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SUPPLÉMENT RÉALISÉ EN COLLABORATION AVEC L’AGENCE DES AIRES MARINES PROTÉGÉES
AIRES
MARINES
PROTÉGÉES
FRANCE
L’AVENIR
DES OCÉANS
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Photos : W. Bra d b erry – R. Ca rey/Shu tterstoc k
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Ressources, climat, bien-être : notre avenir dépend de la santé des océans.
Objectif : multiplier par cinq la surface d’aires marines protégées d’ici 2020.
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SOMMAIRE
« Ces gens ont un tel respect pour la
mangrove que, malgré leur pauvreté,
ils ne la surexploitent pas. »
page 36
XAVIER DESMIER
Dans les Sundarbans, ces filets capturent les alevins de crevettes destinés à l’élevage.
05
Actus
28
Océan Atlantique, océan Pacifique, océan
Indien : le point sur des aires marines protégées
à travers le monde.
08
Méditerranée : vers une renaissance
de la biodiversité
Le navire scientifique Alcyone est retourné sur
les traces du commandant Cousteau, dans les
aires marines protégées. Celles-ci prouvent
que l’écosystème est capable de se régénérer.
18
Mers nourricières
Les océans sont menacés, mais pourquoi devonsnous mieux les préserver ? Quels « services » nous
rendent-ils ? Infographie.
20
Le « dernier océan » sera-t-il protégé ?
En Antarctique, des scientifiques luttent pour la
protection de la mer de Ross, considérée comme
l’ultime écosystème marin intact de la planète.
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Haïdar El Ali
Bien avant de devenir ministre de la Pêche
du Sénégal, il a créé en 2002 la toute première
aire marine protégée au cœur du delta du Saloum.
30
Les Florida Keys : un paradis en péril
Le sanctuaire marin américain abrite des
récifs coralliens exceptionnels. Et attire à la fois
des scientifiques et des touristes. Pour le meilleur
et parfois pour le pire.
34
L’Iroise au naturel
Interview de Philippe Le Niliot, adjoint au directeur
du Parc naturel marin d’Iroise.
36
Sundarbans : une mangrove
en équilibre précaire
Au Bangladesh, cet écosystème de marais
maritime constitue un immense milieu protecteur
et nourricier. Mais, malgré les mesures de soutien
dont il bénéficie, sa survie est menacée.
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ÉDITO
Des raisons d’espérer
Quand le commandant Cousteau commença à plonger
en Méditerranée, près de Marseille, dans les années 1940,
il n’imaginait pas que la moitié des récifs coralliens, des
mangroves et des herbiers sous-marins qui font la richesse
« L’eau, aussi fluide
que notre esprit…
mère de toute vie,
garante fragile de
notre survie. »
– J.-Y. Cousteau
des eaux tropicales était vouée à disparaître en quelques
décennies. Les grands bancs de thons,
les requins et les nuages étincelants
de petits poissons argentés semblaient inépuisables. Mais depuis,
dans le monde entier, les populations
TYRONE TURNER / NATIONAL GEOGRAPHIC STOCK
de nombreux animaux marins ont
chuté de 90 %. Certains ont entièrement disparu. Il a suffi d’un instant, à
l’échelle géologique, pour rayer des
pans vitaux du cœur bleu de notre
planète, que la vie avait mis 4 milliards
d’années à façonner. Désormais, nous
le savons : l’océan est vaste, résilient,
mais pas indestructible.
Il y a néanmoins de nombreuses raisons de rester
optimiste, à commencer par les technologies
qui nous ont permis des découvertes inouïes quant à notre
Ambassadrice d’Impac3 et exploratrice
de la National Geographic Society, Sylvia
Earle a dirigé plus de 100 expéditions et
accumulé 7 000 heures de plongée au
service des océans.
propre place au sein des systèmes biologiques. Plus de
90 % des océans restent inexplorés, en profondeur, sous
leur partie éclairée. Nous en savons assez pour mesurer
à quel point l’océan régit le fonctionnement de la planète :
il régule le climat et les échanges chimiques à grande
échelle, en générant de l’oxygène et en piégeant du
dioxyde de carbone. Comme tous les êtres vivants, nous
sommes finalement des créatures marines, reliées à
l’océan par chaque bouffée d’oxygène, par chaque goutte
d’eau que nous buvons. La principale ressource que
nous devons à l’océan, c’est notre propre survie.
SYLVIA EARLE
En couverture
Dans une calanque des îles du Frioul, un
pisciculteur prélève dans sa ferme des
daurades royales certifiées biologiques.
Photo : Frédéric Larrey/Biosphoto
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ACTUS
Par Joséphine Lefevre
OCÉAN ATLANTIQUE
De la famille
des Borostomias,
ce poisson doté
d’un appendice
bioluminescent
vit entre 300 m
et 2 600 m
de profondeur.
DAVID SHALE
L’aire du large
La création de l’Aire
marine protégée (AMP) de Charlie-Gibbs était un pari risqué.
Avant sa concrétisation en 2010, on la disait même impossible. Pourquoi ? Parce que la zone n’appartient à personne.
Ou plutôt à tout le monde. Située au milieu de l’Atlantique
Nord, cette aire de 325 000 km2 se trouve dans les eaux
internationales. Un contexte particulier, propice aux
difficultés lorsqu’il s’agit d’établir une réglementation et un
accord communs. Finalement, l’AMP Charlie-Gibbs a pu
voir le jour grâce à la convention OSPAR pour la protection
de l’Atlantique Nord-Est, qui regroupe quinze gouvernements
des côtes et îles occidentales d’Europe. Son objectif :
protéger les ressources naturelles uniques et la biodiversité
particulièrement riche qui se trouvent dans la zone
dénommée Charlie-Gibbs. Ici se situe une gigantesque
fracture dans la dorsale Nord-Atlantique, avec des reliefs
sous-marins vertigineux : les fonds descendent jusqu’à
4 500 m et les monts sous-marins culminent entre 700 m et
800 m de profondeur. Ici aussi se rencontrent les eaux polaires
et celles du Sud. Les chercheurs espèrent mieux comprendre
la répartition et la structure des populations des abysses.
a i re ma ri ne
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BRIAN J. SKERRY / NATIONAL GEOGRAPHIC STOCK
ACTUS
OCÉAN PACIFIQUE
Une aire géante
aux Phœnix
Classée au patrimoine mondial
de l’Unesco, l’Aire marine
protégée des îles Phœnix
(APIP), dans l’archipel des
Kiribati, au beau milieu de
l’océan Pacifique, est l’une des
plus grandes au monde. Avec
ses 408 250 km2 (quasiment
la taille de la Californie !), elle
dispose d’une biodiversité
sous-marine exceptionnelle.
Mais cette aire géante est
également victime de la
surpêche, de la pêche illégale
et de la dégradation de ses
monts marins. Afin d’intensifier
sa protection, un plan de
gestion de quatre ans a été
lancé en 2010, en accord avec
l’Unesco. Dans un premier
temps, l’APIP a fermé à la pêche
3,12 % de sa surface. Une zone
essentiellement centrée sur
les habitats menacés (lagunes,
récifs coralliens…). Certains
de ses 14 monts sous-marins
seront aussi exclus des zones
de pêche. Ces reliefs abritent
un grand nombre d’espèces
endémiques, propres à cet
habitat. Toutefois, sur les
30 000 monts sous-marins qui
existeraient dans le monde,
seuls environ 150 d’entre eux
ont été explorés. De par leurs
ressources halieutiques, ces
monts sont tout aussi importants écologiquement qu’économiquement. Aux Kiribati, le
maintien des populations de
thons dépend surtout de la
préservation de ces milieux.
OCÉAN INDIEN
PETER RYAN / FITZ PATRICK INSTITUTE
Acte de naissance
En avril dernier, les îles du Prince-Édouard, en
Afrique du Sud, sont venues gonfler le nombre
d’aires marines protégées dans le monde. Pour la
ministre sud-africaine de l’Eau et de l’Environnement,
Edna Molewa, « cette nouvelle AMP contribuera
à l’engagement national et international de l’Afrique
du Sud envers la protection de la biodiversité ».
Situées à près de 1 800 km à l’est du continent africain,
ces deux îles inhabitées sont un lieu de reproduction
pour les phoques, les manchots, les albatros et les
pétrels. Leur classement vise aussi à rétablir la
population de légine australe, un poisson succulent
des eaux antarctiques souvent braconné.
