Les Visages de La Séduction Politique
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Les Visages de La Séduction Politique
04.09.06.Global_PA_FR_v5 10/8/04 7:17 AM Page 1 Les Visages de La Séduction Politique Volume 2, Numéro 2 Octobre 2004 www.ipsos.com/ideas Canada : La prochaine nuit américaine présidentielle s’annonce aussi interminable Lire notre article page 4 que fût la précédente, il y a quatre ans. A peine si l’on changera les swing-states : l’Ohio rejoindra cette fois la Floride ! France : Lire notre article page 5 Qui l’eût dit il y a deux mois ? La campagne sénateur John Kerry pataugeait : trop Wasp, trop institutionnelle, trop intellectuelle. Et puis, Italie : le stratège de président George W. Bush, Karl Rove, achevait de démolir Lire notre article page 7 la candidat démocrate à coup de pub ultra-négative. C’était comme si Kerry devenait sa caricature alors que Bush échappait lui aux busheries et autres piques de Michael Moore. Puis vint le débat de Miami le 30 septembre. 62 millions de Tvspectateurs, davantage que pour la remise des Oscars d’Hollywood. Et puis les inscriptions sur les listes électorales battent aussi des records. Kerry revient dans le match, les sondages deviennent contradictoires. Les enjeux – Irak ou confiance des consommateurs – s’estompent finalement derrière les personnes. On découvre que le vrai Kerry est supérieur à sa caricature, et on redécouvre chez Bush ce que l’on n’aimait pas il a quatre ans. La partie commence.... Jean-Marc Lech, Co-Président d’Ipsos 04.09.06.Global_PA_FR_v5 7:17 AM Page 2 Ipsos Ideas Les mauvaises pubs et celles qui font l’opinion Par Thom Riehle Lors de la convention de Boston (26–29 juillet), les Démocrates ont choisi John Kerry pour porter leurs couleurs dans la course à la Présidence. Un choix fondé sur l’« éligibilité » du candidat en tant que Démocrate et héros de guerre, sur fond de conflit en Irak. Kerry n’a-t-il pas passé quatre mois dans la Marine au Vietnam ? Le 9 août, sur les bords du Grand Canyon, Kerry explique aux journalistes que si c’était à refaire et en dépit de tout ce qu’il sait alors, il voterait à nouveau la résolution en faveur de la guerre en Irak. Beaucoup pensent qu’il aurait mieux fait de se jeter dans le canyon ce jour-là. S’il confirme aujourd’hui son adhésion au projet de guerre et s’il est vraiment le vétéran militaire médaillé que l’on décrit, pourquoi concourt-il contre le Président Bush? Le camp de Kerry a mesuré l’ampleur de l’erreur commise lors de cette interview. Pendant les cinq semaines qui ont suivi, Kerry a refusé de répondre aux questions des journalistes. Peut-on imaginer une seconde remporter une élection sans jamais s’exprimer dans la presse ! Kerry comptait davantage sur sa campagne publicitaire – près de cent millions de dollars dépensés dans la campagne pro-Kerry et anti-Bush entre mars et août – pour relayer son message. Kerry a mené le type de campagne que les Américains ont baptisé « Rose Garden Strategy » (la stratégie de la roseraie) : celle que les présidents en exercice adoptent volontiers en se promenant dans la Roseraie de la Maison Blanche pour éviter de répondre à la presse. Les publicités de Kerry étaient mauvaises: un mélange de souvenirs de guerre de Kerry au Vietnam, sur fond sépia et verdâtre, et de vagues promesses sur un nouveau programme de santé. La stratégie de la roseraie implique également de renoncer à trop attaquer son opposant (ce qui ne serait pas digne d’un président). Kerry n’attaquera donc pas Bush sur ses principaux points faibles, sa politique guerrière. A la mi-août, les cercles médiatiques et politiques s’accordaient, par conformisme, à voir dans la campagne de Kerry « une course à la défaite ». Les sondages réalisés par Ipsos Public Affairs d’Ipsos, en partenariat avec Associated Press, révèlent que Kerry qui bénéficiait de trois points d’avance début août (48 % Kerry, 45 % Bush) cumulait un retard de huit points début septembre (51 % Bush, 43 % Kerry). La stratégie adoptée par Kerry lui a coûté onze points: il est passé d’une position de force qui aurait pu lui permettre de mener une campagne efficace à une position de probable perdant. Dépenses en publicité, de mars à août Candidat Alliés 120 100 Millions 2 10/8/04 80 60 40 20 2 0 Kerry Bush Swift Boat Veterans for Truth © Ipsos 2004 Impact des dépenses en publicité Bush 60 Kerry Nader 54 46 47 50 48 51 43 44 46 45 43 6 5 6 avril mai juin 46 45 45 44 6 mars 50 37 40 2 3 2 juillet août 7– 9 sept. 30 