens financiers et en efforts organisationnels puisque qu’elle n’implique que le renforcement – à l’aide des contrats de sécurité, et donc du financement du fédéral ou de la Région, par exemple – d’un service de quartier. De plus, le flou concernant cette fonction est moins gênant à ce stade que celui entourant la police de proximité. Certains indices de cette situation sont décelables. Il en est ainsi, par exemple, du nombre d’articles de policiers consacrés à la fonction d’agent de quartier face au peu d’articles consacrés à la police de proximité79 (ou au service de police de base) qui, lorsqu’ils existent, soulèvent de nombreuses questions quant au flou, la variété des termes employés et la confusion que cela induit80. On peut toutefois souligner que les auteurs de ces articles y relèvent souvent le caractère limité et « sloganesque » de la médiatisation de l’agent de quartier lorsqu’il n’est pas inclus dans une réorganisation plus en profondeur d’un corps de police81. Les causes profondes des conflits et les rapports des habitants entre eux étaient connus. Un contact régulier, une présence ponctuelle et une analyse juste des problèmes rendaient possible une intervention policière efficace. (...) Dans les corps plus importants de villes de taille moyenne ou grande, c'est dans la fonction de l'agent de quartier qui se manifestait ce service orienté vers la population. L'agent de quartier apparaissait comme une personne de confiance, trait d'union entre population et corps de police, médiateur, fonction de signal » (C. DE TROCH, « La police communale et sa place dans le cadre de sa mission de police de base », Politeia, 1995, n° 9, pp. 15 et sv.). 79 Voy. T. KOENRAAD, commissaire adjoint à la police communale de Gand, « Une police toute proche. À Gand, la police de quartier se transforme en police de proximité », Politeia, 1998, n° 5, pp. 12-14. L’auteur y évoque cette fois la notion « d’agent de proximité ». 80 Voir à ce propos F. MULLENERS, op. cit. 81 D. STEELANDT, op. cit. 41 Chapitre II. - La voix de la gendarmerie La gendarmerie a été démilitarisée par une loi du 18 juillet 1991, opérant de la sorte un transfert de compétences du ministère de la Défense à ceux de l’Intérieur (pour les compétences de police administrative) et de la Justice (pour les compétences judiciaires). Depuis lors de multiples réformes sont intervenues en son sein (structure, recrutement, formation, évaluation, etc.), avec pour fil conducteur le développement de la « police de base de qualité » (le développement de ce projet a commencé en mars 1993). Il est à noter cependant – et cette remarque à son importance - que, bien que relevant maintenant du ministère de l’Intérieur, la Gendarmerie n’a pas été concernée par les multiples programmes développés par celui-ci. Dès lors, contrairement aux polices communales, les réformes ou les réorganisations dans le sens d’une police de proximité ont été initiées en « interne », au sein même de la gendarmerie. Il semble cependant que le développement de la police de proximité au sein de la gendarmerie ne soit pas purement philosophique mais réponde également à une vision plus stratégique. Ainsi, comme le rappelle L. Van Outrive : « C’est surtout en lançant un service de police de base fondé sur plusieurs éléments de la community policing, ou police de proximité, que la gendarmerie a fini par concrétiser et achever son parallélisme concurrentiel avec les autres services de police et par engendrer bien des chevauchements de compétence. C’est la première fois que la gendarmerie s’occupe explicitement et systématiquement du besoin de sécurité de la population. Auparavant elle se présentait comme un des piliers qui soutiennent la nation belge, mission qui lui avait été assignée formellement en 1830, l’accent étant toujours mis principalement sur le maintien de l’ordre public et sur la mission de renseignement politique. Cette dernière tâche était réservée aux B.S.R. [Brigades de Surveillance et de Recherche], qui n’ont commencé à s’occuper des tâches judiciaires spécialisées que de manière progressive et avec des effectifs limités »82. De manière générale, la police de proximité passe avant tout par une amélioration de la qualité : « Le concept de la police de base traduit la philosophie d’une gendarmerie qui refuse le repli sur elle-même et qui s’ouvre au monde extérieur »83. Sa mise en œuvre progressive passe « petit à petit d’une amélioration de la qualité des services existants à des projets plus profonds allant dans le sens du community policing »84. On 82 L. VAN OUTRIVE, op. cit., pp. 18-19. C. JANSSEN, « La gendarmerie dans tous ses états. Les gendarmes ont la parole », Politeia, 1996, n° 4, p. 22. 84 S. JANSSENS, Y. NAESEN, entretien avec R.. VAN DE SOMPEL, « Back to basics. La police de base à la gendarmerie », Politeia, 1996, n° 4, p. 27. Voy. aussi, R.. VAN DE SOMPEL, « Return to sender ou back 83 42 rejoint dans ces définitions très générales l’idée déjà véhiculée par le fédéral mais aussi un certain nombre de policiers communaux. Cependant, si les notions de police de proximité et d’agent de quartier sont peu usitées - la culture propre à la gendarmerie, ses compétences légales, ainsi que la terminologie fait que l’on y parle plus aisément de community policing et de « gendarme de secteur »85 ou encore de « fonction de police orientée vers la communauté »86 -, les conceptions sont également différentes. En effet, on parle plus volontiers de stratégies et de management. On évoque également le problem oriented policing (approche par résolution des problèmes, proactivité, action sur les causes et non les symptômes) et le partnership, considérés comme les deux piliers du community policing auxquels la gendarmerie ajoute un troisième : le « concept de qualité du service rendu à la population locale et à l’autorité » (la population est considérée comme un « client »). In fine, le concept de community policing tel qu’adopté par la gendarmerie, s’applique « tant dans la fonction de police de base que dans celle de la police spécialisée »87. Ou, en d’autres termes : ce concept s’applique « tant à la fonction de police locale qu’à la fonction de police supra locale »88, l’important étant de les intégrer. Pour autant, le colonel R. Van de Sompel s’interroge sur le contenu du community policing : « Un concept ou un fourre-tout ? » : « Dans la littérature spécialisée consacrée au community policing, il existe peu de consensus sur ce que ce type de fonction de police est au juste. En effet, le community policing est généralement décrit au départ du manque d’efficacité avéré de la fonction de police traditionnelle. Le contenu du community policing est dès lors la conséquence logique à la réaction contre les caractéristiques et les manquements de la fonction de police réactive. J’ai également rencontré un vaste éventail de variantes dans l’application sur le terrain du community policing par les services de police (essentiellement anglo-saxons) de par le monde. Cet éventail allait de l’approche extrême orientée vers la communauté à l’approche exclusivement orientée vers les problèmes. (…) La seule constante semble être le fait que chacun admet que le community policing est un concept, une vision et une attitude plutôt qu’une méthode, une stratégie ou une forme d’organisation qu’il est aisé de délimiter »89. to the future ? L’évolution de la gendarmerie vers une fonction de police orientée vers la communauté », op. cit., pp. 19-20. 85 Voy. C. JANSSEN, op. cit., pp. 17 et sv. 86 R.. VAN DE SOMPEL, « Return to sender ou back to the future ? », op. cit., pp. 16 et sv. ; Politeia, 1997, n° 6, pp. 9 et sv. 87 R.. VAN DE SOMPEL, “ La fonction de police de base au sein de la gendarmerie ”, op. cit., p. 19. 88 Ibid., p. 20. 89 R.. VAN DE SOMPEL, « Return to sender ou back to the future ? », op. cit., p. 16. 43 Chapitre III. – « L’écho des voix » Il faut, pour comprendre toute la portée de ces prises de positions, toujours garder à l’esprit le climat dans lequel il s’inscrit : un climat, sinon de « guerre des polices », en tout cas de luttes d’influence sur deux terrains, politique et pratique. D’abord sur le terrain politique car les pistes de réforme des polices (déjà) en cours à cette époque débouchaient sur des négociations de répartitions des tâches entre d’une part, la police communale, et d’autre part, la gendarmerie90, les deux corps défendant leurs prérogatives respectives. Sur le terrain de la pratique ensuite car, au centre du débat sur la « fonction de police de base », voire simplement sur la “ fonction de police ”, se trouve la population que chacun des deux corps tente de « séduire »91. Dans cette course, l’ancrage local de la police communale et son implication historique au sein de la communauté lui donne un avantage (même si le contact avec la population s’est progressivement perdu) sur une gendarmerie à la recherche de cet ancrage mais qui bénéficie elle d’un professionnalisme plus pointu (de par ses moyens matériels et humains mais également ses compétences sur l’ensemble du territoire national qui lui permettent de mettre en place des services centralisés bénéficiant à toutes les brigades de gendarmerie locales). Les discussions visant à restructurer la « fonction de police de base » par une redistribution des tâches entre les deux services de police viennent donc attiser, tout en tentant de trouver une « solution », une lutte de compétences entre les deux corps. Les positions relatives à la police de proximité sont donc, dans ce contexte, autant des arguments « corporatistes » que des arguments plus « raisonnés » et témoignant d’un souci de moderniser la fonction de police. Ainsi, les modélisations respectives de mise en œuvre de cette police de proximité sont un bon exemple de cette rivalité. D’un côté la police communale propose une « répartition ‘bi-partite’ au niveau de l’exécution des tâches » entre, d’une part, « un service de police de première ligne spécialisé dans la ‘communauté locale’ » ou spécialisé dans un domaine, et d’autre part, « un service de police de deuxième ligne spécialisé dans 90 C’est l’époque des négociations des zones interpolices (Z.I.P.). L’introduction des Z.I.P. avait pour but d’apaiser les tensions existant entre la gendarmerie et la police communale tout en promouvant le développement d’un « nouveau fonctionnement de la police » fondé sur un ancrage local, la concertation et le partenariat (entre les corps de police) et axé sur la communauté. Voy. not. Politeia, 1996, n° 5. (numéro spécial Z.I.P.). 91 Le commissaire en chef de la police de Bruxelles, R. Van Reusel, ne rappelait-il pas son « souci d’être proche du citoyen ! La police [ayant] quelque peu oublié ces dernières années qu’elle était au service de la population » (C. JANSSEN, Y. NAESEN, « Dialogue et figures dirigeantes. Deux ingrédients pour une thérapie de choc ? », Politeia, 1996, n° 2, p. 12). 44 les ‘actions’ particulières » ou spécialisée dans des activités. Chacun des domaines se caractérisant « par une structure, une stratégie et une culture spécifiques propres »92. D’un autre côté la gendarmerie propose, toujours au nom du community policing, d’intégrer les deux, la fonction de police ne pouvant » être fractionnée si elle veut rester fidèle au concept de la community policing qui suppose l’existence d’une seule et même culture au sein de l’organisation de police »93. Or il se fait que la police communale est essentiellement active sur le terrain de la « police de première ligne »94, alors que la gendarmerie est présente sur les deux fronts, avec une prédominance pour ce qui est police de « deuxième ligne » et qui la pousse à reconquérir le terrain de la proximité : « L’instauration du gendarme de secteur et plus largement de la police de base a irrité plus d’un commissaire de police »95. La gendarmerie reconnaît d’ailleurs être partiellement responsable du mauvais accueil fait par la police communale à la « police de base » de la gendarmerie96. Cette « reconquête » est confirmée par le lieutenant général W. Deridder97 pour qui les résultats de l’entreprise de réforme entreprise depuis 1993 et visant à l’implantation de la « police de base » au sein de la gendarmerie, tendent à réduire le fossé qui la séparait de la population98. Titre II. - Contenu de la police de proximité dans le discours des policiers communaux 92 C. DE TROCH, op. cit., p. 18. R. VAN DE SOMPEL, « La fonction de police de base au sein de la gendarmerie », op. cit., p. 20. Voy. également Major HEUZEL, « Les nouveaux acteurs locaux de la sécurité. Le point de vue des forces de l’ordre », in Les nouveaux acteurs locaux de la sécurité, Colloque organisé par Le Forum belge pour la prévention et la sécurité urbaine, Bruxelles, 25 mai 1998 : « Il faut en effet prendre conscience que pour, au sein d’un corps fédéral aussi important que la gendarmerie, abandonner le modèle d’une police réactive, évoluer vers une police communautaire, il faut agir sur tous les aspects du fonctionnement de l’organisation ; l’élément culture n’étant pas le moindre des aspects. C’est une lame de fond qui traverse l’organisation et dont les résultats se mesurent sur le long terme. Dans ce contexte, nombreux encore sont ceux qui confondent l’activité de travail de quartier présentée comme typique des polices communales avec la philosophie du travail communautaire ; en d’autres termes on peut avoirs des agents de quartier dans son organisation sans pour autant s’inscrire dans une philosophie de police communautaire ». 94 Voy. Y. NAESEN, C. JANSSEN, N. DE MAN, S. JANSSENS, op. cit., pp. 20-32. 95 C. JANSSEN, op. cit., p. 23. 96 Voy. S. JANSSENS, Y. NAESEN, entretien avec R. VAN DE SOMPEL, op. cit., p. 27. 97 Cette fonction est la plus haute au sein de la gendarmerie. 98 C. JANSSEN, S. JANSSENS, « Franchement, une interview du Lieutenant Général Deridder », Politeia, 1996, n° 4, p. 10. 93 45 En Belgique, avec la figure de l'agent de quartier, on retrouve une situation analogue à celle de la France qui, dans le cadre du développement de la police de proximité, met en avant l'îlotage comme « mode d'intervention prioritaire de la police urbain »99. Dans une étude de la littérature disponible sur la question, K. Bettens tente de dégager quelques aspects de cette fonction d’agent de quartier qui reste floue dans l'esprit de beaucoup. Ses objectifs seraient : - favoriser le bien-être dans le quartier. Cette notion de « bien-être », l'agent de quartier doit la définir, la découvrir lui-même selon le quartier ; - être présent dans un territoire réduit ; - soutenir le corps. Dans ce cadre, l’agent de quartier est instrumentalisé par le corps de police qui en attend des informations. La définition de la mission est fort variée et l'auteur en dégage les éléments généraux : − « Surveillance de base dirigée sur le maintien de la loi et de l'ordre. − Entretenir le contact avec le public et avec les cadres d'autres services d'aide et d'assistance dans le quartier. − Etre accueillant (borne d'appel). − Arbitrage : intervention dans les disputes, les conflits... − Soutien aux autres sections du service (traitement des affaires mineures, assistance à l'occasion d'enquêtes et d'arrestations). − Rassembler et fournir des informations (aux citoyens et aux collègues). − Donner aide et assistance »100. 99 B. JANKOWSKI, op. cit., p. 212. K. BETTENS, op. cit., pp. 39-43. 