Guinoune tekst voorwerk
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De l'impuissance de l'enfance à la revanche par l'écriture Guinoune, Anne-Marie IMPORTANT NOTE: You are advised to consult the publisher's version (publisher's PDF) if you wish to cite from it. Please check the document version below. Document Version Publisher's PDF, also known as Version of record Publication date: 2003 Link to publication in University of Groningen/UMCG research database Citation for published version (APA): Guinoune, A-M. (2003). De l'impuissance de l'enfance à la revanche par l'écriture: le parcours de Driss Chraïbi et sa représentation du couple Groningen: s.n. Copyright Other than for strictly personal use, it is not permitted to download or to forward/distribute the text or part of it without the consent of the author(s) and/or copyright holder(s), unless the work is under an open content license (like Creative Commons). Take-down policy If you believe that this document breaches copyright please contact us providing details, and we will remove access to the work immediately and investigate your claim. Downloaded from the University of Groningen/UMCG research database (Pure): http://www.rug.nl/research/portal. For technical reasons the number of authors shown on this cover page is limited to 10 maximum. Download date: 13-02-2017 Guinoune tekst deel4 19-09-2003 21:52 Pagina 199 Chapitre I. Le champ métonymique. Le champ métonymique prend son origine dans le monde du corps ce qui explique ce besoin de proximité qui domine l’écriture. On le reconnaît à travers le langage du corps et à travers la répétition. Celle-ci est le phénomène central du métonymique car elle montre entre autres l’alignement dont est capable l’enfant à ce stade de développement. A cette phase correspond sur le plan psychologique le narcissisme. Or tout au long de notre travail nous avons souligné la domination de l’écriture par le narcissisme, cette appellation demande un court développement. Le terme de narcissisme a été employé pour la première fois, en 1908, dans un contexte psychanalytique par Sadger qui le considérait comme “un stade du développement normal”657. Il a été repris ensuite par Freud658 et bien d’autres parmi lesquels André Green659, pour qui le narcissisme a droit à l’existence comme concept à part entière, ou encore Béla Grunberger pour qui le narcissisme relève d’une instance psychique anténatale : “relation archaïque et quasi biologique remontant à l’état foetal”660. Le sentiment d’invulnérabilité du foetus accompagne l’enfant après sa naissance pendant un certain temps. Puis viennent les frustrations et pour pallier à l’écroulement de son univers narcissique autonome, l’enfant a besoin des éléments narcissiques du dehors qu’il trouve dans la mère pour qui il est l’unique. Tôt ou tard, l’enfant se heurtera cependant à la “réalité rugueuse à étreindre”, ce qui signifiera l’écroulement de cette illusion [de toute puissance]. Il réagira par un mouvement double à cette menace pour son narcissime : il aura recours d’une part au refoulement, d’autre part (Freud) il cherchera à récupérer cette toute-puissance en l’attribuant à ses parents661, avant tout à son père, et par ce biais, il y participera comme s’il la possédait lui-même. Ensuite il effectuera la même projection sur des images parentales idéalisées…662 André Green définit les narcissiques comme des sujets blessés par un ou par les deux parents et à qui il ne reste plus qu’à s’aimer eux-mêmes. Personne n’est épargné par cette blessure mais certains ne s’en remettent pas ou difficilement. On le voit dans le désir “qui induit la conscience de séparation spatiale et celle de la dyschronie temporelle avec l’objet, créées par le délai nécessaire à l’expérience de satisfaction. Il y a désir de l’Un avec effacement de la trace de l’Autre”663. Le héros chraïbien souffre de cette blessure, souffrance qui l’empêche de voir l’autre et de reconnaître le désir de l’autre autrement qu’à travers le sien propre. 199 Guinoune tekst deel4 19-09-2003 1 L A N G AG E 21:52 Pagina 200 DU CORPS 1.1 Les sens Les sens - le toucher, le goût et l’odorat, la vue et l’ouïe - occupent l’espace scriptural chraïbien de manière si dominante qu’ils en deviennent des motifs, ce qui nous amène à leur consacrer un développement. Les sens diffèrent entre eux par leur importance et leur signification. Ainsi le goût se démarque des autres sens par sa répétition et par son renvoi exclusif au monde de la mère alors que les autres sens reviennent avec une constance inégale et ils relèvent de l’univers maternel et paternel. L’ensemble montre l’intérêt tout particulier de Chraïbi pour la topographie corporelle. Nous présentons d’abord les sens les plus près du corps, à savoir le toucher, le goût et l’odorat, puis la vue et enfin l’ouïe. a) Le toucher L’eau que nous évoquerons dans le paragraphe sur le goût aurait pu également trouver sa place dans le toucher. L’eau qui entoure la peau, la caresse offre des possibilités de développement. Néanmoins nous avons préféré maintenir l’eau dans le paragraphe traitant de la nourriture privilégiant ainsi son importance pour la survie de l’homme et sa proximité symbolique avec le lait. Aborder le toucher nous amène dans l’intimité de la fusion des corps. C’est d’abord au départ de toute vie celle de la mère et de l’enfant puis celle des amants. La fusion mère-enfant ne se rencontre dans aucun des livres de Chraïbi, à l’exception d’une scène dans La Civilisation, ma Mère où mère et fils se retrouvent proches physiquement : “je l’ai prise dans mes bras, je l’ai assise sur mes genoux –et je l’ai bercée. Sans un mot. Jusqu’à ce qu’elle s’endormît”. Mère et enfant sont adultes à ce moment-là et si les rôles sont inversés, cette scène n’en demeure pas moins le seul moment d’attouchement, de marque de tendresse entre une mère et son enfant. Dans l’oeuvre de Chraïbi ce sont les pères qui partagent la proximité corporelle avec leur enfant. Dans La Mère du Printemps Hineb, petite fille, s’endort dans les bras de son père. Quant à Azwaw et Yerma, enfant, la fusion est totale. Le père mastique la nourriture pour l’enfant, quant aux liquides, ils passent “directement de bouche à bouche”. Père et fillette ne se quittent jamais pendant l’épidémie qui frappe la tribu. Le jour, Yerma circule, nue, sur les épaules de son père et la nuit elle partage sa couche. Leurs corps accolés depuis la petite enfance de Yerma ne peuvent plus se défaire et les corps continuent à partager une entente symbiotique avec la langue des amants. Leur dernier corps à corps se déroule pendant l’accouchement de Yerma, accouchement que nous avons déjà cité mais dont l’importance est si grande qu’il nous oblige à le répéter : Sa main gauche glisse sous les fesses de Yerma, les masse et les pétrit de toutes ses forces, masse et pétrit la chute des reins, les hanches, les flancs, sans discontinuer –cependant que sa droite fourrage dans la toison couleur de maïs, délicatement 200 Guinoune tekst deel4 19-09-2003 21:52 Pagina 201 déblaie les poils, sépare, déplie, étale les lèvres de la vulve. Puis, doigts réunis en fuseau, plonge dans le vagin. […] Lui succède aussitôt la bouche d’Azwaw qui souffle dans le sexe à pleins poumons, puis aspire, aspire avec l’attraction centrifuge d’une ventouse (Naissance à l’aube,161). Azwaw ne touche pas sa fille en père, il transforme cet accouchement en un hymne charnel à leur amour. Seul sa main, son corps pouvaient servir de sésame au corps de Yerma qui refusait de s’ouvrir pour laisser passer l’enfant. Avant cette fusion père/fille, un premier corps à corps amoureux avait été celui de Simone et de Yalann dans Les Boucs. Les corps s’y touchaient pour se faire mal dans un amour agonisant. Un second rapport amoureux est celui de la passion dans Mort au Canada. L’auteur décrit un temps la jouissance des corps pour mieux montrer l’aliénation qui s’ensuit. Ce plaisir charnel et la frustration qui s’en suit pourraient rappeler un plaisir plus ancien, celui de la mère et de l’enfant, lui aussi source de plaisir et de frustration. La fusion mère/enfant et celle des amants sont réunies dans l’amour entre le père et sa fille, qui seul remplit toutes les conditions du bonheur. Les deux corps dans cette oeuvre sont ceux d’un adulte et d’une enfant. Pour compléter le sens du toucher, nous proposons une extrapolation sur la main, instrument ambivalent par excellence : main qu’on demande ou refuse, qu’on prête ou qu’on donne, qui bénit ou maudit, qui jure ou salue. Dans la culture maghrébine un rapport antinomique certain existe entre la main et l’oeil. La main, ouverte en un cinq magique, repousse le mauvais oeil et la représentation concrète de ce pouvoir symbolique, la main de Fatma, se retrouve dans tous les pays du Maghreb. Elle accompagne la vie du Maghrébin de la naissance à la mort, un vrai symbole d’accompagnement 664. La main est citée dans le Coran “au jour de la résurrection, toute la terre ne sera qu’une poignée de poussière entre les mains de Dieu et les cieux seront ployés comme un rouleau dans sa droite”665. En poésie, la main comme l’oeil sont pour certains la métonymie du désir. Pour d’autres, la main symbolise le travail. La main peut être l’instrument de la justice, de la morale, de l’entraide, de la relation à l’autre. Que dit-elle chez Chraïbi ? L’importance de la main chez Chraïbi se révèle si forte que Houach parle même de “chirographie romanesque”666. Par exemple dans les 15 occurences relevées dans Le passé simple, les mains reflètent les sentiments de l’auteur. Elles trahissent l’émotion, la peur, la fragilité ou la dureté, la main menace ou console, frappe ou rafraîchit. La main peut devenir si puissante qu’elle concentre la totalité des sentiments et incarne l’expression du tout : “je ne fus plus qu’une main” (p194). Organe noble pour Chraïbi, elle associe le plaisir métonymique, la main qui caresse, à la structure métaphorique, la main qui sévit : “Ce fut maman, trop heureuse de me voir, qui maintint mes jambes et mon père qui fit tournoyer le bâton” (Le passé simple,41). Aux jeux de mains entre mère et fils : “Ma mère cherchait ma main à tâtons. Je la lui abandonnai. Dans ses mains maigres elle la serra comme un petit oiseau, une présence, un soutien” (70), on peut mettre en parallèle celle du père, de la Loi : “la dextre du Seigneur allait soudain se tendre et tout se résorberait”(71). Remarquons la proximité d’évocation des deux mains différentes à la suite, comme si cela devait trancher chacun dans un rôle bien