jan. © Ipsos 2004 Le battage publicitaire de Bush et Kerry à la télévision entre mars et août s’est avéré parfaitement inefficace: ni les intentions de votes, ni l’image des candidats n’ont évolué. C’est alors qu’un groupuscule – les Swift Boat Veterans for Truth – décide de lancer une petite campagne publicitaire, assortie d’une brillante stratégie de relations publiques. Cette campagne, qui bouleverse le rapport de force entre les candidats, repose sur trois éléments: 1. Un encart publicitaire dans trois Etats pour vendre un livre dans lequel des personnes ayant servi aux côtés de Kerry critiquent ses faits d’arme au Vietnam et racontent comment il a protesté contre la guerre à son retour aux États-unis. L’achat d’espace s’élève à peine à 400 000 dollars et les coûts de production ne dépassent pas 3 300 dollars! Bien sûr, aucune dépense n’a été engagée en amont pour tester la publicité. Si elle représente moins d’1 % des dépenses totales de la campagne, cette publicité a pourtant eu plus d’impact que toutes les autres réunies, soit 99 % de l’argent investi par Bush, Kerry et leurs alliés. 2. Une campagne de relations publiques qui contourne les grands médias tout en les contraignant à relayer les accusations des Swift Boat Veterans. Cette campagne s’est appuyée sur les Blogs, ces sites Web individuels assortis de commentaires et opinions personnels. Ses effets sont immédiats : les grands médias sont contraints de se faire l’écho du mouvement des Swift Boat Veterans. Une stratégie payante : un sondage indique que 60 % des électeurs reconnaissent avoir vu ou entendu parler de cette publicité. Sans la couverture des grands médias nationaux, il est vraisemblable 04.09.06.Global_PA_FR_v5 10/8/04 7:17 AM Page 3 Ipsos Ideas que seuls 5% des électeurs l’auraient vue. Cette campagne au départ discrète a finalement explosé les barrières médiatiques pour pénétrer l’inconscient des électeurs. Les Blogs ont d’ailleurs démontré à nouveau leur force de frappe lorsqu’en septembre il ont dénoncé l’authenticité des documents produits par Dan Rather sur CBS News pour prouver que le président Bush n’a pas servi honorablement la patrie comme réserviste durant la guerre du Vietnam. CBS et Rather ont finalement dû admettre que ces documents étaient des faux. 3. Les critiques des Swift Boat Veterans sur les mauvais états de service de Kerry au Vietnam – qui n’intéressent pourtant personne-deviennent une charge violente contre lui lors de la convention républicaine. Dans les publicités et lors de la convention démocrate, Kerry se présente comme un héros de la guerre du Vietnam. Or les Swift Boat Veterans l’accusent de mentir sur son passé militaire et rappellent qu’il s’est opposé à la guerre de retour aux États-unis. Et alors? Tout ceci date d’il y a 35 ans. Pour porter, l’argument des Swift Boat Veterans se devait épingler la personnalité de Kerry, et démontrer quel type de président il serait. La campagne de Bush ressemblait davantage à celle du challenger qui tente d’enfermer Kerry dans sa prétendue stratégie de la roseraie. Les Swift Boat Veterans avaient semé le doute : Kerry, héros de guerre était devenu l’opportuniste avide de médailles, un fervent adversaire de la guerre. Un héros est un combattant courageux et déterminé. En salissant l’image de Kerry, ses détracteurs, y compris Bush, l’ont fait passer pour l’inverse : quelqu’un qui ne se connaît pas, un opportuniste et un instable. Personne ne veut d’un président indécis or c’est exactement ce à quoi ressemblait Kerry à la fin de ce terrible mois d’août. En septembre, deux fois plus d’électeurs considéraient que Bush était plus apte à prendre des décisions que Kerry. 80 Ipsos.com/ ideas. 75 68 70 50 61 46 50 37 30 30 20 août septembre Bush Pour recevoir Ipsos Ideas par mail, pour toute information complémentaire, merci d’envoyer un mail à [email protected] ou de nous écrire à l'adresse suivante : Ipsos Ideas 24 40 groupe Ipsos, leader mondial des études Ipsos Ideas est également accessible sur Inapte 60 Ipsos Ideas est une publication du par enquêtes. Qui est le plus apte à prendre des décisions ? Apte A propos d’Ipsos Ideas août septembre Kerry © Ipsos 2004 La publicité doit entrer dans la vie des téléspectateurs et des électeurs, sinon c’est de l’argent jeté par les fenêtres. Une minuscule campagne publicitaire, à peine un spot à l’écran, a bouleversé la campagne présidentielle américaine. Une fois les dommages constatés, Kerry a recruté une nouvelle équipe de campagne. Il