Texte 7: Le portrait de Dom Juan par Sganarelle, I, 1.

Transcription

Texte 7: Le portrait de Dom Juan par Sganarelle, I, 1.
Eléments pour l’introduction.
Don Juan a été écrit par Molière en 1665, assez rapidement, pour permettre à la troupe de jouer, car
Tartuffe venait d’être censuré. Nous sommes au tout début de la pièce, et personnage éponyme nous
est présenté par son valet, Sganarelle, personnage comique, qui s’adresse à Gusman, valet de Don
Elvire, qui, d’après le début de la scène, a été abandonnée par Don Juan, alors que celui-ci l’avait sortie
d’un couvent et épousée.
Il s’agit d’un portrait péjoratif, mais qui reste ambigu, car il est aussi comique. Nous allons en étudier
les enjeux.
– Un portrait de libertin
Ce portrait est destiné à Gusman et en fait au spectateur. C’est la présentation du personnage
éponyme de la pièce. Sganarelle lui même utilise la métaphore picturale : « ce n’est là qu’une ébauche
du personnage, et pour en achever le portrait, il faudrait bien d’autres coups de pinceau. »
Libertinage de moeurs
Sganarelle insiste sur l’animalité de son maître : « un enragé, un chien… qui passe cette vie en
véritable bête brute, un pourceau d’Epicure ». Et sur son caractère criminelle « le plus grand scélérat
que la terre ait jamais porté. » On peut noter ici l’hyperbole et l’énumération, procédés d’insistance.
Sganarelle reproche au personnage d’être « un épouseur à toutes mains. ». Le suffixe –eur donne
l’impression qu’il s’agit d’un métier. Il peut épouser même des êtres non humains « chien, chat. » Il ne
s’intéresse pas non plus au statut social de ses victimes tel que le prouve une autre énumération :
« dame, demoiselles, bourgeoises, paysannes. »
Libertinage de pensée
Il montre aussi son impiété : « un diable, in turc, un hérétique, qui ne croit… » Sganarelle profère ses
insultes sur un mode hyperbolique, il multiplie les propositions relatives « qui ne croit, qui passe, qui
ferme l’oreille » sur un rythme ternaire (par trois) ce qui donne à son discours de l’ampleur.
Sganarelle reproche à Dom juan de ne pas respecter les croyances et les sacrements. La critique
s’appuie sur religion. Moralité de la foi et du respect des sacrements. Mais aussi sur la superstition
« loup garou. » Et la crainte du « courroux du ciel. »
Transition : il s’agit d’un portrait noir destiné à surprendre « tu demeures surpris et changes de
couleur à ce discours. » Il fait de Dom Juan un personnage très négatif associant pouvoir et mal : « un
grand seigneur méchant homme ». Mais ce portrait nous en apprend autant sur Sganarelle et sur son
système de valeur.
– Le personnage de Sganarelle.
Sganarelle laisse libre cours à sa rancœur, il se laisse à dire ce qu’il pense en l’absence de son
maître, « je t’ai fait cette confidence avec franchise. » Mais il éprouve surtout de la crainte: « La crainte
en moi fait l’office du Zèle. S’il fallait qu’il en vint quelque chose à ses oreilles. » Il n’a pas le courage de ses
opinions. Cette lâcheté est aussi manifeste dans la superstition dont il fait preuve : il croit au « loupgarou »
Tout d’abord l’éloquence de Sganarelle est inhabituelle chez un valet : cela nous montre qu’il
essaye d’imiter son maître. Il utilise des références culturelles « Epicure, Sardanapale ». D’autre part il
connaît son maître depuis longtemps « si je te disais le nom de toutes celles qu’il a épousées en divers
lieux… »
Cette expression montre aussi une forme d’admiration. Il est scandalisé par l’attitude
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Première
Texte 7: Le portrait de Dom Juan par Sganarelle, I, 1.