100 46 Étant soucieux à la fois du bien-être du quartier et du bon fonctionnement du corps de police, il serait en fait « serviteur de deux maîtres ». La mission elle-même comporte trois aspects : − le travail est fourni par le quartier, le corps de police et l'agent lui-même qui doit donc opérer un choix de priorités (souvent l'ordre et la tranquillité) ;` − il s'agit principalement de gestion de problèmes de relations humaines ; − l’approche de l'agent de quartier est davantage dirigée vers la solution de problèmes (son diagnostic diverge donc souvent de celui de ses collègues). Les conditions de travail : − au niveau du profil, plusieurs éléments sont importants : pouvoir d'adaptation aux groupes rencontrés, compréhension, tolérance, connaissance approfondie de la législation, formation psychosociale dans le domaine des techniques de l'observation et des relations, quelques années de pratique dans le corps sont indiquées ; − au niveau de l'organisation : visibilité (uniforme, déplacements à pied ou à vélo), disponibilité (le moins de tâches administratives possible), connaissance profonde du quartier (pas de changement régulier de quartier), incorporation de son travail dans l'ensemble des activités du corps (importance de la collaboration des services pour une bonne circulation de l'information). Il apparaît donc qu'il est difficile de définir cette fonction. Un leitmotiv voit cependant le jour selon lequel, pour le corps de police, elle est la plus indiquée pour alléger le travail de celui-ci en solutionnant les problèmes mineurs avant que des démarches judiciaires ne soient nécessaires. De plus, il y a la dimension de l'apport d'informations aux collègues policiers chargés de la gestion des dossiers se rapportant au quartier de l'agent. Avant tout, il favorise les contacts entre police et citoyen. Mais, même s'il (re)devient une figure importante, Dirk Steelandt souligne pour sa part que l'on ne peut faire porter tout le poids du renouveau de la police sur le slogan de l'agent de quartier, car s'il contribue à ce renouveau et en constitue une composante essentielle, il n'en est qu'une parmi d'autres (plus ou moins spécialisées) tout aussi nécessaires101. 101 D. STEELANDT, op. cit. 47 Titre III. - Contenu de la « fonction de police de base » dans le discours des gendarmes Nous avons déjà évoqué les « piliers » sur lesquels la gendarmerie fondait ses conceptions : approche par résolution des problèmes, partenariat et « service de qualité », le tout orienté vers la population. Sur le terrain, cela se traduit structurellement par les « trois D » : décentralisation, déconcentration et déspécialisation102, mais également par une démarche proactive en « analysant les causes des problèmes et en agissant à leur encontre, ou encore en détectant les risques possibles d’insécurité avant qu’ils ne deviennent effectivement un problème »103. Quant au partenariat, il implique une mobilisation de la population. Cet aspect important du community policing, la gendarmerie a tenté de le concrétiser « d’une part en impliquant les citoyens dans les projets de police de base de qualité, d’autre part au moyen d’enquêtes permettant d’identifier les attentes du client et enfin en organisant des comptes rendus de son action devant les conseils communaux »104. Le community policing étant également une philosophie, sa mise en œuvre induit aussi un changement de culture au sein du corps, changement qui se manifeste sur trois plans. « En premier lieu, une orientation vers l’extérieur est apparue. Le personnel dirige de manière naturelle son regard vers l’extérieur. On raisonne d’une manière totalement différente. On tient compte des attentes du monde extérieur, de la population et de la manière dont on doit s’organiser au niveau interne pour y répondre. En deuxième lieu, une culture de collaboration se développe. On ne prend plus les décisions seul. Partout des groupes de personnes se rassemblent spontanément pour faire de la concertation, de la participation et du travail d’équipe. Cela se reflète également dans les relations externes. On met par exemple en place des réseaux d’informations en collaboration avec des firmes de locations de voitures, des garages, des pharmaciens, des bijoutiers, etc. Pour finir, l’approche des problèmes se centre davantage sur les causes, que sur les symptômes. Les policiers sont formés pour l’action et sont ainsi moins enclins à réfléchir aux causes d’un problème et aux éventuelles alternatives pour l’aborder. Nous constatons que l’on part maintenant de manière systématique et structurée à la recherche de solutions alternatives »105. 102 R. VAN DE SOMPEL, « La fonction de police de base au sein de la gendarmerie », op. cit., pp. 20 et sv. Voy. égal. R. VAN DE SOMPEL, « Back to basics. La police de base à la gendarmerie », op. cit., pp. 26 et sv. 103 R. VAN DE SOMPEL, « La fonction de police de base au sein de la gendarmerie », op. cit., p. 19. 104 Ibid., p. 20. 105 R. VAN DE SOMPEL, « Back to basics. La police de base à la gendarmerie », op. cit., p. 27. 48 Titre IV. - Conclusions En résumé, nous voyons émerger en Belgique deux discours policiers concernant la police de proximité, discours qui ne peuvent être dissociés du climat de « guerre des polices » et de réformes en cours. Ceci explique en partie pourquoi le troisième service de police – la police judiciaire près les parquets - ne se prononce guère en la matière. En effet, la police judiciaire, préoccupée par le maintien de ses prérogatives en matière judiciaire que lui dispute la gendarmerie, profile son discours sur les compétences qui sont les siennes, à savoir la police criminelle. Compétence qu’elle ne lie pas à une notion de police de proximité. Elle ne fut d’ailleurs jamais désignée par le gouvernement comme devant faire l’objet de réorganisations dans le sens d’une police de proximité. Des discours émergeants nous retiendrons : - la critique générale à l’égard de l’autorité politique et son défaut de réflexion sur les concepts généraux en matière de fonction de police ; - le repli corporatiste comme élément structurant des positionnements des différents acteurs ; - le flou dans la terminologie ; - la réduction de la notion de police de proximité à la figure de l’agent de quartier dans le discours de la police communale ; - une conception extensive de la police de proximité visant au développement d’une « police de qualité » suite à sa démilitarisation dans le discours de la gendarmerie. Si de nombreuses questions se posent en filigrane, on ne peut s’empêcher de voir dans cet état des lieux la résultante de diverses contingences qui ont amené les acteurs policiers à se positionner de la sorte. De tout temps la gendarmerie est le service de police qui a bénéficié de plus de moyens au détriment, notamment, des polices communales. Celles-ci, longtemps laissées pour compte ont été reprises en mains par un ministère de l’Intérieur à une époque où toutes deux se trouvaient en perte de légitimité auprès de la population. Pour autant, l’apport financier du pouvoir fédéral ne permettait pas de compenser la situation financière désastreuse de la plupart des communes, peu enclines à bourse délier pour réformer de fond en comble leur corps de police. La gendarmerie quant à elle a dû trouver la parade à sa démilitarisation, 49 certes à grands renforts de moyens, mais avec une moindre intervention du politique. Dans les deux cas, légitimité et modernisation ont été le moteur des réformes entreprises marquées par la volonté, d’une part, de rassurer le public, d’autre part, de s’assurer ses faveurs au travers le développement de ce que l’on pourrait appeler une « police artisanale avec un management moderne ». On laissera le mot de la fin de cette partie, à un gendarme : « Quoi qu’il en soit, je pense qu’il restera très difficile de donner une interprétation belge convenable à un concept aussi vaste que le community policing, alors que le débat fondamental sur les tâches et le rôle des services de police n’a pas lieu, n’est pas clarifié ou qu’il n’existe à cet effet qu’un consensus insuffisant. (…) L’introduction du community policing ne sera pas chose aisée tant que dans le contexte belge, le rôle exact des autorités policières ne sera pas explicité et que l’on ne précisera pas où se situe l’équilibre entre leur rôle essentiel et une approche orientée vers la population (cette dernière peut par conséquent impliquer qu’il existe des priorités et des attentes différentes que celles proposées par les autorités). (…) Il ne peut suffire, pour le ministre de l'Intérieur, de ne rien faire de plus que proposer le principe de la fonction de police de base dans une circulaire. L’introduction de ce type de fonction de police ayant des conséquences pour l’organisation, la structure et la gestion d’un service de police, le choix stratégique du ministre implique par conséquent qu’il prenne également en considération toute une série de conséquences de ce choix ou certains problèmes qui peuvent survenir et envisage les solutions nécessaires. (…). Mais avant de pouvoir même penser à introduire un concept de community policing à part entière, le problème essentiel qui reste à résoudre en Belgique est la reconnaissance de ce que l’on appelle la ‘compétence discrétionnaire’ des fonctionnaires de police. (…) Enfin, il y a également le problème de la réalité sociale qui n’est pas la même que celle que nous rencontrons dans les autres pays où le community policing a été introduit »106. 106 R. VAN DE SOMPEL, « Return to sender ou back to the future ? », op. cit., pp. 17 et sv. 50 TROISIEME PARTIE. – LE SCIENTIFIQUE : LA RECHERCHE BELGE SUR LA POLICE DE PROXIMITE 51 Titre premier. - Politique et recherche : les politiques de recherche sur la police en Belgique 107 Objet de recherche tardif en Belgique, la police apparaît timidement dans les années 70 dans un contexte de découverte plus large de la justice pénale comme objet de recherche. La criminologie sociologique s'y intéressera en effet et soulignera l'intérêt et la nécessité d'une approche sociologique en criminologie (face à la focalisation sur le dossier de personnalité et le comportement délinquant qui prédomine alors). Pour les tenants de cette mouvance, il est avant tout nécessaire de « politiser » la criminologie par une remise en question de ce système pénal. Malgré cela, la police comme agence du système pénal fera encore fort peu l'objet d'une attention spécifique face aux recherches centrées en particulier sur le ministère public. La plupart des recherches furent menées par des universités qui se heurtèrent au problème de l'accès aux sources d'information. En outre, peu d'instances publiques et d'autorités prendront en compte ces recherches pour l'élaboration ou l'évaluation d'une éventuelle politique criminelle. Les débats se sont dès lors focalisés sur la distinction que Junger-Tas fait entre une criminologie »dans le systèm », institutionnelle, qui se centre sur les objectifs du système (personnalité du délinquant, efficacité de la peine) et une criminologie « en dehors du système », nongouvernementale, analysant le système, sa place dans le contrôle social et les modalités de production des normes108. Un premier tournant en ce qui concerne les recherches consacrées à la police viendra avec la découverte, dans le courant des années 80, de la recherche par la justice pénale. A la suite de la vague d'événements dramatiques survenus en Belgique au début de la décennie, le Gouvernement fédéral lance dès 1986 via le ministère de l'Intérieur un programme de recherches universitaires (13 sujets de recherche répartis entre 17 universités ou institutions). Les sujets abordés109, s'ils portent sur les services de police 107 Cette partie introductive s'inspire largement de l'article de Ph. MARY, « Chronique de criminologie. La recherche criminologique en Belgique. Une recherche en bon État ? », R.D.P.C., 1998, n° 2, pp. 159171. 108 J. JUNGER-TAS, « Quelques réflexions sur la recherche criminologique en Belgique », R.D.P.C., 1974 – 75, n°8, pp. 702 – 704. 109 Prévention intégrée de la délinquance dans l’agglomération bruxelloise; criminalité, insécurité et prévention intégrée de quartiers; la concertation policière aux Pays-Bas; Mondial ’90 - ciao hooligans; les relations police-jeunes; la privatisation de la fonction policière; le maintien de l’ordre public; les suites réservées par la police aux demandes de la population; police et immigrés; les interventions répressives en matière de violence dans les stades; la formation des officiers de police; la statistique criminelle intégrée; les missions judiciaires des polices communales. 52 et leur fonctionnement, se recentrent rapidement sur l'insécurité (le programme étant intitulé « programme sur la police et la sécurité des citoyens »). Les commanditaires vont désormais instiller un pragmatisme certain dans le contenu de la recherche scientifique subventionnée. La question d'un certain fonctionnement sociétal passe dès lors au second plan. Le programme se focalisera donc sur les phénomènes locaux sans que le terme de « police de proximité » n'apparaisse encore. Cinq thèmes seront développés : - le développement d'outils mettant à la disposition des services de police une bonne information, fiable, complète facilement analysable et rapidement utilisable; - l'amélioration des services rendus à la population via une meilleure gestion du temps et donc une amélioration de la présence et de la disponibilité ainsi que des contacts avec la population. Dans ce cadre, deux angles de recherches seront approfondis: les relations entre la police et la population (reprise des programmes de 1986), entre la police et certaines populations (les jeunes et les immigrés) et l'organisation de la police (patrouilles, agents de quartier, police judiciaire, formation des policiers et relations humaines); - la thématique de la privatisation de la sécurité, suscitant l'intérêt face au développement croissant du secteur privé en matière de sécurité; - l'approche des situations particulières posant problème: les vols avec violence ainsi que la violence dans les stades de football. - enfin, considérant que la répression n'est que l'échec de la prévention, la police est envisagée comme devant être avant tout préventive. Entretenant des liens directs avec la question de la victimisation et de l'insécurité, cette thématique de la prévention, malgré sa prégnance massive dans les discours politiques, ne fera l'objet que de deux projets de recherche. L'inspiration provenant - par manque de réflexion fondamentale en Belgique sur la prévention de la délinquance et l'insécurité - de l'étranger, la touche personnelle du ministère de l'Intérieur consistera à se focaliser sur la notion de "prévention intégrée", pilier des futurs projets pilotes de prévention intégrée qui déboucheront sur les contrats de sécurité dès 1992. L'apport massif et soudain de moyens par le ministère de l'Intérieur dans ce domaine de recherche fera même passer pour parents pauvres les autres domaines de la recherche criminologique. 53 Le tournant décisif en ce qui concerne la transition de la préoccupation pour un certain rapprochement de la police et du public vers l'apparition de la thématique « police de proximité » se produira, toujours sous l'impulsion du ministère de l'Intérieur, à la suite du rapport de la commission Bourgeois ainsi que de l'audit réalisé par Team Consult qui pointaient les problèmes de coordination, de coopération et d'efficacité des trois services de police générale. Il faut noter à ce propos que seule la police communale fera l'objet d'un important programme de recherche qui reprendra certaines thématiques présentes dans le précédent programme tout en s'orientant cette fois sur l'idée de l'élaboration et de l'évaluation d'une nouvelle manière d'envisager la fonction policière. Sur fond de préoccupation sécuritaire, à la suite des élections de 1991, s'accompagnant de la mise en place des contrats de sécurité, trois recherches vont principalement s'intéresser à la thématique de la police de proximité: la première portant, dans un souci pragmatique, sur l'élaboration d'un modèle de police s'inspirant du community policing anglo-saxon et des expériences hollandaises, le tout en vue d'une adaptation à la situation belge110; les secondes s'inscrivant dans une optique d'évaluation scientifique de la politique des contrats de sécurité au travers notamment de la police de proximité111. Toutes ces recherches étant commanditées par le ministère de l'Intérieur112. 