Exotisme et Anachronisme dans Le Conte de Floire et Blancheflor

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Exotisme et Anachronisme dans Le Conte de Floire et Blancheflor
Exotisme et Anachronisme
dans Le Conte de Floire et Blancheflor
Michiko SUZUKI
Le Conte de Floire et Blancheflor (version dite aristocratique) (1), rimé en couplets
d’octosyllabes vers 1150 par un certain Tourangeau, Robert d’Orbigny, est célèbre pour le couple
parfait et exemplaire dont il relate les péripéties. Il a effectivement pour thème primordial la
séparation de deux enfants amoureux, leurs retrouvailles et leur mariage mixte au pays natal, après
une longue quête et de nombreuses aventures à l’étranger.
J.-L. LECLANCHE, éditeur de ce texte, suppose qu’en ce qui concerne le schéma narratif,
l’auteur du Conte s’est inspiré du récit arabe de Neema et Noam, et que ses sources secondaires
proviennent du fond culturel commun aux clercs médiévaux.
En dépit de son thème relativement conventionnel, le Conte est en fait un récit à la structure
complexe. Le fait qu’il soit étroitement lié au mouvement littéraire du milieu du 12e siècle, qui a
produit de nombreux romans antiques, lui donne une dimension historique. De plus, parallèlement à
ce lointain temporel, l’auteur du Conte se réfère à un lointain spatial, le monde musulman de
l’époque, pour envisager une union pacifique entre ces deux univers si éloignés que sont le chrétien et
le sarrasin.
Ainsi une analyse des notions d’exotisme et d’anachronisme nous a-t-elle paru pertinente
pour éclairer ces deux axes fondamentaux qui tissent la trame du Conte. La question de l’exotisme
fera l’objet de nos deux premiers chapitres, et nous consacrerons notre dernier chapitre à celle de
l’anachronisme.
I. L’Orient espagnol ou l’ « étranger familier »
Afin de bien appréhender ce problème de l’exotisme, il convient d’établir une comparaison
entre la vision qui nous est donnée de l’Espagne musulmane et la manière dont l’Égypte est
représentée. Commençons par l’Espagne.
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I-1) Tempérament et coutumes : quelle vision, quel exotisme ?
L’Orient espagnol apparaît d’abord dans le texte sous les traits de cruels pillards s’attaquant
aux pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Il semble que cette image menaçante reflète bien la
réalité historique contemporaine de la première moitié du 12 e siècle. Selon C. GAULLIERBOUGASSAS (2), l’auteur du Conte s’est inspiré du Guide de Pèlerin de Saint-Jacques de
Compostelle, texte latin du 12e siècle, et les scènes de l’enlèvement de Blanchefleur, jeune veuve
française, de même que celle du meurtre de son grand père, correspondent à la situation du littoral au
Nord de l’Espagne. Après la mort en 1109 d’Alphonse VI, roi d’Aragon, le mouvement de
reconquête de la péninsule ibérique, avec la première croisade, était l’une des grandes préoccupations
des princes de cette époque.
Néanmoins, dès que l’on arrive à « Naples » (selon l’éditeur, peut-être Niebla, en
Andalousie), capitale musulmane ibérique, cette représentation initiale change du tout au tout. La
férocité diabolique des Maures que privilégient les chansons de geste disparaît en effet, remplacée par
des mœurs courtoises et paisibles. Ainsi le Roi Felix, père de Floire, généreux et tolérant, ne force-t-il
jamais la jeune captive française, future mère de Blanchefleur, à se convertir à l’islam. Bien au
contraire, puisqu’il admet même que sa reine apprenne le français. Une telle entente, somme toute
harmonieuse, entre ces personnages d’horizons si différents serait inconcevable, l’auteur ne manque
pas de le souligner, n’étaient les qualités courtoises de cette jeune étrangère.
A la naissance simultanée des deux enfants, le jour de Pâques Fleuries, le roi nomme son fils
héritier Floire et la fille de la captive française Blanchefleur, en souvenir de la fête chrétienne.
Le seul signe d’altérité que nous puissions alors remarquer, c’est que « lor lois » (leur
religion) interdit que l’enfant musulman soit allaité par d’autres que des païennes. Cela mis à part, le
roi et la reine confient même leur fils Floire à la mère de Blanchefleur, afin que celle-ci l’élève et
l’éduque. Ils donnent plus tard leur assentiment à son instruction aux côtés de Blanchefleur dans les
arts libéraux. Il s’ensuit que les deux enfants apprennent tellement le latin qu’ils peuvent
« …consillier oiant la gent / en latin, que nus nes entent. » (vv. 271-272). Sur ce point, GAULLIERBOUGASSAS remarque ce qui suit :
Au delà de l’invraisemblance de l’apprentissage du latin par un futur roi musulman, l’auteur valorise un
mouvement d’échanges entre les deux cultures (…). La célébration de la cour espagnole comme creuset
culturel reflète alors peut-être le rôle dans la transmission de connaissances qu’a effectivement joué
l’Espagne musulmane entre l’Orient et l’Occident(3).
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Mais les parents sarrasins s’opposent au mariage de Floire et de Blanchefleur,
por çou que crestiiene estoit,
povre cose de bas endroit.
En autre terre l’ont menee
marceant qui l’ont acatee.
(vv. 1077-1080)
Nous pourrions en déduire que ce qui fait obstacle à leur union est avant tout le christianisme de
Blanchefleur. Il nous semble cependant que le principal facteur réside davantage dans l’humble
position de cette dernière, parce qu’ils souhaitent que leur fils héritier épouse « la fille d’aucun rice
roi / qui honerast et nos et toi » (vv. 1073-1074). Ce souci, semblable à celui des seigneurs féodaux
occidentaux, constitue encore un trait familier de l’Orient espagnol, qui est dans le Conte
vraisemblablement « prédestiné » à faire partie de l’Occident chrétien.
Entre temps, le roi et la reine essaient de séparer les deux amoureux. Après l’échec d’une
première tentative, le roi manque de tuer Blanchefleur, en dernier recours. Mais en fin de compte il se
ravise :
Ne le fist pas par convoitise
vendre li rois en nule guise ;
mix amast il sa mort avoir
que ne fesist .C. mars d’avoir
le pecié crient, por çou le lait.
(vv. 427-431)
Ici, ne pourrions-nous pas parler d’une certaine sympathie ou bienveillance de la part de l’auteur
envers le roi musulman, qui en définitive partage lui aussi la crainte de commettre un péché devant
Dieu ?
Un autre point commun entre l’islam et le christianisme doit également être mentionné : en
proie au désespoir causé par l’annonce de la mort de son amie, Floire tente de se suicider. Cependant
sa mère intervient pour l’en dissuader, affirmant que :
Se vos ensi vous ocïés,
en Camp Flori ja n’enterrés
ne vos ne verrés Blanceflor :
cil cans ne reçoit pecheor.
Infer son calenge i metroit :
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la irés, biax fix, orendroit.
Minor, Thoas, Rodomadus,
cil sont jugeor de la jus,
en infer font lor jugement.
(vv. 1025-1033)
Il est vrai que l’interdiction du suicide est l’un des dogmes de l’islam et du christianisme, tout autant
que la proscription de l’homicide.
