L`innovation et l`apprentissage dans les chaînes de valeur

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L`innovation et l`apprentissage dans les chaînes de valeur
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L’innovation et
l’apprentissage dans
les chaînes de valeur
mondiales
chaîne (augmentation plus rapide des stocks, diminution
des rebuts) qu’entre eux (livraisons plus fréquentes, plus
réduites et plus ponctuelles).
L
ES CHAÎNES DE VALEUR MONDIALES, QUI REGROUPENT FONCTIONS,
procédés et pays, constituent pour les entreprises et
les pays un moyen d’accélérer leur développement et
offrent des ouvertures que les entreprises de ces pays peuvent
exploiter pour renforcer leurs capacités. Pour elles, ou pour
les groupes locaux d’entreprises, l’important est de s’intégrer
à des réseaux plus larges. Il faut pour cela faire preuve de discipline afin d’atteindre le niveau des normes mondiales. Cela
exige également une base initiale de capacités technologiques constituées grâce à une innovation délibérée et à
l’apprentissage. Mais le jeu doit en valoir la chandelle, car
c’est ainsi que l’on peut avoir accès aux marchés et connaître
les acteurs sur la scène économique mondiale.
● L’innovation dans les produits, qui se traduit par des
produits de meilleure qualité, moins chers et plus différenciés ainsi que par un lancement plus rapide des nouveaux produits.
● L’innovation fonctionnelle, qui consiste à assumer la responsabilité de nouvelles activités à l’intérieur de la chaîne
de valeur mondiale, par exemple en les élargissant de la
fabrication sous traitance à la conception et à la commercialisation ou en intégrant la logistique aux activités
sous-traitées.
L’avantage des chaînes de valeur mondiales est que les entreprises peuvent s’y intégrer à leur niveau de compétences technologiques. Au Mexique, les fabricants d’habillement étaient
intégrés verticalement au sein de réseaux de fournisseurs qui
n’offraient guère de possibilités d’innovation ou de perfectionnement des compétences. Avec l’entrée en vigueur de
l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), cependant, des groupes d’acheteurs américains ont commencé à
créer d’autres chaînes de valeur mondiales offrant aux
entreprises de beaucoup plus grandes possibilités d’élargir
leurs responsabilités fonctionnelles (d’un simple assemblage
à la conception et à la fabrication). Tel avait également été le
cas, quelques dizaines d’années plus tôt, lorsque les entreprises travaillant sous contrat pour fabriquer des articles
électroniques et des vêtements, dans l’est de l’Asie, ont
grimpé l’échelle des capacités pour atteindre des niveaux
toujours plus élevés dans les chaînes de valeur mondiales.
● L’innovation à l’intérieur de la chaîne, consistant à passer
à des chaînes nouvelles et plus rentables. C’est ainsi que
les entreprises de la province chinoise de Taiwan sont
passées de la fabrication de radios à transistors à celle
de calculatrices, de télévisions, d’écrans d’ordinateur,
d’ordinateurs portables et maintenant de téléphones
WAP.
Quelques entreprises s’intègrent même à plusieurs chaînes de
valeur mondiales, ce qui leur offre des possibilités encore
meilleures d’établir des liens avec les entreprises locales qui
en font partie (encadré 6.1). Ces entreprises — et celles
auxquelles elles sont liées dans les chaînes d’approvisionnement — peuvent ainsi atteindre des niveaux toujours plus
élevés de performance et de qualité donnant ainsi un élan
constamment renouvelé au développement collectif de
l’industrie.
L’intégration à une chaîne de valeur mondiale peut constituer
la base de l’innovation industrielle et de l’apprentissage dont
il est question au chapitre 5. Pour y parvenir, on peut suivre
plusieurs voies:
L’apprentissage industriel est un processus lent et ardu et
ne comporte pas de raccourci ni de solution magique.
Les chaînes de valeur mondiales offrent une possibilité
commode de le mener à bien, mais elles ne sont en réalité
qu’un point de départ pour l’effort technologique de
l’entreprise.
● L’innovation dans les procédés, qui améliore l’efficience
avec laquelle les intrants sont transformés en produits. Les
procédés internes s’améliorent beaucoup plus que ceux
des concurrents, aussi bien à l’intérieur des maillons de la
119
Encadré 6.1
Passer en tête ... des chaînes de valeur
mondiales
Figure 6.1
Élimination et recyclage
Le groupe Ammar et Sarah, fondé en 1982, est devenu en 1988 le
premier groupe pakistanais de bonneterie industrielle grâce aux rapports noués avec un acheteur mondial — et une chaîne mondiale de
valeur dirigée par des producteurs — et à sa volonté de rester à la
pointe des technologies de fabrication et de gestion. Sa gamme de
produits comprend aujourd’hui des vêtements tricotés en coton, avec
et sans Lycra, dans des finitions très diverses, pour hommes, femmes,
garçonnets et fillettes.
Pour Ammar et Sarah, la clef du succès a été l’utilisation des technologies assistées par ordinateur les plus avancées, qui lui ont permis
d’obtenir des contrats d’acheteurs et de fabricants de réputation
internationale. Ces technologies, qu’il s’agisse de lavage, de teinture,
de coupe, de tricotage ou de couture, lui donnent une très grande
flexibilité et lui permettent de remplir les commandes dans un délai
de 45 à 75 jours (contre une saison tout entière pour les entreprises
traditionnelles). Les principaux clients de l’entreprise sont tous des
acheteurs au niveau mondial (Target, Arrow, Nautica, Haggar, Eddie
Bauer, Vantage, Timberland, Alexander Julian Colors, Land Rover,
Tommy Hilfiger, Nike et Damani Dada) ou des fabricant, d’envergure
mondiale comme Levi Strauss et Sarah Lee.
Quel est l’attrait d’Ammar et Sarah? L’entreprise peut exploiter de
faibles coûts de main-d’œuvre et d’infrastructure (aussi longtemps
que la situation durera) et peut acheter le matériel techniquement le
plus avancé pour pouvoir ainsi fournir des services de fabrication
souples et de haute qualité. En outre, l’esprit d’entreprise de ses fondateurs, enrichi par des études d’administration des affaires à
l’Université de Harvard et au Massachusetts Institute of Technology
(MIT), accélère le progrès. À la différence des entreprises existantes,
l’entreprise n’a pas à traîner le boulet de technologies et pratiques
héritées d’époques révolues.
Les perspectives pour Ammar et Sarah — entreprise qui est disposée
à s’intégrer à d’autres chaînes internationales de valeur, à investir
dans le matériel plus moderne et à être compétitive sur le plan de la
qualité et de la rapidité du service plutôt que du coût — sont extrêmement prometteuses.
Source: Brochure commerciale d’Ammar et Sarah (2000).
Les maillons de la chaîne
L’image de la chaîne de valeur mondiale reflète les liens qui
existent entre les entreprises situées dans différentes régions
du monde (figure 6.1). Ces entreprises réalisent une série
d’activités successives et interdépendantes pour mener à
terme l’idée d’un produit ou d’un service, des différentes
phases de la production jusqu’à sa fourniture à l’utilisateur
final et à son élimination après utilisation. Cette image est
maintenant accompagnée par celle des réseaux de valeur
d’entreprises spécialisées, qui se présentent comme des
rayons d’une roue plutôt que comme les maillons d’une
chaîne.
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Rapport sur le développement industriel 2002/2003
Chaîne de valeur simple
Commercialisation et ventes
Fabrication
Conception et mise au
point des produits
Source: ONUDI.
