Rapport de stage, Stéphanie Darveau Projet

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Rapport de stage, Stéphanie Darveau Projet
Québec sans frontières-12
«Cette année j'ai compris qu'il faut être
réaliste et surtout, prendre de petites
bouchées face à l'injustice, parce qu'on finit
faible rapidement. »
Rapport de stage, Stéphanie Darveau
Projet: Alternativas y Oportunidades
7 mars - 20 mai 2007
Tegucigalpa, Honduras
A. Appréciation du projet et de l’organisme partenaire, puis de mon groupe!
Alternativas y Oportunidades, l’organisme partenaire, regroupe des éducateurs
sssssss… tout simplement géniaux!; la formation, les connaissances et les compétences
que certains possèdent auront par moment causé de sérieuses réflexions et
incompréhensions du côté de la bande québécoise, mais sans aucun doute, à chaque
instant parmi ces mères de mercado et leurs nombreux enfants, leur cœur est bien
sincère, tous animés par le même objectif de sensibilisation de la population des
mercados sur divers thèmes: santé, drogues, alcool, maladies transmises sexuellement,
etc.
Le projet s’est, à mon avis, très bien déroulé. J´ai crains certaines tensions au départ
entre les stagiaires qu’en au choix des postes à combler selon les catégories d’âge —
enfants, adolescents et mères— puis selon le lieu de stage, soit en mercado ou en
communauté, mais finalement tout s’est bien passé, les préférences de chacun ayant été
respectées. Puis à mon grand bonheur, tous se sont bien entendu avec les honduriens
avec lesquels ils devaient travailler, même que certains ont créé des relations à
l’extérieur du boulot, pour un café, une discussion ou un autre moment de partage.
Pour ma part, je sens que le travail que j’ai fait fut plus un travail de facilitatrice, de
communication entre la directrice et le groupe. J’ai senti dès mon arrivée la grande
importance de la hiérarchie, la directrice désirant communiquer les informations à moi
et que moi je les lui communique à elles. C’est une des choses qui m’a surpris dans
l’organisme, cette rigidité qui par moment ne fait que compliquer les choses... et qui
frustre, sans aucun doute, certains employés de la boîte.
Dans un autre ordre d'idées j’adorais prendre la parole devant le groupe de stagiaires et
les employés lors des réunions du vendredi matin parce que je me sentais en confiance,
mon espagnol ne me causant aucune barrière, et le fait de savoir ce que je faisais m’a
permis de diriger certaine partie du projet comme je voulais et croyais le meilleur pour
concilier les besoins de l'organisme et mon désir de faire connaître le plus possible la
pays d'accueil aux stagiaires.
De mon côté, mon plus grand succès au travail fut sans aucun doute cette journée
consacrée à un atelier de formation de jeunes leaders, atelier dans lequel j’ai assumé une
présentation d’environ une heure trente, présentation qui me donnait la trouille avant de
commencer, puisque je ne croyais pas être en mesure de présenter une «conférence» sur
ce thème, l’objectif étant de présenter aux jeunes une «conférence» à laquelle j’avais
moi-même assisté dans le cadre d’une journée de formation de mères leaders, alors
qu’un spécialiste du thème avait dirigé la réunion cette journée-là. Mais en fait je n’ai
aucun mérite d’avoir si bien rendu le contenu, le spécialiste invité à la journée des
mères était si captivant que j’ai assimilé ses paroles, ses gestes, ses exemples sans aucun
effort. Ainsi, j’ai pu transmettre aux jeunes un équivalant de la présentation. Mais je
dois l’avouer que j’ai senti une excellente sensation devant ces quarante jeunes à
l’écoute. Je sens que ce moment a été pour moi le meilleur défi individuel de mon
expérience. Sinon, j’ai adoré participer à un atelier d’artisanat, supportée par un ami
artisan de Tegucigalpa qui a dirigé l’atelier de façon exceptionnelle.
Mer et monde et Alternativas y Oportunidades m'auront laissé beaucoup de liberté face
à la planification du séjour et je crois que ce fut un élément important pour le
déroulement du stage. Du moins, je sais que les stagiaires ont apprécié le fait que j'avais
vécu avant au Honduras, ça a permis à tout le monde de connaître des gens qu’ils
n’auraient pas connus autrement et de s’intégrer plus rapidement. De plus, je crois avoir
fait profiter de mes anciens contacts pour ajouter des activités ou visites à l’extérieur du
projet, comme à l’université, un projet de cirque avec des jeunes d’une colonie
défavorisée, etc.
Photo d’un atelier d’artisanat dans un des mercados de Tegucigalpa.
Appréciation de mon groupe!!!