Transition : Sganarelle entretient avec son maître une relation complexe. Il est lâche et
superstitieux, mais en même temps fasciné. Ce n’est pas un personnage valorisé. Le jugement qu’il
porte sur Dom juan perd de sa crédibilité, et rend la tirade ambiguë.
– Une tirade comique ambigüe
Le spectateur n’est pas persuadé de la culpabilité de Dom Juan. Les insultes proférés par
Sganarelle sont exagérées. Il mélange des éléments qui n’on rien à voir : « ciel, enfer, loup-garou ».
Certaines expressions sont très maladroites et peu élégantes : « il aurait encore épousé toi, son chien
et son chat. » « rien de trop chaud ni trop froid ». L’ensemble du portrait est ridiculement
hyperbolique: « le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté », « chapitre à durer jusqu’au soir ».
L’attention du lecteur est détournée par comique de certaines réflexions de Sganarelle. Par ses
maladresses d’expression. Sganarelle est le garant de la morale mais en même temps c’est un
personnage ridicule. Ses informations ne sont pas entièrement crédibles. Et par là le personnage de
Dom Juan n’est pas dévalorisé. C’est pourquoi les dévots ont pu attaquer Molière, car il ne présentait
pas dans sa pièce un garant de la morale suffisamment sérieux.
– Comparaison des deux mises en scène. (source zerodeconduite.net)
Bluwal 1965 - Mesguich 2003
Les deux interprétations sont très différentes.
Celle de Bluwal est sombre et épurée, celle de Mesguich foisonnante et burlesque.
La scénographie choisie par Daniel Mesguich se singularise par la présence à l’acte I d’une série de
statues de femmes nues figées dans des poses sensuelles. Apportées sur scène par les régisseursdéménageurs, elles sont l’objet de jeux de scène comiques de la part de Sganarelle et Gusman qui les
observent avec des regards concupiscents et osent à peine les épousseter. Leur symbolique est
double : elles figurent à la fois la fascination de Don Juan pour les femmes, son goût pour la sensualité,
mais elles incarnent aussi ses multiples conquêtes, victimes qui restent comme pétrifiées après leur
abandon. Placé dans la salle, Sganarelle brise d’emblée la convention du quatrième mur, s’adressant
ouvertement au public . La scénographie participe également de ce jeu sur le théâtre dans le théâtre :
des déménageurs/régisseurs installent le décor tandis que Gusman et Sganarelle poursuivent leur
dialogue ; cela vient rappeler le double sens de l’éloge du tabac, qui est dans doute l’éloge du théâtre.
Gusman et Sganarelle jouent sans cesse sur la présence explicite du public, notamment en se cachant
derrière une statue pour éviter d’être entendus. Tous ces éléments détruisent l’illusion théâtrale et
rappellent au spectateur les conditions de représentation dans lesquelles il se trouve. Ces effets nous
invitent à réfléchir à tout ce qui a trait aux apparences, au jeu et à la comédie dans la pièce.
Cette première scène est d’emblée placée par la mise en scène sous le signe d’une tonalité farcesque.
Les jeux de scène muets des deux comédiens qui incarnent Sganarelle et Gusman contribuent à la
créer. Les deux hommes se livrent en effet à un véritable numéro de clowns : adresses au public,
ridicule des deux tenues identiques, jeu sur l’impossibilité d’ôter leur bonnet, autodérision sur leur
calvitie, interruptions, bruitages comiques et expressifs, contraste de taille et de corpulence, affolement
devant la nudité des statues, etc. Ainsi augmentée de tous ces jeux de scènes comiques, la scène en
vient à durer 11 minutes !
Au contraire, les parti-pris de Bluwal sont très différents. Le film s’ouvre sur le requiem de Mozart et
d’entrée de jeu, c’est la tonalité tragique qui est mise en avant. Le décor, un manoir 19ème, joue plutôt
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Première
de son maître et en même temps fasciné : « applaudir à ce que mon âme déteste » l’opposition dans
cette expression montre bien les contradictions du personnage.
