lutte contre la pauvrete et genre au mexique : les femmes du
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lutte contre la pauvrete et genre au mexique : les femmes du
Université Lyon 2 Institut d’Etudes Politiques de Lyon LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. Sandra Bursi Séminaire « Développement et développement durable en Amérique latine ». Directeur de recherche : Jacky Buffet er Soutenance : 1 septembre 2008. Jury : Jacky Buffet, maître de conférences de Sciences économiques à l’Institut d’études politiques de Lyon et David Garibay, maître de conférences de science politique à l’université Lumière Lyon-2. Table des matières Remerciements. . . Introduction . . Partie 1 : autonomie, femmes et developpement. . . Chapitre 1 : Quand le développement s’intéresse aux femmes. . . I/ Historique des différentes approches du développement. . . II/ Développement, politiques de lutte contre la pauvreté et genre : le cas du Mexique. . . Chpaitre 2. Autonomie : définitions et cadre d’analyse. . . I/ La conception libérale de l’autonomie. . . II/ Critiques féministes de la conception libérale de l’autonomie. . . III/ A la recherche d’indicateurs concrets de l’autonomie. . . Partie 2. Autonomie : Le cas des femmes Oportunidades. . . Chapitre 1 : Méthodologie. . . I/ Hypothèses et variables d’étude. . . II/ Méthodologie propre à chaque hypothèse. . . Chapitre 2 : Résultats. . . I/ Hypothèse 1. . . II/ Hypothèse 2. . . III/ Hypothèse 3. . . Chapitre 3 : Discussion. . . I/ Coresponsabilités et autonomie au niveau individuel et familial. . . II/ Coresponsabilités et autonomie au niveau communautaire. . . III/ Les coresponsabilités et l’utilisation du temps des femmes membres. . . Conclusion . . Bibliographie . . « Genre et développement ». . . Lutte contre la pauvreté au Mexique: . . Autonomie: . . Documents officiels du programme. . . Documents d'évaluation. . . Questionnaires et Données statistiques . . Annexes . . Annexes n°1 : Questionnaire ENVIT. . . Annexes n°2 : Les approches théoriques concernant les femmes et le développement. . . L’approche « Women In Development » (WID). . . L’approche « Women And Development » (WAD). . . L’approche « Gender and Development » (GAD) . . Annexes n°3 : Tests statistiques. . . Test ANOVA . . Test du khi². . . 5 6 11 11 11 19 22 23 25 29 32 32 32 34 36 36 40 40 45 45 47 49 52 54 54 55 55 56 56 57 58 58 58 58 59 60 61 61 62 Résumé . . 63 Remerciements. Remerciements. Je tiens tout particulièrement à remercier Jacky Buffet, mon directeur de recherche, pour ses précieux conseils et l’intérêt porté à mon sujet d’étude. Je remercie également David Garibay d’avoir accepté d’être membre du jury et pour le temps qu’il consacrera à la lecture de mon travail. Merci à la Secretaria de Desarrollo Social et au programme Oportunidades de m’avoir permis d’accéder aux résultats des enquêtes d’évaluation. Enfin, j’exprime ma plus profonde gratitude à Lise et Thibaut pour tous ces moments d’échange, de réflexion mais aussi de détente, bien nécessaire en période de recherche. BURSI Sandra_2007 5 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. Introduction Selon le rapport annuel du PNUD de 2008, 1,2 milliard de personnes vivent actuellement en situation d’extrême pauvreté c'est-à-dire avec un dollar ou moins par jour pour vivre. Parmi ces personnes, 70% sont des femmes. 1 En 2007, selon le CONEVAL , le Mexique comptait 105 millions d’habitants parmi lesquels 44.7 millions se trouvaient en situation de pauvreté de patrimoine c'est-à-dire qu’ils ne disposaient pas de revenu suffisant pour couvrir leurs besoins basiques en alimentation, santé, habitation, habillement, éducation et transport public. De ces 44.7 millions de personnes en pauvreté patrimoniale, 21.7 millions souffrent de pauvreté de capacités car ils ne peuvent pas satisfaire leurs besoins basiques en alimentation, santé et éducation. Parmi ces personnes, 60% sont des femmes. Les chiffres de la pauvreté au niveau mondial et au Mexique nous montrent bien que les femmes sont plus touchées par la pauvreté. La pauvreté semble donc avoir une plus grande incidence en fonction du sexe et plus particulièrement en fonction du « genre ». Le genre renvoie aux différences socialement construites entre hommes et femmes qui expriment les différences biologiques qui existent entre les deux sexes. Le genre est donc une construction sociale qui se traduit par un ensemble de règles, coutumes et pratiques qui régissent les relations homme/femme et définissent leurs rôles, obligations et responsabilités. Les deux genres ainsi distingués ne sont pas valorisés de la même façon et ne bénéficient pas des mêmes opportunités. En découle alors des inégalités de genre c'est-à-dire une série d’inégalités injustifiées, entre hommes et femmes, qui sont véhiculées 2 et confirmées par les lois et règles, explicites ou implicites, de la société. Ainsi, les femmes, qui de manière générale sont en situation de désavantage dans la société, le sont encore plus en situation de pauvreté. Les inégalités de genre ainsi que les inégalités relatives à l’appartenance ethnique, à la classe ou à la génération entrent en interaction, et rendent les femmes plus vulnérables à la pauvreté et plus longtemps prisonnières de ce processus. Au Mexique, les normes sociales et culturelles confinent les femmes à la sphère domestique ou à des emplois sans rémunération ou précaires. Elles se voient ainsi nier l’accès aux opportunités éducatives, d’emploi et souvent de santé. Elles se retrouvent donc en situation de plus grande pauvreté, et ce, de façon plus durable. Le programme Oportunidades, crée en 1997 par le gouvernement mexicain sous le nom de Progresa, part du constat que « Les familles qui vivent en condition de pauvreté de capacités affrontent quotidiennement, beaucoup plus que d’autres groupes sociaux, de multiples obstacles pour mettre en œuvre les actions qui leur permettraient de surmonter leur condition. Le programme Oportunidades cherche à promouvoir les capacités individuelles et collectives qui permettraient aux familles de rompre avec 1 2 6 Consejo Nacional de Evaluación de la Política de Desarrollo Social KABEER, Naila. Intégration du genre à la lutte contre la pauvreté. p 1 à5. BURSI Sandra_2007 Introduction la transmission intergénérationnelle de la pauvreté et accéder, ainsi, aux 3 opportunités qu’offre le développement en condition de plus grande équité ». Pour ce faire, le programme agit dans trois domaines : l’éducation, la santé et l’alimentation, et place au centre de son fonctionnement les femmes et les mères de famille car celles-ci sont, plus que les hommes, impliquées dans le bien être de leur famille. En matière d’éducation, Oportunidades permet la distribution de bourses scolaires 4 aux enfants, du primaire jusqu'à la preparatoria . Le montant de ces aides, distribuées tous les deux mois, est calculé de manière à compenser le revenu que représentait le travail des enfants, et augmente aussi avec le niveau d’étude. Dans le domaine de la santé, une attention particulière est apportée à toute la famille. Chaque membre doit se rendre à des rendez-vous de dépistage de certaines maladies ainsi qu’à des discussions de sensibilisation et de prévention autour de grands thèmes de la santé. Quant à l’alimentation, le programme fournit des suppléments nutritionnels aux membres les plus vulnérables de la famille (femmes enceintes, enfants). Ainsi, le programme entend en finir avec la dénutrition, réduire la mortalité infantile et maternelle et plus généralement améliorer la santé de tous les membres de la famille. Oportunidades permet aussi à ces membres de bénéficier d’un accès à l’épargne et au crédit. Notamment, grâce à l’initiative Jovenes con Oportunidades, le programme permet aux jeunes en fin de scolarité d’ouvrir un compte épargne et leur fournit une aide financière pour réaliser leurs projets. Enfin, avec la composante Adultos mayores, Oportunidades fournit une aide financière aux membres des familles bénéficiaires de plus de 70 ans. 5 Toutes ces aides sont complétées par une aide plus générale donnée directement aux mères de familles, tous les deux mois. Elle permet de couvrir une partie des besoins en alimentation et des frais relatifs à la scolarisation des enfants (fournitures, uniformes). L’attribution de ces aides se base sur le concept de coresponsabilité, c'est-à-dire que leur distribution est conditionnée par l’engagement des familles bénéficiaires et plus précisément des mères de famille. Cette pratique permet, d’une part, aux membres des familles de tirer pleinement profit des effets du programme et, d’autre part, les intègre activement à la réalisation des objectifs. 6 Ainsi, les aides sont conditionnées par l’assistance scolaire des enfants et par la participation des membres de la famille à la composante santé du programme. Ils doivent assister aux rendez vous programmés par les dispensaires, participer au Paquete Esencial 7 Basico et aux réunions éducatives mensuelles. Le programme ayant développé son action autour du rôle des mères de famille, il leur incombe la charge des coresponsabilités. En effet, les mères de famille reçoivent directement l’aide financière et en sont responsables. Elles veillent donc à ce que les coresponsabilités soient réalisées. Ainsi, les mères de familles se rendent au dispensaire pour assister à leurs rendez-vous et réunions éducatives et y 3 Programa Institucional Oportunidades 2002- 2006. p 48. 4 5 6 Equivalent du lycée. Environ 185 pesos par mois. Montant réévalué tous les six mois en fonction de l’inflation. Les enfants doivent au minimum assister à 85% des classes pour recevoir une bourse et les autres aides financières qu’offrent le programme. 7 Paquete Esencial Basico de Servicios de Salud : Actions préventives et de détection des problèmes de santé, réalisées pour chaque membre de la famille de manière gratuite au travers de rendez vous programmés. BURSI Sandra_2007 7 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. amènent aussi leurs enfants. Elles les conduisent aussi très souvent à l’école pour être sur que ceux-ci y assistent. Le programme Oportunidades est destiné aux foyers en condition de pauvreté de 8 capacité habitant en zone rurale et à partir de 2002, en zone urbaine . Ils sont selectionnés de la façon suivante : Dans un premier temps, on sélectionne les localités rurales et urbaines les plus 9 marginalisées grâce à un indice de marginalité , puis on s’assure de l’accès aux services scolaires et de santé, nécessaires au bon fonctionnement du programme. Ensuite, à l’intérieur des localités sélectionnées, il est demandé aux familles de répondre à des enquêtes (Encuestas de caracteristicas socioeconomicas de hogares (ENCASEH) relatives à leur revenu et conditions de vie. Des points leur sont, ensuite, attribués selon ces caractéristiques et déterminent si elles peuvent bénéficier du programme. Quand elles sont déclarées éligibles, il revient aux familles de faire la démarche d’inscription auprès des bureaux du programme les plus proches. En 2005/2006, le programme comptait 5 millions de familles bénéficiaires, soit quatre familles sur cinq en condition de pauvreté de capacité. Il est à ce jour le plus grand programme de lutte contre la pauvreté mis en place au Mexique. Une particularité importante à souligner est que chaque année les résultats du programme et le respect des règles d’opération sont évalués par des organismes gouvernementaux et indépendants à partir des enquêtes Encelurb pour les zones urbaines et Encel pour les zones rurales. Il existe, donc, une littérature très abondante des effets, souhaités ou non du programme sur ces trois principaux axes d’action (éducation, santé et alimentation) et sur des thématiques annexes telles que les relations communautaires ou familiales. Toutes ces caractéristiques font du programme Oportunidades un programme innovant et très complet. A ce propos, en 2003, à l’occasion de l’ouverture d’un forum d’analyse du programme, le président de la Banque Interaméricaine de Développement (BID), Enrique Iglesias, présenta Oportunidades comme « le modèle de lutte contre la pauvreté pour l’Amérique latine et le monde». Il souligna l’importance de son action focalisée sur la famille et plus précisément sur les femmes qu’il définit comme « les administratrices de la pauvreté ». Ainsi, comme reconnaissance de ses bons résultats, le programme se vit offrir un prêt de mille milliards de dollar. En 2007, la BID félicite une fois de plus Oportunidades et encourage d’autres pays d’Amerique latine à l’adopter. Oportunidades représente, pour les organisations internationales, le modèle à suivre en matière de lutte contre la pauvreté et constitue, à cet égard, un intéressant sujet d’étude. Mon travail traitera de la perspective de genre du programme. En effet, Oportunidades cherche plus particulièrement à lutter contre la transmission intergénérationnelle de la pauvreté en affrontant les inégalités de genre, qui comme nous l’avons vu, rendent les femmes et leur famille plus vulnérables. Le programme a donc adopté un certain nombre d’objectifs relatifs au genre, c'est-à-dire à l’équité des opportunités pour les femmes et les 10 hommes : 8 9 De 15 000 à 1 million d’habitants. Etablit par le CONAPO (Consejo Nacional de Poblacion). Intègre les éléments suivants : Pourcentage de population analphabète de 15 ans ou plus, pourcentage d’habitations sans eau, pourcentage d’habitations sans égout, pourcentage d’habitations sans électricité, nombre moyen de personne par pièce, pourcentage d’habitations avec sol en terre, pourcentage de la population travaillant dans le secteur primaire 10 8 Programa institucional Oportunidades 2002-2006. p54. BURSI Sandra_2007 Introduction ∙ Atteindre l’équité grâce à l’égalité d’opportunités dans l’éducation et la santé pour les filles et les garçons. ∙ Améliorer la condition de la femme par un renforcement de sa position dans la famille et dans la société, en augmentant ses capacités et son autonomie grâce à l’accès à l’information et à la connaissance de son développement personnel ainsi que par la participation active à la prise de décision Pour ce faire, il a été décidé de confier les aides financières, directement aux femmes, afin, d’une part, d’élargir leur champ de décisions au sein de leur foyer, et d’autre part, de promouvoir une participation active et un plus grand engagement de celles-ci au sein de leur communauté. Dans le même esprit, à partir du secondaire, les bourses scolaires sont plus élevées pour les filles, et la composante santé du programme est plus particulièrement destinée aux femmes, notamment par le dépistage du cancer cervico -utérin, par des conseils en matière de contraception et une attention particulière aux grossesses. Nous nous intéresserons dans ce travail aux femmes membres et plus précisément aux mères de famille puisque même si le programme existe depuis onze ans, il n’est pas encore possible de se prononcer pour les filles. Mon questionnement est relatif au deuxième objectif du programme concernant le genre, que nous venons de citer auparavant, objectif qui présente l’autonomie comme étant la clé de l’amélioration de la condition de la femme. Il m’a donc semblé intéressant de traiter de l’effet du programme sur l’autonomie des femmes bénéficiaires. Après une première recherche documentaire, il est apparu que certains aspects du programme et leur relation avec l’autonomie avaient déjà été traité, notamment l’aide financière versée directement aux mères. J’ai donc décidé de me focaliser sur les coresponsabilités, parce que cellesci sont principalement réalisées par les femmes et doivent leur permettre de tirer profit de façon plus importante des bénéfices du programme. Ainsi, l’autonomie étant un bénéfice escompté, il est intéressant de voir si les coresponsabilités participent, effectivement, à son renforcement. ∙ Hypothèse 1 : Se rendre au dispensaire pour réaliser le paquete esencial basico et participer aux réunions éducatives, permet aux femmes Oportunidades d'acquérir une meilleure connaissance de leur corps et des méthodes de planification familiale qu'elles utilisent de plus en plus. Leur confiance en elle et leurs compétences s'en trouvent donc renforcées, ainsi que leur participation à la prise de décision concernant la contraception, la santé et les enfants. ∙ Hypothèse 2 : Participer aux réunions éducatives, se rendre au dispensaire, amener les enfants à l'école, sont autant d'activités qui conduisent les femmes Oportunidades à sortir des plus en plus de leur foyer augmentant ainsi leur liberté de mouvement. Ces sorties permettent le développement des contacts et du dialogue entre femmes. Des réseaux d’entraides informels ainsi que des groupes de femmes défendant leur droit se créent. La participation de ces femmes à la prise de décision au sein de leur foyer ainsi qu'au sein de la communauté se renforce. ∙ ∙ Hypothèse 3 : La participation aux coresponsabilités est contraignante. Elle représente une charge horaire de travail trop importante pour les femmes Oportunidades et constitue une entrave au travail rémunéré. Une fois définies ces hypothèses, j’ai parcouru les résultats statistiques des enquêtes d’évaluation à ma disposition. Dans un premier temps, j’avais sélectionné les enquêtes de BURSI Sandra_2007 9 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. 2003, réalisées en zones rurales, qui fournissaient des informations sur des foyers intégrés depuis 1998, et sur des foyers ayant les mêmes caractéristiques économiques et sociales mais n’étant pas membres du programme. Ces enquêtes m’auraient permis d’étudier l’effet des coresponsabilités sur l’autonomie sur une période de cinq ans, ce qui constitue une durée suffisante pour évaluer un changement. Cependant, en m’intéressant au détail des questions, il est apparu que cette enquête ne me permettait pas de tester mes hypothèses. J’ai alors décidé d’utiliser deux enquêtes de 2004 (ENCELURB et ENVIT) réalisées en milieu urbain, qui se sont avérées être un peu plus adaptées. J’ai alors réalisé une série de calculs statistiques afin de tester les hypothèses. Il est toutefois important de signaler que, ces enquêtes n’ayant pas été conçues pour mon questionnement, certains éléments de mes hypothèses n’ont pas pu être prouvés. Dans ce cas la, j’ai fait état des résultats des évaluations traitant de ces sujets et j’ai proposé de nouvelles hypothèses. Ceci a été en effet le plus gros problème auquel j’ai été confronté. Il y a quelque chose de frustrant à ne pas pouvoir tester jusqu’au bout une hypothèse, une sensation de travail non fini. Compte tenu de cette contrainte, j’ai tout de même réussi à tirer quelques conclusions sur l’autonomie des femmes Oportunidades En somme, dans une première partie, j’ai décidé de m’intéresser plus particulièrement à la thématique « femmes et développement » puis « genre et développement » afin de comprendre sur quelles bases historiques et théoriques s’est construit Oportunidades. Puis, toujours dans cette partie, je présenterai différentes définitions et conceptions de l’autonomie jusqu’à parvenir à ma propre définition et à l’élaboration d’un cadre d’analyse. La deuxième partie de ce travail a pour objectif principal de tester les trois hypothèses de recherche. Pour ce faire, j’exposerai la méthodologie suivie puis les résultats obtenus. Enfin, j’analyserai le tout et tirerai des conclusions. 