110 T. VANDEN BROECK, Ch. ELIAERTS, Community policing. Organisatieveranderingen naar de basispolitiezorg bij de gemeentepolitie. Ministerie van Binnenlandse Zaken, Algemene Rijkspolitie, Bruxelles, Politeia, 1994. 111 S. SMEETS, C. STREBELLE, (sld. Ph. MARY) Police de proximité et contrats de sécurité. Recherche réalisée pour le compte du ministère de l’Intérieur, P.G.R., rapport relatif aux trois années de recherche allant du 15 janvier 1996 au 30 janvier 1999, Bruxelles, Ecole des sciences criminologiques de l’U.L.B., janvier 1999; G. HACCOURT, J. LACROIX, C. TANGE, (sld. I. POULET) Evaluation des contrats de sécurité bruxellois. Recherche réalisée pour le compte du ministère de l’Intérieur, P.G.R., rapport relatif aux trois années de recherche allant du 1er avril 1996 au 1er avril 1999, Bruxelles, Synergie (Service Intervention Recherche Jeunes asbl), avril 1999. 112 Comme il a été mentionné, quelques recherches avaient, avant que soient avancés les vocables de community policing ou de police de proximité, déjà exploré divers aspects du travail policier, parfois même au travers de la figure de l'argent de quartier dont on décelait déjà le caractère potentiellement emblématique d'une politique de rapprochement du citoyen. Dominées dans l'ensemble par la question des relations entre police et public, ces recherches portent donc sur des secteurs d'activité policière spécifiques, concernant chaque fois une catégorie de policier en particulier. Nous n'y feront référence que dans la mesure où elles permettent d'apporter des précisions par rapport à l'état de la question de la police de proximité depuis son apparition au grand jour en Belgique. De même, le ministère de l'Intérieur continuera de subventionner des universités et écoles supérieures afin qu'elles réalisent des recherches à vocation pragmatique portant sur le travail des services de police dans le cadre des innovations introduites, mais sans qu'il y soit souvent question directement du modèle de police de proximité (efficacité, rapport coût-bénéfice des tâches policières, ainsi que le souci d'une qualité – « totale » - dans une approche essentiellement managériale nécessitant des outils d'évaluation ou encore l'étude de certains phénomène spécifiques tels les « noyaux durs » juvéniles dans la perspective de l'EURO 2000). 54 Titre II. - La recherche sur le modèle du community policing et son importation en Belgique L'optique de cette recherche, confiée à la V.U.B. (Vrije Universiteit Brussel) et la méthode développée113 marquaient un souci pragmatique très clair; l'objectif étant l'exploration du modèle anglo-saxon ainsi que des expériences hollandaises en matière de police de proximité pour en tirer une application à la situation belge. Le travail fourni tend donc à accorder une place importante aux considérations organisationnelles susceptibles de favoriser la mise en place de cette « nouvelle » police. Dans cette perspective, les réflexions de T. Vanden Broeck et Ch. Eliaerts renvoient principalement aux positions de John Alderson114 et au modèle développé en Hollande comme sources d'inspiration et de concrétisation possible de la police communautaire ou de proximité en Belgique. Ces réflexions devaient permettre de préciser une série de termes employés de plus en plus couramment et qui devraient se traduire par des mises en œuvre concrètes uniformes, sans préciser à ce stade les polices concernées, mais en se focalisant sur un niveau d'exécution de la fonction de police, à savoir le local. Outre les éléments présents dans la mise en œuvre proposée par Alderson - réciprocité entre la police et la communauté; réorientation de la patrouille; engagement de la population dans des tâches à caractère sécuritaire; partenariat inter-organisationnel Vanden Broeck et Eliaerts mettent particulièrement l'accent sur l'importance des « trois D »: déconcentration - décentralisation - déspécialisation. Afin d'opérationnaliser au mieux la philosophie du community policing, ils estiment qu'il faut être particulièrement attentif à une déspécialisation des tâches au niveau local (en plus de la décentralisation et de la déconcentration115), mais cela de manière réfléchie au préalable, comportant 113 Outre l'étude des options prises à l'étranger concernant la réalisation de l'idée d'une fonction de police de base et du community policing (avec modèles stratégiques de mise en œuvre à la clé), les auteurs ont procédé à des études de cas, des interviews et des observations participantes dans divers corps de police belges. 114 Qui est certainement le praticien et auteur anglo-saxon le plus cité dans le cadre de la discussion de l'importation du modèle anglais en Belgique. 115 Par déconcentration, nous entendrons : « la forme d’organisation de l’administration dans laquelle le pouvoir décisionnel est octroyé, par voie de délégation ou d’attribution de compétence, à des organes subordonnés soumis au pouvoir hiérarchique de l’autorité supérieure qui dirige leur action par les instructions qu’elle leur adresse ». La déconcentration telle que nous l’utiliserons dans notre étude relève donc de l’attribution de pouvoirs décisionnels à des organes subalternes, confiant à ces derniers un droit d’initiative. Dans la dynamique de mise en œuvre de la police de proximité, il s’agit donc de l’attribution, au niveau le plus bas possible, d’un pouvoir d’initiative et de décision, visant à conférer une autonomie et une responsabilité accrue aux organes « subalternes », tout en maintenant ceux-ci sous la hiérarchie et le contrôle de leurs supérieurs. Cette déconcentration n'implique par forcément une dissémination géographique à travers un territoire d’organismes, de services qui se trouvaient 55 une description claire des tâches, un encadrement, une formation et des recyclages116. En ce qui concerne l'évaluation des changements envisagés, parmi les « postconditions » (une fois les modifications organisationnelles en place) doivent figurer des évaluations internes et externes incluant également le point de vue de la population (point de départ des préoccupations politiques). Ces évaluations devraient inclure entre autre un inventaire des problèmes, des résistances et des obstacles surgissant lors des changements d'organisation dans la police. Vanden Broeck et Eliaerts relèvent que des exemples (aux Etats-Unis surtout) « ont démontré que pour concrétiser de façon réussie l'organisation de cette philosophie globale, des modifications organisationnelles profondes étaient nécessaires »117. En effet, si l'on souhaite se lancer dans un projet de community policing, il est nécessaire de réaliser qu'il « remet en question l'ensemble de la fonction de police »118. Ils considèrent les Pays-Bas comme le meilleur exemple de cette concrétisation avec leurs idées de « fonction policière de base » et d'« équipes d'agents de quartier ». Ces dernières doivent permettre de mener à bien ces modifications organisationnelles: − la fonction policière de base doit propager une assignation générale des tâches à la police. L'idée étant alors de résoudre les problèmes quotidiens de sécurité de la population au niveau conflictuel le plus bas possible. D'où la nécessité d'un contact stable et de qualité entre la police et la population. Les trois « D » favorisent particulièrement l'assignation générale des tâches; − constitution d'équipes d'agents de quartier polyvalents. Vanden Broeck et Eliaerts relèvent en outre que des problèmes graves, dont ils renouvellent le constat en Belgique, risquent de surgir dans le courant des réformes lorsque l'on constate l'absence de philosophie politique et de stratégie de mise en œuvre claires. Ces problèmes sont de plusieurs ordres: - structurels: par manque de préparation de la politique à suivre (ce qui renvoie à une définition du contenu des tâches, de l'orientation de l'organisation globale, des initialement, ou qui pourraient se trouver groupés en un seul lieu. Voy. Ph. DE BRUYCKER, Essai sur la notion de déconcentration en droit administratif, Thèse présentée en février 1995 pour l’obtention du titre de docteur en droit, Faculté de Droit, U.L.B. 116 T. VANDEN BROECK, Ch. ELIAERTS, op. cit. 117 Ibidem. 56 moyens); par un manque de personnel et d'une planification capable de soutenir les changements; - culturels: qui sont en lien avec les difficultés posées par la propagation d'une culture de corps différente, la disponibilité suffisante de connaissances préalables et de savoir-faire sur le plan des changements d'organisation (ils considèrent par ailleurs que si des réformes modestes peuvent suffire, un revirement culturel est lui essentiel); - communicationnels: un « leadershipstyle » trop orienté sur le contrôle (top-down) et sur les incidents119. Diverses recommandations seront donc formulées qui concernent massivement ce qu'ils nomment « pré-conditions » et qui sont l'étape sans laquelle toute réforme du modèle policier actuel ne saurait être seulement envisagé sérieusement: masse critique de moyens et de personnel à atteindre; formation, connaissances et savoir-faire à tous niveaux des corps de police; définition et description des tâches concernant le niveau local par le fédéral; adaptation des salaires et résolution du problème de la nomination politique qui mine la compétence, la motivation et la crédibilité d'un corps. Une mise en œuvre d'équipes d'agents de quartier permettrait de réunir le plus de chances de réussite dans l'introduction d'un nouveau modèle de travail policier, en définissant le plus de tâches. Toutefois, une introduction linéaire de celui-ci étant une mauvaise chose, les efforts que cela demande étant trop importants pour le rendement prévu sans compter l'absence de masse critique disponible, ils estiment que des réformes moins importantes pourraient suffire en Belgique à la condition d'un revirement culturel définit comme essentiel. Enfin, une stratégie est proposée aux corps de police, s'articulant autour d'un management intensif, qui doit leur permettre de s'engager dans un programme de réforme intégrant les soucis à la fois organisationnels et culturels. Titre III. - Recherches sur l’évaluation des contrats de sécurité en ce compris la « police de proximité » Dans le cadre de l’évaluation des contrats de sécurité cette fois, le ministère de l’Intérieur va commanditer diverses recherches dont deux porteront leur regard sur la 118 T. VANDEN BROECK, Ch. ELIAERTS, « Community policing: une base destinée à la police de proximité dans notre pays? », Politeia, 1995, n° 9, pp. 5-14. 119 T. VANDEN BROECK, Ch. ELIAERTS, Community policing. Organisatieveranderingen naar de basispolitiezorg bij de gemeentepolitie, op. cit. 57 police de proximité. La première, réalisée par une équipe de l'Ecole des sciences criminologiques de l'U.L.B. étudie la police de proximité sous l’angle des services désignés prioritairement comme incarnant cette police (situation, discours des chefs de corps et pratiques de terrain), à savoir les services de quartier en confrontant les données récoltées au modèle de police de proximité élaboré à partir de la littérature sur la question120. La seconde, confiée à l'équipe du centre de recherche Synergie abordera également cette problématique pour d'autres communes et, selon des modalités méthodologiques quelque peu différentes, sous l’angle de la place relative des services désignés prioritairement comme incarnant cette police au sein des corps de police (place et importance de chaque service, types de pratiques et discours des chefs de corps). Les résultats sont confrontés aux traits normatifs perceptibles dans les textes normatifs belges121. Il faut souligner que, portant sur des corps de police communale relevant de deux Régions différentes (la Région bruxelloise, agglomération urbaine, comprenant 19 corps de police communale partageant un contexte commun de capitale et la Région wallonne dans laquelle sont répartis différents types de villes présentant toutes un corps de police communale unique) et développant des approches méthodologiques sensiblement différentes, ces deux recherches n'en sont pas moins parvenues à des constats similaires à propos de la question de la mise en œuvre d'un nouveau modèle de police au niveau local. Chapitre premier. - Constats de la recherche confiée à l’U.L.B. Section Ière. - La notion de proximité et la question de l’information Selon l'équipe de l'U.L.B., la notion de police de proximité s’inscrit plus largement dans celle de justice de proximité122. Toutes deux participent d’une logique de rapprochement avec la population dans le cadre d’un accroissement de l’efficacité, de la légitimité et de la rationalisation des moyens, logique qui devrait, à terme, permettre l’humanisation des appareils de justice et policiers. Cette politique de proximité apparue en France dans les années 80 et en Belgique dans les années 90 - se veut une 120 Les traits de ce modèle sont: la concertation et le partenariat; les changements organisationnels « de base » (décentralisation territoriale, déconcentration des lieux décisionnels, décloisonnement des services, polyvalence de l’agent de base et déspécialisation du service de quartier); le rapprochement entre la police et le public; l'élargissement de fonction policière. 121 Les résultats de ces deux recherches (U.L.B. et Synergie) sont basés sur de nombreux entretiens avec les responsables politiques locaux et les responsables policiers et sur des mois d’observation participante avec des policiers de terrain. 122 Voy. à ce propos not. Ph. MARY, « De la justice de proximité aux maisons de justice », R.D.P.C., 1998, n° 3, pp. 293-303 ; A. WYVEKENS, « Justice de proximité et proximité de la justice. Les maisons de justice et du droit », Droit et Société, 1996, n° 33, pp. 363-388; H. HAENEL, « Justice de proximité. Premier bilan », Pouvoirs, 1995, n° 74, pp. 93-103. 58 réponse au caractère imposé des décisions qui génère une distance (principalement symbolique) entre, d’une part, l’Etat et ses représentants et, d’autre part, les citoyens. Dans ce cadre, la proximité « désigne d’abord (...) le caractère de ce qui est proche géographiquement, mais la proximité est aussi affective - l’expression ‘les proches’ renvoie à une idée de parenté -, c’est aussi ce qui est imminent, ce qui va ou doit arriver, ce qui est rapproché dans le temps »123. Ainsi, cette notion peut être envisagée à travers trois dimensions : spatiale, temporelle et relationnelle. Ce modèle fait l'objet d'un certain nombre de réflexions critiques quant aux dérives auxquelles il peut conduire: problèmes relatifs à la définition - et la détermination d’une « communauté consensuelle », et partant, problèmes de la représentativité de cette « communauté »; impossibilité pour la police d’éradiquer les causes socioéconomiques de la délinquance; délimitation des modalités de collaboration avec des partenaires sociaux pour éviter de diluer la fonction policière; nécessité, pour certaines missions policières, d’un rapport d'extériorité ou d'opacité plus important que peuvent contrecarrer la transparence, la visibilité accrue et la proximité trop importante de la population, etc. Au fil de l'étude de divers dispositifs policiers manifestant certaines dimensions de la proximité (spatiale, temporelle et relationnelle) se dégagera une autre spécificité de la proximité appliquée aux services de police et aux agents de quartier en particulier: la proximité de contrôle124. Les questions posées sont multiples: extension du contrôle social formel et informel et donc, érosion des libertés individuelles et collectives; accroissement concomitant du rôle de la police par rapport à un ensemble de comportements que l'on appelle les incivilités; crainte que ces dispositifs ne fassent courir le risque d'une application discriminatoire et arbitraire de la loi; et enfin, ces réflexions paraissant très présentes dans la pratique des agents de quartier, questionnement de la dimension informative de l’institution policière. Si elle n’est pas l’apanage du modèle de police de proximité, l’information devrait y avoir une finalité différente de celle qui lui est donnée dans le modèle de police criminelle. En dépassant le contexte strictement pénal pour entrer dans un cadre sociétal plus large, l’information sert avant tout à permettre la détection de problèmes et de leurs causes sous-jacentes (proactivité) et la résolution de ces problèmes (prioritairement par la régulation au moyen de la prévention et de l’assistance). Enfin, le modèle de police de proximité nécessite, pour être effectif, que cette information soit partagée et ne soit plus la « propriété » exclusive de la police. Les questions que l’on peut dès lors se poser sont « à qui profite l’information ? » ou, en d’autres termes, « à 123 H. HAENEL, ibid., p. 94. Voy. Y. CARTUYVELS, Ph. MARY, « Justice de proximité ou proximité de la justice ? Etat des lieux en Belgique », in A. WYVEKENS, J. FAGET, (sld.), La justice de proximité, Toulouse, Eres, 2000, à paraître. 