délimité. Dans Naissance à l’aube Azwaw, de retour auprès de son peuple les berbères, devient pour certains Al-Khadir, c’est-à-dire : “l’être à qui Dieu avait 201 Guinoune tekst deel4 19-09-2003 21:52 Pagina 202 accordé la vie éternelle” (70). Al-Khadir, figure mythique, appartient à une croyance ancienne qui veut que cet élu de Dieu, immortel, porte une mission prophétique annonciatrice d’une ère nouvelle. Mais pour la plupart Azwaw s’appelle “le Maître de la Main” car il possède le pouvoir de redonner la vie par l’imposition de ses mains. Il revient ranimer la flamme de son peuple. Al-Khadir ou “Le Maître de la main” signifient la même puissance grâce à leur immortalité. Le pouvoir que l’auteur accorde à la main ne fait que se confirmer, dans un cadre de légendes, la main reprend toute sa force magique, elle donne la vie. b) Le goût et l’odorat Le goût, souvent associé à l’odorat667, apparaît dans les descriptions de nourriture de manière si alléchante que le lecteur en salive : On formait religieusement une boule de boundouk avec quelques légumes et un morceau de viande, on l’arrosait d’une louchée de bouillon, et puis on mastiquait dans le recueillement d’une prière muette à la Mère Nourricière, yeux fluides, narines palpitant d’émotion (Naissance à l’aube,108) Manger représente un acte essentiel quasi omniprésent dans les romans de Chraïbi. Chaque livre possède sa recette et son moment de jouissance. Les instants culinaires sont si nombreux qu’il est impossible de tous les citer.668 La nourriture chez Chraïbi déborde de sensualité. Dans La Mère du Printemps, le mari engage une servante pour qu’elle féminise le corps de sa femme, c’est-à-dire qu’elle la fasse grossir aux endroits “où il faut”: “il l’entraînait sur la couche afin de se rendre compte si la nourriture avait fait son oeuvre, épicé certaines parties de son corps de femme” (71), en d’autres termes le corps doit se transformer en un plat délicieux pour mieux être savouré. Citons encore le général Tariq parlant de sa jeune maîtresse dans Naissance à l’aube : “Quand il la sentit tendre à point comme un bon plat de hargma 669, quand il huma à plein nez son épice de femelle qui le rendait fou, il la posséda” (91). Cette sensualité propre aux rapports amoureux renvoie à la jouissance qu’apporte la mère à l’enfant quand elle le nourrit. Ainsi le personnage de Hajja dans Une enquête au pays s’avère significatif car Ali éprouve énormément de plaisir à retrouver dans les mets qu’elle lui prépare la tendresse maternelle. Mère-nourriture, deux mots indissociables car la mère est la première à nourrir l’enfant ; marqué dans sa chair par ce plaisir, l’enfant tente sa vie durant de le retrouver. Cette quête va au fil du temps se résumer pour certains à l’équation suivante : être aimé égale être rempli. Chez Chraïbi le thème de la nourriture offre à la langue arabe l’occasion de resurgir. Les arabismes augmentent au cours du temps, la parole arabe, associée à la mère, fait renaître la jouissance première. Le champ sémantique de la nourriture appartient de manière explicite à l’univers de l’instance maternelle. Deux aspects du goût sont essentiels chez Chraïbi : le lait et l’eau. Considérons d’abord le lait. Comme l’a dit Gaston Bachelard : “la première syntaxe obéit à une sorte de grammaire des besoins. Le lait est alors, dans l’ordre de l’expression des réalités liquides, le premier substantif, ou plus précisément le premier substantif buccal”670. Au Maghreb le lait possède une 202 Guinoune tekst deel4 19-09-2003 21:52 Pagina 203 connotation religieuse. Le Coran promet aux fidèles un paradis où coulent des rivières de lait et accorde au lait la même valeur que le sang, ce qui implique, entre autres, l’interdiction de mariage entre des nourrissons de mères différentes mais allaités au même sein. La loi va encore plus loin puisqu’elle interdit tout mariage entre membres de deux familles dont les enfants ont bu le même lait. “La parenté de lait est une parenté de plaisir et la liqueur lactée en revêtant la même signification que le sang joue finalement le même rôle que la liqueur séminale”671. Dans toute la littérature maghrébine perce le thème de la nostalgie du sein maternel : “Et ton rire fuse du ciel, tel un sein entre les lèvres d’un enfant”672 écrit Ben Jelloun. La particularité de Chraïbi consiste à ne pas se référer au sein explicitement mais à porter sa vénération sur la nourriture lactée, qu’il évoque à maintes reprises, en particulier dans Une enquête au pays et La Mère du Printemps. Il décrit les seins comme des mamelles, insistant sur la priorité qu’il accorde à la fonction nourricière du sein. Chraïbi, homme musulman raconte à sa manière la puissance d’attraction exercée par le lait sur l’homme. Il rend hommage au sein maternel nourricier en lui niant toute fonction érotique. Notons encore que l’écrivain utilise le mot arabe d’Ibn (petitlait) pour parler de lait : l’hommage doit être rendu dans la langue de l’origine. Autre élément nourricier indispensable à l’homme, l’eau représente une denrée infiniment précieuse. Vitale à l’homme dans l’espace maghrébin, pays aux terres arides, elle possède un caractère sacré. “La pluie est de l’eau bénie pour faire vivre les hommes” dit le Coran673. Au moment de l’islamisation, l’avancée des Musulmans se faisait dans la direction des fleuves. Les villes devaient être édifiées près de l’eau, comme le rappelle La Mère du Printemps. Mais au-delà de la connotation sociologique, l’eau constitue un réel symbole religieux et le Coran la cite fréquemment : “De l’eau, Nous avons créé toute chose vivante”674, “au Paradis se trouvent de nombreux ruisseaux d’eaux vives et des sources”, l’homme a été créé d’une “eau se répandant”675. Elle fait partie des pratiques religieuses comme élément de purification ; la prière rituelle musulmane ne peut avoir lieu sans les ablutions préliminaires avec de l’eau. La littérature maghrébine rend compte de l’importance de l’eau. Les textes bibliques utilisent la symbolique des puits dans le désert, symbole que reprend Chraïbi dans le message posthume du père au fils dans Succession ouverte (185) : “creuse un puits et descends à la recherche de l’eau. La lumière n’est pas à la surface, elle est au fond, tout au fond. Partout où que tu sois, et même dans le désert, tu trouveras toujours de l’eau. Il suffit de creuser. Creuse, Driss, creuse”. On relève dans La Mère du Printemps 80 occurences de l’eau, périphrases non comprises. L’eau est un marqueur dans la vie de la tribu berbère, les Aït Yafelman se disent fils de l’eau (67) et pour eux l’eau est fille de terre (93). Ce livre dédie une ode au fleuve l’Oum-er-bia (en français : la Mère du Printemps), et l’auteur le charge de nombreux symboles. Dans ce fleuve se fait le serment de fidélité des Berbères à leur tribu. L’eau a même le pouvoir associé au liquide séminal de donner la vie : “S’il a répandu un peu de sa semence dans l’Oum-er-Bia, eh bien ! qu’elle germe et essaime en poissons de demain, en vase, en ajoncs, en autant de vies qu’il lui plaise” (164). La Mère du Printemps s’achève sur les mots : “l’eau de mon pays”. Dans Une enquête au pays sont mises en avant l’aridité, la dureté du climat et de ses montagnes. L’eau y est à peine évoquée (4 occurences), son absence n’en est que plus forte. L’eau est aussi la mer. Non présente à l’intérieur des terres marocaines, l’eau longe les côtes grâce à la Mer Méditerranée et à l’Océan Atlantique. Tous deux ont marqué le pays : de 203 Guinoune tekst deel4 19-09-2003 21:52 Pagina 204 là venait le danger des invasions, de là sont parties les grandes vagues d’émigration. Lieu de mouvance et objet d’inspiration des poètes, la mer demeure le lieu de l’incertain. Dans ce pays pris entre mer, montagnes et désert, les Marocains se sont finalement révélés plus hommes du désert, plus montagnards que marins, comme si l’effroi de la mouvance des flots leur avait fait préférer les terres même inhospitalières. La mer renvoie symboliquement à la mort “La mort ne fut-elle pas le premier navigateur” se demande Bachelard, pour poursuivre par “le héros de la mer est le héros de la mort”676. Mais la mer renvoie aussi à la vie et au-delà de l’homophonie, le symbolisme de la mer et celui de la mère se recoupent. Mer et mère, matrices primordiales à l’origine de la vie vers lesquelles se tourne la nostalgie de l’homme, mais ce désir de regressum ad uterum est angoissant et mortifère. Mer et mère, toutes deux omniprésentes, alimentent l’imaginaire du Sud, elles se superposent en un motif récurrent dans l’oeuvre de Chraïbi : Pour moi, la mer, c’est la musique de Dieu [...] la mer, pour moi, c’est un élément, un élément autour duquel je suis né, il y a 58 ans, qui demeure très proche, c’est mon enfance, c’est à la fois une voix qui nous dépasse, qui nous apaise, qui fait appel à notre émotion, mais c’est en même temps la mère…la maman aussi677. L’évidence du propos rend tout commentaire superflu. Driss Chraïbi a tendance à utiliser plus fréquemment le mot masculin d’océan. Cela peut s’expliquer par la présence de l’Océan Atlantique, le long de la plus grande partie de la côte marocaine, là où il est né, océan qu’il a aussi retrouvé, comme un vieil ami, pendant quelques années, lors de son séjour sur l’île d’Yeu, en France. Océan et mer se rejoignent au niveau du symbole, l’océan évoque également les origines. Ses livres portent le mouvement de la mer. La maison où le père se réfugie dans Le passé simple, Succession ouverte et La Civilisation, ma Mère se situe au bord de la mer. Dans le livre De tous les horizons (1958) une nouvelle s’intitule Une maison au bord de la mer. Dans La foule, deux parties scindent le texte : le flux et le reflux. Les marées rythment La Mère du Printemps, la première montre l’ascension d’Azwaw et ses luttes ; la deuxième voit l’islam déferler. L’épilogue de Naissance à l’aube porte pour titre “L’eau”. Le prologue de La Civilisation, ma Mère est dédié à la mer. Des expressions récurrentes émaillent les textes, quelques exemples dans ce dernier livre : marée de rire (65), rumeur humaine de la marée montante (169), déferlant par vagues (146), par flots (147). Le mouvement des vagues renvoie au bercement de l’enfance : “on peut renoncer à tout sauf à l’enfance” (Naissance à l’aube,29). Tout est dit dans cette phrase. “Le sentiment océanique” de Romain Rolland, sentiment religieux, que Freud identifie au sentiment primaire du Moi correspond au souvenir de l’univers utérin où le foetus se confond avec son environnement : “A l’origine, le Moi inclut tout, plus tard il exclut de lui le monde extérieur” 678. Le “sentiment océanique” contient “les notions d’illimité et d’union avec le grand tout [...] L’océan fait partie de la nature et figure les conditions de la vie foetale, il est la toute-puissance, l’infini, l’illimité et l’éternel. Il est le liquide amniotique679. 