Agir pour comprendre et pas l`inverse - Psycho

Transcription

Agir pour comprendre et pas l`inverse - Psycho
Sexologie
Paul Waterkeyn, Psychothérapeute
Agir
pour
comprendre…et
pas
l’inverse
« Ne rien faire pour que rien ne soit pas fait ». Pensée taoïste
Pour éviter de reproduire un problème il est indispensable de faire le lien entre sa survenance,
sa persistance et la dynamique qui l’entretient.
Voici la description d’un cas dans lequel un couple consulte suite à la persistance d’un
problème sexuel. Il définit son problème comme étant de l’éjaculation précoce. Nous verrons
plus loin qu’en réalité ce couple confond le problème et la conséquence. Comme la plupart du
temps l’éjaculation précoce est la conséquence d’autre chose, le dire ne servirait à rien.
Afin de nous permettre de comprendre ce qui se passe, nous avons eu recours à un stratagème
d’origine chinoise que l’on pourrait définir comme suit : « traverser l’océan à l’insu des
nuages »(1). Cela peut se traduire par le fait d’introduire un changement sans que les usagers
ne prennent conscience d’avoir opéré ce changement. La nature du problème lui-même,
l’éjaculation précoce, relève d’une tentative de contrôle sur ce qui ne peut être contrôlé par la
volonté, l’éjaculation étant « actionnée » par le système nerveux autonome.
Nous avons procédé à l’examen de la difficulté de manière particulière. Nous avons demandé
à chaque partenaire de décrire comment chacun d’eux pense que l’autre doit pouvoir être aidé.
Le problème du thérapeute est que le couple s’enferme dans la recherche d’une solution
radicale, qui s’apparenterait à un « truc » pour résoudre leur problème sexuel. Implicitement,
ce couple désire augmenter sa capacité de contrôler le problème, plutôt que d’affronter
certaines peurs cachées. Nous travaillons d’emblée sur les conséquences d’une pensée
négative qu’ils ont à propos d’eux-mêmes et qui les amène à vouloir contrôler plus, alors que
cela ne sert à rien. Nous devrons nous concentrer sur les tentatives répétées de contrôler la
difficulté, et qui sont en quelque sorte les responsables d’une image négative qu’ils ont d’euxmêmes. Ces tentatives trouvent leur origine dans une pensée négative que chacun a vis-à-vis
de lui-même du style : « je ne suis pas à la hauteur ». Et donc les tentatives de contrôle seront
basées sur la peur de ne pas l’être. Le leur expliquer ne servirait à rien. Selon le principe
« d’agir pour comprendre » et non l’inverse, nous leur proposerons la pratique d’un exercice.
Voici le compte rendu de l’entretien suite à la question du thérapeute : « Pourquoi pensezvous que votre partenaire est ici en thérapie ? Quelle va être, selon vous, sa demande ? »
Pour la partenaire X (s’exprimant en lieu et place de son partenaire) : mon corps est en
décalage avec ce que je voudrais qu’il soit.
Thérapeute : qu’est ce qui va résulter à votre avis du fait que votre corps soit plus en accord
avec ce que vous voudriez ?
X : je pourrai la satisfaire.
Th. : pouvez-vous décrire comment vous pensez qu’il faut vous y prendre pour y arriver ?
X : ben … comme ça doit se faire euh je … par une pénétration plus longue et par un bon
contrôle de l’éjaculation.
Th : qu’est-ce que vous faites pour y arriver ?
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X : contrôler mieux.
Th : que pensez-vous qu’il va arriver si vous n’y parvenez pas ?
X : ben ma partenaire ne pourra pas jouir et elle ne sera pas heureuse.
Th : y a-t-il des risques à ne pas y arriver ?
X : je ne sais pas trop … je ne pense pas qu’il y en ait mais c’est quand même embêtant.
Th : et vous, Monsieur, pourquoi pensez-vous que votre partenaire est venue? Comment
imaginez-vous qu’elle formulerait sa demande ?
Y : j’aimerais que le coït me donne plus de satisfaction, je voudrais l’aider à tenir plus
longtemps.
X : je voudrais qu’il se contrôle mieux.
Th : comment ce coït est-il sensé lui donner satisfaction ?
Y : qu’il y ait un effet de détente, la même chose que l’orgasme.
Th : et via le coït pensez-vous qu’elle sache comment y arriver ?
Intervention de X : je pense bien.
X : pour cela il faudrait qu’il puisse tenir plus longtemps.
Th : est-ce déjà arrivé ?
Y : oui quand j’ai plus d’assurance je crois qu’alors elle y est arrivée plus vite.
Th : vous n’en êtes pas sûr ?
Y : pas vraiment, j’en avais l’impression.
Th : cela signifie-t-il que vous n’en parlez pas ?
Y : pas vraiment.
Th : c’est un sujet difficile ?
Y : je suppose que ça l’est.
Remarque : on voit ici apparaître un premier évitement, on ne parle pas de la difficulté.
Th : bien, maintenant, quelles seront les conséquences de tenir plus longtemps ?