124 59 quoi sert-elle ? », s’agit-il de « faire autre chose » ou de « faire la même chose autrement »? Les chercheurs évolueront donc, dans l'examen de cette question de la gestion de l'information par la police, d'une idée de départ: l’utilité de « savoir »125, à celle de la création d’un savoir utile, perspective en vertu de laquelle l'agent de quartier occupe une place particulière. Les agents de quartier, point focal de la police de proximité, bénéficient d’une véritable banque de données grâce à leurs contacts privilégiés avec le public. Ainsi, s’ils en ont la volonté et les moyens, ces policiers peuvent transmettre des informations très fiables aux autres services de police. Or, la signification qu’ils donnent à leur fonction constitue un élément déterminant dans le choix d’utiliser ou non une information. Les débats qui portent en Belgique sur le passage de l’information (dans le cadre plus large d’une concertation et d’une collaboration des différentes instances policières et judiciaires) et sur une éventuelle législation sur les enquêtes proactives, démontrent à quel point celui qui possède l’information, et est en mesure de la gérer et de l’utiliser, possède un pouvoir non négligeable. Pouvoir que certains qualifient de « dangereux » dans la mesure où l’information n’est pas partagée et contrôlée. Mais ce que l’on reproche surtout à l’institution policière, c’est l’utilisation qui est faite de ces données. Est soulevé également le fait que le danger inhérent à la production d’une connaissance basée uniquement sur des informations - ciblées - récoltées par les policiers réside dans la volonté de tout catégoriser dans le but de tout rendre prédictible. Dans cette hypothèse, l’intervention policière se basera à titre principal sur des catégories prédéfinies qui conduiront les policiers à renforcer leur action vis-à-vis de certains groupes ou de certains territoires micro-locaux considérés comme « à risques »126. Dans ce cadre, il semble alors important de bien circonscrire le rôle de l’agent de quartier qui n’est en aucun cas un intervenant social, présent pour répondre « à un échec de la structure institutionnelle globale ». (Trop) souvent, on attend de l’agent de quartier qu’il se positionne comme le moyen terme entre les solutions strictement pénales et le « laisser-faire pur et simple »127. Dans un contexte marqué par un 125 Et du développement d'une préoccupation croissante, notamment via l'informatisation des services de police, pour l'amélioration de l'exploitation des données et de leur récolte via les interactions avec la population. 126 T. JONES, T. NEWBURNS, D.J. SMITH, « Policing and the idea of democracy », British Journal of Criminology, 1996, n° 2, p. 191. 127 Conseil national des villes et du développement social urbain, Les polices de la ville, Rapport du groupe de travail du C.N.V., Paris, janvier 1993, p. 8. 60 relâchement des liens sociaux de solidarité et de contrôle, il est certain que l’on demande de plus en plus au policier (surtout à l’agent de quartier) de jouer un rôle de substitution, non seulement des autres agences de contrôle social formel, mais aussi de contrôle social informel. Cependant, même s’il est un intervenant policier un peu particulier qui possède l’étiquette « non dangereux » pour le public (étiquette qui le distingue de ses collègues du service d’intervention128), l’agent de quartier possède, au même titre que les autres policiers, cette force symbolique, la capacité potentielle d’utiliser la force et la contrainte. Le danger réside justement dans le fait de croire - ou de laisser croire - que cet agent de quartier peut intervenir sous une autre casquette que celle de policier et que, dès lors, le public peut attendre de sa part la « mise entre parenthèses du droit ». Ainsi, ce qui semble déterminant pour faire la distinction entre les différents services de police au sein d’un corps n’est pas tant la différence de finalité d’une fonction que les modalités d’intervention permettant d’atteindre cette finalité. En général, on fait une distinction entre une police d’intervention (ou de maintien de l’ordre) fondée sur le recours à la force, et un rapport à l’autorité plus ouvertement asymétrique et une police de proximité (ici incarnée par l’agent de quartier) basée sur une stratégie de communication avec le public, visant à limiter ces recours à la force en leur substituant l’action persuasive129. Cependant, le choix des individus qui feront l’objet d’une « action persuasive » plutôt que d’un recours à la contrainte s’inscrit bien souvent dans le pouvoir discrétionnaire de l’agent de base et est, dès lors, souvent déterminé par des critères très subjectifs qui peuvent entraîner une gestion policière discriminatoire. Une fois produit, la question suivante est bien sûr celle de l'utilisation du « savoir utile ». Dans le modèle de police de proximité, les informations devraient être partagées et permettre une gestion policière axée sur la résolution des problèmes. Dans les faits, loin d’être partagée, cette information reste souvent à la seule disposition de l’institution policière et ne sert, en général, qu’à alimenter la machine répressive et non à permettre une dynamique au niveau de l’instauration d’une nouvelle philosophie ou d’un nouveau modèle policier. L’information, généralement récoltée par les polices de base (non spécialisées), n’est donc pas conçue comme un moyen de redynamiser - ou de créer - le community policing, mais sert au renforcement des anciens modèles (répression, crime fighting, intervention). Dans ce cadre, les stratégies de proactivité deviennent un moyen parmi d’autres, non pas d’amélioration de la qualité de vie, mais d’accroissement du contrôle par la création d’une connaissance basée, avant tout, sur la catégorisation des 128 129 M. LINDEKENS, A l’écoute des policiers : le contact avec le public, Bruxelles, Story-Scientia, 1986, p. 36. J.L. LOUBET DEL BAYLE, op. cit., p. 41. 61 individus dans des groupes « à risques ». Dans ce cas, le recueil d’information entre dans un schéma qui est moins celui d’une police au service de la population qu’une population au service de la police. Non pas « faire autre chose », mais « faire la même chose autrement ». Section II. - Bilan de la mise en œuvre d’une nouvelle police : le décalage entre discours et pratiques § 1er. - Partenariat et concertation L’absence quasi-complète d’une concertation véritable impliquant les agents de quartier dans un processus de dialogue avec leur environnement professionnel est patente. Lorsque ce dialogue existe, il s’insère bien souvent dans un dispositif informel et ponctuel et il ne peut produire véritablement ses effets vu l’absence de structures de concertation internes à l’appareil policier susceptibles de le relayer vers la hiérarchie ou les autres services policiers. Quant aux partenariats, ils sont eux aussi bien souvent non formalisés et peu concrets. Les contacts avec les acteurs sociaux sont encore relativement rares. Quand ces contacts - ou ces partenariats - existent, ils sont fondés sur des relations d’ententes personnelles bien plus que sur une véritable politique du corps de police. Ceci étant, des relais ont été institués entre l’institution policière et certains services sociaux, des réunions avec des comités de quartier sont organisées, certaines actions sont mises en œuvre conjointement avec des acteurs non-policiers (techno-prévention, assistance aux victimes, etc.), mais c’est finalement bien peu de choses eu égard à l’idée sous-jacente aux concepts de concertation et de partenariat d’une approche globale et intégrée de résolution des problèmes (« de société »). Les causes de ce bilan nuancé sont diverses: le manque d’implication de certains bourgmestres (même si elle s’est sensiblement accrue), la désaffection et la méfiance de certains partenaires à l’égard de la police (méfiance parfois suscitée par la politique des contrats de sécurité), la méconnaissance des partenaires potentiels et leur manque d’ouverture respectif, la marginalisation des services de police au sein des contrats de sécurité, etc. Par contre, il existe d’autres raisons qui apparaissent directement liées à la politique interne des corps de police. La première concerne l’absence de structure de concertation, ou de processus visant à connaître l’avis des agents de quartier au sein des corps de police, et permettant d’en tenir compte. La deuxième est que, bien souvent, les agents de quartiers ne sont pas encouragés, et c’est parfois un euphémisme, à participer aux réunions de quartier, lieu idéal de discussion et de développement d’une politique de gestion commune du quartier par l’agent et les habitants. 62 § 2 . - Changements organisationnels « de base » En ce qui concerne ce qui est appelé les « quatre D » - décentralisation, déconcentration, déspécialisation et décloisonnement - plusieurs constatations peuvent être faites. Premièrement, les chefs de corps sont, en majorité, favorables à une certaine déconcentration des lieux décisionnels qui se traduirait par une délégation plus importante de pouvoir aux échelons inférieurs et partant, par une valorisation du rôle des officiers dirigeant les entités décentralisées ou les services de quartier. Toutefois l'autonomie des responsables semble être davantage le résultat de l’éloignement spatial et du laisser-faire, que le fruit d'une politique de proximité. De plus, les responsables divisionnaires, rechignant parfois à endosser de nouvelles responsabilités, utilisent cette autonomie de fait bien souvent de manière négative au lieu d’en profiter pour mettre en place une gestion différenciée selon les particularités locales. Quand il s'agit de personnaliser des directives générales, il sera ainsi davantage question d'interdire que de donner une consistance à cette autonomie décisionnelle. À l’échelon des policiers, les chefs de corps déclarent également appuyer ce qu’ils appellent une éthique de la responsabilité des agents de base. Pourtant, il n'existe nulle part trace d’une formalisation du pouvoir discrétionnaire des agents de quartier. Seule la reconnaissance implicite laisse à l'agent la possibilité d'organiser une gestion différenciée de son travail, qui reste toutefois largement tributaire de sa personnalité et de son goût du risque. La polyvalence de l'agent qui est censée donner une substance au pouvoir discrétionnaire n'est pas davantage soutenue par une politique globale et cohérente. Ainsi, à l'heure actuelle, la formation préalable des policiers ne donne sûrement pas aux agents une quelconque aptitude de « spécialiste de la polyvalence en quartier ». L'apprentissage sur le tas induit toujours une prédominance du savoir-faire sur le savoir. Les critères de sélection nuisent également à cette polyvalence : l’ancienneté, une punition, le manque d'effectifs, des ennuis de santé, restent les éléments qui motivent le plus souvent la mutation des agents en quartier. La décentralisation territoriale est l’élément le plus souvent mis en avant par les chefs de corps pour accroître la proximité de la police, du moins dans sa dimension spatiale. L'engagement de civils détachés auprès des divisions a indéniablement apporté un ballon d’oxygène aux services de quartier. Pour le reste, la décentralisation n'est nulle part totale et le discours bienveillant à l’égard de cet élément butte le plus souvent contre les impératifs budgétaires. Le manque de moyens limite en effet bien souvent l’effectivité de cette volonté politique qui conduit parfois à l’aveuglement. La décentralisation est en effet non seulement grande mangeuse de moyens mais, en 63 outre, elle favorise le cloisonnement des divisions existantes que peu de réunions inter-services viennent briser. En pratique, si l'information circule encore, c’est grâce à une série de mécanismes spontanés et informels. § 3. - Rapprochement entre police et public En ce qui concerne le rapprochement entre la police et le public, est constaté aussi un décalage entre les discours de chefs de corps et les pratiques de terrain. Si la volonté d’opérer un rapprochement est présente chez tous les chefs de corps, son contenu n’est pas le même que pour les agents de quartier. Même si dans ces discours, il y a clairement une volonté d’aller au-delà d’un rapprochement strictement physique, l’on peut remarquer que ce rapprochement s’envisage en priorité en termes d’amélioration de la visibilité et de l’accessibilité policières par des aménagements organisationnels ou structurels (aménagement des horaires, présence accrue sur le terrain par la création de missions d’îlotage, engagement de civils pour le secrétariat, diminution des tâches administratives, ouverture de divisions décentralisées, etc.), plutôt que sur base d’une remise en question de la fonction de police. Si les chefs de corps ont une idée très précise de ce qu’en théorie ce rapprochement doit permettre (l’amélioration du taux d’élucidation, la résolution des problèmes que rencontre la collectivité, la récolte d’informations et le renforcement de la légitimité de l’institution policière), on constate que peu d’entre eux ont une réelle connaissance de ce qui se passe concrètement sur le terrain. Pour les agents de quartier, le rapprochement passe plus fondamentalement par l’amélioration des relations et des contacts avec le public et la visibilité par une présence accrue dans le quartier n’est qu’un des moyens - nécessaire mais insuffisant - pour y parvenir. Ce décalage entre le discours et la réalité de terrain n’est pas étonnant dans la mesure où les relations qui sont établies entre les agents de quartier et la population le sont, dans la majorité des cas, sur des bases informelles. Dès lors que l’évaluation du travail des policiers ne se fait qu’en fonction de critères quantitatifs, cette dimension relationnelle ne peut que difficilement être prise en compte. Un autre décalage réside dans le fait que, pour la plupart des chefs de corps, le rapprochement entre la police et le public doit concerner l’ensemble des services du corps. Pourtant, dans la pratique, seuls quelques services - parfois un seul connaissent des aménagements propres à favoriser ce rapprochement : service de quartier, agents-auxiliaires