La e-logistique alimentaire en mutation
Transcription
La e-logistique alimentaire en mutation
SILOGIN 2010 IUT de Saint-Nazaire – Département GLT 4 novembre 2010 La e-logistique alimentaire en mutation Gilles MAROUSEAU Maître de Conférences en Sciences de Gestion Equipe GAINS/ARGUMANS, Ecole Nationale Supérieure d’Ingénieurs du Mans, Université du Maine [email protected] Résumé L’analyse de la logistique des sites de commerce électronique de produits alimentaires marque une opposition entre le modèle originel (avec entrepôts dédiés et livraison à domicile) et les solutions récemment apparues (préparation en magasin et possibilité de points de retrait en magasin ou drive-in). Dans une démarche qualitative et exploratoire, notre analyse montre que les nouveaux arrivants sur le marché de l’épicerie électronique ont intégré les demandes des clients passant d’une conception technique de leur site à une conception orientée client. En effet, au lieu de se focaliser sur les seules contraintes techniques et, involontairement, restreindre l’intérêt de ce nouveau canal de vente, ils recherchent une meilleure relation au client via une logistique de proximité plus économique en organisant leur offre numérique comme un service supplémentaire apporté au client. Mots-clés : Logistique, entrepôt dédié, préparation en magasin, point de retrait, cybermarché. -1- Introduction La particularité du commerce sur Internet à destination des consommateurs (Business-toConsumers ou B-to-C) réside dans la conjugaison d’un nouveau canal de vente et d’un nouveau canal de distribution (car, historiquement, le client ne se déplaçait plus jusqu’au magasin grâce à une livraison à domicile). Cette double originalité rend nécessaire l’intégration de la logistique dans l’élaboration même de la proposition de vente puisqu’il faut “ajouter une logistique aval à une logistique amont” (Isaac et Volle, 2008). Le but premier de cette recherche est l’examen des solutions logistiques mises en place depuis l’apparition de ces sites de vente électronique en 2000. Cette logistique est souvent qualifiée de “e-logistique”, terme intéressant pour démontrer la rupture avec la logistique traditionnelle mais terme ambigu car cette fonction n’a rien de virtuelle, l’adjonction du “e-” ne recouvrant pas de traitements électroniques mais bien des opérations physiques. Le but second est l’analyse des évolutions du modèle logistique originel et d’en valider la pertinence en examinant la courte histoire de ces sites. En effet, l’examen des solutions logistiques mises en place depuis l’apparition de ces sites en 2000 et les développements récents (2008-2010) montre une opposition entre une approche technique (avec des entrepôts dédiés, un faible assortiment et une zone de distribution limitée à la région parisienne) et une nouvelle approche centrée sur les besoins du client (avec des structures plus souples, des assortiments mieux étudiés et la recherche de la proximité). Nous avons volontairement limité notre étude au seul secteur de la vente de produits dits de grande distribution généraliste (notamment alimentaire) grâce à des sites électroniques qualifiés de cybermarchés et développés par des sociétés comme Carrefour, Auchan, Cora ou, plus récemment, Intermarché, Franprix, Système U, Leclerc et Casino. Le choix de cet angle de vue se justifie par l’importance de la logistique dans le développement de ce type de commerce (cinq facteurs clés de succès des cybermarchés sur dix sont du domaine de la logistique d’après Barth et Aublé, 2002, à savoir la rapidité et la ponctualité de la livraison, le respect dela commande et la qualité des produits ainsi que la modicité des frais facturés). Ainsi, les compétences logistiques sont une source d’avantage concurrentiel majeur (Filser, 2000). En matière de e-épicerie, la variété des volumes à transporter et des contraintes à respecter (transport en tri température : ambiant, frais et surgelé) accentue le rôle primordial de la e-logistique (Raïjas, 2002). Après la définition de notre cadre d’étude, nous présenterons tout d’abord le modèle originel de la logistique du commerce électronique alimentaire en France. Puis, en étudiant les alternatives qui fleurissent peu à peu, nous ferons apparaître un éventail de solutions logistiques “orientées clients” destinées à rentabiliser ce type de commerce, ce qui a abouti à “une différenciation des solutions logistiques”, selon l’expression de Durand et Senkel (2007). 1 - LE CADRE D’ETUDE DE LA E-LOGISTIQUE 1.1 - Une méthodologie exploratoire Les premiers travaux académiques parus en France concernent seulement cinq ou six opérateurs de grande distribution alimentaire (Licoppe, 2001, Barth et Aublé, 2002, Durand, 2002, Durand et Paché, 2004). Depuis, entre 2006 et 2008, beaucoup d’autres distributeurs sont apparus sur le Net, ce qui prouve que le cybermarché alimentaire semble aujourd’hui commercialement prometteur (même si les performances économiques ne sont pas à la -2- hauteur des espérances, voir infra) (Ranvier et Sury, 2009). Toutefois, cette population est trop faible pour un traitement quantitatif, ce qui justifie une approche exploratoire de découverte (Bonoma, 1985, Yin, 2002, Evrard et al., 2003) et explique pourquoi les développements théoriques à propos de l’impact de la logistique sur la performance des sites de e-commerce restent peu nombreux. Notre question de recherche concerne le modèle de logistique le mieux approprié à la vente électronique de produits alimentaires. Pour y répondre, notre étude s’est déroulée selon une procédure en deux étapes. Dans un premier temps, nous avons pratiqué une analyse des sites Internet pratiquant ce genre de vente afin d’appréhender l’offre actuelle en matière de zones couvertes, de services et de coûts. En examinant l’évolution de ces critères, nous montrerons la difficulté que représente la logistique dans le cadre plus global de l’offre commerciale sur Internet. Puis, dans un deuxième temps, nous avons procédé par une dizaine d’enquêtes directes d'acteurs, pratiquées selon la technique de l’entretien semi directif avec guide et concernant des responsables commerciaux ou logistiques de site de vente électronique ainsi que des transporteurs. Ils ont été menés depuis 2000 et ils se sont poursuivis depuis, soit en interviews sur place, soit en entretiens téléphoniques. Le guide d’entretien est composé de différents thèmes : informations signalétiques et financières sur le site, organisation de la logistique d’après les critères suivants : taille et localisation des entrepôts, nombre de références, nombre de commande/jour, montant du panier moyen, mode et coût de préparation, puis mode, zone, délai et coût de livraison et finalement perspectives futures. Ces entretiens ont été enregistrés puis ont été retranscrits. Quelques extraits de verbatim seront utilisés pour illustrer notre propos. Parallèlement, nous avons également interrogé une vingtaine de clients afin de comparer l’opinion des logisticiens avec la perception de leurs efforts par des internautes. Ces entretiens ont été menés par interviews en face-à-face et constituent un échantillon de convenance. 