HYPERTENSION ARTERIELLE ESSENTIELLE (A. BAGLIN)
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HYPERTENSION ARTERIELLE ESSENTIELLE (A. BAGLIN)
HYPERTENSION ARTERIELLE ESSENTIELLE (A. BAGLIN) L’hypertension artérielle (H.T.A.) permanente, anomalie très fréquente, augmente nettement, chez le sujet qui en est atteint, le risque de complications cardio-vasculaires dans les années ou les décennies à venir. Son dépistage et son traitement doivent être donc considérés comme des gestes de prévention du risque cardio-vasculaire. Il s’agit d’un grand problème de santé publique. I - QUELQUES DEFINITIONS Hypertension artérielle (systémique) 1 - Quand on parle d’HTA, on sous-entend qu’il s’agit de l’HTA systémique, c’est-à-dire de l’existence de valeurs trop élevées de pression artérielle (PA) dans les artères de la grande circulation (aorte et ses branches de division). Ceci, par opposition à l’HTA pulmonaire (HTAP), qui est une maladie totalement différente, et qui relève éventuellement d’autres causes. 2 – Les chiffres de PA, à partir desquels on parle d’HTA, ont évolué avec le temps. D’un point de vue pragmatique, on considère qu’est hypertendu un sujet dont la baisse des chiffres tensionnels obtenus par le traitement réduit la mortalité et la morbidité (notamment cardio-vasculaires). La mise au point de médicaments anti-hypertenseurs plus efficaces et mieux tolérés a amené à abaisser progressivement la limite entre normotension et HTA. Actuellement est considéré comme adulte hypertendu, un patient dont la pression artérielle systolique est égale ou supérieure à 140 mmHg ou la pression artérielle diastolique égale ou supérieure à 90 mmHg. Ces valeurs doivent être modifiées dans certaines circonstances : Chez l’enfant les valeurs limites sont d’autant plus basses que l’enfant est plus jeune. Chez la femme enceinte, en début et au milieu de la grossesse, la P.A. baisse d’environ 20 mmHg pour la systolique et de 10 mmHg pour la diastolique. Les chiffres pour parler d’HTA sont donc diminués d’autant. Hypertension artérielle permanente La pression artérielle n’est pas une constante, mais une variable. Elle augmente lors de l’état de veille (le jour), lors de l’effort physique, lors d’un stress (notamment la consultation médicale = effet « blouse blanche »), et diminue lors du repos et du sommeil. Les chiffres à retenir sont les chiffres observés de jour, au repos, en position couchée ou assise au cabinet du médecin. Malgré ces précautions, la P.A. peut varier d’un jour à l’autre. Il peut être alors utile de recourir à l’auto-mesure par le patient lui-même, ou à la mesure ambulatoire de la pression artérielle (MAPA), aussi appelée « holter tensionnel », qui enregistre la PA automatiquement à intervalle régulier sur une période de 24 heures. Dans ces cas, la limite est de 135/85 mmHg (la nuit, en période de repos, la pression artérielle est normalement inférieure à 120/75 mmHg). Avant de prendre en charge un patient hypertendu, dans le cadre d’une prévention cardio-vasculaire, il faut vérifier le caractère permanent de l’HTA, c’est-à-dire son existence à 3 examens successifs répartis sur 1 à 2 mois (ou sur quelques jours si la PA atteint ou dépasse 180/110 mmHg). Hypertension artérielle essentielle L’H.T.A. peut être due à des maladies précises et identifiables : on parle alors d’H.T.A. secondaire. Dans la très grande majorité des cas (plus de 95 %), on ne retrouve pas de cause précise et l’élévation de la P.A. correspond à la modification d’un ou de nombreux paramètres qui conditionnent le niveau de la pression artérielle. On parle alors d’HTA essentielle. Chapitre IV, page 1 1 II – EPIDEMIOLOGIE Elle est fondamentale pour comprendre les raisons du traitement des hypertendus. Prévalence Une H.T.A. permanente est observée dans environ 15 % de la population adulte des pays occidentaux. La prévalence augmente avec l’âge (vers 3 % vers 20 ans, 15 % vers la cinquantaine, plus de 30 % après 70 ans). Chez les patients âgés, l’H.T.A. est souvent due à une élévation isolée de la P.A. systolique (HTA systolique) liée, entre autres, à l’augmentation de la rigidité de la paroi artérielle (diminution de la compliance vasculaire). Chez la femme la prévalence est inférieure à celle de l’homme avant la ménopause, et supérieure après. Ce haut niveau de prévalence fait que toute