l`emploi des langues en quebec et en flandre

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l`emploi des langues en quebec et en flandre
L’EMPLOI DES LANGUES EN FLANDRE
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L’EMPLOI DES LANGUES EN FLANDRE
ET UNE COMPARAISON AVEC L’EMPLOI DES LANGUES AU QUÉBEC
Jean Dujardin*
1. La question linguistique belge… une vieille histoire
Pour bien comprendre le texte, il me paraît nécessaire de donner un bref aperçu de
l’emploi des langues en Belgique et spécialement en Flandre.
La question linguistique en Belgique existe depuis l’existence de la Belgique même et
s’est concentrée depuis plus de 150 années autour de deux thèmes : d’abord la liberté de
l’emploi des langues et la réglementation de cet emploi, ensuite l’homogénéité des
régions linguistiques. Les querelles et les incidents politiques concernent la question
suivante : dans quelle mesure les autorités publiques peuvent-elles imposer l’emploi du
néerlandais en Flandre pour éviter ainsi la « francisation » de la Flandre et mettre sur un
pied d’égalité le néerlandais et le français à Bruxelles ?
2. Le principe de base : la liberté linguistique
La Belgique connaît trois langues officielles : le néerlandais, le français et l’allemand. La
Constitution stipule que l’emploi des langues usitées en Belgique est facultatif et ne peut
être réglé que par la loi, et seulement pour les actes de l’autorité publique et pour les
affaires judiciaires. La liberté linguistique pour l’individu est la base de la législation de
l’emploi des langues. Dans la vie privée, tout le monde peut employer sa langue
préférée. L’emploi des langues dans le domaine privé, aussi bien dans les domaines
culturels, sociaux que commerciaux, est donc libre.
En Flandre, les commerçants peuvent employer n’importe quelle langue dans leurs
magasins. La même liberté vaut pour les médias. Dans les kiosques, on peut acheter des
* Jean Dujardin est secrétaire honoraire de la ville de Gand et professeur à la Vrije Universiteit, à Bruxelles.
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journaux et des magazines dans toutes les langues, et pour la télévision les Flamands ont
le choix entre au moins trente canaux et des programmes en sept langues.
3. Et pourtant… il y a une réglementation pour l’emploi des langues
Dans un cas, la Constitution elle-même stipule l’emploi des langues en imposant que le
texte de la Constitution doit être établi en néerlandais, en français et en allemand.
Dans les autres cas, l’emploi des langues ne peut être réglé que par une loi (au niveau
fédéral) ou par un décret (au niveau des communautés et des régions) et seulement dans
les domaines qui sont énumérés limitativement dans la Constitution. Ce sont :
- les actes de l’autorité publique et pour les matières administratives;
- les affaires judiciaires;
- l’enseignement dans les établissements créés, subventionnés ou reconnus par les
pouvoirs publics. Chaque personne a le droit d’ouvrir en Flandre une école et de
donner de l’enseignement dans n’importe quelle langue, mais les écoles reconnues ou
subventionnées doivent donner leur enseignement en néerlandais;
- les relations sociales entre les employeurs et leur personnel ainsi que les actes et
documents des entreprises imposés par la loi ou les règlements.
Et pourtant il y a des dispositions qui prescrivent l’emploi des langues dans un certain
cas sans que celui-ci soit énuméré dans la Constitution. C’est le cas pour la loi du
24 janvier 1977 sur les denrées alimentaires qui prescrit que les mentions qui figurent
sur l’étiquette et qui sont rendues obligatoires en exécution de la présente loi sont au
moins libellées dans la langue de la région linguistique où les produits sont mis sur le
marché.
4. Les régions linguistiques
La législation linguistique prescrit l’emploi des langues dans l’Administration,
l’enseignement, la justice et les entreprises, suivant le principe de la territorialité,
c’est-à-dire que la loi a établi les régions linguistiques et a prescrit quelle langue doit être
considérée comme langue officielle.
Le principe de la territorialité est depuis des années 1930 la base de la réglementation
linguistique et il l’est demeuré jusqu’à ce jour.
La Belgique comprend quatre régions linguistiques : la région de langue néerlandaise, la
région de langue française, la région de langue allemande et la région billingue de
Bruxelles-Capitale. Cette « régionalisation linguistique » ne veut pas dire que dans ces
régions on parle effectivement le néerlandais, le français ou l’allemand, mais seulement
que, juridiquement parlant, dans ces régions le néerlandais, le français ou l’allemand doit
être obligatoirement employé dans l’Administration, l’enseignement, la justice et
les entreprises.