Je le savais avant de quitter, puis les événements du stage l'ont confirmé: cette année,
j'ai eu droit à un groupe génial. Génial de par sa diversité, sa richesse de compétences et
d'expériences, sa simplicité et son ouverture, bref, Gracias a Dios pour m'avoir permis
de vivre ces journées avec une aussi belle bande, et surtout, de m'avoir laissé beaucoup
de traces d'eux dans ma tête une fois qu'ils avaient quitté le pays. Finalement, ce que je
retiens, c'est que ces gens-là m'ont fait réfléchir, m'ont permis de me recentrer sur moimême, même si ça a pris le stage pour y parvenir, la mi-stage ayant été déjà très
significative pour moi à ce sujet, mais ça a été un parcours qui m'a permis de me
rapprocher d'eux, et donc de me rapprocher de moi. Repartir avec un groupe de
Québécois au Honduras m'a permis d'apprécier encore davantage cette chance
d'apprendre à apprivoiser la différence, qu'elle soit culturelle ou non.
Côté boulot, les stagiaires ont été extrêmement vaillants, impliqués et débrouillards.
Tous les stagiaires ont fait de belles réalisations auprès de l'organisme, mais j’ai
particulièrement été impressionnée par le travail des stagiaires du Club de Jovenes
(Club des jeunes). Notre groupe est arrivé en période où Alternativas y Oportunidades
subissait une diminution de ses intervenants, ainsi certains stagiaires ont assumé la tâche
complète d'un intervenant, définissant entièrement les contenus des rencontres
hebdomadaires avec les jeunes, le matériel d'appui et s'organisant avec les dynamiques
de groupe également.
Dans ma «gang» Mer et monde, je sais que je me suis fait des copains qui prendront
sûrement tous des voies bien différentes, mais qui resteront bien présents dans mon
cheminement personnel et interculturel. Puis il y en aura toujours trois ou quatre que je
chercherai à revoir certainement. «C'est qui Soufia?»
Mercado Las Américas, 2007
« Soufia et moi qui présentons un atelier aux jeunes. »
B. Échange interculturel
Une quatrième présence en terre hondurienne en moins de deux ans; la moitié de mon
temps de vie de ces deux ans s´est écoulé dans un tout autre monde que celui qui m’a
formée. Pour revenir autant au Honduras en si peu de temps, l’évidence est que la vie
est drôlement appréciable ici, sans le trop-plein de la pression de performance que je
ressens dans le système qui m’a formée ― ou déformée, n’est-ce pas? ― Quoi dire de
plus? Qu’ici ça sent plus l’humain que chez nous? Je ne sais trop, mais mon «confort»
des voyages précédents parmi ces réalités honduriennes intenses a été troublé cette
année; alors que j’étais tout de même consciente des problèmes sociaux honduriens,
celui des jeunes de la rue a changé mon séjour cette fois; un matin nuageux, alors qu’un
de ces jeunes me passe dans la face quatre fois dans la même demi-heure, je décide de
tenter d’entrer dans son univers… Une relation qui m’aura appris beaucoup, qui m’aura
fait rire (fallait voir Alejandro danser la Punta dans la rue – danse typique des garifunas,
indigènes honduriens-) comme pleurer, qui m’a presque rendue folle par instant, perdant
la réalité de vue, désirant que ce petit bonhomme ait autre chose devant lui, que ce
flacon de colle…
Pour moi cette année, ce qui se distingue de mes échanges interculturels précédents,
c’est d’avoir côtoyé de près cette injustice sociale face à laquelle le gouvernement est
insensible.
***
**Le Resistol est de la colle qu′inhalent les jeunes et moins jeunes de la rue. Elle n′est pas considérée
comme une drogue, ne cause aucune dépendance, mais coupe la faim et alimente tout un autre
monde…
Premier mai…
Des yeux verts, de courts cheveux frisés; les pieds nus, des dizaines de cicatrices plus
ou moins vives lui ornent le visage, le coin supérieur du sourcil gauche plutôt
protubérant, signe d’une blessure assez récente; ce chandail vert, troué, bruni et témoin
de toutes ces aventures quotidiennes, tissu qu’il porte depuis des jours, des semaines,
des mois?; ce short en jeans, aussi usé par le temps, par la multitude de trottoirs qui ont
passé sous ses petites fesses d’enfant de douze ans qui ne paraît qu’à peine de huit.
Alejandro qu’il s’appelle.
Ce soir, ou plutôt cette nuit, son visage ne disparaît pas une seconde de ma tête; son
sourire comme son regard ne s’estompent pas. Sa beauté ne disparaît pas, sa détresse
non plus, alors que mon sentiment d’impuissance va en engraissant, comme une truie.
Alejandro.
Puis le sommeil n’arrive pas à me gagner, comme si le fait de rester éveillée, priant la
lune d’éclairer une autre de ses nuits dans la sombre et douloureuse Tegucigalpa, allait
le protéger, ce petit qui affronte la bête de la capitale hondurienne chaque nuit, ne
traînant que quelques lempiras dans sa poche de droite, du moins aujourd’hui, puis une
bouteille de Resistol dans la manche.