10 BURSI Sandra_2007 Partie 1 : autonomie, femmes et developpement. Partie 1 : autonomie, femmes et developpement. Chapitre 1 : Quand le développement s’intéresse aux femmes. Il m’est apparu nécessaire, pour bien commencer ce travail, de présenter, dans un premier temps, une approche historique de la thématique « Femmes et Développement ». Le programme Oportunidades s’est construit autour du rôle de la femme. Il est donc intéressant de se demander à partir de quand et comment les femmes ont été intégrées aux projets 11 de développement. Nous présenterons aussi les différents courants théoriques , nées de la rencontre des théories féministes et des théories du développement, qui ont milité en faveur de cette intégration et ont permis sa réalisation. Enfin, nous nous intéresserons plus particulièrement à l’apparition et à l’utilisation du concept d’autonomie comme une approche innovante de développement. Dans un deuxième temps, nous présenterons un historique des politiques de lutte contre la pauvreté au Mexique et ce pour mieux comprendre sur quelles bases s’est construit le programme Oportunidades. Nous verrons, là aussi, à partir de quand et comment les femmes ont été intégrées à ces politiques. I/ Historique des différentes approches du développement. 1. Les années cinquante et soixante : l’approche bien être. Dés les années trente, les économistes et les dirigeants des pays coloniaux commencent à s’intéresser au développement des colonies. Puis, après la seconde guerre mondiale, la reconstruction constitue la principale priorité des politiques de développement. A cette même période, a lieu un événement important qui marque le début d’une mobilisation internationale pour les droits des femmes. En 1946, à l’occasion de la Commission pour les droits de l’homme, une Commission de la condition de la femme est organisée afin d’examiner les inégalités homme/femme et établit quatre domaines dans lesquels les discriminations sont les plus présentes : Les droits politiques et possibilités de les exercer Les droits légaux L’accès des filles à l’éducation et à la formation Le travail 11 « Women In Development » (WID), « Women And Development » (WAD) et « Gender And Development » (GAD). Pour plus de precision, voir annexe 2. BURSI Sandra_2007 11 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. Cette commission a permis, notamment grâce à l’engagement de sa présidente Eléanor 12 Rosevelt, de faire figurer dans l’article 2 de la Déclaration universelle de droits de l’homme le sexe comme n’étant pas un motif de discrimination. 13 Puis, dans les années cinquante , avec l’indépendance de nombreuses colonies, les économistes et sociologues occidentaux se demandent comment promouvoir le développement dans ces nouveaux pays. Ils mettent alors au point une nouvelle théorie, la théorie de la modernisation, qui servira de stratégie d’action pour les grandes agences de développement. Selon cette théorie, la modernisation s’apparente à l’occidentalisation, 14 ensemble d’institutions, de valeurs et de technologies permettant le « décollage » des pays dits pauvres. La modernisation est envisagée comme un processus linéaire et naturel permettant le passage d’une économie et d’une société traditionnelle à une 15 économie moderne de type occidentale . En somme, le développement est ici synonyme de croissance économique et d’occidentalisation. Il ne peut se faire qu’avec l’aide des pays occidentaux. Sur la base de cette approche, les pays occidentaux mettent en place dans les années 40 et 50 des programmes de développement destinés à moderniser les colonies. On donne la priorité à la construction d’infrastructures (électricité, système d’irrigation, hôpitaux, écoles) qui permettront d’assurer la prospérité économique. « Le système d’oppression patriarcale de leurs propres sociétés fut renforcé par la nôtre ; un double système de pouvoir masculin se mit en place accentuant la subordination et la marginalisation économique des femmes avec leurs 16 enfants. » « Selon C. Moser, cette approche est fondée sur trois présomptions: les femmes sont les bénéficiaires passives du développement, la maternité est le rôle le plus important pour les femmes et l’éducation des enfants est leur tâche la plus effective. Cette approche se concentre donc sur la famille dans laquelle la femme est un agent de reproduction et l’homme un agent de production ; son principal défaut est de considérer que les caractéristiques biologiques des femmes constituent à elles seules le problème et qu’il suffit d’influencer leur comportement reproductif pour le résoudre au lieu de leur donner les moyens de transformer leurs rôles. Elle crée chez les femmes, vues comme des bénéficiaires 17 et non comme des actrices, une dépendance dommageable. » Quant aux pays occidentaux, la fin des années soixante marque le début de la deuxième 18 vague du féminisme moderne. Les femmes luttent alors pour la reconnaissance de leurs droits juridiques, contre la discrimination au travail et les obstacles à l’éducation. 12 Article 2§1: Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. 13 14 Trousse de formation Genre et developpement p14. SelonWalt Whitman Rostow, le décollage correspond à la troisième étape du developpement. C’est une période pendant laquelle les barrières au developpement sont surpassées et une croissance économique autonome peut être assurée. 15 PARPART. Theoretical perspectives on gender and development. p 108. 16 BISILLIAT, Jeanne, VERSCHUUR, Christine. Le genre : un outil nécessaire. p.13. 17 BISILLIAT, Jeanne, VERSCHUUR, Christine. Op. Cit. p.26. 18 12 La première vague correspond à la lutte pour le droit de vote, au début du XXe siècle. BURSI Sandra_2007 Partie 1 : autonomie, femmes et developpement. Plus particulièrement, les femmes qui travaillent dans le domaine du developpement comprennent que, tel que défini par la théorie de la modernisation, il ne profite pas aux femmes du sud. « La fin de la décennie voit le début de la vague actuelle du mouvement des femmes qui réclame un changement des rapports de pouvoir, à la racine de la 19 subordination des femmes. » 2. Les années soixante dix : l’approche anti-pauvreté. Les années soixante-dix se caractérisent par une remise en cause des théories et des pratiques du développement mises sur pied après la seconde guerre mondiale. En effet, les populations visées par les programmes de développement n’en retirent pas de bénéfices. Pire, la pauvreté augmente et touche plus fortement les femmes. A ce propos, Esther Boserup publie en 1970 l’ouvrage Women’s role in economic development, véritable point de départ des réflexions sur la place des femmes dans le développement. L’auteure enquête sur l’effet des projets de développement sur les femmes. Elle conclut que la plupart des projets mis en place les ignorent et réduisent leurs opportunités et leur autonomie économique. Ces projets, ayant pour objectif une modernisation à l’occidentale, ne s’adressent en effet qu’aux hommes. Ils leur proposent une formation à de nouvelles technologies et améliorent ainsi leurs opportunités et leurs connaissances, cependant ils réduisent l’accès des femmes à l’embauche et à la technologie. Dans cette étude, Esther Boserup remet en cause l’argument défendu par les théoriciens de la modernisation qui consiste à dire que même si les projets ne s’adressent qu’aux hommes, des conséquences positives se feront sentir pour les femmes. Cette idée est le principe de base des « Trickle down Theory », modèle sur lequel sont construits les projets de développement. Les tenants de cette théorie pensent que les bénéfices de la croissance économique et de la modernisation partent du haut vers le bas, et bénéficient indirectement à ceux qui ne sont pas concernés par les politiques mises en place. Face à ce constat, certaines femmes aux Etats-Unis, engagées dans les problèmes de développement, firent pression sur les décideurs politiques, et plus particulièrement 20 sur l’USAID , en leur démontrant que les projets de développement n’entraînaient pas automatiquement des retombées positives pour les femmes, notamment en termes d’égalité. Grâce à leurs efforts, l’amendement Percy est adopté en 1973 rendant obligatoire pour l’USAID l’intégration des femmes dans tous ces projets. Cet événement est un véritable tournant pour le mouvement féministe américain. Il donne naissance à une nouvelle 21 approche : « Women in Development » (WID) , aussi appelée en français « Intégration des femmes dans le developpement » (IFD), qui vise à intégrer les femmes au développement sans pour autant remettre en cause le modèle de développement tel que défini par la théorie de la modernisation. Les années soixante-dix constituent donc un véritable tournant pour les femmes. Cette période est aussi marquée par l’organisation des femmes en mouvement partout dans le monde. Le développement commence à être envisagé sous un angle féminin. L’année 1975 marque le début de la « décennie des Nations Unies pour les Femmes ». Cette initiative eut pour but d’établir un bilan de la situation des femmes de par le monde. 19 THIBAULT. Op cit. p 15 20 21 The United States Agency for International Development Pour une présentation plus détaillée, voir annexes 1. BURSI Sandra_2007 13 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. Le constat, auquel arrivent les 18 études menées pour l’occasion, est très pessimiste. En effet, malgré les efforts engagés en matière de développement, la situation des femmes s’est dégradée. Une conclusion générale se dégage alors : « L’orientation du développement vers la seule rentabilité économique doit être abandonnée si l’on veut que les populations pauvres, et particulièrement les femmes, accèdent à plus de bien être ; l’économique, le politique sont intimement 22 liés au social. » La même année s’ouvre à Mexico une conférence sur le thème « égalité, développement et paix ». Les féministes présentes, aussi bien du Sud et du Nord, insistèrent sur l’importance de faire sortir les femmes de leur invisibilité et de rompre avec l’image de femme au foyer, dans laquelle elles sont si souvent reléguées. A l’issue de cette conférence, un plan d’action mondial est adopté. Il définit les priorités des gouvernements et des agences en matière de développement en insistant tout particulièrement sur l’intégration des femmes à celui-ci. La « décennie des Nations Unies pour les femmes » a permis de souligner l’inefficacité des politiques de développement basées sur la modernisation et donne naissance à une 23 nouvelle approche : l’approche anti-pauvreté . On part ici du constat que la majorité des pauvres sont des femmes. Selon cette approche, la pauvreté féminine trouve ses racines dans le sous développement et non dans la subordination. En reconnaissant le rôle productif 24 de la femme, cette approche cherche à répondre aux besoins pratiques des femmes en leur permettant d’accéder à un revenu. La fin de la décennie 70 est, d’autre part, marquée par l’apparition du concept d’autonomie. En effet, l’autonomie est utilisée pour la première fois en 1979 à l’occasion d’un atelier organisé à Bangkok par le Pacific Center for Women and Development. Elle se définit alors comme « le pouvoir de contrôler sa propre vie, c'est-à-dire une sorte de force et de confiance intérieures permettant d’affronter la vie, le droit de faire des choix dans sa vie 25 et d’influencer le changement social. » L’autonomie ainsi définie reste une notion plutôt théorique. Son utilisation se limite, alors, au domaine de la recherche. En conclusion, la décennie aura permis d’institutionnaliser le courant WID, qui devient le courant de référence de l’ONU. Cependant à cette même période émergent les premières critiques qui donneront naissance à un nouveau courant : « Women And 26 Development » (WAD) . 3. Des années quatre-vingt à aujourd’hui : les approches efficacité et empowerment. Un certain nombre de théoriciens féministes et du développement restent insatisfaits des approches WID et WAD, insuffisantes, selon eux, pour rendre compte des facteurs qui structurent et maintiennent les inégalités de genre. S’ouvre alors, au début des 22 BISILLIAT, Jeanne, VERSCHUUR, Christine. Le genre : un outil nécessaire. P 20. 23 24 THIBAULT, C. Op Cit. p 78. Les besoins pratiques sont liés aux conditions de vie. Ils portent sur les nécessités immédiates, (eau, logement, alimentation, revenu et soins de santé) qui s’inscrivent dans un contexte donné. Ces besoins ont tendance à être immédiats, à court terme et facilement identifiables par les femmes. Ils peuvent être satisfaits à travers l’apport d’équipements, de pompes manuelles, de cliniques, la formation technique, un programme de crédit, etc. Idem. p 39. 25 26 14 BISILLIAT,J. Op Cit. p 87. Voir annexes n°2. BURSI Sandra_2007 Partie 1 : autonomie, femmes et developpement. années 80, une période de réflexion et de remise en cause des différentes approches de développement, fortement influencée par les crises économiques qui frappèrent les pays 27 en développement à cette époque. En réponse à la crise de la dette, qui conduit plusieurs pays en développement à la faillite, les institutions internationales telles que le FMI élaborèrent une nouvelle politique économique basée sur l’ouverture des marchés, le développement des exportations, le désengagement de l’Etat et l’application des plans d’ajustements structurels. Le mouvement féministe du sud s’allie alors autour des problèmes sociaux et politiques en partie générés par cette nouvelle politique économique. A l’échelle mondiale, les féministes s’engagent 28 dans une lutte pour plus de ressources , d’équité et d’égalité. Ainsi, compte tenu du désengagement des Etats au niveau des services sociaux, certains théoriciens préconisent 29 « une approche axée sur l’efficacité » . Cette approche vise à améliorer la productivité des femmes par l’accès au crédit, à la formation et à la technologie. Elle part du pré supposé qu’une meilleure participation économique des femmes, permet une amélioration automatique de leur statut et une acquisition progressive de l’égalité avec les hommes. Les femmes sont ici considérées comme des ressources sous utilisées, qui doivent par conséquent être intégrées au processus de développement. Cette approche sous estime toutefois le rôle reproductif des femmes qui donne lieu à une charge de travail importante et incompressible. D’autres préconisent « une approche axée sur l’équité », qui vise à 30 donner des chanceségales aux femmes dans tous les domaines , par le biais de politiques interventionnistes qui donnent aux femmes une autonomie politique et économique. 31 En 1985 se tient la troisième Conférence internationale des femmes à Nairobi, suivie de la quatrième Conférence à Beijing, en 1995. A cette occasion une plateforme d’action est adoptée. Elle engage les 189 états signataires à appliquer à toutes leurs politiques, qu’elles soient nationales, régionales ou internationales, une perspective sexospécifique c'est-à-dire qui prennent en compte les besoins spécifiques aux femmes et aux hommes. Pour Gita Sen, « Adopter une approche sexospécifique, c'est reconnaître que les femmes se situent au point de jonction de la production et de la reproduction, de l'activité économique et de la prise en charge d'êtres humains, et donc, de la croissance économique et du développement humain. Puisqu'elles travaillent dans ces deux sphères, c'est à elles qu'incombent les responsabilités les plus lourdes; ce sont donc elles qui ont le plus à perdre, qui souffrent le plus de l'incompatibilité des 27 THIBAULT, C. Op Cit. p 16. 28 La stratégie économique appliquée aux pays en développement à cette époque se traduit par le désengagement des Etats au niveau des politiques sociales. On compte sur les femmes et leur role de bien être pour palier aux manques de moyens des Etats en matière sociale. Les populations et plus particulièrement les femmes voient leurs conditions de vie durement affectées. Les années 80 sont en effet caractérisées par un nouveau phénomène: la féminisation de la pauvreté. 29 30 31 BISILLIAT. J. Op Cit. p 27. THIBAULT, C. Op Cit. p 17. Entre ces deux conférences, en 1990, est publié le premier Rapport Mondial sur le développement humain. Ce document est d’une grande importance car il définit le concept de développement humain et propose un indicateur permettant de le mesurer. Le développement humain est donc défini comme un processus d’élargissement des possibilités de choix dans tous les domaines de l’activité humaine. L’indicateur de développement humain englobe le taux de mortalité, l’espérance de vie, l’accès a l’enseignement et le taux d’alphabétisation. Ce rapport souligne en fin de compte que le développement ne peut s’appréhender uniquement sous un angle économique, le développement est avant tout humain et vise le bien être des populations. BURSI Sandra_2007 15 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. contraintes et des objectifs inhérents à ces deux univers, et qui sont le plus 32 sensibilisées à la nécessité d'une meilleure intégration entre les deux » Parallèlement à cette conférence, le Rapport Mondial sur le Développement Humain (1995) est publié et porte spécialement sur les inégalités entre les genres. Il spécifie que « le développement a pour objectif d'élargir, pour les êtres humains, le champ des possibles dans leur ensemble, et pas seulement les revenus ». Le processus de développement, tout comme la lutte contre la pauvreté, est multidimensionnel. Le rapport souligne aussi la croissante féminisation de pauvreté et note que les causes de ce phénomène diffèrent entre pays du Nord et du Sud. Enfin, il reconnait l’importance du travail non rémunéré des femmes comme contribution féminine au développement économique. Dans la lignée de la conférence de Beijing et des critiques des modèles WID et WAD 33 émerge un nouveau courant théorique, le courant « Gender and Development » (GAD) , qui se préoccupe des relations entre les genres. Ce nouveau paradigme a été principalement 34 développé par le groupe « Development Alternatives with Women for a New Era » (DAWN) et se base sur une nouvelle vision du développement. « Le développement doit être un processus économique, social et culturel par lequel lesbesoins humains sont satisfaits par le biais d’un accès plus large au pouvoir économique et politique, ce processus doit permettre une sociétéoù les êtres humains sont libres de toutedomination ; le développement de ces sociétés ne peut se faire dans des conditions d’inégalité relative croissante entre hommes et femmes, ni sans une plus grande équité et une plus grande participation pour 35 les femmes. » DAWN. 36 L’approche « Gender and development » cherche à déterminer et comprendre les facteurs qui expliquent et participent à la reproduction de la subordination des femmes. De façon concrète pour un projet de développement, il s’agit de définir les rôles et les besoins de chaque sexe dans la population d’intervention. Les hommes et les femmes participent différemment au programme car leurs besoins sont différents. Cette approche dite sexospécifique ou de genre, vise, par un traitement différencié selon les sexes, une égalité à long terme. En effet, en établissant clairement les rôles de chacun, il est plus facile de concevoir un projet qui les remette en cause. Cette remise en cause est rendu possible par l’empowerment, approche phare du courant GAD, qui peut se définir de la façon suivante : « L’objectif est de promouvoir la place des femmes en renforçant leur légitimité, leur confiance en elles-mêmes et d’atteindre indirectement les 37 38 besoins stratégiques en terme de triple rôle , la mobilisation à la base autour 32 KABEER, Naila. Integration de la dimension genr à la lutte contre la pauvreté. p5. 33 34 Voir annexes n°2. Groupe crée à l’occasion de la conférence internationale de Nairobi en 1985 qui clôtura la décennie des Nations Unies pour les femmes. DAWN est un réseau de femmes chercheures et militantes du Sud engagées dans la recherche féministe notamment sur des questions d’économie, de genre et de démocratie 35 THIBAULT. C. Op Cit. p 25. 36 Inégalités de genre, de race, de classe, de pouvoir, division du travail. 