1.2 - Le développement de la e-logistique En commerce traditionnel, “le client va à la marchandise” alors que “dans le commerce électronique, c’est l’inverse : la marchandise va vers le client” (Isaac et Volle, 2008). Il s’agit donc “d’une logistique ordinaire avec des contraintes en plus “(Nekrassov, 2001), présentant un “package de services” selon l’expression de Paché (2002). En tant que démarche de gestion, la logistique des webmarchands doit répondre à des questions de transport, d’entreposage et de système d’information (Fabbe-Costes, 2005). En ce sens, elle présente des spécificités : - l’unité livrée est non plus un magasin mais une unité plus petite, le domicile (ou le pointrelais) (“logistique de capillarité”, Durand, 2009) car la problématique du dernier kilomètre y est déterminante et constitue un facteur de différenciation (réactivité, délai de livraison, qualité du service, proximité de la livraison ou étendue du créneau d’attente du client...) (Kull et al., 2007), - l’entreposage se fait dans des unités plus grandes (warehouse ou entrepôt dédié) à l’échelle nationale à moins que le commerçant n’opte pour le système du store-picking (ou préparation de commande au sein d’un magasin traditionnel), - le système d’information doit être plus réactif car il est important de connaître en temps réel les sorties de stock afin d’afficher sur le site des disponibilités réelles et des délais de livraison pouvant être respectés, -3- - l’élargissement de la clientèle du e-commerce “s’accompagne d’une segmentation de la demande de services logistiques liés au produit. Désormais, les solutions de livraison sont différenciées et tiennent pleinement compte des arbitrages prix-temps des consommateurs dans les délais de livraison” (Gavaud et al., 2008). Ainsi, le client participe de plus en plus à l’élaboration de la solution logistique mise en place pour sa commande car de nombreux sites proposent,à l’intérieur d’une grille de possibilités, le choix des modes, délais et créneaux de livraison, ce qui influence la rapidité et le coût facturé. 1.3 - L’impact de la e-logistique L’impact économique de la e-logistique est le principal sujet de préoccupation des webmarchands car leur compétitivité réside dans une mise en relation du client avec le produit acheté qui doit être sûre, évolutive et fiable. Pour s’imposer face au commerce traditionnel, le e-commerce repose sur une politique de service (valeur ajoutée) mais surtout de prix bas (Karayan, 2008), même si, en ce qui concerne l’alimentaire, les paniers numériques sont plus chers que les paniers en magasin (de l’ordre de 10% d’après le site comparatif Supermarché.tv). Si un serveur coûte moins cher en investissement et en fonctionnement qu’un magasin, il en va autrement de la e-logistique. “La suppression d’un certain nombre d’intermédiaires... peut conduire dans un même mouvement à une baisse des prix finaux et à un accroissement du bénéfice net” (Reboul et Xardel, 1997). Ainsi, cette disparition doit permettre de réaliser des économies qui ne seront que partiellement réinvesties dans une logistique plus complexe. “Ce cercle vertueux ne fonctionnera toutefois que si l’on compense efficacement la valeur ajoutée de ces intermédiaires par des systèmes rôdés qui permettront de satisfaire les clients sans augmenter les coûts” (Reboul et Xardel, 1997). C’est pourquoi, pour être durable, cette e-logistique doit respecter trois conditions définies par Durand (2009) : - “Aucune livraison non livrée” (actuellement, une livraison à domicile sur trois échoue du fait de l’absence du client), - “Tout en une livraison” (avec la nécessité probable de développer des solutions de mutualisation de livraison à domicile pour éviter de déranger plusieurs fois le client), - “Développement des points de retrait” (si possible uniques pour l’internaute) afin d’optimiser l’ensemble des déplacements (voir aussi Browne et al., 2005). 2 - L’APPPROCHE TECHNIQUE : LE CYBERMARCHE EST UN MAGASIN En examinant la logistique en commerce électronique alimentaire, nous avons repéré que cette fonction est parfois paradoxale : elle bride les possibilités d’un monde entièrement virtuel car elle doit assurer la transition entre le monde virtuel (vente par clicks) et le monde réel (mise à disposition de la commande auprès du client). 2.1 - Le modèle des premiers cybermarchés alimentaires 2.1.1 - Modèle de stockage et de préparation des commandes en interne Lors de la mise en place de son système de vente, le cybercommerçant doit tout d’abord s’intéresser au problème du stockage et de la préparation de la commande. Cette étape est fondamentale car elle doit assurer en temps réel une réponse pertinente quant à la disponibilité d’un produit. Cette dimension débute par une question stratégique : faut-il internaliser ou externaliser le stockage et la préparation des commandes ? -4- L’externalisation de cette fonction est souvent vérifiée en e-commerce car cela permet à l’entreprise de se concentrer sur le développement du site de vente sans se disperser dans la résolution des problèmes de logistique. De plus, le recours à des prestataires extérieurs permet d’acquérir rapidement des compétences et favorise la croissance de l’organisation. Toutefois, la question ne se pose pas dans les mêmes termes lorsque l’on s’intéresse à des entreprises solidement implantées dans la grande distribution généraliste. En effet, Auchan, Carrefour, Casino, Cora, Galeries Lafayette avaient investi ces dernières années dans des méthodes et procédures intégrant les systèmes d’information au travers d’outils de Gestion Partagée des Approvisionnements. La transposition de ces systèmes au commerce électronique semblant possible, les acteurs traditionnels de la distribution ont conservé en interne la fonction de stockage et de préparation des commandes, exception faite de Carrefour qui utilise les services de STEF-TFE pour sa logistique traditionnelle et qui a étendu son contrat pour son site Ooshop. Les justifications de cette stratégie par les acteurs font état de la recherche du contrôle sur l’ensemble de la chaîne et de la réduction du montant des dépenses puisqu’il y a recours aux ressources internes et une recherche de synergie entre les logistiques traditionnelle et électronique. Cette internalisation de la fonction stockage amène ces entreprises à se poser une nouvelle question : faut-il utiliser le système physique traditionnel d’entrepôts (qui servirait alors tous les formats de magasins, y compris le format “commerce électronique”) ou au contraire, faut-il investir dans un nouveau réseau, spécialement dédié à la vente en ligne ? 