La Constitution au Liban : Slogans, aliénation ou authenticité ? par

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La Constitution au Liban : Slogans, aliénation ou authenticité ? par
Séminaire « Droit constitutionnel : Etudes de cas du Liban et d’Allemagne »
Faculté de Droit et de Science Politique, Notre-Dame University – Louaize
Samedi 7 mars 2015
Le 26 mai 2015
La Constitution au Liban :
Slogans, aliénation ou authenticité ?
par
Antoine Messarra *
A-t-on fini au Liban, et ailleurs dans le monde, de conjuguer le
confessionnalisme, communautarisme et sectarianisme, de palabrer sur la
Constitution libanaise, sans boussole, ni repère ? De manipuler dans un but de
pouvoir des dispositions régies par des normes de droit ? De cultiver le complexe
d’intellos sur le traditionalisme du Pacte et de l’édifice constitutionnel du Liban ?
A aucun moment, au cours du séminaire organisé le samedi 7 mars 2015
par la Faculté de Droit et de Science Politique de Notre-Dame University –
Louaize en partenariat avec la Fondation Konrad Adenauer sur le sujet : « Droit
constitutionnel : Etudes de cas du Liban et d’Allemagne », des mots devenus des
slogans n’ont été employés.
La participation d’éminents spécialistes, qui n’ont jamais versé dans
l’idéologie ou le dogmatisme, a permis de cibler l’attention sur les fondements, la
classification et les normes constitutionnelles en perspective comparée, de façon
prospective et souvent interdisciplinaire (Maan Bou Saber, Peter Rimmele,
Antoine Hokayem, Khaled Kabbani, Rabih Kays, Issam Sleiman, Tarek Majzoub,
Jörg Menzel). L’intérêt du séminaire est qu’il s’adresse surtout aux étudiants en
droit, souvent ballotés dans des débats et palabres polémiques.
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On peut dégager des communications et débats deux perspectives
opérationnelles.
1. L’apport des travaux comparatifs et notamment l’apport allemand : Un
inventaire quasi exhaustif, avec des références abondantes et souvent peu
connues, de l’apport de l’Allemagne et de la Fondation Konrad Adenauer en
particulier, au dialogue constitutionnel libanais et à la recherche fondamentale et
*
Membre du Conseil constitutionnel, titulaire de la Chaire Unesco d’étude comparée des
religions, de la médiation et du dialogue, Université Saint-Joseph.
Le texte est un extrait inédit de la conférence de synthèse par l’auteur.
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Séminaire « Droit constitutionnel : Etudes de cas du Liban et d’Allemagne »
Faculté de Droit et de Science Politique, Notre-Dame University – Louaize
Samedi 7 mars 2015
empirique, de 1980 à nos jours, a fortement favorisé l’acculturation du droit
constitutionnel libanais.
Les pères libanais fondateurs de la Constitution, et ceux français durant le
mandat, ont parfaitement compris les spécificités de la gestion démocratique du
pluralisme religieux et culturel au Liban.
Par la suite, des auteurs, programmés aux schèmes exclusifs du nationbuilding, à l’idéologie jacobine de l’édification nationale, au melting pot à
l’américaine et, pire, à l’idéologie sioniste de l’espace identitaire, ont publié des
travaux sur le Liban « nation fragmentée », « erreur historique et
géographique », « confessionnalisme et chaos »…
Des auteurs arabes, au mépris d’un patrimoine séculaire de gestion du
pluralisme religieux et culturel, patrimoine pourtant modernisable, ont méprisé
les aménagements constitutionnels libanais. Ils se trouvent aujourd’hui
confrontés au dilemme de la sauvegarde du tissu pluraliste religieux et culturel
arabe (A. Messarra).
Les travaux sur la genèse de la Constitution libanaise montrent les
fondements et l’adéquation de nombreux aménagements, fruits d’une expérience
endogène (Antoine Hokayem). C’est aussi à travers la philosophie du fédéralisme
qu’on comprend les régimes d’autonomie personnelle des articles 9 et 10 de la
Constitution libanaise (Jörg Menzel, Université de Bonn).
2. Suprématie et normativité de la Constitution : L’autre principal apport
du séminaire réside dans l’exigence fondamentale de suprématie de la
Constitution, de respect effectif de cette suprématie et de ce qu’elle implique. Il
s’agit notamment de l’extension des attributions du Conseil constitutionnel de
sorte que la saisine par voie d’exception couvre la législation, et toute législation
antérieure au nouveau Préambule de la Constitution amendée en 1990 (Issam
Sleiman).
La gouvernance constitutionnelle
Les communications et débats sont centrés sur la gouvernance
constitutionnelle. En effet la Constitution la plus adaptée est comparable à une
ordonnance médicale. Cette ordonnance n’est pas le remède. Le patient s’est-il
procuré le médicament ? S’est-il administré les prescriptions de l’ordonnance ? At-il observé les doses prescrites ? S’il s’est administré le remède sans guérir, c’est
alors qu’il faut refaire le diagnostic et modifier les prescriptions.
L’Accord de Taëf, fruit d’un dialogue national interne, à l’exception de la
clause relative au retrait de l’armée syrienne du Liban, a institué des normes et
procédures qu’il s’agit de respecter (Khaled Kabbani). En outre, il ressort de la
genèse même de l’art. 49 amendé de la Constitution (« Le chef de l’Etat veille au
respect de la Constitution) qu’il faudra désormais substituer à l’idéologie des
salâhiyyât présidentielles (attribution), un rôle de magistrature suprême du Chef
de l’Etat, qui est un conseil constitutionnel avant le Conseil constitutionnel (Rabih
Kays).
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Séminaire « Droit constitutionnel : Etudes de cas du Liban et d’Allemagne »
Faculté de Droit et de Science Politique, Notre-Dame University – Louaize
Samedi 7 mars 2015
Il en découle que la crise n’est pas tant constitutionnelle, mais porte sur la
règle de droit (Tarek Majzoub). Dans cette perspective, des dispositions
constitutionnelles, dont l’art. 65, sont manipulées, sous couvert de consensus, de
pacte, de veto de blocage… On sape ainsi le principe universel et pragmatique du
vote. Il s’agit d’éviter à la fois l’abus de majorité et l’abus de minorité. La
majorité qualifiée du nouvel l’art. 65, dans des questions bien délimitées, est fort
explicite sur ce point.
Plus grave est la propagation aujourd’hui au Liban d’une privatisation et
subjectivisation du droit. Il y a, limitativement, des droits individuels et
subjectifs. Mais celui qui exerce une fonction publique, en tant que député,
ministre, fonctionnaire et même le citoyen électeur, le droit dont il dispose est
fonctionnel en vue de l’exercice d’un devoir public (Maan Bou Saber).
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Le séminaire ouvre la voie à des travaux plus élaborés dans deux
domaines au moins :
- Il faudra œuvrer davantage à l’acculturation du droit constitutionnel
libanais, surtout auprès des étudiants et de la jeune génération ;
- Il faudra clarifier les exigences de suprématie de la Constitution, et aussi
de la gouvernance constitutionnelle, du fait que des dispositions de la loi
fondamentale sont violées au quotidien avec des argumentations légalistes et
donc superficielles.
Antoine Nasri Messarra
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