de police, îlotiers, accueil. Les responsables policiers justifient cette situation par le fait que l’agent de quartier, de par ses contacts privilégiés avec la population, est le fer de lance de la police de proximité. Une autre justification tient, toujours d’après les chefs de corps, à la résistance des policiers des autres services (services d’intervention et brigades judiciaires principalement) à la 64 mise en place de ce type de philosophie dans un travail avant tout « réactif » et « répressif ». Il faudrait dès lors un changement complet des mentalités tenant d’une transformation globale de la culture du corps. Pourtant, peu de dispositifs sont mis en place pour permettre cette « transformation culturelle ». Quant à la résistance qui expliquerait pourquoi les dispositifs de rapprochement entre la police et le public ne sont réservés qu’à quelques « élus », il faut bien constater qu’elle existe aussi dans les services dits de « proximité », ce qui n’empêche nullement les chefs de corps d’imposer des restructurations dans ces services. § 4 - Elargissement de la fonction policière Enfin, en ce qui concerne l’élargissement de la fonction policière, ce qui frappe dans le discours des chefs de corps, c’est l’absence d’une définition commune de la notion de prévention. Si la plupart sont d’accord pour dire que la dimension préventive est un passage obligé pour mettre en place un modèle de police de proximité, lorsqu’il s’agit de circonscrire clairement cette notion, on se retrouve parfois dans le flou le plus total. Cette difficulté de “ savoir de quoi on parle ” a des conséquences évidentes sur les pratiques de terrain. En matière d’assistance, le discours est plus précis. Les chefs de corps ont une idée très claire de ce que ne doit pas faire l’agent de quartier : du travail social. Outre l’assistance policière légale, les instructions qui sont généralement données aux agents de quartier concernent la limitation de cette assistance à des services ponctuels à la population et surtout à une mission de relais vers les services sociaux spécialisés. Dans ce cadre, un problème qui se pose très clairement - et dont les chefs de corps ont conscience - est celui de la méconnaissance générale de ces services sociaux dans le chef des policiers. Concernant la proactivité (que les chefs de corps lient à la détection des problèmes), c’est l’agent de quartier qui est défini comme l’intervenant central. Le problème, c’est qu’au-delà de cette constatation, peu de stratégies proactives sont mises en œuvre au niveau du service de quartier. Tout au plus, existe-t-il des services au sein des corps de police qui ont en charge la récolte et l’analyse de données, principalement criminelles. Mais les agents de quartier ont rarement l’occasion de bénéficier des compétences de ces services qui, de toute manière, traitent en priorité - si pas uniquement - des informations quantitatives. De plus, si l’agent de quartier est considéré par les chefs de corps comme le « révélateur des problèmes », le cloisonnement entre les différents services du corps et l’absence de structure de concertation incluant ces intervenants de base, rendent cette fonction très relative. L’agent de quartier récolte beaucoup d’informations dans le cadre de son travail, mais force est de constater qu’un grand nombre d’entre elles n’atteindront jamais un autre niveau que celui du service de 65 quartier. Lorsque ces informations sont transmises à un autre service, elles servent en général à alimenter la machine répressive plutôt qu’à - comme l’espèrent pourtant les chefs de corps - permettre une détection et une résolution de problèmes non strictement infractionnels. Dernier constat mettant en évidence le décalage entre discours des directions policières et pratiques de terrain: si les discours font très clairement référence au modèle de police de proximité, aucun n’a de vision globale de l’ensemble des effets que les restructurations entreprises dans le cadre de la mise en place de ce modèle ont eu (ou ont) sur les pratiques quotidiennes des policiers. Et force est donc de constater que ces effets sont peu importants, voire inexistants. Pour beaucoup de policiers de terrain, « rien n’a changé » sinon la charge de travail. Schématiquement, les différentes dimensions données à la notion de proximité peuvent être rassemblées en deux « modèles » : la police de proximité, d’une part, et la proximité de la police, d’autre part130. Dans le premier cas, il s’agit de passer d’une police de type criminelle à une police fondée sur le community policing. Dans le second cas, il ne s’agit pas de faire autre chose, mais la même chose autrement : améliorer les interventions de la police en la rapprochant, dans le temps et dans l’espace, des situations qu’elle doit traiter. Si dans les deux cas se pose la question de la légitimité de la police, dans le second elle se traduit surtout en termes d’efficacité. De manière générale, la mise en place du modèle de police de proximité est encore largement à l’état de chantier et parfois à peine au stade des fondations. Dans l’état actuel des choses, le modèle de community policing est loin de s'imposer en tant que nouveau modèle de police à l’organisation policière dans son ensemble et se limite simplement à certains secteurs policiers qui, malgré le discours des chefs de corps, restent relativement marginaux (en termes d’importance donné dans le corps). Mais le constat ne s’arrête pas là. Si ces secteurs sont, par la force des choses ou la volonté de responsables politiques et policiers, désignés comme étant ceux devant fonctionner suivant la logique propre du modèle de proximité, il faut bien admettre, qu’en pratique, soit ils travaillent selon la logique d’un autre modèle (celui de police criminelle), soit ils se trouvent dans une situation de « syncrétisme131 » entre deux modèles (le modèle criminel et le modèle de proximité). Dans les deux cas, loin d’être une nouvelle voie, le modèle de proximité sert tout simplement à combler certaines lacunes de l’organisation policière sans en modifier la logique dominante. Cette 130 Voy. à ce propos A. WYVEKENS, op. cit. et Y. CARTUYVELS, Ph. MARY, « Justice de proximité ou proximité de la justice ? », op. cit. 131 Voy. à ce propos J.P. BRODEUR, « La police en Amérique du Nord : modèles ou effets de mode ? », Les Cahiers de la sécurité intérieure, n° 28, 1997, pp. 171-184. 66 situation a pour effet que l’on se retrouve parfois devant des décisions ou des actions policières qui peuvent, à première vue, sembler contradictoires (d’une part, le renforcement des brigades judiciaires et la multiplication des opérations « coups de poing » et, d’autre part le rapprochement entre la police et le public, ne fut-ce qu’en termes d’image positive). Dès lors, au risque de caricaturer les situations et de ne pas faire justice aux situations locales, l’on peut dire qu’à l’heure actuelle, c’est davantage de proximité de la police que l’on peut parler. La police de proximité est avant tout une philosophie plutôt qu’un « paradigme opérationnel »132. Le nœud du problème de sa mise en œuvre se situerait pour les auteurs au niveau du fait que la réflexion sur le modèle qu’on tend à instituer se limite encore largement, tant au niveau fédéral que local, à la forme c'est-à-dire aux modalités pratiques – organisationnelles et structurelles – plutôt qu’au « fond ». En d’autres termes, on se concentre davantage sur la question du « comment va-t-on faire ? » plutôt que sur celle, plus fondamentale, du « que va-t-on faire ? », « que va faire la police ? ” Chapitre II. - Constats de la recherche confiée à Synergie Section Ière. - Valorisation des tâches policières et des types de policier : la place des policiers de quartier En partant du niveau organisationnel des corps de police communale (partageant le même contexte urbain) abordés dans le cadre de cette recherche, certaines tendances et contre-tendances sont observées. D'une part, celle, largement majoritaire, qui tire les conséquences de la mise en place d’unités motorisées de patrouille et d’intervention (focalisées sur la vitesse d’intervention et la surveillance) sur un modèle de lutte contre le crime (crime fighting). Cette tendance poursuit un glissement, un mouvement de relégation au second plan du critère territorial. Est ainsi accentuée une spécialisation fonctionnelle de la garde, se dissociant - au maximum des moyens disponibles - des tâches dites « divisionnaires »133. D'autre part, celle, fort peu observée, qui s’oriente sans ambages vers un retour à la prépondérance du critère territorial dans l’organisation des tâches134. Elle peut se combiner à une déspécialisation relativement poussée de 132 Ibid., p. 174. Tâches liées au suivi de pièces, parfois judiciaires pour de petites enquêtes, souvent administratives et liées au quartier. On se rappellera, par exemple, que la déspécialisation des tâches est l’un des trois « D » (décentralisation, déconcentration et déspécialisation) évoqués par l’étude de T. Vanden Broeck et Ch. Eliaerts de 1994 portant sur la mise en œuvre d’un modèle qualifié de community policing en Belgique. 134 Cette tendance ne se manifeste toutefois pour le moment que dans la mise en œuvre de projets pilotes nécessitant un développement progressif et de longue haleine. Les premières étapes vraiment décisives n'ont été franchies que récemment (et seulement partiellement dans le cadre de certaines divisions), sans qu'il soit possible d'en évaluer la portée. 133 67 celles-ci lorsque le corps dispose des moyens nécessaires à cet effet, lui permettant de continuer à assurer l’ensemble des missions de la fonction de police de base135. En outre, l'étude de la valorisation de certaines tâches, tant dans la manière dont elles sont organisées au sein d’une structure hiérarchisée que dans la manière dont elles sont présentées par les intervenants de terrain eux-mêmes, a mis en évidence que les services de quartier (agents de quartier et îlotiers) étaient à bien des égards les « parents pauvres » de la vague de réformes diverses, amorcées par les polices communales parfois dès avant la mise en place des contrats de sécurité, cela tant au niveau des moyens affectés à ces services qu’à celui des politiques d'affectation du personnel. La priorité a été donnée le plus souvent à la réorganisation et au renforcement de la fonction d'intervention et de recherche tout en modernisant les corps et en soignant l'accueil offert au public. Le renforcement et la restructuration des services de quartier demeure à ce jour au rang de formulation d'intentions hormis en ce qui concerne leur utilisation dans une optique d’optimalisation du recueil d’informations sur les populations de ces quartiers. Il ressort des observations réalisées, en concordance avec l’examen des discours des chefs de corps et des modalités organisationnelles, qu’au sein d’un milieu de travail encore largement tributaire de la vision d’un « vrai travail policier » consistant à « combattre le crime », certains services se perçoivent souvent comme les « laissés pour compte ». Ainsi, si revalorisation il y a eu, elle ne concerne que rarement toute une série de « métiers » policiers sur lesquels, assez paradoxalement, a souvent porté un effort de médiatisation et de marketing de la part des autorités tant fédérales que locales136. Ce n’est souvent que par l’implication dans des enquêtes ou par la récolte d’informations pour d’autres services plus répressifs que les policiers de quartier (ou d’îlot) semblent à nouveau se sentir valorisés et retrouver une place dans leur corps137. Les circuits de circulation des informations récoltées sont toutefois souvent peu performants. Ils sont activés la plupart du temps par une initiative extérieure au service et sont conditionnés par les affinités électives de chacun. 135 Voy. supra les développements sur la « fonction de police de base », vocable fédérateur de la nébuleuse des termes appliqués plus ou moins sans distinction à l'idée d'une police de proximité. 136 Le paradoxe se résout si l’on prend en compte que l’effort de revalorisation de la police communale comprenait également - et même surtout en ce qui concerne ses rapports avec le reste de la société l’amélioration de son image auprès de la population. Amélioration que l’on a fait passer par la figure policière de l’agent de quartier (voy. I.A.P., L'agent de police de quartier. Colloque organisé en collaboration avec la Ville de Charleroi, documents préparatoires, 28 mars 1984). Cette opération de marketing ne sera pas sans susciter des réactions parmi les policiers communaux eux-mêmes, dénonçant le caractère promotionnel et superficiel de ce « rapprochement » avec le public par le biais de l’agent de quartier (voy. supra, D. STEELANDT, op. cit., pp. 11-15). 68 Exécutants ou « réservistes » pour nombre de services du corps de police et de l’administration communale, le manque de retour sur les informations qu’ils fournissent souligne encore cet isolement et ce manque de valorisation ressentis par les fonctionnaires de police attachés aux quartiers. C’est donc au niveau de l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (ou discrétionnaire) que ceux-ci trouveront éventuellement un « plus » en terme de sens à donner à leur travail. Hormis les cas - rares - de services ayant développé des complémentarités, cette recherche formule le constat d'un cloisonnement relativement important des activités des divers services. Celui-ci s’articule à la spécificité de leurs tâches, chacun opérant selon son rythme et ses pratiques. Ainsi, lorsque des collaborations voient le jour, elles s’organisent surtout par secteur d’activité et se développent alors dans une logique transversale impliquant parfois d’autres services similaires dans d’autres corps de police, mais non au sein du corps d’appartenance lui-même. Section II. - Face au modèle fédéral, une réalité : les priorités Un certain ordre de priorités est dégagé parmi les tâches énoncées au fil des circulaires organisant la répartition entre tâches dites de base et celles dites spécialisées138. Parmi celles-ci, exposées comme constituant le cœur de la fonction de police de base, le degré de concrétisation et de priorité qui leur est accordé donne une idée assez précise de la manière dont est envisagé ce modèle de proximité sur le terrain. § 1.- Permanence 24h/24 Cheval de bataille des politiques développées en Belgique depuis le « tournant » de la fin des années 80, les communes se sont vues attribuer des moyens considérables en vue de la concrétisation de permanences 24h/24 rassemblant en une seule mesure à la fois accessibilité et disponibilité des services de police à l’égard des demandes du public. Cette permanence, lourde à assumer et assurant la continuité du service policier, ne concerne toutefois les divers secteurs de l’activité policière que de manière inégale : le minimum assuré étant toujours celui de la réponse aux appels et le recueil des plaintes au commissariat. Pour beaucoup de policiers rencontrés, cette permanence - renvoyant à l’idée d’apporter une réponse rapide à la demande du public - constitue le pilier de l’activité policière, alors que d’autres services publics sont fermés. 137 Le cas échéant, dans une structure plus vaste lorsque des demandes leur parviennent de services externes à leur corps. 