Les Petites Empêchées – Histoires de Princesses » de Carole Thibaut

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Les Petites Empêchées – Histoires de Princesses » de Carole Thibaut
« Les Petites Empêchées – Histoires de Princesses » de Carole Thibaut
Une montagne drapée de tissus, rappelant étrangement la partie inférieure d’une énorme robe de princesse trône sur
la scène du Théâtre de l’Est Parisien. Derrière, un pan lumineux représente une couronne démesurée. Une lumière
bleuté installe une ambiance de mystère. Nous voici déjà plongés dans l’univers des Petites Empêchées, conte
féérique doté de mystères et de personnages aussi disparates que fascinants.
Un conte pour enfants qui renverse l’image des princesses
Une Reine qui ressemble à s’y méprendre à la méchante Reine de Banche Neige (la faute au miroir qu’elle invoque) a
deux filles qu’elle surprotège au point de ne jamais les laisser sortir de ses jupes. La crainte qu’elles ne se fassent
dévorer par les loups comme feu le Roi leur père hante la Reine, qui passe ses nuits recluse lors de la pleine lune. Elle
les éduque durement, les empêche de vivre, de tomber amoureuses ou de voir le monde et les punit sévèrement en
les enfermant dans une cage dorée lorsqu’elles font des bêtises. Arrive dans le royaume gagné par les ronces et
l’obscurité la marraine Nimue, amie de longue date du Roi. Voyant à quel sort sont destinées les petites princesses
empêchées, elle entreprend de les délivrer puis de leur raconter la vérité à propos de leur mère…
Dans ces contes qui bercent notre enfance, les princesses sont destinées à rencontrer le prince charmant, à se marier
et à lui faire beaucoup d’enfants, le tout vendu avec le pack intégral (lessive, ménage, entretien du château, et torcher
les marmots pendant que le prince charmant ira se pavaner à la chasse). Belle perspective en réalité, qui engendre
des traumatisées ! Ici, Carole Thibaut propose aux enfants de rencontrer deux petites princesses, Angèle-Ange et
Chérie-Rose. Etant “empêchées” de grandir, elles ont des désirs qui les font vibrer au plus profond d’elles mêmes :
l’une veut parcourir le monde afin de « se trouver », et l’autre rêve de vivre avec un berger qu’elle a rencontré lors
d’une escapade, à condition qu’il la laisse danser, bien entendu. Cette perspective rentre en accord avec une
émancipation féminine d’actualité, le tout conjugué avec l’intelligence du conte pour enfant qui fait rêver les petites
filles et conditionne les petits garçons, ne les oublions pas.
© Gil
Des personnages caricaturaux qui relativisent les clichés !
Pourquoi la Reine qui élève durement ses petites filles devrait forcément être la méchante ? Ici, les références aux
contes que nous connaissons bien se multiplient et forment un patchwork qui donne une belle couleur à la pièce de
Carole Thibaut. On retrouve beaucoup des princesses qui nous ont accompagnés dans notre jeunesse. La Reine
aussi fut une princesse avant de se marier au prince charmant devenu Roi… l’aurions-nous oublié ? Mais quelle
princesse, ça, je vous laisse le découvrir !
Le travail de Carole Thibaut se concentre depuis quelques années sur la féminité, ses principes, ses idéaux… Nous
avons fait sa connaissance au cours de son spectacle « Fantaisies – L’idéal Féminin n’est plus ce qu’il était ». Après
s’être penchée sur les clichés de la féminité d’aujourd’hui, elle décide d’aller regarder ce qui conditionne une femme.
Les contes de fée ont une part de responsabilité : « [Les Petites Empêchées] questionne la construction de nos
projections culturelles “idéales” de vie et d’avenir de femmes, et ce, dès notre plus jeune âge ». Pour ce faire, l’auteure
n’a pas hésité à aller échanger avec des enfants et des adolescentes entre 6 et 14 ans qui sont directement
concernées par le sujet.
La féérie sur scène
La scénographie de Carole Thibaut et Patricia Labache amène une atmosphère magique. Toute l’action se déroule
autour de cette jupe géante gagnée par le végétal, cette pomme colossale sortie de la terre pour alimenter les histoires
de princesses. Ce décor multi-fonction a le charme que donne Carole Thibaut à son oeuvre : à la fois conte,
questionnement, et grand écart entre tradition et modernité, ce spectacle va plaire aux petits comme aux grands.
Cinq femmes font l’histoire des Petites Empêchées. La Reine, incarnée par l’auteure et metteuse en scène Carole
Thibaut, fait preuve de magnificence du haut de sa robe bleu nuit, qui se dresse “tel un palais de soie et de velours”.
La marraine Nimue (Maryline Even) revenue après des années d’exil révèle cette tendresse qu’on retrouve chez la
marraine des contes de fée. Elle va aider les princesses, sans oublier de glisser quelques conseils avisés : « Il n’y a
pas de plus grand danger que l’ignorance et la naïveté ». La rebelle Angèle-Ange qui rêve de parcourir le monde est
interprétée par Fanny Zeller, et la rêveuse Chérie-Rose par Karen Ramage. Elles sont aussi dissemblables par leur
caractère que deux soeurs peuvent l’être ! Enfin, celle que qu’on pourrait voir comme un “clin d’oeil féminin”, cette
princesse dans le fond qui se réveille pour chanter quelques airs d’amoureuse transie (« Un jour mon prince viendra »,
« La Chanson de Solveig » etc.) mais qui dort depuis de longues décennies (tiens ! Cela vous rappelle quelqu’un ?)
est interprétée par Astrid Cathala. Ce personnage vocal n’a pas fini de ravir de cocasseries le jeune public !
(…)
Les petites filles vont maintenant pouvoir rêver intelligemment !
Ottavia Locchi –