Cependant l’auteur invoque aussi le « Camp Flori » (les Champs Elysées), sorte de paradis
de la mythologie gréco-romaine, et les enfers païens sur lesquels règnent les juges (« Minor »,
« Thoas » et « Rodomadus »). Nous remarquons ici une confusion entre l’islam et la mythologie
gréco-romaine, ce qui n’est pas rare dans les chansons de geste. En fait, depuis l’époque d’Homère,
les Champs Elysées étaient représentés comme un séjour enchanteur et paradisiaque pour les
guerriers héroïques et les hommes vertueux(4). En revanche, la vision des Champs Elysées est dans ce
récit délibérément empreinte de romantisme. C’est un lieu de retrouvailles pour les deux amants « Ele m’ara proçainement / en Camp Flori u el m’atent » (vv. 791-792) -, parsemé de fleurs :
M’ame le m’amie sivra,
en Camp Flori le trovera
u el keut encontre moi flors,
car molt se fie en nos amours.
(vv. 785-788)
Il est fort possible que l’auteur se réfère plutôt aux Champs Elysées de Tibulle, poète élégiaque du 1er
siècle avant J.-C. Dans son élégie (I-3(5)), Tibulle les décrit comme la prairie délicieuse des amants
fidèles, surpris par la mort. Au même titre, l’image de l’Enfer païen, « u est Dido et Biblis, / qui por
amor furent ocis » (vv. 1035-1036), et où Floire serait censé aller après son suicide, est quelque peu
détournée puisqu’elle donne au personnage étranger la dimension de martyr de l’amour, ce qui ne
saurait être permis à aucun chrétien. C’est par conséquent un privilège de l’étranger. Cela constitue
l’un des aspects de l’exotisme romanesque : les lointains temporel et spatial, à savoir l’Antiquité et
l’Espagne musulmane, s’entremêlent et forment ensemble l’« ailleurs » idéal pour l’épanouissement
amoureux, loin de toutes les prohibitions chrétiennes(6).
Enfin, la mentalité de l’Espagne musulmane est toujours décrite par l’auteur avec beaucoup
de sympathie. Et il semble que ce dernier évite autant que possible de relever chez elle ou de lui
attribuer des marques d’altérité. Et même quand l’exotisme s’accentue relativement - quand l’auteur
décrit Floire en train de se languir et de se lamenter en invoquant le « Camp Flori » - , nous nous
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apercevons que le dualisme épique est complètement remplacé par le principe ou l’éthique de l’amour
triomphant, d’autant plus fort et solide qu’il est pur et légitime(7).
I-2) Exotisme matériel
Parmi les nombreuses descriptions d’objets ou de lieux appartenant à l’Espagne musulmane,
nous allons ici principalement prêter attention à celle du cénotaphe de Blanchefleur et du jardin qui
l’entoure ainsi qu’au symbolisme végétal.
Pour faire croire Floire que Blanchefleur est morte, le roi Félix fait construire le cénotaphe le
plus beau que l’on ait jamais vu, sur lequel il fait mettre deux statues-automates représentant les
enfants. LECLANCHE pense que la description de ce monument a sûrement été ajoutée au cours des
dernières décennies du XIIe siècle, alors que les « romans antiques » étaient en vogue(8). Il est
effectivement possible de relever, dans les « romans antiques » du XIIe siècle comme le Roman
d’Énéas et le Roman de Troie, de nombreuses descriptions de tombeaux, où le goût pour les
automates et les pierres précieuses est identique à celui du Conte. Le mécanisme des automates de
Floire et Blanchefleur n’est pas moins compliqué que celui de la tombe de Camille, dont la chaîne est
retenue par un pigeon d’or menacé par un archer ayant encoché une flèche (Roman d’Énéas(9), vv.
7739-7777) :
Quant li vens les enfans toucoit,
l’un baisoit l’autre et acoloit,
si disoient par ingremance
trestout lor bon et lor enfance.
Ce dist Flores a Blanceflor :
« Basiés moi, bele, par amor.»
Blanceflor respont en baisant :
« Je vos aim plus que riens vivant.»
Tant com li vent les atoucoient
et li enfant s’entrebaisoient,
et quant il laissent le venter,
dont se reposent de parler.
(vv. 597-606)
Cette prédilection pour les automates provient de l’orientalisme de cette époque, ainsi que le
fait remarquer E. FARAL :
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Les descriptions de ce genre ont donc puisé leur première origine dans des réalités, et nous savons qu’au
moyen-âge, en Orient, à Constantinople surtout, on s’est plu à construire de savants automates.
L’Occident s’en est émerveillé et, à en juger par ce qu’en ont tiré les romanciers, il semble que le public
se soit délecté à en entendre parler(10).
Il est donc vraisemblable que l’auteur du Conte, à travers les descriptions fastueuses et fantastiques
du cénotaphe, pare l’Espagne musulmane d’orientalisme ou de byzantinisme positifs, influence des
« romans antiques » où transparaît la supériorité de l’Orient dans les arts mécaniques. L’admiration
devant la merveille orientale se manifeste notamment à travers l’expression « par ingremance » (v.
599). En fait, la fabrication d’automates à visage humain était condamnée par la Papauté comme un
art diabolique touchant à l’ordre de la Création. Mais ici, l’auteur semble en quelque sorte
« récupérer » ces prouesses techniques de l’Orient pour les mettre au service d’une plus « noble »
cause : immortaliser l’amour pur et fidèle des deux enfants.
Pour ce qui est de la décoration tombale, sa description n’est pas moins dithyrambique que
celle des romans antiques. Le déferlement éblouissant des joyaux s’étend au cours de six vers :
hyacinthes, saphirs, calcédoines, émeraudes, sardoines, perles, coraux, chrysolithes, diamants,
améthystes, béryls précieux, phyllades, jaspes, topazes et agates (vv. 655-660). A. PETIT dit que ce
luxe des joyaux, associé à la couleur chatoyante de la dalle en marbre du tombeau (vv. 565-567), va
souvent de pair avec la fascination du fantastique oriental(11).
Le jardin qui environne le cénotaphe (vv. 609-646), se voit quant à lui attribuer le statut de
« jardin de l’amour », avec en son centre le monument dédié aux deux enfants, les statues-automates
venant immortaliser la pureté de leur amour. Dans ce jardin, planté d’arbres exotiques aux parfums
indicibles et de fleurs perpétuellement fleuries – ébène, térébinthe rouge, arbre à chrême et baumier –,
les oiseaux chantent de si belle façon qu’aucune jeune personne ne saurait résister à l’amour en les
entendant, à moins d’y être tout à fait indifférente. L’auteur attribue ce merveilleux, comme dans le
cas des automates des enfants, au pouvoir magique des dieux païens (vv. 627-630). Somme toute,
c’est un véritable locus amoenus en version orientale.
Les représentation de végétaux exotiques sont aussi fortement chargées de symbolisme dans
le Conte. Les parents de Floire envoient ce dernier à Montoire pour le faire étudier avec des jeunes
filles et lui faire oublier Blanchefleur, en vain :
Amors li a livré entente,
el cuer li a planté une ente
qui en tous tans flourie estoit
et tant doucement li flairoit
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que encens ne boins citouaus
ne giroffles ne garingaus.