a quitté la Roseraie et a commencé à se comporter en challenger, en se mettant en avant au lieu de ne compter que sur la publicité. Cela suffira-t-il à changer la donne ? Communications Department 35 rue du Val de Marne 75628 Paris Tel: + 33 1 41 98 90 00 Fax: +33 1 41 98 90 50 Directeur de la Publication : Jean-Marc Lech Comité Éditorial : Darrell Bricker Pierre Giacometti Nando Pagnoncelli Thomas Riehle Comité de Rédaction : Dan Maceluch Catherine Roussiès Charlotte Vigne Erin Williams Production : Roland Clifford Barbara Day Marketing: Elen Alexov Darcy Ulmer © 2004, Ipsos. Tous droits réservés. Premier débat télévisé opposant Bush et Kerry, le 30 septembre 2004. Vétéran des sondages, Thomas Riehle est Président d’Ipsos Public Affairs aux Etats-Unis. Il a participé, avec succès, à un grand nombre de campagnes électorales, de campagnes de communication ou de relations publiques. Il a mis au point des programmes d’études stratégiques et opérationnelles, pour de grandes sociétés, des gouvernements, des candidats, des groupes d’intérêt et des associations, aux Etats-Unis et dans le monde. Contact: [email protected]. 3 04.09.06.Global_PA_FR_v5 4 10/8/04 7:17 AM Page 4 Ipsos Ideas Elections fédérales canadiennes 2004 : Le triomphe de la publicité négative Par Darrell Bricker au gouvernement; le nouveau leader Libéral leur apparaissait terne et décevant. De leur côté, les Libéraux sont apparus incapables de présenter un projet susceptible de convaincre les électeurs de leur confier un nouveau mandat. Les élections fédérales de 2004 ont sans doute été les plus agressives de l’histoire du Canada. Elles opposaient un gouvernement affaibli (les Libéraux), nouvellement dirigé par Paul Martin, à un parti national de droite reconstitué (les Conservateurs) avec son nouveau dirigeant Stephen Harper. Outre ce manque d’attrait, le Parti Libéral s’est trouvé confronté a une nouvelle menace. Pour la première fois depuis 1993, les Conservateurs canadiens parvenaient à mettre de côté leurs différends pour s’unir derrière un seul dirigeant. Ces deux éléments, le désir de changement et la crédibilité d’une alternative à droite, mettaient en péril la réélection des Libéraux. Au final, cette campagne a montré qu’en dépit d’une forte volonté de changement, les électeurs Canadiens ont été sensibles à la publicité négative du Parti Libéral. Le dilemme des Libéraux Pendant toute la campagne, les Libéraux se sont heurtés à la réticence de l’électorat qui estimait qu’ils ne méritaient pas d’être réélus. Les électeurs se posaient en effet des questions sur l’éthique du parti et de ses représentants La vulnérabilité des Conservateurs Le Canada est une démocratie parlementaire avec des élections uninominales à un tour. Evolution du rapport de force en fin de campagne Parti libéral Parti conservateur Parti écologiste Autre Nouveau Parti démocrate 50 47 40 30 31 20 17 10 0 12 1 21 juin 22 juin 23 juin Jour des élections 25 juin 26 juin 27 juin © Ipsos 2004 Intentions de vote pendant la campagne Parti libéral Parti conservateur Bloc Québécois Parti écologiste Nouveau Parti démocrate 50 40 30 32 31 20 17 12 10 0 10 – 12 février 6 17 – 19 février 2 –7 mars 23 – 25 mars 6–8 avril 27 – 28 avril 4–6 mai 7 – 13 mai 18 – 20 28 – 30 mai mai 1– 3 juin 4–8 juin 11 – 13 juin 18 – 20 21 – 23 juin juin Le Premier Ministre est le dirigeant du parti qui remporte le plus grand nombre de circonscriptions, elles-mêmes formées en fonction du nombre d’habitants. L’Ontario, la plus densément peuplée des provinces, figure en première place avec environ un tiers des sièges ; elle est de ce fait un enjeu central lors des scrutins nationaux. Or depuis 1993, les Conservateurs n’ont jamais réussi à percer dans l’Ontario. Les Libéraux, quant à eux, ont obtenu la majorité dans cette province lors des trois derniers scrutins. Comment expliquer cet échec des Conservateurs ? Tout simplement à cause de l’intolérance. Une frange significative de l’électorat de l’Ontario-essentiellement les classes moyennes vivant en périphérie – considèrent que les Conservateurs font preuve d’intolérance vis-à-vis des minorités ethniques, religieuses et autres. Jamais depuis 1993, les partis fédéraux de droite n’ont réussi à gagner les élections dans l’Ontario sans rallier ces électeurs. Avec son nouveau leader, le Parti conservateur a joué la carte de la modération pour pouvoir convaincre les électeurs de l’Ontario. Pourtant, comme l’ont révélé les sondages, un nombre important d’électeurs