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OCÉAN ATLANTIQUE
Le chaînon
manquant
JEFF ROTMAN
Le personnel du Parc national
de Monte León (Argentine) se
battait depuis des années pour
la création d’une aire marine
protégée, au large de leur
réserve : « L’un ne fonctionne pas
sans l’autre. Toute une chaîne
alimentaire lie les environnements marins et terrestres »,
explique Alejandro Valenzuela,
un des employés du parc. Cette
cause a été entendue en 2012 et
640 km2 de mer se sont ajoutés
aux 620 km2 de terre qu’englobe
le parc. Depuis, le suivi des
populations est régulier. « Nous
nous intéressons de près aux
manchots de Magellan, note
Alejandro Valenzuela, car ils sont
un élément charnière de la chaîne
alimentaire. En se nourrissant
des poissons, ils en régulent la
population. » Dans cette affaire,
même l’homme trouve son
compte, puisque les pumas,
autre espèce protégée du parc, se
rassasient avec les manchots et
sont moins tentés de s’attaquer
aux troupeaux de moutons qui
évoluent aux alentours du Parc
national de Monte León.
OCÉAN PACIFIQUE
Au cœur des îles Cocos,
au large du Costa Rica,
se trouve un concentré de
technologie au service
de la science. Long de 6 m
et large de 3 m, avec une
sphère acrylique offrant une vision à 360° : DeepSee est
un submersible unique en son genre. Armé de caméras très
haute définition et d’un bras articulé, le sous-marin permet
de conduire des observations et des échantillonnages
réguliers au cœur de l’aire marine protégée, jusqu’à 475 m
de profondeur. Pour en faire profiter les scientifiques en mal
de financement, ses exploitants ont trouvé une solution
originale : « Certaines recherches sont basées sur la
participation et le sponsoring des touristes qui, depuis 2005,
peuvent s’offrir ce voyage », explique Avi Klapfer, p-dg du
groupe Undersea Hunter qui exploite l’engin. L’université du
Costa Rica peut utiliser gratuitement DeepSee pour ses
recherches scientifiques dans l’AMP des îles Cocos. De leur
côté, deux touristes (en plus du pilote) peuvent découvrir
les abîmes de l’aire marine à chaque plongée.
ROBERTO CINTI
Les abysses à
portée de tous
a i res ma ri nes protégées
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MÉDITERRANÉE
VERS UNE RENAISSANCE DE LA
BIODIVERSITÉ ?
Quand les écosystèmes ne sont plus soumis
au stress environnemental causé par l’activité humaine,
leur reconstitution est presque toujours possible.
Les réserves marines de la Mare nostrum prouvent, en seulement
quelques dizaines d’années, que la mer peut être sauvée.
DE EVA VAN DEN BERG
PHOTOGRAPHIES DE ENRIC SALA
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Dans les eaux de Ses Rates, un des îlots du Parc national maritime et terrestre
de l’archipel de Cabrera, dans les îles Baléares, une dorade grise (Spondyliosoma
cantharus) nage au-dessus du fond marin rocheux à la recherche d’algues et
d’invertébrés dont elle se nourrit.
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La girelle paon (Thalassoma pavo) est extrêmement active pendant la journée et se repose au coucher
du soleil. Ce banc de poissons se nourrit dans les profondeurs de S’Espardell, îlot proche de Formentera
(îles Baléares), capturant de petits mollusques ainsi que des crustacées et des échinodermes.
N otre mer est ancienne. Sur son rivage
le plus oriental, elle a vu, il y a plus de
3 000 ans, les Phéniciens apprendre
à construire des bateaux capables de
naviguer en haute mer et partir
explorer des rivages et territoires
inconnus. Les Grecs et les Romains
l’appelaient « la mer au milieu des terres ». Les
Arabes, eux, l’ont baptisée « la mer intermédiaire ». À cheval sur trois continents, son
littoral – îles comprises – s’étire sur 46 000 km,
et près de 130 millions de personnes peuplent
actuellement ses rives. Ce chiffre s’élève à
500 millions si l’on compte tous les habitants des
pays entourant le bassin. Si souvent appelée
« berceau des civilisations », la Méditerranée a
exercé pendant des milliers d’années – et exerce
encore – une influence déterminante sur ceux
qui vivent sur les terres baignées par ses eaux.
Des millions d’individus survivent grâce aux
ressources qu’ils en tirent, mais le développement démographique et industriel de la vingtaine de pays concernés a entraîné la
surexploitation de notre mer intérieure.
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Ces constats n’ont rien de nouveau ; bien au
contraire. Depuis des années, la communauté
scientifique met en garde contre la pression
excessive que l’homme exerce sur ses ressources
et ses écosystèmes. Il y a un demi-siècle, le
commandant Jacques-Yves Cousteau, le célèbre
océanographe, explorateur, inventeur et plongeur français disparu en 1997, avait déjà tiré la
sonnette d’alarme. Après des années de plongées dans des eaux qui exerçaient une grande
fascination sur lui, il a commencé à déceler de
graves problèmes écologiques qui l’ont conduit
à prendre fermement position en faveur de
mesures de protection.
En 2010, pour commémorer le centenaire de
la naissance du plongeur, le navire océanographique Alcyone – vaisseau amiral de la Cousteau
Society depuis le naufrage accidentel de la
Calypso, en 1996 – a quitté son port d’attache de
Concarneau pour rejoindre celui de Marseille.
Objectif de sa mission : retourner sur quelquesuns des sites méditerranéens où cet homme aux
multiples casquettes avait tourné des films sousmarins extraordinaires dès les années 1940.
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Dans la Réserve marine de Scandola, à l’ouest de la Corse, près de 200 mesures de protection ont
favorisé le développement d’abondantes colonies de corail rouge sain (Corallium rubrum). L’espèce
est exploitée depuis l’Antiquité, mais sa population est exceptionnelle ici.
À bord de l’Alcyone, un équipage de premier
ordre : Pierre-Yves Cousteau, le fils cadet du
commandant, une équipe composée de réalisateurs et de caméramen de la chaîne National
Geographic, et Enric Sala, écologiste marin et
explorateur de National Geographic. Leur
mission : réexaminer les habitats marins filmés
par Cousteau soixante-cinq ans auparavant,
tourner de nouveaux films et comparer le
monde sous-marin actuel avec celui d’hier. Le
résultat a servi à formuler des propositions
concrètes pour protéger la santé des écosystèmes de la mer Méditerranée sur le long terme.
Et ceux-ci en ont bien besoin !
les conclusions d’une étude effectuée par des
chercheurs du Conseil supérieur de la recherche
scientifique (CSIC), de l’Institut des sciences de
la mer, à Barcelone, ont montré que la biodiversité marine de la Méditerranée était l’une des
plus menacées du monde. « De nombreux problèmes mettent en péril les organismes qui
vivent sous ses eaux, explique Marta Coll, biologiste marine et coordinatrice de l’étude. Parmi
eux, la surexploitation, la destruction de l’habitat, la contamination, l’augmentation de la
température de surface de la mer due au réchauffement climatique, ainsi que l’arrivée d’une flopée
d’espèces invasives. Nous en avons dénombré
plus de 600 à ce jour ! » La plupart d’entre elles
arrivent par le canal de Suez, transportées dans
l’eau de ballast qui sert à stabiliser les navires.
« Parmi elles, deux méduses, Mnemiopsis leidyi
et Rhopilema nomadica, deux espèces invasives
très nuisibles, ajoute-t-elle. Dans certaines
régions de la Méditerranée orientale, en Israël
par exemple, elles endommagent gravement les
écosystèmes et nuisent à la pêche. » Un ensemble
de facteurs qui esquissent un scénario écologique inquiétant, non durable, et qui menace un
grand nombre d’espèces.
« Quand Jacques-Yves Cousteau a commencé
à plonger dans ces eaux, il y a plus de soixante
ans, il a vu des fonds marins intacts, avec des
forêts d’algues et de posidonies en bonne santé,
où les grands poissons abondaient, fait remarquer Enric Sala, directeur scientifique de l’expédition. Aujourd’hui, ces forêts et prairies
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Lors d’une plongée, Pierre-Yves Cousteau prend des notes en observant les
fonds marins de Cabrera. À côté de lui, un énorme mérou surgit d’une cavité
dans la roche. Appartenant à une espèce solitaire, il semble perturbé par la
présence des membres de National Geographic.