2.1.2 - Le choix de l’entrepôt dédié Dès l’origine, les distributeurs français ont principalement opté pour un système spécifique d’entreposage permettant une parfaite intégration entre le système physique de stockage et le système informatique de gestion du stock, notamment pour la connaissance des disponibilités. La seule exception historique française est G20-livraisons qui, à l’instar de l’expérience du britannique Tesco, a opté pour un modèle de store-picking (voir partie 3). La préparation des commandes se fait de manière manuelle le plus souvent mais, le cas échéant, cette préparation peut être automatisée grâce à des robots afin de gagner en temps et coût de colisage. 2.1.3 - Modèle de livraison à domicile par une flotte interne Après avoir résolu le problème du stockage et de la préparation des commandes, il convient maintenant de choisir un modèle de livraison. Faut-il acheminer le produit jusqu’au domicile du client avec les coûts que cela suppose ou faut-il amener la commande à proximité du client, ce dernier faisant l’effort de venir chercher son colis ? Du fait de la nature périssable des denrées alimentaires, la livraison ne peut pas se faire en l’absence du client. Aussi, historiquement, les sites français avaient opté pour le modèle de la livraison à domicile sur rendez-vous effectuée par leurs propres soins (à l’exception du site Ooshop qui a un contrat d’exclusivité avec Star’s Services pour les livraisons). A l’instar de la Vente Par Catalogue, Internet a proposé le modèle de la livraison à domicile, même si des alternatives restent possibles, comme nous le verrons par la suite. Ce modèle repose sur l’industrialisation d’un nouveau modèle logistique constitué de forts volumes de petites commandes irrégulières avec des livraisons éclatées géographiquement et -5- des délais de plus en plus courts. Cette exigence de souplesse et de réactivité suppose une anticipation de la demande. Il faut veiller à l’optimisation de la chaîne logistique car rationaliser une logistique nationale jusqu’au niveau des magasins (actuellement le point fort des distributeurs généralistes) ne sert à rien si cette organisation s’avère inefficace pour atteindre le lieu de consommation qu’est le domicile. 2.2 - Les limites du modèle technique originel Contrairement aux autres secteurs de e-commerce à destination du consommateur final, la cyber-épicerie connaît depuis l’origine des taux de croissance faibles en termes de chiffres d’affaires et des pertes financières. Cette situation explique pourquoi le modèle originel a été remis en cause et pourquoi la recherche de solutions alternatives est devenue un enjeu majeur pour les distributeurs alimentaires. 2.2.1 - L’insuffisance de résultats financiers Apparus durant les années 1999-2000, les cybermarchés alimentaires n’ont pas connu les performances financières attendues, comme l’atteste le tableau suivant : Tableau 1 : Les performances financières des cybermarchés français Site 2000 Telemarket Ooshop Houra Auchandirect 2001 32,32 14,0 14,5 1,52 Site 2000 Télémarket Ooshop Houra Auchandirect 2001 - 11,2 - 8,7 - 29 - 1,5 Chiffres d’affaires en millions d’euros 2002 2003 2004 2005 2006 40,3 42,8 40,2 40 45 33,9 52 50 42,5 57,7 33 38 41 47,5 57 9,2 14,9 n/a 29,7 41 2007 60 67,2 67 56,2 2008 70* 72,6 75 70* n/a 73,3 80 88,5 Résultats financiers en millions d’euros 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 - 26 - 13,7 - 2,6 n/a n/a n/a n/a n/a - 12,9 - 17,5 n/a - 14,1 - 13 - 17,8 - 17,1 - 14 - 10 n/a n/a - 3,4 - 0,7 - 0,2 + 0,6 - 0,4 - 5,3 - 6,3 - 1,8 - 1,6 - 0,5 + 0,5 n/a -3 (Sources : Journaldunet.fr, Bilans.lesechos.fr) La discrétion des grands distributeurs à propos de la communication financière spécifique à leur site de commerce en ligne est telle qu’il est impossible d’annoncer des données fiables (n/a signifie non accessible et les données estimées par les sites sont suivies d’une astérisque*). Il est donc délicat de conclure sur des données aussi “fragiles” (qui sont le regroupement d’informations qui finissent peu à peu à apparaître) mais le recul historique permet de comprendre que les chiffres d’affaires stagnent, surtout si nous les comparons avec les chiffres d’affaires des autres secteurs du e-commerce. De même, les résultats financiers affichaient systématiquement des pertes, même si les années 2007 et 2008 marquent le retour à l’équilibre financier pour certains sites (Lehu, 2008). Cependant, il faut être conscient que la cyberépicerie ne concerne aujourd’hui qu’une faible part du commerce électronique (moins de 6% pour l’INSEE en 2005, 7 à 8 % aujourd’hui) et la distribution on-line alimentaire représente moins de 1% du chiffre d’affaires de la distribution alimentaire traditionnelle de la région Ile-de-France (soit moins de 300 millions d’euros pour les quatre principaux cybermarchés en 2008, 250 millions pour Ranvier, 2009) -6- Une grande partie de cette attente déçue en matière de performances financières est imputable à la logistique nécessaire pour ce genre de commerce électronique. En visitant un site commercial, l’internaute utilise des références de prix issues du commerce traditionnel : une politique d’alignement systématique à égalité des prix affichés en magasins semble inéluctable (même si ce n’est pas le cas aujourd’hui). Cependant, cette notion de prix sur Internet doit inclure les frais de livraison, ce qui pénalise le commerce électronique. En effet, le consommateur compare un prix “produit+livraison” sur Internet et un prix “produitmagasin” sans tenir compte des efforts qu’il consent pour faire ses courses. Dans cet état d’esprit, le client est donc réticent à payer sur Internet pour un service qu’il ne considère pas à sa juste valeur. Ceci a été confirmé très tôt par l’étude du Boston Consulting Group qui, pour l’Europe, a distingué que les prix bas et la livraison gratuite étaient de forts stimulateurs pour les achats on-line (BCG, 2001). Même si la logistique de distribution fait de grands progrès, il demeure évident que cet acte de livraison coûtera toujours plus cher (entre 15 et 20 €) que le prix psychologique estimé et accepté par la plupart des clients. Cette situation est d’autant plus délicate que les frais de livraison sont souvent diminués et même parfois offerts selon le montant de la commande car il s’agit d’un élément de différenciation auquel les consommateurs sont particulièrement sensibles. L’acceptation d’un prix raisonnable de la livraison par une plus grande partie de la population est donc une préoccupation majeure pour les marchands électroniques. 