Les modes de scrutin en Afrique francophone

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Les modes de scrutin en Afrique francophone
Les modes de scrutin
en Afrique francophone
ATA MESSAN AJAVON
Professeur de Droit à l’Université du Bénin
Ancien Député
Le phénomène de l’organisation d’élections libres, transparentes et démocratiques est en train de s’imposer
timidement, mais fermement sur le continent africain, notamment en Afrique francophone. Les modes de scrutin
sont les techniques utilisées pour connaître les résultats des votes et déterminer les élus. Ils sont variés.
Traditionnellement, on les regroupe en scrutin majoritaire et en scrutin proportionnel. Pour certaines élections, on
trouve parfois la combinaison de ces deux modes de scrutin ; ces systèmes sont appelés scrutins mixtes ou hybrides.
En Afrique francophone, on retrouve ces différentes méthodes.
I.– LE SCRUTIN MAJORITAIRE
Le scrutin majoritaire peut être à un ou à deux tours ; il est uninominal ou de liste. Pour le référendum, une
seule formule est utilisée : c’est le scrutin majoritaire à un tour. Dans ce cas, la majorité est toujours absolue.
A.– Le scrutin uninominal
Avec ce mode de scrutin, chaque circonscription électorale élit un seul représentant.
En Afrique francophone, les régimes politiques constitutionnels instaurés sont de type présidentiel, semi-présidentiel ou présidentiel déconcentré.
Le régime présidentiel se rencontre au Bénin (Constitution du 11 décembre 1990), en Côte d’Ivoire (Constitution
du 3 novembre 1960 modifiée en 1963, 1975, 1980, 1985, 1986 et 1990 et en vigueur jusqu’au coup d’État du 24
décembre 1999), en République Arabe d’Égypte (Constitution du 22 mai 1980), en République du Sénégal
(Constitution du 7 mars 1963, modifiée en 1967, 1968, 1970, 1976, 1978, 1981, 1983, 1984, 1991 et 1992), à
Djibouti (Constitution du 15 septembre 1992), etc.
Quant aux régimes semi-présidentiels et présidentiels déconcentrés, ils sont mis en œuvre à Madagascar
(Constitution de 1992), au Niger (Constitution de 1999), au Tchad (Constitution d’avril 1996), au Togo (Constitution
du 14 octobre 1992), au Gabon (Constitution du 26 mars 1991), au Burkina Faso (Constitution du 11 juin 1991),
au Mali (Constitution du 25 février 1992), etc.
À l’exception du Cameroun, quel que soit le régime politique adopté, le président de la République est invariablement élu au suffrage universel direct et au scrutin uninominal à deux tours. L’élection a lieu, au premier tour,
à la majorité absolue des suffrages exprimés. Si celle-ci n’est pas obtenue, il est procédé à un deuxième tour de
scrutin auquel ne peuvent se présenter que les deux candidats arrivés en tête lors du premier tour.
Au Cameroun, le président de la République est élu au scrutin uninominal à un seul tour.
Le scrutin uninominal à un tour, s’il peut paraître d’application simple, d’effet distordant très limité si le nombre
de candidats est réduit, est celui qui présente le plus d’inconvénients. Ce mode de scrutin permet au candidat qui
a dépassé ses concurrents, ne fût-ce que d’une seule voix, d’être élu.
La majorité relative peut conduire à l’élection d’un président ou d’un député par une minorité de corps électoral. Il suffit que cette minorité soit supérieure à toute autre.
En Grande-Bretagne et aux États-Unis d’Amérique, l’utilisation de ce mode de scrutin a pour effets, au niveau
du parlement, la sur-représentation de la majorité et, par voie de conséquence, la sous-représentation de la minorité, ce qui induit l’instauration de fait du bipartisme et la formation d’une majorité cohérente et forte. La conjugaison de ses effets conduit à l’alternance des partis politiques au pouvoir.