204 Guinoune tekst deel4 19-09-2003 21:52 Pagina 205 Le cocon aquatique du foetus favorise ce sentiment de toute-puissance, sentiment qui perdure les premiers mois de la vie dans la monade constituée de la mère et du nourrisson. La symbolique de l’eau désigne la prégnance du monde maternel. Gaston Bachelard a consacré le premier chapitre de son essai sur l’imaginaire des eaux680 à démontrer le rapport entre l’eau et le narcissisme : “l’eau est un lait dès qu’elle est chantée avec ferveur, dès que le sentiment d’adoration pour la maternité est passionné et sincère”681. Cette extrapolation sur l’eau se justifiait dans la mesure où l’eau, même si paradoxalement elle est un élément communément décrit comme sans goût, demeure l’aliment de base indispensable à la survie de l’humain. De plus n’est-ce pas connu que l’eau de chez soi a meilleur goût qu’ailleurs ? Le lait et l’eau sont étroitement associés et ce n’est certes pas un hasard si la religion musulmane, qui accorde une place centrale à la mère, leur attribue un intérêt particulier. Lait et eau désignent ensemble la fixation au monde de la mère. c) La vue L’oeil et le symbolisme qui lui est rattaché dominent la représentation de la géographie humaine chraïbienne. Dans le court extrait de Succession ouverte 682 Chraïbi utilise pas moins de 17 occurences683. Dans la tradition musulmane la fonction scopique appartient à la sexualité. Les dévots musulmans parlent de coït visuel, la femme découverte suscite un désir “malsain” chez un homme autre que son mari, ce qui justifie le port du voile la protègeant du regard des hommes684. La femme musulmane dont la vue provoque le désir de l’autre n’aura pas droit au paradis. Pour désigner la zone érogène de l’homme et surtout de la femme les canonistes musulmans utilisent la formule de “corps aveugle”685. Quel plaisir doit éprouver notre auteur à transgresser un tel tabou lorsqu’il écrit la jouissance à regarder le sexe de la femme (Mort au Canada) ! Les pratiques traditionnelles concentrent une infinité de croyances et de superstitions : le “mauvais oeil” désigne l’arme utilisée par les envieux ; “tendre les yeux” signifie désirer quelque chose ; “avoir un bandeau sur les yeux” ne pas vouloir comprendre. “Voir” en général signifie comprendre et “devenir aveugle” expression courante dans le texte coranique veut dire affaiblissement, si ce n’est perte, de la foi. Dans la littérature soufie la vision accompagne la contemplation, les mystiques parlent “des yeux du coeur”, et de l’oeil comme de “l’essence immuable”. Poésie et littérature arabes ne possèdent pas moins de 40 qualificatifs qui évoquent l’oeil. Le Prophète parlait de la prière comme “la pupille de ses yeux” et n’oublions pas que l’un des noms d’Allah “met l’accent sur sa faculté d’être le Voyant suprême”686. A la spécificité musulmane des romans de Chraïbi, s’ajoute, du fait de son éducation française, l’héritage grec, on connaît la fascination qu’exerce l’oeil frontal cyclopéen auquel rien n’échappe687 ; mythe que Chraïbi parodie ainsi : “Et chacun sait que celui qui a un oeil unique voit plus grand et plus loin que celui qui n’en a que deux” (La Mère du Printemps, 97). La symbolique de la vision, de l’oeil, du regard, fait partie des mythes universels688. Comme le dit avec justesse Jean-Paul Valabrega : “Dans tous les cas, il s’agit soit de regarder ce qu’il ne faut pas voir (le voyeurisme par exemple), soit au contraire de ne pas voir, avoir vu ou voulu voir ce que l’on aurait dû voir”689. L’origine des mythes se cache peut-être dans le premier regard, celui de la mère qui allaite et qui renvoie à l’enfant son premier reflet, la première fenêtre sur le monde. 205 Guinoune tekst deel4 19-09-2003 21:52 Pagina 206 La symbolique de l’oeil se trouve souvent renforcée lorsqu’il est associé à un autre élément. Nous avons retenu deux associations particulièrement intéressantes parce qu’elles reviennent de manière récurrente sous la plume de Chraïbi : oeil/soleil et oeil/oreille. Le psychanalyste Karl Abraham a montré le lien opéré dans de nombreuses civilisations entre l’oeil et le soleil, il en a conclu que “le désir d’aveugler ou d’être aveuglé implique toujours une idée de punition pour une contemplation interdite, celle du corps de la mère ou du coït parental”690. Le soleil possède une symbolique forte : rappel permanent des origines, le soleil indispensable à l’homme fait du bien –fécondateur- et du mal -ravageur, meurtrier. Il mesure le temps et scande la vie de l’homme. Chez un auteur maghrébin, les jeux d’ombre et de lumière font partie intégrante de son univers et reflètent son paysage intérieur. On le remarque par une forte présence ou une forte absence au gré des pays où se déroule le roman691, quelques exemples : “il se levait ou ne se levait pas”, “pâle soleil de la France”, “un soleil qui s’était levé et qui s’était couché”692 ; “soleil d’hiver”, “soleil du matin” ,“soleil de l’après-midi”693. Il y a quelques occurences dans Les Boucs et dans Succession ouverte, cependant le soleil éclaire surtout La Mère du Printemps (27) et Naissance à l’aube (18). La courbe du soleil, comme le dit un dicton populaire, épouse le tracé de l’homme, faible le matin, puissant à midi, fragile le soir et mourant à la fin du jour. Belle métaphore qui accompagne Chraïbi dans son parcours d’écrivain. La trilogie L’inspecteur Ali, La Mère du Printemps et Naissance à l’aube révèle la puissance de l’homme au sommet de sa virilité et de son pouvoir paternel, on comprend que le soleil y brille plus qu’ailleurs. Le soleil, associé à l’oeil, qui aveugle et tue, se trouve dans le premier livre, Le passé simple à travers la mort d’Hamid le petit frère, décès qui survient au mois de mai, époque à laquelle le soleil n’est pas trop fort, et pourtant Chraïbi décrit une chaleur torride comme en été694 : “Le ciel est flambant blanc, si blanc que je ne distingue pas le soleil”, “tout de suite le soleil a cinglé le linceul blanc, jusqu’à le rendre miroitant”695. Pareil détail laisse penser que Chraïbi transpose dans sa narration la mort de son frère, disparu en plein été : “Je croyais que c’était parce qu’il avait passé tout l’après-midi sur la terrasse, au grand soleil d’août”696. Le soleil symbolise le père comme le montrent souvent les dessins d’enfants et les rêves de l’adulte”697. Il nous décrypte dans Le passé simple le rapport ambivalent entre le père et le fils. Hamid, le petit frère aurait été tué par le père : “l’on dit qu’il a tué son fils [...] des coups sur le crâne”698. Driss veut croire à l’infanticide qui le laverait de la culpabilité qu’inconsciemment il éprouve face à la mort de son frère, Hamid699. La représentation paternelle est celle d’un homme fort comme le montre la métaphore du père dans Le passé simple (90) : “nerfs d’acier, autorité d’acier, expression d’acier. Le soleil qui verra cet acier se réduire en rouille ne luira point : inoxydable, l’acier”. Des pouvoirs exceptionnels sont attribués au père-soleil ou père-acier dont l’immortalité est sans doute le plus imposant. L’immortalité se confirme dans d’autres détails. Ainsi le père mort dans Succession ouverte continue à régler dans les moindres détails les faits et gestes des vivants. Mort dans Succession ouverte, il revit dans La Civilisation, ma Mère. Dans La Mère du Printemps et dans Naissance à l’aube le père traverse le temps, il disparaît, revient. Immortel, il accède au statut divin et cette ascension se poursuit dans les romans. Le dernier roman n’a-t-il pas pour personnage central le Prophète, figure paternelle emblématique ? Cette toute puissance du père se retrouve dans la seconde association oeil/oreille. 206 Guinoune tekst deel4 19-09-2003 21:52 Pagina 207 “Je veux voir tes paroles”, “ils regardent sa voix”, “me regardait d’un ton” “j’entendais son rire, je ne le voyais pas” : cette figure poétique récurrente de l’auteur qui associe l’oeil à la parole confirme la présence paternelle. Ce dernier surveille jalousement son bien et peut punir. L’angoisse concernant les yeux, du devenir aveugle est un substitut bien souvent de l’angoisse de castration700 car il y a relation de substitution entre l’oeil et le membre masculin et la crainte de le perdre. Etudions de plus près une de ces expressions dans son contexte littéraire : “ils regardent sa voix” (La mère du Printemps,91). Ils désignent les fidèles du chef Azwaw qui le suivent partout, ils représentent le peuple berbère avant l’arrivée de l’islam. Sa voix est celle de Oumawch, le plus ancien des anciens, il est aveugle (l’auditoire regarde un aveugle). Il raconte l’histoire de la création du monde en s’accompagnant des mêmes interminables notes. Cette histoire est importante pour Azwaw car elle appartient à l’héritage des ancêtres mais surtout elle fait revivre sa mère. Morte il y a longtemps, sa mère racontait aussi cette histoire en s’y abandonnant tellement qu’elle semblait “devenir aveugle”. Toute la nostalgie de l’enfance imprègne ces lignes et aussi la soif de venger la mère morte de misère, soif qui le guidera dans son combat pour la justice. Dans ce contexte l’expression prend toute sa force. Elle est extrêmement intéressante car il y a un glissement de l’oeil vers la parole. On peut se demander s’il ne s’agit pas là d’un exemple de déplacement, il faudrait lire alors “sa voix les regardait”, la voix qui relève de l’écoute désigne l’oeil du père qui intervient en tiers pour interdire le désir pour la mère, le risque encouru étant la castration. Mais cette figure, qui semble être propre à Chraïbi, semble exprimer un embarras réel à harmoniser les deux mondes, le maternel et le paternel, l’oeil et la parole sont comme l’exprime Rosolato deux étapes : Dans l’évolution de l’enfant, la fixation au visuel est une étape importante de dégagement à l’égard de la fusion avec la mère. La vue garde l’attrait pour le contact, le lien par le contrôle et le regard, avec elle, avec sa proche présence retrouvée dans le visible. L’écoute de la parole, au-delà, pour s’affranchir du pôle maternel se tourne vers le père, et vers le sytème digital du langage701. Ce déplacement de l’oeil à la parole se situe dans l’évolution de l’enfant. Le visuel est en jeu avec les premières angoisses de