restaient convaincus que le conservatisme intolérant persistait sous les apparences. Vers une campagne négative Au cours de la brève campagne électorale (elle ne dure que 36 jours), il est vite apparu que les messages positifs diffusés par le Parti libéral n’ont pas produit l’effet escompté. Nos sondages réalisées en continu ont montré que depuis le début de la campagne officielle le 23 mai, l’écart d’intention de vote entre les Libéraux et les Conservateurs n’a cessé de se réduire. Or nous le savons, en dessous de 40% d’intentions de vote, le parti arrivé en tête, ne peut pas compter sur une majorité confortable. Qu’ont donc fait les Libéraux pour inverser la tendance ? Puisqu’ils ne parvenaient pas à vanter leur propre programme, ils ont adopté une stratégie de dénigrement de l’adversaire. Ils ont diffusé massivement et sur tous les médias (radio, télévision et © Ipsos 2004 suite page suivante… Darrell Bricker est Président d’Ipsos Public Affairs au Canada. Il a rejoint la société en 1989 après avoir occupé des postes à hautes responsabilités, notamment au sein du Cabinet du Premier Ministre Canadien, en qualité de Directeur des Etudes d’Opinion. A l’instar de son collègue Pierre Giacometti, Darrell est souvent invité à commenter l’actualité dans les médias, notamment les questions de politique intérieure ou internationale et les campagnes électorales. Il a publié un certain nombre d’ouvrages, dont le plus récent était intitulé «Searching for Certainty». Contact : [email protected]. 04.09.06.Global_PA_FR_v5 10/8/04 7:17 AM Page 5 Ipsos Ideas Internet) des publicités négatives contre les Conservateurs, fait sans précédent dans l’histoire politique canadienne. Mais, l’offensive des Libéraux n’aurait pas été aussi efficace sans l’aide des Conservateurs eux-mêmes. L’essentiel du message libéral portait sur l’intolérance et l’extrémisme des Conservateurs qui les rendaient inaptes à gouverner. Ce message fut relayé par les déclarations intempestives de députés conservateurs invoquant la nécessité de restreindre le droit à l’avortement, de réduire le bilinguisme dans le service public et d’abroger la Charte des droits et libertés. La défaite des Conservateurs s’est scellée le jour où-une semaine avant le scrutin – ils ont décidé d’abandonner le terrain en Ontario pour entamer une tournée électorale en bus en Alberta, province qui leur était pourtant acquise. Sans doute ont-ils voulu clore la campagne en voulant apparaître comme les favoris. Le fait est qu’ils ont laissé aux mains de leurs adversaires une circonscription clé dans cette élection. L’impact La campagne publicitaire des Libéraux dénigrant leurs adversaires et la retraite des Conservateurs ont provoqué un mouvement sensible dans les intentions de votes de l’ordre de 3,8 %. Le week-end précédant l’élection, les Libéraux semblaient assurés d’une courte victoire, au lieu de la défaite annoncée. Le changement fut plus net encore dans l’Ontario où, comme le montre le deuxième graphique, tout s’est joué le dernier jour de la campagne. Lors de la soirée électorale sur CTV, juste avant de passer à l’antenne, ma co-présentatrice m’a confié que jamais son choix n’avait été aussi difficile. Me confirmant mon analyse à propos du basculement du rapport de force en faveur de Libéraux, elle ajouta : «je n’étais pas pour la réélection des Libéraux. Et pourtant je redoutais le retour des Conservateurs au gouvernement ». C’est le signe d’une campagne négative qui fonctionne. Les cinq règles de la publicité politique négative: • La publicité négative, ça marche ! • Si vous êtes attaqué, répondez immédiatement et avec vigueur • S’il est plus facile de mener une campagne vertueuse, le dénigrement est le plus court chemin vers la victoire • Si vous ne parvenez pas à vanter vos mérites, dénigrez vos adversaires • Gardez des arguments en réserve pour la dernière ligne droite Pourquoi la politique a besoin en France du retour de la publicité Par Pierre Giacometti Florilège de campagnes publicitaires en France, avant leur interdiction en 1986. (In La Politique à l'Affiche, by Jean-Marc Lech et Jean-Marc Benoît, 1986). La publicité politique moderne commence au moment où s’arrête la propagande politique, c’est-à-dire après la seconde guerre mondiale. Toutes les grandes démocraties la pratiquent aujourd’hui, à l’exception notable de la France. Berceau de la contestation publicitaire, la France est aussi aujourd’hui le pays où la classe politique ne cesse d’exprimer ses réticences à