l`emploi des langues en quebec et en flandre
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l`emploi des langues en quebec et en flandre
L’EMPLOI DES LANGUES EN FLANDRE 223 L’EMPLOI DES LANGUES EN FLANDRE ET UNE COMPARAISON AVEC L’EMPLOI DES LANGUES AU QUÉBEC Jean Dujardin* 1. La question linguistique belge… une vieille histoire Pour bien comprendre le texte, il me paraît nécessaire de donner un bref aperçu de l’emploi des langues en Belgique et spécialement en Flandre. La question linguistique en Belgique existe depuis l’existence de la Belgique même et s’est concentrée depuis plus de 150 années autour de deux thèmes : d’abord la liberté de l’emploi des langues et la réglementation de cet emploi, ensuite l’homogénéité des régions linguistiques. Les querelles et les incidents politiques concernent la question suivante : dans quelle mesure les autorités publiques peuvent-elles imposer l’emploi du néerlandais en Flandre pour éviter ainsi la « francisation » de la Flandre et mettre sur un pied d’égalité le néerlandais et le français à Bruxelles ? 2. Le principe de base : la liberté linguistique La Belgique connaît trois langues officielles : le néerlandais, le français et l’allemand. La Constitution stipule que l’emploi des langues usitées en Belgique est facultatif et ne peut être réglé que par la loi, et seulement pour les actes de l’autorité publique et pour les affaires judiciaires. La liberté linguistique pour l’individu est la base de la législation de l’emploi des langues. Dans la vie privée, tout le monde peut employer sa langue préférée. L’emploi des langues dans le domaine privé, aussi bien dans les domaines culturels, sociaux que commerciaux, est donc libre. En Flandre, les commerçants peuvent employer n’importe quelle langue dans leurs magasins. La même liberté vaut pour les médias. Dans les kiosques, on peut acheter des * Jean Dujardin est secrétaire honoraire de la ville de Gand et professeur à la Vrije Universiteit, à Bruxelles. 224 REVUE D’AMÉNAGEMENT LINGUISTIQUE – HORS SÉRIE – AUTOMNE 2002 journaux et des magazines dans toutes les langues, et pour la télévision les Flamands ont le choix entre au moins trente canaux et des programmes en sept langues. 3. Et pourtant… il y a une réglementation pour l’emploi des langues Dans un cas, la Constitution elle-même stipule l’emploi des langues en imposant que le texte de la Constitution doit être établi en néerlandais, en français et en allemand. Dans les autres cas, l’emploi des langues ne peut être réglé que par une loi (au niveau fédéral) ou par un décret (au niveau des communautés et des régions) et seulement dans les domaines qui sont énumérés limitativement dans la Constitution. Ce sont : - les actes de l’autorité publique et pour les matières administratives; - les affaires judiciaires; - l’enseignement dans les établissements créés, subventionnés ou reconnus par les pouvoirs publics. Chaque personne a le droit d’ouvrir en Flandre une école et de donner de l’enseignement dans n’importe quelle langue, mais les écoles reconnues ou subventionnées doivent donner leur enseignement en néerlandais; - les relations sociales entre les employeurs et leur personnel ainsi que les actes et documents des entreprises imposés par la loi ou les règlements. Et pourtant il y a des dispositions qui prescrivent l’emploi des langues dans un certain cas sans que celui-ci soit énuméré dans la Constitution. C’est le cas pour la loi du 24 janvier 1977 sur les denrées alimentaires qui prescrit que les mentions qui figurent sur l’étiquette et qui sont rendues obligatoires en exécution de la présente loi sont au moins libellées dans la langue de la région linguistique où les produits sont mis sur le marché. 4. Les régions linguistiques La législation linguistique prescrit l’emploi des langues dans l’Administration, l’enseignement, la justice et les entreprises, suivant le principe de la territorialité, c’est-à-dire que la loi a établi les régions linguistiques et a prescrit quelle langue doit être considérée comme langue officielle. Le principe de la territorialité est depuis des années 1930 la base de la réglementation linguistique et il l’est demeuré jusqu’à ce jour. La Belgique comprend quatre régions linguistiques : la région de langue néerlandaise, la région de langue française, la région de langue allemande et la région billingue de Bruxelles-Capitale. Cette « régionalisation linguistique » ne veut pas dire que dans ces régions on parle effectivement le néerlandais, le français ou l’allemand, mais seulement que, juridiquement parlant, dans ces régions le néerlandais, le français ou l’allemand doit être obligatoirement employé dans l’Administration, l’enseignement, la justice et les entreprises. Il est important d’attirer l’attention sur les exceptions au principe de la territorialité. C’est