X : ça lui donne plus confiance en lui.
Y : ça lui donnera l’impression d’être plus femme.
Th : permettez-moi de vous poser une question, disons, plus technique : avez-vous, l’un et
l’autre, une idée précise de la manière dont l’orgasme doit surgir pour Madame ?
X : je pense que oui.
Th : pouvez-vous avec certitude parler d’orgasme via cette approche sexuelle qu’est la
pénétration ?
X : euh (visiblement embarrassée) je pense que oui.
Th : et vous Monsieur savez-vous comment cela doit se produire ?
Y : euh ! Je suppose que cela doit se passer par le frottement après que j’ai pu tenir assez
longtemps.
Th : cela a-t-il déjà été le cas lors des exceptions ?
Y : je suppose.
X : je pense que oui.
Remarque : on constate d’emblée que le sujet n’est pas abordé de manière aisée par les deux
partenaires.
Th : permettez-moi de résumer ce que j’ai compris jusqu’à présent de la nature de votre
difficulté : Monsieur, vous souhaiteriez pouvoir maintenir une érection assez longtemps sans
éjaculer pendant un coït, ce qui aurait pour effet de donner du plaisir à votre partenaire voire
lui procurer un orgasme. Même si vous avez une idée assez vague de la manière dont cela doit
se produire. Ce qui devrait avoir pour effet de rassurer votre partenaire sur vos capacités
viriles et vous donner plus de confiance vous. Est-ce correct ?
Y : oui, je pense que c’est à peu près ça !
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Th : Madame, vous aimeriez que Monsieur puisse vous donner un orgasme par la pénétration
en tenant suffisamment longtemps pour vous laisser le temps d’y parvenir, bien que vous ne
soyez pas tout à fait sûre du mécanisme par lequel cela doit se produire.
X : c’est à peu près cela.
Th : peut-on donc dire que vous, Monsieur, vous devez vous débrouillez pour savoir comment
cela doit se produire, ou alors votre partenaire s’efforce-t-elle de vous éclairer.
Y : je pense plutôt que je dois me débrouiller.
Th : il faut d’abord que je vous mette en garde vis-à-vis d’un élément très important
concernant le mécanisme de l’éjaculation et de l’orgasme en général. Plus vous allez essayer
de contrôler l’éjaculation et plus vous en perdrez le contrôle. De même, plus la partenaire
pousse ou veut aider le compagnon à contrôler et plus il va échouer. Je vais vous donner un
exercice à faire, qui va nous permettre de comprendre ce qui se passe. Il faudra pour cela faire
strictement ce que je vous demande de faire. Il faut savoir aussi qu’éviter d’aborder le sujet de
manière précise aura pour effet d’aggraver votre difficulté.
D’ici le prochain rendez-vous j’aimerais que vous fassiez l’exercice en trois points que je
vais vous décrire maintenant : lors de votre prochain rapprochement sexuel, arrangez-vous
tous les deux pour que Monsieur puisse éjaculer le plus rapidement possible. Ensuite, pendant
la demi-heure qui suit, Monsieur, vous demanderez à Madame de vous expliquer comment
elle désire passer cette demi-heure. Votre partenaire devra faire exactement ce que vous lui
demanderez en dehors de la pénétration.
Après cette demi-heure vous pourrez recommencer comme vous l’entendez.
Nous les revoyons pour la deuxième fois durant la même semaine. Ils ont tenu à revenir pour
diverses raisons.
Voici le compte-rendu de la séance :
Th : avez-vous fait l’exercice ?
X : oui mais ça n’a pas marché.
Th : qu’entendez-vous par-là ?
X : nous n’avons pas réussi.
Th : pouvez-vous me décrire dans l’ordre ce que vous avez fait et comment ? En commençant
par le commencement : le faire venir le plus vite possible ?
X : oui nous l’avons fait.
Th : comment vous y êtes-vous pris ?
X : j’ai proposé de le faire à la main et cela a été fait assez vite.
Le compagnon se tait, il laisse parler sa compagne.
Th : ensuite ?
X : nous avons parlé ensemble et nous avons fait des portraits de nus.
Th : et après ?
X : je n’ai pas émis le souhait qu’il me fasse l’amour.
Th : et après la demi-heure ?
X : c’est bien de ça que je parlais.
Th : et vous (m’adressant au partenaire) cela vous a convenu ?
Y : en général je suis assez d’accord avec ce qu’elle propose.
Th : et vous y trouvez votre compte ?
Y : ben ! C’est assez frustrant de ne pas pouvoir rendre la pareille.
Th : y a-t-il des choses que vous feriez bien mais dont vous ne vous sentez pas en droit de les
faire par peur de choquer ou de l’éloigner ?
X (interrompant) : je ne peux m’abandonner que par la pénétration.
Y : je sens bien qu’il ne faut pas que j’insiste.
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Th : vous voulez être gentil avec elle et lui faire toujours plaisir ?
X : je lui ai déjà dit qu’il était trop gentil.
