De?fi Diagnostic - STA HealthCare Communications

Transcription

De?fi Diagnostic - STA HealthCare Communications
Elizabeth Leroux, M.D., FRCPC est neurologue au Centre hospitalier de l’Université de Montréal.
Article tiré de la conférence
Dix questions sur les céphalées...sans se casser la tête! donnée le 8 novembre 2012 dans le cadre des
21e Journées annuelles du département de médecine de l’Université de Montréal.
Le cas de Marie-Josée
Marie-Josée vous consulte pour des maux de tête quasi quotidiens. Dans la vingtaine, elle avait des
crises occasionnelles durant lesquelles elle devait se coucher. Après une prescription d’élétriptan, elle
avait pu traiter ses crises avec succès. Mais, après sa deuxième grossesse, les crises sont devenues plus
fréquentes…il faut dire qu’elle dormait très peu! À présent, elle utilise un médicament alliant aspirine,
barbituriques et caféine avec de la codéine à dose variable 15 jours par mois ainsi que du rizatriptan
6 jours par mois. Elle manque souvent le travail et elle est découragée. C’est grâce à la caféine qu’elle
tient le coup. L’amitriptyline lui a fait prendre 20 livres.
Comment aborder ce cas?
a migraine touche 25 % des femmes et 8 %
des hommes au Canada1. Sept millions de
jours de travail par année sont perdus en raison
des migraines. Près de 50 % des années perdues
en raison de maladie neurologique (years lost to
disability) sont attribuables à la migraine, qui
touche des adultes durant leur période active2. Il
est donc impératif de redoubler d’efforts pour
traiter cette condition en apparence banale et
souvent sous-estimée.
L
Généralités du diagnostic des
céphalées : épisodique ou
chronique?
Le diagnostic des céphalées peut être un défi
pour le clinicien. Toute céphalée nouvelle ou
40 Clinicien plus • avril 2013
inquiétante doit être considérée comme secondaire jusqu’à preuve du contraire, et ce, particulièrement chez un migraineux qui identifie un
changement du caractère de ses céphalées. Le
mnémonique SNOOP peut être utilisé (Encadré 1). En cas de céphalées récurrentes et
habituelles, une céphalée primaire est probable,
et il est utile de déterminer si le patient a des
crises délimitées avec intervalle libre ou plutôt
une céphalée constante avec fluctuations. Si les
crises sont bien identifiées, la prise en charge
sera alors assez simple puisqu’on pourra facilement les diagnostiquer et adapter le traitement.
Si la céphalée est quotidienne, fluctuante en
intensité, la prise en charge sera plus difficile, et
le diagnostic différentiel est plus large.
Soulager la migraine
Les pièges à éviter dans le
diagnostic de la migraine
La migraine est sous-diagnostiquée. Le
test ID migraine est un outil de
dépistage rapide en cas de crises récurrentes (Encadré 2)3. L’osmiophobie est
très spécifique à la crise migraineuse,
même si elle ne fait pas partie des
critères. La douleur de cou est présente
dans 60 % des crises migraineuses4 et
l’allodynie à la pression du grand nerf
occipital (nerf d’Arnold) ne doit pas
automatiquement mener à un diagnostic
de névralgie d’Arnold. Les douleurs
maxillaires récurrentes (sinus headache) peuvent mener à un diagnostic
erroné de sinusite récurrente alors qu’il
s’agit bien de migraines5.
Si on questionne un patient masculin, il
sera utile de se renseigner sur son comportement (anorexie, fermer les lumières)
plutôt que sur son évaluation subjective de
symptômes qu’il pourra avoir tendance à
nier. Si le conjoint ou la conjointe est
présent, il ou elle peut souvent apporter des
indices précieux. Si un patient souffre de
migraines fréquentes, il aura tendance à
compter seulement ses crises graves et à
vous induire en erreur sur la fréquence
réelle des crises. Les crises modérées sont
pour lui « des maux de tête ordinaires »
alors que bien souvent les indices
migraineux sont présents. Une céphalée de
fond d’allure tensionnelle comble les
espaces temporels restants chez la plupart
des migraineux chroniques. Il est donc utile
de séparer les jours en quatre catégories sur
le calendrier : aucune douleur, douleur
légère ou fond, crise modérée ou bien
traitée, et crise grave ou mal contrôlée. La
migraine chronique (Encadré 3) est une
forme grave et invalidante de migraine qui
Encadré 1
SNOOP : indices d’une céphalée secondaire
Systémique : signes ou symptômes
Neurologique : signes ou symptômes
Old : patient âgé
Onset : mode d’apparition de la céphalée (brutal, progressif)
Previous : différent du passé et postural (orthostatique ou pire en décubitus)
Encadré 2
Identification de la migraine (test ID migraine)
Deux crises ou plus au cours des trois derniers mois incluant :
1) Nausée;
2) Photophobie;
3) Diminution de la fonction.