2.2.2 - Un modèle facteur de rigidité Outre le coût de la livraison, le modèle originel des cybermarchés alimentaires présente des rigidités de fonctionnement ayant affaibli l’attrait pour ce type de commerce, ce qui explique les résultats financiers décevants. a) La première rigidité concerne la politique d’assortiment. Théoriquement, les progrès de la numérisation autorise une extension du nombre de références, se traduisant par une offre plus variée. Le “linéaire numérique” ne coûtant quasiment rien, la notion classique de “rentabilité par mètre de linéaire” disparaît (Levy, 2000), rendant caduque la notion de l’espace et des “formats” de magasins. Ceci est particulièrement vrai en matière de vente en ligne de livres, les sites Internet offrant un avantage concurrentiel par rapport aux magasins traditionnels. Cependant, cette liberté d’assortiment ne se retrouve pas dans les cybermarchés alimentaires car le cyberassortiment est souvent inférieur à la proposition des magasins traditionnels. Ainsi, en France, à l’exception de Houra.fr (50 000 produits), les cybermarchés ne proposent que 7 000 (Auchandirect) à 8 000 références (Télémarket), ce qui correspond à un assortiment de dépannage selon la terminologie de Tordjman (1983). Manifestement, un assortiment plus important augmente les coûts de stockage (rotations plus lentes) et allonge le temps de préparation d’une commande (références plus complexes à gérer). Cette opposition entre l’économie des cybermarchés et les désirs des clients peut être illustrée par trois verbatims : Un ancien consultant de Carrefour (pour Ooshop - entretien en 2002) : “Je pense que c’est une erreur de commercialiser des produits surgelés car ils sont trop complexes et trop coûteux pour (notre) logistique.” Un client d’Ooshop (2005) : “Je suis obligé de faire mes courses en magasin traditionnel car je ne trouve pas sur le site les produits “Reflets de France” que je veux.” Un client d’Houra (2009) : “Ce que je recherche, c’est avant tout le caractère pratique des courses sur internet. Il me faut des produits basiques et notamment des surgelés.” -7- La conséquence de cette situation est cruciale : en obligeant les consommateurs à compléter leurs courses en ligne par un magasinage traditionnel, le commerce électronique perd une grande partie de sa pertinence, notamment en terme d’économie de temps. C’est pourquoi, par l’écoute des clients, les “anciens” sites ont peu à peu élargi leur gamme de produits. Par exemple, ce n’est qu’en janvier 2007 qu’Houra a proposé des surgelés en région parisienne (et en octobre 2008 pour la région marseillaise). Cependant, il persiste encore dans ces cybermarchés des détails prouvant que les aspects techniques sont encore primordiaux par rapport aux besoins des clients. Dans les conditions générales de vente, nous trouvons de nombreuses contraintes pour le consommateur (minimum de montant de commande, minimum pour les surgelés, limitation du nombre de produits lourds -notamment les packs d’eau ou de lait, ...). b) La seconde rigidité concerne la zone de livraison et donc la zone de chalandise. Alors que l’extension du canal de vente à l’ensemble du territoire national ne coûte quasiment rien (il suffit d’augmenter la capacité du système informatique de traitement des commandes), l’extension simultanée du canal de distribution semble poser de sérieux problèmes (car il faut alors développer une infrastructure d’entrepôts). Alors que le modèle des cybermarchés français avait une vocation naturelle à s’étendre à l’ensemble du territoire national, le constat est qu’aujourd’hui le développement des sites est restreint essentiellement sur la région parisienne, à l’exception du site Houra (Cora), présent à l’origine sur l’ensemble du territoire métropolitain par une flotte propre en région parisienne et par des partenariats en province. Cette couverture géographique devait être un facteur de différenciation par rapport aux autres cybermarchés qui avaient adopté une stratégie de ciblage géographique. En novembre 2001, cette stratégie a été brutalement interrompue. En effet, la couverture géographique d’Houra a été réduite des 2/3 et, depuis, elle se réduit discrètement (aujourd’hui seuls 23 départements et Monaco sont livrés). La principale limite de l’extension de la zone de livraison tient donc à l’insuffisance de rentabilité financière et à la difficulté de trouver des partenaires logistiques dans les différentes régions (notamment en matière de produits frais et surgelés). Ainsi, la province n’est abordée que de manière épisodique (extension d’Auchandirect à Lyon -2007-, Toulouse et Lille -2008- et bientôt Marseille et Bordeaux) et extension de Ooshop à Bordeaux, Lyon, Nantes, Evreux, Rennes et Rouen (mais, un an et demi après son ouverture, Ooshop a fermé le 31 décembre 2006 son expérience sur Le Mans, n’ayant qu’une moyenne de douze clients par jour). Un client Ooshop du Mans (2007) : “Mais pourquoi ont-ils fermé aussi brutalement Ooshop ? C’était pourtant bien pratique !” Un client de Brive (2008) : “Dans les petites villes de province, les courses par Internet, on n’y a pas droit !”. c) Enfin, la troisième et dernière rigidité concerne les délais de livraison liés à la livraison à domicile sur rendez-vous. En effet, il n’est pas question de laisser des cartons de produits alimentaires dans une boîte aux lettres. De la nécessaire disponibilité du consommateur durant un créneau horaire lié à une tournée organisée naît une contrainte mal acceptée. Maître de son temps au moment de la passation de la commande (où il veut et quand il veut), le client devient esclave d’un livreur sur un créneau de temps parfois peu pratique et quelquefois non respecté. -8- Un client d’Houra (2008) en Seine-et-Marne : “Lorsque l’on habite dans des zones moins bien desservies que Paris, on n’a pas réellement le choix du créneau de livraison et il est quelquefois non respecté.” Toutes ces limites proviennent d’une vision économique de la logistique mise en place pour un site de e-épicerie. En voulant restreindre leurs coûts de fonctionnement, les distributeurs ont eu une approche technique, en ne voyant dans ces cybermarchés qu’un nouveau format de magasin. En conséquence, ils ont peu à peu “oublié” la notion de service (notamment en matière de zones ou d’horaires de livraison et d’assortiment). Si nous renversons la perspective et considérons que le cybermarché est avant tout un service, il faut alors développer une approche “écoute client” afin de mieux comprendre les attentes des consommateurs en matière de logistique associée à un site de vente électronique. 3 - L’APPROCHE “CLIENT” : LE CYBERMARCHE EST UN SERVICE Afin de rétablir la rentabilité des cybermarchés alimentaires et suite à la remise de cause du modèle historique du cybermarché alimentaire “à la française”, la priorité des distributeurs semble avoir été la redéfinition de la prestation logistique. Au travers d’alternatives qui sont apparues récemment, une écoute “client” a permis de renouveler le concept de cybermarché (sur les comportements des consommateurs, voir notamment Ranvier M. et Sury R., 2009 et Picot-Coupey et al., 2010). 