Les chaînes de valeur mondiales ne sont pas seulement une
masse amorphe d’entreprises complémentaires, mais plutôt
une série structurée de réseaux interdépendants d’entreprises
reliées les unes aux autres par des interactions et des relations
multiples, c’est-à-dire un réseau mondial de relations interentreprises. L’aspect intéressant, en l’occurrence, n’est pas
seulement les entreprises, mais aussi l’évolution constante des
liens et des rapports contractuels entre elles. Les entreprises
élargissent leurs gammes de produits et s’étendent au plan
international en nouant des liens nouveaux avec les entreprises qui opèrent déjà sur les marchés mondiaux, qui sont
dominés par toute une toile de chaînes de valeur englobant
recherche-développement, production, logistique, commercialisation et échanges, tous les liens étant noués entre entreprises plutôt qu’entre pays.
La chaîne de valeur mondiale est intéressante à deux égards:
du point de vue de l’innovation et de l’apprentissage.
Premièrement, la création de valeur n’est pas limitée à la production: les produits sont lancés sur le marché au moyen
d’une combinaison d’activités, de sorte que l’innovation peut
consister à améliorer les capacités de fabrication, à mettre en
place des capacités nouvelles dans d’autres domaines
(conception et commercialisation), à diversifier la clientèle et
les débouchés, à développer les capacités de lancer de nouveaux produits sur le marché ou à imiter rapidement et avec
succès les innovateurs les plus performants.
En second lieu, il y a plus d’échanges internationaux entre
entreprises indépendantes appartenant à des réseaux ou
entre entreprises tout à fait indépendantes ou départements
d’une seule et même entreprise. Les sociétés qui occupent
les deux premiers rangs dans l’échelle de valeur mondiale
jouent un rôle majeur dans l’organisation du commerce
international: elles vont des fabricants transnationaux qui
Figure 6.2
Encadré 6.2
Liens entre les fabricants locaux et
les acheteurs mondiaux
À la fin des années 80, le groupe d’industries de la chaussure de la
Vallée de Sinos, dans le sud du Brésil, était constitué surtout de petites
entreprises qui produisaient pour le marché intérieur. Avec l’arrivée
d’acheteurs américains et sous l’effet de stimulation des initiatives
locales et des incitations à l’exportation offertes par le Gouvernement
brésilien, les caractéristiques du groupe ont commencé à changer. Les
acheteurs cherchaient des produits standard en grande quantité et
encourageaient les entreprises locales à s’agrandir rapidement. Ils
aidaient également les fournisseurs à améliorer leurs normes et la
qualité de leurs produits, tout en atténuant les risques considérables
que suppose la pénétration des marchés d’exportation. Les acheteurs
ont réalisé des études de marché, établi des modèles, défini des spécifications des produits, aidé à choisir les technologies et à organiser
la production, inspecter la qualité sur place et établi des arrangements
de transport et de paiement.
Client
mondial
Gros détaillant
disposant de multiples
points de vente
Avantages et inconvénients de
l’intégration à une chaîne de valeur
mondiale
Petit détaillant
Acheteur
(y compris acheteurs
spécialisés et sociétés
transnationales)
Les entreprises de la Vallée de Sinos s’occupent principalement de
fabriquer et d’organiser leurs propres chaînes locales d’approvisionnement, tandis que les acheteurs étaient responsables de la définition des produits (et par conséquent de l’information sur les marchés),
ainsi que de la logistique, ce qui a, d’un côté, considérablement réduit
les investissements et les risques que représente l’implantation sur les
marchés d’exportation mais a également confiné les entreprises de la
Vallée dans une gamme assez étroite d’activités. Ayant acquis une
grande compétence dans ces domaines, elles ont vu leurs exportations augmenter rapidement pendant les années 70 et 80, mais elles
sont devenues tributaires des acheteurs, ce qui est apparu clairement
lorsque des fabricants chinois ont, au début des années 90, lancé sur
le marché américain des articles moins chers que les produits
brésiliens.
Frontière nationale
Acheteur et agent
d’exportation
Clients locaux
Gros fabricants ou
fabricants à
usines multiples
Petits fabricants
Petits fabricants
Tel est l’un des dangers inhérents aux chaînes de valeur mondiales.
Les acheteurs mondiaux recherchent activement de nouvelles sources
d’approvisionnement et, pour les fournisseurs existants, il existe toujours la menace d’être remplacés. En fait, ce sont certains des mêmes
acheteurs américains qui ont aidé les entreprises chinoises à renforcer leurs capacités d’exportation, de sorte que les fabricants brésiliens
ont vu les prix de leurs produits baisser nettement en Amérique du
Nord. Cependant, on réorganisant leur production et leurs chaînes
locales d’approvisionnement, elles ont amélioré la qualité, réduit le
volume des lots et accru la rapidité de la fabrication. En fait, les acheteurs les ont aidées à adopter de nouvelles modalités de production.
Groupe local
Source: Kaplinsky et Readman (2000).
achètent leurs intrants à des fournisseurs de différentes
régions du monde aux chaînes de détaillants qui ne fabriquent
pas mais qui organisent la production dans différentes localités du globe.
L’élan qui pousse à la création de ces chaînes de valeur mondiales provient des entreprises, acheteurs ou fabricants, des
pays avancés. Mais c’est la nouvelle entreprise du pays en
développement qui doit décider de s’intégrer à ces chaînes de
valeur mondiales ou réseaux (figure 6.2). Les liens ne sont pas
seulement entre entreprises. Selon les besoins spécifiques
d’une entreprise, celle-ci pourra avoir intérêt à établir des
Néanmoins, les progrès accomplis dans le domaine de la fabrication
ne sont pas allés de pair avec une amélioration de la commercialisation, malgré les efforts déployés dans ce sens par les entreprises. Les
fabricants ont élaboré une stratégie collective afin de rehausser
l’image des produits brésiliens sur les marchés mondiaux de la chaussure, ont renforcé leurs capacités de design et ont exposé dans un
grand nombre des principales foires commerciales mondiales. Mais la
stratégie proposée n’a pas été mise en pratique, essentiellement
parce qu’un petit nombre d’exportateurs très influents ne l’ont pas
appuyée, craignant que se lancer dans le design et la commercialisation ne compromette leurs relations avec leurs principaux acheteurs
étrangers, qui absorbaient plus de 80 % de leur production et près
de 40 % de celle du groupe dans son ensemble.
Source: Schmitz (1995, 1999b).
relations avec des universités ou des institutions sans rapport
avec le marché. Les liens peuvent également être verticaux (en
amont avec des fournisseurs ou en aval avec des clients) ou
horizontaux (au sein de consortiums).
L’innovation et l’apprentissage dans les chaînes de valeur mondiales
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Les principaux éléments à prendre en considération pour
s’intégrer à la chaîne mondiale d’approvisionnement ne sont
pas seulement des réalités comme le prix, la qualité et la ponctualité, mais aussi la mesure dans laquelle l’entreprise est disposée à apprendre et à assimiler les conseils donnés par les
entreprises de premier plan. Ainsi, les chaînes de valeur mondiales peuvent libérer, mais aussi limiter, la créativité des
entreprises (encadré 6.2). Dans une perspective stratégique,
ces possibilités de liens et d’innovations apparaissent comme
des opportunités pour les entreprises et pas comme des barrières à leur développement. Dans le secteur manufacturier en
particulier, l’intégration des activités locales à des réseaux plus
larges constitue pour les pays en développement une excellente occasion d’améliorer leurs capacités.