Texte 8: la scène du pauvre, III,2.
Eléments pour l’introduction
Présentation de la pièce (voir introduction précédente)
Situation. Au début de l’acte, Dom Juan et Sganarelle sont travestis : Dom Juan porte un habit de
campagne et Sganarelle est déguisé en médecin. Ils fuient dans la forêt face aux frères d’Elvire. Dans la
scène précédente, les deux personnages ont dialogué à propos de leur croyance. Dom Juan refuse de
débattre avec Sganarelle si bien que le dialogue tourne court. Il rencontre alors un pauvre,
personnage anonyme et symbolique qui incarne la religion contemplative.
La scène a été en partie censurée à l’époque de Molière. En effet elle est directement liée avec la
profession de foi matérialiste que Dom Juan a faite dans la scène précédente. (je crois que deux et
deux font quatre)
En quoi cette scène est-elle subversive?
– Le thème de l’échange.
Scène qui progresse en trois étapes : refus de l’échange, échange raillé, et proposition d’un
nouvel échange.
Refus de l’échange:
Sganarelle demande sa route au pauvre sur le mode impératif, sans formule de politesse.
Celui-ci répond aussitôt et ajoute des informations : « je vous donne avis… » ce conseil se présente
comme un don gratuit. Réponse de Dom Juan contient des formules de politesse « être son obligé,
mon ami, te rends grâce ». En échange du conseil, Dom Juan donne des paroles. Et il feint d’ignorer que
ses paroles l’engagent.
A la demande d’aumône du pauvre Dom Juan répond par le rire. « Ton avis est intéressé » il
feint d’ignorer les lois de l’aumône, comme si le pauvre agissait par pur intérêt. (aumône : échange de
bien spirituel contre bien matériel)
Le refus de l’échange est explicite dans les répliques qui suivent : « prier le ciel qu’il vous donne/
prie-le qu’il te donne… » à l’échange généreux proposé, Dom Juan oppose l’individualisme « sans te
mettre en peine des affaires des autres ».
L’échange raillé:
La question de Dom Juan relance le dialogue « quelle est ton occupation. » Demande
d’informations qui sont en fait destinées à alimenter la moquerie. Dom Juan se moque du système de
l’aumône en y appliquant un raisonnement rationnel et ironique : « il ne se peut donc pas que tu ne
sois bien à ton aise ». La probabilité est niée « ne se peut. » Par là Dom Juan veut montrer au pauvre
qu’il s’agit d’un mauvais échange. Le pauvre, qui est naïf, répond aussitôt. Opposition « aise/nécessité. »
Dom Juan continue son raisonnement « un homme qui prie… » on note le présent de vérité générale
et l’article indéfini un pour donner à son raisonnement la forme d’une loi générale.
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sur le réalisme et rappelle d’entrée de jeu le statut social du « grand seigneur méchant homme ». Le
statut de Valet de Sganarelle est rappelé par ses activités: il range les affaires de son maître, dans ce
qu’on imagine être sa chambre. La tonalité est assez peu comique, et on perçoit plutôt l’embarras du
personnage face à la « scélératesse » de son maître, ainsi que sa lâcheté, la fin de la scène donnant
lieu à une longue fuite des valets dans les couloirs et escaliers du manoir.
Voir l’interview de Bluwal http://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu05418/interview-de-marcelbluwal-sur-son-adaptation-de-dom-juan.html
Le thème de l’échange rythme la scène et exprime l’évolution de la position de Dom Juan. Dialogue
entre les deux personnages mais échange impossible. Scène qui dérangeait parce que portée
symbolique importante
– Une scène symbolique.
Scène centrale de la pièce qui vient juste après profession de foi matérialiste du personnage.
Scène qui apparaît comme la mise en scène symbolique de cette profession de foi. Scène à portée
suffisamment importante pour être censurée.