(vv. 377-382)
Ces parfums exotiques – zédoaire, girofle et galanga – servent de métaphore pour évoquer le charme
des jeunes filles musulmanes, que Floire ne goûte jamais. Par contre, « une ente », arbre d’amour
planté au plus profond de son cœur, dont il cueillera un jour de meilleurs fruits (vv.385-390), semble
représenter l’amour des deux enfants, fécond, fondateur et « légitime », qui convertira à la fin du
Conte toute l’Espagne au christianisme. Ici, donc, malgré leurs propriétés bienfaisantes et enivrantes,
les végétaux exotiques ne peuvent rivaliser avec cet arbre greffé, cette « blanche fleur » immaculée(12).
La description des richesses matérielles de l’Orient espagnol contient donc une multiplicité
d’images orientalisantes : les automates, les couleurs chatoyantes et l’exotisme du jardin. Cependant,
dans la mesure où le cénotaphe et son jardin, avec la signification de l’arbre greffé, servent à
symboliser l’amour incommensurable, la fidélité et la vertu des deux enfants, ils s’opposent à la
« Tour aux Pucelles » de Babylone égyptienne et à son verger. C’est ce que nous allons tenter de
mettre en relief dans la partie suivante.
Retenons pour le moment qu’en dépit de la présence d’un certain exotisme, la question de
l’altérité tend à demeurer latente au profit de tentatives de rapprochement entre les deux univers.
II. Orient égyptien entre fantasme et défiance
Une fois la ruse de ses parents dévoilée, Floire prend immédiatement la décision de partir en
quête de Blanchefleur, déguisé en marchand. En apprenant chez le premier hôte que Blanchefleur a
été vendue à ceux qui voulaient l’emmener à Babylone d’Égypte (le Caire), il entreprend de traverser
la Méditerranée et finit par entrer dans la ville en passant par « Baudas » (Bagdad : selon l’éditeur,
peut-être Alexandrie(13)).
II-1) Tempérament et coutumes : quelle vision, quel exotisme ?
Nous allons ici nous focaliser surtout sur le comportement et la mentalité de l’émir,
personnage qui semble incarner de façon radicale l’altérité orientale.
Tout d’abord, l’image de l’émir qui ressort de la conversation des hôtes de Babylone, Licoris
et Daire, est celle du sultan, tout puissant et impitoyable : Daire dit que si Floire tente l’aventure pour
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retrouver sa bien-aimée, « puet estre k’en perdriés la vie » et « livrer vos feroit a martire » (v.1770 et
v.1772). Le pouvoir inébranlable de l’émir est tellement énorme qu’aucun roi dans ce pays ne saurait
mener cette entreprise à bonne fin : ni par la force ou l’argent, ni par la ruse ou la magie (vv.17731778).
Se trestoutes les gens del mont
qui onques furent et or sont
par force tolir le voloient
a l’amirail, tot i fauroient.
Li amiraus a sa justise
sor .C. et .L. rois mise.
(vv. 1779-1784)
Comparée à la cour espagnole, presque similaire à celle de la France, celle de l’Orient égyptien se
distingue par la dimension inconcevable de sa royauté, qui doit avoir comblé le goût de
l’extraordinaire chez les auditeurs français. Comme le dit V.-M. SASU, « L’hyperbole est partie
intégrante de l’esthétique exotique dans les romans médiévaux(14) ».
L’étrangeté fascinante de la cour égyptienne est renforcée par l’évocation du harem :
Li amirals tel costume a
que une feme o lui tenra
un an plenier et noient plus,
puis mande ses rois et ses dus ;
dont il fera le cief trencier.
Ne veut que clerc ni chevalier
ait la feme qu’il a eüe :
(vv. 1965-1971)
Cette polygamie « successive » et non « simultanée », GAULLIER-BOUGASSAS la considère
comme « une réminiscence des Mille et Une Nuits et du sultan Shahriar qui épouse chaque jour une
nouvelle femme et la tue le lendemain(15) ». Un tel espace paradisiaque et en même temps scandaleux
à l’égard du mariage chrétien, doit avoir contribué à former un fantasme érotique de l’Orient et fait
rêver les auditeurs masculins. Si nous nous rappelons que le roi Félix, père de Floire, n’avait pas de
coutume polygame, nous pouvons reconnaître l’intensité relative de l’altérité de l’Orient égyptien.
Mais au-delà des stéréotypes, nous allons tenter de cerner la véritable personnalité de l’émir
telle que l’auteur nous la décrit. Il n’apparaît pas comme un homme insensible, même s’il est entre
autres choses l’instigateur et le bénéficiaire de cet excès d’érotisme que peut constituer le harem aux
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yeux des occidentaux. Effectivement, quand il entend de Gloris, captive allemande et confidente de
Blanchefleur, que cette dernière a failli à ses obligations pour avoir passé toute la nuit à lire son livre
de prières, dans le seul but que l’émir vécût dans la joie, « Li amirals en ot pitié, / por çou si l’a ensi
laissié » (vv. 2543-2544). Et, au troisième matin, en apprenant de son chambellan que Blanchefleur
dort aux côtés de quelqu’un, « Li rois entra en jalousie » (v. 2605) ou « … par jalousie / li met Amors
el cuer envie » (vv. 2617-2618). Dans ce passage il ressemble d’une certaine manière à un mari
jaloux de la poésie des troubadours. Par la suite, après avoir pris en flagrant délit Floire et
Blanchefleur, malgré sa colère et son dépit amoureux, l’émir accepte avec indulgence de les mettre en
jugement de cour parce qu’il pense : « Porpensai moi que mal feroie / se sans jugier les ocioie » (vv.
2745-2746). Et devant la scène attendrissante de ces deux amoureux, qui se défendent l’un l’autre et
veulent chacun mourir le premier, ému de pitié, il finit par prendre des mesures clémentes : « Quant
Blanceflor a esgardee / de la pitié li ciet l’espee(16) » (vv. 3001-3002). Cette situation commence à
revêtir, d’une certaine manière, l’aspect de la « cour d’Amor ».
En fait, c’est un véritable tournant qui s’opère dans le récit au moment où l’émir lui aussi
laisse gagner par la compassion : l’environnement change singulièrement, et l’on passe d’un
Babylone d’Egypte tout empreint d’exotisme à un territoire selon toute vraisemblance déjà conquis,
occidentalisé (les barons, l’émir, ne sont-ils pas eux-mêmes, les uns après les autres, « conquis » par
l’amour et la beauté des deux enfants ?) et christianisé. Cela se traduit par certains signes tels que
l’apparition du personnage de l’« evesques » (v. 3053) par exemple, qui par sa sagesse raisonne le roi
courroucé. Mais aussi par l’adoubement de Floire : « Li rois les a fait redrecier, / Flore veut faire
chevalier » (vv. 3119-3120 : passage souligné par nos soins), ou encore le mariage au « mostier » (v.
3124). Le point culminant de cette transformation réside dans l’acceptation par l’émir, « por Diu » (v.