Les types de chaînes de valeur mondiales dépendent de la
rapidité du changement, des besoins d’apprentissage, des
économies d’échelle, des coûts de transaction et de coordination, des ratios entre valeur et poids et de la logistique. Les
technologies “faciles” peuvent donner lieu à des chaînes alimentées par les acheteurs, tandis que les technologies “difficiles” exigeant une étroite coordination, des technologies
brevetées, etc., peuvent donner naissance à des chaînes mues
par les fournisseurs et coordonnées par les sociétés transnationales. Certains analystes établissent une distinction entre
les chaînes de valeur mondiales dirigées par les acheteurs et
celles dirigées par les producteurs (tableau 6.1). Les chaînes
de valeur mondiales peuvent également être régionales ou
Tableau 6.1
Caractéristiques des chaînes de valeur
mondiales mues par les producteurs
et par les acheteurs
Caractéristiques
Moteur des chaînes
mondiales
Compétences de
base
Secteurs
Industries types
Propriété
Principaux liens avec
les réseaux
Chaînes mues
par les
producteurs
Capital industriel
Chaînes mues
par les
acheteurs
Capital commercial
Recherchedéveloppement (R-D),
production
Biens de consommation, biens
intermédiaires, biens
d'équipement
Automobiles,
ordinateurs,
aéronautique
Sociétés transnationales
Conception,
commercialisation
Basés sur les
investissements
Biens de consommation non durables
Vêtements,
chaussures, jouets
Sociétés locales,
principalement de
pays en
développement
Basés sur le
commerce
Source: Gereffi (1999b).
122
Rapport sur le développement industriel 2002/2003
nationales et offrir à une nouvelle entreprise locale la possibilité de s’intégrer à un réseau plus large d’activités en offrant
ses services à des entreprises extérieures à son environnement
immédiat.
Rester agile dans la tourmente
des chaînes de valeur mondiales
S’intégrer à une chaîne de valeur mondiale n’est pas une
garantie de progression automatique sur l’échelle des capacités. Il s’agit souvent d’un moyen rapide d’acquérir des
capacités de production mais remonter plus loin dans la
chaîne peut susciter des conflits avec les clients existants1.
Certaines entreprises ont même vu leurs capacités réduites
après s’être intégrées à des chaînes de valeur mondiales. Aussi
les nouvelles entreprises ont-elles intérêt à utiliser toutes les
ressources qu’elles peuvent se procurer dans le monde avancé
en contrepartie de services comme une fabrication à bon marché. Mais cet arbitrage ne peut être exploité par la nouvelle
entreprise que s’il se présente une possibilité stratégique
d’utiliser les liens ainsi noués pour acquérir du savoir, c’est-àdire pour apprendre.
L’innovation, dans le contexte des chaînes de valeur mondiales, est fonction de deux types de stratégies d’optimisation: l’expansion des marchés et les capacités technologiques.
La fabrication de matériel propre, qui est habituellement le
secteur le plus rentable d’une chaîne de valeur mondiale,
exige des compétences aussi bien technologique que de commercialisation (figure 6.3)2. La séquence A représente la trajectoire du nombre des activités liées à une fabrication de
matériel d’origine, toutes, dans un premier temps, réalisées
dans le pays même en même temps que les activités clefs,
mais ensuite réinstallées dans les pays tiers, donnant ainsi lieu
à une “fabrication triangulaire”. Le renforcement des capacités tend principalement à maîtriser l’ensemble complexe de
fonctions logistiques à mener à bien pour acquérir et combiner des composantes provenant de localités et de producteurs
différents. La séquence B, en revanche, est centrée sur un renforcement des capacités grâce à l’élargissement des responsabilités fonctionnelles, qui, après avoir englobé uniquement la
fabrication de matériel d’origine, comprend certaines tâches
de conception, ce qui conduit alors l’entreprise à vendre sous
sa propre marque les produits qu’elle a elle-même mis au
point. Les entreprises exploitent des créneaux en développant
des capacités de production uniques, souvent de nature
technologique. Mais le processus de développement de ces
capacités crée de nouvelles possibilités de commercialisation
dans la mesure où il est mis au point un produit nouveau qui
répond mieux aux besoins de la clientèle. Ce processus interactif n’a pas de fin.
Figure 6.3
gamme de produits conçus par l’entreprise et vendus sous sa
propre marque.
Séquences d’optimisation à deux dimensions
Expansion des marchés
Il y a enfin le passage — étape capitale — d’une chaîne de
valeur mondiale à une autre. Il va de soi que l’intégration
d’une entreprise ou d’un groupe local d’entreprises à une
chaîne de valeur mondiale constitue une étape importante,
mais ils n’ont pas à limiter leurs horizons: cherchant toujours
à élargir leur participation à deux ou plusieurs chaînes de
valeur mondiale, ils essaient d’élargir la gamme de leurs
options et de leurs capacités afin de tirer le maximum de parti
des compétences existantes, de renforcer leurs moyens et
d’atténuer le risque que suppose la dépendance à l’égard
d’une seule chaîne de valeur. Dans la province chinoise de
Taiwan, les fabricants de postes de télévision ont utilisé des
chaînes de valeur mondiales dirigées par des acheteurs américains comme J. C. Penney et Kmart pour exploiter leur expérience de la fabrication en grande série de postes de télévision. Ils ont ensuite exploité ces compétences pour fabriquer
des écrans d’ordinateur pour des fabricants comme
Hewlett Packard, IBM et Apple, chaînes de valeur mondiales
très différentes. Cette intégration croisée offre une large
gamme de possibilités et un tremplin qui permet à l’entreprise
dynamique de parvenir à l’indépendance.
A
Sous-traitance
logistique mondiale
Fabrication sous
marque propre
B
Fabrication de
matériel d’origine
Conception et
fabrication propres
Point de départ
Capacités technologiques
Source: Mathews et Cho (2000).
L’intégration d’une entreprise locale à une chaîne de valeur
mondiale — que ce soit sur l’initiative d’un acheteur ou d’un
producteur — oblige l’entreprise à répondre à d’exigeantes
normes de qualité, de fiabilité et de logistique. Mais l’acheteur ou le producteur peut aussi pouvoir ajuster rapidement
ses produits (par exemple, si la demande des consommateurs
change dans les magasins) de sorte que l’entreprise doit
pouvoir changer rapidement et de façon fiable sa gamme de
produits. Le point d’aboutissement de ce processus est une
entreprise qui s’est dotée de capacités souples et agiles de
production.
Il y a ensuite l’étape capitale consistant à passer d’une spécialisation fonctionnelle à une autre. La transition de la production vers la conception semble être un pas modeste en soi,
mais représente un bond énorme pour une nouvelle entreprise qui cherche à renforcer ses capacités. C’est le premier
pas sur la voie de l’autonomie, c’est-à-dire d’une situation
telle que l’entreprise n’est plus entièrement tributaire pour sa
survie de la chaîne de valeur mondiale. L’initiative est parfois
prise par l’entreprise elle-même, comme cela a été le cas des
fabricants d’électronique des pays de l’est de l’Asie, qui sont
passés de la fabrication de matériel d’origine, l’acheteur stipulant toutes les spécifications au sous-traitant, à la conception et à la fabrication propres, l’acheteur se bornant alors à
indiquer les spécifications générales et permettant au soustraitant de combler les détails, puis à la fabrication d’une
On examinera maintenant le cas des chaînes de valeur mondiales dans les secteurs de l’habillement et du mobilier en
bois. Le premier cas illustre la dynamique à l’intérieur d’une
chaîne de valeur mondiale, qui exige des entreprises et
groupes d’entreprises locaux une agilité considérable. Le
second montre ce qu’un groupe local d’entreprises doit faire
pour s’intégrer à une chaîne de valeur mondiale.
Secteur de l’habillement: confiance
et triangles
L’habillement est un secteur à forte intensité de maind’œuvre, les coûts salariaux représentant 60 % des prix de
revient3. L’Asie est devenue la principale région de production. Cette tendance a commencé pendant les années 50 et
60, avec la réimplantation au Japon des industries européennes et américaines. Lors d’une deuxième étape, l’activité
s’est déplacée du Japon vers la RAS de Hong Kong (Chine), la
province chinoise de Taiwan et la République de Corée, qui
ont joué un rôle prédominant pendant les années 70 et 80.
Pendant les années 90, enfin, la production s’est réorientée
vers la Chine et d’autres pays d’Asie ainsi que vers quelques
pays d’Amérique latine.