l’égard de la communication politique. Ces vieux réflexes anti-pub et anti-sondages renvoient à une culture bien ancrée de méfiance des élites politiques françaises à l’égard pêle-mêle de l’argent, du commerce, du peuple et des Etats-Unis ! Dans le domaine de la régulation de la vie politique, les responsables français agissent souvent à contre sens. En 1977, l’interdiction des sondages publiés pendant la dernière semaine de campagne électorale était sensée répondre à l’objectif de ne pas influencer les électeurs. Un quart de siècle plus tard, en 2002, le législateur a enfin pris conscience de l’évolution des pratiques de consommation de l’information des électeurs et a décidé d’abolir cette règle. La différence française Depuis une dizaine d’années, la publicité politique est interdite en France. Une fois de plus la tentation de l’interdiction l’a emporté pour tenter de juguler les pratiques frauduleuses de financement de la vie politique. La supposée volonté d’assainissement a contribué à marginaliser encore un peu plus la sphère politique du quotidien des Français. Faudra-t-il attendre encore 15 ans pour que le monde politique français 5 se rende à l’évidence que l’évolution du rapport des Français à la politique rend indispensable le retour sur la scène des instruments de conviction auxquels on a habituellement recours pour influencer le comportement des citoyens et des consommateurs ? Cultivant une fois de plus l’exception, la France est devenue aujourd’hui l’une des rares démocraties à limiter la communication politique alors qu’elle est l’un des systèmes politiques les plus personnalisés que l’on connaisse dans le monde occidental. Lorsque l’on compare la tonalité des dernières campagnes électorales françaises à celles de nos principaux voisins, que constate-t-on ? Le théâtre de la rue, premier espace public fréquenté par les citoyens est devenu le « no man’s land » de la politique. En France, l’affichage politique est devenu hors la loi. L’absence de visibilité des campagnes électorales entretient l’idée que la politique se construit de plus en plus dans un espace fermé ou réservé aux élites politico médiatiques. Ce phénomène entretient les tentations abstentionnistes. Alors que le voyageur ne peut ignorer la tenue d’une élection importante ou mineure lorsqu’il voyage en Grèce ou en Espagne en 2004 (la campagne est partout et entretient l’attention dans tous les espaces publics), le visiteur-citoyen étranger peut parfaitement quitter la France en 2004 sans jamais avoir appris que nous étions à deux reprises en campagne électorale. En Grèce, l’appétit et la passion démocratique s’emparent même des halls des aéroports où s’affichent les principaux candidats du PASOK et de la Nouvelle Démocratie. suite page suivante… 04.09.06.Global_PA_FR_v5 6 10/8/04 7:17 AM Page 6 Ipsos Ideas Pourquoi la politique a besoin en France du retour de la publicité En Espagne, en acceptant de prendre le risque de choisir le sigle désormais célèbre « ZP » – Zapatero Presidente – les stratèges de la communication du PSOE ont fait confiance à un spécialiste de la création de marque en Espagne, plus habitué à l’univers du marketing. Ils ont ainsi contribué à créer autour d’un candidat réputé lisse et froid une convivialité et une énergie, restée cachées jusqu’au déclenchement de la campagne. Rétablir le lien avec les électeurs La France n’en est pas encore là. Face à la crise de confiance qu’elle traverse et que la disparition de la publicité n’a pas enrayé, la politique a besoin de retrouver des espaces banalisés. Il lui faut être à nouveau au cœur du quotidien des Français. Pour convaincre plus efficacement les électeurs les moins politisés, il lui faut épouser les signes des temps: professionnalisation de la communication, régression du militantisme politique, apparition d’un nouveau langage, émergence et démultiplication des nouveaux moyens de communication interactive. Rétablir les conditions légales d’un retour de la pratique publicitaire, c’est reconnaître que la politique doit installer durablement de nouveaux rapports avec les citoyens et accepter définitivement les règles de la démocratie d’opinion. La Véme République a instauré les règles d’une scène politique où l’opinion publique est au cœur du jeu, comme nulle part ailleurs hormis les Etats-Unis. Paradoxalement, elle a organisé aujourd’hui les conditions d’une dangereuse marginalisation. Le soutien populaire En 2004, l’état de l’opinion permet un retour en grâce de