Il est important d’attirer l’attention sur les exceptions au principe de la territorialité.
C’est le cas pour les six communes de la périphérie bruxelloise et les six communes de
la frontière linguistique situées dans la région de langue néerlandaise (par exemple la
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commune de Fourons). Dans ces communes il existe des « facilités » linguistiques pour
la population de langue néerlandaise, c’est-à-dire que les francophones peuvent
s’adresser à l’Administration en français et que l’enseignement préscolaire et primaire
existe ou peut être donné en français. Dans quatre communes situées dans la région de
langue française, la loi prévoit les mêmes facilités pour les néerlandophones et la loi
prévoit dans toutes les communes de la région linguistique allemande des facilités pour
la population de langue française.
Il est vrai que le recours aux facilités n’est pas fréquent, sauf dans les communes de la
périphérie bruxelloise qui sont situées autour de la région bilingue de Bruxelles-Capitale
mais qui font partie de la région de langue néerlandaise. Dans ces communes, les
francophones, qui forment dans certaines communes une majorité, exigent
l’assimilation aux communes de la région Bruxelles-Capitale et donc un régime bilingue.
5. Bruxelles… un cas à part
Pendant des siècles, Bruxelles était une ville flamande ou une ville avec une très vaste
majorité de néerlandophones. La ville est encore aujourd’hui géographiquement située
dans la région de langue néerlandaise, mais est devenue une région bilingue, la seule en
Belgique. Bruxelles est une ville de minorités linguistiques; c’est aussi le sentiment des
néerlandophones qui y habitent. La francisation est le résultat d’une évolution constante
sous l’influence de l’Administration, de l’enseignement et des circonstances sociales. La
ville ainsi francisée s’est constamment agrandie et il faudrait une loi pour limiter la
région de Bruxelles-Capitale aux dix-neuf communes avec un statut bilingue et une
représentation équilibrée entre néerlandophones et francophones.
6. La comparaison avec la législation sur l’emploi des langues au Québec1
Il est très difficile de comparer les législations linguistiques parce que les statuts sont
souvent liés à des situations historiques et à des compromis politiques. L’influence des
statuts étrangers n’est pas évidente. Ce n’est que par après qu’on peut constater
certaines ressemblances. Ceci est vrai pour la Belgique, et je présume que ce n’est pas
autrement au Québec. En comparant les deux législations, on peut constater :
- Que le Québec exerce son pouvoir dans le domaine de l’emploi des langues
concurremment à l’État fédéral et qu’il doit respecter des dispositions
constitutionnelles obligeant à observer le bilinguisme dans de nombreux secteurs.
En Belgique, on connaît le principe de la territorialité, c’est-à-dire qu’une langue
(le néerlandais, le français ou l’allemand) est considérée comme la langue officielle de
la région linguistique, sauf pour la région de Bruxelles-Capitale qui est la seule région
bilingue et dans les quelques communes où il existe des « facilités linguistiques ».
- Au Québec, le citoyen a le droit de communiquer avec l’Administration en français ou
en anglais. L’obligation de l’utilisation exclusive du français vaut, en effet, seulement
pour les communications à l’intérieur des organes de l’Administration et pour les
rapports de l’Administration avec les personnes morales établies au Québec.
1
Cf. L. Domenichilli (1999). Constitution et régime linguistique en Belgique et au Canada, Bruxelles, Bruylant,
p. 114-122.
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L’individu a le droit de s’exprimer dans sa langue. En Flandre, les particuliers et les
entreprises doivent utiliser exclusivement le néerlandais dans leurs rapports avec les
services locaux ou les services régionaux de la région de langue néerlandaise. Il existe
une exception uniquement pour les habitants des communes à statut spécial.
- Au Québec, les entreprises peuvent négocier avec l’Office de la langue française des
programmes personnalisés, adaptés à leurs activités, et des exceptions à l’obligation
d’utiliser le français. En Flandre, toute entreprise établie sur le territoire de la région de
langue néerlandaise est tenue, sans exception, à l’emploi du néerlandais dans les
relations sociales entre les employeurs et leur personnel, et dans les documents des
entreprises.
- Au Québec, l’inscription à l’école anglaise est réservée aux enfants dont le père ou la
mère ont reçu, au Canada, la majeure partie de l’enseignement primaire ou secondaire
en anglais. Dans les écoles en Flandre, les exceptions à l’emploi du néerlandais
comme langue d’enseignement sont exclues, sauf dans les communes à statut spécial.
Dans les régions unilingues, la langue maternelle de l’enfant n’est donc pas prise
en considération.