3.1 - Le renouveau du modèle du store-picking Si les initiateurs français de ce type de e-commerce avaient principalement choisi un modèle de stockage avec des entrepôts dédiés à la vente en ligne, les nouveaux sites de cybermarchés apparus récemment semblent avoir pris le contre-pied de cette démarche. En effet, Intermarché (site Expressmarché.com lancé en 2006), Franprix et Leaderprice (site coursengo.com lancé en 2007) et Système U (site coursesu.com lancé en 2008) ont choisi de se développer en utilisant le modèle du store-picking, modèle historique de Tesco.com, un site anglais qui a été longtemps le seul cybermarché rentable de la planète (mais qui a ensuite évolué vers le système des entrepôts dédiés dans les grands centres urbains). 3.1.1 - Le modèle du store picking Pour éviter d’investir dans un nouveau réseau d’entrepôts, un commerçant peut opter pour le modèle du “store-picking” qui consiste à prélever dans son magasin traditionnel les articles constitutifs de la commande. Au début de ce type de vente en ligne, les organisations de Tesco.com en Grande-Bretagne mais aussi celle de g20livraisons.fr en France (qui regroupe, dès 2000, 25 magasins parisiens du réseau G20) sont simples. Il s’agit de créer un site de vente virtuel (portail) qui regroupe sous une vitrine commune une fédération de magasins traditionnels, chacun des membres se partageant les commandes en fonction de son secteur et devant en assurer la livraison. Cette fédération est très légère puisque l’investissement se résume au seul site de vente (pas de système de distribution) et peut être rapidement rentable puisqu’elle joue sur la proximité des magasins traditionnels pour assurer une livraison rapide et, si possible, bon marché. Cette organisation se retrouve également dans les hypermarchés traditionnels qui ont mis sur le Net une partie de leur assortiment et qui en assurent la livraison à domicile : Leclerc Cannes, Intermarché Seyssins (près de Grenoble), Hyper U de Parthenay, Casino Lyon, ... -9- Stocker et préparer des commandes en magasin traditionnel semble facile à première vue. Cependant, le risque inhérent au store-picking provient principalement d’un antagonisme entre les contraintes du commerce traditionnel et celles du commerce virtuel. En effet, il faut préparer les commandes en passant dans les rayons, au risque d’engendrer des ruptures de stock et de bouleverser le système d’information, faute d’une information fiable en temps réel sur l’état des stocks suite aux mises dans le caddy d’un client avant son passage en caisse. En conséquence, la solution du store-picking était souvent apparue comme provisoire car les magasins actuels n’ont pas été construits et dimensionnés pour servir Internet en plus de leur fonction principale d’accueil des clients. C’est pourquoi beaucoup d’experts ne jugeaient le modèle pertinent qu’en dessous de 100 livraisons par jour (LSA, 2001). En effet, ce que le commerçant économise (peu d’investissement logistique), il le perd en coûts de fonctionnement avec des temps de préparation de commande trop longs, suite à de trop fréquentes manipulations et des longueurs de trajets importantes. Les développements récents de la e-logistique semblent prouver le contraire. En effet, le choix récent d’Intermarché, Franprix, Système U mais aussi Leclerc, Casino et Monoprix pour ce modèle prouve que sa performance provient de sa souplesse. En effet, les charges fixes liées aux entrepôts dédiés au seul commerce électronique supposent d’atteindre un seuil de rentabilité qui n’autorise cette solution que pour les grandes villes à forte densité de population. C’est peut-être dans cette course à la taille critique que les “anciens” cybermarchés ont laissé une grande part de leur rentabilité. Plus intéressant encore, parallèlement à son offre Auchandirect, le groupe Auchan a développé en 2009 à partir de 42 supermarchés Simply Market une offre Internet avec livraison à domicile (Simplymarket.fr) mais ne proposant actuellement que 1500 références. Lorsque le système du store-picking est étendu à une fédération de magasins (ce qui est le cas de tous les nouveaux cybermarchés), la principale limite concerne la nécessité de proposer le même assortiment, à tout moment et au même prix dans tous les magasins. Cela diminue donc la marge de manoeuvre du commerçant-partenaire qui voit son rôle réduit à celui de simple préparateur de commandes. Même si les magasins participant à Coursesu revendiquent une certaine latitude dans l’établissement d’un catalogue électronique spécifique, il est évident que ces catalogues doivent converger pour éviter un coût de mise à jour (saisie produit et prix) trop important. 3.1.2 - Modèle du store picking et livraison Le modèle de livraison complémentaire au modèle de stockage en magasin traditionnel repose sur la livraison à domicile. Aussi, l’extension de la zone de livraison ne pose a priori pas de problème. En effet, il suffit de trouver des magasins volontaires pour participer à l’expérience et une couverture nationale peut ainsi être rapidement atteinte (même si le maillage du réseau laisse quelques grandes zones non approvisionnées). Alors que les cybermarchés historiques ont toutes les peines du monde pour se développer géographiquement, Intermarché (Expressmarche.com) a testé depuis avril 2004 son concept dans 15 magasins puis, après trois ans d’expérimentation, il a étendu son offre en septembre 2007 dans une centaine de magasins puis 350 points de vente à la fin de 2009 (4000 références -10000 annoncées pour 2010- avec possibilité de retrait en magasin, drive ou livraison à domicile). De la même façon, Système U (Coursesu.fr) s’est lancé en octobre 2008 en prenant appui sur 65 magasins (entre 10 000 et 12 000 références) et le site annonce 247 magasins U concernés - 10 - pour la fin 2009. Cette expérience sera intéressante à étudier car, pour la première fois, nous trouvons des magasins de ville mais également de campagne, le cybermarché n’étant plus réservé aux zones citadines. Un responsable commercial de Système U (fin 2008) : “Nous avons choisi la souplesse du système de store-picking en nous limitant autour de notre base vendéenne... A terme, si nos magasins sont volontaires, nous développerons le site à toutes nos plates-formes.” 3.2 - La recherche d’alternatives à la livraison à domicile Parmi les coûts importants engendrés par la logistique des cybermarchés alimentaires figurent en première place les coûts de transport de cette logistique. En effet, si le dernier kilomètre est réputé pour être le plus cher dans une logistique traditionnelle, que dire des derniers mètres en matière de livraison à domicile (recherche d’adresse précise, de place de stationnement pour la camionnette voire même de client absent malgré les créneaux horaires de livraison plus ou moins bien respectés). 