Dans le secteur de l’habillement, les principaux déterminants
des exportations ont été les contingents et les droits de
L’innovation et l’apprentissage dans les chaînes de valeur mondiales
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douane préférentiels. Les contingents applicables à l’habillement et aux textiles continueront d’être réglementés par
l’Arrangement multifibres (AMF) jusqu’à son expiration,
en 2005. Les contingents, utilisés par les États-Unis d’Amérique,
le Canada et plusieurs pays d’Europe depuis le début des
années 70 pour imposer des limites quantitatives aux importations, visaient manifestement à protéger les entreprises des
pays industrialisés contre une vague d’importations bon marché qui menaçaient de perturber les industries nationales.
Avec le temps, le résultat a été précisément l’inverse. La protection dans les pays industrialisés a conduit les fabricants des
pays en développement à améliorer leur compétitivité, et ils
ont appris à fabriquer des produits sophistiqués plus rentables
que des produits simples. Ces dernières années, l’Union européenne et l’ALENA ont accordé des droits de douane préférentiels au niveau de marchés régionaux, ce qui a modifié sur
ces derniers la dynamique des approvisionnements mondiaux.
Dans le secteur de l’habillement, la chaîne de valeur mondiale
va du traitement des matières premières et de la production
de textiles et de vêtements à la commercialisation et à la
vente au détail (figure 6.4). Indépendamment des activités
Figure 6.4
Chaîne de valeur dans le secteur de l’habillement
Matières
premières
Machines
Fibres
naturelles et
synthétiques
Teinture/
blanchiment
en amont, quatre étapes doivent être franchies pour remonter la chaîne4.
1.
Assemblage de produits importés (habituellement dans
des zones franches situées à proximité de grands ports).
2.
Fabrication de matériel d’origine. Fabrication pour le
compte de sociétés transnationales (les spécifications
sont données par la société étrangère, qui est responsable de la commercialisation et de l’image de marque).
Les fournisseurs n’exercent aucun contrôle sur la distribution. Une variante est la sous-traitance logistique
mondiale.
3.
Fabrication de produits de conception propre.
Conception de produits vendus sous la marque de
sociétés étrangères.
4.
Fabrication de marque. Vente de produits fabriqués
sous la marque de l’entreprise.
Les difficultés d’implantation sur les marchés sont réduites
pour la plupart des fabriques d’habillement, mais elles
s’intensifient à mesure que l’on remonte en amont vers les
textiles et les fibres.
Trois acheteurs mondiaux
Dans le secteur de l’habillement, il existe trois catégories
d’acheteurs: détaillants, distributeurs de marque et fabricants
de marque. Les détaillants représentent 50 % des importations, les distributeurs de marque et les fabricants de marque
20 % dans chaque cas et divers autres acheteurs le reste.
DÉTAILLANT
Fabricant
de textile
Logistique,
conseils de
qualité
Acheteurs
Comercialisation/
image de marque
Conception
Grossistes
nationaux
Détaillants
nationaux
Grossistes
étrangers
Détaillants
étrangers
Consommateurs
Source: Appelbaum et Gereffi (1994).
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Rapport sur le développement industriel 2002/2003
Des détaillants internationaux, comme Wal-Mart et Sears
Roebuck, qui étaient jadis les principaux clients des fabricants
d’habillement, sont maintenant leurs concurrents. Pendant
les années 80, nombre de détaillants ont commencé à faire
directement concurrence aux fabricants et distributeurs nationaux de marque en achetant davantage de produits sur lesquels ils imposent leur label, qui sont vendus meilleur marché
que les marques nationales tout en étant plus rentables pour
les détaillants, qui peuvent ainsi éliminer les intermédiaires.
En 1993, les articles vendus sous label propre représentaient
25 % environ du marché de l’habillement aux États-Unis.
Tandis que la vente au détail et la commercialisation se
concentrent de plus en plus, la fabrication est un processus
en voie d’éclatement. Une information fiable étant aujourd’hui un élément disponible, les détaillants peuvent suivre de
beaucoup plus près les décisions d’achat des consommateurs,
ce qui leur permet d’exiger davantage de leurs fournisseurs,
de mieux gérer leurs stocks, de s’adapter plus rapidement et
d’obtenir des livraisons plus fréquentes. Comme les divers
types d’acheteurs d’habillement cherchent de plus en plus à
s’approvisionner à l’étranger, la concurrence entre détaillants,
distributeurs et fabricants s’est intensifiée, ce qui a estompé
les distinctions traditionnelles entre ces entreprises et remanier les intérêts qui interviennent dans la chaîne de valeur.
DISTRIBUTEUR DE MARQUE
Des fabricants très connus sans usine — dans des secteurs
comme la chaussure de sport (Nike, Adidas, Puma) et l’habillement de mode (The Gap, Liz Claiborne) — ne fabriquent
rien et se bornent à concevoir et à commercialiser leurs produits. Ayant joué un rôle de pionniers dans l’approvisionnement sur le plan mondial, ces sociétés ont diffusé des connaissances qui ont par la suite permis aux fournisseurs étrangers
de consolider leurs propres positions dans la chaîne de valeur.
Pour faire face aux nouveaux concurrents, les distributeurs de
marque renoncent à certaines fonctions auxiliaires (comme le
choix des modèles et la fabrication d’échantillons) et les
confient à des sous-traitants, auxquels ils indiquent où se procurer les composantes nécessaires, et réduisent d’eux-mêmes
leurs propres activités d’achat et de distribution. Ils rétrécissent leurs chaînes d’approvisionnement et utilisent des fabricants moins nombreux mais plus capables, tout en adoptant
des systèmes plus rigoureux d’homologation des fournisseurs
pour améliorer les performances. En outre, il réorientent peu
à peu leurs achats de l’Asie vers l’hémisphère occidental. Les
distributeurs (et encore plus les détaillants) savent aujourd’hui
que des fournisseurs à l’étranger peuvent gérer tous les
aspects de la production, ce qui offre aux sous-traitants la
possibilité, en nouant des relations nouvelles, de se lancer
dans la conception et la fabrication d’articles vendus sous leur
propre marque.
FABRICANT DE MARQUE
Les fabricants de vêtements, comme Levi Strauss, ont été mis
dans une position difficile, car les fabricants étrangers peuvent souvent offrir la même quantité, la même qualité et le
même service que les fabricants nationaux, mais à moindres
frais. Aux États-Unis et en Europe, l’attitude, parmi de nombreux petits et moyens fabricants de vêtements, est que le
mieux est de faire comme la concurrence. Considérant qu’ils
ne peuvent pas soutenir la concurrence de produits étrangers
bon marché, ils viennent grossir les rangs des importateurs.
Pour nombre de gros fabricants, dans les pays industrialisés,
la décision n’est plus de savoir s’il y a lieu de produire à
l’étranger, mais plutôt comment organiser et gérer la production. Ces gros fabricants fournissent des apports intermédiaires (tissus coupés, fil, boutons et garnitures) à de vastes
réseaux de fournisseurs étrangers, habituellement dans des
pays voisins avec lesquels ont été conclus des accords commerciaux de réciprocité qui permettent aux vêtements assemblés à l’étranger d’être réimportés en ne payant de droits que
sur la valeur ajoutée à l’étranger. Ce type de sous-traitance
internationale existe dans toutes les régions du monde. Aux
États-Unis, il s’appelle programme 807/9802 ou “fabrication
partagée” (USITC 1997), les principaux fournisseurs des fabricants américains se trouvant au Mexique, en Amérique centrale et dans les Caraïbes, proches du marché où les salaires
sont faibles. Les fabricants de marque ont tendance à mettre
l’accent non plus tant sur la production mais plutôt sur la commercialisation en exploitant leur image de marque et leurs
points de vente. Sara Lee Corporation, qui est l’un des plus
gros fabricants de vêtements des États-Unis, a récemment
annoncé qu’elle ne fabriquerait plus les produits qu’elle vend
sous sa marque.