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DAVE MCALONEY
L’Alcylone (ici, au mouillage en Corse) est équipé de ses deux turbovoiles de 10 m de haut et de 21 m2
de surface exposée. Ce système de propulsion innovant a été mis au point par Cousteau et son équipe
dans les années 1980. Il permet une économie de 35 % de carburant.
sous-marines sont fortement dégradées et souvent recouvertes d’une couche muqueuse d’algues et de bactéries filamenteuses. » Lorsqu’il y a
beaucoup de matières organiques en suspension,
les algues se propagent, étouffant les herbiers de
posidonies jusqu’à ce que ceux-ci disparaissent
et, avec eux, toutes les espèces qu’ils abritent.
Un grand nombre de zones non protégées sont
ainsi devenues de vastes étendues arides. Rien n’y
rappelle la biodiversité filmée par Cousteau.
Dans les zones protégées, en revanche, la biodiversité a pu se reconstituer. Pour Pierre-Yves
Cousteau, plonger en Méditerranée a été une
expérience extraordinaire. « Les aires marines
bien gérées sont des oasis de vie dans une mer
en train de mourir, souligne-t-il. Nous devrions
être reconnaissants envers ceux qui, il y a dix,
vingt ou trente ans, ont décidé de protéger ces
zones : elles sont à présent un modèle de ce que
la vie sous-marine était à l’époque. »
Bien que la Mare nostrum soit l’une des mers
les plus riches en biodiversité au monde, « seuls
4,6 % de ses eaux sont protégés », souligne Enric
Sala, qui confirme qu’il reste encore beaucoup à
14
faire. « Il faudrait qu’au moins 10 % de la
Méditerranée soit sous protection, et cela ne
suffirait même pas : la communauté scientifique
recommande d’atteindre 20 %. »
en 2012, 677 aires marines et côtières protégées
méditerranéennes étaient recensées, avec une
surface en augmentation de 7 % par rapport à
2008. Leur progression est notamment suivie
par le réseau MedPAN (Mediterranean
Protected Areas Network, qui représente des
gestionnaires d’AMP de dix-huit pays), et par les
vingt et un pays signataires de la Convention de
Barcelone, dédiée à la protection du milieu
marin en Méditerranée. La plupart des AMP de
la Grande Bleue se concentrent près des côtes.
Pour équilibrer leur distribution, la Convention
de Barcelone encourage aussi depuis 1999 la
création d ’aires spécialement protégées
(ASPIM) en mer ouverte (voir carte p 16), impliquant une coopération transfrontalière.
Dans la même optique, Enric Sala et Frédéric
Briand, directeur général de la Commission
internationale pour l’exploration scientifique de
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Les algues filamenteuses ont proliféré massivement et étouffé un herbier de posidonies à Punta
de la Gavina, sur l’île de Formentera (Baléares). Une contamination organique – due notamment
au rejet des eaux fécales – est très certainement à l’origine de la propagation de ces algues.
Il faudrait qu’au moins
10 % de la Méditerranée
soit sous protection. La
communauté scientifique
recommande même 20 %.
la mer Méditerranée (CIESM), proposaient, dès
2010, la création de huit parcs marins internationaux (dits « parcs de la paix »). « Les zones
concernées comprennent des aires côtières et
des eaux internationales, ce qui permettrait une
gestion et une protection harmonisées d’habitats marins interconnectés », s’enthousiasme
Frédéric Briand. L’instauration de ces parcs
préserverait 15 % de la Méditerranée.
L’Alcyone a mis le cap sur la Réserve naturelle
de Scandola, créée en 1975 sur la côte ouest de
la Corse et inscrite sur la liste du patrimoine
mondial de l’Unesco, avec le Parc naturel régional de Corse, en 1983. « Alors qu’à Marseille les
fonds marins sont pauvres, à Scandola il est
manifeste qu’après des années de protection les
espèces se sont reconstituées et l’écosystème est
stable, se réjouit Enric Sala. Les colonies de
corail rouge, les araignées de mer et les forêts
d’algues brunes sont quelques-unes des espèces
les plus emblématiques. »
Quand une zone marine est protégée, l’écosystème est progressivement recolonisé. « Les
espèces qui se reconstituent les premières sont
celles qui croissent le plus vite. Elles ont une
espérance de vie plus courte et un taux de reproduction élevé. En revanche, les grands prédateurs croissent lentement et peuvent vivre
jusqu’à 50 ans, de sorte que la reconstitution est
à plus long terme », explique Enric Sala. Au
début, les espèces deviennent plus abondantes.
Mais quand les populations de prédateurs
atteignent leur apogée, celles de leurs proies
tendent à diminuer. « Dans la mer, il se produit
la même chose que sur terre, où des populations
de prédateurs stables comme les lions ou les
loups régulent les effectifs de leurs proies, et
l’écosystème est plus sain », ajoute-t-il.
a i res ma ri nes protégées
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SLOVENIE

CROATIE
FRANCE
BOSNIE
HERZEG.
Mer
Ligurienne
Golfe
Rés. de
du Lion Scandola
CORSE
Îles Medes
Mer
des Baléares
ESPAGNE

MONTE
NEGRO
ITALIE
Mer
Adriatique
ALBANIE
Mer
Tyrrhénienne
SARDAIGNE
Île de Cabrera
BASSIN
Île d’Espardell
Île de Formentera OCCIDENTAL
Détroit
de Sicile

GRECE
SICILE
Mer
d’Alborán
Détroit
de Messine
TURQUIE
Mer de Crète
CRETE
MALTE

ALGERIE
Détroit
de Gibraltar
Mer
Égée
Mer
Ionienne
BASSIN ORIENTAL
TUNISIE
Mer
de Libye
Mer
du Levant
MAROC
Golfe
de Syrte
LIBYE
0
 EGYPTE
300 km
Aire spécialement protégée d'importance méditerranéenne
au titre de la Convention de Barcelone (ASPIM)
Autres aires marines protégées identifiées par le réseau MedPAN (2012) :
AMP nationale
Réseau Natura 2000
SYRIE
CHYPRE
LIBAN

ISRAEL
Aire prioritaire de conservation en mer ouverte,
où la création de nouvelles ASPIM est encouragée
Lieux visités par l’Alcyone
Sources des données :
- ASPIM : UICN, WWF, CAR/ASP
- AMP de Méditerranée : base de données MAPAMED, MedPAN - CAR/ASP, 2012
- Aires prioritaires de conservation : PNUE – PAM CAR/ASP, 2010 (S. Requena)
En 2012, la Méditerranée comptait 677 aires marines protégées. Depuis 2008, leur surface totale a
augmenté de 7 %. La création de nouvelles AMP et la nécessaire mise en réseau de certaines d’entre
elles se poursuit, avec une attention particulière à la mer ouverte, encore peu protégée.
Ayant quitté Scandola, l’Alcyone a vogué vers
l’Espagne pour gagner les îles Medes, puis les
Baléares, avec une première escale dans la
réserve S’Espardell, à Formentera, et à Cabrera,
un parc national. Partout, la reconstitution des
espèces a été spectaculaire. On y trouve souvent
de grands mérous, d’abondantes colonies de
gorgones, de splendides herbiers de posidonies
et d’innombrables autres espèces qui abondaient jadis dans toute la Méditerranée et sont
aujourd’hui confinées dans ces petits refuges.