3.2.1 - Le retrait en magasin ou drive-in En échappant au modèle de la livraison à domicile sur rendez-vous, certains distributeurs envisagent de ne développer que le site de vente, sans avoir les charges du développement d’un réseau de livraison qui est pesant économiquement parlant et peu efficace en terme de différenciation commerciale. En amenant le consommateur à sortir de chez lui et à participer à la construction de l’offre logistique proposée, le site espère vaincre la réticence exprimée par beaucoup de consommateurs vis-à-vis des coûts facturés de livraison et supprimer l’attente du client à son domicile durant le créneau horaire proposé. Si le point de retrait est obligatoirement adossé à un magasin car il ne possède pas de logistique propre, le “drive-in” est indépendant, ayant sa propre unité de stockage et de préparation des commandes. Cependant, dans le cadre de notre étude, nous ne faisons pas la différence car, en se plaçant du point de vue de l’internaute, il y a un seul et même service : la mise à disposition d’une commande numérique dans un lieu proche de son domicile et la nécessité d’aller la chercher. Cette solution a été envisagée depuis de nombreuses années car, dès la fin de 2001, Ooshop offrait la possibilité de retirer sa commande à moindre coût (2,5€ la préparation contre 12€ la livraison à l’époque) dans six points de retrait en région parisienne. Cependant, l’expérience stagnait. L’ouverture du premier drive de Carrefour en octobre 2009 (Carrefour Ooshop Drive de Villeneuve-la-Garenne -92- sur le bord de l’A86) marque un revirement total de stratégie avec 61 ouvertures annoncées pour 2010 et 2011 (20 drive en solo et 41 drive adossés à des magasins), la stratégie finale dite “cross canal” étant qu’un magasin contrôle un drive adossé et un drive situé dans une autre zone de flux et/ou à proximité des hypermarchés concurrents. De la même façon, Auchan a très tôt testé deux concepts proches, Auchandrive et Chronodrive. Dès 2000, à Leers (Lille), Auchan lance le premier drive pour les courses, VolumeExpress (rapidement renommé Auchandrive). Le client passe commande à l’aide de bornes interactives placées dans le magasin puis il passe chercher son “panier” au point d’enlèvement. Très vite, ce système de bornes sera supplanté par une prise de commande possible à domicile, via Internet. Un deuxième site verra le jour à Faches-Thumesnil (Lille) en 2006, puis le développement se poursuit jusqu’à l’ouverture du dixième site au Mans, le 5 novembre 2008. En février 2010, nous recensons 22 Auchandrive se situant près des centres commerciaux et se voulant un complément pour renforcer l’activité des zones commerciales avec 5000 références (40 drive attendus pour la fin 2010). - 11 - Chronodrive permet également de commander sur Internet ses courses et d’aller les chercher deux heures après en s’appuyant sur la centrale d’achat Auchan et la livraison des points d’enlèvement par Attac. Par rapport à Auchandrive qui est proche des hypermarchés, le concept de Chronodrive joue sur la proximité et vise les lieux d’habitation ou de travail en offrant un assortiment plus large (de 6000 à 7500 références). Si le premier Chronodrive a été expérimenté à Marq-en-Bareuil (Lille) en février 2004, le deuxième a ouvert en octobre 2006 à Croix (Lille) et le troisième à Orvault (Nantes) en juin 2007. Le quatrième Chronodrive a ouvert en janvier 2008 à Hallenes-lès-Haubourdin, encore près de Lille. En juillet 2009, nous dénombrons 10 Chronodrive puis 16 en février 2010 et une perspective d’une vintaine d’ouvertures d’ici la fin de l’année 2010 pour “guerroyer aux emplacements stratégiques” (voir leblogmulliez.com, 2010). Manifestement, les développements respectifs d’Auchandrive et Chronodrive ont été tardifs mais ils ont subi une forte accélération en 2009 et 2010, sachant qu’un projet d’unification des deux concepts existe au sein d’une holding voulue par la direction d’Auchan qui, dans le même temps, expérimente une version “store-picking” de cybermarché avec “Simplymarket.fr”, émanation numérique de ses supermarchés SimplyMarket. Cette solution a également été adoptée par l’ensemble des nouveaux venus sur Internet en 2007, 2008 et 2009 et cette concordance de stratégie marque tout l’intérêt que portent les distributeurs à ce type de e-logistique. Ainsi, cette technique de retrait en magasin est pratiquée par Leclerc (le grand absent des cybermarchés classiques) qui a ouvert un ExpressDrive en septembre 2007 à Roques-surGaronne (Toulouse) avec 2700 références. En juillet 2009, 18 magasins participent à l’opération avec près de 4000 références, puis 34 en février 2010 et 70 attendus pour la fin de l’année 2010. Mais surtout, les nouveaux cybermarchés d’Intermarché, Franprix et Système U présentent systématiquement cette possibilité en plus de la livraison à domicile. Ainsi, nous recensons 180 magasins Système U équipés d’un point de retrait à la fin 2009, tant en zone urbaine qu’en zone rurale (151 ouvertures annoncées en 2010). Un responsable commercial de Système U (fin 2008) : “D’après nos premières constatations, les livraisons à domicile sont majoritaires pour les magasins de ville alors que le retrait en magasin est majoritaire en zone rurale”. Ainsi, il est prévu pour l’année 2010, des drive chez tous les opérateurs (anciens ou nouveaux). Le plus intéressant est le retour en épicerie électronique de Casino via ce modèle du store-picking alors qu’il avait été marqué par la faillite de son cybermarché Cmescourses.fr en 2002, construit sur le modèle de l’entrepôt dédié. Grâce à une expérience menée à partir de 10 supermarchés , Monsupercasino.com propose la livraison à domicile et le retrait en magasin et nous notons même l’ouverture récente de deux drive à Saint-Etienne (Ratarieux) et Toulouse. La principale limite de ce système consiste tout naturellement dans la pertinence du maillage proposé au client avec notamment l’adossement à un réseau de magasins. Depuis son indépendance en 2005, Télémarket présente une faiblesse à ce sujet car, ne possédant pas de réseau de distribution traditionnelle en propre, il ne peut pas exploiter cette possibilité. - 12 - Tableau 2 : La e-logistique des cybermarchés Nom Avec entrepôts dédiés Telemarket.fr Ooshop.com Houra.fr Auchandirect.fr Avec Store-picking G20-livraison.fr Auchandrive.fr Chronodrive.fr Simplymarket.fr Expressmarché.com ou Intermarché.com Expressdrive.fr ou Leclercdrive.fr CoursesU.fr Coursengo.com Monoprix.fr Monsupercasino.com dont CasinoDrive.fr CarrefourOoshopDrive.fr Création Propriétaire Nombre Livraison références 1999 1999 2000 2001 Indépendant Carrefour Cora Auchan 8 000 8 000 50 000 7 000 domicile domicile domicile domicile 2000 2000 2004 2009 2006 G20 Auchan Auchan Auchan Intermarché 4 000 5 000 7 500 10 000 4 000 domicile drive drive dom + retrait dom.+ret.+drive 2007 Leclerc 2007 Système U 2007 Franprix 2008 Monoprix Casino 2009 Casino 2009 Carrefour 4 000 2 000 4 000 12 000 drive dom + retrait dom + retrait domicile dom.