Intégration à la chaîne de valeur mondiale
Pour les fabricants d’habillement des pays en développement,
il faut commencer par établir des liens avec les fabricants de
marque. Pour y parvenir, le plus facile a été de fabriquer en
sous-traitance dans le cadre du programme tarifaire américain 807/9802. Mais ces activités — souvent réalisées dans
des zones franches — n’ont guère de valeur ajoutée. Les
entreprises américaines qui se livrent à une fabrication partagée ont tout intérêt à réduire au minimum les achats locaux
d’intrants étant donné que seules les composantes d’origine
américaine sont exemptes de droits de douane lorsque le produit fini est réexpédié aux États-Unis (encadré 6.3). Il existe en
Europe un système semblable, appelé système de traitement
extérieur, les principaux fournisseurs se trouvant en Afrique
du Nord et en Europe orientale. Il en va de même en Asie en
général, où les fabricants implantés dans des pays où les
salaires sont relativement élevés, comme la RAS de Hong
Kong (Chine), font traiter et assembler leurs produits en Chine
ou dans d’autres pays où les coûts salariaux sont moindres.
L’étape suivante, après le traitement du produit destiné à l’exportation, consiste à établir des liens avec des détaillants mondiaux ou des distributeurs de marque dans le contexte d’une
fabrication sous-traitée de matériel d’origine ou de produits
complets. En comparaison du simple assemblage d’intrants
importés, la fabrication intégrale transforme du tout au tout
la relation entre acheteur et fournisseur dans une direction
qui donne à ce dernier beaucoup plus d’autonomie et de bien
plus grandes possibilités d’apprentissage et ainsi d’innovation. Cette fabrication intégrale est nécessaire, car les
L’innovation et l’apprentissage dans les chaînes de valeur mondiales
125
Encadré 6.3
La course vers le bas
La République dominicaine est particulièrement tributaire des opérations d’assemblage dans des zones franches sous le régime commercial 807/9802. La part des zones franches dans l’emploi manufacturier est passée de 23 % en 1981 à 56 % en 1989, date à laquelle ces
zones produisaient plus de 20 % des recettes en devises. Les investissements américains représentent plus de la moitié (54 %) des
sociétés qui opèrent dans ces zones, suivies par des entreprises dominicaines (22 %), coréennes (11 %) et taiwanaises (3 %).
En rivalisant pour offrir aux sociétés transnationales les salaires les
plus bas, les zones franches des pays voisins encouragent une “course
à la dévaluation”, la dépréciation monétaire apparaissant comme un
moyen d’améliorer la compétitivité sur les marchés internationaux.
Ainsi, après une très forte dépréciation de la monnaie nationale par
rapport au dollar des États-Unis, en 1985, les exportations des zones
franches de la République dominicaine ont augmenté en flèche. De
même, l’augmentation des exportations mexicaines a été facilitée par
les dévaluations successives du peso, particulièrement en 1994/95.
Les ouvriers de l’industrie du vêtement, au début des années 90, touchaient 1,08 dollar des États-Unis l’heure au Mexique, 0,88 dollar au
Costa Rica, 0,64 dollar en République dominicaine et 0,48 dollar au
Honduras, contre 8,13 dollars aux États-Unis. Un pays peut certes
avoir intérêt à dévaluer sa monnaie pour attirer des employeurs de
main-d’œuvre non qualifiée, mais les avantages que cela apporte se
dissipent rapidement lorsque d’autres pays font de même, ce qui
abaisse les niveaux de vie locaux sans aucunement contribuer à améliorer la productivité.
Source: Kaplinsky (1993); OIT (1995).
détaillants et distributeurs qui commandent les vêtements
n’ont qu’une connaissance limitée de la façon dont ils sont
fabriqués. La RAS de Hong Kong (Chine), la province chinoise
de Taiwan, la République de Corée et la Chine ont utilisé cette
stratégie pour promouvoir durablement un développement
orienté vers l’exportation.
Mais l’ALENA, ainsi que le déclin relatif de l’importance des
exportations de vêtements de l’est de l’Asie vers les ÉtatsUnis ont maintenant créé des conditions favorables à l’extension de la fabrication intégrale à l’Amérique du Nord
(encadré 6.4).
Les principaux fournisseurs de vêtements à l’Europe, comme
la Turquie et plusieurs pays d’Europe orientale, semblent
également adopter peu à peu le modèle de fabrication intégrale. Les fabricants de ces pays doivent acquérir les compétences et les ressources nécessaires pour entreprendre les
activités plus diversifiées que suppose ce type de production.
Cet arrangement offre de nouvelles possibilités d’innovation
et de transition vers la fabrication de produits vendus sous
marque propre. Il permet à l’entreprise locale d’apprendre à
connaître les préférences des acheteurs étrangers ainsi que les
normes internationales concernant le prix, la qualité et la
livraison des marchandises d’exportation. Il génère également
de solides liens en amont au sein d’économies nationales, car
126
Rapport sur le développement industriel 2002/2003
Encadré 6.4
L’intégration au peloton de tête
L’élément qui a le plus contribué à la transition de l’assemblage à la
fabrication de matériel d’origine ou à la fabrication intégrale, au
Mexique, a été l’ALENA, qui a commencé à éliminer les restrictions
imposées par les États-Unis, qui avaient virtuellement enfermé le
Mexique dans des opérations de montage. En effet, le système des
maquiladoras subordonnait l’accès du Mexique au marché américain
à l’utilisation d’intrants en provenance de ce pays. À l’heure actuelle,
d’autres étapes de la fabrication de vêtements, comme la coupe, le
lavage et la production de textile, sont réinstallées au Mexique à
mesure que les restrictions imposées par les États-Unis à chacun de
ces types d’activité sont éliminées.
Mais l’ALENA ne garantit pas le succès du Mexique. Si les dévaluations massives du peso en 1994/95 ont rendu le Mexique très
attrayant pour les fabricants américains de vêtements qui soustraitent leurs opérations à l’étranger, l’infrastructure et les industries
auxiliaires nécessaires à une production intégrale ont toujours
fait défaut. Les fabricants américains de textile et de vêtements
ont accru leurs investissements au Mexique à un rythme de plus en
plus rapide, de sorte que ce pays est aujourd’hui mieux placé pour
fournir les intrants nécessaires, en quantité et de qualité suffisantes,
pour la fabrication intégrale de vêtements standard comme bluejeans, polos, pantalons et sous-vêtements. Mais le Mexique est
encore en retard dans le domaine du vêtement de mode pour
femmes.
La solution, pour mener à bien la transition vers la fabrication intégrale et exploiter de nouveaux créneaux de production et de commercialisation, consiste à nouer des liens avec les entreprises de
premier plan qui peuvent fournir des technologies et des conseils. Le
Mexique doit mieux s’intégrer à des réseaux internationaux s’il veut
soutenir la concurrence des fournisseurs de l’est de l’Asie sur le
marché américain du prêt-à-porter. Différentes entreprises américaines ont déjà annoncé leur intention de transférer au Mexique les
éléments manquants de la chaîne d’approvisionnement. Il reste
cependant à résoudre un problème très réel qui est de savoir qui
contrôle les éléments critiques de la chaîne et comment peuvent être
gérés les rapports de dépendance que cela implique.
Jusqu’à présent, il est clair que ce sont les entreprises américaines qui
contrôlent les segments conception et commercialisation de la chaîne
du prêt-à-porter, tandis que les sociétés mexicaines sont bien placées
pour coordonner et mener à bien les processus de fabrication.
Cependant, les fabricants américains de textile et à un moindre degré
les fabricants mexicains, s’emploient activement à intégrer une large
gamme de services, ce qui accroîtrait leur pouvoir sur des sous-traitants de moindre envergure.