« La protection des écosystèmes marins est
désormais une nécessité, autant qu’un “business” où tout le monde est gagnant, insiste Enric
Sala. Quelques années après la création d’une
réserve marine, les effectifs de poissons sont tels
qu’un certain nombre d’adultes, de juvéniles et
de larves franchissent les limites de la zone protégée et vont gonfler les populations environnantes de poissons d’intérêt commercial. Ils
sont particulièrement bénéfiques à la pêche
artisanale, la seule forme que l’on puisse actuellement considérer comme durable. » De l’avis
du biologiste, les pêcheurs comprennent l’utilité
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des réserves. Certains réclament même l’extension des réserves, conscients que, sans de telles
mesures, leurs enfants ne pourront continuer ce
métier. En outre, ces espaces sont une source de
revenus. « Dans les îles Medes, par exemple,
grâce au tourisme, une réserve d’une surface de
1 km2 à peine peut générer un revenu de six millions d’euros : vingt fois plus que celui de la
pêche. Sans parler du nombre d’emplois créés
pour répondre aux besoins des touristes qui
viennent observer là ce que l’on ne peut pratiquement plus voir ailleurs en Méditerranée. »
L’utilité des réserves marines a été prouvée
sous tous ses aspects. Cette conviction doit
maintenant atteindre l’ensemble de la société afin
que les centres de décision agissent en conséquence. Si les Romains ont inventé le nom Mare
nostrum quand, à l’apogée de leur splendeur, ils
régnaient sur tout le Bassin méditerranéen, il est
temps de nous le réapproprier. Non pas à des fins
d’exploitation illimitée, mais en harmonie avec
les objectifs d’un nouveau millénaire, qui exigent
que nous procédions à des changements considérables à l’échelle planétaire. j
CONCEPTION CARTE : AGENCE DES AIRES MARITIMES PROTÉGÉES/HUGUES PIOLET POUR NATIONAL GEOGRAPHIC
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Réserves naturelles corses :
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Scandola et les bouches de Bonifacio
À l’ouest de la Corse, la Réserve naturelle de Scandola a été créée en 1975 et
inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco en 1983. Cette partie du
Parc naturel régional de Corse occupe une presqu’île constituée d’impressionnantes roches magmatiques. Quantité d’oiseaux marins nichent à terre ; sous
l’eau, une grande variété de crustacés (araignée de mer, Maja squinado, en bas)
et de poissons tels que le lieu, le denti, le corb, le rouget et la murène (Muraena
helena, ci-contre) bénéficient d’un écosystème où les algues, les herbiers de
posidonies et les colonies de corail abondent.
Entre Corse et Sardaigne, le Parc marin international des bouches de Bonifacio regroupe l’Office de
l’environnement de la Corse, gestionnaire de la
Réserve naturelle des bouches de Bonifacio, la plus
grande de France métropolitaine, et le Parc national
de l’archipel de La Maddalena (Italie). Sur ce territoire de plus de 1 000 km², plus de 2 700 espèces
(dont près de 320 sont protégées), ont été recensées. Ce premier parc marin international est
l’aboutissement de plus de trente ans d’efforts de
protection d’un patrimoine naturel unique.
25 km
ORéserve
de Scandola
CORSE
Ajaccio
Bouches
de Bonifacio
a i res ma ri nes protégées
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O
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INFOGRAPHIE
Oiseaux
marins
Cétacés
Mers
nourricières
Les océans sont précieux à plus d’un titre.
Pour que les générations futures continuent
d’en profiter, les aires marines protégées
constituent des outils efficaces.
Illustration d’Antoine Levesque
P
Poissons
Mollusques
Algues
Récifs
coralliens
Plancton
Espèces
des abysses
ourquoi vouloir préserver la faune, la flore et le bon
état des océans ? Pour le plaisir et le bien-être qu’ils
nous procurent, bien sûr, mais aussi pour l’ensemble
de biens et services qu’ils nous rendent. Les scientifiques
se sont rendu compte qu’il était vain de vouloir protéger
une espèce isolée sans préserver le reste de son écosystème
– son habitat et les espèces qu’elle consomme notamment.
Une aire marine protégée (AMP) est ainsi un espace choisi
pour sa richesse et sa diversité en espèces. Elle bénéficie d’un
niveau de protection variable, tenant compte des nécessités
du milieu et des compromis trouvés entre les différents usagers (pêcheurs, professionnels du tourisme…). En France,
il existe 15 catégories d’AMP. Aujourd’hui, les Etats tentent
de les constituer en réseaux, voire de les coupler avec des
espaces terrestres protégés, afin d’améliorer leur efficacité.
5
QUELS BÉNÉFICES NOUS APPORTE
LA BIODIVERSITÉ MARINE ?
Les services fournis par les
écosystèmes côtiers constituent
une valeur annuelle de 1 600 milliards d’euros. Les poissons et
les mollusques représentent une
part conséquente de l’alimentation humaine. Les cétacés, les
récifs coralliens et les oiseaux
marins génèrent une importante
économie touristique (en 2012,
le tourisme sur la Grande Barrière
de corail a produit 4 milliards
d’euros). Les algues entrent dans
la composition de cosmétiques
et d’aliments, tandis que le
phytoplancton produit un tiers de
notre oxygène. Certains microorganismes des abysses sont
utilisés dans nos lessives, dans les
crèmes à bronzer et dans le
diagnostic de maladies génétiques.
18
6
QUELLES SONT LES MENACES
QUI PÈSENT SUR LES OCÉANS ?
On pense souvent aux marées noires, mais la pollution
tellurique (d’origine terrestre et véhiculée par les cours
d’eau et les canalisations) constitue la principale source
de pollution marine. Cette contamination atteint les
poissons qui, en bout de chaîne alimentaire, finissent dans
nos assiettes. Par ailleurs, selon la FAO (Organisation des
Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), deux tiers
des espèces sont surexploitées dans le monde.
national ge o graphic
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23/08/13 16:54
230 000
SCIENCE
C’est le nombre
d’espèces
marines décrites
scientifiquement
à ce jour. Un
million d’autres
seraient encore
inconnues.
5,4 millions
29%
12%
TRAVAIL
C’est le nombre
d’emplois liés
à la mer dans
l’Union européenne en 2012
(il y avait 93 000
pêcheurs en
France en 2010).
20-30 %
3%
71%
CLIMAT
C’est la part de
CO2 émis par
l’homme qui est
absorbée par les
océans chaque
année. Un taux
en baisse avec le
réchauffement.
SOURCES : WORLD REGISTER OF MARINE SPECIES - RAPPORT
FINAL DE LA CROISSANCE BLEUE, COMMISSION EUROPÉENNE
ET MINISTÈRE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE - INSU/CNRS
4
Part de la surface du
globe occupée par la
terre/par la mer.
Part protégée des terres
émergées/Proportion
protégée des océans.
LES ESPACES PROTÉGÉS
Le globe est recouvert à 71 % par les mers et les océans.
Pourtant, moins de 3 % de leur surface sont protégés.
L’objectif international est d’atteindre 10 % en 2020. Ce
réseau d’aires marines protégées permettrait de mieux
connaître et gérer le milieu par des pratiques respectueuses.
3
2
1
1 Pollution tellurique (engrais, pesticides…)
2 Surexploitation des côtes
3 Surpêche
4 Plastiques flottants
5 Dégazages, marées noires
6 Déchets de pêche
SOURCE : UNESCO
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Le
« DERNIER OCÉAN »
SERA-T-IL
PROTÉGÉ ?
En Antarctique, la mer
de Ross est considérée
comme l’écosystème
marin le mieux préservé
de la planète. Toutefois,
elle est aujourd’hui
menacée par la pêche
industrielle. Des
scientifiques luttent
pour sa protection.
Gelée une grande partie de l’année, la mer
de Ross est un refuge pour les organismes
cryophiles, qui se développent dans les milieux
froids. Les scientifiques cherchent à comprendre
comment ils survivent à des températures
auxquelles, normalement, la plupart des processus biologiques s’arrêtent.
20
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nat ional ge o graphic
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MARCO GROB
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Les manchots empereurs se nourrissent
de krill, de poissons et de calmars, une
nourriture abondante en mer de Ross.
Pour faciliter la pêche, les colonies s’installent toujours à proximité de polynies,
des zones toujours libres de glace.
a i re ma ri ne
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DE LUCIA SIMION
PHOTOGRAPHIES DE PAUL NICKLEN
Île de Beaufort
Mont Erebus
Mer de Ross
Île Black
Iceshelf
de Ross
ar
Terre
Marie Byrd
Byr d
B
8 0°S
ct
iq
ue
Zones
spécialement
protégées de
l’Antarctique
7 5°S
Île de Ross
Botany
Bay
nt
NGFRMER_0024 24
Edmonson Point
Cap Washington
Baie de Terra Nova
Mont Melbourne
nsa
national ge o graphic
Pôle Sud
ANTARCTIQUE
AN
TARCTIQUE
T
Tra
24
Cap Hallett
T er r e
Vi ctor i a
7 0°S
ZONE
AGRANDIE
Cap Adare
Monts
D u sommet du Melbourne, un volcan
de 2 732 m d’altitude, le regard se perd
sur la surface de la mer de Ross. Tout
n’y est que bleu, vif et intense, émaillé
de blocs de banquise, de glaciers
majestueux et de rivages enneigés.