3131), de la supplique de Blanchefleur lui enjoignant de renoncer à la coutume du harem, et de garder
désormais Gloris pour épouse toute sa vie. Il est indéniable que l’auteur veut faire jouer à Floire un
rôle « civilisateur », autrement dit lui faire obtenir la conversion pacifique de l’Orient.
Avant de conclure, il convient de prêter attention aux autres personnages de la partie de
l’Orient égyptien. Nous observons d’emblée que dans le Conte, il n’y a aucun personnage
foncièrement « méchant ». Les personnages que l’auteur nous décrit ont sans exception des vertus
communes aux humains, au moins du point de vue occidental. Daire, hôte de Babylone, sensible à
l’amour sincère que Floire voue à Blanchefleur et pris de pitié, lui donne un conseil pour s’introduire
dans la « Tour aux Pucelles », au risque d’être impliqué dans cette affaire. Quant au portier de la
Tour, réputé très méfiant, il ne peut résister à la noble libéralité de Floire, et finit par lui offrir
« s’oumage » (v. 2243). Après avoir pris connaissance de l’entreprise audacieuse et désespérée de ce
jeune seigneur, malgré son sentiment d’avoir été berné, il lui reste fidèle comme un vassal loyal et
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accepte de l’aider :
lacié m’avés, n’en puis retaire.
U bien m’en prenge, u mal m’en viegne,
ne lairai covens ne vos tiegne,
(vv. 2268-2270)
Nous remarquons que les notions qui entourent ici ces deux personnages relèvent d’une éthique
propre à l’Occident, à savoir la sympathie envers un amour pur, et le sentiment de fidélité féodale. En
résumé, c’est l’amour qui les lie à Floire comme une force motrice, qu’il s’agisse d’une amitié entre
hommes égaux ou de l’amour qu’un homme lige porte à son seigneur. Floire aussi, par amitié, ne
consent jamais à révéler lors de son jugement qui l’a aidé à entrer dans la Tour, lui permettant ainsi
de revoir Blanchefleur.
Contrairement à l’Orient espagnol, l’auteur laisse l’Orient égyptien musulman, même après
l’abolition de la tradition du harem. Nous décelons néanmoins, derrière l’apparente harmonie
préétablie où règne Amour, des traces de l’idéologie cléricale de la Croisade pacifique « par autre
chose que l’épée », « par amour, ou du moins par des alliances matrimoniales (17) ». Après
l’assimilation partielle de l’Orient égyptien, ce qui souligne l’altérité orientale ne subsiste que dans sa
richesse et sa puissance surprenantes. C’est ce que nous allons maintenant nous efforcer d’analyser.
II-2) Exotisme matériel
Nous nous focaliserons ici principalement sur trois descriptions impressionnantes : celle de
la ville de Babylone, celle de la « Tour aux Pucelles » et de son jardin, et enfin celle de la fête
organisée par l’émir. Nous les analyserons ensuite tour à tour pour tenter de mettre en relief ce qui
caractérise leur exotisme.
Babylone d’Egypte apparaît seulement à travers les propos du gentil hôte, Daire, mais
jamais telle que Floire la voit réellement, celui-ci étant trop occupé à retrouver son amie pour prêter
attention à la magnificence de la ville. Il est possible que ce soit là un procédé intentionnel de la part
de l’auteur, compte tenu de la connotation biblique du nom de cette ville (corruption et perversion).
Tous les monuments aux dimensions colossales et hyperboliques, frappent par leur haut degré
d’exotisme. Selon Daire, Babylone d’Egypte mesure 80 km dans chaque sens avec une muraille
infranchissable, dont 140 portes, et plus de 700 tours, où habitent les vassaux de l’émir. La puissance
de cette cité est donc vraiment incomparable. Mais sa beauté réside surtout en son centre, dans la
« Tour aux Pucelles ».
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Cette tour, aussi gigantesque (haute de 400 m et large de 200 m) que superbe (toute
recouverte de blocs de marbre vert avec sa sphère en or pur dont le sommet est couronné d’une
escarboucle étincelante) prend le meilleur de la science d’alors. Sa coupole forme « tot sans arbre »
(v. 1816), l’escarboucle tient « par encantement » (v. 1823). A l’intérieur de ce sérail, il y a trois
étages où la canalisation passe par tous les coins et recoins : « Li engignieres fu molt sage » (v. 1852).
Il est bien connu qu’au cours du XIIe siècle, la péninsule ibérique, en tant que point de rencontre
majeur entre l’Orient et l’Occident, est devenue le grand centre de la traduction en latin des ouvrages
scientifiques arabes. Par exemple, la technique hydraulique, d’origine orientale, est introduite par les
Arabes dans le monde occidental(18). Cette technique apparaît d’abord au Maghreb à l’époque
almoravide (XIIe siècle) avec la canalisation de la ville de Marrakech(19). Il est fort possible que la
parfaite canalisation de la « Tour aux Pucelles »(20) soit le pendant romanesque de ces progrès
techniques(21). Et la narration de Daire nous rappelle encore, comme le faisaient les automates des
deux enfants, la supériorité de l’Orient en matière de technologie et l’admiration que cela pouvait
susciter chez les Occidentaux. Mais ce n’est pas tout.
Au milieu du jardin de la Tour, jaillit parmi les herbes une source et au-dessus se trouve un
arbre que l’on appelle « l’arbre d’amors ». Cet arbre est, « Par grant engien » (v. 2050), toujours
chargé de fleurs toutes rouges. Mais il ne semble pas naturel : sa magie consiste dans son
fonctionnement :
Aprés les fait totes passer
desous l’arbre por acerter
la quel d’eles cel an ara,
cele sor cui la flors carra.
(...)
Et se il a o soi pucele
que il miex aime et soit plus bele,
sor li fait par encantement
la flor caïr a son talent.
(vv. 2077-2080 et vv. 2089-2092)
Par ce mécanisme étonnant, l’émir peut à son gré faire tomber une fleur sur sa favorite. Cet arbre
n’est pas sans rappeler ceux des palais orientaux, arbres d’orfèvrerie sur lesquels sont perchés des
oiseaux-automates. Ces derniers ont généralement pour fonction de symboliser, de manière fastueuse,
la puissance des souverains(22). L’auteur du Conte nous en livre une version plus romanesque : si
l’arbre de l’émir représente lui aussi l’étendue de son pouvoir, c’est avant tout dans le domaine de
l’amour.