Il est probable qu’il subsistera au Mexique une combinaison d’usines
d’assemblage travaillant pour les fabricants de marque des États-Unis
et d’une nouvelle série de fabrication intégrale reliée aux détaillants
et distributeurs de marque. À mesure qu’il devient plus facile de se
procurer au Mexique certains des intrants critiques, la proportion des
intrants importés des États-Unis se réduira et les usines traditionnelles
d’assemblage seront remplacées par des usines de fabrication intégrale ou des groupes d’entreprises interdépendantes qui opèrent par
l’entremise de réseaux localisés, comme les fabricants de blue-jeans
à Torreón (Méxique).
Source: ONUDI.
les fabricants de matériel d’origine doivent assurer des
sources d’approvisionnement pour de nombreux intrants, y
compris ceux qui doivent être importés. Le fournisseur peut
beaucoup apprendre de l’acheteur quant à la nature des
segments en amont et en aval de la chaîne de fabrication et
de vente de vêtements, connaissance qui peut ultérieurement
devenir un solide atout sur le plan de la concurrence.
L’un des mécanismes qui facilitent le plus, pour les industries
d’exportation parvenues à maturité, comme les fabricants de
vêtements de l’est de l’Asie, le passage des activités à plus
forte valeur ajoutée est le processus de “fabrication triangulaire” (sous-traitance logistique sur le plan mondial). Essentiellement, la fabrication triangulaire, lancée par les pays de
l’est de l’Asie pendant les années 70 et 80, est un système
selon lequel les acheteurs mondiaux passent commande aux
fabricants avec qui ils ont travaillé par le passé, lesquels soustraitent tout ou partie de la production demandée à des
filiales implantées dans des pays où les salaires sont peu élevés
(Chine, Guatemala, Indonésie). Ces usines à l’étranger peuvent être définies comme des filiales à part entière, des coentreprises ou simplement des sous-traitants indépendants. Le
triangle est complet lorsque les articles finis sont expédiés
directement à l’acheteur étranger dans le cadre des contingents que les États-Unis ont accordés aux pays exportateurs.
La fabrication triangulaire déplace ainsi la fabrication de
matériel d’origine des fournisseurs établis des détaillants et
concepteurs américains aux intermédiaires des chaînes
d’achat qui peuvent englober jusqu’à une cinquantaine ou
une soixantaine de pays exportateurs (encadré 6.5).
Mobilier en bois: opportunité
et initiative
En 1998, l’industrie du meuble, représentant des échanges
mondiaux de près de 45 milliards de dollars, était le plus vaste
secteur traditionnel à faible intensité de technologie, dépassant aussi bien l’habillement (41 milliards de dollars) que la
chaussure (34 milliards de dollars)5.
Bien que le meuble soit un produit à forte intensité de ressources et de main-d’œuvre, nombre des principaux pays
exportateurs de mobilier sont des pays industriellement
avancés (tableau 6.2). L’Italie vient en tête, et de très loin, avec
des exportations nettes de 7,8 milliards de dollars en 1998.
Les pays en développement au nombre des dix plus gros
exportateurs sont la Chine, le Mexique, la Malaisie, la
Roumanie et l’Indonésie.
La chaîne de valeur mondiale, pour le mobilier en bois, commence par la distribution d’intrants comme semences, produits chimiques, matériel et eau pour le secteur forestier
(figure 6.5). Les arbres abattus passent à l’industrie des scieries, qui obtient ses principaux biens d’équipement de
Encadré 6.5
La fabrication de produits de marque: de
la confiance au triangle
Les pays de l’est de l’Asie n’ont pas profité des dispositions relatives
à la fabrication partagée prévue par le régime commercial américain
807/9802 pour l’industrie de l’habillement, car, du fait de leur
éloignement considérable des États-Unis, les importations de textile
en provenance de ce pays n’étaient pas rentables. En outre, les fabricants américains de textile n’avaient pas les capacités de production
ni la mentalité nécessaire pour fournir la large gamme de tissus utilisés par les dessinateurs de mode, qui étaient devenus la spécialité
des exportateurs des pays de l’est de l’Asie. L’un et l’autre de ces facteurs ont créé un créneau que les fabricants d’habillement des pays
de l’est de l’Asie ont habilement exploité.
Les exportateurs de textile et d’habillement de la RAS de Hong Kong
(Chine), de la province chinoise de Taiwan et de la République de Corée
(précédés par ceux du Japon, puis la Chine) sont passés d’une étape
des exportations à l’autre, de l’assemblage à la fabrication d’articles
d’origine puis à la fabrication de marque. Pendant les années 60 et 70,
ils ont développé et perfectionné leurs capacités de fabrication en établissant d’étroites relations avec des détaillants et distributeurs américains puis en “apprenant sur le tas” en utilisant leurs partenaires étrangers comme modèles pour renforcer leurs capacités d’exportation.
Grâce à la confiance créée par une longue série de transactions commerciales avec les acheteurs américains, les fournisseurs de l’est de
l’Asie ont pu internationaliser leurs opérations en ayant recours à la
fabrication triangulaire. Les fabricants de l’est de l’Asie sont ainsi
devenus des intermédiaires entre les acheteurs américains et des centaines d’usines d’habillement d’Asie et d’autres régions en développement et ont pu ainsi exploiter des coûts salariaux plus réduits et des
contingents favorables partout dans le monde. La création de ces
réseaux mondiaux d’achats a aidé les pays de l’est de l’Asie à demeurer compétitifs sur le plan international alors même que la conjoncture économique nationale et les limitations imposées par les contingents menaçaient la viabilité de leurs relations bilatérales originelles
de sous-traitance.
Les pays de l’est de l’Asie sont allés, à bien des égards, au-delà de la
sous-traitance: ils ont réorienté leurs activités vers des produits
d’amont de plus forte valeur dans la chaîne de l’habillement (exportations de textile et de fibres plutôt que de vêtements) et, en aval, ont
commencé à fabriquer des vêtements qui sont vendus sous leur
propre marque. En outre, ils se sont employés activement à investir
dans d’autres chaînes mondiales de produits. La République de Corée
est le pays de l’est de l’Asie le plus avancé pour ce qui est de la fabrication de produits de marque, par exemple dans l’automobile
(Hyundai), l’électronique (Samsung) et les appareils ménagers
(Samsung et Goldstar), entre autres, vendus en Amérique du Nord,
en Europe et au Japon. Des entreprises de la province chinoise de
Taiwan ont commencé à fabriquer et à vendre sous leur propre
marque des ordinateurs, des bicyclettes, des matériels de sport et des
chaussures, mais pas des vêtements.
Les entreprises de fabrication d’habillement de la RAS de Hong Kong
(Chine) sont celles qui ont le mieux réussi à passer de la sous-traitance
à la fabrication de produits vendus sous leur propre marque. La chaîne
Episode, qui fabrique des vêtements pour femmes et qui est contrôlée
par le groupe Fang Brothers de la RAS de Hong Kong (Chine), l’un
des principaux fabricants pour Liz Claiborne pendant les années 70
et 80, a des magasins dans 26 pays, dont un tiers seulement sont en
Asie. Giordano, qui est la marque de vêtements la plus réputée de la
RAS de Hong Kong (Chine), a ajouté à sa base initiale d’usines
200 magasins dans la RAS de Hong Kong (Chine) et en Chine, plus
300 points de vente au détail répartis dans différents pays du sud-est
de l’Asie et en République de Corée. Hang Ten, ligne de produits
moins haut de gamme, a 200 magasins dans la province chinoise de
Taiwan et est la plus importante franchise étrangère de l’île.
Source: ONUDI; Granitsas (1998); Gereffi (1997, 2000).