Th : vous aimeriez un homme qui le soit moins ?
X : rougissant. Non ! Je ne le voudrais pas.
Th : si j’ai bien compris, vous faites des efforts pour lui faire plaisir dans l’étroite possibilité
qu’elle vous offre et vous échouez de plus en plus. Cela risque de ne pas s’arranger.
X : il faut quand même que l’on vous dise qu’hier, nous avons eu une relation sexuelle durant
laquelle il a bien tenu.
Th : ah bon ! Pouvez-vous me dire comment cela a pu avoir lieu.
X : eh bien, c’était dans la salle de bain. Je lui ai demandé de me prendre par derrière.
Y : pardon, c’était moi qui te l’ai proposé.
X : tu en es sûre ?
Y : mais oui, c’est moi.
Th : vous avez donc pu avoir du plaisir ?
Y : elle n’a pas voulu continuer.
X : non, c’était bien comme cela.
L’éthique du traitement et le respect de la demande sont saufs :
Quelle est leur demande ? Leur demande est : « aidez nous à résoudre notre problème sexuel »
(et rien d’autre).
Ce qui fait fuir les usagers en sexologie, c’est que l’on se mêle de savoir « d’où cela vient ».
Tant que cela ne fait pas partie de leur recherche personnelle, ils vont considérer comme
intrusif tout questionnement destiné à faire des liens. On verra pourtant que leur véritable
difficulté est la confiance et l’estime de soi. Par ailleurs, il n’y aura pas non plus
d’acharnement thérapeutique comportemental via des exercices qui renforceraient leurs
tentatives de contrôler l’éjaculation. L’échec de ces tentatives augmenterait dangereusement
leur impression de ne pas être à la hauteur. Il n’est en effet pas rare qu’après une thérapie
basée sur des exercices sensés contrôler le problème, la personne n’y étant pas parvenu, elle
s’en attribue l’entière responsabilité. Dans ce cas la sensation de dévalorisation peut la
déprimer.
Agir pour comprendre.
Le deuxième entretien a mis en évidence que le partenaire se laisse entraîner par les desiderata
de sa compagne, ce qui a pour effet de l’éloigner de ce qu’il ressent comme bon, de faire ou
de dire. Comme bon nombre de personnes qui manquent de confiance en elles-mêmes, il va
poursuivre un but utopique (utopique par rapport à l’ici et maintenant) : « tenir sans
éjaculer ». Cet homme doit pouvoir s’opposer à sa femme pour réussir. Mais celle-ci vivrait
mal son opposition et il le sait. Tout est focalisé sur lui.
La difficulté de la jeune femme est liée au contrôle qu’elle impose par peur d’être prise en
défaut. Puisqu’ils sont arrivés à différer l’éjaculation, il reste maintenant à comprendre ce qui
a rendu possible cette différence. Si on se réfère à ce qui s’est passé, on remarque que
l’homme a pris une initiative qui lui convient particulièrement. En réalité il a surpris sa
partenaire. Il a refusé le contrôle habituel de celle-ci. Elle a commencé par contester que ce
fût lui qui prit cette initiative.
On verra que la régulation de l’éjaculation précoce n’a pas arrangé leur problème de
confiance. Arrivés à ce stade, les partenaires peuvent arrêter la thérapie car le « supposé
problème » semble se réguler comme par magie. Cependant, tant qu’ils n’auront pas compris
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quels sont les mécanismes qui entretiennent l’apparition de l’éjaculation précoce (la tentative
de contrôle), il réapparaîtra. Le partenaire masculin doit comprendre qu’être gentil l’amène à
accepter ce qui est inacceptable pour lui. Il accepte que sa compagne définisse les règles du
jeu relationnel et sa crainte de la contredire lui fait perdre confiance en lui. La femme, quant
à elle, devra comprendre qu’elle exerce sur son partenaire une pression par laquelle elle lui
fait porter le chapeau du problème sans qu’il soit possible de la remettre en question ellemême. « Je suis capable, de facto, de bien faire l’amour. Le problème c’est lui. Il n’arrive pas
à se contrôler ».
A ce stade nous construirons un système de perception de la difficulté qui permettra son
recadrage. Ce recadrage sera centré sur chaque partenaire. Il interpellera chacun sur la
croyance qui entretient les tentatives de contrôle.
Bibliographie :
-
Jullien François, « Traité de l’efficacité », Grasset, Livre de poche biblio essai, 1996
Nardone Giorgio, « Chevaucher son tigre », Seuil, couleurpsy, 2008
Nardone Giorgio, Rampin Matteo, « La mente contra la natura », Ponte alle grazie,
Milan, 2005
Jolang Chang, « Le Tao de l’art d’aimer », Calman-Levy, Pocket, Paris 1977
Kircher François, « Les 36 stratagèmes », éd. Du Rocher, L’art de la guerre, 2001
Nardone Giorgio, « Peur panique phobies », L’Esprit du Temps, Psychologie, 1996
Haley Jay, « Stratégies de la psychothérapie », Érès, Relations, Toulouse, 1993
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