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Le verger de l’émir, également pourvu d’un oiseau-automate qui transforme le souffle du
vent en un son mélodieux(23), témoigne en tout cas d’une parfaite maîtrise de la nature. En fait le
verger, avec cet « arbre d’amors », et le fleuve « Eufrates » (v. 2009) qui y coule, ne serait-il pas une
évocation du jardin d’Eden ? Mais alors ce serait le jardin d’après le péché originel, dorénavant privé
de toute innocence et de toute vertu. En poursuivant dans ce sens, l’émir ne serait-il pas celui qui a
goûté au fruit défendu, et dont la connaissance ne servirait qu’à entretenir une vie de débauche et de
luxure ? Nul doute alors que la figure de l’émir et de tout ce qui l’entoure (le harem en tête) ne suscite
chez l’auditeur occidental de l’époque des sentiments équivoques, entremêlés de fantasmes et de
défiance. Mais c’est aussi dans la « Tour aux Pucelles » que Floire et Blanchefleur s’oublient dans les
bras l’un de l’autre pendant quinze jours dans une relation véritablement fusionnelle. GAULLIERBOUGASSAS souligne bien ce qu’une telle autarcie, un tel repli implique de danger, ne serait-ce
qu’au niveau de la perte d’identité(24) (personne ne peut dire si Floire est homme ou femme, et le
chambellan le confond avec Gloris). Cependant cette interprétation omet un point qui nous paraît
important : Floire, de par son apparence d’éphèbe, si ce n’est d’ange puisque les anges n’ont pas de
sexe, semble incarner une image d’innocence et de pureté contrastant vivement avec celle de l’émir,
que l’on imagine possédant tous les attributs de la masculinité et de la virilité. De plus, ces quinze
jours où Floire et Blanchefleur se fondent l’un dans l’autre, semblent nimbés d’une aura toute
particulière : ne figurent-ils pas la recréation d’un Eden pur au sein même de celui, déjà corrompu par
le vice, de l’émir ?
Quoi qu’il en soit la description du verger de l’émir, sur un mode énumératif, est l’occasion
pour l’auteur de déployer pleinement l’exotisme oriental en faisant état d’une richesse immense et
d’une grande variété d’espèces botaniques ou zoologiques. L’abondance quasiment inconcevable des
pierres précieuses en est une bonne illustration, rappelant la façon dont le cénotaphe de Blanchefleur
était orné. Le verger a cependant une tout autre envergure : autour coule un fleuve de Paradis,
l’Euphrate, que personne n’est en mesure de traverser. C’est dans ce fleuve que l’on trouve ces
joyaux étincelants. Le verger lui-même recèle toutes sortes d’essences exotiques ou d’arbres fruitiers
(ébène, platane, alisier, arbre greffé, figuier, pêcher, poirier, noyer, et autres fruitiers rares), des épices
(poivre, cannelle, galanga, encens, girofle, zédoaire etc.), et des oiseaux (merles, calandres, geais,
étourneaux, rossignols, pinsons, loriots et autres).
De la même façon, on trouvera plusieurs énumérations gastronomiques dans les descriptions
du dîner chez Daire et du festin du sultan. Chez l’un sont servis des gibiers et des volailles de toute
espèce, et des fruits de qualité, à volonté et à profusion, « car molt en ont en cel regné » (v.1690).
Chez l’autre également nous pouvons découvrir bien des gibiers : grues, oies sauvages, hérons,
outardes, cygnes et paons, feuilletés, oublies, ragoût de gibier (vv. 3185-3187)… Parmi ces mets
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luxueux, les plus impressionnants sont les « pastés de vis oiselés » (v. 3188) : quand on brise ces
pâtés, de l’intérieur, s’envolent de petits oiseaux vivants. Ce plat fait allusion à la volupté et au
raffinement de l’art culinaire de l’Orient égyptien.
Le procédé énumératif et hyperbolique quasi démesuré de l’auteur semble ici tout autant
destiné à nous imposer les idées de la richesse, de la beauté et de la fécondité qu’à renforcer la
sensation exotique, l’altérité fascinante mais ambiguë de l’Orient égyptien. Mais, en fin de compte,
ces énumérations prodigieuses ne seraient-elles pas un écho de l’admiration et de l’émerveillement
réellement ressentis par les marchands, les voyageurs, les clercs et les croisés ?
Sur ce point, la connaissance de la réalité historique de cette époque fournit un éclairage
supplémentaire. Avec la progression des chrétiens dans la péninsule ibérique, à partir du XIIe siècle,
la peur du musulman tend à disparaître, cédant la place à une ambiance nouvelle fondée sur l’intérêt
scientifique et culturel qui contribue à changer les représentations du monde sarrasin :
Elles [les représentations de l’Islam] passent d’une volonté de rejet à la constatation du succès du monde
latin, incluant toujours une volonté d’assimilation des meilleurs apports de l’Autre et elles finissent par
forger une idéalisation positive de l’adversaire subjugué(25).
Pourtant, ce qui est frappant en ce qui concerne l’exotisme matériel, c’est que l’auteur ne
cherche jamais la signification du progrès et de la richesse de l’Orient égyptien dans tant de
domaines. Une expression nous a semblé adéquate pour qualifier tous les objets dont nous avons fait
mention jusqu’ici : celle de « merveilleux technique ». L’association de ces deux termes renferme un
paradoxe que l’on retrouve à maintes reprises dans le texte du Conte lui-même. La notion de
« merveilleux » va de pair avec celle de surnaturel. L’idée de « technique », de technicité, est quant à
elle liée à ce qui relève du savoir-faire et de l’artificiel. Ainsi la « Tour aux Pucelles » serait-elle
l’œuvre d’un architecte très « habile », tandis que le verger aurait été conçu par un « maître
jardinier » talentueux et non moins habile.
Rien n’est dit, donc, sur les procédés utilisés qui restent plus ou moins attachés au domaine
de la magie (dans le sens de « mirabilis »). Bien sûr, cela est en partie dû à l’ignorance et
l’étonnement que peuvent alors susciter certains progrès de l’Orient. Mais cette façon de combiner le
surnaturel, le prodigieux, avec l’habileté ou le savoir-faire technique ne serait-elle pas aussi un moyen
trouvé par l’auteur de montrer que malgré le caractère merveilleux des descriptions, on ne saurait en
aucune manière parler de miracle, « miraculum » ? Le même phénomène est observable dans les
« romans antiques » du 12e siècle, où le trait original du merveilleux consiste souvent dans son
association avec le travail artistique (dans l’acception étymologique du terme). Cependant, dans le
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contexte de l’Orient égyptien musulman, ce surnaturel artificiel semble en quelque sorte « factice »,
étant donné que, dans l’intrigue politico-religieuse du Conte, cet Orient matériellement attirant est,
somme toute, voué à être « corrigé » ou assimilé par les Occidentaux. De nouveau apparaît une
certaine ambivalence face à cet Orient qui séduit et inquiète tout à la fois.
Ainsi l’exotisme que contient le Conte nous semble-il porteur de deux attentes optimistes :
au niveau des connaissances celle de l’appropriation des savoirs et des nouvelles élaborations de
l’Orient égyptien, sur le plan religieux celle d’une conquête pacifique et idéologique. Enchanté par
l’éclat du progrès et de l’ingéniosité contemporains, méfiant de par l’influence des représentations
bibliques, le regard porté sur l’Orient égyptien est bien complexe et multiple.
III. Anachronisme : l’Antiquité comme source d’amour et de légitimité politique
Nous allons maintenant envisager un autre axe important du Conte, à savoir le lointain
temporel que constituent les références à l’Antiquité.
On relèvera d’abord une grande quantité de noms soit antiques soit bibliques. Ceux-ci sont
le plus souvent employés comme simples critères de comparaison, à moins que ce ne soient des noms
orientaux provenant de romans antiques ou de chansons de geste contemporaines(26). Par exemple,
pour dresser le portrait des deux enfants et dans le seul but de souligner leur beauté, l’auteur décline
les noms de plusieurs héros et héroïnes de façon incohérente(27).