la publicité politique. Les Français n’y sont pas hostiles et le fait qu’un Français sur deux y soit favorable, apparaît, par les temps qui courent – hostiles à la publicité et à la politique – particulièrement révélateur. En effet, la question sur l’opportunité de rétablir ou non la publicité politique pendant les campagnes électorales montre un résultat très équilibré: 46 % d’avis favorables, contre 48 % d’avis contraires, d’après une enquête réalisée par Ipsos Public Affairs France. On observe sur cette question un assez net clivage générationnel, les moins de 35 ans étant nettement plus tolérants que leurs aînés. Si l’idée d’un tel retour est également un peu mieux acceptée à droite qu’à gauche, c’est visiblement dans les milieux populaires que l’acceptation de la publicité politique est la plus élevée (cf. tableaux). Le point de vue exprimé par les plus jeunes et les catégories populaires est riche d’enseignements: il n’est pas inutile en effet de rappeler ici que ce sont ces deux contingents d’électeurs qui ont choisi de se détourner le plus souvent des urnes depuis une vingtaine d’années…Leur point de vue sonne comme un réflexe de lucidité. Face à cette situation, le milieu politique français ne peut se contenter d’attendre que « leurs électeurs » – qui n’appartiennent plus à personne – reviennent vers eux. Il leur faut au contraire faire eux-mêmes le chemin inverse, en allant à leur rencontre, bagages en mains! Les Français et la Publicité Politique Question : Seriez-vous favorable ou opposé à ce que l’on rétablisse la possibilité de faire à nouveau de la publicité politique lors des campagnes électorales (affichage, télévision, radio et presse écrite) ? Favorable Défavorable Ne se prononce pas Reponse par âge 18 – 24 ans 60% 37% 3% 25 – 34 ans 51% 47% 2% 35 – 44 ans 44% 49% 7% 45 – 59 ans 40% 54% 6% 60 – 69 ans 45% 51% 4% 70 ans et + 45% 44% 11% 10 – 11 Septembre 2004 © Ipsos 2004 Reponse par catégorie socio-professionelle Artisan Commerçant Chef d'entreprise 48% 52% 0% Cadre supérieur 38% Favorable Défavorable Ne se prononce pas 57% 5% Profession intermédiaire 48% 45% Reponse par proximité partisan 7% Ensemble 6% 46% 48% 48% 48% Ouvrier 52% 43% Agriculteur 38% 55% 7% 10 – 11 Septembre 2004 © Ipsos 2004 47% 49% 4% Sympathisants Droite 5% 50% 47% 3% Sympathisants Gauche 4% Employé Retraité 9% 44% 47% Inactif 58% 0% 42% 10 – 11 Septembre 2004 © Ipsos 2004 Sondage Ipsos réalisé les 10 et 11 septembre 2004 auprès d’un échantillon représentatif de 962 personnes âgée de 18 ans et plus. Pierre Giacometti est l’un des meilleurs spécialistes des études d’opinion et du suivi des campagnes électorales en Europe. Au sein du groupe Ipsos qu’il a rejoint en 1995, il a développé cette activité à l’international avec la création de programmes d’enquêtes multi-pays. Avec Darell Bricker, son homologue en Amérique du Nord, il travaille à la mise en place d’une offre d’études globale dans le secteur des études d’opinion et des études Corporate & Management. Pierre est également Directeur Général d’Ipsos France. Contact : [email protected]. 04.09.06.Global_PA_FR_v5 10/8/04 7:17 AM Page 7 Ipsos Ideas Italie : la stratégie de communication politique de Berlusconi Par Nando Pagnoncelli l’économie libérale (appelée par ailleurs en renfort pour conforter son emprise sur la télévision). Grâce à cette stratégie de communication, Berlusconi a bâti une relation directe avec l’électorat, en s’adressant directement aux Italiens, sans filtre politique ou bureaucratique. La télévision joue un rôle prédominant en Italie. Cela s’explique en partie par la faible pénétration de la presse: il se vend aujourd’hui moins de cinq millions de journaux par jour, soit 10 % de moins qu’il y a dix ans. Or on le sait, dans le paysage audiovisuel européen, l’Italie fait figure d’exception : le Premier Ministre, Silvio Berlusconi, contrôle une grande partie du réseau télévisuel italien, hors satellite. Berlusconi détient à, titre personnel, trois chaînes de télévision privées, et le gouvernement, via le Ministère de l’Economie, possède les trois chaînes de télévision publiques. Le contrôle des médias est un enjeu important lors de campagnes électorales et plus généralement, pour influer sur l’opinion ou sur l’agenda politique. Le contrôle quasi monopolistique de Berlusconi sur la télévision et son pouvoir politique donnent lieu à des critiques qui vont bien au-delà des allégations de simple conflit d’intérêt. Berlusconi est parfaitement conscient du