37 Les auteurs du rapport « Trousse de formation : Genre et developpement » proposent la définition suivante : Les intérêts stratégiques des femmes naissent de leur position de subordination dans la société. Ce sont des intérêts à 16 BURSI Sandra_2007 Partie 1 : autonomie, femmes et developpement. 39 des besoins pratiques étant susceptible d’ouvrir des voies pertinentes de 40 confrontation avec la subordination. » L’empowerment est un processus permettant le changement social en faveur de l’égalité des sexes ainsi qu’un développement plus humain et équitable pour tous. Pour Eva Rathgeber, spécialiste en « genre et developpement », un projet conçu selon cette approche se présenterait ainsi : « De tels projets seraient conçus de manière à donner le pouvoir aux femmes, à leur donner une voix égale, en reconnaissant toute l’étendue de leurs connaissances, de leurs expériences et de leurs activités, y compris à la fois le travail de production et de reproduction. Ils remettraient en question les conceptions traditionnelles des rôles et des responsabilités des deux sexes et offriraient une définition plus équitable du concept de développement, de même que des contributions faites par les femmes et les hommes dans la poursuite des 41 objectifs sociétaux. » Parallèlement à l’approche « empowerment », revient sur le devant de la scène le concept d’autonomie. Jadis, limité à la recherche, il investit à la fin des années quatre-vingt, une dimension plus pratique en devenant l’objectif phare des programmes de développement du gouvernement hollandais. En 1989, le gouvernement hollandais publie le livre blanc Un 42 monde de différences dans lequel est présenté l’approche « autonomie » . L’autonomie y est définie comme le contrôle sur sa propre vie et sur son propre corps. Il constitue un objectif stratégique car il est aussi bien un idéal pour toute société qu’un moyen permettant le changement social. Ainsi « la coopération au développement fondée sur le principe d’autonomie des femmes signifie que l’on adopte un schéma de partage des pouvoirs dans 43 toutes ses manifestations » . Le concept d’autonomie, ici défini, sert aussi d’outil d’analyse. 44 Le gouvernement hollandais a, en effet, défini quatre critères d’analyse correspondant aux résultats escomptés pour tout programme suivant l’approche « autonomie ». Ces critères doivent s’envisager à la lumière des conditions propres à chaque pays. Ils se présentent comme suit : ∙ La position économique de la femme sera renforcée du point de vue du contrôle sur le revenu et les moyens de production sans augmentation de la charge de travail long terme qui visent à améliorer la situation des femmes. Les intérêts stratégiques des femmes incluent notamment: l’acquisition de droits juridiques, l’accès au processus démocratique participatif, l’accès à l’égalité dans l’éducation, l’emploi, la réduction des écarts salariaux, la protection contre la violence, le renforcement de leur pouvoir décisionnel. Ils peuvent être satisfaits à travers la conscientisation, l’amélioration de la confiance en soi, l’éducation, la consolidation des organisations de femmes, la mobilisation politique, etc. 38 Les femmes remplissent trois rôles: un rôle reproductif, un rôle productif, et un rôle au niveau de la communauté. 39 Cf note 16. 40 THIBAULT, C. Op Cit. p 78. 41 DAGENAIS, H. Op Cit. p 91. 42 43 44 BISILLIAT, J. Le genre : un outil nécessaire. p 88-89. Ibidem. § 3. Idem. p 252-253. BURSI Sandra_2007 17 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. ∙ La position politique et organisationnelle de la femme sera renforcée en ce qui concerne la participation ou le contrôle sur les aménagements organisationnels dans les structures du projet. De même, pour l’organisation du district, de la zone ou du village, ainsi qu’au niveau régional et national ∙ Dans la zone du projet, l’autonomie des femmes sera renforcée dans l’image qu’elles ont d’elle-même, ou que les autres ont des femmes, comme seront combattus les principaux préjugés à leur encontre. ∙ L’autonomie physique des femmes sera renforcée, c'est-à-dire que les femmes gagneront en maîtrise de leur corps, contrôleront leur fécondité, leur sexualité et l’on reconnaîtra ou prêtera attention à leurs problèmes de santé. Ces quatre critères permettent d’évaluer le degré d’autonomie des femmes participant à un projet. Ils servent aussi à l’évaluation des projets. Si au moins un des quatre critères a été renforcé sans qu’un autre ait été touché, les objectifs de développement sont considérés comme atteints. En somme, l’approche « autonomie » et l’approche « empowerment » ont le même objectif, celui de permettre aux femmes mais aussi aux hommes de gagner en pouvoir et en contrôle sur leur propre vie. Elles s’envisagent toutes deux dans le cadre de la lutte contre la pauvreté et les inégalités de sexes, de races ou de classe. Ces deux approches sont fondamentales pour le développement humain défini comme processus d’élargissement des possibilités de choix car elles le rendent possible. Enfin, on ne saurait terminer cette partie sans traiter des objectifs du millénaire pour le développement. En septembre 2000, lors du sommet du millénaire, les Etats membres de 45 l’ONU ont élaboré une liste de huit objectifs à atteindre avant 2015. (1) éradiquer l'extrême pauvreté et la faim; (2) assurer l'éducation primaire pour tous; (3) promouvoir l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes; (4) réduire la mortalité infantile; (5) améliorer la santé maternelle; (6) combattre le VIH/sida, le paludisme et d'autres maladies; (7) assurer un environnement durable ; (8) mise en place d'un partenariat global pour le développement assorti d'objectifs en matière d'aide, de relations commerciales et d'allégements de dettes. De manière générale, ces objectifs visent tous à lutter contre les différentes dimensions 46 de la pauvreté , et ce, afin qu’un développement durable soit possible pour tous. L’objectif 3, qui nous concerne plus particulièrement, envisage la pauvreté selon une perspective de genre, c'est-à-dire que la pauvreté a des effets différents pour les hommes et les femmes. 45 46 Liste consultable sur le site du l’ONU http://www.un.org/french/millenniumgoals/index.shtml Dans le Rapport mondial du développement humain 1997, la pauvreté est définie en opposition au développement humain. Ainsi, si le développement humain est un processus d’élargissement des possibilités de choix, la pauvreté est « la négation des opportunités et des perspectives fondamentales sur lesquelles repose tout développement humain, telles que la chance de vivre une vie longue, saine, constructive, et de jouir d'un niveau de vie décent, ainsi que la liberté, la dignité, le respect de soi-même et d'autrui. » p 16 18 BURSI Sandra_2007 Partie 1 : autonomie, femmes et developpement. 47 L’exemple le plus flagrant est la surreprésentation des femmes parmi les pauvres . Les inégalités liées au fait d’être d’une femme, auxquelles s’ajoutent les inégalités relatives à l’appartenance ethnique, à la classe ou à la génération, les rendent plus vulnérables car elles entravent leurs opportunités en matière d’éducation, de travail et même de santé. Ainsi promouvoir l’égalité entre les sexes dans les domaines de l’éducation, du travail et de la politique permettra aux femmes d’avoir accès à plus d’opportunités et de rompre avec 48 le cycle de la pauvreté. De plus, le renforcement de l’autonomisation , définie comme le 49 grade de liberté qu’une femme a pour pouvoir agir selon ses choix et non ceux des autres , permettra aux femmes de tirer profit de ces opportunités et renforcera ainsi leur participation aux décisions qui les concernent. Atteindre cet objectif, c’est permettre aux femmes d’avoir 50 accès à plus d’opportunités ainsi qu’aux capacités nécessaire pour les saisir. II/ Développement, politiques de lutte contre la pauvreté et genre : le cas du Mexique. 1. Les premières politiques de lutte contre la pauvreté. Au Mexique, la lutte contre la pauvreté comme politique de développement a été, depuis les années cinquante, une priorité pour tous les gouvernements. Premièrement, parce qu’à 51 cette époque, 88,4% de la population mexicaine vivait sous le seuil de pauvreté. Mais aussi parce qu’au niveau international, le développement, entendu alors comme modernisation, est un objectif de plus en plus important. La pauvreté ne peut donc plus être tolérée. Les politiques, alors, mises en place avaient pour objectif d’affronter les causes de cette 52 pauvreté excessive sans pour autant véritablement les identifier . Des années cinquante à la fin des années soixante-dix, la pauvreté est donc combattue par la distribution de 53 subventions généralisées à la population . Cet ample réseau de distributions est rendu possible par la forte croissance que connaît le Mexique à cette période. On voit aussi naître à cette époque les premières institutions sociales du pays, tels que l’Instituto Mexicano de Seguridad Social (IMSS), la Secretaria de Educacion Publica (SEP) et l’Instituto de Seguridad y Servicios Sociales de los Trabajarores del Estado (ISSTE), ainsi que les premières politiques sociales, de très grande ampleur, en matière d’éducation, de santé et d’habitat. Cependant, compte tenu de la forte croissance démographique et du peu de 54 financement accordé, elles devinrent vite insuffisantes. A partir du mandat de Luis Echeverria (1970-1976), les politiques sociales se sont plus particulièrement intéressées au monde rural, d’une part, pour des raisons de budget et, d’autre part, car « la pauvreté dans les pays en voie de développement est un problème 47 48 49 50 51 52 53 54 60 à 70% des personnes vivant avec moins d’un dollar par jour sont des femmes Processus qui conduit à l’autonomie. Objetivos de desarrollo del milenio: una mirada desde America Latina y el Caribe. P 113. Ces capacités seront renforcées par l’accès à l’éducation mais aussi par l’acquisition de l’autonomie HERNADEZ LICONSA, González, et al. Lo que dicen los pobres. p 8. La pauvreté n’était mesurée que par rapport au revenu. Elle n’avait donc qu’une dimension économique. Ibid. RODRIGUEZ DORANTES, Cecilia. Las mujeres en el programa Progresa- Oportunidades: Una aproximación al estado de arte. p 22. BURSI Sandra_2007 19 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. 55 principalement rural » . La plus fameuse de ces politiques, est le Programa de Inversiones 56 Publicas para el Desarrollo Rural (PIDER). Il avait pour objectif la réduction des inégalités et la redynamisation des zones rurales marginalisées grâce à la distribution de subventions et au développement de l’investissement public en matière de santé et d’éducation. PIDER est considéré comme le premier programme de lutte contre la pauvreté. 57 Sous le mandat de Jose Lopez Portillo (1976- 1982), les programmes se multiplient. Le plus important était le programme COPLAMAR (Coordinacion del plan general de zonas deprimidas y grupos marginados). Il comptait quatre millions de bénéficiaires et comprenait quatre dimensions : un programme d’alimentation (CONASUO – COPLAMAR), un programme pour le développement de l’eau potable (SAHOP- COPLAMAR), un programme en matière de santé particulièrement destiné aux zones rurales (IMSSCOPLAMAR) et la création de pensionnats pour les enfants des zones reculées (SEPCOPLAMAR). COPLAMAR ne dura cependant que le temps d’un mandat car les ressources financières de l’Etat devinrent insuffisantes. En effet, à partir du début des années quatrevingt, l’Etat mexicain doit faire face à une baisse du prix du pétrole, à l’époque premier revenu de l’Etat. Le pays est donc fortement endetté et est obligé de réduire les dépenses sociales. 58 Carlos Salinas de Gortari arrive au pouvoir en 1988 et met en place, pour répondre aux restrictions budgétaires, ce qu’il appelle le libéralisme social. Il eut recours à la privatisation d’entreprises publiques et, grâce aux fonds dégagés, put financer les dépenses sociales. Les politiques de lutte contre la pauvreté mises en place à partir de cette période disposent donc d’un budget plus limité. Pour cette raison, les politiques dites focalisées, c'est-à-dire destinée uniquement aux personnes en condition de pauvreté de capacité, sont encouragées. Le premier programme de ce type voit le jour en 1988. PRONASOL (Programa Nacional de Solidaridad) avait pour objectif d’améliorer les conditions de vie des paysans, des indigènes et des habitants des zones urbaines pauvres. Son action s’est principalement articulée autour du rôle de la communauté dans la résolution des problèmes et sur la consultation de ses membres pour l’organisation. PRONASOL a aussi institué pour la première fois un système de coresponsabilité permettant l’engagement et la responsabilisation des participants. Ce programme a permis la construction d’infrastructures sociales et le développement des capacités productives des participants. Cependant, il a été fortement critiqué pour ces logiques corporatives et clientélistes. En 1994, le Mexique traverse une nouvelle crise économique qui met fin au PRONASOL. Les programmes appliqués jusqu’en 1994 ne font pas mention d’un traitement spécifique en faveur des femmes du fait de leur plus grande vulnérabilité à la pauvreté. Seule la dimension économique de la pauvreté est combattue, mais sous le mandat d’Ernesto Zedillo se crée un nouveau programme, PROGRESA, influencé par le rapport du PNUD de 1995 et par l’émergence du concept de « genre et développement ». La pauvreté est alors envisagée comme un phénomène multidimensionnel et plus précisément sexospécifique. 2. PROGRESA : Intégration de la dimension genre à la lutte contre la pauvreté. 55 56 57 58 20 RODRIGUEZ DORANTES, Cecilia. Op Cit. p 23. CARDOZO BRUM, Myriam. Políticas de lucha contra la pobreza en México Principales resultados y limitaciones. p 20. Ibid.. Idem. p 21. BURSI Sandra_2007 Partie 1 : autonomie, femmes et developpement. Le Programa de Educacion, Salud y Alimentación (PROGRESA) a été mis en marche en 1997 sous le mandat d’Ernesto Zedillo. PROGRESA est l’antécédent direct du programme Oportunidades. En effet, ils ont les mêmes modalités d’action et les mêmes objectifs généraux. Oportunidades diffère de PROGRESA car il s’étend aux populations urbaines en condition d’extrême pauvreté en plus des populations rurales. PROGRESA a été élaboré à partir d’un programme test, appelé Programa de Canasta Basica Alimentaria para el Bienestar de las Familias, mis en place dans trois villes de l’Etat de Campeche. Ce programme avait pour but de tester un nouveau mode de distribution des aides alimentaires. Ces aides prenaient la forme d’aides monétaires transférées aux familles par le biais d’une carte électronique, à utiliser dans les magasins d’alimentation affiliés au programme. Cette aide était, de plus, versée à condition que les femmes enceintes, allaitantes et les enfants de moins de 5 ans assistent à des contrôles dans un centre de santé. Les évaluations de ce programme montrèrent que les bénéficiaires préféraient l’aide monétaire à l’aide en nature. Les conditions posées aux bénéficiaires se révélèrent, aussi, très bénéfiques. Ce type de programme, appelé programme de transfert monétaire conditionné, servit donc de point de départ à la conception de PROGRESA. Ce programme fournit une aide alimentaire, conditionnée par des coresponsabilités en matière de santé mais aussi, et c’est la nouveauté, par des coresponsabilités en matière d’éducation. L’alimentation, la santé et l’éducation sont donc les trois axes principaux autour desquels s’articule PROGRESA pour développer le capital social des participants et ainsi lutter contre l’extrême pauvreté. En combinant les coresponsabilités de santé, d’éducation et les aides alimentaires, PROGRESA entend lutter efficacement contre la vulnérabilité des plus pauvres et la transmission intergénérationnelle de la pauvreté. L’autre nouveauté, en matière de lutte contre la pauvreté, introduite par PROGRESA est la place centrale donnée à la femme et plus particulièrement à la mère. Elle est considérée comme étant le lien entre le programme et sa famille. C’est elle qui reçoit les aides et qui s’engage au respect des coresponsabilités. Par cet aspect, PROGRESA entend lutter contre le caractère sexospécifique de la pauvreté, et ce, en prenant en compte les besoins spécifiques des femmes. En plaçant la femme au cœur de son dispositif, PROGRESA cherche aussi à renforcer son pouvoir, afin que les opportunités qui lui étaient niées, deviennent accessibles. PROGRESA est donc le premier programme mexicain de lutte contre la pauvreté qui considère les femmes comme des actrices et non comme des réceptrices passives. En versant directement les aides aux femmes, PROGRESA leurs permet d’acquérir plus de pouvoir et de contrôle et œuvre ainsi pour le développement de leur autonomie. *** Cette première partie a été l’occasion de mieux comprendre le contexte historique qui a peu à peu permis aux femmes d’intégrer le développement. Les courants WID, WAD et GAD ont, grâce à leurs recherches et leur engagement, permis la conception de programmes de plus en plus égalitaires et participatifs, notamment en militant en faveur de la reconnaissance des femmes comme actrices du développement. Amartya Sen dans son livre Un nouveau modèle économique, souligne lui aussi l’importance de cette reconnaissance : « Les femmes ne sont plus les destinataires passives d’une réforme affectant leur statut, mais les actrices du changement, les initiatrices dynamiques de la BURSI Sandra_2007 21 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. transformation sociale, visant à modifier l’existence des hommes aussi bien que 59 la leur. » Cette prise de conscience, au niveau international, de la mise à l’écart des femmes du processus de développement ainsi que de leur plus grande vulnérabilité à la pauvreté, a peu à peu conduit le gouvernement mexicain à suivre pour ses politiques sociales une dimension « genre » prenant en compte la dimension sexospécifique de la pauvreté. PROGRESA, ancêtre d’Oportunidades, est le premier programme de ce type. En répondant aux besoins spécifiques des femmes, il espère renforcer leurs capacités et élargir l’éventail de leurs opportunités, brisant ainsi le cycle de la pauvreté. Dans la partie suivante, nous traiterons du concept d’autonomie. Chpaitre 2. Autonomie : définitions et cadre d’analyse. Le mot autonomie, emprunté du grec autonomia, dérivé de autonomos, apparaît dans la langue française en 1596, date à laquelle son sens et son emploi sont attestés. Il fait, à son origine, référence au droit que les Romains avaient laissé à certaines villes grecques, de 60 se gouverner par leurs propres lois . L’autonomie fait plus généralement référence, dans la Grèce antique, à la possibilité pour une ville de faire ses propres lois sans être sous 61 l’emprise d’une tutelle étrangère. L’autonomie est donc à l’origine un concept politique. Ce terme est, par la suite, étendu à l’individu grâce aux penseurs religieux tels que Thomas D’Aquin, puis Luther et Calvin, qui soulignaient l’importance de la 62 conscience individuelle. Plus tard, avec les écrits de Kant , l’autonomie devient un concept 63 philosophique. Kant parle d’autonomie de la volonté et désigne, par ce concept, le choix qui n’est basé que sur la volonté propre de l’individu. La volonté de l’individu a cette capacité de définir elle-même sa loi, d’être elle même sa législation. Pour Kant, cette législation est universelle si les individus suivent ce principe : « Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse toujours valoir en même temps comme principe d’une législation 64 universelle » . Autrement dit, lorsqu’un individu est face à un choix, il est dit autonome si en pensant à sa conduite il agit volontairement et librement selon des principes qu’il juge universels. L’individu agit ici par devoir, il n’est pas guidé par ses intérêts propres et évalue ses actes en les portant sur un plan universel. Aujourd’hui, l’autonomie s’applique à de nombreux domaines tels que les sciences humaines et la médecine ainsi que le droit et la science politique. L’autonomie est donc un terme polysémique, et ce compte tenu du nombre de disciplines qui l’emploie. 