Deux sur trois items : sensibilité à 84 %, spécificité à 76 %
touche 1 à 2 % de la population. Seulement
20 % des cas sont diagnostiqués. Les facteurs de risque de chronicisation migraineuse sont le sexe féminin, une fréquence
de crise de plus de 10 crises par mois,
l’obésité, le diabète, les troubles du sommeil et surtout l’abus médicamenteux, tel
qu’illustré dans le cas de Marie-Josée6.
La prise en charge de la
migraine
Première étape : la gestion des
habitudes de vie
Cette étape est souvent négligée. Les
patients sont pourtant ouverts à gérer
leurs migraines sans médication. Comme
le cerveau migraineux interagit avec
l’environnement, le sommeil, l’hydratation, l’activité physique (dans le respect
des capacités du patient), la gestion du
stress, le maintien d’un poids santé sont
tous à prendre en compte. Identifier les
déclencheurs est primordial7. Le calendrier est l’outil de choix. Cependant, si le
patient a des crises fréquentes, voire
chroniques, et un tempérament anxieux,
il peut devenir plus stressant qu’utile de
partir à la recherche des déclencheurs,
surtout alimentaires. L’arrêt tabagique et
la diminution, voire l’arrêt de la caféine
sont à considérer.
Deuxième étape : le traitement
de la crise migraineuse
Si votre patient a des crises épisodiques,
le traitement de la crise est l’objectif à
prioriser8. On me demande souvent quel
est le meilleur traitement des crises
migraineuses. En fait, chaque patient est
différent. Il est donc essentiel d’être familier avec plusieurs anti-inflammatoires
non stéroïdiens (AINS) et plusieurs triptans pour trouver le bon cocktail.
L’adhérence aux triptans est inférieure à
50 %, pour plusieurs raisons9. Du côté
médical, la crainte du syndrome sérotonergique est démesurée. Plusieurs articles
soulignent que le risque est extrêmement
faible et qu’il est injustifié de priver un
migraineux d’un triptan sous prétexte
qu’il prend un inhibiteur sélectif de recapture de la sérotonine (ISRS)10-12. Les
contre-indications vasculaires persistent,
mais l’âge en soi ne devrait pas être une
contre-indication en l’absence de maladie
Clinicien plus • avril 2013 41
Soulager la migraine
Encadré 3
Critères de la migraine chronique
A : Céphalée, tous types confondus, ≥ 15 jours par mois depuis
≥ 3 mois
B : Histoire de migraine sans aura, 5 épisodes ou plus
C : Durant ≥ 8 jours par mois depuis ≥ 3 mois, la crise remplit
les critères de migraine
D : Pas expliqué par une autre condition et pas d’abus
médicamenteux.
N.B. En pratique courante, la présence d’un abus médicamenteux n’empêche pas le diagnostic de
migraine chronique. On diagnostique la migraine chronique avec ou sans abus
médicamenteux.
vasculaire13. En cas de facteurs de risque
sans événement vasculaire documenté, la
prudence justifie un test de dépistage cardiaque avant d’utiliser un triptan.
Du côté des patients, plusieurs freins à
l’utilisation de triptans sont identifiables et
modifiables. Ces molécules sont coûteuses, et les patients craignent d’utiliser
un médicament « fort » qui est synonyme
de « dangereux ». Le retard de prise
explique plusieurs échecs thérapeutiques.
L’approche par étape durant la crise (prise
d’acétaminophène puis d’AINS puis de
triptan) devrait être découragée. Le patient
devrait s’habituer à avoir ses médications
avec lui pour traiter rapidement (avant que
la douleur soit modérée ou grave). Si le
délai est justifié par la crainte d’effets
secondaires, le triptan mal toléré doit être
changé pour un autre. Toute cette éducation prend du temps et peut être facilitée
par des documents écrits remis au patient.