recommandation - notamment dans le recours aux examens complémentaires - doit s’appliquer à des millions de personnes. Il est donc fondamental - en terme d’économie de santé - de ne recommander systématiquement que des examens simples et dont l’utilité a été reconnue. Morbidité et mortalité L’existence d’une H.T.A. permanente augmente nettement le risque d’accident cardio-vasculaire (facteur de risque). Cependant : Le risque augmente progressivement avec le niveau de P.A. Il n’y a pas de niveau au-dessous duquel le risque est faible et au-dessus duquel il s’élève fortement avec une “ cassure ” entre les deux. Les chiffres limites de l’H.T.A. sont en fait ceux au-dessus desquels le traitement est bénéfique et au-dessous desquels le traitement préventif n’a pas fait la preuve de sa supériorité par rapport à l’absence de traitement. L’H.T.A. n’a pas la même responsabilité dans toutes les complications observées. On peut schématiquement considérer : qu’il y a des complications qui sont directement liées au niveau de pression artérielle à un moment donné, où la hausse des valeurs augmente le risque immédiat et où sa baisse le réduit rapidement (effet à court terme). Le traitement efficace de l’HTA réduit alors rapidement et significativement le risque ; que d’autres sont dues à un effet à long terme de l’H.T.A., notamment par le biais de l’athérosclérose. Dans ce cas le traitement est efficace, mais son effet est moins net et moins immédiat. Chapitre IV, page 2 2 Le tableau I mentionne un certain nombre de ces complications Complications liées étroitement au niveau de la P.A. actuelle - Encéphalopathie hypertensive - Hémorragie cérébrale - Rétinopathie - Insuffisance cardiaque gauche - Dissection aortique - Néphroangiosclérose aiguë (“ maligne ”) Complications liées à l’effet à long terme de l’H.T.A - Accident ischémique cérébral - Cardiopathie ischémique(angor, infarctus du myocarde) - Artériopathie des membres inférieurs - Néphorangiosclérose chronique Tableau I L’H.T.A. n’est qu’un des facteurs majeurs du risque cardio-vasculaire (avec l’hypercholestérolémie, le tabagisme, le diabète sucré). En cas de facteur de risque associé à l’H.T.A, le degré de risque n’est pas additionné, mais multiplié : Exemple : aucun facteur de risque = risque 1) 1 facteur de risque = risque X 2 2 facteurs de risque = risque X 4 3 facteurs de risque = risque X 8.) C’est dire, chez l’hypertendu, toute l’importance du dépistage et de la prise en charge des facteurs de risque associés. Le traitement de la seule HTA, s’il existe d’autres risques, n’assure pas pleinement la prévention cardio-vasculaire. III - PRISE EN CHARGE D’UN HYPERTENDU Elle comprend plusieurs étapes - affirmer l’H.T.A. permanente - apprécier son retentissement - évaluer les facteurs de risque associés - rechercher une cause (l’éliminer pour parler d’HTA essentielle) - mettre en route et surveiller le traitement. Affirmer l’H.T.A. permanente 1 - Lorsqu’on découvre des chiffres trop élevés de P.A., il convient de revérifier la P.A. après plusieurs minutes de repos, de prendre la PA en position debout (vérifier l’absence d’hypotension orthostatique) de vérifier les valeurs aux deux bras (vérifier l’absence d’écart sinon la prendre toujours au même bras). si les chiffres ne sont que modérément élevés, de reconvoquer le patient pour évaluer le caractère permanent. 2 - Schématiquement, après 3 mesures de la P.A. sur quelques semaines, le sujet peut avoir : une H.T.A. permanente (élevée aux 3 reprises) une H.T.A. paroxystique (PA très élevée pendant quelques heures, normale par ailleurs). Cette H.T.A. paroxystique doit faire rechercher - entre autres - la prise de médicaments et un phéochromocytome (voir plus loin). une HTA labile (P.A. modérément élevée à certains moments, normale “ haute ” à d’autres). Cette HTA labile se superpose souvent à l’HTA limite. Pour décider de la conduite à tenir (abstention ou traitement ?), il convient : . de vérifier la P.A. en dehors d’une présence médicale, souvent facteur de stress (effet “ blouse blanche ”), (MAPA). Les chiffres observés dans la journée sont plus représentatifs de la P.A. habituelle. Chapitre IV, page 3 3 . de rechercher d’autres facteurs de risque cardio-vasculaire, dont la présence incite au traitement. Apprécier son retentissement L’HTA peut retentir sur 4 organes : l’ensemble