59 60 61 SEN, Amartya. Un nouveau modèle économique: développement, justice, liberté. p.193. Définition tirée du dictionnaire Litré LE COADIC, Ronan. 62 63 L’autonomie, illusion ou projet de société. Notamment, Fondements de la méthaphysique des moeurs. 1792. Kant oppose à l’autonomie le concept d’hétéronomie qui désigne les choix qui sont soumis à une influence extérieure tels que l’intérêt, la contrainte, la nécessité, les conseils, etc. 64 22 Critique de la raison pure. p.30. BURSI Sandra_2007 Partie 1 : autonomie, femmes et developpement. Définir l’autonomie n’est donc pas chose facile. Pour commencer, il est important de revenir à l’étymologie du mot autonomie. Il est formé de deux mots grecs : auto, « soimême », et nomos, « loi » ou « règle ». Il se définit alors comme le droit de se gouverner par ses propres lois. Selon le dictionnaire Trésor de la Langue française, cette définition s’applique à un pays, une province, une nation ou encore un peuple. A propos d’une personne, l’autonomie désigne la faculté de se déterminer par soi même, de choisir et d’agir librement. Elle renvoie aussi à la liberté et l’indépendance morale ou intellectuelle. Le 9éme édition du dictionnaire de l’Académie française ajoute que l’autonomie est la possibilité d'agir sans intervention extérieure. Être autonome c’est être capable d'agir sans dépendre d'autrui, de décider par soi-même, c’est jouir d'une certaine liberté d'action. On parle dans ce cas d’autonomie personnelle ou individuelle. C’est ce type d’autonomie qui nous intéresse ici. Dans ce chapitre, nous présenterons et discuterons différentes interprétations du concept d’autonomie. Nous commencerons par la conception libérale de Kant, puis de Feinberg. Enfin, nous examinerons les différentes critiques féministes faites à la définition libérale de ce concept. . I/ La conception libérale de l’autonomie. 1. La conception kantienne de l’autonomie. L’autonomie est devenue, depuis Kant, un des concepts fondamentaux du libéralisme. 65 Dans les écrits de cet auteur, on distingue deux sens différents donnés à l’autonomie personnelle. D’une part, l’autonomie implique l’indépendance vis-à-vis des facteurs ou influences externes à la volonté de la personne. D’autre part, elle correspond à la capacité de choix exercée au travers de la raison. La raison, en effet, permet à un individu d’analyser de façon critique les décisions auxquelles il est confronté tout en discernant les influences et motivations externes à sa volonté. Plus généralement, pour Kant, l’autonomie personnelle se définit comme la capacité de l’individu de se donner ses propres lois et de s’écarter en conséquence de l’hétéronomie. Elle se réalise quand la rationalité et l’indépendance sont des caractéristiques de l’individu. Enfin, pour Kant, l’autonomie est universelle car tout le monde peut l’acquérir, il suffit pour cela que les conditions de rationalité et indépendance sont réunies. L’autonomie kantienne est universelle, aussi, car elle ne dépend pas du 66 contexte dans lequel la rationalité et l’indépendance ont été acquises. 2. L’autonomie libérale post kantienne. Cette conception kantienne de l’autonomie personnelle a été révisée par certains philosophes libéraux, notamment Joël Feinberg, car elle était jugée d’une part incomplète 67 et d’autre part trop liée à une exigence de moralité . Les caractéristiques de rationalité et d’indépendance ne suffisent pas, pour cet auteur, à définir l’autonomie. Il est important de prendre en compte, contrairement à Kant, les conditions et le contexte dans lesquels l’autonomie se développe et s’exerce. 65 66 67 ALVAREZ, S. La autonomia personal y la perspective comunitarista. p. 69. idem. p. 73. Comme nous l’avons vu en introduction de cette partie, être autonome pour Kant c’est, face à un choix, suivre les principes que l’on juge universels et non ses intérêts. BURSI Sandra_2007 23 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. 68 J. Feinberg distingue quatre types d’autonomie personnelle : (1) l’autonomie comme capacité, (2) comme condition réelle d’autogouvernement, (3) comme idéal et (4) comme autorité souveraine. 1. L’autonomie comme capacitéFeinberg parle de « capacité » comme circonstances internes à l’individu, « d’opportunité » comme circonstances externes et de « vertus » comme des traits de caractère considérés comme positifs. est nécessaire pour disposer de l’autonomie comme condition réelle d’autogouvernement. Elle se détermine par la capacité de faire des choix rationaux. Cette capacité est, en droit, ce qui permet d’attribuer la compétence juridique, ce qui permet de distinguer les individus compétents, qui ont le droit de s’autogouverner, des non compétents. Le concept d’autonomie comme capacité est donc un concept de tout ou rien que Feinberg définit plus précisément comme étant la capacité minimum nécessaire pour accomplir une tâche. Autrement dit, c’est la capacité minimum pour vivre sa vie selon ses propres principes. 2. Avoir la capacité et donc le droit de s’autogouverner ne signifie pas pour autant avoir l’opportunité de le faire. L’autonomie comme condition fait référence aux circonstances qui doivent être présentes pour qu’un individu ait l’opportunité d’exercer ses capacités et ses droits. La théorie de Feinberg diffère ici de la théorie kantienne en ce qu’elle contextualise l’exercice de l’autonomie. Les conditions réelles d’autogouvernement dépendent en premier lieu de ce que Feinberg appelle la « chance »: « Je ne suis pas capable de m’autogouverner si vous me contrôlez de force ou que vous imposez votre volonté à la mienne, ou si la maladie me jette dans une stupeur fébrile, un delirium, un coma ou si la pauvreté me réduit à la dépendance 69 abjecte envers l’assistance des autres. » 1. L’autonomie comme idéal est un idéal partiel car un individu autonome, bien que possédant les vertus adéquates, peut agir de façon immorale. Les vertus doivent donc s’exercer ni trop ni pas assez. 2. Enfin, l’autonomie comme droit fait référence à l’autonomie politique et au droit souverain à l’autodétermination. Feinberg utilise la conception politique de l’autonomie car il considère l’autonomie personnelle comme une métaphore politique. Il parle de souveraineté personnelle avec, comme pour les Etats, l’idée d’un territoire sur lequel l’individu est souverain. Ce territoire c’est le corps ainsi que « l’espace vital » qui peut s’entendre comme le droit à l’intimité selon M. Alemany Garcia. Le droit à l’autonomie ou à la souveraineté personnelle concerne son propre corps, son espace vital mais aussi les décisions importantes de notre vie. J. Feinberg innove par rapport à Kant car il donne à l’exercice de l’autonomie certaines conditions. Être autonome pour Feinberg, en somme, c’est être libre de toute influence externe sur le système de valeurs et sur le processus de décision. Les seules limites envisagées à l’autonomie d’un individu sont son manque de chance et son caractère. Les effets de la socialisation et des relations qu’un individu entretient avec d’autres personnes n’ont qu’un rôle périphérique dans la notion d’autonomie. La conception libérale 68 69 Alemany Garcia, M. El concepto y la justificacion del paternalismo. p 181 à 185. FEINBERG,J. The inner citadel: essays on individual autonomy. P 31. “I do not govern myself if you overpower me by brute force and wrongfully impose your will on mine, or if illness throws me into a febrile stupor, delirium, coma, or if poverty reduces me to abject dependence on the assistance of others.” 24 BURSI Sandra_2007 Partie 1 : autonomie, femmes et developpement. de l’autonomie est donc une conception individualiste de l’autonomie. L’autonomie dépend uniquement de l’individu et de sa rationalité. II/ Critiques féministes de la conception libérale de l’autonomie. Les féministes s’opposent à la définition libérale de l’autonomie qui présente l’individu autonome comme rationnel et indépendant des influences extérieures dans la définition et la réalisation de ses objectifs et choix. Pour les féministes, l’individu évolue dans un contexte 70 social . Il est, d’une part, construit par la socialisation et, d’autre part, il vit entouré d’autres individus avec lesquels il interagit. L’individu ne peut donc pas être indépendant d’influences extérieures. Les féministes définissent l’autonomie comme un processus d’autodéfinition (définir ses propres valeurs et la personne que l’on souhaite être) et d’autodirection (définir ses propres objectifs, ses propres projets de vie et les atteindre) qui se développe plus ou 71 moins en fonction du contexte . L’autonomie existe, donc, à différent degré. 1. L’autonomie pour les féministes libérales : Diana Meyers. Les premières féministes à critiquer le concept d’autonomie défini par Feinberg, sont les féministes libérales. Elles insistent sur le fait que le concept d’autonomie doit être défini par l’observation de la vie des êtres humains et plus particulièrement des femmes. En privilégiant une conception empirique de l’autonomie, les féministes libérales participent à la remise en question de l’autonomie dite libérale. En effet, Joël Feinberg ne s’inquiète pas des détails concrets de la vie humaine. Il ne s’intéresse pas à la capacité pratique des personnes à atteindre ce qu’il considère être l’autonomie. Il est plus préoccupé par la description de ce que l’autonomie devrait être. 1.1 L’autonomie partielle. L’ouvrage de référence en la matière, écrit par Diana Meyers, s’intitule Personal autonmy 72 and the paradox of feminine socialization. Dans ce livre, D. Meyers prend pour sujet d’étude la « femme traditionnelle », c'est-à-dire la femme fortement socialisée aux normes féminines et dévouée en premier lieu au bien être et aux soins des enfants. D. Meyers cherche dans ce livre à analyser et repérer les éléments qui semblent mettre en danger l’autonomie de la femme traditionnelle, et il y en a beaucoup. Elle cite notamment la 73 socialisation , la construction de la féminité et de la masculinité et la subordination. Ces éléments, présents dans la vie des femmes aussi bien que dans celles des autres membres de la société, sont envisagés par Meyers comme étant restrictifs ou limitant pour l’autonomie. Elle ne les considère pas comme supprimant l’autonomie contrairement aux 70 71 72 MEYERS, D. Feminist perspectives on the self. Ibid. Nous utiliserons la présentation faite de la théorie de D. Meyers dans l’article From autonomy to agency: feminist perspectives on self-directionde Kathryn ABRAMS (partie B.1 Feminist revisions of liberal autonomy) pour rédiger cette partie. 73 Le processus de socialisation des filles est différent de celui des garçons, ce qui signifie que les filles et les garçons sont socialisés pour avoir des attentes et des buts différents. Cette différence n’est pas ce qui intéresse D. Meyers, c’est plutôt le fait que les filles sont socialisées pour donner moins de valeur à l’autonomie que les hommes. Les hommes sont, eux, socialement reconnus et récompensés dans l’exercice de l’autonomie. En ce sens, la socialisation est une limite à l’autonomie des femmes. BURSI Sandra_2007 25 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. 74 libéraux . Elle développe cet argument en distinguant trois types d’autonomie partielle ou 75 limitée pour la femme traditionnelle : « Narrowly programmatic autonomy » : dans ce type d’autonomie, il est possible pour un individu d’agir de façon autonome dans des situations précises même si il n’exerce pas de contrôle sur sa propre vie. Pour D. Meyers, la femme traditionnelle ne dispose pas de ce qu’elle appelle « global programmatic autonomy » ou autonomie pleine, qui lui permettrait de ne pas tenir compte des attentes sociales et de répondre de façon autonome à la grande question « Comment devrais-je vivre ma vie ? ». La femme traditionnelle dispose, en fait, d’une « narrowly programmatic autonomy » qui lui permet de décider de façon autonome uniquement sur des sujets plus restreints. « Episodic autonomy » : la personne est capable d’agir avec autonomie pour certains choix ou décisions mais pas pour d’autres, notamment pour les choix de vie à long terme. « Partial access autonomy » : Elle permet à la personne d’accéder et de libérer l’expression de certaines parties de son « moi » alors que d’autres restent inaccessibles étant donné sa socialisation. D. Meyers donne l’exemple d’une femme chrétienne fondamentaliste mère et épouse, qui n’est pas capable de trouver en elle-même ce qui lui permettrait de s’opposer à sa propre socialisation et à celle qu’elle transmet à ses enfants. Par contre, elle est capable de puiser en elle-même la volonté nécessaire pour s’opposer et montrer son mécontentement à un professeur d’école qui enseignerait à ses enfants la théorie de l’évolution. 1.2 L’autonomie comme compétence. D. Meyers conclut que ces notions d’autonomie limitée permettent d’envisager l’autonomie 76 comme une compétence c'est-à-dire comme un ensemble d’aptitudes propres, introspectives, imaginatives et raisonnées qui permettent d’agir de manière consciente et selon sa propre orientation. Les individus peinent à atteindre la « global programmatic autonomy » quand ils manquent d’aptitude pour une ou plusieurs compétences ou bien quand ces compétences ne sont pas coordonnées. C’est le cas de la femme traditionnelle. La socialisation féminine, en effet, réduit le développement de l’autonomie comme compétence. L’exercice de ces compétences n’est pas valorisé et souvent découragé. Ainsi, la femme traditionnelle n’est capable d’accomplir qu’une autonomie partielle et non, pleinement développée. En définissant l’autonomie comme pouvant être partielle et comme étant une compétence, D. Meyers montre son attachement à la réalisation de ce concept, et ce, surtout pour les groupes qui avaient été exclus par la définition libérale. Elle s’intéresse ainsi à la femme traditionnelle, victime de cette exclusion. L’autonomie partielle n’est pas considérée comme une autonomie déficiente ou incomplète mais comme illustrative de l’arbitrage constant entre autonomie et hétéronomie. Ce concept est défini comme pouvant évoluer et suggère un changement possible vers une autonomie plus « entière ». En somme, l’autonomie pour Meyers est une compétence qui s’acquiert par un processus de réflexion personnelle et par le développement de l’esprit critique. Bien qu’elle 74 Pour les libéraux, l’autonomie c’est être libre d’influences extérieures. La socialisation étant une influence extérieure, elle supprime la véritable autonomie. 75 76 STOPLER. G. The Free Exercise of Discrimination: Religious Liberty, Civic Community and Women's Equality. p 518. L’autonomie comme compétence de Meyers diffère des vertus de Feinberg, car elle souligne le rôle des sentiments dans l’autonomie. 26 BURSI Sandra_2007 Partie 1 : autonomie, femmes et developpement. souligne le fait que l’autonomie se développe dans un contexte social, elle ne considère pas l’aspect relationnel de l’individu comme déterminant. 2. Critiques de la révision féministe libérale 77 . 2.1 La socialisation n’est pas l’unique facteur affectant l’exercice de l’autonomie. Comme nous venons de le voir, Diana Meyers présente la socialisation féminine comme étant la principale limite à l’autonomie des femmes. Kathryn Abrams, auteure de l’article From autonomy to agency, reproche à D. Meyers d’avoir une conception de la socialisation trop étroite. En effet, pour Meyers, les femmes sont socialisées depuis l’enfance pour faire passer les intérêts des autres, notamment ceux des enfants, avant les leurs. Les hommes sont encouragés à saisir toutes les opportunités que se présentent à eux. Hommes et femmes évoluent donc dans deux sphères distinctes. Selon K. Abrams, cette explication néglige les autres types de socialisations des hommes et des femmes et oublie de prendre 78 en compte d’autres éléments tels que l’androcentrisme ou la domination sexuelle, comme limite de l’autonomie. L’androcentrisme culturel ou institutionnel est un facteur supplémentaire affectant 79 l’autonomie. Pour certaines féministes , les inégalités dont souffrent les femmes se perpétuent par la tendance à valoriser les normes et caractéristiques dites « masculines » et à placer les hommes qui les exercent au centre de l’organisation sociale et institutionnelle. Les femmes socialisées dans ce contexte acceptent la subordination de leurs intérêts à ceux des autres, sans qu’il n’y ait un rapport avec le fait de s’occuper des enfants. Un autre facteur important est la domination sexuelle. Les femmes battues, victimes d’agressions sexuelles sont présentées comme étant responsables de leur sort et ces crimes commis à leur encontre sont considérés comme des problèmes privés. Ces deux facteurs limitent l’autonomie en restreignant l’éventail de choix des femmes. Elles ont peurs de travailler, de se rendre à certains endroits et de donner leurs avis. Ces femmes marginalisées se voient comme moins capables. Les différents types de socialisation véhiculant la domination masculine, empêchent les femmes de formuler leurs propres systèmes de valeurs. Elles intériorisent, bien souvent, les normes sociales qui perpétuent leur subordination à tel point qu’il leurs devient impossible de distinguer si ces normes sont d’origine interne ou externe. 2.2 L’autonomie pour les féministes structuralistes et poststructuralistes : une dimension collective. Les féministes structuralistes et poststructuralistes pensent que pour mieux comprendre l’autonomie et définir les éléments qui la limitent, il faut, évidemment, prendre en compte les différents modèles de socialisation, mais surtout étudier l’influence de la race, de la classe, de l’orientation sexuelle et du contexte politique et sociale sur la formation de la femme comme individu et donc sur sa capacité à être autonome. 77 78 Tirées de l’article From autonomy to agency: feminist perspectives in self-direction de Kathryn Abrams. Point de vue masculin comme representation de l’humanité. 79 Notamment, Sandra Lipsitz Bem et son livre The lenses of gender: transforming the debate on sexual inequality,1993. BURSI Sandra_2007 27 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. Ces féministes reprochent aussi à D. Meyers de ne pas prendre en compte le contexte de pouvoir dans lequel la socialisation s’opère. En effet, elle ne se pose pas la question de savoir à qui bénéficient cette socialisation et les inégalités qui en découlent. Les structuralistes et poststructuralistes considèrent que la construction sociale est le fait de groupes plus puissants qui socialisent des groupes moins puissants à différentes formes de subordination. Le contexte politique prend ici une grande importance car il permet d’envisager l’autonomie comme une forme de résistance collective contre la perte de pouvoir. Le développement et l’exercice de l’autonomie ont donc une dimension collective. 