L’innovation et l’apprentissage dans les chaînes de valeur mondiales
127
Tableau 6.2
Commerce mondial de mobilier —
les 10 plus gros exportateurs nets,
1994 et 1998
Valeur des exportations nettes
(en millions de dollars)
1994
1998
6.105
7.831
1.381
2.725
32
1.804
1.412
1.323
259
1.190
698
1.052
251
741
254
494
375
382
754
339
Italie
Chine
Canada
Danemark
Mexique
Malaisie
Espagne
Suède
Roumanie
Indonésie
Source: http://www.intracen.org
Figure 6.5
l’industrie mécanique. Le bois coupé passe ensuite aux fabricants de mobilier, lesquels, à leur tour, se procurent les
intrants nécessaires dans les secteurs des industries mécaniques, des adhésifs, des peintures et autres et ont également
recours aux services de conception et de commercialisation
du secteur tertiaire. Selon le marché, le mobilier passe ensuite
par diverses étapes intermédiaires jusqu’à revenir à l’utilisateur final, lequel, après utilisation, se débarrasse du mobilier
pour recyclage. La chaîne est extrêmement hétérogène en raison de la multiplicité des marchés (mobilier de bureau, de cuisine, de chambre à coucher, de salle à manger ou de salon)
et, à l’intérieur de ces segments, de la multiplicité des créneaux (grande série, prix économiques, mobilier design,
mobilier de marque, etc.).
Trois types d’acheteurs facilitent l’accès des fabricants de
mobilier en bois au marché:
Liens dans la chaîne de valeur du mobilier en bois
● Les grands détaillants multinationaux, qui ont à la fois des
points de vente au détail et des fournisseurs dans de nombreux pays (IKEA, par exemple, achète à 2 000 fournisseurs de 52 pays et a plus de 300 points de vente sur trois
continents).
● Les petits détaillants, qui achètent directement à un
nombre limité de fournisseurs dans un nombre réduit de
pays.
Semences
Produits
chimiques
Machines
Foresterie
Eau
Machines
Scieries
Logistique,
qualité,
conseils
Conception
Fabricant de
mobilier
Machines
Acheteurs
Peinture,
adhésifs
Grossiste
national
Grossiste
étranger
Détaillant
national
Détaillant
étranger
Consommateurs
● Les acheteurs spécialisés de dimension moyenne, qui
achètent à de nombreux pays et revendent à des
détaillants, principalement dans un seul pays ou une seule
région. Il n’est pas inhabituel pour ces acheteurs d’avoir
plus de 1 500 fournisseurs dans de nombreux pays; même
les petits acheteurs spécialisés achètent habituellement à
plus d’une centaine de fournisseurs.
D’une manière générale, les acheteurs desservent des segments différents des marchés. Souvent, ces segments sont
très distinctifs, mais comme de plus en plus d’entreprises peuvent fabriquer des produits répondant aux normes mondiales,
le choix à opérer entre les éléments pouvant contribuer au
succès est moins difficile. Par exemple, les grandes chaînes de
détaillants peuvent, de plus en plus, offrir des produits bon
marché mais de haute qualité et très divers. Les fournisseurs,
pour leur part, se heurtent à des contraintes beaucoup plus
rigoureuses lorsqu’ils vendent à des chaînes mondiales de
détaillants que lorsqu’ils vendent à de petits détaillants et à
des acheteurs spécialisés. Non seulement presque tous les éléments indispensables au succès sont-ils considérés comme
importants, mais encore ils sont tous rangés dans la catégorie des éléments primordiaux.
Recyclage
Le défi que représente l’innovation pour une partie de la
chaîne mondiale de valeur dans le secteur sud-africain du
128
Rapport sur le développement industriel 2002/2003
mobilier est le symptôme d’un problème plus général auquel
se heurtent d’autres pays exportateurs de meubles. En
Afrique du Sud, la chaîne de valeur mondiale a suivi une trajectoire qui n’est pas optimale depuis que son mobilier en pin
est exposé à une concurrence de plus en plus intense sur le
plan des prix sur les marchés étrangers. Les prix unitaires de
ses exportations, en dollars, ont diminué de 250 % entre
1992 et 1999. De plus, les produits sud-africains, bien que
bon marché, sont considérés comme de piètre qualité et les
livraisons sont peu fiables. De ce fait, IKEA, premier acheteur
mondial, a décidé de ne plus acheter en Afrique du Sud mais
plutôt en Europe orientale et dans l’est de l’Asie.
Les entreprises sud-africaines de fabrication de mobilier en
bois se sont ainsi trouvées devant un dilemme: après de
longues études, il a été trouvé une solution dans le contexte
de la tendance mondiale à la responsabilité environnementale. Il pousse en Afrique du Sud une espèce de bois semi-dur
exploité commercialement qui s’appelle saligna, et des
meubles en saligna ont offert une possibilité de fabriquer à
peu de frais, et dans le respect de l’environnement, des
meubles en un bois autre que des bois durs traditionnels,
comme le teck et l’acajou, de plus en plus rares et chers.
L’opportunité
L’une des forces les plus dynamiques sur les marchés mondiaux des produits ligneux est l’orientation (surtout de la part
des pays industrialisés) vers la responsabilité environnementale. Or cela menace les exportations de la plupart des pays
en développement, car leurs industries du bois ont traditionnellement utilisé les forêts locales.
L’Afrique du Sud, cependant, se trouve dans une position
unique pour profiter de cette opportunité. La principale
caractéristique du saligna (espèce d’eucalyptus) est qu’il
constitue en Afrique du Sud un arbre exploité commercialement, ce qui le distingue des autres espèces provenant des
forêts autochtones du monde en développement. Bien que le
saligna ne soit pas un bois traditionnel, il prend bien la couleur et peut par conséquent être traité de façon à ressembler
à n’importe quel bois, y compris les espèces menacées.
Traditionnellement, le saligna était cultivé pour être utilisé
comme pilier dans les mines locales, mais la généralisation des
piliers en béton en a considérablement réduit la demande sur
les marchés nationaux. Les consommateurs étant de plus en
plus préoccupés par les considérations environnementales,
l’existence de plantations de saligna, qui n’avaient précédemment qu’une priorité élevée et qui ne sont pas pleinement
exploitées, offre un potentiel inattendu d’exportation de
mobilier vers l’Europe et l’Amérique du Nord. C’est également
une opportunité qui offre la possibilité pour les fabricants de
mobilier d’exploiter de nouveaux créneaux où les prix unitaires sont plus élevés.
Le défi de l’innovation
Pour saisir cette opportunité, il fallait innover à l’intérieur de
la chaîne de valeur et la réorienter d’exportations traditionnelles de mobilier en pin vers des exportations de plus en plus
compétitives sur le plan des prix. Cela supposait un processus
simultané et soigneusement coordonné d’innovation dans les
domaines des produits et des fonctions.
INNOVATION DANS LES PROCÉDÉS
Le principal problème à résoudre était d’abord d’accroître la
production de saligna clair à un prix abordable. Il y avait en
effet des utilisations concurrentes (dans l’industrie du papier
et de la pâte à papier) pour lesquelles la clarté n’a pas d’importance, et les scieries qui travaillaient pour les fabricants de
meubles étaient équipées pour scier des bois tendres, comme
le pin, plutôt que des bois durs comme le saligna. En outre,
depuis de nombreuses années, les scieries pouvaient dicter
leurs prix et se préoccupaient donc peu des besoins des fabricants, livrant à des intervalles imprévisibles des produits de
qualité diverse et sur la base de spécifications “à prendre ou
à laisser”. Un autre problème était que les fabricants devaient
apprendre à travailler le saligna et, à cette fin, devaient collaborer étroitement avec les scieries (par exemple en ce qui
concerne le respect des normes de densité du bois).