encéphalo-rétinien, le coeur, le rein, l’aorte et les artères des membres inférieurs. Globalement, le retentissement est d’autant plus grand que les chiffres de P.A. sont plus élevés, mais ceci n’est pas toujours vrai à l’échelon de l’individu. Quelques paramètres simples permettent d’évaluer ce retentissement. Ils sont indiqués dans le tableau II RETENTISSE MENT Encéphalorétinien SYMPTOMES SIGNES CLINIQUES Souffle cervical EXAMENS Cardiaque Dyspnée (effort) Angor (effort) Bruit de galop Râles crépitants pulmonaires Claudication intermittente des M.I Souffle abdominal Diminution des pouls des M.I Electrocardiog ramme (Echocardiogr aphie) Créatininémie Protéinurie des 24 heures (Echo-doppler de l’aorte abdominale ou des artères des M.I). Céphalées (matinales) Bourdonneme nts d’oreille Vertiges : « Mouches volantes » Baisse de l’acuité visuelle Rénal Aortique et membres inférieurs (Fond d’oeil) (Echo-doppler des troncs artériels supraaortiques) Tableau II Les examens inscrits entre parenthèses ne sont pas systématiques (voir texte) Les symptômes “ encéphalo-rétiniens ” sont fréquents chez les personnes anxieuses. Il faut donc être critique avant de les attribuer à l’HTA. L’examen du fond d’oeil n’est indiqué qu’en cas de PA très élevée (supérieure à 190/110) ou de céphalées importantes. Il vise à départager ceux qui ont un retentissement nul ou faible (fond d’oeil normal, ou artères fines, rigides (stade I), signe du croisement (stade II) ; ces anomalies pouvant être en rapport avec l’âge élevé) de ceux qui ont un retentissement sévère (présence d’hémorragies ou d’exsudats rétiniens (stade III) ou d’oedème papillaire (stade IV). Ces derniers patients doivent avoir un traitement plus agressif. Les écho-dopplers artériels sont essentiellement indiqués en cas de symptômes ou d’anomalies cliniques. L’électrocardiogramme vise à dépister une cardiopathie ischémique et une HVG (ainsi qu’un trouble de la conduction contre-indiquant certains médicaments anti-hypertenseurs). Pour la recherche d’une HVG, il est nettement moins sensible que l’échocardiographie, qui ne peut cependant être considéré comme un examen systématique. Au terme de cette enquête, on se trouve schématiquement devant une HTA de gravité variable : HTA légère ; PA légèrement élevée (inférieure à 170/100) sans aucun ralentissement fonctionnel ou objectif. HTA modérée : PA plus nettement élevée (entre 170/100 et 190/110), avec peu ou pas de symptômes, et un retentissement objectif minime. HTA sévère : PA très élevée (190/110 ou plus) avec symptômes et retentissement objectif important (FO stade III ou IV, HVG ou insuffisance cardiaque gauche, insuffisance rénale). Il s’agit alors d’une urgence thérapeutique. Chapitre IV, page 4 4 Evaluer les facteurs de risque associés Ces facteurs sont mentionnés dans le tableau III Interrogatoire Examens cliniques Examens biologiques Antécédents familiaux d’accidents cardiovasculaires Sédentarité Tabagisme Surcharge pondérale Glycémie (diabète sucré) Cholestérolémie (Triglycéridémie) (Uricémie) Tableau III (l’hypertriglycéridémie et l’hyperuricémie ne sont pas des facteurs de risque indépendants, mais sont à considérer dans le choix des médicaments anti-hypertenseurs) Rechercher une cause d’hypertension artérielle Le diagnostic d’HTA essentielle est un diagnostic d’exclusion. Il faut donc, avant de retenir ce diagnostic, éliminer la probabilité d’une cause d’HTA secondaire. Les causes d’HTA sont les suivantes : prise de toxiques ou de médicaments : alcoolisme chronique, prise de réglisse (pastis sans alcool), d’estrogènes (pilule contraceptive), de corticoïdes, de décongestionnants nasaux, de médicaments antidépresseurs.... syndrome d’apnée du sommeil. Observé chez des sujets obèses, il se traduit par des ronflements nocturnes entrecoupés de pauses respiratoires, par des accès de somnolence diurne. coartaction aortique (sténose aortique congénitale en aval de l’origine des troncs supra-aortiques) donnant lieu à une HTA dans la partie supérieure du corps et à l’hypovascularisation des membres inférieurs (pouls artériels diminués ou absents). hyperfonctionnements surrénaliens hypersécrétion de cortisol (syndrome de Cushing) évoquée par l’examen clinique devant une morphologie particulière, hypersécrétion d’aldostérone (syndrome de Conn), évoquée devant une hypokaliémie