séparation car mieux que l’ouïe, la vue assure d’une présence sans ambiguïté, elle permet de garder le contact avec la mère. Mais la vue permet ensuite, en se fixant sur d’autres objets, de dépasser la dépendance fusionnelle avec la mère et au-delà, l’écoute devient importante. En tant que domaine de l’abstraction du système digital du langage et de sa loi, elle renvoie à l’instance paternelle. Par ce développement nous avons voulu mettre en évidence la prédominance de l’oeil sur l’oreille chez Chraïbi. Qu’il soit évoqué seul ou accompagné d’un autre élément, il désigne l’oeil du père qui surveille mais surtout l’oeil de la mère qui couve. Au-delà de la fonction protectrice, le regard de la mère renvoie au bébé sa propre image comme dans un miroir. C’est ce qui permet le développement des potentialités créatrices. Si la mère reflète son propre état d’âme à son enfant, ce dernier ne peut se voir. Ses capacités créatrices en seront alors atrophiées, ce qui n’est absolument pas le cas de cet auteur. Sa mère n’a vu que lui, semble-t-il, et lui n’a vu que lui dans le regard de sa mère702. On comprend alors l’essence de cette écriture que nous avons régulièrement qualifiée de narcissique, 207 Guinoune tekst deel4 19-09-2003 21:52 Pagina 208 car là se révèle l’aspect positif et constructeur du narcissisme dans ce qu’il permet l’art. d) L’ouïe Dans le vocabulaire du corps au Maghreb, Malek Chebel remarque que l’oreille tient un rôle plus négligé que les autres organes des sens.703 Chraïbi n’accorde pas non plus exagérément d’intérêt à la configuration anatomique de cet organe mais il met l’accent sur l’immense plaisir qu’il apporte à l’homme grâce à la musique. Il invente même des expressions : “A perte de vue…à perte d’ouïe” (Succession ouverte,21) ou encore “me regardait d’un ton” (Le passé simple,172). La musique accompagne plusieurs récits. Dans Les Boucs (147) et dans La Mère du Printemps (56), elle devient musique incantatoire coranique. La voix du héros, Azwaw devenu pour un temps l’imam Filani, appellera du haut du minaret les fidèles à la prière dans Naissance à l’aube. Dans ces deux derniers livres et dans Mort au Canada, la même chanson du pêcheur lie le père à la fille. Nous lisons des morceaux de partition dans Naissance à l’aube où la musique émeut aux larmes le héros ; un héros musicien se rencontre dans Mort au Canada et dans La Mère du Printemps. La musique rattache l’écrivain au monde de la tradition, de son origine et porte toute la nostalgie de l’avant-exil. Dans Naissance à l’aube, le père se sert de son luth afin d’aider Yerma à retourner dans les temps anciens où elle n’était qu’une petite fille en adoration devant son père et ainsi l’aider à se libérer de cet enfant qui n’arrive pas à naître. Benchama a analysé les instruments de musique évoqués par Driss Chraïbi, il relève ainsi que les nay et bendir (flûte-roseau et tambour) : “ont une valeur suggestive et servent de catalyseur à la mémoire qu’il faut préserver, la mémoire anté-islamique, du temps des mythes païens....ils sont associés à un espace spécifiquement berbère”704. Dans Une enquête au pays Ali reconnaît, sans pouvoir y mettre des mots dessus, le son des tambours comme appartenant à son passé, ils annoncent la mort du commissaire. Par ailleurs la musique fait partie également de la tradition islamique ainsi : “la tradition rapporte que, Mavlânâ Djalâl-ud-Dîn Rûmi, célèbre soufi du XIIe siècle considérait le Ney 705 comme étant le symbole de l’Homme complet, qui obéit à Allah comme l’instrument au souffle du joueur”706. Quant au bendir, son utilisation remonterait à des temps plus reculés. La musique, métaphore d’amour, comme le chantent les musiciens depuis toujours, remplace la littérature à l’eau de rose peu développée dans les pays musulmans. Il n’est de remarquer l’immense popularité de certains chanteurs comme la célébre chanteuse égyptienne Oum Kalthoum ou encore Mohammed Abdel Walab707. La musique chez Chraïbi rappelle le bercement de la mer qui apaise, comme le tout petit enfant trouve la sécurité dans le balancement répété. Le silence, motif littéraire classique, alterne avec la musique dans les romans de Chraïbi. Dans Le passé simple : “Le silence est un prélude d’ouverture à la révélation [...] il enveloppe les grands événements, donne aux choses grandeur et majesté” ; la mère fait sa prière (34) : “elle fait une pause et le silence tombe”(35) ; “L’évier, en aspirant l’eau déversée d’une volée, rote [...] puis le silence se rétablit”, c’est le moment choisi pour faire entrer le père dans la pièce après une absence de trois ans. La famille va faire la prière puis partager le repas : “Personne ne parle” (36). L’annonce de la mort de son père fait s’abattre sur le héros “une pluie de silence” (Succession ouverte,18). Chez Chraïbi, le silence constitue une mise en scène pour accentuer la solennité 208 Guinoune tekst deel4 19-09-2003 21:52 Pagina 209 du texte. Le silence peut avoir diverses fonctions par exemple dans L’inspecteur Ali, le silence accompagne le discours du chef Mohammed et se veut empreint d’autorité, alors que pour Raho, le silence devient mutisme et signe de méfiance, mais aussi prologue à la méditation. Musique et silence, indissociables l’une de l’autre, la première apporte le plaisir, le second précède et suit l’arrivée de l’autre. Tous deux accordent des plaisirs différents et accompagnent l’homme. L’oreille appartient au langage du corps et son sens est plus développé dans sa juxtaposition, que l’on rencontre fréquemment chez Chraïbi, avec l’oeil. On constate que situer les sens dans le paragraphe sur le métonymique croyant que tout ce qui appartient au corps relève du domaine maternel s’avère insatisfaisant. Le goût avec tout ce qui se rapporte à la nourriture constitue le propre de cet univers ; l’oreille, l’oeil et la main concernent les deux mondes dans un mouvement de va et vient. Le monde maternel ressort dans la nostalgie de l’avant, par la nourriture, par la caresse de la main maternelle, par la musique qui berce mais surtout par l’oeil qui veille. L’instance paternelle utilise ses sens d’une autre manière. Le monde paternel inclut du corporel mais de manière reportée, organisée, partagée ; l’association oeil/parole en est une illustration, la musique aussi. L’oeil domine en tant qu’organe autonome mais il s’affirme aussi en formant des sortes de binômes avec l’oreille et la main. L’intérêt de l’étude des sens a été de montrer le chevauchement des deux orientations tout en montrant que chez Chraïbi le monde maternel l’emporte. 1.2 Le corps malade La maladie est une manière d’expression, de langage du corps, elle devient motif récurrent dans l’oeuvre chraïbienne. Elle concerne principalement la tête : l’otite dans Les boucs et Succession ouverte, la méningite dans Le passé simple, Les boucs et Une enquête au pays, la migraine dans Une enquête au pays, La Civilisation, ma Mère, Mort au Canada. La maladie désigne sans doute un élément biographique : le traumatisme de la mort du petit frère emporté subitement par une méningite708. Mais la surreprésentation de la maladie dans ses romans semble évoquer d’une manière générale la peur de la mort709. On peut s’étonner d’une telle angoisse lorsque nous observons l’attitude de l’islam envers la mort, attitude que résume Chebel ainsi : “la vie n’a aucune vertu en soi, elle ne peut se justifier que par la mort qui lui succède et la parachève”710. L’islam a cru domestiquer l’angoisse de la mort en promettant la félicité éternelle711. Mission difficile car celle-ci a des racines trop profondes correspondant à une atteinte directe du narcissisme. Le petit enfant, protégé dans la bulle narcissique de la mère, ne peut imaginer la réalité de la mort. Aussi tout le monde meurt dans les romans de Chraïbi, sauf le héros712. Mer, mère et mort se confondent de manière métonymique. On se souvient de Fès, la ville de la mère qui était “triste comme un cimetière”. Une telle homophonie peut traduire l’angoisse d’être rattrapé et englouti par la mère. Le héros part, s’enfuit, particularité des personnages de Chraïbi713. Cette fuite le conduit vers l’aventure, la découverte, monde paternel, mais à long terme le voyage se transforme en exil. S’exiler est la résultante d’un double mouvement, quitter le domaine familier maternel et aller vers l’étranger paternel : “ex-pulsion du pays de la mère pour aller suivre et redécouvrir les traces de l’autre”714. La langue maternelle 209 Guinoune tekst deel4 19-09-2003 21:52 Pagina 210 s’inscrit dans le corps avant le langage construit paternel, et on ne s’en échappe jamais. Du langage, l’exil peut offrir une manière de s’en libérer, de s’éloigner de la parole reçue pour créer la sienne propre. Et l’intégration du familier et de l’étranger amène l’individu à la création de son propre univers langagier. Mais l’autre langage, que l’homme porte en lui et garde incrusté, avec la nostalgie des origines, ressurgit chez l’homme vieillissant. Certaines répétitions traumatiques, selon l’hypothèse de Freud, seraient la conséquence d’un événement dans le passé auquel le sujet ne peut faire face, qu’il ne peut ni intégrer, ni abstraire en le refoulant. Répéter aurait ainsi pour fonction de réduire la douleur mais le retour du “même” c’est le contraire d’une avancée, c’est le retour à la mort. Pour Freud ce genre de répétition porte le sceau de la pulsion de mort. L’écriture de Chraïbi le porte à double titre. Le premier renvoie à la période qui lie étroitement mère et enfant715, le second concerne le traumatisme de la mort du petit frère. 