En Afrique, l’utilisation du scrutin uninominal à un tour dans des sociétés dominées par le phénomène ethnique ou régional pourra entraîner l’élection d’un président de la République, d’un député, voire d’un parlement
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entier par une minorité de ses composantes. Il suffit de se référer aux violences et aux débordements que peuvent
engendrer les antagonismes ethniques sur le continent pour déconseiller l’adoption d’un tel mode de scrutin.
Quant au scrutin uninominal à deux tours, il permet, au second tour, le regroupement des candidats par tendance ou par sensibilité politique. Lorsqu’une société africaine en mutation est en période d’alternance politique,
le scrutin uninominal à deux tours est le mieux indiqué dans la mesure où les chefs des partis politiques d’opposition qui se battent pour le changement démocratique n’arrivent presque jamais à s’entendre pour désigner un candidat à opposer au candidat de l’ordre ancien. Telle fut la situation qui a prévalu lors des élections présidentielles
de l’ère pré-démocratique. Par contre, le regroupement, au second tour, derrière le candidat le mieux placé de l’opposition, a permis d’obtenir l’alternance. Nous pouvons citer, entre autres, les exemples du Bénin en 1991 et en
1996, de la République centrafricaine en 1992. Le cas le plus significatif est celui de la dernière élection présidentielle sénégalaise de mars 2000.
Le scrutin uninominal à deux tours assorti parfois de quelques variantes, est celui que les constituants et les
législateurs africains choisissent généralement pour l’élection de leurs députés.
Dans presque tous les cas, il est prévu, comme pour l’élection du président de la République, que seuls les deux
candidats ayant recueilli le plus grand nombre de suffrages au premier tour peuvent se présenter au second tour du
scrutin.
Une particularité est apportée par l’article 142 de la loi n° 98.004 portant code électoral de la République centrafricaine. Cet article prescrit, en son alinéa 3 qu’au cas où aucun candidat n’aurait obtenu la majorité absolue
pour être élu au premier tour, tous les candidats ayant obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés peuvent de
nouveau se présenter au second tour. Il s’agit d’éviter qu’un candidat ne soit élu que grâce à une très forte proportion d’abstentionnistes.
Cette particularité, si elle peut avoir pour inconvénient de faire élire un candidat à la majorité relative, a l’avantage, en retour, d’éviter la bipolarisation du paysage politique souvent empreint de manichéisme. Elle pourrait permettre la dédramatisation du jeu politique sur le continent.
Le scrutin uninominal majoritaire à deux tours présente l’inconvénient majeur de favoriser la bipolarisation
des forces politiques et le manichéisme qui pourrait en découler. En effet, le second tour de scrutin est un scrutin
d’élimination dans la mesure où il est très rare d’obtenir la majorité absolue au premier tour. Dans ces conditions,
l’électeur vote utile au second tour.
L’adoption d’un tel système consolide sans aucun doute le multipartisme au niveau de l’État. Au second tour,
des regroupements s’opèrent et des alliances se négocient. Il s’agit d’un scrutin qui favorise la mise en place de
gouvernements de coalition, phénomène très souhaitable en Afrique. L’élection présidentielle sénégalaise de mars
2000 constitue une belle illustration de cette démonstration.
B.– Le scrutin de liste majoritaire
Il s’agit d’un scrutin apparemment simple à mettre en œuvre. En effet, avec ce mode de scrutin, la victoire est
donnée à la liste qui a obtenu le plus de suffrages. Cependant, ce mode de scrutin est le plus injuste, il permet parfois une caricature du corps électoral par l’élimination d’une partie des tendances politiques, voire l’exclusion
totale de l’Assemblée nationale, de toute opposition ou d’une partie du paysage régional ou ethnique du pays. Il
en a été ainsi à Djibouti lors des élections législatives de décembre 1992, où l’application du scrutin de liste majoritaire, telle que prévue par la loi organique n° 1/AN/92 relative aux élections, avait eu pour effet la composition
monopartite de l’Assemblée nationale.
Nous nous permettons de déconseiller vigoureusement l’adoption de ce mode scrutin.