En cas de crises matinales, d’apparition
rapide ou de nausées précoces, les
approches parentérales doivent être tentées. Dans des cas graves, une combinaison AINS et triptan parentérale peut mener
à un succès. Les narcotiques devraient
absolument être évités en raison du risque
élevé de céphalée médicamenteuse. Les
patients devraient pouvoir essayer deux ou
trois options, quelques crises par option, et
42 Clinicien plus • avril 2013
noter les résultats sur un calendrier pour
choisir l’option efficace et tolérée. Le
pharmacien peut aider à surveiller les
essais. La gestion des traitements de crise
est résumée dans le Tableau 1.
Troisième étape : la prophylaxie
Si le patient a plus de 4 à 6 jours de
céphalée par mois, et que les crises sont
mal contrôlées, une prophylaxie est
souhaitable. Des lignes directrices canadiennes ont été publiées en 2010. Le calendrier, tel que mentionné plus haut, est
un outil essentiel. On peut se souvenir
que les traitements préventifs ont 50 %
de chance d’améliorer la condition du
patient de 50 % ou plus après 3 à 4 mois
d’essai, le premier mois étant consacré à
l’augmentation lente de la dose.
Les tricycliques et les bêta-bloqueurs
restent la première ligne de traitement.
Les échecs thérapeutiques sont parfois
liés à une dose insuffisante, à un arrêt
trop précoce de l’essai ou à des attentes
irréalistes du patient. Si un traitement est
efficace, il devrait être poursuivi pour
8 à 12 mois. Un patient ayant échoué
deux ou trois traitements prophylactiques et dont la céphalée médicamenteuse a été sevrée peut être adressé
en neurologie.
La céphalée
médicamenteuse (CM):
un fléau
Près de 2 % de la population souffre de
céphalée médicamenteuse14. En cas de
céphalée chronique, une surutilisation
médicamenteuse survient chez 50 % des
patients nord-américains…mais, à la
suite d’un sevrage réussi, seulement
50 à 60 % des cas seront améliorés de
façon significative.
Le diagnostic de cette condition se
base sur le nombre de jours de prise par
mois et non le nombre de comprimés :
15 jours pour l’acétaminophène, 10 jours
pour les triptans, narcotiques et analgésiques combinés. Des lignes directrices européennes sur la CM ont été publiées15. Une prophylaxie doit être entreprise simultanément ou peu avant le
sevrage, et un arrêt de travail d’une
semaine est parfois nécessaire. Si le
patient prend des doses importantes de
narcotiques, de barbituriques ou de benzodiazépines, une diminution graduelle
est sécuritaire, mais, autrement, un arrêt
brusque est sans doute préférable. Aucun
protocole médicamenteux n’est prouvé
comme étant efficace. Le protocole de
Raskin utilisant la dihydroergotamine
intraveineuse est disponible dans de rares
centres. Le naproxène (375 ou 500 mg
2 f.p.j.) peut être utilisé pendant deux
semaines. L’utilisation de stéroïdes n’a
pas été bien démontrée par les études
cliniques, et elle peut entraîner de l’insomnie et de l’anxiété, ce qui est loin
d’être souhaitable. Le patient doit traiter
ses crises de rebond avec une molécule
dont il n’abusait pas (le plus simple étant
un triptan chez un patient qui abusait
d’analgésiques combinés), mais parfois il
Soulager la migraine
Tableau 1
Causes de l’échec du traitement de crise migraineuse et solutions
Cause de l’échec
Des craintes d’effets secondaires
Le patient ne l’a pas avec lui
Le patient commence avec des anti-inflammatoires
non stéroïdiens (AINS) ou de l’acétaminophène
Un début de crise difficile à identifier
Le patient craint d’abuser
La crise est présente au réveil ou durant
la nuit, crise violente, avec nausée précoce
Une récidive
y a peu d’options, et l’éducation du
patient reste le point central. L’amélioration est sensible deux à quatre semaines
après le début du sevrage. Le calendrier
permet au patient d’objectiver ses progrès. Même en cas de sevrage réussi, le
risque de récidive est de 30 % à un an. Les
patients prenant des narcotiques, des barbituriques, et ayant une comorbidité psychiatrique ou un trouble du sommeil
seront parfois très difficiles à sevrer.
Solution
Si effets secondaires réels, changer de triptan
Éducation : avoir les traitements avec soi
Si efficace >1 fois sur 2, approuver, sinon, changer de tactique
Éducation : identifier les premiers signes
Si moins de 8 jours de crise par mois, risque de céphalée médicamenteuse faible.