1.3 L’obscénité Le corps parlant se traduit par une écriture chez Chraïbi qui peut sembler parfois vulgaire, voire obscène. Marc Gontard remarque que le langage obscène appartient au champ imaginaire de la langue arabe : Le langage obscène au Maghreb se présente comme un capital de signes extrêmement virulents, doublé d’une fonction compensatrice évidente. Il est important de rappeler, afin de montrer l’importance du langage obscène, que la culture orale a été, jusqu’à ces dernières années, le véhicule privilégié de la transmission de la Loi au Maghreb. Tenant essentiellement de cette tradition, le langage obscène appartient à un imaginaire en “clair-obscur”qui est spécifique de la langue arabe716. Fondamentalement il faut lire dans l’expression obscène l’influence arabe puisque proférer des injures, des malédictions ou obscénités relève d’une pratique très courante dans tout le Maghreb. Nous n’évoquons pas ici des pratiques propres au monde oriental comme par exemple roter, signe de politesse et de remerciements au Maghreb. Certes, pareille trivialité peut choquer un lecteur occidental, qui, porteur en cela de la tradition aristotélicienne, accorde plus de valeur à l’éternuement qui vient du haut [de la tête] qu’aux pet et rot qui viennent des parties moins dignes et respectables717. Une telle dichotomie entre le corps et l’esprit est toujours vivace au début du XXIe siècle en Occident. Le pet, tabou occidental, s’inscrit dans les interdits de l’islam comme signe d’impureté pendant le rituel de la prière. “Vous croyez avoir pété. Mais réfléchissez, peuple de dieu. Votre anus a-t-il éjecté une once de fèces ? Non ? Alors, tranquillisez-vous : vous n’avez pas pété” (Le passé simple,169). Rot attaché aux pratiques sociales, pet à celles religieuses, ce que nous nommons cru fait partie du quotidien d’autres cultures. Chraïbi se moque volontiers des excès de certaines pratiques religieuses, conscient qu’il doit être d’un discours inhabituel pour un lecteur autre que maghrébin718. Il veut choquer. La facette sociologique n’explique pas tout. L’obscénité langagière de Chraïbi est jubilatoire. 210 Guinoune tekst deel4 19-09-2003 21:52 Pagina 211 Obscénité, rire, truculence, nous rappelle l’écriture rabelaisienne dans laquelle le langage du corps prédomine. Chraïbi jouit du plaisir que donne le son du “gros mot” ou du juron car ces mots le renvoient au plaisir du corps, comme l’enfant éprouve de la jouissance dans la formulation du “pipi-caca”.719 Son vocabulaire évoque tout ce qui se trouve en dessous de la ceinture: “Vous n’éternuez pas, ne toussez pas, ne rotez pas, ne pétez pas.....Bordel de bordel ! Si j’avais su, je serais resté au bordel” (Le passé simple,166); “mes testicules se raidir” (195) ; “se vidanger” (203); “secouée de joie jusqu’à pisser” (71) ; “baise, pète”(93) ; il achève le livre en “pissant” sur la ville720. L’obscénité évoquant le corps constitue une dominante du langage populaire maghrébin, avec une prédominance de qualificatifs pour le corps de la mère -même si évoquer la mère relève du blasphème suprême-, de la femme en général et des organes génitaux. Elle témoigne d’un inconscient collectif : Tout se passe comme si l’obscénité recélait en elle une vertu cathartique [...] En disant des mots obscènes, on provoque, on catalyse, on draine le libidineux. On l’exprime ; on l’apprivoise ; on le désamorçe [...] En se gargarisant des mots obcènes on finit par maîtriser symboliquement et provisoirement les phantasmes qui angoissent et il n’en manque pas dans les sociétés arabo-musulmanes [...] Ce sont peut-être les sociétés les plus puritaines qui sont celles qui produisent le plus d’obscénités verbales et [...] obsessionnelles721. Chraïbi limite ses propos aux organes génitaux. Une seule fois il s’attaque à un interdit suprême lorsqu’il fait allusion aux mouchoirs de la mère dans Le passé simple, car ils sont la preuve du coït parental. En touchant à l’intimité de la mère, il brise un tabou absolu en Orient plus qu’ailleurs : la pudeur. La pudeur, accompagnée de la notion de pur et d’impur, domine la société maghrébine et règle la vie des femmes et des hommes. Le sang menstruel en est un exemple : “si le sang de la vierge qui vient d’avoir ses premières menstrues est talismanique (il suscite la passion des jeunes filles pour les hommes qui la courtisent), aux menstrues des femmes plus âgées est rattachée la notion d’impur”722. Driss Chraïbi franchit souvent la frontière entre pur et impur, il ne craint pas de raconter les menstruations d’Hineb encore vierge ou de Yerma à peine nubile, description obscène dans l’univers maghrébin : “Impure ! Aha! Attends la prière de midi et tu verras. Attends avec ton jus. Ne te lave pas. […] Le sang est ce qu’il y a de plus pur au monde.”(Naissance à l’aube,92). Il aurait pu atténuer le tabou enfreint en se servant de mots français mais l’auteur ose assumer l’interdit en utilisant une expression arabe : “avoir ses dettes”. L’obscénité fait partie de la culture de l’auteur mais aussi de son imaginaire scriptural propre. Il s’en sert pour affronter ses démons. Et comme le dit Georges Devereux : “les injures classiques dans une culture donnée révèlent les pressions et les tensions propres à cette culture, tandis que les injures individuelles dévoilent les peurs de leurs auteurs”723. Dans une société où les mères s’offrent comme seule image féminine possible et où le meurtre fantasmatique de la mère, comme l’a mis en scène le conte de Jawdar, se révèle impossible, le langage tente d’attaquer le roc maternel par l’obscénité la plus fréquente au Maghreb724. L’obscénité touchant la mère n’effraie pas Chraïbi, même si l’allusion au sexe de la mère se fait au travers du langage naïf de l’enfant. Le langage obscène de son écriture évolue au 211 Guinoune tekst deel4 19-09-2003 21:52 Pagina 212 fil de sa maturation. Cru et violent dans les premiers romans, il devient inconvenant au niveau du tabou qu’il soulève, à savoir enfreindre les interdits concernant l’intimité de la femme : menstruations, accouchement, ébats sexuels. L’homme mûr s’approprie cette dernière forme d’obscénité qui n’a plus rien en commun avec le langage violent de l’adolescent en butte au monde de l’adulte. Le glissement se fait de manière progressive, elle se révèle évidente à partir de La Mère du Printemps. 1.4 Le paratexte Le dernier témoin de l’attachement de l’auteur au monde du corps et de la mère se cache derrière le paratexte parce qu’ici il ne doit pas être lu comme le souci d’évoquer l’autre mais comme le signe d’une occupation narcissique. Les romans de Chraïbi sont riches de messages autour du texte : dédicaces, épigraphes, préfaces. Ils nous transmettent d’une manière générale la nécessité qu’a l’écrivain d’attirer notre attention sur la généalogie du texte. Les dédicaces, marque personnelle de l’auteur, ouvrent une lucarne sur sa vie privée, à mots couverts ou non. Le message adressé à un(e) lecteur(trice) sera reçu par tous, sorte d’hommage ou de remerciement public envers un être cher. Au-delà de l’intention tout à fait louable, il semble que, d’une manière moins consciente, l’auteur souhaite s’attirer surtout la sympathie ou l’admiration du lecteur. Les dédicaces de Chraïbi s’adressent à des amis, à des femmes, à sa femme parfois, à sa mère, à son père et même une fois à ses enfants. Par trois fois elles s’adressent au Maroc et aux Marocains. Parfois la dédicace suit le cours du temps. En 1972, elle s’adressait à Sheena comme à une soeur, citée à côté de la mère et de l’ami (La Civilisation, ma Mère). En 1993 dans Une place au soleil, la dédicace est destinée à Sheena, la maîtresse725. Au gré des rééditions, les dédicaces changent. La première version du Passé simple était adressée à François Mauriac : “A François Mauriac, 1954, il y avait alors la révolte et l’espoir” ; en 1977, Le passé simple sort dans la collection “Médianes” avec une autre dédicace : “A Hassan II et autres valeureux leaders du monde arabe”. Dans la version de 1985 les dédicaces sont un remerciement de l’auteur à l’intention des étudiants marocains : “Je dédie ce livre à tous les étudiants marocains qui m’ont accueilli chaleureusement dans mon pays natal, en février 1985, après vingt-quatre années d’absence”. Il est intéressant de remarquer comment le paratexte colle au parcours de l’écrivain et ce d’une manière parfois plus explicite que le texte romanesque726. L’ensemble des dédicaces renvoie l’image d’un écrivain apparaissant comme un ami fidèle, un bon fils, un bon père, un bon mari et un bon amant727. Le paratexte auctorial rejoint le texte romanesque dans des approches séductrices, on y retrouve le désir de plaire, de se montrer sous son meilleur jour donc dans une démarche séductrice et non dans celle d’aller à la rencontre de l’autre. Qu’en est-il des épigraphes ? Elles sont très nombreuses et de longueur variable. Elles se situent en début de livre et pour certains livres avant chaque chapitre. Driss Chraïbi fait appel à une palette d’écrivains ou de philosophes pour introduire ses propos. Cette technique confirme la définition de Gérard Genette pour qui la fonction de l’épigraphe est de donner un effet de caution indirecte grâce à la proximité d’un personnage célèbre728. Souvent les citations comme celle de W.C Halstead729 ou encore celle de Lester Ward730 apportent la conviction de 212 Guinoune tekst deel4 19-09-2003 21:52 Pagina 213 la science. Chraïbi aime ce genre de sentences imposantes et s’y essaie parfois lui-même : “Qu’avons-nous donc été, qu’avons-nous eu et fait pour que nous mourions deux fois –une fois dans l’amour et une fois en nous-mêmes ?” (Mort au Canada). Plusieurs épigraphes sont d’origine religieuse : “l’islam redeviendra l’étranger qu’il a commencé par être” (La Mère du Printemps), citation du Prophète, ou “le respect des liens utérins ajoute à la vie”(Naissance à l’aube et L’homme du livre). En résumé, la lecture des épigraphes apporte l’image d’un écrivain lettré sachant jongler avec des citations hétéroclites731. L’accumulation des citations peut ressembler à de l’étalage culturel, mais révèle surtout le souci de l’auteur de séduire son lecteur. Les préfaces confirment la tendance un peu pompeuse des épigraphes. Elles sont souvent sérieuses, parfois teintées d’humour comme celle du Passé simple : Et le pasteur me dit : -Nous aussi, nous avons traduit la Bible. Nous y avons trouvé que Dieu a créé les premiers hommes de race noire. Un jour le Noir Caïn tua le Noir Abel : “Qu’as-tu fait de ton frère?” Et Caïn eut une telle frayeur qu’il en devint blanc. Et depuis lors tous les descendants de Caïn sont blancs. On peut s’interroger sur le sens de cette histoire en préface d’un livre racontant le désir de parricide et la mort du frère quand habituellement la fonction de la préface est d’assurer une bonne lecture “voilà pourquoi et comment vous devez lire ce texte”, fonction que rempliront les autres préfaces732. La plupart d’entre elles expriment les souffrances et espérances des êtres humains, jusqu’à devenir parfois militantes. Par exemple l’auteur dédie La Mère du Printemps aux minorités ; mais il faut noter que ce discours militant est directement atténué par un avertissement qui suit : “Ceci n’est pas un livre d’histoire mais un roman [...] toute ressemblance…”. Enfin dans Une place au soleil le ton devient humoristique et les préfaces, à l’image du contenu des romans, deviennent plus légères, signant la fin d’une période d’écriture tourmentée. Signalons encore deux éléments permanents