+ retrait drive drive Nb Magasins actuel+futur 25 22+40 16+20 42 350+150 34+70 180 34 10 2 1+61 3.2.2 - Le retrait en point-relais multi-site Pour échapper au modèle de la livraison à domicile, certains acteurs (intermédiaires ou marchands électroniques) ont développé des systèmes de type “kiosque” ou “point-relais” spécialement dédié aux ventes par Internet et géré par un prestataire qui offre ce service à l’ensemble des vendeurs sur Internet. Ce modèle peut prendre la forme d’un réseau de kiosques déjà existant (exemple du réseau Kiala qui distribue dans des magasins partenaires à proximité du client les commandes passées sur Internet) ou, pourquoi pas, des armoires automatiques de retrait de colis, ouvertes 24 h/24 grâce à un code obtenu à l’issue d’une commande et situées à des endroits faciles d’accès (solution Cityssimo depuis 2005 (la Poste) ou expériences de E-box, débutée en 2000 mais terminée en novembre 2007, de Homeport (cessation en 2004) ou de Consignity (début en 2004 mais restant confidentiel). Même si ces solutions techniques sont actuellement en développement du fait de la périssabilité des articles, ces solutions sont encore largement prématurées en matière de commerce électronique alimentaire. 3.3 - La livraison par des partenaires Face à la frustration de certains internautes de province qui ne peuvent pas bénéficier du service des cybermarchés, l’accroissement de la zone de livraison devrait être une préoccupation majeure. Lors de sa reprise en 2005 par de nouveaux investisseurs, Télémarket a abordé la question d’une nouvelle manière en négociant avec des prestataires logistiques nationaux. En avril 2007, la signature d’un accord entre Télémarket et Chronopost a permis l’extension de ce site à l’ensemble du territoire (à l’exception de l’Auvergne). Cependant, les horaires de livraison matinaux et des difficultés logistiques particulières (surgelés et produits frais) ont conduit Télémarket à envisager une solution de livraison interne dès juin 2008 pour - 13 - mieux servir leurs clients. Aujourd’hui, la zone de livraison concerne les régions de Paris, Lyon, Marseille, Lille, Reims, Saint-Etienne et Orléans. 3.4 - Offrir un service global : multi-produit, multi-canal, multi-site En prenant en considération le fait que les dépenses alimentaires baissent chaque année dans la distribution traditionnelle, les propriétaires de site en cyberépicerie peuvent légitimement s’inquiéter de cette évolution. Il n’est donc pas étonnant de constater que les distributeurs cherchent à élargir leur assortiment à des produits non alimentaires afin de mieux répondre aux attentes des internautes. 3.4.1 - La stratégie multi-site ou le passage de l’alimentaire au non alimentaire Prenant en considération cette tendance, Carrefour a doublé, le 19 juin 2006, sa présence en ligne avec la création du site Boostore.com, une enseigne de vente en ligne de produits non alimentaires qui vient compléter l’offre d’Ooshop. Le positionnement de ce nouveau site est résolument multi-spécialiste avec plus de 12 5000 références en haute technologie, produits culturels et services-loisirs. Le groupe annonce même pour 2010 la création d’un portail général, Carrefour.fr regroupant ses deux principales “marques” Ooshop et CarrefourOnline (remplaçant la marque Boostore). Face à cette stratégie de croissance interne, Auchan a opté pour une solution plus rapide, à savoir une croissance externe, en achetant en juillet 2005, 84% de Grobill, un site pure player de vente en ligne de produits de haute technologie. Le groupe Auchan acquiert ce qu’il n’a pas pu ou voulu faire en interne et, avec une enseigne spécifique, chaque site en ligne demeure indépendant quant à sa politique commerciale tout en profitant des synergies internes en système d’information, achat et logistique. Cette stratégie se retrouve également chez Casino qui, après avoir spectaculairement abandonné la e-épicerie (abandon de C-mescourses en 2002), a réinvesti durant l’année 2005 dans le pure player Cdiscount, spécialiste dans les marchandises non alimentaires et il approvisionne, via ses filiales, Télémarket, Coursengo et Monsupercasino). Certes, dès son lancement en janvier 2000, le site Houra avec ses 50 000 références préfigurait cette vision mais, faute de suiveurs, il a longtemps fait figure d’exception. Houra présente une nouvelle originalité puisqu’il propose sur sa page d’accueil une possibilité d’extension vers d’autres sites : Natoora (site de vente de produits frais - depuis juin 2006) et Truffaut (site de jardinage - depuis mars 2007). 3.4.2 - Vers une stratégie “clicks and mortar” visible : le multi-canal intégré Depuis l’avènement du commerce électronique, il est courant d’opposer les acteurs selon qu’ils soient purement issus de la sphère Internet (les pure players se nourrissant de “clicks” de souris) et les autres acteurs issus du commerce traditionnel (qui avaient en conséquence des bâtiments en “mortar” -mortier). En matière alimentaire, les distributeurs classiques bénéficient d’avantages permettant de développer une stratégie “clicks and mortar”, alliant à la fois des aspects Internet (on line) et des aspects traditionnels (on land). En conséquence, l’absence des pure-players dans le secteur de la e-épicerie peut s’expliquer par le fait que tous les cybermarchés français sont adossés à des centrales d’achats fonctionnant également pour la distribution classique. Ainsi, en bénéficiant des volumes d’achat du commerce traditionnel, les cybermarchés obtiennent un positionnement prix très - 14 - intéressant. De plus, en soulignant leur appartenance à des groupes de distribution classique, les cybermarchés bénéficient du prestige, de la notoriété et de la réputation de l’enseigne, autant d’atouts pour développer une confiance numérique. Toutefois, cette stratégie “clicks and mortar” demeurait limitée à cet approvisionnement commun et elle restait invisible aux yeux des internautes. Or, il est certainement possible de faire beaucoup plus en intégrant non seulement le système d’achat mais aussi le système de distribution classique à un cybermarché on line. La mise en place d’une véritable stratégie multi-canal est peut-être une solution pour transformer le cybermarché en recherchant des synergies (Poirel et Bonet-Fernandez, 2008). Ainsi, nous passerons d’une stratégie multicanal avec la cohabitation de plusieurs canaux de vente à une véritable stratégie cross-canal avec une interaction totale pour le consommateur entre les vecteurs de vente à toutes les étapes de l’expérience d’achat (prise d’information, commande, suivi, livraison, SAV et retours produits). Après quelques expériences pour sa mise au point, une alternative au cybermarché originel (avec entrepôt dédié) se développe actuellement, le cybermarché de proximité, où, clairement, le distributeur profite de son réseau de magasins pour aider au développement de son site de vente électronique via des points de retrait et des drive qui, quelquefois, sont implantés pour “attaquer” les hypermarchés concurrents. Conclusion En réponse à notre question de recherche sur le modèle logistique le mieux approprié à la vente sur Internet de