138 Voy. supra, l'exposé des circulaires Z.I.P. 69 Versant complémentaire de ce pilier, la garde doit non seulement être disponible, mais aussi être accessible au public. Outre une accessibilité accrue temporellement (les permanences 24h/24 constituant une condition pour assurer un service de police dit à part entière), certains corps ont étendu cette accessibilité de diverses manières relevant plus d’une gestion de l’espace : rapprochement de tout ou partie des services par une dissémination de ceux-ci dans des divisions territoriales, déplacement des policiers chez l’habitant afin de lui éviter des déplacements inutiles (surtout les personnes âgées). A nouveau, l’extension et les modalités de ce rapprochement spatial diffèrent fortement selon le secteur du travail policier concerné et les moyens à la disposition du corps de police. § 2. - Surveillance et intervention préventive Assurées en principe par tout fonctionnaire de police se trouvant en rue, la surveillance et l’intervention préventive concernent tout particulièrement les patrouilles mobiles (et, lorsqu’ils existent, les îlotiers). Le concept, relativement difficile à cerner, d’intervention préventive se traduirait plus concrètement par celui de dissuasion. L’aspect préventif du travail policier se limite donc en général à la présence policière en rue139. De manière similaire à l'« évitement » évoqué dans la recherche précédente, dans la mesure où un policier intervient d’une manière qui n’est pas répressive (alors qu’il pourrait ou devrait le faire au regard de la loi), en exerçant une forme ou l’autre de contrainte liée à son statut de policier, il mobilise son pouvoir d’appréciation de manière à éviter l’aggravation d’une situation ou d’un comportement (en « calmant le jeu », parfois comme médiateur), dans une optique de préservation de la paix publique ou de sa propre paix (plus grande la fréquence des contacts avec la population, plus grande l’importance de cette « paix »), ou de ses sources d’information. Enfin, la dissuasion ramenant à la question de la visibilité des services de police se concrétise par le renforcement (parfois sans assignation précise de missions) de l’importance des effectifs policiers en rue, autre cheval de bataille de la politique des contrats de sécurité. § 3. - Missions judiciaires (en principe de « petites enquêtes et missions judiciaires ») 139 Pour une analyse plus poussée des missions des policiers patrouilleurs à Bruxelles, particulièrement en ce qui concerne la dimension d’« ennui » du policier liée à sa présence en rue, à l’attente de l’intervention et ses conséquences, nous renvoyons le lecteur à Ch. DE VALKENEER, Police et public. Un rendez-vous manqué ?, op. cit., pp. 201-204. 70 Montrant combien est encore loin la déspécialisation prônée par le modèle du community policing, est constatée l’importance prise par ces missions judiciaires. L’affectation dans les brigades judiciaires est perçue plus que jamais comme une promotion. Ces services, parfois sur-spécialisés, peuvent prendre en charge des dossiers très lourds (de trafics internationaux, par exemple). A cet égard, l’adjectif « petite » associé aux enquêtes judiciaires est manifestement sujet à interprétations diverses 140. Ces tâches demeurent plus que jamais la figure de proue du « vrai travail policier » et suscitent l’engouement de la plupart des policiers de terrain rencontrés, lorsqu’ils ont la chance de pouvoir y contribuer. Les véritables « petites » enquêtes (vérifications de domicile, enquêtes familiales, etc.) sont confiées la plupart du temps à ceux qui « n’ont que ça à faire » : les agents de quartier. § 4. - Maintien de l’ordre au niveau local Ces tâches, incontournables et mobilisant une grande énergie au sein des corps étudiés, forment une « armature » dans l’organisation des tâches. Les dirigeants doivent, en effet, en tenir compte au quotidien et souvent puiser dans les effectifs de divers services en élaborant des priorités dans les affectations de personnel au détriment de tâches « sacrifiables » (souvent les pièces de l’agent de quartier). Ces missions quotidiennes, ou simplement régulières, perçues par nombre de responsables policiers comme étant en augmentation constante, composent une masse à gérer nécessitant l’affectation de moyens supplémentaires aux polices urbaines. Cette masse « alourdit » le policier, quel que soit son service, par rapport à ses tâches « importantes » 141. § 5. - Respect du code de la route et de la législation sur l’environnement En réponse à des problèmes croissants et à une inflation des demandes de la population, les corps de police ont développé fortement ces secteurs d’activité. Y est consacré un nombre toujours plus important des effectifs au fil des ans tout en créant divers services spécialisés dans ces matières, y compris des services chargés de donner des avis techniques ou de gérer la délivrance d’autorisations concernant l’occupation de la voie publique. 140 A propos des missions judiciaires des corps de police communale, nous renvoyons le lecteur à la recherche de D. KAMINSKI, K. BOON, F. BRION, J. CAPPELLE, Les services de recherche des polices communales, Bruxelles, Politeia, 1991. Tout dernièrement, la nouvelle loi réorganisant les services de police démontre encore le caractère central de ces missions qui furent au centre des discussions dont cette loi est l’aboutissement (rapide, s’il en est !) et autour desquelles la réorganisation des services de police s’est articulée. 141 Voy. Ch. ELIAERTS, E. ENHUS, (sld. R. SENDEN), Politie en bevolking, Brussel, Politeia - Vanden Broele, 1992, pp. 108-128. Concernant, de manière plus générale, la répartition et les types de tâches des policiers communaux, nous renvoyons le lecteur à l’étude de M. LINDEKENS, op.cit., pp. 31-72. 71 § 6. - Contacts avec le public (groupe ou individu; la discussion des problèmes et la recherche de solutions en commun) Ce domaine reste quant à lui en friche en ce qui concerne l’approche de « groupes » par les services de police. Cette question se trouve pourtant posée de manière particulièrement aiguë dans les communes visitées dans la mesure où les policiers se trouvent souvent sollicités comme arbitres ou alliés dans des conflits de voisinage et ce, dans des quartiers à très forte densité de population (jusqu'à 19.000 hab./km≤), souvent fort contrastée, ou encore à la frontière séparant des quartiers d’une même commune, comprenant des populations aux origines et aux conditions socioéconomiques divergentes142. Des initiatives ont certes été développées, mais toujours de manière sporadique sans avoir forcément donné lieu à des résultats jugés satisfaisants par les intervenants de terrain eux-mêmes (souvent isolés dans leur corps). Par contre, les contacts avec des individus sont fort développés dans les services de quartier et ce, même s’ils se fondent sur des typologies sélectionnant certains traits propres à certains pans de la population du quartier. Ces contacts, étant donné la composition de la population dans certains quartiers, amènent à se poser une question importante : quelle est cette population « consommatrice de sécurité » avec laquelle des contacts sont établis ? Des classifications récurrentes en populations « menaçantes » et populations « menacées »143 - selon un critère de « dangerosité » intuitif - traversent les grilles de lecture des policiers des différents corps, cristallisant en retour l’activité de divers services autour de « groupes cibles » visés également par ces « consommateurs »144 : jeunes, immigrés, consommateurs de drogues. § 7. - Exercice de différentes formes d’aide sociale, d’aide aux victimes et de conseil aux citoyens Ce que beaucoup de policiers considèrent comme « faire du social » relève surtout du relais vers d’autres institutions spécialisées, à plus forte raison lorsqu’ils appartiennent à des services qui travaillent dans l’urgence ou dans une optique immédiatement répressive. Certains agents de quartier ou îlotiers vont parfois plus loin que d’autres dans cette direction et développent des pratiques s’assimilant quelquefois à l’exercice 142 Les quartiers « posant problème » rassemblent diverses caractéristiques : une population plus jeune que dans le reste de l’agglomération, aux revenus plus bas, le tout accompagné d’un taux de chômage élevé et d’une forte proportion d’étrangers. 143 A. REA, op. cit., p. 60. 144 Assumant alors souvent aussi un rôle de « dénonciateur » et/ou d’« informateur ». 72 d’une aide plus étalée dans le temps145, sans toutefois perdre de vue la finalité répressive de leur fonction. La logique du « donnant - donnant » prédominant, seuls changent les outils à la disposition des policiers, selon leur service (le plus commun étant de « laisser passer »). Comme certains le déclarent : « En fait, dans mon travail, le stylo est plus fort que l’arme que je porte », et ce, même si - rappel de ce qui se passe constamment « dans la marge » des tâches énoncées par la hiérarchie - « quatre-vingt pourcent du travail n’est pas sur papier ». Par contre, un travail important est réalisé dans bon nombre de services afin d’accueillir au mieux les victimes et les plaignants en général. Selon le service, la disponibilité peut varier en fonction du moment où la personne se présente au commissariat et de la masse de travail auquel l’officier de garde est confronté. Dans ce cas, le relais se fait vers le personnel des bureaux d’aide aux victimes ou les assistants de concertation146. § 8. - Quelles perspectives ? La récolte d’informations... Tout comme pour la recherche de l'U.L.B., la question de la gestion de l'information dans le cadre d'une proximité plus grande avec la population « policée » ressort des développements. La récolte d'informations aurait pu être reprise en fin de la liste dans la mesure où elle est assurée principalement par des services qui n’occupent pas une place centrale dans la détermination des priorités dans la gestion des tâches policières. Mais la question de la récolte d’informations se trouve par ailleurs de plus en plus mise en exergue tant au niveau des chefs de corps qu’au niveau des discussions ayant entouré plus largement la fonction de police en Belgique. Elle devrait constituer, à terme, un facteur prépondérant dans la manière d’envisager l’exercice de la fonction policière au niveau local. 145 Qu’il s’agisse de renseignements divers, d’assistance dans des démarches administratives, de conseils pratiques, etc. 146 Ces bureaux ont été instaurés par la circulaire OOP 15 relative à l'assistance policière aux victimes (du 26 août 1991), complétée par la circulaire OOP 15 bis (du 29 mars 1994). Ils sont tenus de se limiter à l’exercice d’une fonction de relais ou de renvoi se caractérisant par l’urgence de l’aide apportée lors du premier contact avec « les institutions » et l’absence d’un suivi spécifique réservé aux services spécialisés. Ils sont ainsi amenés à développer des collaborations avec diverses institutions publiques ou privées s’occupant d’aide aux victimes. Ce dispositif s’appuie principalement sur le concept de victimisation secondaire des personnes amenées à faire appel aux services de police tout en cherchant à répondre au malaise fréquent des fonctionnaires de police face à la détresse de certains plaignants (par exemple, les agressions sexuelles). Voy. J. LACROIX, Fr. NOLLET, V. SCAILLON, Evaluation de la mise en œuvre et des effets des contrats de sécurité. Radioscopie de 11 bureaux d’assistance policière aux victimes, rapport de recherche pour le compte du ministère de l'Intérieur, P.G.R., Bruxelles, Synergie asbl, mai 1995. Les assistants de concertation apparaissent quant à eux à la suite du Conseil des Ministres du 17 mai 1991 qui décide de les affecter à l’amélioration des contacts entre les administrations locales, la population et la police. Le personnel mis à la disposition des communes par le ministère de l’Intérieur se verra incorporé fin 1992 dans les contrats de sécurité en qualité, cette fois, d’agents contractuels de la commune. Voy. I. ARIMONT, J. LACROIX, Les assistants de concertation, recherche réalisée pour le compte du ministère de l’Intérieur, Bruxelles, Politeia - Synergie asbl, 1995. 73 Partant du fait que l'on ne saurait parler de gestion de l’information en faisant l’économie de la question de la récolte de celle-ci, la recherche s’intéresse donc au tri opéré dans l’interaction entre policier et public, la grille de lecture des premiers orientant la récolte d’initiative (constituant une part prépondérante de ce l’on appelle l’information « douce »), les attentes des seconds déterminant une bonne part de ce qui se retrouvera inscrit dans les procès-verbaux (information dite « dure ») 147. Au niveau des pratiques professionnelles des policiers, se renouvèle ici encore le constat de l’importance que prend au quotidien la constitution d’une réserve considérable d’informations douces sur la population d’une commune. Ce constat, combiné avec la préoccupation de savoir quelle était l’extension donnée à la « proximité » dans les corps de police étudiés, amène à relever que, à l’heure actuelle, si un modèle de « police de proximité » est à l’œuvre, il l’est en tant que modèle se constituant autour de l’idée maîtresse de la « lutte contre le crime », tout en laissant une certaine place à une gestion de l’ordre public en vue de préserver la paix publique. A nouveau, il apparaît que l'image que les policiers se font du travail de police, c'est-àdire celle qui semble prévaloir et être valorisée au sein du corps de police, demeure très nettement celle du crime fighter, à l’affût du flagrant délit ou fournissant des éléments probants dans le cadre d’une enquête, permettant une arrestation suivie d’une condamnation. Si des policiers travaillent selon des méthodes différentes et peuvent être attachés à des conceptions parfois divergentes de la place de la police dans la société, il est néanmoins assez clair que le modèle qui donne le « la » dans les corps de police reste toujours celui du policier qui intervient et réprime l'infraction. Est dès lors valorisé le « métier » se rapprochant le plus de ce policier « attrapeur » et sont dévalorisées les tâches plus éloignées de l'arrestation, qui deviennent quelquefois le « travail des papys ». Ce modèle est certes influencé par des idées de service public au citoyen, de qualité dans le travail accompli, de professionnalisme, mais il place le policier dont les tâches l'en éloignent en situation de marginal déclassé. Par ailleurs, même s'il semble rester flou, le modèle de l'agent de quartier solitaire tournant dans son quartier et prenant des contacts avec la population n'est globalement pas remis en question et semble être laissé en suspens dans l'attente de meilleures conditions de mise en œuvre. Le constat général est ainsi fait que la mise en œuvre du concept de « police de proximité », tout en prenant des formes fort variables dans les discours, se concrétise 147 Nous entendons par information douce celle ne faisant pas l’objet d’un procès-verbal, par opposition à l'information dure faisant l’objet d’un procès-verbal. Concernant l’impact des demandes de la population sur l’activité policière, nous renvoyons le lecteur à Ch. ELIAERTS, E. ENHUS, op. cit. 74 de manière fort disparate dans des initiatives qui sont soit ponctuelles, par des démarches auprès du public, soit permanentes, mais inégales, selon les services et les lieux de leur mise en œuvre. Elles se focalisent alors sur l’accueil au sein des commissariats, tant dans la dimension temporelle que spatiale de cette proximité. En ce qui concerne la dimension relationnelle de la proximité des services de police, si elle est servie par les initiatives déjà mentionnées, en fonction du type de service et du public rencontré, les rapports sont fort contrastés. Dans ce contexte de mise en œuvre de la fonction de police, il ressort de la confrontation des diverses pratiques policières que ce sont les services de quartier et d’îlotage, dont est souligné l'isolement relatif, qui sont censés incarner par leurs pratiques l’intégration de la police dans son milieu et la prise en compte de ses spécificités. Il est constaté que ces pratiques n’entretiennent