On remarquera pourtant trois points majeurs où l’auteur présente ses propres interprétations
des récits et des histoires antiques. Nous allons nous intéresser dans un premier temps à la scène de
l’enlèvement d’Hélène par Pâris, peinte sur la coupe d’or, puis au sens historique qu’elle revêt dans la
structure du Conte.
III-1) Déformation en faveur de l’amour
Cette coupe précieuse et légendaire, fabriquée par Vulcain, est d’abord échangée contre
Blanchefleur. Puis Floire la garde toujours à ses côtés pendant sa quête, jusqu’à ses retrouvailles avec
Blanchefleur dans la « Tour aux Pucelles ». Cet objet joue donc un rôle fort important puisqu’il
symbolise l’amour entre les deux enfants, amour sur lequel repose le Conte tout entier. Outre la scène
de l’enlèvement d’Hélène, tout autour de ce hanap se déroule le spectacle de la guerre de Troie, et sur
le couvercle est représenté le jugement de Pâris. Parmi ces trois grands événements, le plus essentiel
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est le rapt d’Hélène car Floire, en le regardant, songe à son amour pour Blanchefleur et y puise le
courage nécessaire à l’accomplissement de sa quête :
El regarder qu’il fist l’ymage,
Amours ralume son corage,
se li dist : « Or aies envie :
ci en maine Paris s’amie.
(Ha ! Diex ! verrai jou ja le jor
k’ensi en maigne Blanceflor ?)
Diva, Floires ! après mangier
te doit tes ostes consillier.
(vv. 1699-1706)
La représentation de la guerre de Troie en revanche, même s’il en est fait mention, ne trouve
guère sa place dans le Conte. Et malgré les connotations négatives qu’évoque l’amour adultère de
Pâris et d’Hélène, il semble qu’ici l’auteur n’utilise cet exemple qu’en tant que modèle de passion
amoureuse, en faisant abstraction de ses conséquences tragiques et catastrophiques. Dans le Conte
seul l’amour, valeur ultime et quasiment sacrée, importe véritablement : du jugement de Pâris aussi,
on ne retiendra ni les réactions en chaîne ni le dénouement malheureux. Il y a donc, au nom de
l’amour, une identification de Floire à Pâris(28). C’est que le jugement de Pâris est une illustration
parfaite du combat bien connu auquel se livrent amour, sagesse et richesse. Le moment où Floire,
confronté au même dilemme, est en proie à une lutte intérieure(29) semble donc être une réminiscence
transformée du mythe antique. C’est pour cette raison que nous avons souhaité parler de
« déformation » en faveur de l’amour.
Sur ce point, nous pouvons donner un autre exemple, celui de la confusion entre le Paradis
musulman et le « Camp Flori » de la mythologie antique(30). Comme nous l’avons vu dans notre
premier chapitre, l’auteur semble adopter la représentation du « Camp Flori » de Tibulle (lieu destiné
aux âmes fidèles à l’amour), plutôt que celle d’Homère et de Virgile (lieu du séjour des héros
vertueux aux enfers).
Cette façon de n’abstraire des références antiques que le motif de l’amour, afin d’en faire
pour les héros du Conte une source d’empathie (Floire retrouvant l’élan amoureux de Pâris) joue dans
la structure du récit un rôle fort important. Une telle déformation anachronique correspond
effectivement bien au dessin optimiste du Conte, à savoir la conversion pacifique de l’Espagne et le
rapprochement entre le monde musulman et le monde chrétien par l’union conjugale de Floire et
Blanchefleur ; par celle aussi de l’émir égyptien et de Gloris, bref par la force de l’amour.
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III-2) Identification politico-historique avec la généalogie romaine
Nous allons maintenant envisager l’histoire de cette coupe troyenne (vv. 503-512). C’est
d’abord Enée qui l’emporta en quittant Troie pour ensuite la donner à sa femme Lavine en Italie. Puis
elle passa entre les mains de tous les maîtres romains jusqu’à appartenir à César, à qui un voleur la
déroba. Les marchands du Conte l’auraient finalement achetée avant de l’échanger contre
Blanchefleur. A travers cette circulation de la coupe s’effectue une sorte de transmission de pouvoir
entre ses possesseurs successifs, faisant finalement de Floire l’héritier de tous ces éminents
dirigeants : il s’agit ici du thème de la translaltio imperii (31). Pour en saisir convenablement le sens, il
convient d’examiner quels pouvaient être les idéaux politico-historiques de l’époque.
Dès le XI e siècle, la tendance était de lier la généalogie des familles princières ou comtales à
celle de Troie afin de légitimer et d’asseoir leur autorité(32). D. BOUTET considère cela comme un
« détournement provisoire, que l’histoire du Graal viendra rectifier au début du XIII e siècle(33) ». Il
indique ensuite un autre exemple de ce genre de translatio chez Chrétien de Troyes : le prologue de
Cligès parle de la translatio de la chevalerie et du savoir des Grecs et des Romains en France. Même
s’il ne s’agit pas ici de pouvoir politique, il est intéressant de relever, comme le suggère BOUTET,
que le souhait de Chrétien de Troyes était que ce transfert de l’Orient à l’Occident s’arrête
définitivement en France pour y perdurer à jamais(34).
Pour en revenir à la coupe, nous avons vu que celle-ci sous-tendait un enjeu davantage
politique. Au Moyen-Âge, Enée figurait comme le « héros-fondateur » d’une dynastie puissante.
César quant à lui, était surtout considéré dans la littérature médiévale comme un autre Alexandre de
par ses qualités de stratège et de politicien. Dans le Conte nous assistons donc à une sorte
d’assimilation anachronique de l’Antiquité romaine dans une perspective politico-historique.
Cependant, il y avait parmi les clercs au XII e siècle, toujours selon BOUTET(35), une forte
propension à insérer l’histoire séculière du monde dans la perspective de l’Histoire sainte. Sur ce
point, il remarque qu’Hugues de Saint-Victor a bien défini l’idée de translatio imperii et studii dans
la logique des temps et celle des lieux : d’après Hugues, l’ordre spatial et temporel serait le résultat de
la divine providence, de sorte que les événements historiques avaient lieu, à l’origine du monde, à
l’extrémité de l’Orient (dans l’Eden). Au fil du temps, l’axe du monde se serait déplacé jusqu’à
atteindre l’extrémité occidentale, finem mundi. Donc, comme le dit BOUTET, dans cette vision
historico-théologique l’Orient, « qu’il soit grec, troyen ou biblique, est le lieu du péché ou
simplement de la faute parce que sa situation géographique en fait le point d’origine du monde(36) ».
On retrouvera aisément cette représentation biblique de l’Orient dans la description
paradisiaque du jardin de l’émir, où court un fleuve qui s’appelle « Eufrates » (v. 2009), et dans
--- 128 ---
l’emphase du harem, lieu de corruption. Pourtant, comme nous l’avons déjà vu ci-dessus, dans le
Conte l’Orient greco-romain est un modèle politico-historique pour Floire, devenu roi chrétien. En
outre, le bien-fondé religieux de son royaume est étayé par le fait que la mère de son épouse
Blanchefleur avait été vouée, avant de quitter la France, à l’apôtre Saint-Jacques dont la cathédrale est
située aux confins de l’Espagne, de l’Occident. Ainsi pouvons-nous dire que ce royaume est soutenu
par une double légitimité, l’autorité romaine et la volonté de Dieu.