Deux personnages aux systèmes de valeur opposés:
Le pauvre symbolise la spiritualité : « je suis un pauvre homme, retiré tout seul… » isolement,
refus des biens du monde. Il est altruiste « prier le Ciel qu’il vous donne toute sorte de biens, » renvoie
aux biens spirituels. Dom Juan symbolise le matérialisme : il s’occupe de bien matériel « il te donne un
habit, … bien à ton aise, bien dans ses affaires ». Il est individualiste : il refuse le système de l’aumône,
sans en reconnaître l’essence spirituelle, mais en la réduisant à un gain personnel.
Dom Juan figure du tentateur:
Si la position de Dom Juan est claire dans la scène précédente, elle n’est cependant pas mise
en valeur. On remarque que Dom Juan évite le débat avec Sganarelle et s’exprime peu. Dans cette
scène sa position est affirmée avec beaucoup plus de force. Non seulement il est le représentant du
matérialisme, mais il se fait aussi figure de tentateur. Dans les Evangiles, Jésus dans le désert est tenté
par le diable qui lui montre son royaume. C’est ce que fait Dom Juan ici, il tente le pauvre, lui montre
la pièce et va jusqu’à lui tendre, comme l’expriment les didascalies internes aux répliques. La répétition
des impératifs « prends, il faut jurer, jure… », les répliques de plus en plus courtes, montrent bien la
pression presque violente qu’il exerce sur le pauvre. (Violence qui pourra être rendue par la mise en
scène). Le caractère diabolique du personnage est aussi exprimé par ses rires. (rires sataniques).
Conclusion : cette scène nous présente donc la cruauté de Dom Juan à l’œuvre. Mais sa
tentative d’acheter la spiritualité par de l’argent échoue. C’est d’ailleurs la première défaite de Dom
juan dans la pièce, qui marque le début du déclin. Pourtant le personnage ici encore reste ambigu,
puisqu’il fait preuve de générosité et d’une certaine grandeur d’âme à la fin de la scène. Il n’est donc
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La foi du pauvre n’est pas ébranlée : il continue de répondre naïvement avec une image assez
réaliste et frappante « un morceau de pain à mettre sous les dents. » Dom Juan veut nier la dimension
spirituelle de cet échange, il rapporte tout au matérialisme avec ironie « voilà qui est étrange +rire, »
mais le pauvre ne cède pas.
Un nouvel échange:
Dom juan propose un nouvel échange. Echange formulé comme une promesse (construction
aller +infinitif) de don (« te donner ») avec une condition « pourvu que. » Echange qui est en fait un
chantage, qui met en balance le matériel (« louis d’or ») et le spirituel (« jurer »). Chantage qui
provoque l’indignation du pauvre qui met en valeur le rôle de Dom Juan « voudriez vous…(/que tu
veuilles » ) et rappelle sa supériorité sociale « monsieur ». Dom Juan accentue la tentation en
l’associant à l’exhibition « en voici un que je te donne » (présent, immédiateté) accentué ensuite par
l’impératif « prends » (toucher). Chantage dont Sganarelle se fait le complice « va, va… »
Refus catégorique du pauvre « non », qui entraîne revirement de Dom Juan. « Je te le donne
pour l’amour de l’humanité » (formule qui s’oppose à « pour l’amour de Dieu »). Renversement repris
par affirmation de valeur guerrière et aristocratique « la partie est trop inégale, et je ne dois pas souffrir
cette lâcheté.
Comparaison de mise en scène
Chez Bluwal: supériorité de Dom Juan qui est à cheval. Violence et cynisme du personnage.
Chez Mesguich: provocation, DJ est habillé en prêtre (et Sganarelle en infirmière!), et le pauvre n’est
pas en position d’infériorité. Le rapport de force est très différent et Dom Juan semble ébranlé par
son refus. C’est le seul personnage qui semble faire fléchir Dom Juan et susciter son respect.
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pas possible de le condamner complètement ce qui rend le personnage beaucoup plus subversif et
peut expliquer les déboires de Molière avec les Dévots.