En ce premier du mois de mai —jour férié au Honduras qui célèbre la fête du Travail,
mais surtout qui rappelle la grande grève bananière de 1954 qui mettait en scène dans
les rues plus de 60 miles ouvriers qui exigeaient de meilleures conditions de vie,
mouvement qui a divisé l’histoire syndicale en deux périodes, soit avant et après la
grève— environ 30 miles personnes, la majorité des ouvriers, ont marché dans les rues
pour appuyer les nombreuses luttes toujours actuelles sur le territoire hondurien. Puis
moi, marchant vers nulle part à travers le parc central sous les nuages persistants qui
créent un climat incertain, je l’aperçois assis aux feux de circulation, entre le Roi du
Burger puis le trafic des taxis et autobus de la ville. Puis toute l’heure qui suit, il
apparaît à chaque tournant, à chaque fois que je lève les yeux, toutes directions
confondues.
Qu’est-ce qu’on change individuellement dans la vie d’un enfant de la rue? On lui tend
une pupusa (tortillas avec fromage et salade de choux) pour apaiser la faim, on lui met
un sac d’eau potable à la main, puis après? Il est toujours sur le même coin de trottoir.
Je me pousse après lui avoir tendue sa bouffe, parce qu’il n’y a rien à voir, sinon lui et
ses potes, en train d’être trois sur deux minces bouchées. Les nuages pèsent encore, puis
moi je viens de me mettre le cœur dans le moulin…
Un moment plus tard, tournant en rond dans ces rues désertes pour un jour de semaine,
je le cherche, scrutant maintenant chaque coin de rue, des fils sous la main. L’objectif:
partager du temps. Pas tendre un plat, ni un lempira. Juste être avec.
Devant le ciné du coin, assis dans les marches d’escalier, se trouve le gamin. À
l’extrémité je me dirige, m’assois, puis je commence à tresser. Malgré que je ne
réussisse pas à le motiver à se mettre à la tâche, à l’apprentissage, il me porte attention...
***
Puis la journée a défilé sans que plus rien n’existe autour pour moi sauf lui.
Faudra que mes facultés de mémoire soient désactivées pour que j’oublie cet Alejandro
au ciné qui perdait des bouts de films pour faire de courtes siestes, bien en sécurié., ce
ti-cul qui portait davantage attention au film et à mes paroles plus l’effet de la colle se
dissipait au fur et à mesure que le héros éliminait les méchants conquérants…
Je vais aussi me rappeler que la société hondurienne ne fait rien pour ces jeunes de la
rue, et plus même, s’ajoute à l’inaction une peur et un malaise face à leur présence.
Fouillée à l’entrée du ciné, on me demande de lui enlever ses bouteilles; se demandant
si le film vaut le coût de perdre son butin, je persuade l’employé de mettre sa substance
merdique en sécurité. Possession du kid bien gardée, on monte les marches d’escalier;
oublier la rue, un trop mince instant. Lorsque les lumières de la salle s’allument, il
s’élance vers la sortie, reprend ses flacons, puis me saluant, s’éloigne dans la sombre et
douloureuse Tegucigalpa.
*****
Aujourd’hui, alors que la souffrance du monde me pèse comme jamais (serait-ce que
lune de miel du sud-est vraiment finie puis que la réalité me rattrape à chaque instant?),
j’ai envie de rester en terre hondurienne pour travailler dans la rue, quelques organismes
y oeuvrant, et oublier les beautés du Costa Rica et du Mexique qui, selon mes plans,
m’attendraient cet été. «Si tu veux faire rire Dieu, parle-lui de tes plans.» (Amores
perros)
Alejandro est plus beau que n’importe quelle plage d’Amérique…
***
Texte écrit dans la nuit du premier mai en écoutant sans arrêt une chanson de Ben
Harper, bien du moment, qui me crée cette boule dans la gorge chaque fois que je
l’entends…
« The drugs don’t work
They just make you worse
But I know I’ll see your face again »
Ben Harper, The drugs don’t work, Live from Mars, 2001
El basurero municipal, o sea el otro mundo...
Le dépotoir municipal a été pour moi une visite troublante au coeur de l'injustice criante
du Honduras. Alors qu'humains, vautours, boeufs et volailles se côtoient
quotidiennement à côté de ce que nous jetons, autant nourriture que matériel, je me
demande bien qu'est-ce que je serais aujourd'hui si je n'avais jamais eu la chance de
connaître ces réalités humaines qui m'ont amené à vivre beaucoup plus simplement et
naturellement depuis trois ans. Mais en même temps que moi j'y gagne énormément à
vivre ces moments de prise de conscience, ces gens-là demeurent au même endroit et la
situation reste la même... La sensibilisation est lente dans un monde au capitalisme à
toute velocidad...