II.– LA REPRÉSENTATION PROPORTIONNELLE (R.P.)
Elle fonctionne avec le scrutin de liste. Elle a l’avantage considérable d’être d’un coût relativement peu élevé
par rapport au scrutin uninominal à deux tours, dans la mesure où d’une part, comme le scrutin majoritaire à un
tour, le vote ne dure qu’un seul jour et où d’autre part, s’agissant d’un scrutin de liste, il n’est élaboré qu’un seul
bulletin de vote par département ou par commune selon le cas.
Le fondement de la représentation proportionnelle est la recherche d’une représentation exacte de tout le corps
électoral. Autrement dit, avec cette méthode, les minorités politiques, voire ethniques ou régionales ont des chances
d’être représentées. Au regard des sociétés africaines pluri-ethniques, cet avantage fondamental est de nature à
favoriser l’adoption de cette modalité de scrutin.
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Symposium international de Bamako
Malheureusement, l’inconvénient d’un tel système est l’émergence d’une multitude de partis politiques à
coloration fortement régionale et pire, clanique, ethnique ou tribale, à moins que le constituant ou le législateur
n’assortisse la création des partis politiques à certaines conditions de nature à limiter les tendances naturelles
aux regroupements par des affinités autres que politiques.
Il en est ainsi des dispositions de la loi n° 1/AN/92 – 2ème L relative aux partis politiques en République de
Djibouti. L’article 4 de ladite loi prescrit que le nombre de membres fondateurs d’un parti politique ne doit pas
être inférieur à 3 membres par district, dont 18 pour le district de Djibouti, soit 30 membres pour la République.
La loi dispose en outre que chaque composante de la communauté nationale doit être représentée parmi les fondateurs.
Il en est de même au Togo où la loi n° 91-4 du 12 avril 1991 portant charte des partis politiques, en son
article 11, dispose que les fondateurs des partis politiques, au minimum au nombre de trente, doivent être originaires des deux tiers au moins des trente préfectures (départements) que comporte la carte administrative du
pays.
L’utilisation de la représentation proportionnelle est, dans certains États africains, prévue aussi bien pour
les élections législatives que pour les élections locales ; dans d’autres États, la loi ne la prescrit que pour les
seules élections locales. La tendance dans les pays francophones du continent est son adoption pour lesdites
élections.
A.– Représentation proportionnelle et élections législatives
La R.P. est adoptée par un certain nombre d’États pour le choix des députés. Il en est ainsi au Bénin où la
loi n° 94-015 du 27 janvier 1995 définissant les règles particulières pour l’élection des membres de l’Assemblée
nationale prévoit l’élection des députés au scrutin de liste proportionnelle pour un mandat de quatre ans.
Au Burkina Faso, l’article 112 de la loi n° 003/97/ADP du 12 février 1997 portant code électoral prescrit
l’élection des députés au « scrutin de liste provincial, au suffrage universel direct, à la représentation proportionnelle. »
L’élection des députés à la représentation proportionnelle est également prévue à Madagascar (article 66 de
la constitution) et au Bénin (loi n° 94-013 du 17 janvier 1995).
Au Niger et au Bénin, la R.P. est appliquée selon la règle du plus fort reste alors qu’au Burkina Faso, la
répartition des restes s’effectue suivant la règle de la plus forte moyenne (article 112 de la loi du 12 février
1997). La règle du plus fort reste favorise les plus petits partis politiques alors que celle de la plus forte moyenne
favorise les plus grands partis.
L’utilisation de la R.P. pour les élections législatives permet à tous les partis politiques, même les plus petits,
d’espérer avoir ne serait-ce qu’un siège au parlement pour le chef du parti. Cependant il a pour inconvénient
principal d’entraîner l’émiettement des forces politiques à l’Assemblée nationale et à la précarité des majorités
parlementaires et, par-delà, du gouvernement. Néanmoins, tout dépend du régime politique adopté.