Si risque d’abus : prophylaxie indiquée!
• Options parentérales ou à absorption rapide
• Sumatriptan sous-cutané 6 mg, sumatriptan intra-nasal 20 mg, zolmitriptan intranasal (IN)
5 mg, dihydroergotamine (DHE) IN 1 mg, rizatriptan gaufrette 10 mg,
zolmitriptan rapimelt 2,5 mg
• Naproxène intra-rectal (IR), indométhacine 50 ou 100 mg IR, diclofénac soluble 50 mg,
aspirine soluble 500 ou 1000 mg, kétorolac 10 ou 30 mg intra-musculaire (IM)
• Anti-émétiques en combinaison (per os ou IR)
Combiner AINS et triptan
Triptan longue durée de vie (frovatriptan 2,5 mg ou naratriptan 2,5 mg)
essai doit être observé avec un calendrier. Le patient migraineux qui trouve
un traitement efficace est souvent
reconnaissant, et le patient plus réfractaire sera très sensible à votre compréhension et à vos efforts pour l’aider.
En bref...soulager les
crises et éduquer les
patients
La migraine est une condition fréquente
et débilitante qui nécessite une prise en
charge complexe. L’éducation du patient
est centrale, puisque celui-ci a plusieurs
choix à faire dans son quotidien, et ils
auront des répercussions sur ses crises.
Le clinicien a de multiples options
thérapeutiques disponibles, mais chaque
Des calendriers de crise et de l’information
pour les patients migraineux sont disponibles
sur le site Internet suivant :
w w w.migrainequebec .co m
Ce site Internet a été rédigé par l’auteure de
cet article, Dre Elizabeth Leroux.
Références :
1. Becker WJ, Christie SN, et coll. Consensus
statement: the development of a national Canadian
Migraine Strategy. Can J Neurol Sci 2010; 37(4):449-56.
2. Vos T, Flaxman AD, et coll. Years lived with disability
(YLDs) for 1160 sequelae of 289 diseases and
injuries 1990-2010: a systematic analysis for the
Global Burden of Disease Study 2010. Lancet 2012;
380(9859):2163-96.
3. Cousins G, Hijazze S, et coll. Diagnostic accuracy of
the ID Migraine: a systematic review and metaanalysis. Headache 2011; 51(7):1140-8.
4. Calhoun AH, Ford S, et coll. The prevalence of neck
pain in migraine. Headache 2010; 50(8):1273-7.
5. Eross E, Dodick D, Eros M. The Sinus, Allergy and
Migraine Study (SAMS). Headache 2007; 47(2):213-24.
6. Diener, HC, Dodick DW et coll. Chronic migraine-classification, characteristics and treatment. Nat Rev
Neurol 2011; 8(3):162-171.
7. Rockett FC, de Oliveira VR, et coll. Dietary aspects
of migraine trigger factors. Nutr Rev 2012; 70(6):33756.
8 Gilmore B, Michael M. Treatment of acute migraine
headache. Am Fam Physician 2011; 83(3):271-80.
9. Katic BJ, Rajagopalan S, et coll. Triptan persistency
among newly initiated users in a pharmacy claims
database. Cephalalgia 2011; 31(4):488-500.
10. Evans RW, Tepper SJ, et coll. The FDA alert on
serotonin syndrome with use of triptans combined
with selective serotonin reuptake inhibitors or
selective serotonin-norepinephrine reuptake
inhibitors: American Headache Society position
paper. Headache 2010; 50(6):1089-99.
11. Wenzel RG, Tepper S, et coll. Serotonin syndrome
risks when combining SSRI/SNRI drugs and triptans:
is the FDA’s alert warranted? Ann Pharmacother 2008;
42(11):1692-6.
12. Evans RW. Concomitant triptan and SSRI or SNRI
use: what is the risk for serotonin syndrome?
Headache 2008; 48(4):639-40.
13. Dodick DW, Martin VT, et coll. Cardiovascular
tolerability and safety of triptans: a review of clinical
data. Headache 2004; 44 Suppl 1:S20-30.
14. Evers S, Marziniak M. Clinical features,
pathophysiology, and treatment of medicationoveruse headache. Lancet Neurol 2010; 9(4):391-401.
15. Evers S, Jensen R. Treatment of medication overuse
headache--guideline of the EFNS headache panel. Eur
J Neurol 2011; 18(9):1115-21.
Clinicien plus • avril 2013 43