Nous sommes en Antarctique. En ce
matin limpide de l’été austral, la mer, découverte en 1841 par l’explorateur anglais James
Clark Ross, est éblouissante. Au pied du
Melbourne se trouvent le cap Washington et la
banquise, sur laquelle se forme chaque année
une des deux plus grandes colonies de manchots empereurs du continent. En mai dernier,
toute la zone du cap Washington (280 km2) a été
classée « zone spécialement protégée » (ASPA),
avec un accès strictement réglementé.
Au-delà, la mer de Ross forme une vaste
échancrure du sixième continent : elle s’étend
du cap Adare, au nord de la terre Victoria,
jusqu’aux abords de la terre Marie Byrd, au sudouest (voir carte). Comme l’a révélé une étude
publiée par la revue Science en 2008, elle constitue l’écosystème océanique le mieux préservé
de la planète. Le dernier océan épargné par la
pollution et la surpêche. Lors du printemps austral, la poussée phytoplanctonique est si considérable qu’on la mesure depuis l’espace. Cette
zone abrite également des espèces charismatiques : un quart des manchots empereurs de
l’Antarctique se reproduit ici, ainsi que trois millions de manchots Adélie (38 % de la population
mondiale). Des prédateurs comme l’orque, le
léopard des mers, le calmar colossal, la baleine
de Minke, la bérardie d’Arnoux (un cétacé qui
peut atteindre 12 m de long), pas moins de cinq
espèces de phoques et près de cent espèces de
poissons – dont plus de la moitié est issue d’un
ancêtre commun – peuplent ces eaux. Mais la
mer de Ross est aussi splendide que fragile. En
cause : la pêche industrielle qui accroît sa pression
et menace l’équilibre de l’écosystème.
s
0
250 km
Au centre des intérêts, la légine antarctique.
Un gros poisson (il peut atteindre 100 kg et 2 m
de long) à la chair blanche et fondante, vendu
particulièrement cher sur le marché américain
et asiatique. Rien qu’en Nouvelle-Zélande, la
pêche autorisée représente un chiffre d’affaires
annuel d’environ 15 millions d’euros.
l’espèce fascine aussi les biologistes. Car
Dissostichus mawsoni vit entre 500 et 2 200 m de
profondeur, dans une eau à - 1,87 °C. Pour survivre à de telles conditions, il produit des protéines antigel, sa flottabilité est neutre grâce à
d’importantes réserves de graisse, et son cœur
ne bat que six fois par minute. Pour frayer, les
légines migreraient au nord de la mer de Ross.
Œufs et larves seraient ensuite emportés vers le
sud par des courants. Cependant, aucune larve
n’a jamais été observée et, si l’on sait que ce poisson n’atteint sa maturité sexuelle qu’entre 13 et
17 ans et qu’il peut vivre jusqu’à 48 ans, son
cycle de vie demeure assez mystérieux.
Il y a quarante ans, les chercheurs capturaient
500 légines par saison, les marquaient et les relâchaient. Aujourd’hui, ils reviennent bredouilles.
L’objet de leur étude a quasiment disparu. La
CARTE : HUGUES PIOLET POUR NATIONAL GEOGRAPHIC
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CHRIS CHENG / UNIVERSITY OF ILLINOIS
La mesure de l’épaisseur de la banquise fait partie des études menées à cap Washington
(ci-dessus). La légine antarctique (ci-dessous) est examinée notamment pour son étonnante capacité à fabriquer des protéines antigel. Celle-ci a été capturée, conservée en
aquarium, avant qu’on lui prélève du sang et des tissus et qu’on la rende à la mer.
a i res ma ri nes protégées
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25
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Pour les scientifiques,
il y a urgence. Outre la légine,
l’ensemble de l’écosystème
pâtit déjà de l’exploitation
de la mer de Ross.
pêche industrielle n’a débuté qu’en 1996.
Aujourd’hui, vingt-deux palangriers de sept
pays (Corée du Sud, Grande-Bretagne, Espagne,
Nouvelle-Zélande, Norvège, Russie, Ukraine)
sont autorisés par la Convention sur la conservation des ressources marines vivantes de
l’Antarctique (CCAMLR) à travailler durant
l’été austral. Les ONG s’alarment du quota
annuel : 3 000 tonnes, soit environ 100 000 captures, sans compter la pêche illicite. Une quantité
basée sur l’évaluation de la biomasse réalisée par
les pêcheries elles-mêmes !
Pour y remédier, un nouveau secteur de cette
partie de l’océan Austral pourrait obtenir le
statut d’aire marine protégée (AMP). La décision, attendue en octobre prochain, lors de leur
réunion annuelle, dépend des vingt-cinq Etats
membres de la CCAMLR, dont l’objectif est de
préserver la vie marine sur le continent blanc.
les négociations sur les limites de cette nouvelle AMP (ainsi que sur celles de l’Est
Antarctique) s’annoncent animées. La NouvelleZélande et les Etats-Unis veulent maintenir leur
activité économique liée à la légine. Ils proposent de créer « la plus grande AMP de la planète », qui exclut toutefois les meilleures zones
de pêche. Des scientifiques, eux, ne l’entendent
pas ainsi. « La mer de Ross est un laboratoire
extraordinaire et précieux, qui nous permet de
mesurer la dynamique d’un océan ainsi que les
effets du changement climatique, sans la superposition d’autres formes d’activité humaine »,
explique David Ainley, biologiste américain qui,
depuis quarante ans, étudie l’écologie de cette
mer et plaide la cause de cet éden blanc, notamment dans le documentaire «The last ocean».
L’homme a aussi fédéré plusieurs dizaines de ses
pairs afin d’obtenir le classement en AMP du
secteur le plus riche en biodiversité : 650 000 km2
26
constitués du plateau et du talus continental
(l’escarpement qui relie le plateau à la plaine
abyssale). Avec interdiction de pêcher.
En juillet dernier, en Allemagne, la réunion
spéciale de la CCAMLR s’est soldée par un
échec : la Russie et l’Ukraine considèrent que les
projets de création d’AMP ne sont pas définis
juridiquement. «L’enjeu économique est très
important, il s’agit d’une décision politique»,
explique Philippe Koubbi, écologue marin et
représentant scientifique français à la CCAMLR.
Pour les scientifiques, il y a urgence. Outre la
légine, tout l’écosystème pâtit déjà de cette
exploitation. Chercheuse au centre d’écologie
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LUCIA SIMION
fonctionnelle et évolutive de Montpellier et
membre de l’équipe de David Ainley, Amélie
Lescroël a participé à six expéditions en mer de
Ross. Elle a observé un déclin des populations
d’orques, prédateurs de la légine antarctique.
« Une bascule vers un changement d’état de cet
écosystème est déjà évident, s’alarme-t-elle. Cela
va réduire sa résilience vis-à-vis du changement
climatique. » La colonie de cap Crozier, sur l’île
de Ross, compte à elle seule 500 000 manchots
Adélie. Une « ville des manchots » qui
consomme de considérables quantités de krill
et de calandre antarctique, un poisson prisé par
la légine. Puisque celle-ci devient rare, les stocks
Le cap Adare sépare la mer de Ross (à
l’est) de l’océan Austral (à l’ouest). Camp
de base durant les premières expéditions
en Antarctique, il abrite une grande
colonie de manchots Adélie et a été classé
en aire spécialement protégée (ASPA).
de calandres augmentent avec la population de
manchots Adélie, déréglant l’harmonie et
l’équilibre de l’écosystème.
Quel sera le destin de ce « dernier océan » du
bout du monde ? Si l’esprit de collaboration du
Traité sur l’Antarctique l’emporte, l’issue pourrait être positive. Mais tous le savent, la bataille
promet d’être longue et très difficile. j
a i res ma ri nes protégées
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De Bernadette Gilbertas
Photographie Jean-François Hellio / Nicolas Van Ingen
Haïdar El Ali
Un poisson-pilote au Sénégal
L
’océan lui est apparu pour la première fois au débouché
d’une rue de Dakar, si lumineux que, du haut de ses
8 ans, le petit Haïdar El Ali en a été subjugué. « Happé
par sa présence, je n’ai cessé de vouloir le retrouver », raconte
l’écologiste, devenu ministre de l’Environnement puis ministre de
la Pêche du Sénégal. Il apprend seul à nager, préfère « l’enseignement
de la nature à celui de l’école », plonge et plonge encore.