pouvoir de la télévision et ce n’est pas un hasard s’il a contesté récemment la loi par condicio qui réglemente l’accès des hommes politiques aux médias lors de campagnes électorales. La victoire en 2001 de la coalition de centre-droit emmenée par Berlusconi doit beaucoup à une communication maîtrisée sur des thèmes clés : 1. La fin des sacrifices L’Italie a traversé une grave crise économique dans les années 1990 et la dette publique s’était fortement aggravée. Les mesures adoptées alors ont souvent été mal vécues, surtout en 1992. Les efforts pour intégrer l’Union Européenne et s’aligner sur les critères de Maastricht ont été conduits sous l’impulsion d’un gouvernement de centre-gauche, en l’occurrence Carlo Azeglio Ciampi, Giuliano Amato et Romano Prodi. Berlusconi a promis aux électeurs que cette période était révolue et que s’ouvraient désormais les années du développement, de la relance de la consommation et des réductions d’impôts. 2. L’anti-politique La défiance envers les partis politiques est fermement enracinée en Italie : seuls 20 % des Italiens déclarent leur faire confiance. Berlusconi s’est toujours présenté comme l’anti-politicien par excellence, proposant son modèle de réussite entrepreneuriale d’autodidacte comme une alternative à une classe politique inefficace, bureaucratique et malhonnête. Berlusconi incarne cette approche politique. Même après avoir remporté les élections, le rôle institutionnel du Premier Ministre est toujours relégué au second plan, occulté par son charisme. Son attitude est à l’image de sa stratégie. Les exemples sont nombreux : son geste obscène sur la photographie officielle d’un sommet international (il tend son index et son petit doigt) ; l’utilisation de ses résidences privées pour les réunions officielles (même en pleine crise Fiat, il a rencontré les dirigeants de l’entreprise en dehors des bâtiments officiels) ; ses tenues décontractées (la veste en velours qu’il portait lors de sa réunion avec Bush, ou le bandana qu’il arborait en août lors de sa rencontre avec Tony Blair dans sa villa de Sardaigne). Tout ceci contribue à véhiculer une image très différente de celle des hommes politiques traditionnels : Berlusconi est un homme d’affaires qui a réussi et qui se présente à tous les Italiens comme un modèle à suivre. Ce comportement lui permet, de façon souvent très efficace, de détourner l’attention des médias, afin d’atténuer les critiques et de masquer les failles. Pourtant, au fil des années, cette stratégie de communication a perdu de son efficacité. Les Italiens sont persuadés qu’on leur ment sur la réalité de l’inflation des prix ce qui influe sur leur état d’esprit. À mesure que la perspective d’un déclin du pays gagne du terrain, les Italiens exigent des solutions 3. L’anticommunisme Depuis la chute du mur de Berlin, Berlusconi a opté pour une tactique fortement anticommuniste. Lors d’une récente campagne, il expliquait que les communistes représentent toujours une menace pour l’Italie et pour suite page suivante… Nando Pagnoncelli est Président d’Ipsos Public Affairs en Italie. Avec près de quinze années d’expérience au service des études politiques, il a occupé des fonctions de direction générale, notamment au sein du groupe Sofrès en Italie. Nando Pagnoncelli est le vice-président de l’Assirm (Institut italien des études de marché). Il est membre du conseil scientifique de plusieurs grandes institutions. Il a publié plusieurs essais politiques et enseigne à l’Università Cattolica de Milan. Contact : [email protected]. 7 04.09.06.Global_PA_FR_v5 10/8/04 7:17 AM Page 8 Ipsos Ideas politiques. Ils ne croient plus aux promesses d’une croissance mirifique. Ceci pèse sur la perception des électeurs, bien plus que n’importe quel conflit d’intérêt, ou éventuelle menace pour la démocratie. C’est ainsi que depuis l’automne 2002, l’image de Berlusconi décline à mesure que les Italiens prennent conscience de la gravité de la situation économique et de l’inflation grandissante. De plus, les querelles au sein de la coalition de centre-droit et l’impuissance de du Premier Ministre à régler les conflits internes ternit l’image de Berlusconi. Dans ce contexte, les élections européennes marque un échec pour Forza Italia, et donc pour Berlusconi, étant donné la forte identification du parti à son dirigeant. Le parti a en effet perdu huit points par rapport aux élections générales de 2001, soit près de quatre millions de voix. Surtout, Forza Italia a reculé au sein de