chez Chraïbi. Le premier consiste en l’annonce d’un prochain livre à paraître sur la page intitulée “du même auteur”733. On relève cette pratique dès son troisième livre, L’âne (1956). Chraïbi y donne deux titres de livres en préparation, Introduction à la vie et Les vieux. Ils n’ont jamais été édités, ou tout du moins pas sous ces titres. Dans le livre suivant De tous les horizons (1958), on lit “à paraître” Succession ouverte et Don Slim de la police ; le premier sortira quatre ans plus tard, quant au second il n’a pas vu le jour sous ce nom. En 1966, il annonce dans la revue Souffles deux livres à paraître : Le calme qui suit la tempête ainsi que Une journée dans le monde. Or un an plus tard, en 1967 paraît Un ami viendra vous voir, dans lequel est cité “en préparation” Naissance, et C’était un jeudi et Catherine, allons-nous-en. Dans Mort au Canada, il y a “en préparation” Au delà de l’expression ; sur ce dernier livre, nous en savons un peu plus grâce à une interview de Chraïbi dans laquelle il parle à plusieurs reprises de ce livre, comme étant le livre hommage à sa mère. Ce livre n’a jamais été édité.734 Naissance à l’aube annonce L’émir des croyants qui sera publié, en 1994 sous le titre L’homme du livre735. En 1993, Chraïbi parle de Un enfant et la vie dans Une place au soleil, et annonce la parution de Vu, Lu, Entendu dans deux romans parus respectivement en 1996 et en 1997736. Cet ouvrage est effectivement sorti en 1998 avec 213 Guinoune tekst deel4 19-09-2003 21:52 Pagina 214 l’annonce, devenue habituelle, du tome II en préparation. Il est sorti en septembre 2001. Une telle obstination à toujours annoncer “des romans à paraître” peut signifier la prolixité de l’écrivain, aux casiers regorgeant de textes plus ou moins avancés, elle peut également illustrer une anxiété qui pousse l’écrivain à se mettre dans l’obligation de produire. Peut-être répondelle plus prosaïquement à des fins commerciales. Même si Chraïbi évoque à maintes reprises dans ses interviews l’aspect aléatoire du métier d’écrivain sur un plan financier, l’interprétation reste ouverte. Un deuxième élèment caractérise l’oeuvre de Chraïbi : l’écriture de tous ses livres est datée et inscrite à la fin du roman : “Rêvé au Moyen-âge sur les vestiges d’une naissance, à Cordoue, puis à Fès ; écrit en France en 1984-1985, de nuit, et parfois l’après-midi, lors des siestes de mon dernier né : Tariq”. (Naissance à l’aube). Cette nécessité de signer et de dater les textes, qui n’est plus d’usage, peut relever d’un besoin tout à fait maternel de conserver le moment du plaisir, de le prolonger. Une autre particularité de notre auteur concerne l’utilisation massive de citations et d’exergues, qui selon Basfao serviraient de “béquilles” : Les auteurs de ces citations faisaient office de “pères spirituels [....] la fonction fondamentale de l’usage de la citation dans l’écriture chraïbienne me semble être celle d’ersatz, produit de remplacement d’une Parole paternelle défaillante737. L’interprétation de Basfao ne nous convient pas totalement. Nous ne sommes en effet pas convaincue de la “défaillance” de la parole paternelle, dans le sens d’absence, il nous semble que l’auteur utilise “les pères spirituels” comme un moyen de contourner la Loi paternelle pour retourner dans l’univers maternel. Ainsi le paratexte paraît répondre à une nécessité d’utiliser jusqu’au moindre espace du livre pour ne pas avoir à le quitter, pour garder cet instant éternellement. Les épigraphes scientifiques, les références à de grands auteurs et le “à paraître” le rassurent, et leur côté séducteur désigne un besoin évident de plaire. Conserver ce moment de l’écriture de même que le désir de flatter son ego répondent à l’aspiration du petit enfant qui évolue dans son monde narcissique où seul son plaisir compte. Enfin il faudrait aussi évoquer les signes qui entourent les mots des textes. Chraïbi en est extrêmement friand, cela représente sa façon à lui d’insister, dit-il, lorsqu’il ne trouve pas les mots assez forts. On trouve des signes comme des partitions de musique écrites par l’auteur, pour qui la musique semble si importante qu’il ne peut la séparer de l’écriture, ou des arabesques coraniques qui montrent la fascination de l’écrivain pour la richesse de sa religion et de sa culture. Le livre, par le rajout de calligraphies, devient entre les mains de cet auteur un objet visuel, phénomène peu courant qui rejoint ainsi à sa manière le motif de la vision : l’oeil qui protège. 2 RÉPÉTITION E T É N U M É R AT I O N Métonymie et métaphore vont toujours ensemble, mais au départ l’articulation est surtout d’ordre métonymique, bien que, à l’origine de tout mot (qui remplace une chose ou une 214 Guinoune tekst deel4 19-09-2003 21:52 Pagina 215 personne) il y ait aussi une métaphore (puisque remplacement). Ainsi le langage, à son origine, est métaphore puisqu’il “remplace” autre chose. Après cela la répétition est surtout récapitulation métonymique, pur “alignement”. En tant que figure primitive de toute représentation elle semble être une forme de métonymie pure. Le fait qu’on soit capable d’utiliser tel ou tel mot est déjà une répétition “originelle” pour ainsi dire du dictionnaire. Après seulement elle devient figure de style visible, qui présuppose l’autre, “invisible”, “implicite”. Sur un plan concret les travaux de Jean Piaget ont montré que l’acquisition du langage suit le développement neurologique et psychologique de l’enfant738. Pendant la toute petite enfance il répète inlassablement en imitant, ensuite il énumère ses acquis langagiers dans un discours égocentrique qui ne s’adresse qu’à lui-même, avant d’atteindre le langage socialisé qui le plonge dans la communication sociale, montrant qu’il est plus avancé dans son développement. Enumérer des mots signifie d’abord une tentative de maîtriser son univers, mais aussi révèle la difficulté à choisir, car choisir –remplacer un mot par un autre- signifie d’une certaine façon éliminer et donc perdre. Dans cette phase d’apprentissage correspondant sur le plan psychologique au narcissisme freudien affectif, l’enfant n’en est pas au choix. Cela viendra dans un développement ultérieur quand il pourra remplacer un mot par un autre, dans le monde métaphorique. La répétition, cette grande dame du champ métonymique est surreprésentée dans l’oeuvre de Chraïbi. On la retrouve à divers niveaux : les mots, les phrases, les sons, les chapitres, les livres, les personnages. La répétition donne au lecteur un sentiment de déjà lu non désagréable, qui peut se transformer en une impression d’intimité partagée avec l’auteur. L’écrivain entraîne le lecteur dans un univers qui peut plus ou moins lui convenir. L’atmosphère de “connu” qui s’en dégage porte la marque du monde maternel où l’enfant domine un univers sécurisé. La figure de répétition n’appartient pas en propre à l’écriture de Chraïbi, elle est la marque de toute littérature. La spécificité se trouve dans les domaines qu’elle touche car comme l’a montré Sarah Kofman, le fantasme individuel d’un créateur, même s’il n’est qu’une variation d’un fantasme universel, n’en est pas moins typique739. Dans le paragraphe précédent nous avons souligné l’aspect récurrent concernant le langage du corps, nous poursuivons maintenant avec les niveaux évoqués ci-dessus. Pour cela nous nous appuyons principalement sur l’extrait de Succession ouverte. La répétition devient parfois enlisement, ainsi l’exemple de cette phrase très longue qui commence par une métonymie : “des mains qui eussent inspiré Rodin”, continue sur une métaphore “des lévriers..”, se poursuit sur une répétition : “longue, très longue”, pour s’achever sur “une coulée de bronze”, référence à la sculpture nous ramenant au début de la phrase740. Un peu plus bas on reconnaît une concordance entre le verbe “s’effrangeaient” et plus loin “déchirures”741 et également une persistance à utiliser le déplacement entre l’oeil et la voix742. Cette impression de s’enliser dans des mots que donne la répétition témoigne de la difficulté à abandonner le plaisir d’une formule plaisante pour aller vers ailleurs. Les figures de style de la répétition sont utilisées avec excès. Toujours dans l’extrait de Succession ouverte l’anaphore rhétorique743 : “Quand elle se penchait, quand elle tendait un plateau, quand elle se relevait”744 est une illustration de ce que l’on lit souvent. Un peu plus bas 215 Guinoune tekst deel4 19-09-2003 21:52 Pagina 216 commence une anaphore rhétorique qui revient à neuf reprises : “Voici”. Elle introduit neuf paragraphes et accompagne la plainte comme une lamentation qui serait psalmodiée. L’anaphore, en rythmant l’énoncé, apporte une tension poétique, elle vise à entraîner l’adhésion du lecteur. L’alignement des voici conserve le caractère énumératif du champ métonymique et lui confère un caractère solennel, solennité du “il était une fois” de l’enfant trouvé déjà souligné745. Les répétitions de couples sémantiques antynomiques : “Deux Malraux, le jeune et le vieux, le vivant et le mort, l’actif et le passif, l’homme du combat et l’homme de l’art”746 produisent le même effet et sont également très fréquentes dans tous les livres. Par contre, une autre forme de répétition, l’épiphore747 ne relève sans doute pas du domaine protégé de la mère car la reprise hyperbolique en fin de phrase peut donner une vision caricaturale de la réalité évoquée : “je ne mange pas. Je ne bois rien. Je ne fume pas. Je n’ai besoin de rien”748. Ainsi le ton humoristique fait déplacer la répétition vers le métaphorique, car l’humour, attestation de la distance, montre l’accession au monde paternel. Toujours au niveau des figures de style, l’utilisation de topoï tels que : “une sorte de nomade sans bâton et sans Bible”, “ces idéologies des lendemains qui chantent”749, tend à indiquer une maîtrise du langage, maîtrise toute métonymique par son côté sécurisant. En même temps l’utilisation de topos renvoie au domaine métaphorique parce qu’ils sont souvent chargés d’ironie. L’épitrochasme, suite de termes brefs, est une figure d’amplification qui imprime un rythme à l’énoncé : “des conseils pour écrire, pour percer, pour faire carrière750 et qui, de ce fait, se rencontre souvent en poésie. Cette figure caractéristique de notre auteur confirme avec les autres figures une écriture dominée par le monde maternel. Chraïbi se plaît à utiliser aussi la digression. “Les petits récits”, insérés dans ses textes permettent au héros de s’échapper quand la tension se révèle trop forte, intolérable. Cette figure lui