3. De l’autonomie à l’ « agency». K. Abrams développe dans son article From autonomy to agency, une nouvelle théorie féministe de l’autonomie : la théorie de l’agency. L’agency tout comme l’autonomie correspond à un processus d’autodéfintion et d’autodirection. Elle est, cependant différente, car elle englobe dans la compréhension de ce processus toutes les critiques précédemment citées. Autrement dit, elle prend en compte l’influence des différents types de socialisation, l’influence du contexte de relations inégales de pouvoir et la dimension collective du processus. L’agency comme processus d’autodéfinition et d’autodirection passe par plusieurs étapes. Premièrement, il s’agit, pour une femme, de prendre conscience de la façon dont ses convictions, ses conceptions de la vie et d’elle-même sont socialement construites et perpétuent sa domination. Ce processus de prise de conscience ne permet pas de dépasser ces normes mais permet un début de remise en question, de résistance voire de réinterprétation. La deuxième idée de la théorie de l’agency est que ce processus de prise de conscience a une dimension collective. Il se fait par le dialogue avec les autres. Les femmes, en confrontant leurs sentiments, leurs expériences avec d’autres, comprennent que leur cas n’est pas isolé mais qu’il est le résultat de visions et d’attentes socialement ancrées. Les femmes s’identifient entre elles comme membres d’un même groupe. Grâce à l’interaction au sein du groupe, elles parviennent alors à définir des objectifs de vie, qui jusqu’alors étaient inconcevables pour elles. Pour K. Abrams, ces objectifs sont atteints aussi grâce au groupe et à la force de l’action collective. *** Récapitulons, pour Kant, l’autonomie c’est la capacité d’un individu de se donner ses propres lois. Un individu est considéré autonome lorsque, face à un choix, il est rationnel et indépendant de motivations externes. Pour J. Feinberg, l’autonomie se définit de la même façon. Il enrichit, cependant, la conception Kantienne de l’autonomie en déterminant des conditions à son exercice (la chance et les vertus). Les féministes, de façon générale, considèrent l’autonomie comme un processus par lequel un individu s’auto définit et s’auto dirige. Cet individu évolue dans un contexte social qui l’influence fortement et qui influence aussi l’exercice de son autonomie. Diana Meyers, féministe libérale, élabore le concept d’autonomie partielle pour rendre compte des limites que pose la socialisation à l’autonomie de la femme dite traditionnelle. Pour les féministes structuralistes et poststructuralistes, les individus sont influencés par des facteurs bien plus variés et complexes que la socialisation présentée par Meyers. Elles citent notamment les relations inégales de pouvoir qui participent à la transmission des normes et des valeurs socialement attribuées aux femmes et qui restreignent l’exercice de leur autonomie. Enfin, la théorie de l’agency donne à l’autonomie une dimension collective contrairement aux conceptions libérales et 28 BURSI Sandra_2007 Partie 1 : autonomie, femmes et developpement. féministes libérales. L’interaction avec d’autres personnes, permet à un individu d’entamer une prise de conscience nécessaire à l’autodéfinition et l’autodirection. Le point commun à toutes ces conceptions est de définir l’autonomie comme le fait de se donner ses propres principes et objectifs. Ces conceptions insistent, respectivement, sur la rationalité, l’introspection et la prise de conscience au sein du groupe comme point de départ et capacité individuelle nécessaire à l’autonomie. Elles restent, cependant, trop théoriques. Il est nécessaire de faire correspondre aux caractéristiques de l’autonomie préalablement définies, des indicateurs concrets, quantifiables permettant une mesure de ce phénomène. « Concrétiser » la définition de l’autonomie ne fera que l’enrichir. III/ A la recherche d’indicateurs concrets de l’autonomie. 1. Indicateurs de l’autonomie. Afin de définir un cadre d’analyse de l’autonomie des femmes, nous ferons référence aux travaux de deux auteures, Shireen Jejeebhoy, qui a traité de l’autonomie en relation avec l’éducation et la reproduction, et Joke Schrijvers, anthropologue spécialisée en « genre et développement ». Elles ont élaboré chacune un cadre d’analyse regroupant des indicateurs permettant d’évaluer le degré d’autonomie des femmes. A partir de ces travaux, nous présenterons les indicateurs définis. Puis, nous sélectionnerons ceux qui entreront dans notre cadre d’analyse. La recherche sociodémographique s’est attachée à définir des indicateurs directs de l’autonomie des femmes. Bien que très nombreux, ils coïncident tous sur les dimensions qu’ils essayent de mesurer c'est-à-dire les manifestations concrètes d’indépendance, de 80 contrôle de sa propre vie et d’action selon ses propres intérêts . Les indicateurs les plus 81 courants sont les suivants : ∙ La participation de la femme à la prise de décision au sein du foyer. Cet indicateur 82 englobe pour S. Jejeebhoy deux sous indicateurs : autorité en matière de décisions économiques (participation aux décisions pour les dépenses du foyer) et autorité en matière de décisions concernant les enfants (participation aux décisions qui concernent l’éducation et la santé des enfants). On peut y ajouter la participation à la prise de décisions concernant l’utilisation de contraceptifs et de méthodes de planification familiale. Cet indicateur se rapproche du premier critère d’autonomie 83 définit par J. Schrijvers : « la maitrise par les femmes de leur propre sexualité et fécondité ». ∙ La liberté de mouvement : liberté de sortir de chez soi et de son village sans avoir à demander la permission. Cet indicateur a souvent été utilisé dans des études concernant l’Asie car la réclusion féminine y est courante. Les travaux d’Irene Casique à propos du Mexique montrent que cet indicateur reste pertinent pour ce pays. ∙ Accès et contrôle des ressources économiques : avoir accès à un revenu et pouvoir le dépenser. A cela s’ajoute, l’accès à un travail rémunéré. Plus généralement, cet indicateur cherche à déterminer dans quelle mesure la femme participe aux dépenses 80 81 GARCIA, Brígida. Empoderamiento y autonomía de las mujeres en la investigación sociodemográfica actual. p 235. Idem. p 235 -237. BURSI Sandra_2007 29 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. ∙ ∙ ∙ ∙ de son foyer, et dans quelle mesure son revenu lui permet d’être financièrement indépendante, ne serait-ce que de façon partielle. Etre libre de violences domestiques : englobe la violence psychologique (menaces, dévalorisation) et physique Attitude en faveur de l’égalité des genres : perceptions qu’ont les femmes de l’inégalité entre homme et femme et de ce qu’elles ont le droit de faire ou non. Cet indicateur se rapproche du quatrième critère de J. Schrijvers : avoir « des conceptions positives de leur sexe qui légitiment le sens de dignité et le respect de soi des femmes et leur droit à l’autodétermination ». Choix du conjoint : englobe le pouvoir ou non de choisir son conjoint, la différence d’âge, l’existence d’un lien de parenté. J. Schrijvers ajoute à tous ces indicateurs un critère que l’on pourrait dire communautaire et qui correspond à l’existence de « modes de coopération et d’organisation de femmes qui leur permettent de contrôler leurs propres affaires et les aident dans ce sens ». Ces indicateurs sont le plus souvent utilisés pour étudier l’influence de l’autonomie sur les transformations démographiques. Dans ce mémoire, nous suivons une logique inverse. Nous étudions dans quelle mesure la réalisation des coresponsabilités du programme Oportunidades influencent les indicateurs de l’autonomie. Il est temps à présent de faire le tri dans tous les indicateurs cités afin de ne retenir que les plus pertinents pour notre cadre d’analyse. 2. Cadre d’analyse. Comme nous l’avons vu précédemment, l’autonomie c’est définir ces propres valeurs et ces propres objectifs. Dit autrement, l’autonomie c’est contrôler sa propre vie, c’est agir selon les principes que l’on s’est fixé et de façon à atteindre les objectifs désirés, et ce, sans être influencé ou contraint par une autre personne. L’autonomie ainsi définie s’exerce 84 à trois niveaux : au niveau de l’individu, de la famille et de la communauté . Ces trois dimensions correspondent en quelque sorte aux trois étapes du développement théorique de l’autonomie que nous avons présentée. L’autonomie est avant tout un processus individuel pour les libéraux, puis, pour les féministes libérales elle est fortement influencée par la socialisation et par le milieu familial, enfin pour les théoriciennes de l’agency l’autonomie s’acquiert et se renforce aussi sur un plan communautaire. Ainsi, considérer ces trois dimensions, permet d’établir une conception de l’autonomie plus complète. C’est cette définition de l’autonomie que nous retiendrons pour ce travail. 84 30 Pour notre cadre d’analyse, ces trois dimensions seront aussi notre point de départ. Pour chacune d’elle, une série d’indicateurs a été sélectionné. Ces indicateurs correspondent à ce que l’autonomie signifie concrètement. Ainsi, en confrontant la position de la femme à ces indicateurs, il est possible d’évaluer son degré d’autonomie. Toutefois, il est important de signaler que ces trois niveaux d’autonomie ne sont pas à prendre indépendamment, au contraire, ils s’influencent mutuellement. Par exemple, une femme qui, au niveau individuel, connaît bien son corps et est favorable aux techniques de contraception et de planification familiale, car elle y a été sensibilisée au niveau communautaire, pourra mieux négocier avec son mari leurs utilisations. De même, au niveau communautaire, le dialogue et l’entraide entre femmes renforcent leur sentiment de confiance, ce qui améliore aussi, au niveau individuel, leur estime de soi, et leur permet Ces trois niveaux d’analyse ont été élaboré par Shireen Jejeeboy BURSI Sandra_2007 Partie 1 : autonomie, femmes et developpement. d’avoir plus de courage pour imposer leurs décisions au sein de la famille. On voit donc que les indicateurs définis ne se cantonnent pas à un seul niveau d’analyse, en réalité ils sont transversaux. Voici donc le cadre d’analyse qui nous permettra de déterminer si les coresponsabilités renforcent l’autonomie des femmes participant au programme Oportunidades. Au niveau individuel : ∙ connaissance de son corps, utilisation de la contraception et de la planification familial ; parce que pouvoir choisir quand être enceinte, c’est contrôler sa vie et pouvoir l’organiser en fonction des objectifs fixés. ∙ Une meilleure estime de soi : englobe une meilleure image de soi-même et le sentiment d’être et de se sentir capable de faire les choses. Au niveau familial : ∙ Participation à la prise de décisions : ∙ en matière économique : concerne l’assignation des revenus familiaux (de la femme et de l’homme) aux différentes dépenses du foyer (aliments, médicaments, matériels scolaires). ∙ concernant les enfants (éducation, santé) ∙ concernant la contraception et la planification familiale. ∙ Liberté de mouvement : sortir de chez soi et de son lieu de résidence (aller travailler, emmener les enfants à l’école, aller au dispensaire, faire des courses, se rendre chez des amis ou parents, participer aux activités de la communauté) sans avoir à demander la permission au conjoint. ∙ Etre libre de menace : physique ou psychologique. ∙ Accès à un travail rémunéré et ce sans avoir à demander l’autorisation du conjoint. Au niveau communautaire : ∙ Les femmes dialoguent et prennent conscience de leur condition. L’image qu’elles ont d’elle-même et que les autres (les hommes) ont d’elles s’améliore, elles prennent confiance en elle. ∙ Les femmes s’entraident. Elles s’organisent en associations pour défendre leurs droits. ∙ Les femmes participent à la prise de décision concernant le programme : elles donnent leur avis sur les points du programme qui les concernent et cet avis est pris en compte. BURSI Sandra_2007 31 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. Partie 2. Autonomie : Le cas des femmes Oportunidades. Chapitre 1 : Méthodologie. N’ayant pas eu le temps ni les moyens d’enquêter moi-même, j’utiliserai, pour mener à bien mon analyse, les résultats de deux enquêtes : la Encuesta de evaluacion de Oportunidades en areas urbanas 2004 (ENCELURB 2004) et la Encuesta sobre violencia y toma de decision (ENVIT 2004). L’enquête ENCELURB 2004 est une enquête de suivie et d’évaluation du programme Oportunidades en zones urbaines intégrées en 2002. Cette enquête nous donne accès à deux types d’information : des informations, d’une part, sur des foyers, dits d’intervention, intégrés au programme en 2002 et, d’autre part, sur des foyers dits de contrôle présentant les mêmes caractéristiques économiques et sociales mais n’étant pas intégrés. L’enquête ENVIT 2004 constitue l’outil principal du projet Encuesta sobre Violencia y Toma de Decisiones del Programa de Coinversión Social auquel ont participé financièrement l’Instituto Nacional de Salud Pública (INSP) et la Secretaría de Desarrollo Social. Elle a été réalisée conjointement à l’enquête ENCELURB 2004 à laquelle elle a été intégrée comme un module. Elle s’est appliquée à un sous échantillon aléatoire composé de foyers intégrés en 2002 et de foyers ayant les mêmes caractéristiques économiques et sociales mais n’étant pas intégrés, dans lesquels réside au moins une femme âgée de plus de 18 ans, conjointe du chef de famille ou chef de famille elle-même. Ces deux enquêtes, les plus récentes à ma disposition, nous mettent face à un premier biais. Elles interviennent en 2004, seulement deux ans après l’incorporation au programme des foyers urbains. Cette période d’effet de deux ans peut, donc, pour certains aspects de notre étude se révéler trop courte pour apprécier un changement. D’autre part, ces enquêtes n’ayant pas été conçues pour répondre à mon questionnement, il n’a pas été possible de clairement séparer les effets des coresponsabilités du programme en général. En effet, les seules catégories de comparaison à ma disposition sont celles de « foyer d’intervention » et de « foyer de contrôle ». Nous nous trouvons ici face à un deuxième biais, les différences observées entre groupe d’intervention et groupe de contrôle ne s’expliquent pas forcement par la réalisation des coresponsabilités mais peut être par d’autres aspects du programme, par exemple la réception par les femmes de l’aide monétaire. Ces deux catégories de comparaison seront toutefois retenues puisque nous partons du principe que les femmes membres, c'est-à-dire qui reçoivent les aides financières, le sont car elles remplissent les coresponsabilités. I/ Hypothèses et variables d’étude. Grâce au cadre d’analyse de l’autonomie défini en première partie, nous avons pu élaborer trois hypothèses concernant l’effet des coresponsabilités sur l’autonomie des 32 BURSI Sandra_2007 Partie 2. Autonomie : Le cas des femmes Oportunidades. femmes membres du programme Oportunidades. Dans cette partie, nous rappellerons ces hypothèses et nous exposerons pour chacune d’entre elles les variables d’étude. Hypothèse 1 : Se rendre au dispensaire pour réaliser le paquete esencial et participer aux réunions éducatives, permet aux femmes Oportunidades d'acquérir une meilleure connaissance de leur corps et des méthodes de planification familiale qu'elles utilisent de plus en plus. Leur confiance en elle et leurs compétences s'en trouvent donc renforcées, ainsi que leur participation à la prise de décision concernant la contraception, la santé et les enfants. Hypothèse 2 : Participer aux réunions éducatives, se rendre au dispensaire, amener les enfants à l'école, sont autant d'activités qui conduisent les femmes Oportunidades à sortir des plus en plus de leur foyer augmentant ainsi leur liberté de mouvement. Ces sorties permettent le développement des contacts et du dialogue entre femmes. Des réseaux d’entraides informels ainsi que des groupes de femmes défendant leur droit se créent. La participation de ces femmes à la prise de décision au sein de leur foyer ainsi qu'au sein de la communauté se renforce. Hypothèse 3 : La participation aux coresponsabilités est contraignante. Elle représente une charge horaire de travail trop importante pour les femmes Oportunidades et constitue une entrave au travail rémunéré. Pour chacune de ces trois hypothèses, la principale variable indépendante est le statut d’incorporation au programme (intervention ou contrôle) et par extension la réalisation des coresponsabilités. Les variables dépendantes propres à chaque hypothèse renvoient aux indicateurs de l’autonomie définis dans le cadre d’analyse. Ces variables dépendantes seront analysées dans leur relation avec la variable indépendante du statut d’incorporation au programme. Pour l’hypothèse 1, les variables dépendantes sont : la connaissance de son corps : connaissance relative à la planification familiale, la contraception et la santé. La mise en pratique de ce savoir : utilisation des méthodes de contraception et de protection contre le HIV, réalisation des différents dépistages. Participation à la prise de décision concernant la contraception et la santé : qui décide dans le foyer à ce sujet, la femme doit-elle demander la permission à son mari pour avoir recours à la contraception, se faire soigner ? Participation à la prise de décisions concernant les enfants : qui décide dans le foyer au sujet de leur éducation, de leur santé. Pour l’hypothèse 2 : la liberté de mouvement. création de réseaux d’entraide et d’associations. pouvoir de décision au sein de la communauté : les femmes sont-elles consultées sur l’organisation de la communauté ? Leur avis est il pris en compte? ∙ participation à la prise de décisions concernant le programme :les femmes donnentelles leur avis sur les points du programme qui les concernent ? Cet avis est-il pris en compte ? Pour l’hypothèse 3 : BURSI Sandra_2007 33 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. Charge horaire que représentent le travail domestique et le travail rémunéré. Charge horaire que représente l’assistance aux réunions éducatives (coresponsabilité de santé). II/ Méthodologie propre à chaque hypothèse. Après avoir défini les variables d’études pour chaque hypothèse, nous avons sélectionné des questions nous permettant de traiter ces variables. Pour l’hypothèse 1, nous avons sélectionné un ensemble de questions. Puis en fonction des réponses, nous avons attribué un score, le plus haut étant relatif à une situation d’autonomie et la plus bas à une absence d’autonomie. Pour la variable connaissance de son corps, nous avons sélectionné dans l’enquête ENCELURB 2004, deux questions de connaissances générales : Avez-vous déjà entendu parler des méthodes contraceptives ?, Une femme peut elle tomber enceinte lors du premier rapport sexuel ? et deux questions de connaissance technique : Savez-vous à quoi sert le 85 test de Papanicolaou ?, Savez-vous pratiquez l’auto examen de la poitrine ? A chaque réponse est assignée une valeur. Ainsi, la réponse « oui » = 1 et la réponse « non » = 0. La variable connaissance de son corps est, alors, un score allant de 0 à 4, 4 étant le plus haut niveau de connaissance. Pour la variable Mise en pratique de ce savoir, nous avons sélectionné dans l’enquête ENCELURB 2004 les questions suivantes : Avez-vous effectué ces derniers mois le test de Papanicolaou ? Réponse « oui » =1, réponse « non » = 0. La dernière fois que vous avez eu des relations sexuelles, qu’avez-vous fait pour ne pas tomber enceinte ? Réponse « J’ai utilisé une méthode contraceptive » = 1, réponse « je n’ai rien fait » = 0 Quelle méthode utilisez-vous pour éviter le sida ? Réponse «J’ai utilisé un préservatif » =1, réponse « Je n’ai rien utilisé » = 0. La variable mise en pratique est un score allant de 0 à 3, 3 étant le plus haut niveau de mise en pratique. La variable Participation à la prise de décision concernant la santé et la contraception se divise en trois groupes de questions (issues de l’enquête ENVIT 2004): Dans votre foyer, qui décide de l’utilisation de méthodes contraceptives ? Qui décide si vous devez ou non aller chez le docteur ? Réponse « l’interviewée » = 2, « les deux » =1, « le conjoint, fille, fils ou autres membres du foyer » = 0. On attribut à la réponse « l’interviewée » la plus haute valeur, car prendre seule une décision relève d’une forte autonomie. A quelle fréquence devez-vous demander la permission à votre conjoint pour utiliser un contraceptif ? Pour aller chez le docteur ? Réponse « Jamais »= 3, « Peu de fois »= 2, « De nombreuses fois »= 1, « presque toujours »= 0. La plus haute valeur, 3, fait état d’une indépendance dans la prise de décision vis-à-vis du conjoint, inversement la valeur 0 souligne une dépendance, une absence de liberté. Dans votre foyer qui décide combien d’enfants avoir ? Réponse « les deux »= 2, « l’interviewée » = 1, « conjoint ou autre personne du foyer »= 0. Ici, la plus haute valeur est 85 34 Le test de Papanicolaou sert à depister le cancer de l’utérus. BURSI Sandra_2007 Partie 2. Autonomie : Le cas des femmes Oportunidades. attribué à la réponse « les deux », car il me semble qu’avoir des enfants est une décision de couple. La variable « Participation à la prise de décision concernant la santé et la contraception » est un score allant de 0 à 12. Un score de 0 à 3 indique une faible participation à la prise de décisions, de 4 à 6 une participation moyenne, de 7 à 10 une participation forte et enfin un score de 11 ou 12 signifie une participation très forte. Pour la variable Participation à la prise de décision concernant les enfants, nous avons sélectionné les questions suivantes (ENVIT 2004) : Dans votre foyer, qui décide de l’éducation des garçons ? De l’éducation des filles ? De la discipline ? Quoi faire quand les enfants sont malades ? Réponse « l’interviewée »=2, « les deux »= 1, « le conjoint ou autre membres du foyer »=0. Cette variable est donc représentée par un score allant de 0 à 8. Un score de 0 à 3 indique une faible participation à la prise de décisions, de 4 à 6 une participation moyenne et 7 ou 8, une participation forte. 