L’élément sans doute le plus déterminant du coût du bois était
la période de gestation des arbres. Traditionnellement, le saligna était abattu à l’âge de 23 ans, mais on pensait pouvoir
réduire ce délai considérablement pour le ramener à 12 ans
environ, ce qui, avec des taux d’intérêt réel dépassant 10 %,
pouvait présenter un avantage financier considérable. Cela
exigeait cependant une collaboration étroite entre les exploitants, les scieries et les fabricants. Ainsi, on ne pouvait innover en ce qui concerne les procédés de fabrication dans la
chaîne mondiale de valeur de mobilier en saligna qu’en combinant des innovations au niveau des entreprises et une collaboration entre entreprises pour resserrer les relations à
l’intérieur de la chaîne et résoudre d’importants problèmes à
ce niveau.
INNOVATION DANS LES PRODUITS
En soi, l’innovation dans les procédés ne pouvait pas produire
de gains suffisants. Le problème était que, du fait que le
saligna était utilisé aussi pour la fabrication de papier et de
L’innovation et l’apprentissage dans les chaînes de valeur mondiales
129
pâte à papier, le mobilier fabriqué devrait être écoulé sur des
marchés relativement plus rémunérateurs que les exportations traditionnelles de mobilier en pin, faute de quoi, les
fabricants ne pourraient pas produire de façon rentable avec
une matière première aussi chère.
Pour ce qui était des produits, il fallait également innover en
ce sens que, du fait des propriétés spécifiques du saligna (en
comparaison du pin), et surtout du bois jeune, ce produit ne
pouvait pas toujours être utilisé pour fabriquer les mêmes
modèles de meubles que ceux qui étaient faits en pin. Il fallait par conséquent revoir la conception des produits à fabriquer, de sorte que de nombreux fabricants de meubles ont
dû se hasarder dans un terrain nouveau, ce qu’ils ne pouvaient faire qu’en collaboration avec les scieries. Enfin, l’une
des propriétés du saligna était sa capacité d’absorber la teinture, de sorte que les fabricants ont dû collaborer étroitement
avec des fournisseurs de laques et de peintures, d’autant que
les mouvements écologistes européens imposaient de plus en
plus des teintures à base d’eau (qui est l’un des principaux
avantages compétitifs des fabricants italiens).
INNOVATION FONCTIONNELLE
S’il fallait lancer de nouveaux modèles de mobilier, qui assumerait la responsabilité de cette activité à forte valeur
ajoutée? Les fabricants suivraient-ils l’exemple du mobilier en
pin, les acheteurs mondiaux achetant des modèles aux fabricants ou bien ces derniers continuant à fabriquer des produits
standard comme des bancs de jardin? Pourrait-on compter
sur de nouvelles capacités nationales de design et, dans l’affirmative, celles-ci proviendraient-elles des acheteurs, des
fabricants de mobilier ou de concepteurs spécialisés? Tout
comme le mobilier en saligna représentait une transition du
bois tendre vers le bois dur, existait-il aussi d’autres opportunités de passer du mobilier en saligna à d’autres produits à
base de saligna comme des portes de garage (article très
exporté), des produits industriels et des jouets?
L’initiative
Pour stimuler l’innovation, il a été organisé à la fin de 1998,
dans le cadre d’un projet de recherche universitaire, un
premier atelier sur l’utilisation du saligna, qui a rassemblé des
représentants des services gouvernementaux, des fabricants,
des négociants de bois, des spécialistes de l’industrie
(chercheurs et consultants), des exploitants et des scieries,
l’idée étant de réunir les parties prenantes, à tous les niveaux
de la chaîne mondiale de valeur du saligna, pour promouvoir
une solution concertée des problèmes. La participation à
l’atelier d’un certain nombre d’entreprises concurrentes à
divers niveaux de la chaîne de valeur mondiale a créé une
130
Rapport sur le développement industriel 2002/2003
situation telle qu’un refus de coopérer risquait d’éliminer les
avantages dont pouvaient jouir les entreprises concurrentes.
L’atelier a donné naissance au Saligna Global Value Chain
Group (SVC Group), réseau national de coopération entre les
parties prenantes à tous les niveaux de la chaîne de valeur
mondiale.
Des groupes techniques, dirigés par les scieries, ont travaillé
sur différents problèmes pour améliorer les courants d’information. Un questionnaire a été adressé à tous les usagers de
produits en bois pour essayer de déterminer les dimensions
optimales et de dégager un consensus sur une gamme de
dimensions jugées appropriées par les fabricants. Les scieries
ont alors appliqué à titre expérimental plusieurs nouveaux
systèmes de contrôle de la qualité pour voir si cela pourrait
accroître la disponibilité totale de bois clair. Elles ont également commencé à rassembler des données plus exactes sur
la demande globale afin de déterminer l’offre et la demande
existantes et potentielles de saligna en Afrique du Sud.
La chaîne de valeur mondiale du mobilier en saligna est
encore en voie de développement, et il reste encore beaucoup
à faire pour que se matérialisent les possibilités que laissent
entrevoir les exportations de mobilier en saligna vers les marchés des pays industrialisés. Jusqu’à présent, les activités
menées par le SVC Group ont donné les meilleurs résultats
dans les domaines suivants:
● Génération d’informations dans les trois domaines de l’innovation: procédés, produits et fonctions.
● Amélioration notable des rapports entre entreprises et de
l’efficacité des approvisionnements en scieries et fabricants.
● Mise au point de produits importants grâce aux études sur
l’utilisation des jeunes arbres et sur la densité des bois.
● Processus d’innovation, essentiellement technologique,
au niveau des entreprises.
● Modification de la composition des activités au niveau des
entreprises et tout le long de la chaîne de valeur mondiale
grâce à l’accent mis sur la conception, la finition et la commercialisation.
La rénovation des procédés de fabrication des entreprises de
la chaîne de valeur mondiale n’était pas l’un des buts explicites des activités du SVC Group, mais les efforts entrepris
pour résoudre les nombreux problèmes qui se posaient entre
les scieries et les fabricants au sujet des approvisionnements
ont en fait eu un effet d’innovation sur les procédés internes
de production des fabricants en remettant en question les
paramètres techniques de ce qu’ils pouvaient produire.
Un effort local pour un essor mondial
Les entreprises font donc partie de la trame industrielle locale.
En dépit de la mondialisation et de l’apparition des nouvelles
technologies de communication, la proximité géographique
et des sources locales de compétitivité demeurent importantes. Les avantages découlant des effets locaux de synergie
ont été bien documentés dans de récentes études de groupes
d’industries, qui font apparaître clairement les avantages
aussi bien passifs qu’actifs qu’un regroupement peut apporter aux entreprises. Les avantages passifs découlent des économies d’agglomération et des avantages actifs de la coopération entre entreprises. Le succès ou l’échec des groupes
d’industries dépend de la mesure dans laquelle ceux-ci réussissent à produire un effet dynamique de synergie et à rester
agiles dans leurs interactions avec le monde extérieur.
Cependant, il est difficile pour les pays en développement
d’exploiter les avantages qu’apportent les regroupements
d’entreprises. Il est difficile de lancer des entreprises, il est
encore plus malaisé de lancer des groupes d’entreprises ou
d’obtenir que les entreprises coopèrent localement, chacune
étant à la fois cliente et fournisseur de l’autre, plutôt que de
se faire concurrence à couteaux tirés. À terme, les groupes
d’entreprises des pays en développement devront s’intégrer à
des groupes plus larges — à une chaîne de valeur mondiale —
s’ils veulent survivre à une concurrence mondiale de plus en
plus intense.
Notes
Pour de plus amples détails sur les sources, les informations et les
ouvrages concernant les sujets traités dans ce chapitre, voir les documents de référence.
1.
Schmitz (1999b).
2. Des chercheurs de pays jadis en développement, comme la
Corée, présentent des modèles d'innovation semblables (Kim 1998,
1999).
3. Cette section est tirée de Mathews (2001, document de référence).
4.
Gereffi (1999b).
5. Cette section est tirée du site Web du Centre CNUCED-OMC du
commerce international: http://www.intracen.org et Kaplinski (2001,
document de référence).
L’innovation et l’apprentissage dans les chaînes de valeur mondiales
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