le cas pour les six communes de la périphérie bruxelloise et les six communes de la frontière linguistique situées dans la région de langue néerlandaise (par exemple la L’EMPLOI DES LANGUES EN FLANDRE 225 commune de Fourons). Dans ces communes il existe des « facilités » linguistiques pour la population de langue néerlandaise, c’est-à-dire que les francophones peuvent s’adresser à l’Administration en français et que l’enseignement préscolaire et primaire existe ou peut être donné en français. Dans quatre communes situées dans la région de langue française, la loi prévoit les mêmes facilités pour les néerlandophones et la loi prévoit dans toutes les communes de la région linguistique allemande des facilités pour la population de langue française. Il est vrai que le recours aux facilités n’est pas fréquent, sauf dans les communes de la périphérie bruxelloise qui sont situées autour de la région bilingue de Bruxelles-Capitale mais qui font partie de la région de langue néerlandaise. Dans ces communes, les francophones, qui forment dans certaines communes une majorité, exigent l’assimilation aux communes de la région Bruxelles-Capitale et donc un régime bilingue. 5. Bruxelles… un cas à part Pendant des siècles, Bruxelles était une ville flamande ou une ville avec une très vaste majorité de néerlandophones. La ville est encore aujourd’hui géographiquement située dans la région de langue néerlandaise, mais est devenue une région bilingue, la seule en Belgique. Bruxelles est une ville de minorités linguistiques; c’est aussi le sentiment des néerlandophones qui y habitent. La francisation est le résultat d’une évolution constante sous l’influence de l’Administration, de l’enseignement et des circonstances sociales. La ville ainsi francisée s’est constamment agrandie et il faudrait une loi pour limiter la région de Bruxelles-Capitale aux dix-neuf communes avec un statut bilingue et une représentation équilibrée entre néerlandophones et francophones. 6. La comparaison avec la législation sur l’emploi des langues au Québec1 Il est très difficile de comparer les législations linguistiques parce que les statuts sont souvent liés à des situations historiques et à des compromis politiques. L’influence des statuts étrangers n’est pas évidente. Ce n’est que par après qu’on peut constater certaines ressemblances. Ceci est vrai pour la Belgique, et je présume que ce n’est pas autrement au Québec. En comparant les deux législations, on peut constater : - Que le Québec exerce son pouvoir dans le domaine de l’emploi des langues concurremment à l’État fédéral et qu’il doit respecter des dispositions constitutionnelles obligeant à observer le bilinguisme dans de nombreux secteurs. En Belgique, on connaît le principe de la territorialité, c’est-à-dire qu’une langue (le néerlandais, le français ou l’allemand) est considérée comme la langue officielle de la région linguistique, sauf pour la région de Bruxelles-Capitale qui est la seule région bilingue et dans les quelques communes où il existe des « facilités linguistiques ». - Au Québec, le citoyen a le droit de communiquer avec l’Administration en français ou en anglais. L’obligation de l’utilisation exclusive du français vaut, en effet, seulement pour les communications à l’intérieur des organes de l’Administration et pour les rapports de l’Administration avec les personnes morales établies au Québec. 1 Cf. L. Domenichilli (1999). Constitution et régime linguistique en Belgique et au Canada, Bruxelles, Bruylant, p. 114-122. 226 REVUE D’AMÉNAGEMENT LINGUISTIQUE – HORS SÉRIE – AUTOMNE 2002 L’individu a le droit de s’exprimer dans sa langue. En Flandre, les particuliers et les entreprises doivent utiliser exclusivement le néerlandais dans leurs rapports avec les services locaux ou les services régionaux de la région de langue néerlandaise. Il existe une exception uniquement pour les habitants des communes à statut spécial. - Au Québec, les entreprises peuvent négocier avec l’Office de la langue française des programmes personnalisés, adaptés à leurs activités, et des exceptions à l’obligation d’utiliser le français. En Flandre, toute entreprise établie sur le territoire de la région de langue néerlandaise est tenue, sans exception, à l’emploi du néerlandais dans les relations sociales entre les employeurs et leur personnel, et dans les documents des entreprises. - Au Québec, l’inscription à l’école anglaise est réservée aux enfants dont le père ou la mère ont reçu, au Canada, la majeure partie de l’enseignement primaire ou secondaire en anglais. Dans les écoles en Flandre, les exceptions à l’emploi du néerlandais comme langue d’enseignement sont exclues, sauf dans les communes à statut spécial. Dans les régions unilingues, la langue maternelle de l’enfant n’est donc pas prise en considération.