offre un abri contre le danger qui l’oppresse, mais lui permet aussi de faire une pause avant de l’affronter. Une telle attitude sert le besoin de monde sécurisant, il faut se protéger et rassembler les morceaux éparpillés de sa personne avant de monter au créneau. L’extrait de Succession ouverte offre un parfait exemple de texte digressif, il fonctionne comme une sorte de grande parenthèse permettant au héros de faire le point avant de retrouver sa famille et d’affronter la mort du père. Chraïbi se sert également dans différents romans des mêmes comparaisons : “Les jambes étendues comme une paire de haches”751 ; ou pour décrire les yeux aussi bien de la mère que du père posés sur l’enfant : “les yeux sans cils”752, “deux trous de tendresse”753 ou “boules de tendresse”754. A travers ces comparaisons se lit l’articulation entre le métonymique et le métaphorique car comparer signifie être plus loin et appartient au champ métaphorique alors que répéter les mêmes termes montre le souci du tout petit enfant qui ne peut qu’aligner des mots. En ce qui concerne l’emploi de certains mots, l’auteur a fréquemment invoqué l’amour des mots qu’il éprouve pour justifier un usage récurrent. Nous l’avons déjà dit lors de l’observation des sens les mots de la nourriture, comme hargma ou iben755, désignent “un tatouage de l’enfance”756. Tatouage que Chraïbi a formulé si joliment dans Les Boucs : “J’ai peur que nous n’ayons jamais d’autre avenir que notre passé”757. Une autre expression tenants et aboutissants 758, si souvent rencontrée dans ses livres offre une vision de cercle achevé, elle inclut 216 Guinoune tekst deel4 19-09-2003 21:52 Pagina 217 l’origine et la fin. On la trouve accolée aux termes de -Père-Seigneur, démocratisation, société, Coran, ‘faire, avoir, être”. Une telle juxtaposition amène à penser que cette locution est peutêtre une métaphore du Père en référence à la loi, sa répétition peut montrer alors et l’attachement à la Loi et la crainte qu’elle inspire. Mais elle peut également renvoyer au plaisir du son, élément non-langagier du domaine métaphorique. Remarquons également une inflation d’adjectifs et de mots non usuels759, de termes spécialisés inconnus du lecteur moyen760 et une écriture mosaïque au caractère citationnel761. Les romans de Chraïbi fourmillent de références linguistiques, latin, anglais, allemand, arabe se mêlant, cet excès amène Jacqueline Arnaud à ironiser : un “bouillon de culture universitaire”762. L’abus de figures telle que l’anaphore rend l’écriture hyperbolique. Cette maîtrise de la langue ajoutée à un étalage des savoirs peut classer cette écriture dans un registre narcissique. Les guillemets mettent en valeur l’interpellation pressante qu’adresse le personnage au monde, suivie d’une pause, sorte de prise de distance puis de nouveau un texte déclamatoire entre guillemets763. L’auteur se situe alors dans le genre délibératif, il a acquis la distance l’autorisant au jugement et de retour au pays natal, le personnage se retournant sur son expérience d’émigré adresse une diatribe virulente. Mais s’agit-il vraiment d’un message s’adressant à l’autre ou pris dans son narcissisme, s’écoute-t-il déclamer ? L’art oratoire n’est-il pas une forme de digression pour éviter d’aborder un sujet brûlant comme l’étaient les petits récits ? Cette déclamation a lieu juste avant d’atterrir dans son pays, après une longue absence, et Driss vient enterrer son père. Il est difficile de trancher en pareil cas, la maîtrise langagière montre aussi l’avancée de l’enfant vers l’acquisition culturelle, domaine paternel, mais la digression rappelle les armes qu’utilise le tout petit enfant pour se protéger. La tension entre les deux pôles sous-tend le texte, tension d’autant plus palpable que le discours est détourné. De façon générale le ton, le rythme et la couleur chez Chraïbi révèlent le domaine métonymique. Une phrase musicale à la phonétique redondante incarne parfaitement le style de l’auteur : “ Quand la terre tremblera de son tremblement”. Ne résonne-t-elle pas du plaisir de l’auteur par son rythme et la sonorité des mots ? Le langage porte le plaisir du corps que nous avons longuement développé. La structure narrative se caractérise par des situations identiques dans divers livres, procédé assez fréquent en littérature, mais aussi par une répétition du discours, procédé plus rare qui se traduit ainsi : le personnage pense son texte, puis, quelques lignes plus loin il redit le texte à voix haute, comme une sorte d’explicitation. Un exemple parmi d’autres se trouve aux pages 42,43,44 de Succession ouverte. Interrogé sur cette particularité de son écriture, Chraïbi répond : Le personnage pense quelque chose mais aura-t-il le courage de le dire? et d’une. Deuxièmement : entre le fait même de penser cela et de le dire il y a toujours un petit quelque chose. Au niveau de la langue, du langage ce n’est pas tout à fait la même chose ; il y a toujours un petit détail qui différencie ce que, dans son courage, dans son vrac, le personnage a pensé et ce qu’il a dit. Il y a une démarcation, un petit écart764. 217 Guinoune tekst deel4 19-09-2003 21:52 Pagina 218 Au-delà de la technique et des raisons exprimées par l’auteur, ce type de répétition semble appartenir à l’expression d’un enfant qui aligne, qui se rassure en reproduisant les mêmes mots. La répétition se rencontre de nouveau dans le procédé d’accouplement des livres. Un auteur qui écrit une histoire en deux romans se rencontre assez fréquemment mais il est rare que ce procédé devienne systématiquement utilisé pour toute une oeuvre. Chez Chraïbi, chaque livre possède un lien avec un autre livre : Succession Ouverte apporte une fin au Passé Simple ; le même héros relie Une enquête au pays à L’inspecteur Ali ainsi qu’à d’autres romans765 ; La Mère du Printemps et Naissance à l’aube incarnent les deux volets d’une saga. On peut alors parler de structure cyclique narrative régie par le monde maternel qui ne tolère pas les nouvelles expérimentations. L’étude de la construction interne des romans montre que sur 15 livres, six romans sont découpés en deux grandes parties766 et 3 en 5 chapitres767, illustration d’une régularité certaine. La structure également répétitive dans le parallélisme de certaines scènes a été mise en évidence par Kadra-Hadjadji. Un exemple dans Le passé simple, la même scène place le père face au fils mais en inversant les rôles : Scène1 : le Seigneur crache à la figure de son fils, scène2 : Driss lui rend son crachat Scène1 : le Seigneur saisit Driss au poignet, scène2 : Driss saisit la main de son père, prête à le frapper. Scène 1: le Seigneur dénonce les défauts de son fils, scène2 : Driss dénonce les vices de son père768. Un même parallélisme, sans l’inversion, se retrouve dans d’autres romans sous la forme des première et dernière phrases qui reprennent le même thème769 : Première phrase de La Civilisation, ma Mère : “Je revenais de l’école, jetais mon cartable dans le vestibule et lançais d’une voix de crieur public : bonjour maman”. Dernière phrase du même roman : “Que son770 rire était cristallin, mon Dieu, répercuté par le hublot ouvert sur toute l’étendue de la mer”. Première phrase de Mort au Canada : “De tout l’espace sous le ciel, ce fut ici et nulle part ailleurs que, pour lui, se leva le destin : à l’île d’Yeu, fresque de roc et de paix debout dans l’océan Atlantique, ancrée comme une vigie au large de la Vendée Dernière phrase : “Sans fin et sans frontière, la mer reprenait de sa grande voix d’orgue la symphonie de la vie que les hommes avaient interrompue, détruite au nom de ce qu’ils appelaient l’amour”. Dans Une enquête au pays, le village occupe la première et dernière phrase du roman. Cette façon de réutiliser la même structure peut également répondre au désir de construire, de créer, et là aussi cette technique montre l’articulation entre le maternel et le paternel, répéter pour le plaisir, structurer pour construire. Un autre type de répétition, l’intertextualité plaît beaucoup à notre auteur : “Tout discours en répète un autre”771. Dans les Boucs, une description des travailleurs émigrés rappelle le texte de David Rousset sur l’univers concentrationnaire772 ; mais on rencontre aussi l’intertextualité interne à l’oeuvre. Avec régularité Chraïbi émaille ses textes d’indices faisant référence à ses autres textes773, La Mère du Printemps et Naissance à l’aube possèdent des passages identiques. “Dans tous vos livres, le héros est un artiste”774 dit le conférencier au personnage 218 Guinoune tekst deel4 19-09-2003 21:52 Pagina 219 principal, clin d’oeil de l’écrivain qui, il est vrai, aime que ses héros soient des artistes ; “ce passé si simple, si simple et si élémentaire”775 rappelle le titre du premier livre. Cette constante référence à des écrits antérieurs est une facétie de l’écrivain mais aussi une certaine manière de créer une unité, une continuité dans son travail sur laquelle il peut se reposer. Pour finir, on peut ajouter la répétition dans le dédoublement des personnages auquel Chraïbi se montre très attaché. Kadra-Hadjadji appelle duplication les personnages qui reviennent dans plusieurs livres, tels Raho, Isabelle, une petite fille blonde, ou encore Hajja ou le grand frère. Doit-on lire derrière cette duplication l’influence de l’écrivain si admiré par l’auteur, Faulkner, pour qui “la plupart des héros se dédoublent comme si le romancier ne pouvait concevoir un personnage qu’accompagné d’un second qui lui ressemble comme un frère”776 ? Peut-être, mais au-delà de l’intérêt littéraire résidant dans l’utilisation des mêmes personnages dans plusieurs romans, on observe qu’ils hantent les romans de Chraïbi car ils portent quelque chose qui appartient à l’histoire du romancier, au même titre que le héros, double de l’écrivain. Ce quelque chose pourrait être de l’ordre du narcissisme : “on sait le drame du narcissisme : contre le danger de l’autre (ou de l’objet), le narcissisme répond par le dédoublement”777. Répéter, énumérer apporte la même sécurité. Le tout petit enfant se sent bien dans son monde qu’il pense contrôler. La manière d’écrire de Driss Chraïbi possède une syntaxe qui semble parfois chaotique : subordonnées séparées des principales, fréquente utilisation de phrases nominales778. Mais ce qui le caractérise avant tout et dès le premier livre c’est une prédominance de la coordination sous deux formes : soit des phrases courtes qui se suivent sans lien de coordination, soit dans la même phrase un alignement de plusieurs énoncés séparés par une coordination779. Cette particularité ne marque pas que les débuts de l’écriture de Chraïbi, en effet il demeure fidèle à ce procédé jusque dans les derniers livres. Une telle continuité dans la manière de manier la phrase nous amène à conclure qu’il s’agit bien de son style780. La coordination montrant son souci de contiguïté, d’alignement relève du champ métonymique ; la phrase subordonnée appartient au métaphorique car elle indique la capacité de comparer. Les phrases coordonnées confirment une prégnance du champ de la mère. En concluant ce paragraphe sur la répétition, on ne peut s’empêcher de penser au petit enfant à la recherche de son identité qui raconte n fois ce qui s’est passé une fois ; la répétition lui permet d’être le même et de le rassurer sur sa propre réalité. On sait également depuis Lacan que la répétition est une demande d’amour781, on repense au cri déchirant du fils dans Le passé simple réclamant des comptes à sa mère : pourquoi m’as-tu repoussé ? On comprend pourquoi cette figure majeure du métonymique caractérise l’écriture chraïbienne. N OT E S 657 658 659 Béla Grunberger 1971, Le narcissisme. Essais de psychanalyse. Payot & Rivages. 