Grâce à son ampleur historique, l’Antiquité joue par conséquent un rôle de modèle, que ce
soit par rapport à l’élan amoureux ou à l’autorité politique. Cela contraste avec l’Orient de Babylone
égyptienne, objet de correction (harem).
Conclusion
Malgré la puissance politique de l’Orient égyptien et la suppression de la « mauvaise
coutume » du harem, le modèle de l’amour et de l’autorité politique pour les Occidentaux demeure
celui de l’Antiquité greco-romaine. Il faut bien distinguer cette familiarité anachronique avec le
monde antique, de l’amitié contemporaine dont se lient l’Orient égyptien (l’Islam) et l’Occident
espagnol (la chrétienté). L’Antiquité comme l’Orient égyptien, sont objets d’assimilation de la part
des Occidentaux. Mais alors que la première est érigée en modèle ou ascendance directe, le second
est essentiellement conçu dans ce récit comme représentant de l’altérité, contrairement à l’Orient
espagnol qui dès la naissance de Floire (lors de la fête chrétienne de Pâques Fleuries) est prédestiné à
être converti. Ainsi cherche-t-on des racines dans le lointain temporel, tandis que le lointain spatial se
fait territoire de la différence. Il ne s’agit pourtant pas d’une différence irréductible : l’amour
triomphe de tout, suscite la pitié et l’attendrissement même chez les hommes les plus cruels ou
intransigeants. C’est la conception de l’amour chez les troubadours, comme source de toutes les
vertus, qui régit entièrement le Conte.
L’originalité du Conte réside notamment dans cette utilisation de l’amour comme instrument
de conquête(37). Seuls ceux qui s’y montrent véritablement insensibles subissent un atroce châtiment.
C’est ce qui se produit à la fin (vv. 3323-3326), où la violence surgit de façon inattendue et brutale.
Mais l’auteur fait tout de même preuve d’un certain esprit d’ouverture à la différence culturelle. Bien
entendu, il est vrai que « L’Autre sarrasin (...) n’est accepté que dans la mesure où son altérité est
réduite (...)(38) », parfois jusqu’à une complète assimilation.
--- 129 ---
On retrouve cette idée déjà bien avant l’époque du Conte, avec les premières pérégrinations
de moines qu’A. GRABOIS évoque dans son article(39) :
Le moine Bernard du Mont-Saint-Michel, qui visita l’Egypte en 870, alors qu’il faisait route vers
Jérusalem, mentionne brièvement quelques traditions bibliques, dont celle, selon un processus de
sacralisation historique, faisant des pyramides “les greniers de Joseph”. Un autre voyageur, Burchard de
Strasbourg, qui visita en 1175 le jardin de La Métérie (al-Matarīya), près du Caire, prit soin de raconter
que le baume produit par ce site provenait de la layette de l’enfant Jésus, lavée par la Vierge et séchée
sur les arbustes du jardin, rappelant ainsi le séjour de la Sainte Famille en Egypte.
Le regard de ces moines, profondément empreint d’idéologie chrétienne, nous fera peut-être sourire.
L’auteur de l’article ne manque pas non plus de faire état de plusieurs commentaires formulés par des
voyageurs occidentaux au XIVe siècle sur les pratiques religieuses, l’érotisme, les mœurs et coutumes
etc.
L’intérêt du Conte est qu’il se situe en quelque sorte à mi-chemin entre ces différentes
époques et représentations de l’Orient. Il serait d’ailleurs tout à fait passionnant, comme le texte de
GRABOIS nous encourage à le faire, de suivre au fil du temps l’évolution de ce que l’on pourrait
appeler « l’imaginaire oriental » des Occidentaux ; comparant l’exotisme qui transparaît dans les
récits fictionnels à celui des récits de voyages. Une étude des textes arabes fournirait également un
contrepoint au présent travail.
Notes
(1) Éd., LECLANCHE, Jean-Luc, Le conte de Floire et Blancheflor, coll., C.F.M.A., no. 105, Paris,
Honoré Champion, 1983. Pour la traduction moderne : LECLANCHE, Jean-Luc, Le conte de Floire et
Blanchefleur. Roman pré-courtois du milieu du XIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 1986.
LECLANCHE, qui a écrit une thèse sur la transmission des manuscrits du Conte de Floire et
Blancheflor, suppose qu’il existait deux types de tradition : la « vulgate insulaire », plus proche de la
forme ancienne du Conte, représentée par les versions anglaise, vieux-norroise et islandaise ; la
« vulgate continentale », ayant subi de nombreuses transformations additionnelles, représentée par les
mss. français, A (Paris, B.N., fr. 375) et B (Paris, B.N., fr. 1447), et par le ms. V (Vatican, Palatinus, lat.
1971, fragment).
Cette dernière, d’après LECLANCHE, a été enrichie au cours des dernières décennies du XIIe siècle par
des descriptions d’objets et de monuments, dans le goût des « romans antiques ». Dans cette édition de
C.F.M.A., il tente de reconstituer la « vulgate continentale », en prenant pour base le ms. A. Cf.
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LECLANCHE, Jean-Luc, Contribution à l’étude de la transmission des plus anciennes œuvres
romanesques françaises. Un cas privilégié : Floire et Blancheflor, 2 vol., Service de reproduction des
thèses, Université de Lille III, 1980.
(2) GAULLIER-BOUGASSAS, Catherine, La tentation de l’Orient dans le roman médiéval. Sur
l’imaginaire médiéval de l’Autre, Paris, Honoré Champion, 2003, p. 69 (en référence ici aux travaux de
C. FRANÇOIS).
(3) GAULLIER-BOUGASSAS, Tentation..., op. cit., p. 111.
(4) Homère, L’Odysées, chant IV, vv. 555-568 (txt. établi par BÉRARD, Victor, Paris, Les Belles Lettres,
1967, t. 1) ; Virgile, L’Énéide, livre VI, vv. 637-678 (txt. établi par RAT, Maurice, Paris, Librairie
Garnier Frère, 1960, t. 1). Voir également : LECLANCHE, Contribution, op.cit., t. 1, p. 252 ;
DELUMEAU, Jean, Une histoire du paradis. Le jardin des délices, Paris, Fayard, 1992, pp. 17-18.
(5) vv. 57-66 : (txt. établi par PONCHOT, Max, Tibulle et les auteurs du corpus tibullianum, Paris, Les
Belles Lettres, 1924).
(6) Dans Aucassin et Nicolette, récit dont la trame évoque tout particulièrement celle du Conte, nous
pouvons trouver pareille situation : Aucassin dit que s’il peut être avec Nicolette en Enfer, il refuse alors
d’aller au Paradis.