1. Pour l’hypothèse deux, nous avons utilisé la même méthodologie que pour l’hypothèse Pour la variable liberté de mouvement, nous avons sélectionné les questions suivantes (ENVIT 2004) : A quelle fréquence devez-vous demander la permission a votre conjoint pour travailler ? Visiter des parents ou amis ? Aller chez le docteur ? Participer à une organisation ? Réponse « Jamais »= 3, « Peu de fois »= 2, « De nombreuses fois »= 1, « presque toujours »= 0. « Jamais » étant la réponse faisant état d’une très grande liberté de mouvement. Cette variable est donc représentée par un score allant de 0 à 12, avec de 0 à 4 une liberté de mouvement faible, de 5 à 7 une liberté de mouvement moyenne, de 8 à 10 haute et pour 11 et 12, très haute. Pour les variables suivantes, création de réseaux d’entraide et d’associations, pouvoir de décision au sein de la communauté, participation à la prise de décisions concernant le programme, les enquêtes ENCELURB et ENVIT ne contiennent pas de questions s’y rapprochant. Nous traiterons donc cette partie de l’hypothèse 2 en ayant recours à la littérature d’évaluation du programme. Enfin, pour l’hypothèse 3, nous avons sélectionné les questions suivantes : Combien d’heure par semaine travaillez-vous (travail rémunéré)? La semaine dernière, combien d’heures avez-vous dédié au maintien de la maison (repasser, nettoyer, laver le linge) ? La semaine dernière, combien d’heures avez-vous dédié à vos enfants (aide au devoir, les accompagner a l’école, les laver, les surveiller) ? En ce qui concerne le poids des coresponsabilités, nous n’avons pu trouver que deux questions faisant référence aux réunions éducatives. De combien de temps avez-vous besoin pour vous rendre et assister aux réunions éducatives ? A combien de réunions éducatives vous êtes-vous rendues l’année dernière ? Les réponses à ces questions nous permettrons d’effectuer une comparaison de la charge horaire que représentent le travail domestique et le travail rémunéré entre les femmes du groupe d’intervention et du groupe de contrôle. Puis nous évaluerons la charge horaire additionnelle que représentent les coresponsabilités pour les femmes membres du programme Oportunidades. Etant donné que cette enquête n’a pas été conçue pour mon questionnement, les autres aspects des coresponsabilités tels que les rendez-vous aux BURSI Sandra_2007 35 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. dispensaires (pour elle et les enfants) ne pourront être évalués car aucune question de l’enquête n’y fait référence. Chapitre 2 : Résultats. Nous avons, pour réaliser cette étude, constitué deux échantillons à partir des enquêtes Encelurb et Envit 2004. Pour ce faire, nous sommes partis de l’échantillon utilisé par l’enquête ENVIT, composé de 2085 femmes membres du groupe d’intervention et de 869 femmes membres du groupe de contrôle, et avons sélectionné de manière aléatoire dans l’enquête Encelurb un échantillon de même taille et de même proportion. Tableau 1 : Echantillon Groupes Intervention Contrôle Nombre de femmes 2085 869 Pourcentage 70.6% 29.4% Ensuite, nous avons réalisé une comparaison de certaines données démographiques entre les femmes des deux échantillons, et ce, afin de voir si leurs caractéristiques sont semblables. Ainsi, on remarque que la moyenne d’âge des femmes des deux échantillons est semblable (39,4 Ans pour l’échantillon Envit et 34.7 pour l’échantillon Encelurb). On constate aussi que pour les deux échantillons, la majorité des femmes sont mariées (61.9% pour Encelurb et 60.4% pour Envit). Quant au niveau d’études, la majorité des femmes ont fini le primaire (54% pour Encelurb et 55.5% pour Envit). I/ Hypothèse 1. Après avoir suivie la méthodologie définie pour cette hypothèse, nous obtenons les résultats suivants : Tableau 2: résultats des calculs pour l’hypothèse 1. 36 BURSI Sandra_2007 Partie 2. Autonomie : Le cas des femmes Oportunidades. ∙ ∙ ∙ ∙ Pour les deux groupes, une large majorité possède une forte connaissance de son corps. On note toutefois une différence de 5 points entre le groupe d’intervention et le groupe de contrôle, avec un pourcentage respectif de 80,7% et 75,6%. Si on entre dans le détail des questions composant cette variable, on constate que les questions de connaissance plus techniques (Graphiques 1 et 2) sont mieux maîtrisées par les femmes membres du groupe d’intervention. Graphique 1: Savez- vous à quoi sert le test de Papanicolaou ? Graphique 2: Savez- vous pratiquer l’auto examen de la poitrine ? En s’intéressant de plus près aux femmes du groupe d’intervention et à leur avis sur les réunions éducatives (Graphique 3 et 4), on constate qu’elles en sont largement satisfaites. 62,8% d’entre elles affirment même qu’elles les ont beaucoup aidées à améliorer leur santé. Graphique 3: Les réunions éducatives vous ont-elles aidées à améliorer votre santé ? BURSI Sandra_2007 37 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. Graphique 4: Pensez- vous qu’il faut maintenir ou arrêter les réunions éducatives ? ∙ Quant à la mise en pratique de ce savoir, on note que dans chaque groupe, environ ¾ des femmes obtiennent un score moyen. Le pourcentage de femmes ayant un niveau élevé de mise en pratique est plutôt faible, dans chaque groupe. Toutefois, le groupe d’intervention obtient un meilleur pourcentage de 17,1% contre 14,5% pour le groupe de contrôle. Là encore, on remarque que la mise en pratique des connaissances techniques est plus élevée chez les femmes Oportunidades (Graphique 5). En effet, elles sont 32,1% à affirmer avoir réalisé le test de Papanicolaou ces derniers mois contre 25,8% pour le groupe de contrôle. Il faut toutefois souligner que dans chaque groupe, une très large majorité des femmes disent ne pas avoir fait le test. ∙ Graphique 5: Ces derniers mois, avez-vous réalisé le test de Papanicolaou ? ∙ En matière de participation à la prise de décision concernant la santé, le pourcentage de femmes obtenant un score très fort est plus élevé pour le groupe d’intervention (27,7%). Par contre, le pourcentage de femmes ayant un score fort est plus élevé pour le groupe de contrôle (62,1% contre 56,3). Dans le détail, à la question « qui décide dans votre foyer au sujet de la contraception ? », on constate que dans chaque groupe, 2/3 des femmes affirment prendre cette décision avec leur mari. Le pourcentage de femmes prenant seules cette décision est plus élevé dans le groupe d’intervention (26,7% contre 20,9% pour le groupe de contrôle). On remarque aussi que le pourcentage de femmes pour lesquelles le mari décide de la contraception est plus élevé dans le groupe de contrôle (14% contre 8,4%). A la question « qui décide si vous devez aller chez le docteur ? », les femmes membres du programme Oportunidades sont plus nombreuses à répondre qu’elles prennent cette décision seule.(Graphique 6) Graphique 6: Qui décide si vous devez aller chez le docteur ou non? ∙ Pour la variable « participation à la prise de décision concernant les enfants », on constate que le pourcentage de femmes obtenant un score élevé est plus grand pour le groupe d’intervention (11.9%). Cependant, la différence avec le groupe de contrôle n’est seulement que de 2,8 points. Si on regarde plus en détail les questions qui composent cette variable, on remarque que, pour les deux groupes, entre 60 et 70% des femmes affirment prendre les décisions concernant les enfants avec leur mari. On remarque aussi que pour les questions « Qui décide de la discipline ? » (Graphique 7) et « Qui décide quoi faire quand les enfants sont malades ? » (Graphique 8), le pourcentage des femmes décidant seules est plus élevé pour le groupe d’intervention et que le pourcentage des femmes laissant le mari décidé est plus élevé pour le groupe de contrôle. ∙ ∙ Graphique 7: Qui décide de la discipline ? Graphique 8: Qui décide quoi faire quand les enfants sont malades? On constate donc qu’il existe pour chacune des quatre variables une différence entre le groupe d’intervention et le groupe de contrôle. Pour déterminer si cette différence 38 BURSI Sandra_2007 Partie 2. Autonomie : Le cas des femmes Oportunidades. 86 87 est statistiquement significative, nous aurons recours à une ANOVA . L’ANOVA est un test statistique qui compare la variabilité au sein des groupes (intragroupe) et entre les groupes (intergroupe), dans notre cas le groupe d’intervention et le groupe de contrôle. Par exemple, si la variabilité intragroupe est plus faible que la variabilité intergroupe alors il est vraisemblable que le critère définissant les groupes soit une bonne explication de l’hétérogénéité de la variable dépendante. Vous trouverez dans le tableau 2 pour chaque variable la probabilité p associée à ce test. Si p<0,05, l’hypothèse d’une absence de différence entre les deux groupes peut être rejetée. On peut alors conclure que la différence entre les deux groupes est significative. Tableau 3: Probabilités associées au test de l’ANOVA. Au vu des résultats, il existe donc une différence significative entre le groupe d’intervention et le groupe de contrôle pour les variables « Connaissance de son corps », « Mise en pratique » et « Prise de décision concernant la contraception ». La différence observée entre le groupe d’intervention et le groupe de contrôle pour le variable « prise de décisions concernant les enfants » n’est pas significative car p>0,1. L’étude de cette variable s’arrête donc ici. Le test de l’ANOVA nous permet aussi de conclure, pour une probabilité p<0,05, à l’existence d’une relation entre la variable indépendante « type de foyer » et les variables dépendantes 1,2 et 3. L’existence de cette relation est confirmée par le test du khi ² 88 . Ces deux tests soulignent uniquement l’existence d’une relation mais ne permettent d’en déterminer la nature ni la force. Ainsi, grâce au calcul l’Eta carré (n²), il est possible d’apprécier l’effet de la variable « type de foyer » sur la variabilité des variables 1, 2 et 3. Nous obtenons les résultats suivants : respectivement, n²= 0,077, n²= 0,021, n²=0,052. 89 Jacob Cohen , statisticien a défini des balises de l’eta au carré : autour de 0,01, l’effet est de petite taille autour de 0,06, l’effet est de moyenne taille. Autour de 0,14 et plus, l’effet est de grande taille. Ainsi, nous pouvons conclure que : l’effet de la variable « type de foyer » sur la variable « connaissance de son corps » est moyen. l’effet de la variable « type de foyer » sur la variable « mise en pratique » est faible. L’effet de la variable « type de foyer » sur la variable « prise de décisions concernant la contraception et la santé» est moyen. Nous pouvons ajouter qu’en croisant les variables, «connaissance de son corps » et « mise en pratique », nous obtenons une probabilité p<0,05 pour le test du khi², ce qui signifie qu’il existe une relation entre ces deux variables. De plus, nous obtenons un Eta carré n²= 0,176. L’effet de la variable « connaissance de son corps » sur la variable « mise en pratique » est très fort. 86 87 88 Pour le détail des resultats, voir annexes 2. MARTIN, Olivier. L’analyse des données quantitives. P 93 à 98. Le test KHI² permet de determiner l’existence d’une relation entre deux variables. Plus la probabilité associée au khi² est faible (p<0,05), moins l’hypothèse d’indépendance entre les deux variables est crédible. Ainsi, quand p<0,05 l’hypothèse de l’existence d’un lien entre ces deux variables est acceptable. Pour le détail des résultats voir annexe 3. 89 SPSS à l’UDES: http://pages.usherbrooke.ca/spss/pages/statistiques-inferentielles/test-t-dependant/interpretation.php BURSI Sandra_2007 39 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. II/ Hypothèse 2. Tableau 4: Résultats des calculs pour la variable liberté de mouvement (hypothèse 2) Liberté de mouvement Faible Moyenne Haute Très Haute Groupe d’intervention 24.7% 20.4% 32.1% 22.8% Groupe de contrôle 24.6% 21.6% 32.5% 21.3% On constate peu de différence entre les scores du groupe d’intervention et du groupe de contrôle. On peut tout de même noter que le pourcentage de femmes ayant une très grande liberté de mouvement est plus important pour le groupe d’intervention. Si on s’intéresse aux questions composant cette variable, on remarque que pour les questions « A quelle fréquence devez-vous demander la permission à votre mari pour aller chez le docteur ? » et « … pour participer à une organisation ? », la majorité des femmes dans les deux groupes répond « jamais ». Aux questions « A quelle fréquence devez-vous demander la permission à votre mari pour rendre visite a vos parents ou amis ? » (Graphique 9) et « … pour travailler ? », environ 40% des femmes dans les deux groupes répondent « jamais ». Toutefois, on remarque que pour la première de ces deux questions le pourcentage de femmes ayant répondu « toujours » est plus élevé pour le groupe d’intervention, alors que le pourcentage de femme ayant répondu « jamais » est plus élevé pour le groupe de contrôle. Graphique 9: Permission pour rendre visite à des parents ou amis. Nous avons ensuite, comme pour les variables de l’hypothèse 1, réaliser une ANOVA. La probabilité obtenue est largement supérieure à 0,05, la différence existant entre les deux groupes n’est donc pas significative. Ce test nous permet aussi de conclure qu’il n’existe pas de relation entre la variable « type de foyer » et « liberté de mouvement ». Pour les autres variables de l’hypothèse, les enquêtes ne nous fournissent pas d’éléments permettant de les traiter. Nous aurons recours à certains documents d’évaluation traitant de ce sujet dans la partie discussion. III/ Hypothèse 3. Tableau 5: moyenne du nombre d’heure accordée à chaque activité (Hypothèse 3) Intervention Travail rémunéré/semaine 40h Maison / semaine 13h10 Enfants/semaine 15h49 Contrôle 37h35 12h33 15h04 On constate donc que les femmes membres du groupe d’intervention consacrent en moyenne plus temps au travail rémunéré que le groupe de contrôle. On remarque aussi 40 BURSI Sandra_2007 Partie 2. Autonomie : Le cas des femmes Oportunidades. qu’elles passent plus de temps à s’occuper de la maison (différence de 37 min par semaine) et des enfants (différence de 45 min par semaine). Comparons maintenant le temps consacré aux enfants en fonction de l’âge des femmes des deux groupes. On constate premièrement, pour les deux groupes, que le temps consacré est plus important pour les femmes de 19 à 45 ans, et ce parce qu’elles ont des enfants à charge. En moyenne, elles consacrent 19h par semaine aux enfants. On remarque toutefois que les femmes du groupe d’intervention, âgées de 19 à 45, passent plus de temps à s’occuper des enfants que les femmes du groupe de contrôle ayant le même âge (Graphique 10). Pour la classe d’âge [19- 25], la différence est de 4h34 et pour la classe [26- 35] de 3h12. Graphique 10 : Moyenne du nombre d’heures consacrées par semaine aux enfants en fonction de l’âge et du statut (Intervention ou contrôle) des femmes. Comme pour les hypothèses précédentes, nous avons réalisé une ANOVA pour déterminer si les différences constatées entre groupe d’intervention et groupe de contrôle pour les trois activités sont significatives. Les probabilités associées à ce test sont, pour chaque activité, inférieures à 0,001, nous pouvons donc conclure que les différences constatées sont significatives. Nous avons ensuite calculé l’eta au carré (n²) qui nous permet d’apprécier l’effet de la variable « type de foyer » sur la variabilité des variables 1, 2 et 3. Nous obtenons pour l’activité travail rémunéré n²= 0.023, pour le travail domestique n²= 0.062 et pour le soin apporté aux enfants n²= 0.092. Pour l’activité « travail rémunéré », nous pouvons donc conclure que l’effet de la variable « type de foyer » est faible car n² est proche de 0.01. Le statut d’incorporation n’est pas suffisant pour expliquer la différence qui existe entre groupe d’intervention et groupe de BURSI Sandra_2007 41 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. contrôle. Appartenir ou non au programme n’explique pas le temps consacré au travail rémunéré. Pour les activités relatives à la maison et aux enfants, nous pouvons conclure que l’effet de la variable « type de foyer » est moyen car n² est proche de 0.05. Les différences constatées entre les deux groupes s’expliquent en partie par le statut d’incorporation au programme. Il serait nécessaire d’entreprendre des calculs plus poussés pour déterminer si la variable « type de foyer » est le premier des facteurs expliquant cette différence. Cependant, étant donné la complexité de ce type de calcul, je m’arrêterais ici. Nous avons donc calculé le temps que les femmes de chaque groupe consacrent à ces activités et les différences qui existaient. Si on s’intéresse plus particulièrement au poids des coresponsabilités et plus précisément des réunions éducatives, on constate qu’en moyenne les femmes membres du programme y consacrent 1h 45. Il faut toutefois souligner qu’en moyenne les femmes membres du programme se rendent à 4 réunions par an (même si dans les textes, ces réunions sont mensuelles). Le poids des coresponsabilités semble donc à relativiser. Graphique 11: Nombre d’heures consacrées aux réunions éducatives. Pour la deuxième partie de notre hypothèse « les coresponsabilités sont une entrave au travail rémunéré », nous comparerons les réponses des femmes des deux groupes à la question « A quelle activité vous êtes vous, principalement, consacré la semaine dernière ? » (Tableau 5). On remarque, pour les deux groupes, que les femmes appartenant aux classes d’âge (de 19 à 45ans) qui consacrent le plus temps aux enfants et à la maison, ont, en majorité, comme activité principale les tâches domestiques. Elles ne sont qu’un tiers à détenir un travail rémunéré. Pour les mêmes classes d’âge, les différences entre groupe d’intervention et groupe de contrôle pour l’activité « travail rémunéré », ne semblent pas assez importantes pour appuyer la deuxième partie de notre hypothèse. En effet, étant donné que les femmes de 19 à 45 ans, membres du groupe d’intervention, passent plus de temps à s’occuper de la 42 BURSI Sandra_2007 Partie 2. Autonomie : Le cas des femmes Oportunidades. maison et des enfants, on pourrait penser qu’elles délaissent plus le travail rémunéré. Or, le pourcentage des femmes du groupe d’intervention ayant un travail rémunéré diffère peu de celui des femmes du groupe de contrôle. Il semblerait donc que le statut d’incorporation au programme n’influe pas sur la poursuite d’un travail rémunéré. Tableau 6 : Pourcentage de femmes ayant pour activité principale le travail rémunéré ou les tâches domestiques selon l’âge et le statut. Moins de 18 ans 19- 25 ans 26- 35 ans 36- 45 ans 46- 55 ans 55 ans et plus Travail rémunéré I C 5.7% 4.9% 26.4% 25% 29.6% 29.6% 31.5% 31.4% 29.6% 35.4% 17.4% 16.6% Tâches domestiques I C 9% 8.5% 60% 58.2% 64.7% 65.1% 63.2% 62.3% 63.1% 60% 64.9% 58.6% Il faut tout de même noter que les femmes, qu’elles soient membres ou non du programme, restent encore principalement rattachées à la sphère domestique comme nous le montre le tableau 5. En comparant le temps que les femmes et les hommes, des deux groupes, consacrent aux activités détaillées dans le tableau 4, on remarque que, pour notre échantillon, la division sexuelle des tâches reste encore une réalité. En effet, par semaine, les hommes consacrent plus de temps au travail rémunéré. Par contre, pour les activités dites domestiques qui englobent le temps consacré à la maison et aux enfants, les hommes, des deux groupes, y consacrent moitié moins de temps, que les femmes. Graphique 12 : Nombre d’heures par semaine consacrées à chaque activité selon le sexe. BURSI Sandra_2007 43 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. Il faut toutefois souligner que les hommes membres du groupe d’intervention y passent plus de temps que les hommes du groupe de contrôle, avec en moyenne une différence de 1H26 pour la maison et 1H56 concernant les enfants. (Graphique 13) Graphique 13: Moyenne du nombre d’heures consacrées par semaine aux activités domestiques (hommes). 