produits alimentaires, ce travail a montré l’évolution des propositions logistiques, les différentes alternatives apparues récemment étant autant de voies pour développer ce commerce qui stagne en France depuis ses débuts en 2000. Le principal résultat de cette étude exploratoire met au jour l’opposition entre le modèle de elogistique originel, apparu aux débuts des années 2000, et le modèle actuellement développé par les distributeurs nouvellement arrivés sur le e-commerce en 2007 et 2008. En effet, au lieu de se focaliser sur les seules contraintes techniques et, involontairement, restreindre l’intérêt de ce type de site, les nouveaux arrivants sur ce marché ont intégré les demandes des clients dans la conception de leur système de vente en concevant leur site comme un service supplémentaire apporté au client. Cet effort se traduit principalement dans le choix d’une logistique de proximité qui, en multipliant les points de retrait en magasin ou les drive, apparaît plus économique que la e-logistique avec entrepôt dédié et livraison à domicile. Même si notre étude exploratoire conduit à des conclusions ayant une faible valeur prédictive compte tenu du contexte d’incertitude et de forte évolution du secteur, le constat de cette opposition mérite, à nos yeux, de plus amples prolongements dans une perspective de commerce multi-canal, notamment en cas de risque de conflit de cannibalisation (Badot et Navarre, 2006). Les implications managériales de cette étude concernent la nécessité de renouveler le concept de cybermarché tel qu’il avait été conçu en 2000. Par la pertinence des réponses apportées aux critiques des clients, en préparant les commandes en magasin (ce qui autorise l’extension de la zone de chalandise), en offrant un assortiment ouvert sur le non-alimentaire (avec éventuellement, la recherche d’alliance avec d’autres acteurs) et en présentant des alternatives bon marché à la livraison à domicile sur rendez-vous (points de retrait des marchandises - 15 - stratégiquement choisis), certains distributeurs montrent leur volonté d’intégrer leur stratégie e-commerce au sein d’une vision globale de la relation au client. Cette construction de stratégies “clicks and mortar” nous apparaît préfigurer la distribution électronique de demain, symbole d’une vision globale de la relation au client. Bibliographie Barth I. et Aublé G. (2002), “La commercialisation en ligne des produits alimentaires : Quels développements ?”, Actes des 1ères Journées Normandes de la Consommation, Rouen, 26 et 27 mars, pp. 63-92. Badot O. et Navarre C. (2006), L’attitude des concessionnaires de la distribution automobile à l’égard d’Internet : les résultats contrastés d’une étude exploratoire sur quatre pays européens, Management & Avenir, n° 7, janvier, pp. 61-90. BCG (2001), The Multichannel Consumer : the Need to Integrate Online and Offline Channels in Europe, July 2001, Boston Consulting Group. Bonoma T.V. (1985), Case Research in Marketing : Opportunities, Problems and a Process, Journal of Marketing, vol XXII, 02, pp. 199-208. Browne M., Castro J., Nemoto T. et Visser J.L (2005), Intermodal transport and city logistics policies, 4th International Conference on City Logistics, Langkawi (Malaysia). Durand B. (2002), Les modèles logistiques de l’E-grocery, Actes du 5ème colloque Etienne Thil, septembre, La Rochelle. Durand B. et Paché G. (2004), Prospective stratégique appliquée à la logistique de l’épicerie électronique : vers un renouveau du petit commerce indépendant ?, Humanisme et Entreprise, n° 226, août. Durand B. et Senkel M.-P. (2007), La logistique de l’épicerie en ligne : vers une différenciation des solution, Décisions Marketing, n° 45, pp. 75-89. Durand B. (2009), Quand la durabilité interpelle l’e-logistique, Atelier de recherche “Transport et logistique : histoire et durabilité”, Université Marne la Vallée, 17 septembre. Evrard Y., Pras B. et Roux E. (2003), Market : études et recherches en marketing, 3ème édition, Dunod, Paris. Fabbe-Costes N. (2005), Editorial, Logistique & Management, vol 13, n° 2. Filser M. (2000), Introduction, sous la Direction de P. Volle, Etudes et recherches sur la distribution, Economica, Paris. Gavaud O., Gautier F. et Huard H. (2008), Les organisations logistiques du commerce électronique : état des lieux et perspectives, Rapport du Service d’Etudes sur les Transports ; les Routes et leurs Aménagements, SETRA, Ministère de l’écologie, Décembre. INSEE (2005), Les acteurs du commerce électronique, B. Ballet et J.-B. Berry, INSEE Première, n° 999, janvier. Isaac H. et Volle P. (2008), E-commerce : De la stratégie à la mise en oeuvre opérationnelle, Pearson Education, Paris. Karayan R. (2008), Logistique : comment combiner développement durable et réduction des coûts, L’Usine Nouvelle, 05 juin. Kull T.J., Boyer K. et Calantone R. (2007), Last mile supply chain efficiency: an analysis of learning curves in online ordering, International Journal of Operations & Production Management, vol 27, n° 4, pp 409-434. Lehu J.-M. (2008), Aux sources du e-commerce de grande distribution enfin efficace et rentable - Entretien avec Eric Le Strat, Décisions Marketing, n° 49, pp 89-92. Levy J. (2000), Impacts et enjeux de la révolution numérique sur la politique d’offre des - 16 - entreprises, Revue Française de Marketing, n° 177/178, pp. 13-27. Licoppe C. (2001), Pratiques et trajectoires de la grande distribution dans le commerce électronique alimentaire sur Internet, Revue Economique, n° 52, Hors-série, octobre, Paris. LSA (2001), Libre Service Actualités, n° 1937, 28 septembre, pp. 32. Nekrassov A. (2001), La e-logistique : une logistique ordinaire avec des contraintes en plus !, Marketing Direct, 56, 01 juin. Paché G. (2002), Package de services et sites marchands du commerce électronique - une dimension logistique sur-estimée ?, Revue Française de Marketing, vol 88, n° 2002/3, pp 91-101. Picot-Coupey K., Cliquet G. et Petr C. (2010), Hypermarché, cybermarché et courses alimentaires : quels projets d’usage pour les consommateurs, 9th International Conference Marketing Trends, Venice, 21 janvier. Poirel C. et Bonet-Fernandez D. (2008), La stratégie de distribution multiple : à la recherche de synergies entre canal physique et canal virtuel, Revue Française de Gestion, n° 182, Raijas A. (2002), The consumer benefits and problems in the electronic grocery store, Journal of Retailing and Consumer Services, n° 9, pp. 107-113. Ranvier M. et Sury R. (2009), La vente de produits alimentaires sur Internet : un état des lieux en 2009, CREDOC, Cahier de recherche n° 262. Reboul P. et Xardel D. (1997), Le commerce électronique, techniques et enjeux, Eyrolles, Paris. Tordjman A. (1983), Stratégies de concurrence dans le commerce, Editions d’organisation, Paris. Yin R. K. (2002), Case Study Research : Design and methods, 3ème édition, Applied Social Research Methods Series, vol 5, Sage publications, California. - 17 -