(7) Sur la caractéristique de l’amour de Floire et de Blanchefleur, H. LEGROS remarque comme suit :
« Le Conte de Floire et Blancheflor fait la part belle à la clergie et son écriture tend à souligner que le
destin de Floire s’accomplit parce qu’il est prédestiné à devenir roi ; ses armes ne sont ni l’épée, ni la
lance, mais la parole, et le Conte, lui aussi, se dit dans une structure en miroir qui fait se correspondre la
voix du narrateur et la voix (e) du héros ». (LEGROS, Huguette, La Rose et le Lys. Etude littéraire du
Conte de Floire et Blancheflor. Sénefiance no. 31, Aix-en-Provence, CUER MA, 1992, notamment
p. 128).
(8) Voir notre note 1.
(9) Éd., PETIT, Aimé, Le Roman d’Enéas, coll., Lettres gothiques, Paris, Le Livre de Poche, 1997.
(10) FARAL, Edmond, Recherches sur les sources latines des contes et romans courtois du moyen-âge,
Paris, Honoré Champion, 1913, pp. 334-335. Sur l’automate dans le monde oriental islamique ou
byzantin, également voir : LEGROS, Huguette, « Les automates, attirance, repulsion de l’étrange », in
De l’étranger à l’étrange ou la conjointure de la merveille, Sénéfiance no. 25, Aix-en-Provence, CUER
MA, 1988, pp. 299-314.
(11) PETIT, Aimé, L’anachronisme dans les romans antiques du XII e siècle. Le Roman de Thèbes, le
Roman d’Enéas, le Roman de Troie, le Roman d’Alexandre, Paris, Honoré Champion, 2002, pp. 268271.
(12) On pourra également se référer aux propos de Gloris s’adressant à Blanchefleur, et parlant de Floire
en ces termes : « volés vos veoir bele flor / […] Tel flor n’a nule en cest païs ; / ele n’i crut pas, ce m’est
vis. » (v. 2376 et vv. 2379-2380).
(13) Cf. LECLANCHE, Le conte de Floire et Blanchefleur. Roman pré-courtois du milieu du XII e siècle,
op. cit., p. 31. n. 26.
(14) SASU, Voichita-Maria, « Dépaysement et exotisme dans le roman d’aventure du Moyen-Age
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français », in Les représentations de l’Autre du Moyen-Age au XVII e siècle. Mélange en l’honneur de
Kazimierz KUPISZ, Publications de l’Université Saint-Etienne, 1995, pp. 65-72, notamment p. 68.
(15) GAULLIER-BOUGASSAS, Tentation..., op. cit., p. 57.
(16) Comme le fait remarquer GAULLIER-BOUGASSAS, cette scène nous rappelle le roi Marc dans le
Tristan de la version Béroul.
(17) LECLANCHE, Le conte de Floire et Blanchefleur. Roman pré-courtois du milieu du XII e siècle, op.
cit., introduction, notamment p. 8.
(18) MAZZOLI-GUINTARD, Christine, et al., Les relations des pays d’Islam avec le monde latin du
milieu du dixième au milieu du treizième siècle, Paris, Edition Messene, 2000, notamment, chap. III
« Échanges scientifiques et techniques entre l’Islam et le monde latin du Xe siècle au milieu du XIIIe
siècle ».
(19) Ibid., p. 142.
(20) Nous pouvons considérer également la précision du mécanisme de l’automate comme le fruit des
progrès de la dynamique arabe, de même que les moulins, à eau ou à vent, qui n’apparaîtront dans
l’Europe chrétienne qu’au XIIe siècle : Ibid., p. 142.
(21) Un autre exemple de l’admiration devant l’ingéniosité des canalisations orientales se trouve dans
Cligès, avec l’aménagement des conduites souterraines d’eau chaude de la tour byzantine : Cf.
STIENNON, Jacques, « Histoire de l’art et le Cligès de Chrétien de Troyes », in Mélanges offerts à Rita
Lejeune, t. 1, Grembloux, J. Duculot, 1969, pp. 695-708.
(22) Cf. LEGROS, « Automates... », art. cité.
(23) S. MÉJEAN relate l’histoire des automates-oiseaux et de leur éventuelle adoption à travers la
description de la fontaine magique dans Yvain (MÉJEAN, Suzanne, « A propos de l’arbre aux oiseaux
dans Yvain », in Romania, t. 91, 1970, pp. 392-399).
(24) GAULLIER-BOUGASSAS, Tentation..., op. cit., pp. 59-60.
(25) MAZZOLI-GUINTARD, et al., Relations..., op. cit., chap. IV, « Images et représentations de l’Autre
(milieu Xe s. - XIIIe s.) », p. 170.
(26) A savoir « Marsile » (v. 1444), « Daire » (v. 1671 etc.), « Licoris » (v. 1671 etc.) et « Sebile » (v. 323
etc.).
(27) « Paris de Troies n’Absalon, / Parthonopex n’Ypomedon, / ne Leda ne sa fille Elaine, / ne Antigone ne
Ysmaine / en leece tant bel ne furent / com erent cil, qui morir durent. » ( vv. 2839-2842).
(28) Il serait également intéressant de rappeler le fait que, dans l’un des « débats du clerc et du chevalier »
du XIIe siècle, Phillis et Flora, le chevalier est comparé à Pâris, et le clerc à Aristote (Cf. FARAL,
Recherches..., op.cit., pp. 195-196)
(29) Cf. Débat entre Sagesse et Amour (vv. 1603-1644 et vv. 1694-1706).
(30) Nous mentionnerons aussi la référence à Chalcides et de Platon (vv. 1103-1110). Malgré le fait que le
Timée de Platon est une théorie de la genèse de l’univers, l’auteur du Conte ne prend en considération
que l’amour, occultant les autres aspects inhérents à ce texte.
(31) Il serait même possible de supposer qu’il y a translatio studii, compte tenu du fait que Vulcain, le
fabricant de la coupe, était souvent désigné au Moyen-Âge comme l’auteur de pièces rares ou le maître
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des artisans, et que le merveilleux de l’art était le reflet du savoir.
(32) BOUTET, Dominique, Formes littéraires et conscience historique, Paris, PUF, 1999, chap. III,
« L’Histoire entre péché et renovatio », pp. 53-74, notamment p. 56.
(33) Ibid., p. 56.
(34) Ibid., p. 58.
(35) Ibid., pp. 53-56.
(36) Ibid., p. 64.
(37) Comme le mentionne LECLANCHE, à l’époque de l’écriture du Conte, Pierre le Vénérable et ses
disciples préparaient des traductions du Coran en latin pour convertir l’Islam par la force de
l’argumentation théologique. L’idée d’une conversion par la force de l’amour n’est donc pas si
surprenante, l’auteur du Conte a en fait élaboré une version profane de la Croisade pacifique :
LECLANCHE, Le conte de Floire et Blanchefleur. Roman pré-courtois du milieu du XII e siècle, op. cit.,
« introduction », notamment p. 8.
(38) GAULLIER-BOUGASSAS, Tentation..., op. cit., pp. 115-116.
(39) GRABOIS, Aryeh, « La description de l’Egypte au XIVe siècle par les pèlerins et les voyageurs
occidentaux », in Le Moyen- Âge, t. CIX – 2003/3-4, consultable en ligne sur www.cairn.info, pp. 529543.
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