44 BURSI Sandra_2007 Partie 2. Autonomie : Le cas des femmes Oportunidades. Chapitre 3 : Discussion. L’objet de ce travail est d’évaluer si les coresponsabilités permettent le renforcement de l’autonomie des femmes membres du programme Oportunidades. Grâce à l’analyse des données des enquêtes ENCELURB et ENVIT 2004, nous avons pu traiter nos trois hypothèses cependant de façon incomplète. Nous avons toutefois obtenu des résultats que nous allons interpréter ici et compléter par certaines évaluations du programme Oportunidades y faisant référence. I/ Coresponsabilités et autonomie au niveau individuel et familial. 1. La variable « connaissance de son corps », indicateur de l’autonomie individuelle, est renforcée. Les résultats obtenus pour l’hypothèse 1 nous permettent de conclure que les coresponsabilités en matière de santé sont liées au niveau élevé de connaissance constaté chez les femmes du groupe d’intervention et donc qu’elles sont le facteur qui renforcent cet aspect de l’autonomie. Les femmes membres montrent d’ailleurs une très grande satisfaction à l’égard des réunions éducatives qui leur ont permis d’améliorer leur santé. 90 Cet aspect a été aussi souligné pour les zones rurales dans les évaluations de 2000 . Plus particulièrement, l’étude intitulée El impacto de Progresa en la condicion de la mujer y en las relaciones al interior del hogar souligne qu’en général les femmes membres disent en 90 ADATO, M. Evaluacion de resultados del programa de educacion, salud y alimentacion. p 88. BURSI Sandra_2007 45 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. savoir plus et notamment dans des domaines nouveaux tels que l’alimentation, les maladies et l’hygiène. Enfin, il faut aussi souligner que le niveau de connaissance de son corps, même si il est plus élevé chez les femmes Oportunidades, est très bon chez les femmes membres du groupe de contrôle. On peut surement attribuer cela aux campagnes de sensibilisation menées à la radio par la Secretaria de Salud, ainsi que par un accès plus simple en milieu urbain aux différentes institutions de santé, notamment celles affiliés à la sécurité sociale et al Seguro Popular Les résultats statistiques révèlent ensuite une faible incidence des coresponsabilités sur la mise en pratique. Les coresponsabilités de santé ne semblent donc pas renforcer 91 cet aspect. Les conclusions de l’évaluation 2004 concernant la santé vont dans ce sens. En effet, elles font état de l’impact positif du programme sur la connaissance et l’utilisation des méthodes de planification familiale en milieu rural alors qu’au niveau urbain, seule la connaissance semble renforcée. On peut surement attribuer cet élément au fait que les connaissances acquises ont besoins de temps pour être mise en pratique, surtout lorsqu’il s’agit de pratiques relatives à des thèmes sensibles tels que la contraception, encore tabou dans la société mexicaine et religieusement connotée. Les foyers urbains étant intégrés en 2002, les enquêtes de 2004 interviennent trop tôt pour pouvoir conclure à un renforcement. Cependant, nous avons mis en évidence grâce à l’analyse statistique la forte incidence d’un niveau élevé de connaissance de son corps sur la mise en pratique. Ainsi, au vu de ce que nous savons, les femmes membres ayant un niveau plus élevé de connaissance, elles sont donc plus aptes à mettre en pratique ce savoir. Ceci pourrait constituer une nouvelle hypothèse de recherche à traiter avec des enquêtes plus récentes. Pour ce qui est de la confiance en soi, élément que nous n’avons pas pu traiter statistiquement, les évaluations n’y font pas référence comme pouvant être la conséquence d’une meilleure connaissance de son corps mais plutôt comme le résultat de la place donnée 92 à la femme dans le programme . En effet, le programme a permis de souligner l’importance des femmes au sein de la famille et leur reconnaît un grade de responsabilité plus élevé que les hommes. Il en résulte pour les femmes membres une meilleure estime de soi et une meilleure confiance en elle. Elles ne sont désormais plus vues uniquement comme des femmes au foyer. En ce qui concerne la première partie de cette hypothèse, nous pouvons conclure que les coresponsabilités de santé liées au programme Oportunidades, permettent le renforcement d’un des indicateurs de l’autonomie individuelle : la connaissance de son corps. Pour ce qui est de la mise en pratique de ce savoir, autre indicateur de cette dimension de l’autonomie, nous ne pouvons pas conclure à un renforcement de la part des coresponsabilités. Il serait nécessaire de conduire de nouveau une analyse avec des enquêtes plus récentes. Enfin, la dernier indicateur est l’estime de soi, la aussi nous ne pouvons pas conclure a un effet positif des coresponsabilités sur cet aspect. En se référant à la littérature d’évaluation du programme, nous avons une première confirmation du renforcement de l’estime de soi néanmoins celui-ci n’est pas attribué aux coresponsabilités. Ceci pour constituer une nouvelle hypothèse de recherche. 91 92 46 HERNANDEZ,B. Evaluacion externa del impacto del Programe Oportunidades 2004: Salud. p 126. ADATO, M. Evaluacion de resultados del programa de educacion, salud y alimentacion. p 84. BURSI Sandra_2007 Partie 2. Autonomie : Le cas des femmes Oportunidades. 2. La variable « participation à la prise de décisions concernant la contraception et la santé », indicateur de l’autonomie familiale, est renforcée. La participation à la prise de décision concernant la santé et la contraception, est, elle aussi, affectée positivement par l’incorporation au programme et par extension par la réalisation de coresponsabilités. En effet, on constate, d’une part, que les femmes membres du programme sont plus nombreuses à obtenir un score très élevé. Cela peut sans doute s’expliquer par une valorisation du savoir des femmes, par elle-même et par les hommes, et par une plus grande légitimité à le faire valoir. Ceci ne constitue évidemment qu’une supposition puisque les éléments à ma disposition ne permettent pas de le démontrer. Il serait intéressant d’avoir recours à des entretiens pour déterminer quelle vision ont les femmes et les hommes de ce savoir et comment cela influe-t-il sur la prise de décision en matière de santé et de contraception. D’autre part, on constate, dans le détail des questions, que les femmes Oportunidades sont plus nombreuses à affirmer prendre ce genre de décision seule. Ceci tend à démontrer que ces femmes ont un plus haut degré d’autonomie puisqu’elles décident seules à propos des sujets qui concernent leur propre vie. Cependant, cet aspect est à nuancer. En effet, les enquêtes utilisées ne nous permettent pas de conclure que décider seule c’est décider sans contrainte ni que décider seule c’est obtenir le respect de la décision prise, notamment par le conjoint. Enfin, pour la participation à la prise de décision concernant les enfants, l’analyse statistique ne nous permet pas de conclure à une différence significative. Cela peut être simplement du à l’absence de lien avec les coresponsabilités ou bien à une période d’évaluation trop courte comme pour le cas de la mise en pratique. Cependant, il est tout de même intéressant d’analyser les réponses fournies aux questions composants cette variable. On remarque que pour les questions concernant la discipline et que faire quand les enfants sont malades, les femmes Oportunidades sont plus nombreuses à répondre qu’elles décident seules. Ceci pourrait s’expliquer, premièrement, par une autorité plus grande des femmes au sein du foyer, héritée de la position centrale qu’elles occupent dans le programme. Et deuxièmement, par la reconnaissance de leur savoir en matière de santé, ce qui en fait des personnes plus aptes à décider à ce sujet. La encore, tout ceci reste à démontrer. Toujours en ce qui concerne notre première hypothèse, nous pouvons conclure au renforcement d’un des indicateurs de l’autonomie familiale : la participation à la prise de décision concernant la contraception et la santé. Quant à la participation à la prise de décisions concernant les enfants, rien ne nous permet de conclure à un renforcement, ni même à un quelconque lien avec le statut d’incorporation du programme. II/ Coresponsabilités et autonomie au niveau communautaire. 1. Les coresponsabilités ne renforcent pas la liberté de mouvement. Concernant l’hypothèse 2, les données à notre disposition ne nous ont permis que de traiter la variable « liberté de mouvement ». Nous pouvons dire à ce sujet que les résultats obtenus ne nous permettent pas de conclure à une différence significative entre les deux groupes ni même à lien entre cette variable et le type de foyer. Ainsi, compte tenu de nos résultats, nous concluons que le statut d’incorporation au programme ne semble pas avoir d’incidence sur la BURSI Sandra_2007 47 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. liberté de mouvement des femmes en zones urbaines. Les coresponsabilités ne renforcent donc pas cet aspect de l’autonomie au niveau familiale. Si l’on cherche du coté des évaluations du programme, la liberté de mouvement n’est mentionnée que dans les évaluations en milieu rural de 1998 à 2000. Il y est dit que 93 les bénéficiaires et les promotoras font état de changement personnel tel qu’une plus grande liberté de mouvement, confiance en elle et ouverture d’esprit. Ces changements 94 sont cependant bien plus fréquents chez les promotoras . Ces évaluations ajoutent aussi que cette nouvelle liberté de mouvement est reconnue et qu’elle ne se fait pas au prix d’une 95 détérioration des relations au sein du foyer . 2. Les coresponsabilités participent au développement de nouvelles formes de solidarité. Concernant la deuxième partie de l’hypothèse 2 que nous n’avons pas pu traiter (développement du dialogue entre les femmes, création de réseau d’entraide et d’association), l’enquête qualitative de 2003 en zones urbaines conclut que les femmes Oportunidades participent plus aux réseaux d’entraide et de coopération, qu’ils aient ou non rapport avec le programme. Les réunions éducatives et les réunions et rendez-vous au dispensaire permettent aux femmes de partager leurs problèmes et de s’entraider. Elles sont aussi l’occasion pour les promotoras de parler du programme, de son fonctionnement 96 et de répondre aux questions des bénéficiaires. Dans certaines localités, des groupes de femmes ont été crées comme moyen d’entraide, notamment dans les cas de violences conjugales ou pour les femmes dont le mari a émigré. Le programme, par les biais des coresponsabilités, semble donc permettre la création de nouvelles formes de solidarité entre ces membres et particulièrement entre les femmes, même si l’enquête souligne que ses relations peuvent être antérieures au programme. L’évaluation de 2003 ajoute aussi que dans certaines localités des groupes de femmes ont été crées dans le but de défendre leurs droits. Cet aspect, conclut l’évaluation, peut être attribué aux réunions éducatives. En effet, certains fonctionnaires du programme ont mis en place des cours sur l’empoderamiento dans lesquels les femmes se voient rappeler leur droit et les moyens à leur disposition pour 97 les défendre. Les résultats de cette évaluation éclairent et confortent notre hypothèse. Cependant, il serait nécessaire de trouver des éléments plus récents à ce sujet. Après avoir parcouru la littérature d’évaluation, il semblerait que cette thématique n’ait plus été traitée après 2003. Nous ne pouvons donc pas apporter de conclusions nouvelles. Toutefois, il est important de souligner qu’à partir de 2002 et suite à certaines situations d’abus de pouvoir de la part de promotoras, les dirigeants du programme ont crées des Comités de Promocion Comunitaria (CPC), composés de différents membres en charge d’un thème particulier tel que l’éducation, la santé, l’alimentation et la surveillance. Les femmes sont particulièrement 93 Les Promotoras sont des femmes élues par les membres d’une localité, réunis en assemblée communautaire. Elles sont volontaires et ne reçoivent aucune rémunération pour ce travail. Leur rôle est d’être le lien entre les familles membres et le personnel du programme notamment celui des services de santé et d’éducation. Elles informent aussi les femmes sur les coresponsabilités et plus généralement sur le fonctionnement du programme. 94 95 96 97 48 RODRIGUEZ DORANTES, C. Las mujeres en el programa Progresa- Oportunidades. P 86. Idem. P86; Idem. P153. ESCOBAR, A. Evaluacion cualitativa del programe de desarrollo humano Oportunidades. p 49. BURSI Sandra_2007 Partie 2. Autonomie : Le cas des femmes Oportunidades. 98 encouragées à y participer. En 2006, on comptait 51 000 CPC dans 2 435 municipalités . Cependant, des évaluations à ce sujet montrent que les CPC ont rencontré un faible succès 99 car ils ont été crée de façon unilatérale et sans consultation des principaux intéressés. En somme, les résultats de l’évaluation de 2003 permettent de conclure que dans certains cas, le programme Oportunidades et les coresponsabilités qui lui sont liées, ont permis le renforcement de l’autonomie communautaire comme définie dans le cadre d’analyse. Les observations de cette évaluation soulignent en effet les prémices d’un processus de prise de conscience individuelle, rendu possible grâce à la dimension collective que semble générer les coresponsabilités. Nous entendons par dimension collective le fait que la réalisation de coresponsabilités ait permis la formation du groupe des femmes Oportunidades. Le sentiment d’appartenance à ce groupe s’est, en effet, fortement développé par le biais des coresponsabilités et s’est traduit dans la pratique par la création de réseau d’entraide. Si on emprunte à la théorie marxiste, on peut dire que les coresponsabilités semblent permettre le passage d’une classe « en soi », n’ayant pas encore conscience d’elle-même, à une classe « pour soi », ayant pris conscience de son rôle social. Ce processus, en fin de compte, se rapproche fortement de la théorie de l’agency, développée par K. Abrams, que nous avons présenté plus tôt. III/ Les coresponsabilités et l’utilisation du temps des femmes membres. 1. Une charge horaire additionnelle à relativiser. Pour notre troisième hypothèse, nous avons comparé le temps consacré, par les femmes du groupe d’intervention et du groupe de contrôle, à trois types d’activités (travail rémunéré, s’occuper de la maison et des enfants). Puis nous avons évalué la charge horaire que représentent les coresponsabilités pour les femmes membre du programme. Nous avons constaté que les femmes Oportunidades passaient plus de temps à s’occuper des enfants (aide au devoir, les accompagner a l’école, les laver, les surveiller). Cette différence de temps entre les deux groupes peut peut-être s’expliquer par la coresponsabilité scolaire. En effet, les mères de familles doivent présenter la certification d’assistance scolaire de leurs enfants si elles veulent recevoir l’aide. Elles sont donc en charge de veiller à ce que les enfants aillent à l’école. Ainsi, dans la pratique, les femmes préfèrent conduire leurs enfants afin de s’assurer que ceux-ci s’y rendent bien. Cette explication corroborerait notre hypothèse selon laquelle les coresponsabilités représentent une charge horaire trop lourde. Cependant, nous ne pouvons pas affirmer que cette différence est due au fait d’amener les enfants à l’école et pas à autre chose. Il serait nécessaire de poser plus précisément cette question aux femmes des deux groupes. Nous avons aussi constaté que les femmes Oportunidades passaient plus de temps à s’occuper de la maison. Cette différence me semble difficilement explicable par les coresponsabilités. On peut tout de même supposer que ceci peut être du à la mise en pratique des conseils d’hygiène dispensés lors de réunions éducatives. Pour ce qui est de coresponsabilités à proprement parler, nous n’avons trouvé que des questions faisant référence aux réunions éducatives. On remarque que le temps 98 99 ORNELAS HALL, Ramiro, et al. Fortalecimiento de los Comités de Promoción Comunitaria. p 3. Idem. p 5. BURSI Sandra_2007 49 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. consacré à ces réunions est plutôt conséquent, on serait donc tenter de dire qu’elles constituent une charge horaire trop importante. Cependant, les femmes interrogées ne se sont rendues en moyenne que quatre fois à ces réunions l’année précédent l’enquête. On peut donc relativiser le poids horaire que représente cet aspect des coresponsabilités. Il est toutefois fort possible que la relative faible assistance des femmes à ces réunions soit due à leur récente intégration (2002) au programme. En effet, on peut supposer qu’un temps d’adaptation, pour les femmes membres mais aussi pour les fonctionnaires d’Oportunidades, est nécessaire à la mise en place définitive de toutes les modalités du programme. 