encore que peu ou pas de rapports avec celles développées dans d’autres services du même corps, entrant même parfois en conflit avec elles au niveau des moyens d’action. Il y a dès lors souvent juxtaposition des activités des divers services travaillant sur le territoire communal, chacun gérant ses propres tâches dans l’ignorance des autres. Dès lors, on peut penser qu’avec la mise en place de procédures et de structures de gestion et d’exploitation des informations dans les corps de police communale, le maintien d’un ancien modèle de « philosophie policière » principalement axé sur la répression des infractions et une prévention de type situationnelle, les services de quartier et d’îlotage seront appelés de plus en plus à devenir, une fois cette exploitation rendue plus efficace, les pourvoyeurs d’informations pointues sur leurs quartiers. Informations qui seront destinées à des services à vocation essentiellement répressive dont a pu constater le renforcement prioritaire. Il serait alors moins question de la mise en place d’un modèle de policing laissant une plus grande place au public dans la définition des problèmes à rencontrer en matière de sécurité et de paix publique que de donner de nouveaux outils plus performants dans une gestion dite proactive des tâches policières dont la définition demeure intégralement la propriété des autorités et directions de police en vertu d’une philosophie de travail globalement inchangée. La police communale belge se situe dans un contexte institutionnel pour le moins complexe où le monde politique s’est mobilisé sur le sujet de la sécurité (souvent sous la pression des événements et dans l’urgence) et l’a investie massivement dans le cadre du contenu de ses discours et orientations politiques prioritaires. Elle s'est ainsi vue placée dans une situation pour le moins particulière : brandie comme symbole et étendard de la volonté politique de « changer les choses » et, dans ce sens, instrument 75 du politique148 ; mais, soumise à des contraintes organisationnelles héritées d’un passé de vaches maigres et d’un modèle de travail policier les destinant à la « lutte contre le crime », elle n’a souvent pu que pousser plus avant les logiques d’action antérieures tout en adoptant à la périphérie quelques réformes de leur image de marque par l’amélioration ou la création de certains services d’aide à la population149. Pour l’essentiel, la réorganisation de certains services s’accompagnait de la constitution de nouveaux outils destinés à augmenter l’efficience dans la lutte contre le crime. Aussi grande qu'ait été la difficulté de dépasser les contraintes organisationnelles, plus grande encore a été celle liée à l’absence de prise en considération de la dimension professionnelle de la « rénovation » annoncée de la fonction de police. Instrument dans les discours politiques, la police l’est d’autant moins que l’on se rapproche des intervenants de terrain. Cette fiction de l’instrumentalité de la police s’éloigne d’autant plus de la réalité quotidienne que le modèle alternatif proposé a eu peu d’impact sur les logiques d’actions des intervenants de terrain. Des réorganisations opérées le plus souvent selon d’anciennes logiques d’intervention policière - avec d’autant plus de facilité que les rapports d’autorité sont complexes et les modèles en balance flous -, une faible prise en compte de l’importance des représentations que se font les acteurs de terrain de leur travail : le passage à un « nouveau » modèle d’insertion de la fonction de police dans la société reste à l’heure actuelle encore essentiellement une opération de sémantique qui laisse une très large place au pouvoir d’appréciation des intervenants de terrain. Il apparaît donc que le véritable enjeu de ce « tournant » pris en Belgique concernant les services de police en particulier les services dont les tâches les amènent quotidiennement et localement au contact de la population - demeure la clarification du rôle que l’on entend leur faire jouer dans la société et les moyens que l’on se donnera afin de toucher les acteurs de terrain au plus près, c’est-à-dire au niveau du sens à donner à leur travail (de leur « fonction » au sein de la société d’aujourd’hui), de leurs aspirations en tant que policiers et de leurs perspectives professionnelles. Titre III : Conclusions Comme on a pu le constater, la police s'est dégagée tardivement comme objet de recherche, encore plus en ce qui concerne l'intérêt porté à la police de proximité. Cet 148 J.L. LOUBET DEL BAYLE,op.cit., pp. 15-36. Sur l'ensemble des communes de l'agglomération de Bruxelles, seul un seul corps de police a disposé de moyens suffisants pour envisager un revirement important via une reterritorialisation de ses effectifs (toujours en cours et non généralisée à l'ensemble du territoire de cette commune). On ne peut que songer aux pré-conditions évoquées dans la recherche de T. Vanden Broeck et Ch. Eliaerts. 149 76 intérêt s'est manifesté, sous la pression de vagues d'événement dont on a apprécié l'importance, essentiellement à l'initiative du ministère de l'Intérieur dans le domaine de l'étude de la police communale150 et ce, en particulier via le processus d'évaluation de la politique des contrats de sécurité. Outre le fait que la recherche sur la police de proximité tend à se particulariser fortement autour d'une certaine catégorie de corps de police et même de service en leur sein, le modèle restera quant à lui toujours relativement flou, compliquant fortement la tâche de l'évaluer sur le terrain. On est ainsi en inadéquation avec les principes énoncés dans la recherche de Vanden Broeck et Eliaerts et ce, à divers niveaux: l'inadéquation des moyens pour bon nombre de corps de police, diverses préconditions qui ne sont pas rencontrées, les réformes entreprises ne concernant souvent pas tous les services des corps, la philosophie qui demeure inchangée et surtout, constat que l'on peut renouveler dans le cadre de la loi de réforme des services de police, l'absence de définition de la fonction de police. Des termes variés recouvrant un concept plus ou moins élaboré, les recherches U.L.B. et Synergie tendent donc à démontrer que le modèle de proximité est »en chantie ». Ainsi, avec le temps, des tendances se dégagent et un vocabulaire se précise. Ceci étant, les réorganisations initiées par la mise en évidence de déficits à ce niveau dans le rapport de Team Consult n'ont souvent pas attendu que se précise ce champ conceptuel. On peut donc s'attendre à des concrétisations relativement contrastées en fonction des cas étudiés (sans parler de l'influence que des facteurs liés aux potentialités des corps peuvent avoir). 150 On peut regretter à ce propos l'opacité de la gendarmerie encore à ce jour lorsqu'il s'agit de se faire une idée plus précise de la mise en œuvre de la philosophie du community policing en son sein, alors même que celle-ci a été au coeur de l'importation de ce modèle en Belgique sans que ses propres recherches n'aient beaucoup filtré hors des murs de son état-major autrement que sous la forme d'un marketing à l'attention du public ou du monde politique qui s'en est quelquefois inspiré. 77 CONCLUSIONS GENERALES De ce « bilan des connaissances sur la police de proximité », un certain nombre de constats peuvent être faits. De manière synthétique, les discours du monde politique et des policiers autour du développement d’une police de proximité « à la belge » présentent deux visages dont nous avons été amenés à constater qu’ils ne s’opposent que superficiellement, trouvant une cohérence profonde dans un projet de modernisation et de (re)légitimation de la police émergeant fin des années 80 et s’adaptant bon gré mal gré aux événements politiques pour présenter un profil apparemment décousu et « improvisé ». En ce qui concerne le discours politique, le premier visage est celui d’une police de proximité, impulsée par le haut (ministère de l’Intérieur) au départ d’une politique de « prévention locale de la criminalité » (manifestée surtout par les contrats de sécurité). Cette police de proximité concerne donc principalement les polices communales des (29) villes et communes bénéficiant de ces contrats. Pour les autorités mises en présence (fédérales, locales et policières), on constate que la police de proximité se confond avec les agents de quartiers et/ou les îlotiers151. Le deuxième visage trouve sa place au sein d’une « politique policière » focalisée de façon pragmatique sur le partage de l’ensemble des tâches locales (fonction de police de base par opposition aux tâches spécialisées) entre polices communales et gendarmerie. Chose surprenante, c’est dans ce cadre – et dans ce cadre uniquement – que le fédéral tentera de circonscrire le concept de community policing. On a souligné à quel point cette tentative s’est avérée infructueuse, noyant les policiers sous une série de termes censés être synonymes et dont le seul point commun est de rendre encore plus nébuleuses les modalités de mise en œuvre de cette police de proximité. En ressort seulement une vision large de la police de proximité, englobant toutes les pratiques policières. On va retrouver dans une large mesure cette dichotomie dans les visions de la police de proximité proposée par les directions policières. Au sein du champ discursif policier, le premier visage qui apparaît, présenté par la majorité des polices communales, tire les conséquences de la politique fédérale et estime que la police de proximité se développe au sein d’un service spécifique (le service de quartier). On retrouve par ailleurs un deuxième visage de la police de proximité : celui développé au sein de la gendarmerie en vertu de directives internes. Pour celle-ci, la police de proximité 151 Seule cette « police de proximité » a fait l’objet d’une évaluation scientifique quant à sa mise en œuvre théorique et pratique. 78 concerne, non pas un service spécialisé dans le général au quotidien et dans le contact avec la population, mais l’ensemble de la fonction de police et tout le corps. Mais au-delà des discours du fédéral et du monde policier, nous pourrions synthétiser les oppositions et spécificités de celle-ci par trois clivages qui les manifestent, et dont la superposition à certains moments tend à rendre le fossé entre discours et pratiques, entre fédéral et local et entre les acteurs eux-mêmes encore plus profond. Ces trois clivages – gendarmerie/polices communales, zones urbaines/zones rurales et Nord/Sud – sont loin d’être nouveaux en Belgique mais prennent toute leur mesure avec la question de la police de proximité. Ils s’inscrivent en effet - particulièrement les deux premiers - dans le cadre d’une construction idéologique qui dépasse le cadre de la politique policière pour entrer dans celui de l’ensemble de la justice pénale mise en œuvre depuis 10 ans. Le premier clivage - le plus évident - est celui séparant gendarmerie et polices communales et qui recouvre, à première vue, principalement des questions de méthode de travail policier. Ce clivage peut s’expliquer de plusieurs façons. Une première raison concerne les moyens mis en œuvre. En effet, la mise en place d’une police de proximité à l’échelle de l’ensemble d’un corps de police demande des moyens que seule la gendarmerie – disposant en outre d’une structure de commandement unifiée – a pu se permettre. Cette centralisation permet de présenter une position homogène que les 583 corps de police communale, peu ou pas soutenus par des autorités locales donnant la priorité à leurs intérêts locaux (hormis lorsque ceux-ci concernent la sécurité des électeurs), ne sont pas en mesure d’adopter. Il faut cependant reconnaître que la philosophie et les méthodes de community policing que la gendarmerie entend développer en son sein ne transparaissent jusqu’ici que dans le discours d’intention des responsables de la gendarmerie. En l’absence d’une évaluation de la mise en œuvre de la police de proximité au sein de ce corps, on peut aisément poser l’hypothèse que ce discours uniforme et « bien rôdé » des responsables de la gendarmerie ne reflète pas forcément la pratique de terrain de la multitude des brigades territoriales fort éloignées de leur commandement général. Une deuxième raison est plus conjoncturelle. Le développement de la police de proximité au sein de ces services de police débutera au cours des années 90 mais pour des raisons différentes. En ce qui concerne la gendarmerie, la démilitarisation opérée à partir de 1991 va l’obliger à réorganiser ces services suivant un modèle plus « civil » et à réinvestir le terrain local et urbain, par définition terrain des polices communales, 79 principalement pour combler l’absence de relais informatif avec la population. Dans ce cadre, la mise en place, théorique, d’une police de proximité était certainement la plus à même de fournir à la gendarmerie l’image positive nécessaire à cet accès à l’information. Pour leur part, les police communales, parents pauvres au chapitre des effectifs et des moyens, n’étaient pas véritablement demandeuses d’une réorganisation de fond mais uniquement de moyens supplémentaires. Cependant, « poussées dans le dos » par un pouvoir fédéral qui, en échange de ces moyens, posera un certain nombre de conditions dont le développement d’une politique de rapprochement avec la population, la plupart des polices concernées ont souvent choisi la « voie de la facilité » en se focalisant sur des services déjà existants, sans remettre en cause la politique du corps. Dès lors, la « guerre des polices » pointée par la commission Bourgeois au début des années 90 et qui recouvrait principalement la concurrence en matière judiciaire, va se concrétiser également sur le terrain local, avec pour objectif la « reconquête » du public et de la manne d’informations que l’entretien de relations avec celui-ci représente. Le deuxième clivage est un clivage entre zones urbaines et zones rurales. Ce clivage se situe surtout au niveau de la priorité dans l’attribution des moyens aux polices urbaines. En effet, comme nous l’avons vu, la police de proximité a été impulsée au départ du fédéral principalement vers les polices communales des villes et communes bénéficiant d’un contrat de sécurité, c'est-à-dire des zones urbaines dans lesquelles est « diagnostiquée » une recrudescence problématique des chiffres de la criminalité152. Ce sont donc uniquement ces polices qui ont bénéficié de la manne financière des contrats de sécurité pour mettre en place une police de proximité. Ce clivage est à notre sens encore accentué par deux situations : d’une part, la mise en place des Z.I.P. que l’on pourrait qualifier de « deuxième fusion des communes » puisqu’elles accentuent encore la taille des territoires faisant l’objet d’une gestion policière uniformisée (taille qui, aux dires de responsables locaux, favoriserait l’éloignement des citoyens vis-à-vis de la police et ne permettrait pas de gérer aussi bien les particularités locales) et, d’autre part, la disparition formelle du garde champêtre, policier rural par excellence et figure de proue de la police de proximité « à l’ancienne ». Ces deux éléments, qui préfigurent tous deux la prochaine réforme des services de police, mettent en évidence à quel point il n’a pas été tenu compte d’une culture policière rurale qui pourtant, aux dires de beaucoup de ces policiers, est le seul élément d’une police de proximité effective à ce jour. 152 Les moyens financiers dégagés pour les polices communales ne se sont pas limités aux contrats de sécurité, mais provenaient le plus souvent, de manières diverses, du ministère de l’Intérieur et étaient subordonnés au respect de conditions exprimées avec le plus de clarté dans la philosophie des contrats de sécurité. 