Tour à tour chasseur d’épaves, technicien sur
des chantiers sous-marins, moniteur, Haïdar
débarque à l’Océanium, club de plongée dakarois dont il prend les rênes en 1988. Pour cet
homme-poisson, capable de se repérer au son et
aux infimes mouvements du courant, lié à la mer
par une relation mystique, tout en elle n’est que
plaisir et beauté. Jusqu’à ce fameux jour où il
assiste à une pêche à l’explosif.
« Sous l’eau, j’ai vu les poissons déchiquetés
et, en surface, l’innocence des pêcheurs. J’ai
décidé de prendre les armes de la parole et de
l’image pour protéger la mer muette. » Caméra
au poing, il filme les fonds marins. Ses images
servent d’outils de sensibilisation à l’Océanium,
28
devenu en 1990 une incontournable association
de protection de la nature. Sa vie pour « réveiller
les consciences » se transforme en combat. Il
arraisonne l’Orient Flowers, bateau chargé de
produits toxiques amarré à Dakar, obtient de
haute lutte un décret imposant le repos biologique (l’interdiction de pêche pendant un certain temps) d’un mollusque, le yet, dénonce les
techniques illégales de pêche, les filets aux
mailles trop fines, plonge lui-même pour arracher ceux qui sont restés accrochés au fond…
En 2002, il crée l’Aire marine communautaire
protégée (AMCP) du Bamboung, la toute première du Sénégal, au cœur du delta du Saloum.
Dans un pays où la pêche, premier secteur
nationa l ge o graphic
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économique, fait vivre 650 000 personnes, il
devenait urgent de répondre à la préoccupation
des pêcheurs artisanaux n’arrivant plus à nourrir leur famille du fait de la raréfaction des
prises. Deux années de palabres et de sensibilisation ont motivé les villageois à prendre leur
destin en main. Aujourd’hui, l’AMCP du
Bamboung a gagné son autonomie par la mise
en place d’un campement écotouristique, et les
ressources biologiques du chenal d’eau salée – le
bolong – ont été multipliées par deux. L’aire de
Bamboung est un exemple à suivre pour les
quatre autres AMCP du Sénégal et les deux aires
de patrimoine autochtones et communautaires
prévues en Casamance. Les secrets d’une AMCP
Haïdar El Ali a passé des années à la tête de l’association
dakaroise Océanium. Il y a orchestré notamment la
plantation de milliers d’hectares de mangrove. Après avoir
été ministre de l’Environnement du Sénégal (2012), il est
aujourd’hui celui de la Pêche et des Affaires maritimes.
réussie ? « Le choix du site, l’implication des
populations comme facteurs de stabilité, l’écotourisme pour sa pérennité, et la beauté du
lieu ! », répond Haïdar El Ali.
À l’Environnement, il a cherché à multiplier
les aires marines - véritables assurances-vie pour
l’Afrique - et a créé, au sein du ministère, la
Direction des AMCP. Nommé en septembre à la
Pêche, il devrait se concentrer sur une gestion
durable de l’activité. Et s’il venait à quitter le gouvernement? « Je continuerais mon combat en mer
et sur terre. Ministre un jour, écolo toujours ! » j
a i res ma ri nes protégées
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Dans les Florida Keys, les bateaux doivent obligatoirement
s’amarrer aux bouées. Ils évitent ainsi d’endommager
les superbes formations coralliennes avec leurs ancres.
30
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LES FLORIDA KEYS
UN PARADIS
EN PÉRIL
Splendide sanctuaire marin américain,
les Florida Keys abritent des récifs
coralliens exceptionnels. Et attirent à la
fois des scientifiques et des touristes.
Ce qui ne les met pas à l’abri du danger.
FLORIDE
Miami
Golfe du
Mexique
P.N. de
Biscayne
Parc national
des Everglades
ETATSTA
UNIS FLORIDE
Overseas
Highway
Key Largo
ZONE
AGRANDIE
Islamorada
Big Pine Key
Key West
Marathon
K
E
Y
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OCÉAN
ATLANTIQUE
D A
R I
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F L
Sanctuaire
national marin des 0
25 km
Florida Keys
CARTE : HUGUES PIOLET POUR NATIONAL GEOGRAPHIC
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De Hélène Crié-Wiesner
Photographies de Stephen Frink
D
ommage pour l’exotisme :
pour rejoindre les Florida Keys, il faut utiliser la
route. Mais quelle route ! Les 1 700 îles et îlots de
l’archipel sont reliés par l’Overseas Highway, qui
franchit quarante-deux ponts, dont un de 7 km.
Du sud de Miami à Key West, pendant 200 km,
vous roulerez sur l’eau, ou presque. Une eau protégée, un parc naturel liquide : le Florida Keys
National Marine Sanctuary.
En contrebas de la route, vous apercevrez des
dauphins bondir, des tortues géantes alanguies
sur les hauts fonds, des bancs de poissons mordorés nager, et des oiseaux plonger. Mais vous
verrez aussi des bateaux de pêche hérissés de
harpons sportifs, une forêt mouvante de kitesurfs, des yachts luxueux et les canots à moteur
des tour-opérateurs transportant des hordes de
plongeurs vers la barrière de corail. Vous réaliserez que le mot « sanctuaire » a peut-être une
signification plus vaste que ce à quoi vous vous
attendiez en venant aux Keys.
Le sanctuaire marin des Florida Keys s’étend
sur 10 000 km2 autour des îles. Créé en 1990, il
fait partie de l’Office national des sanctuaires
marins (ONMS), la structure administrative
américaine regroupant les eaux protégées des
Etats-Unis. Doté du plus vaste espace maritime
mondial, le pays a commencé en 1966 à se doter
de lois et de réglementations protégeant certaines
zones marines et lacustres. Aujourd’hui, l’Office
compte 14 sanctuaires couvrant 440 298 km2
dans l’Atlantique, le Pacifique et les Grands Lacs.
La troisième plus grande barrière de corail du
monde se situe à quelques encablures des Florida
Keys. Sans elle, jamais le congrès des Etats-Unis
et le gouvernement de Floride n’auraient accepté
32
de soustraire à l’exploitation et la navigation
commerciale un espace aussi stratégique, à la
limite du Golfe du Mexique et de l’Atlantique.
Dès les années 1970, les scientifiques avaient
prévenu que les coraux caribéens se détérioraient.
Par petits bouts, des zones des Keys sont entrées
dans le réseau de l’ONMS. Mais l’intensification
des forages pétroliers et gaziers des années 1980
ainsi que des naufrages catastrophiques ont
accéléré la détérioration de la qualité des eaux.
Les coraux s’affaiblissaient toujours. Il fallait
élargir la zone de protection. L’agence fédérale
en charge des océans et de l’atmosphère, la
NOAA, dont dépend l’ONMS, se vit confier la
tutelle du large des Florida Keys.
Des mesures ont alors été prises : interdiction
des forages et des activités ayant un impact sur
les fonds, restriction de la navigation des gros
navires, limitation drastique de la manipulation
des coraux. Il a ensuite fallu près de dix ans de
discussions entre scientifiques et acteurs locaux
pour s’entendre sur une charte de gestion, régulièrement actualisée en fonction des impératifs
économiques et écologiques du moment.
S’il n’a pas été question de limiter le tourisme,
d’interdire les embarcations motorisées ou la
pêche sportive, certaines mesures d’abord considérées comme coercitives ont fait leurs preuves.
Notamment le système de bouées, qui pullulent
dans la zone protégée et permettent de localiser
les coraux, les récifs artificiels, les épaves, et les
réserves écologiques spécifiques. Les bateaux s’y
amarrent sans avoir à jeter l’ancre.
Les milliers de professionnels d’un tourisme
florissant, qui avaient pu craindre une mise sous
tutelle écologique de leur outil de travail, sont
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Le Christ des abysses, une statue en bronze de 2,50 m de haut, a été installée en 1966 par le Florida
State Park Service pour « accueillir » les plongeurs les bras ouverts, en signe de paix.
rassurés : une étude de la NOAA, en lien avec
l’Etat de Floride, qui cogère le sanctuaire, atteste
de l’augmentation constante du nombre des visiteurs. Plus de trois millions de personnes ont
séjourné aux Keys en 2008, selon la dernière
étude globale parue en 2010.