2. Coresponsabilités et division sexuelle des tâches. En qui concerne le temps consacré au travail rémunéré, on remarque là aussi que les femmes Oportunidades y passent plus de temps. Ceci semblerait donc être un premier indice nous permettant de penser que les coresponsabilités ne sont pas une entrave au 100 travail rémunéré. Cependant, les évaluations de 2003 apportent de nombreux éléments contredisant ce premier indice. Elles concluent à une incompatibilité croissante entre travail féminin et masculin et la réalisation des coresponsabilités. Le temps d’attente aux dispensaires, souvent saturés, est important et signifie la perte d’une journée de travail pour les hommes et pour les femmes, ces dernières étant plus fréquemment concernées. En effet, les rendez-vous et réunions auxquelles elles doivent assister, auxquelles s’ajoutent les rendez-vous des enfants, constituent une « perte de temps significative, proportionnelle 101 au nombre d’enfant et inverse à l’âge. » Les plaintes des femmes mais aussi des hommes existent à ce sujet. Il faut tout de même souligner que seule une minorité des femmes présentent les coresponsabilités comme un problème. Certes, leur réalisation nécessite du temps, mais il s’agit plutôt selon la majorité des femmes d’une question d’organisation et surtout d’efforts nécessaires à fournir pour sortir de la pauvreté. Les coresponsabilités de santé, même si elles représentent une charge horaire additionnelle contraignante, sont très valorisées. Les évaluations font, tout de même, mention du cas d’une femme ayant du abandonner son travail car elle ne pouvait pas le concilier avec les coresponsabilités et ses tâches domestiques. Cette femme a préféré privilégier le programme et le revenu qu’il fournit et travaille quelques heures par jour à vendre diverses choses dans la rue. Dans ce cas précis, les coresponsabilités ont eu des conséquences négatives sur le travail rémunéré stable et ont poussé cette femme vers un emploi plus flexible mais plus précaire. Cet exemple reste cependant un exemple isolé mais illustre, pour les auteurs de ces évaluations, 102 parfaitement, la pression qu’imposent les coresponsabilités aux femmes. En somme, les calculs que nous avons effectués ne nous permettent pas de conclure que le programme Oportunidades constitue une entrave au travail rémunéré. Il est, tout de même, important de souligner que la division sexuelle des tâches, qui rattache les femmes à la sphère domestique, reste encore d’actualité. Malheureusement, les coresponsabilités et la place donnée aux femmes dans la réalisation de celles-ci, semblent confirmer voire, pour certaines évaluations, renforcer cette réalité. Cependant, notons tout de même que les hommes membres du groupe d’intervention participent plus aux tâches domestiques que 100 ESCOBAR, A. Evaluacion cualitativa del programa de desarrollo humano Oportunidades et Resultados de la evaluacion externa dee programa de desarrollo humano Oportunidades du CIESAS. 101 102 50 ESCOBAR, A. Evaluacion cualitativa del programa de desarrollo humano Oportunidades. p 49. Resultados de la evaluacion externa del programa de desarrollo humano Oportunidades. p 28. BURSI Sandra_2007 Partie 2. Autonomie : Le cas des femmes Oportunidades. ceux du groupe de contrôle. Ceci constitue le premier indice d’une possible remise en cause de la répartition traditionnelle des rôles sociaux par les coresponsabilités BURSI Sandra_2007 51 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. Conclusion Pour conclure ce travail, nous pouvons dire que les coresponsabilités du programme Oportunidades, loin de renforcer tous les indicateurs de l’autonomie, permettent aux femmes d’acquérir les bases individuelles et collectives nécessaires à son développement. Grâce à la connaissance qu’elles acquièrent ainsi qu’aux liens de solidarité qu’elles tissent, elles se sentent capable de décider par elles mêmes. Cependant, au vu des entretiens réalisés pour les évaluations, il semblerait qu’elles aient acquis un début d’autonomie sans pour autant se l’approprier. En effet, les coresponsabilités sont valorisées car elles permettent d’améliorer la santé et l’avenir de la famille et des enfants, et c’est en ce sens qu’elles sont réalisées et « supportées ». Les femmes ne le font pas pour elles même, cependant elles soulignent tout de même les améliorations que le programme a apportées. Cet aspect est, a mon avis, du à la socialisation que reçoivent ces femmes. Elle place la femme au second plan, derrière enfants et mari et inculque l’idée du sacrifice comme étant la juste attitude à adopter par la femme. Pour certains auteurs, il semblerait que les 103 concepteurs du programme aient bien compris cela. Pour Shahra Razavi , le programme Oportunidades s’intéressent aux femmes en leur qualité de mères. Il renforce donc la répartition traditionnelle des rôles entre les sexes. En quelque sorte le programme utilise les femmes comme un instrument au service de son objectif : le bien être des enfants. Pour S. Razavi, le programme passe à coté de l’action transformatrice qui pourrait être la sienne car il ne répond pas aux véritables besoins des femmes tels que la formation professionnelle, les services de garde d’enfants bon marché et une plus grande sécurité financière. De cette façon, Oportunidades réaffirme la maternité comme premier rôle social de la femme et rend encore plus difficile l’accès des femmes a un travail rémunéré stable et donc à l’autonomie. En somme pour cette auteure, le programme Oportunidades se rapproche fortement de l’approche bien être mise ne place par les programmes de développement des années 50. Les objectifs de participation et d’autonomie sont purement illusoires. Nous nuancerons cette idée. Il est vrai que le programme s’est plus basé sur les mères de famille que sur les femmes et compte évidemment sur ce rôle pour atteindre ces objectifs en matière de santé, d’éducation et d’alimentation. Le programme instrumentalise, en effet, les rôles féminins et ne profite pas de son influence pour encourager la participation masculine aux tâches dits féminines. Par contre, donner directement l’aide financière aux femmes a permis de relativiser le rôle de gagne pain de l’homme et a développé la participation des femmes à la prise de décision en matière économique. Cependant, faire des femmes les seules responsables des coresponsabilités va à l’encontre même de l’objectif de coresponsabilité. Il est nécessaire d’y inclure les hommes pour que ceux-ci se responsabilisent. Ceci permettrait de soulager les femmes de leur charge supplémentaire de travail et représenterait une première occasion de sortir hommes et femmes de leurs rôles sociaux. On peut en effet supposer que si les hommes s’impliquaient plus, les femmes pourraient accéder plus facilement au marché du travail, du moins elles en auraient plus le temps. Il faudrait pour cela, comme le souligne S. Razavi, que le programme permette aux femmes d’acquérir une formation professionnelle et avant tout, 103 52 RAZAVI, Shahra. Egalité des sexes: en quête de justice dans un monde d’inégalité. P 138-139. BURSI Sandra_2007 Conclusion dans bien des cas, un accès à l’éducation basique. Lire, écrire, et parler espagnol sont en effet essentiels à l’autonomie. Cependant, un autre élément est à prendre en compte. Etant donné les conditions d’extrême pauvreté dans lesquelles vivent ces familles, notamment en zones rurales, les hommes partent pour la plupart en ville ou au Etats-Unis et laissent seules les femmes. Le partage des tâches semble donc difficile à mettre en œuvre. On comprend bien alors, Ô combien est important le développement de réseaux de solidarité entre femmes afin d’organiser une répartition entre les tâches. Les concepteurs du programme ont senti l’importance de la dimension collective en créant notamment les promotoras et le Comites de Promocion Comunitaria. Cependant, ceux-ci ont été imaginés loin des réalités et des besoins des membres d’Oportunidades. Il est donc urgent de renforcer la consultation des populations et la coopération entre les membres et les équipes du programme afin que cette dimension collective, si nécessaire aux femmes et à leur autonomie, voie le jour. BURSI Sandra_2007 53 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. Bibliographie « Genre et développement ». BISILLIAT, Jeanne, VERSCHUUR, Christine. Le genre : un outil nécessaire, Paris : L’Harmattan, 2000. 263 p. Cahiers genre et développement n° 1. DAGENAIS, H, PICHE, D. 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Ce courant insiste, donc, tout particulièrement sur le rôle productif des femmes plutôt que sur leur rôle reproductif et de bien être. En effet, les différences de statut et de pouvoir entre hommes et femmes s’expliquent en termes d’accès aux ressources économiques. Autrement dit, la subordination des femmes est liée à leur exclusion du marché, exclusion résultant de la 105 division sexuelle des tâches. L’approche WID se base sur le postulat que les rapports de genre changeront d’euxmêmes à mesure que les femmes deviendront des partenaires économiques à part entière 106 dans le développement . Le travail et l’intégration dans l’économie sont donc considérés comme le meilleur moyen pour les femmes du tiers monde d’améliorer leur statut. En se concentrant sur cet aspect, le courant WID a pu réactualiser l’image des femmes (et de leurs rôles) alors présente dans les projets de développement. « Grâce à la perspective WID, on en vient à reconnaître que l’expérience des femmes en ce qui concerne le développement et le changement social est différente de celle des hommes et il devint légitime que la recherche porte 107 spécifiquement sur l’expérience et les perceptions des femmes. » 104 Conditions qui doivent être créée pour que les femmes aient les mêmes options que les hommes et les mêmes chances de vies. 105 106 107 58 RAZAVI, S, MILLER, C. From WID to GAD: conceptual shifts in the Women and Development discourse. p.4. DAGENAIS, H, PICHE, D. Femmes, féminisme et développement. P 82. Ibid. P 80. BURSI Sandra_2007 Annexes Les théoriciens WID se sont d’ailleurs engagés en faveur de la création de « statistiques féminines » permettant l’étude de la position des femmes dans différents secteurs, indépendamment de celle des hommes. En effet, à cette époque les femmes n’étaient pas l’objectif premier des projets de développement, les statistiques concernant leur situation en matière d’éducation, d’emploi, de santé n’existaient donc pas. Les membres du courant WID se sont battus pour que des bases de données soient créées à ce sujet, permettant ainsi aux femmes d’accéder à une certaine reconnaissance. Ces statistiques furent aussi un outil précieux pour sensibiliser les technocrates aux besoins des femmes. Dans la pratique, l’approche WID s’est traduite sur le terrain par de projets permettant aux femmes d’accéder à l’éducation, à la propriété, au crédit et à un meilleur emploi. L’intégration des femmes au développement devint un objectif de plus en plus important pour les gouvernements et les agences de développement. Cette approche a tout particulièrement été soutenue et institutionnalisée par les Nations Unies et par l’USAID. Cependant, en 1975, lors de la conférence de Mexico apparaissent les premières 108 critiques . On reproche notamment au courant WID le fait de ne pas questionner la théorie de la modernisation et le modèle de développement qui en découle. Les théoriciens WID acceptent le développement tel qu’il est et insistent sur l’intégration des femmes à celui-ci. Le courant WID essuie aussi d’autres critiques car il n’envisage que le rôle productif de la femme et ignore l’importance du travail domestique et la charge de travail qu’il génère. Enfin, il considère les femmes comme un groupe homogène et ne tient pas compte de l’impact des inégalités liées à la classe ou à la race sur la situation des femmes. Pour Eva Rathgeber : « […] l’approche WID était fondée sur l’acceptation des structures sociales existantes. Au lieu d’examiner pourquoi les femmes avaient moins bénéficié des stratégies de développement de la décennie précédente, l’approche WID cherchait seulement à savoir comment les femmes pouvaient être intégrées aux initiatives en cours. Cette approche, qui évitait la confrontation, évitait aussi de remettre en question les sources et la nature de la subordination et de l’oppression des femmes, mettant plutôt l’accent sur la participation égales des 109 deux sexes à l’éducation, à l’emploi et aux sphères de la société. » A partir de 1975, la remise en cause du courant WID s’est traduite sur le terrain par une réorganisation des ONG locales en plateformes nationales, et ce, afin de gagner en indépendance vis-à-vis des politiques inspirées de ce courant. Leur objectif est de renforcer la position des femmes en soutenant leurs intérêts, intérêts pouvant conduire à une remise en cause des mécanismes de domination de la femme. L’approche « Women And Development » (WAD). L’approche « Women and development » est née au milieu des années soixante-dix en réaction aux insuffisances de la théorie de la modernisation et du courant WID. WAD 110 est une approche féministe-marxiste fondée sur la théorie de la dépendance . Pour E. 108 109 110 THIBAULT,C. Op Cit. p 18 . DAGENAIS, H. Op Cit. p 80. La théorie de la dépendance se construit en réaction à la théorie de modernisation. Elle soutient que le sous développement des pays de la Périphérie est du au développement du Centre. La division internationale du travail mis en place maintient les pays sous développés dans un échange inégal. Les efforts d’industrialisation des pays du Tiers Monde augmentent alors leur dépendance car leur économie est extravertie. http://www.er.uqam.ca/nobel/politis/IMG/pdf/POL4131-Cours2FEV06.pdf BURSI Sandra_2007 59 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. 111 Rathgeber , cette approche est fondée sur le postulat que les femmes ont toujours fait partie du développement et qu’elles n’y sont pas soudainement apparues dans les années soixante dix. Les femmes sont reconnues comme ayant un rôle économique très important dans leur société et leur travail, à l’extérieur comme à l’intérieur du foyer, est considéré comme nécessaire à la survie de ces sociétés. Selon cette approche, la subordination des femmes est due aux structures internationales et aux inégalités entre les classes. L’oppression ne pourra prendre fin qu’avec la remise en cause du capitalisme. La position des femmes s’améliorera avec l’apparition de structures internationales plus équitables. L’insuffisance principale de cette approche est de ne pas prendre en compte les relations entre le patriarcat et la subordination des femmes. L’homme, tout comme la femme, est considéré comme victime des structures d’oppression résultant des inégalités de classe et de capital au niveau international. L’approche WAD rencontre donc des difficultés à analyser seuls les problèmes des femmes. De plus, comme la perspective WID, elle tend à considérer les femmes comme un tout sans prendre en compte les divisions de race ou d’ethnie. L’approche « Gender and Development » (GAD) L’approche « Gender and development » apparaît dans les années 80 suite aux nombreuses critiques faites par certaines féministes du Nord et du sud aux approches WID et WAD. 112 L’approche GAD s’inscrit dans la perspective du féminisme socialiste qui considère la construction sociale de la production et de la reproduction comme le fondement de l’oppression des femmes et porte une attention particulière aux rapports sociaux de genre ; rapports qui se définissent et se reproduisent par des normes et de valeurs qui attribuent aux femmes et aux hommes des rôles et de devoirs propres. Le féminisme socialiste cherche à comprendre pourquoi les femmes ont toujours été dans une position de subordination et questionne par la même la validité des rôles qui lui sont assignés. L’approche GAD innove donc par rapport aux approches précédentes car elle s’inscrit dans une perspective holistique en se proposant d’étudier « l’ensemble de l’organisation sociale et de la vie économique et politique afin de comprendre la formation des aspects 113 particuliers d’une société. » En effet, elle ne porte pas uniquement son attention sur les femmes mais plutôt sur la construction sociale des relations de genre et sur l’attribution des rôles, des responsabilités et des attentes spécifiques aux hommes et aux femmes qui en découlent. Les relations de genre, dans leurs interactions avec la classe, la race ou la culture sont vues comme le déterminant clé de la position de la femme dans la société. Elles sont un facteur de division du travail et d’allocation des ressources. Cette approche innove aussi car elle « lie les rapports de production et de reproduction 114 et tient compte de tous les aspects de la vie d’une femme. » L’oppression de la femme est ici expliquée par la division du travail qui conduit à la subordination de la sphère reproductive à la sphère productive. L’inégalité entre les hommes et les femmes s’explique, entre autre, par la non reconnaissance du travail reproductif des femmes, le travail salarié masculin étant plus valorisé. 111 DAGENAIS, H. Op Cit. p 82. 112 113 114 60 Idem. p 84. Ibidem.. BISILLIAT, J. Op. Cit.p.34. BURSI Sandra_2007 Annexes L’approche GAD vise la reconnaissance du travail reproductif et productif de la femme ainsi que la transformation des rapports de genre dans un sens plus égalitaire en favorisant l’empowerment des hommes et des femmes. Ainsi, l’approche GAD souligne tout particulièrement le rôle d’acteur des femmes. La perspective GAD reste pour l’instant au stade de la recherche, les projets relevant de cette approche sont en effet peu nombreux et difficiles à mettre en pratique. Annexes n°3 : Tests statistiques. Test ANOVA ∙ Variable type de foyer et connaissance de son corps ANOVA Total ∙ Concuerpo Sum df Mean FSig. Between 73.604 173.604 94.245 .000 Within 12240.459 15673 .781 ofSquare Groups Groups Squares 12314.064 15674 Variables type de foyer et mise en pratique ANOVA Total ∙ Util Sum df Mean FSig. Between 6.163 23.082 4.314 .013 Within 13356.832 18696 .714 ofSquare Groups Groups Squares 13362.995 18698 Variables type de foyer et prise de décision concernant la contraception et la santé. ANOVA Total ∙ prise Sum df Mean FSig. Between 47.125 147.125 8.093 .004 Within 17190.371 2952 5.823 de ofSquare Groups Groups decision Squares sante contraception 17237.496 2953 Variables type de foyer et Prise de decision concernant les enfants. ANOVA Total prise Sum df Mean FSig. Between 5.101 15.101 1.739 .187 Within 8658.749 2952 2.933 de ofSquare Groups Groups decision Squares enfants 8663.850 2953 BURSI Sandra_2007 61 LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET GENRE AU MEXIQUE : LES FEMMES DU PROGRAMME OPORTUNIDADES EN ROUTE VERS L’AUTONOMIE. Test du khi². ∙ Variables type de foyer et connaissance de son corps Chi-Square Tests Value df Asymp. Pearson 4 .000 a Likelihood 96.838 4 .000 97.460 Sig. ChiRatio (2- Square sided) N of Valid Cases 15675 a. 0 cells (.0%) have expected count less than 5. The minimum expected count is 28.37. ∙ Variables type de foyer et mise en pratique Chi-Square Tests Value df Asymp. Pearson 6 .000 a Likelihood 29.351 6 .000 29.014 Sig. ChiRatio (2- Square sided) N of Valid Cases 18699 a. 0 cells (.0%) have expected count less than 5. The minimum expected count is 49.74. ∙ Variables type de foyer et prise de décision santé et contraception. Chi-Square Tests Value df Asymp. Pearson 12 .000 a Likelihood 44.097 12 .000 43.558 Sig. ChiRatio (2- Square sided) N of Valid Cases 2954 a. 2 cells (7.7%) have expected count less than 5. The minimum expected count is 2.94. ∙ Variable type de foyer et prise de décision enfants Chi-Square Tests Value df Asymp. Pearson 8 .089 a Likelihood 14.150 8 .078 13.719 Sig. ChiRatio (2- Square sided) N of Valid Cases 2954 a. 0 cells (.0%) have expected count less than 5. The minimum expected count is 8.83. 62 BURSI Sandra_2007 Résumé Résumé Le programme Oportunidades, créé au Mexique en 2002, entend lutter contre la transmission intergénérationnelle de la pauvreté en agissant sur trois aspects : l’alimentation, la santé et l’éducation. Pour ce faire, Oportunidades base son action sur les femmes et plus particulièrement sur les mères car celles ci sont, plus que les hommes, concernées par le bien être de leur famille. Ainsi, le programme verse directement l’aide monétaire aux femmes car elle sera mieux gérée. Par cette modalité, le programme revendique sa perspective de genre et établit, d’ailleurs, certains objectifs concernant cette thématique. ∙ ∙ ∙ Mots clés : Lutte contre la pauvreté, genre, Programme Oportunidades, autonomie, femmes, Mexique, coresponsabilités. BURSI Sandra_2007 63