80 Enfin, le troisième clivage, le clivage entre le Nord (Région flamande) et le Sud (Région wallonne) du pays, se concrétise surtout par des méthodes privilégiées dans la mise en place (et même dans la description de) la police de proximité. Ce clivage, principalement culturel (centré sur la langue) et historique, s’est manifesté dans le Nord du pays au travers de l’adoption plus fréquente des thèses et méthodes néerlandaises et anglo-saxonnes privilégiant une approche pragmatique153 centrée sur le management alors que dans le Sud du pays, on estime se sentir plus proche d’une « philosophie » plus sociale telle que développée en France (c’est ce qui se dégage du discours des bourgmestres wallons). Ce clivage est encore accentué par la rareté des prises de position (orales ou écrites) des responsables locaux, mais aussi d’une grande partie des responsables policiers du Sud du pays, face à une implication importante, tant théorique que pratique, des responsables policiers du Nord. Ce double « Janus » de la police de proximité, les clivages qu’il induit, sont révélateurs des choix de politique policière depuis 10 ans. En effet, comme nous l’avons dit, ce sont les évènements de la fin des années 80 qui vont amener les pouvoirs publics à s’intéresser aux services de police. Si les premières « réformes » permettent de combler certaines lacunes en matière de police (loi commune à tous les services de police; démilitarisation de la gendarmerie ; concertation entre pouvoir judiciaire, pouvoir administratif et services de police ; création d’un service de contrôle parlementaire, etc.), peu à peu la politique policière va se concentrer sur les moins controversés mais les plus « malléables » des services de police : les polices communales. Si l’adjonction de moyens, surtout en effectifs, était indispensable à la survie d’une telle police, le pouvoir fédéral assortira l’aide financière de la participation de la police communale à une politique plus vaste de prévention de la criminalité au niveau local, dont la police de proximité fait incontestablement partie. Ces choix ne sont évidemment pas neutres. En effet, si cette politique fédérale peut sembler à première vue décousue (ou peu pertinente), elle est en réalité porteuse d’une logique de fond à la lumière de laquelle la police de proximité et les priorités pour sa mise en œuvre trouvent un éclairage différent, aux antipodes des accusations de « bricolage » dont elle a pu faire l’objet à certains moments. Cette logique, qui ne se démentira pas en 10 ans, trouve sa place dans un mouvement général de dépolitisation de la question criminelle. A l’origine, malgré une volonté répétée d’agir sur un « ensemble de problèmes de société » dont la sécurité n’est qu’un des éléments, le gouvernement se recentrera rapidement (1992) sur le contrôle des 153 Cela ressort entre autres des thèmes et des méthodes utilisées par les recherches confiées à des universités flamandes qui privilégient souvent une approche plus pragmatique et dont les résultats servent souvent d’aide à la décision (gouvernementale). 81 « groupes à risque » (jeunes, immigrés et toxicomanes)154. Pour ce faire, il postule une augmentation d’une petite criminalité urbaine propre à alimenter un sentiment d’insécurité de la population pour rapidement inverser l’équation : le sentiment d’insécurité augmente (en milieu urbain) parce que la petite délinquance augmente. Déplacement de priorité donc qui consiste à réorganiser la politique criminelle autour de cette petite délinquance155. Cette logique suppose, en filigrane, que cette délinquance, et le sentiment d’insécurité qui y est associé, sont des phénomènes quantifiables, maîtrisables et contrôlables. Aux grands maux, les grands remèdes : si le développement de cette petite criminalité urbaine pose problème, il faut donc développer une police propre à l’endiguer. De ce postulat, naît une double équation : à criminalité de proximité, police de proximité et - tout comme pour le lien entre sentiment d’insécurité et petite délinquance - son double inversé à police de proximité, criminalité de proximité. Ces équations ont bien sûr des conséquences pratiques : la police choisie est tout naturellement la police locale, plus à même, dit-on, d’agir sur les causes spécifiques (et locales) de cette criminalité parce qu’elle développe une proximité spatiale (décentralisation) dans ces zones urbaines « problématiques ». En outre, la police de proximité ne s’applique pas à tout ce qui n’est pas la criminalité de proximité ; exit donc la grande criminalité, la criminalité organisée et financière, la criminalité qui « n’est pas visible » et la plupart des tâches judiciaires considérées le plus souvent par les policiers comme importantes... On évacue, en outre, le débat sur les causes macro sociologiques de la (petite) délinquance et du sentiment d’insécurité, tout en ne touchant pas au service de police le plus controversé et le moins transparent : la gendarmerie. Ainsi loin de se contenter de servir d’initiateur à la mise en place de nouveaux dispositifs (en répondant ainsi à « l’appel des électeurs » qui avaient voté pour les partis d’extrême droite), cette construction idéologique servira également à justifier a posteriori le maintien et même le développement de cette politique, dont les résultats d’ensemble n’ont jusqu’à présent (pratiquement) jamais été évalués. 154 Sur cette question de la dépolitisation de la question criminelle, voy. Ph. Mary, Délinquant, délinquance et insécurité, op. cit., spéc. la troisième partie. 155 Mouvement qui se retrouve dans l’ensemble de la justice pénale : travaux d’intérêt général, médiation pénale, procédure accélérée et, plus récemment, projet portant sur la comparution immédiate. 82 Dans ce cadre, qu’en est-il des connaissances du « pôle scientifique » ? Dans les années 90, à l’image de la politique criminelle, le champ de la recherche criminologique a été recentré autour du thème de l’insécurité et sera principalement financé par l’Etat (la première impulsion venant du ministère de l'Intérieur), renforçant encore les thèmes de recherche prioritaires. Dans ce cadre, la police sera un thème majeur mais les recherches la concernant, outre qu’elles se focaliseront principalement sur la police communale, délaissant complètement la gendarmerie, seront pratiquement toujours liées soit aux relations avec le public, soit à son organisation, décontextualisant en grande partie ses relations avec d’autres institutions de contrôle social. Au niveau des recherches sur la police de proximité (commanditées par le ministère de l'Intérieur), le constat est encore plus mince. Mis à part la recherche sur le community policing et les expériences étrangères en cette matière – qui arrive très tardivement après la mise en place des programmes (contrats de sécurité et Z.I.P.) censés la mettre en œuvre -, seules deux recherches portant sur les pratiques de la police de proximité seront développées. Ces dernières ne porteront, au surplus, que sur les polices communales bénéficiant de la manne financière des contrats de sécurité et seront limitées géographiquement aux Régions wallonne et bruxelloise156. En outre, ces recherches ne seront pas commanditées telles quelles, ce sont les équipes de recherches de l’époque qui ont choisi ce thème dans une liste de thématiques, entre autres policières, proposée par le ministère de l'Intérieur. Les résultats de ces recherches ont de manière évidente pointé le semi-échec de cette mise en place de la police de proximité au niveau local. Si les agents de quartier ont bien été désignés comme « policiers de proximité », les différentes restructurations qu’ont connues les corps de police communale ont été insuffisantes ou mal ciblées et n’ont eu souvent pour effet que de renforcer des services privilégiant plutôt le crimefighting. En outre, à cette mise en œuvre manquée de la police de proximité au sein des services de quartier, s’est ajouté le constat de l’inadéquation de la mise en œuvre de deux logiques au sein d’un même corps de police : d’une part, celle de police criminelle et du maintien de l’ordre stricto sensu au travers des services travaillant dans l’urgence et/ou de manière réactive et, d’autre part, celle de proximité des services de quartier censés travailler dans le long terme. La coexistence de ces deux logiques a pour effet que la plus faible des deux – parce qu’elle est supposée s’appliquer aux services relativement marginaux en termes de moyens et de valorisation -, non seulement ne 156 Bref, on juxtapose dans ces limitations les trois premiers termes des clivages : police communale, zones urbaines et partie francophone de la Belgique (Bruxelles est composée à 85 % de francophones même si elle bénéficie d’un statut bilingue). 83 permet pas de contrecarrer la logique dominante de police criminelle, mais en renforce encore les effets. Si le programme de recherche du ministère de l'Intérieur est justifié par « la nécessité de disposer de données fiables », derrière cette nécessité se profile clairement un souci de conférer au système étatique, en général, et, plus spécifiquement, aux programmes mis en place, de nouvelles sources de légitimité teintées de « scientificité ». Les résultats de recherches peuvent soit ne pas être utilisés (si les résultats ne concordent avec les attentes du politique), soit justifier le développement d’un dispositif neuf déjà prévu. De manière générale, et c’est certainement le cas pour les recherches sur la police de proximité, les résultats de ces recherches sont instrumentalisés non pas comme outils d’aide à la décision – ce qui pourrait être leur objectif premier - mais bien comme garant ex post de légitimité des politiques. On a pu le constater, les questions entourant l’idée de la police de proximité synthétisent bon nombre des caractères des politiques criminelles développées en Belgique ces 20 dernières années : derrière les enjeux politiques événementiels poussant à développer un discours neuf sur la police de demain, discours qui frappe par son caractère souvent décousu ou sibyllin, la mise en œuvre de cette nouvelle police est complètement laissée aux techniciens, aux policiers qui feront avec ce qui leur est donné et en fonction de leurs propres impératifs et soucis du moment tout en jouant la plupart du temps superficiellement, le jeu de la reproduction du discours fédéral. Les pratiques policières, quant à elles, loin d’en avoir été infléchies vers une nouvelle philosophie de travail, semblent s’être vues donner de nouvelles ressources exploitables dans la poursuite des objectifs traditionnels de la police générale : recherche et maintien de l’ordre (et leurs pendants juridiques : police judiciaire et police administrative aux frontières poreuses) ; l’ensemble se faisant dans le respect des modalités, tant organisationnelles que philosophiques, antérieures à l’introduction de ce nouveau modèle dans les discours. Concrètement, on constate donc que si, déjà à ce niveau discursif, la police de proximité est polymorphe, au niveau des pratiques et de la mise en œuvre de changements dans les manières de faire, il y a renforcement des logiques antérieures pour les polices et manifestation d’une forme de projet à long terme au niveau fédéral, dont on peut percevoir une étape essentielle dans la récente réforme des services de police. A cette lumière, le manque de netteté du modèle de police de proximité nous amène à le ranger quelque peu derrière, comme instrument des pratiques anciennes que la succession des textes normatifs produits en matière de police tend surtout à vouloir organiser (Loi sur la fonction de police, circulaire Z.I.P.), puis réorganiser (Loi de réforme des services de police) selon un modèle de police 84 unique, même s’il est structuré à deux niveaux et présenté comme préservant l’autonomie communale en matière de politique policière. 85 86 BIBLIOGRAPHIE ABSIL, S., FOUCART, P., Le rôle et missions de l’agent de quartier au sein de la police communale, Bruxelles, Politeia, 1994. ALBRECHT, P.A., « La politique criminelle dans l’Etat de prévention », Dév. et soc., 1997, n° 2, pp. 123-136. ALDERSON, J., « Community policing : théorie et pratique », Politeia, 1995, n° 9, pp. 3-4. ARIMONT, I., LACROIX, J., Les assistants de concertation, Bruxelles, Politeia, 1995. 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WATIN-AUGOUARD, M., « La proximité : un défi pour la gendarmerie », R.I.C.P.T., 1993, n° 4, pp. 456-464. 93 TABLE DES MATIERES INTRODUCTION 1 PREMIERE PARTIE. – LE POLITIQUE 9 Titre premier. - Le niveau supra-local Chapitre premier. – Contexte général d’émergence de la police de proximité Chapitre II. –Emergence d’un concept « belge » de police de proximité Section Ière. - Les années 80 : les événements catalyseurs d’une politique policière orientée vers le citoyen Section II. - Les années 90 : l’amélioration du fonctionnement des services de police Section III. - L’impulsion d'une politique intégrée de sécurité sur le plan local par la mise en œuvre des contrats de sécurité Section IV. - Un cadre opérationnel pour la mise en œuvre du modèle de police de proximité : les zones interpolices Section V. - Les « années blanches » : la réorganisation des services de police Section VI. - Conclusions 10 10 14 15 16 Titre II. – Le niveau local Chapitre premier. - L’attentisme des pouvoirs locaux Chapitre II. - Vers une reprise en main par le fédéral Chapitre III. - Les contrats de sécurité Chapitre IV. - La loi de fonction de police et les zones interpolices Chapitre V. - La réforme des polices Chapitre VI. - Conclusions 29 30 32 33 34 35 36 DEUXIEME PARTIE. – LE POLICIER 19 21 23 25 37 Titre premier. – « Les acteurs policiers et la terminologie » Chapitre premier - La voix de la police communale Chapitre II. - La voix de la gendarmerie Chapitre III. – « L’écho des voix » 39 40 42 44 Titre II. - Contenu de la police de proximité dans le discours des policiers communaux 45 Titre III. - Contenu de la « fonction de police de base » dans le discours des gendarmes 48 Titre IV. - Conclusions 49 TROISIEME PARTIE. – LE SCIENTIFIQUE : LA RECHERCHE BELGE SUR LA POLICE DE PROXIMITE 51 Titre premier. - Politique et recherche : les politiques de recherche sur la police en Belgique 52 Titre II. - La recherche sur le modèle du community policing et son importation en Belgique 55 Titre III. - Recherches sur l’évaluation des contrats de sécurité en ce compris la « police de proximité » Chapitre premier. - Constats de la recherche confiée à l’U.L.B. Section Ière. - La notion de proximité et la question de l’information Section II. - Bilan de la mise en œuvre d’une nouvelle police : le décalage entre discours et pratiques 57 58 58 62 94 § 1er. - Partenariat et concertation § 2 . - Changements organisationnels « de base » § 3. - Rapprochement entre police et public § 4 - Elargissement de la fonction policière Chapitre II. - Constats de la recherche confiée à Synergie Section Ière. - Valorisation des tâches policières et des types de policier : la place des policiers de quartier Section II. - Face au modèle fédéral, une réalité : les priorités § 1.- Permanence 24h/24 § 2. - Surveillance et intervention préventive § 3. - Missions judiciaires (en principe de « petites enquêtes et missions judiciaires ») § 4. - Maintien de l’ordre au niveau local § 5. - Respect du code de la route et de la législation sur l’environnement § 6. - Contacts avec le public (groupe ou individu; la discussion des problèmes et la recherche de solutions en commun) § 7. - Exercice de différentes formes d’aide sociale, d’aide aux victimes et de conseil aux citoyens § 8. - Quelles perspectives ? La récolte d’informations... Titre III : Conclusions 62 63 64 65 67 67 69 69 70 70 71 71 72 72 73 76 CONCLUSIONS GENERALES 78 BIBLIOGRAPHIE 87 95