Est-ce que les coraux vont mieux à l’issue de
vingt années de protection ? Le professeur Chris
Langdon, spécialiste des coraux de surface à
l’université de Miami, hausse les épaules : « Non.
Les coraux des Caraïbes ont été touchés dès la
fin des années 1970 par deux maladies qui n’ont
fait qu’empirer et se répandre. Si le sanctuaire
avait été créé plus tôt, cela aurait contré l’effet de
la surpêche qui a accru leur mauvaise santé.
Disons que le sanctuaire est un pansement d’urgence qui ralentit leur dégradation. Mais le
changement climatique et l’acidification des
océans condamnent à terme bien des espèces, et
les frontières du sanctuaire n’y pourront rien. »
En revanche, certains poissons à la santé jadis
flageolante ont incontestablement bénéficié de la
protection nationale. Scott Donahue, coordinateur scientifique du Parc national des Keys, est
formel : « La réserve écologique des Tortugas, à
l’extrême ouest du sanctuaire, a vu depuis 2001
le retour du vivaneau-sorbe dans les zones de
frai. On a aussi constaté une augmentation en
nombre et en taille de certains poissons communément pêchés. Ces progrès sont dus à la fois à la
protection et à l’évolution des règles de pêche. »
Pour l’heure, le milieu marin et côtier est
superbe. Les îles regorgent de musées, sites
récréatifs et refuges de vie sauvage, qui drainent
autant, sinon plus, de visiteurs que le sanctuaire
marin lui-même. A lui seul, le centre d’écodécouverte de Key West, géré par la NOAA, a
reçu 73 000 visiteurs en 2012. Les usagers du site
apprennent à voir la mer comme une ressource et
plus seulement comme un lieu de villégiature. j
a i res ma ri nes protégées
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INTERVIEW
Parc marin d’Iroise
Créé en 2007, le Parc naturel marin d’Iroise (Finistère) met en avant trois grands
objectifs : favoriser la connaissance et la protection de la zone, développer une gestion
durable et sensibiliser le public. PHILIPPE LE NILIOT, adjoint au directeur du Parc,
explique la démarche au travers d’un cas d’école : les algues laminaires.
Comment caractériser ce premier parc marin créé en France ?
Nous sommes sur un territoire à la fois très riche en ressources naturelles et en activités
liées à la mer ; et très productif, avec 50 000 tonnes de ressources halieutiques pêchées
par an. Nous tentons de valoriser les activités présentes sur notre territoire pour faire
vivre la zone côtière. La récolte des laminaires effectuée dans le périmètre du parc, par
exemple, représente 75 % de la production française annuelle.
En quoi ces milieux sont-ils importants ?
L’écosystème local contient 300 espèces de micro-algues. Les phoques gris viennent
parfois se reposer dans les champs d’algues, sur le fond marin. À l’origine, les algues
brunes étaient utilisées pour la soude. Aujourd’hui, on les retrouve dans plus de
300 produits du quotidien, notamment dans l’industrie pharmaceutique et cosmétique.
Dans la région, l’activité goémonière est importante historiquement et socialement.
Sur quelles algues portent vos études ?
Il faut en effet distinguer les deux espèces qui sont récoltées : Laminaria digitata et
Laminaria hyperborea. La première vit dans des champs qui descendent jusqu’à 5 m
de profondeur et connaît une exploitation mécanisée depuis trente ans.
La seconde est exploitée entre 12 m et 15 m de fond. Sa récolte s’est développée
à partir des années 1995 autour de gros bateaux équipés de peignes norvégiens,
une sorte de râteau traîné sur le fond qui arrache les algues.
En quoi le Parc permet-il une gestion durable de ces écosystèmes ?
Nous avons par exemple réalisé des études avec l’Ifremer, le Muséum national d’histoire
naturelle (MNHN) et la Station biologique de Roscoff (CNRS) pour connaître l’impact de
ce peigne. Il s’avère qu’il permet de sélectionner les plants adultes et laisse les jeunes,
mais qu’il retourne les rochers sur le fond. Par ailleurs, le Parc a, entre autres missions,
celle d’améliorer la connaissance de son territoire. Nous réalisons donc, en partenariat
avec l’Ifremer, une cartographie de l’ensemble des champs pour estimer l’abondance
des algues. Nous voulons aussi savoir quelle est l’importance de ce milieu pour les
phoques gris, à quelles périodes ils y viennent et si cela correspond aux moments de
récolte. Enfin, nous avons proposé avec le CNRS et le MNHN une grille d’exploitation,
basée sur notre cartographie, pour augmenter ou réduire les surfaces de production.
Un moyen de mêler activités économiques et protection des milieux.
34
PHOTOGRAPHIE DE LAURENT GERMAIN / AGENCE DES AIRES MARINES PROTÉGÉES
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À l’aide de son scoubidou,
un goémonier extirpe
des algues laminaires.
Au sein du Parc naturel
marin d’Iroise, l’archipel
de Molène est l’un
des plus grands champs
d’algues d’Europe.
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SUNDARBANS
UNE MANGROVE
EN ÉQUILIBRE
PRÉCAIRE
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La pêche au crabe est pratiquée uniquement par les
hommes. Les casiers en bambou sont immergés avec un
morceau d’anguille, puis relevés à la marée suivante.
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DE CLAIRE LECŒUVRE
PHOTOGRAPHIES DE XAVIER DESMIER
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national ge o graphic
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ly
Kolkata
BANGLADESH
(Calcutta)
Réserve forestière
des Sundarbans
INDE
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S
U
N
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A
R
B
A
N
Pasur
D es éclats d’eau mêlés d’éclats de joie
jaillissent quand ils entrent dans la
mer. Adultes et enfants courent extirper les poissons qui gonflent les filets.
Certains tirent les barques vers la
rive, d’autres portent des paniers.
Quelques minutes plus tard, la pêche
est rapportée à terre et étalée au sol pour lui permettre de sécher au soleil. Entre le mois d’août
et celui de décembre, des milliers de pêcheurs
s’installent dans des villages éphémères pour
capturer poissons, crevettes et crabes dans la
mangrove des Sundarbans, au Bangladesh. Mais
personne n’est autorisé à y vivre à l’année.
Cet écosystème de marais maritime, présent
dans les zones équatoriales et tropicales, est
caractérisé par une végétation de palétuviers qui
se développe dans la zone de balancement des
marées. Classée en réserve nationale par l’Empire
britannique en 1879, celle des Sundarbans est,
côté Bangladesh, réglementée et protégée par des
gardes. Depuis 1997, elle est même en partie classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Les
Sundarbans regorgent en effet de richesses naturelles, mais pour pouvoir y accéder, chacun
– qu’il soit pêcheur, récolteur de miel ou de
branches de golpata (un petit palmier qu’on utilise aussi bien pour construire les maisons que
pour se soigner) – doit acheter un permis.
Car limiter son accès, c’est aussi protéger la
plus grande mangrove continue du monde :
10 000 km 2 , répartis entre le Bangladesh et
l’Inde. Ici, près de 500 espèces de plantes (sur
terre et dans l’eau) et plus de 425 espèces d’animaux – dont, notamment, des crocodiles, des
lézards et des serpents – ont déjà été inventoriées. Sans compter trois variétés de dauphins
et plus de 400 espèces de poissons. En outre, la
mangrove héberge un animal ô combien
Hoo
gh
Entre la terre et l’océan, la mangrove des Sundarbans, à cheval
sur l’Inde et le Bangladesh, constitue un immense milieu protecteur et
nourricier. Côté bangladais, pourtant, malgré les mesures de soutien
dont cet écosystème bénéficie, sa survie est menacée.
BANGLADESH
Parc national
des Sundarbans
0
25 km
Golfe
du Bengale
INDE
ZONE
AGRANDIE
Sanctuaire de vie sauvage
Site du patrimoine mondial de l’Unesco
emblématique : le tigre du Bengale. De 200 à
450 de ces félins – près d’un quart de la population mondiale – vivent en effet dans sa forêt.
Les ONG le savent bien : sans cette espèce,
classée « en danger » par l’UICN (l’Union
internationale pour la conservation de la
nature), la mangrove des Sundarbans ne bénéficierait pas d’autant de programmes d’aide.
ainsi, un plan de protection du tigre doté de
9 millions d’euros a été débloqué. La mesure
bénéficie autant à l’animal qu’à son habitat et à
l’ensemble de l’écosystème. D’ailleurs, le félin
ne se contente pas de générer des revenus, il sert
aussi d’élément dissuasif à toute incursion profonde de l’homme à travers les arbres.