son électorat. Ceux qui ont voté pour Forza Italia en 2004 étaient essentiellement des personnes âgées, des individus faiblement diplômés, et des femmes au foyer. On est loin du cœur de cible identifié par le Premier ministre lors des élections de 2001, avec la maîtrise qu’on lui connaît des techniques marketing et de segmentation. Cette cible comprenait les actifs diplômés de l’enseignement secondaire, des femmes au foyer, des retraités, des travailleurs indépendants et des dirigeants de PME. Et pourtant, Berlusconi persiste à personnaliser sa communication. Ce qui pourrait, à première vue apparaître comme une grave erreur. La stratégie la plus évidente consisterait en effet à recomposer le parti pour renforcer l’image de la coalition, inciter à une plus grande solidarité face à la crise et relancer les relations institutionnelles. Indice de popularité de Berlusconi 60 55 52 50 46 46 40 45 41 38 36 30 Juillet – Janvier – Juillet – Janvier – décembre juin décembre avril 2003 2002 2001 2002 Mai – Septembre – Janvier – Juillet 2004 avril août décembre 2004 2003 2003 © Ipsos 2004 Le défi que se lance Berlusconi semble au contraire de regagner les votes en ne comptant que sur lui-même. Or l’histoire électorale de l’Italie le démontre, les sondages sont difficilement perméables. Les électeurs italiens changent rarement de coalition : il évoluent au sein d’une même coalition ou s’abstiennent. Pour autant, ce défi n’est pas encore totalement perdu. 8 La Communication Prédictive Par Jean-Marc Lech La blague est connue de presque tout le monde: quelle est le meilleure façon de perdre tout son argent : le jeu, les femmes ou les ingénieurs? Je vous laisse la fin de l’histoire ainsi que mon choix de réponse, préférant poser une nouvelle question. Quelle est la meilleure manière d’anticiper, donc de prévoir, le résultat d’une élection? Il s’agit ici du scrutin présidentiel américain du 2 novembre prochain. Soit Bush ou Kerry. Trois indicateurs sont en compétition : les intentions de vote des électeurs inscrits, la confiance des consommateurs, l’évaluation de l’impact et l’agrément des communications publicitaires des candidats en lice. La querelle oppose les politologues et autres spécialistes des opinions publiques. Pour la majorité (écrasante) d’entre eux les sondages sont des instantanés, des photographies qui, à aucun moment, n’ont de valeur prédictive. Ma position est inverse ; considérées comme des prévisions, les intentions de vote le deviennent du fait même de leur impact dans l’univers de réflexion des électeurs. C’est la crédibilité des sondages qui pousse à en faire une prévision et c’est parce que cette anticipation du résultat à venir est fiable que les électeurs peuvent la démentir! Paradoxe du sondage qui, parce qu’il prédit juste, devient parfois faux ! Plus les sondages indiquent que Bush va largement gagner, plus les électeurs peuvent le retenir. La confiance des consommateurs est un outil plus qualitatif. Peut-on voter pour un Président sortant si l’on est pessimiste quant à son futur personnel, celui de la région que l’on habite, celui du pays où l’on vote ? Et oui, pour peu que l’agenda des préoccupations privilégie d’autres enjeux. C’est ainsi que les américains jugent davantage prioritaire la lutte contre le terrorisme que leur propre confort économique et financier. La confiance des consommateurs devient alors un indicateur secondaire ! On pourrait dire de la communication publicitaire américaine qu’elle coûte beaucoup trop d’argent pour ce qu’elle apporte, puisque le niveau de l’abstention est stable tandis que progressent les investissements ! Soit, mais les millions de dollars dépensés donnent un climat d’ambiance ; celui dont la ‘com’ est jugée plus efficace et meilleure que celle de l’autre, a toute les chances de l’emporter. Tout ça pour ça ? Après tout, Kerry talonne Bush dans les votes anticipés, la confiance des consommateurs est très moyenne, et la communication ultra-négative a, elle aussi, choisi son vainqueur. A ne rien comprendre donc, si John Kerry l’emporte. Damned ! Jean-Marc Lech a commencé sa carrière en 1970 à l’IFOP (Institut Français d’Opinion Publique) dont il est devenu PDG en 1980. En 1982, il rejoint Ipsos en qualité de Coprésident aux côtés de Didier Truchot. Spécialiste de l’opinion publique, Jean-Marc Lech a publié plusieurs ouvrages relatifs à la société et la vie politique françaises, notamment La Politique à l’Affiche et Sondages Privés. Contact : [email protected].