Les risques d’instabilité gouvernementale sont réels en régime semi-présidentiel et surtout en régime parlementaire. Par contre, en régime présidentiel, la stabilité gouvernementale est assurée pendant la durée du mandat présidentiel. Toutefois, il est grand le risque d’une dérive vers l’exercice solitaire du pouvoir qui aboutit au
présidentialisme primaire, voie auguste vers le monolithisme et vers la dictature, lorsque le parlement ne peut
constituer le contrepoids indispensable à l’instauration d’un régime démocratique pluraliste véritable.
En Afrique, en régime semi-présidentiel et présidentiel, la « présidence impériale » s’inscrit dans une perspective de concentration des pouvoirs au profit du chef de l’État. Dans ces conditions, que vaut une Assemblée
nationale devant un président de la République élu au suffrage universel, imbu de sa personne et ayant des velléités dictatoriales ?
La situation créée au Bénin par la combinaison du scrutin proportionnel au régime présidentiel est des plus
heureuses et constitue l’exception qui confirme la règle.
Les conditions exceptionnelles qui ont présidé à l’instauration d’un régime pluraliste au Bénin et l’absence
d’une majorité parlementaire soutenant l’action du président de la République du fait de la mise en œuvre de la
représentation proportionnelle pour l’élection des députés ont, sans aucun doute, favorisé l’émergence d’un véritable équilibre des pouvoirs.
Plus que l’élection des députés, la désignation des membres des assemblées locales est le domaine de référence du scrutin de liste à la représentation proportionnelle.
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B.– Représentation proportionnelle et élections locales
La circonscription électorale est la préfecture (loi du 5 avril 2000 portant code électoral au Togo), le département et le secteur (loi du 12 février 1997 portant code électoral au Burkina Faso), l’arrondissement (ordonnance
du 16 avril 1996 portant code électoral au Niger) et la commune.
À l’exception du Royaume du Maroc où la loi n° 12-92 relative à l’établissement et à la révision des listes électorales générales et à l’organisation des élections des conseils municipaux adopte le scrutin uninominal à un tour
et de la République centrafricaine où les membres de l'Assemblée régionale sont élus au scrutin uninominal à deux
tours, nous retrouvons les mêmes dispositions sur l’élection des Assemblés locales au scrutin de liste proportionnelle dans la quasi-totalité des États francophones d’Afrique. Il en est ainsi au Togo (articles 214 et 243 de la loi
n° 2 000-007 du 5 avril 2 000 portant code électoral), au Mali (loi du 14 janvier 1997 portant loi électorale), au
Burkina Faso (loi du 12 février 1997) et au Niger (ordonnance du 16 avril 1996) etc.
La gestion des affaires locales doit pouvoir mobiliser toutes les ressources disponibles et toutes les énergies.
C’est pourquoi la représentation proportionnelle constitue le mode de scrutin par excellence des élections locales.
III.– LE SCRUTIN MIXTE
Il consiste à rechercher à apporter des correctifs majoritaires au fonctionnement de la R.P. C’est le système utilisé en Allemagne où, à l’issue des élections législatives, le nombre de sièges à pourvoir est divisé en deux parts ;
une part est pourvue d’après un scrutin majoritaire à un tour au niveau des circonscriptions électorales et l’autre,
d’après la R.P. au niveau des länders.
En République centrafricaine, l’article 194 du code électoral prévoit l’élection des conseillers municipaux au
scrutin de liste « majoritaire-proportionnelle ».
La première phase de répartition de sièges concerne uniquement la liste de candidats arrivée en tête des élections qui se voit attribuer le nombre de sièges au prorata des suffrages obtenus.
La seconde phase consiste à répartir les sièges restants entre toutes les listes, y compris celle arrivée en tête
des élections, proportionnellement aux résultats obtenus. La répartition des suffrages inemployés se fait selon le
système du plus fort reste.
Le choix d’un système électoral n’est jamais innocent. Entre un scrutin majoritaire injuste, conduisant à la
bipolarisation et à l’exclusion et un scrutin proportionnel juste mais émiettant les forces politiques et sociales, le
débat est largement ouvert.

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