Outre le tigre, les attaques de pirates – qui
rançonnent ceux qu’ils rencontrent – terrorisent
les populations. Toutefois, certaines personnes
n’ont souvent pas d’autre choix pour vivre que
de prendre le risque de venir illégalement s’approvisionner en bois ou en poissons.
CARTE : HUGUES PIOLET POUR NATIONAL GEOGRAPHIC
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A marée basse, une femme tire un filet près des berges de son village (ci-dessus). Les
alevins de crevettes tigres récoltés seront vendus à l’unité à une ferme aquacole voisine.
Située dans l’ouest du delta du golfe du Bengale, issue de la rencontre du Gange et du
Brahmapoutre, la mangrove des Sundarbans abrite une biodiversité exceptionnelle.
a i res ma ri nes protégées
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En novembre, une fête hindoue, la Mela, rassemble des centaines de familles de pêcheurs. Les offrandes
à la mer sont censées protéger les hommes des tigres et des pirates, et leur assurer une bonne pêche.
Pour pallier ce problème et réduire la dépendance des populations locales aux ressources
de la mangrove, pas moins de 72 millions d’euros ont été débloqués pour la réalisation de
quatre projets nationaux, dont deux consacrés
uniquement aux Sundarbans. Principal objectif : aider les habitants de la mangrove à s’intégrer « à l’extérieur », dans l’industrie textile, la
pisciculture, l’artisanat ou encore le tourisme.
Car si, d’après des travaux de l’Institut bengali d’études de développement, beaucoup
ignorent qu’ils pêchent dans un sanctuaire de
l ’Unesco, les locau x sont globa lement
conscients de l’importance de la mangrove.
Pour les y aider, l’ONG Wildteam organise des
sessions de sensibilisation auprès des enfants
comme des adultes : « Les gens qui vivent près
de la mangrove sont très préoccupés par son
40
maintien et sa protection, souligne Karolyn
Upham, de la Wildteam. Peu à peu, ils font
attention à réduire les coupes de bois et à moins
chasser. Beaucoup de locaux s’occupent aussi
de la protection du tigre. »
les pêcheurs, eux, ont appris que ces eaux,
riches en nutriments, servent de nurserie aux
poissons, qui renouvelleront les stocks. Ils
savent aussi que ce marais maritime joue depuis
toujours le rôle de zone tampon avec l’océan, et
que la forêt protège les terres de l’érosion et des
fréquents cyclones. Même l’activité des fermes
de crevettes – qui prennent la place de rizières,
impactent les stocks naturels et l’écosystème
dans son ensemble – a tendance à diminuer,
grâce à une prise de conscience des populations
et aux efforts de sensibilisation des ONG.
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Régulièrement entretenue par les villageois, une digue quasi continue sépare le golfe du Bengale et
le continent. Elle relie les villages qui la bordent, où vivent près de trois millions et demi d’habitants.
Un projet de centrale
à charbon, située près de
la rivière Pasur, inquiète
aussi les défenseurs
de la mangrove.
Dans les quelques villages hindouistes de la
zone, les Bangladais restent très proches de la
nature. « Ils ont un tel respect pour la mangrove
que, malgré leur pauvreté, ils ne la surexploitent
pas, insiste Sirajul Hossain, photographe et
guide de la région. Les principaux problèmes
viennent des riches entrepreneurs qui causent
d’énormes dommages irréversibles. »
Aux portes de la réserve, en effet, la multiplication des ports et le trafic de containers
entraînent la pollution des cours d’eau. Plus loin,
des ouvrages anciens, comme le barrage de
Farakka (en Inde) construit sur le Gange en
1975, déstabilisent le milieu. Ces constructions
réduisent de façon importante la quantité d’eau
douce irriguant les Sundarbans. Ce faisant, les
infiltrations d’eau marine augmentent, les
arbres se développent moins ou meurent. Or ces
végétaux piègent les sédiments qui, lorsqu’ils
s’accumulent, empêchent l’eau marine d’entrer
dans la mangrove et de noyer les sols.
Par ailleurs, un projet de centrale à charbon
près de la rivière Pasur, à 4 km de la réserve
nationale bangladaise, inquiète aussi les défenseurs de la mangrove. Sans même parler des
rejets de gaz à effets de serre qu’elle va engendrer,
a i res ma ri nes protégées
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Toute entrée dans les Sundarbans est soumise à un permis. Des postes de contrôle (ci-dessus) y sont
disséminés. Certaines pratiques peuvent être restreintes d’une année à l’autre pour préserver le milieu.
la centrale risque de diminuer encore la quantité
d’eau douce atteignant les Sundarbans. Dans son
dernier rapport de 2011, l’Unesco a laissé quatre
ans au gouvernement pour lui faire parvenir des
analyses sur l’état écologique de la zone.
D’autant que la mangrove est également touchée par un autre phénomène, mondial celui-là :
le changement climatique. A tous niveaux, des
bouleversements sont déjà observés. Au cours
du xxe siècle, le niveau de la mer s’est élevé de 12
à 20 cm. Conséquence : l’eau marine s’infiltre
dans la mangrove et en augmente la salinité.
Une étude réalisée en 2010 par le Département
du travail public sur les Sundarbans note que,
dans la région, la température à la surface de
l’eau a augmenté de 0,5 °C par décennie ces
trente dernières années. Huit fois le taux
42
mondial ! La salinité et le réchauffement
causent une diminution de l’oxygène dissous
dans l’eau. Ce phénomène bouleverse le milieu,
et en particulier sa f lore si particulière.
L’érosion, elle, s’accentue. Les eaux s’opacifient,
affectant la survie du phytoplancton et modifiant du même coup toute la chaîne alimentaire,
en particulier celle des poissons.
Aujourd’hui, la mangrove des Sundarbans
demeure l’une des plus belles du monde, mais
face aux menaces qui pèsent sur elle, scientifiques et ONG ont sonné l’alarme. Que se passera-t-il si cet espace venait à se réduire ? Faute
de pouvoir répondre, les populations locales
continuent à profiter au mieux de l’eau et de ses
ressources. S'ils n'en ont pas le titre, ils sont certainement les meilleurs gardiens du lieu. j
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Le défi
Les océans – qui hébergent 80%
de la biodiversité mondiale –
sont affectés par des menaces
toujours croissantes. Les mesures
globales de restauration des
écosystèmes côtiers dégradés,
de réduction de la pollution et
d’appréciation des changements
climatiques doivent être
renforcées par une protection
sigificative des écosystèmes
marins – une protection qui
permettrait le rétablissement
des océans et leur préservation
pour nos besoins futurs.
La réponse
Depuis plusieurs décennies,
l’UICN (l’Union Internationale pour
la Conservation de la Nature)
a plaidé pour la protection et
la gestion durable des océans
en créant des aires marines
protégées.
Avec ses Membres, Commissions
et Partenaires, l’UICN a travaillé
au développement d’outils
et de plateformes essentiels à
l’amélioration de la gestion de
ces espaces clés, et a exposé
une ligne de conduite claire
auprès des instances
internationales.
Le réseau
Grâce à ses 1 200 membres,
son réseau de 11 000 experts
scientifiques, ses communautés
centrées sur des problématiques
marines et la portée globale de
ses 1 000 employés répartis dans
60 pays, l’UICN contribue à
catalyser les efforts pour relever
les défis essentiels des océans
à l’échelle internationale.
Rejoignez-nous maintenant pour
nous prêter votre voix et nous
soutenir dans une union globale
pour un futur durable.
UICN: l’union globale pour un futur durable
www.iucn.org/marine www.protectplanetocean.org
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La France, deuxième espace marin au monde ;
rare pays présent dans tous les océans ;
11 millions de km2, l’équivalent de quatre fois et demi la Méditerranée ;
Un formidable réservoir de ressources et de biodiversité ;
Photos : A. Diringer/Images d’eau ; Yves Gladu
Un milieu à protéger.
aujourd’hui, nous savons que les richesses naturelles sont fragiles
et que leur préservation doit devenir un objectif commun.
En France, comme partout
dans le monde, les aires marines
protégées sont très peu nombreuses.
Fondée en 2006, l’Agence des aires marines protégées,
établissement public, a pour mission de créer, en France,
20 % d’aires marines protégées dont dix parcs naturels marins.
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