Par contre, cette année j'ai compris qu'il faut être réaliste et surtout, prendre de petites
bouchées face à l'injustice, parce qu'on finit faible rapidement. Cette année, j'ai acquis la
compréhension du processus à long terme, ce processus qui est soutenu par plusieurs
intervenants de différents organismes. Puis en attendant, je montre des photos, je
partage des émotions à certaines personnes d'ici, et je compte sur la sensibilisation et le
temps pour améliorer la consommation nord-américaine.
C. Vie communautaire et Mer et monde…
Ah! Mer et Monde, ce paradis au-dessus de la ville de Tegucigalpa, endroit qui devait
me permettre de prendre du recul, de me distancier de mes stages précédents, et surtout,
de certaines de mes fréquentations précédentes (non mauvaises, sinon comment dire,
spéciales!), de partager davantage avec les stagiaires, de faire du pain puis des
granolas… L’évaluation de mon expérience à ce sujet est simple: je n’ai pas vécu ce
recul comme prévu et je ne me suis pas tant éloignée de mes vieux copains. En toute
honnêteté, la maison Mer et Monde n'est pas arrivée au bon temps dans ma vie pour que
j’y passe le temps que j’avais prévu y passer. Ou alors, oui, elle est arrviée au bon
temps, avec plein d'autres événements, pour enclencher cette présence à l'autre, comme
dirait mon bon ami Tonio, c'est la seule chose qui puisse nous rendre heureux, être
disponible à l'autre. J'aurai compris tout ça le stage tirait à sa fin, même que j'étais
rendue plus près de l'Amérique du Sud que du Honduras. Mais, peu importe où et quand
ça s'est passé, je crois que j'ai mis le doigt dessus, sur cette insatisfaction chronique qui
demeure, même si elle disparaît par moment. Être présent pour l'autre, c'est la seule
chose sur quoi j'ai la totale responsabilité... et je crois que cette façon d'être serait aussi
l'unique responsable de mon bien-être, où que je sois.
Sans aucun doute, j’ai aimé ce «Honduras Story» qui m’a permis de vivre 24 heures sur
24 avec des gens géniaux, bien différents pour la plupart, mais un grand respect pour
chacun de la part de tous.
La mi-stage m’a permis de faire le point, de me rapprocher de la bande, bref d’accepter
cette vie très québécoise à travers mon manque d’immersion hondurienne. J’ai par la
suite passé un peu plus de temps à la maison et je sais que les moments où j’y étais, je
les appréciais davantage.
Je n’aurai pas su m’approcher beaucoup des mères adolescentes qui vivent sur le terrain
Mer et monde. J’ai préféré errer dans la rue, avec ceux qui y vivent, ces jeunes de dix
douze ans avec qui je suis plus, voire très à l’aise. J’aurais assurément dû affronter ma
crainte des bébés, mais le temps m'a filé entre les mains… aujourd’hui je m’en voudrais
si j’avais perdu mon temps à ne rien faire, mais je sais que j’ai côtoyé de bonnes
personnes, créé d’autres relations, alors «todo bien».
D. Répercussions!!!
Qu’est-ce qui suit? Je croyais ne pas revenir au Honduras, puis j’y suis encore revenue.
Puis la réalité, c’est que je crois que j’y reviendrai encore... Je m’y sens bien, j’ai un
bon réseau de connaissances, puis il y a tant à faire ici… Il y a plein de projets dans ma
tête, par exemple Alternativas y Oportunidades veut enseigner l’artisanat à cinq femmes
de mercado au courant de l’année prochaine… ça me plaît beaucoup cette idée.
Sinon, aujourd'hui, alors que je suis dans la grande Montréal, les répercussions en
particulier de ce dernier stage sont évidentes: je me sens calme, il n'y a pas d'autres
mots. La Stéphanie de l'an passé s'est dissipée, laissant derrière elle une course folle
pour je ne sais trop quoi. Puis en chemin, il y a eu une prise de conscience, ou un
lâcher-prise plutôt intéressant; ça se résume par l'expression espagnole, qui s'est
tranquillement intégrée à mon vocabulaire sans que je m'en rende très compte: «Si Dios
quiere». Sans toucher en profondeur la dimension religieuse, j'ai compris que le temps
fait bien les choses, que rien n'arrive pour rien, puis que l'empressement tue. En fait, j'ai
de la difficulté à l'expliquer, mais ce qui est certain, c'est le calme que me procure cette
confiance que j'ai face au chemin qui se dessine en face de moi... Et si mon chemin se
dessine encore un peu en terre hondurienne, ainsi sera...
Pulhapanzak, Honduras, avril 2007