avant tout traitement, hypersécrétion de catécholamines, adrénaline et noradrénaline (phéochromocytome) évoquée sur l’existence de paroxysmes avec survenue contemporaine de céphalées intenses - sueurs abondantes palpitations. maladies rénales, parenchymateuse : dépistée notamment devant l’existence d’une protéinurie, d’une insuffisance rénale (élévation de la créatininémie), plus rarement d’un petit rein à l’échographie rénale, artérielle : évoquée devant une HTA d’apparition brusque, chez un sujet athéromateux, Chapitre IV, page 5 5 Les principaux éléments de cette enquête sont rassemblés dans le tableau IV. Cause Causes toxiques et médicamenteuses Apnée du sommeil Interrogatoire Enquête Examen clinique Ronflements, pauses respiratoires Coarctation Syndrome de Conn Phéochromocytome (Enregistrement du sommeil) Abolition des pouls des membres inférieurs (chez un sujet jeune) Morphologie Syndrome de Cushing Céphalées - sueurs palpitations Maladie parenchymateuse rénale Maladie réno-vasculaire Examens complémentaires Souffle abdominal (Radio de thorax) (Angiographie) (Cortisolémie) (Cortisolurie) Kaliémie(Rénine - aldostérone) (Dérivés méthoxylés des catécholamines dans les urines) Protéinurie Créatininémie (Echographie rénale) (Angiographie des artères rénales) Tableau IV (Les examens entre parenthèses ne sont pas systématiques, mais à faire en cas d’anomalies évocatrices.) Mettre en route et surveiller le traitement 1 - Si le traitement médicamenteux anti-hypertenseur est une composante importante du traitement, il n’en est pas le seul élément. Il faut également proposer : des mesures hygiéno-diététiques, qui peuvent contribuer à baisser la pression artérielle : régime alimentaire équilibré, pas trop riche en calories ou en sodium, activité physique régulière, arrêt ou réduction de l’alcool... la prise en charge des autres facteurs de risque cardio-vasculaire : arrêt du tabac.... 2 - Les médicaments anti-hypertenseurs ne guérissent pas l’HTA : la PA “ rebondit ” à l’arrêt du traitement. Ils ne font qu’abaisser temporairement (24 H en moyenne) les chiffres tensionnels, ce qui oblige au moins à une prise quotidienne. Les médicaments sont mentionnés dans le tableau V Diurétiques Bêta-bloquants Inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC) ou antagonistes des récepteurs de l’angiotensine Inhibiteurs calciques Anti-hypertenseurs centraux Alpha-bloquants Vaso-dilatateurs directs Médicaments de 1ère intention Tableau V 3 - Ces médicaments ont pour beaucoup d’entre eux d’autres effets que la baisse tensionnelle (effets bénéfiques ou effets indésirables). Les effets bénéfiques conduisent à des indications préférentielles. Par exemple, en cas d’HTA avec angor, les bêta-bloquants (qui diminuent la consommation myocardique d’oxygène) sont privilégiés. De même l’utilisation de diurétiques et/ou d’IEC dans l’HTA avec insuffisance cardiaque. Les effets indésirables peuvent être à l’origine de contre-indications (exemple : bêta-bloquants chez les asthmatiques). 4 - En dehors de ces circonstances, l’objectif est d’obtenir chez un patient donné le meilleur rapport efficacité/tolérance. En terme d’efficacité, il faut éviter que la PA dépasse 140/90 mmHg. De plus, comme ce traitement est une mesure préventive, à suivre indéfiniment, chez un patient ne ressentant habituellement aucun trouble en rapport avec l’HTA, il est essentiel d’éviter les médicaments mal tolérés. Chapitre IV, page 6 6 Il est également utile de simplifier le traitement en donnant le moins de médicaments possible et en une seule prise quotidienne (le matin). 5 - En pratique, on commence par un médicament ayant globalement un des meilleurs rapports efficacité/tolérance (médicament de 1ère intention). Lors du contrôle suivant : si le traitement est insuffisamment efficace et bien toléré : augmenter la dose. S’il se confirme qu’il est insuffisamment efficace à lui seul : le remplacer ou éventuellement l’associer. si le traitement est mal toléré : diminuer la dose ou le changer. Le but est d’obtenir - pour un malade donné - un traitement simple à prendre, efficace pour réduire le risque cardio-vasculaire, au pris du minimum d’effets secondaires pour qu’il ait des chances d’être suivi. Une fois mis au point, ce traitement “ à la carte ” sera habituellement suivi indéfiniment. Chapitre IV, page 7 7