1993. p.15. Nous ne nous arrêtons pas aux travaux de certains qui pensaient qu’il ne s’agissait que d’un mythe créé par Freud. André Green 1983, Narcissisme de vie. Narcissisme de mort. Ed. De Minuit. 219 Guinoune tekst deel4 660 661 662 663 664 665 666 667 668 669 670 671 672 673 674 675 676 677 678 679 680 681 682 683 684 685 686 687 688 689 19-09-2003 21:52 Pagina 220 Béla Grunberger, Ib. p.39. “Le mythe familial oedipien peut aisément se comprendre vu sous cet angle : l’enfant que ses parents déçoivent parce qu’ils manquent de cette toute-puissance dont il voudrait participer, se donne des parents fantasmatiques (roi, héros) dont la toute puissance est hors de doute”. Note de Béla Grunberger, Ib. p.82 Béla Grunberger, Ib., p.82. André Green, Ib. p.20. Nous empruntons l’expression à Malek Chebel, Le corps en Islam, p86. Ib. Sourate XXXII. Abderrazak Haouach, Essai d’analyse du personnage dans le Passé simple, Les boucs, Succession ouverte. Thèse présenté à l’UFR de Lettres. Paris Nord.1994-1995. Seulement dans Le passé simple il relève la main aux pp.24,25,26,33,35,70,86,129,133,137,138,141,151,194,225,235. L’odorat n’intervient pas assez souvent pour en faire un paragraphe à part. On peut juste noter la proximité entre nez et sexe féminin par deux fois. La première dans Le passé simple quand le sexe de la femme est comparé à l’odeur d’une ville : “une petite odeur de pourriture”, p.190. La seconde dans Mort au Canada : “si j’étais aveugle, je sentirais ton sexe avec mon nez et mes mains […] c’est ce que tu as de plus beau”. Lahcen Benchama, L’oeuvre de Driss Chraïbi. Ib. Il a comptabilisé et analysé les mots de la nourriture, pp.157-162. “Plat mijoté longtemps, très longtemps, à base de pieds de mouton, de pois chiches et de piment de Soudan”. Note apportée par Driss Chraïbi dans Naissance à l’aube p.91. Gaston Bachelard 1942, L’eau et les rêves. Essai sur l’imaginaire de la matière. Corti. Coll.Poche Essais. 1996, p.135. Abdelwahab Boudhiba 1975, La sexualité en Islam. Quadrige/PUF p.26. Tahar ben Jelloun 1973, La réclusion solitaire, Denoël p.26. Sourate II, 220. Le Coran mis en exergue dans Naissance à l’aube. Sourate II, 22, 25, sourate XLVIII. Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, op cit Encyclopédie des symboles, p.406. Interview en mars 1985 de Driss Chraïbi accordée à Eva Seidenfaden, ib, p.455. Sigmund Freud 1929, Malaise dans la civilisation. PUF. 1983, p.10. Béla Grunberger et Pierre Dessuant 1997, Narcissisme Christianisme Antisémitisme. Hébraïca Actes Sud. Quatrième partie Antijudaïsme et antisémitisme. Gaston Bachelard L’eau et les rêves. Essai sur l’imagination de la matière. Ib. Gaston Bachelard, ib. p.136. Extrait de Succession ouverte pp.29-44. Annexe 4. “Mon champ de vision”, “je ne le voyais pas”, “ses yeux de myope”, “dans mes yeux”, “je porte des lunettes noires”, “j’ai regardé” (deux fois), “il y avait leurs yeux”, “le regard de ces yeux”, “je les regardais parler”, “je la regardais dormir” (trois fois), “j’ai regardé”, “mon regard disait”, “je ne me vois pas” (deux fois). Haouach a relevé également les occurences et le champ sémantique autour de l’oeil dans les trois premiers romans : 78 dans Le passé simple, 53 dans Les Boucs, et 97 dans Succession ouverte. Malek Chebel 2000, Du désir. Payot & Rivages, p.140. Ib. p.45. Malek Chebel 1995 Dictionnaire des symboles musulmans. Albin Michel, pp.304-305. On pense à Platon qui attribuait un oeil à l’âme ou encore aux mythes grecs dans lesquels l’oeil est très présent, à Homère et son cyclope, à Sophocle et l’Oedipe. Deux exemples célèbres : Oedipe et Narcisse ou encore le mythe moins connu de Tirésias qui est aveuglé et promu devin par Athéna pour être passé au-delà de tout interdit en apercevant le corps nu de la déesse. Jean-Paul Valabrega 2001, Les mythes, conteurs de l’inconscient. Payot & Rivages, p.142. 220 Guinoune tekst deel4 690 691 692 693 694 695 696 697 698 699 700 701 702 703 704 705 706 707 708 709 710 711 712 713 714 715 716 717 718 719 720 19-09-2003 21:52 Pagina 221 CL.Aziza, CL.Olivieri, R. Sctrick 1978, Dictionnaire des symboles et des thèmes littéraires. Nathan. Dans Une enquête au pays qui se passe à l’intérieur des terres arides, le soleil revient plusieurs fois par page sur une trentaine de pages. Les Boucs, p.77. Mort au Canada, p.66. Ce lapsus est signalé par Kadra-Hadjadji, ib. p.51, l’action se passe en mai 1943. Le passé simple pp.134-135. Driss Chraïbi, Demain. 7-14 novembre 1957. J.Chevalier, A.Gheerbrant 1982, Dictionnaire des symboles. R. Laffont. Ib. Cf. 3ème partie “Le monde de l’enfant”. Le complexe de castration est une découverte de Freud, il s’agit d’une formation psychique, de l’enfant qui à un certain moment de son développement va être conscient de la différence des sexes, la femme n’a pas de pénis. Le petit garçon va s’expliquer cette anomalie en imaginant un père castrateur de la femme. Plus tard lorsque l’enfant sera à l’âge du complexe d’Oedipe, cela se transformera en angoisse de castration. Le petit garçon va craindre la castration pour lui-même, représailles du père sanctionnant le désir de l’enfant pour la mère. De manière plus générale ce complexe renvoie à la peur et au refus qui caractérise l’humain de devoir souffrir, perdre, être dominé de quelque façon que ce soit. Guy Rosolato, Eléments de l’interprétation. Ib. p.84. Cf. Les travaux de Winnicott. Ib. Malek Chebel, Le corps en Islam. Chap. II. Ib. Ib, p.164. Nous reprenons l’orthographe utilisée par Chebel comme nous avions conservé celle adoptée par Chraïbi et Benchama. Malek Chebel, Le corps en Islam. Ib. p.158. Chraïbi dans L’inspecteur Ali et la C.I.A parle du chanteur Mohammed Abdel Wahab, dont les chansons le font pleurer. Dans sa biographie il les cite tous deux. Quant à la migraine, on peut avancer que Chraïbi doit en être coutumier. Le cantique des morts est invoqué dans pratiquement tous les romans. Malek Chebel 2002, Le sujet en islam. Seuil, p.88. Guy Rosolato résume la différence entre l’islam et le christianisme ainsi : “la grande affaire de la religion est la mort, la résurrection du Christ prouve qu’elle peut être vaincue mais ce n’est pas l’affaire de l’islam”. Le sacrifice. Repères psychanalytiques. Ib. p.100. Dans De tous les horizons, un enfant est enlevé, perdu et on ne le retrouve pas. Dans Les restes Haj Moussa enterre son petit-fils. Dans La foule la mort de l’enfant prend la forme de l’incapacité à en avoir. Un ami viendra vous voir montre Ruth qui tue son enfant. Et sans oublier tous les morts dans le corpus de romans étudiés : la mère du héros, le père du héros, l’enfant du héros, le père de Dominique, le chef policier, les parents d’Hineb, la mère de Azwaw, sa femme Hineb, sa fille Yerma et enfin le héros luimême. La plupart des héros sont sur le départ à un moment ou un autre. René Kaës 1998, Différences culturelles et souffrances de l’identité. Dunod. pp.135-150. Pour certains théoriciens la pulsion de mort relève de l’époque fusionnelle mère/enfant, qui au-delà du plaisir procuré, est une époque chargée de l’angoisse du trop de mère. Marc Gontard 1981, Violence du texte. L’Harmattan, p.56. Ib citation de M.Gaignebet : Le folklore obscène des enfants français. Thèse de doctorat de 3ème cycle. Chraïbi attribue ce hadith à Abu Bakr le Véridique, ce qui est selon M. Aouissi faux, cf. Kadra-Hadjadji, p.226. Le vocabulaire scatologique est apprécié : “je vais te dire : de la merde, comme de la merde que, chiée dans sa culotte, on envoie vite promener –et la culotte avec, et comment donc !”. Le passé simple, p.255. Dans Le passé simple. 221 Guinoune tekst deel4 721 722 723 724 725 726 727 728 729 730 731 732 733 734 735 736 737 738 739 740 741 742 743 744 745 746 747 748 749 19-09-2003 21:52 Pagina 222 Abdelwahab Boudhiba, La sexualité en islam. Ib. p.251. Malek Chebel Le corps en Islam. Ib. p.97. Georges Devereux 1970, Essais d’ethnopsychiatrie générale. Tel Gallimard, p.196. Géza Roheim remarque que l’insulte la plus sanglante chez les Somal “va coucher avec ton père” trouble fort peu l’Arabe qui se livre fréquemment à des activités homosexuelles, ce à quoi nous ajoutons que la pire insulte au Maghreb est “va coucher avec ta mère”. Géza Roheim 1932, “Psychoanalysis of Primitive Cultural Types”. International Journal of Psycho-Analysis. N.13, pp.1-224. A Sheena : “Chéri, m’a-t-elle dit, attends au moins que j’enlève ma culotte”. Driss Chraïbi. Nous avons noté dans le questionnaire que l’auteur a rempli à l’intention de Jeanne Fouet les intitulés des amis. G.Godebert : son ancien réalisateur sur France Culture, F.Cintré : directeur de la SACD, société qui gère les droits d’auteurs, F.Antoine : ancien chef des dramatiques de France-Culture, A.Jans : journaliste, critique littéraire, ou encore D. Bordigoni psychiatre, M.Clodkiewicz et J.M Borzeix : directeurs littéraires. Notons que la grande majorité des amis vient du milieu professionnel à qui l’auteur semble se sentir redevable. Les dédicaces familiales s’adressent à sa première femme et à leurs enfants, à sa seconde femme, à sa mère, son père ou encore à son beau-père. Il ne semble oublier personne si ce n’est les enfants qu’il a eus de sa seconde épouse. Mais cette manière d’associer ses proches à la “célébrité” veut montrer sa gentillesse et sa simplicité. Gérard Genette 1987, Seuils. Seuil Les Boucs : “In recent years psychiatry has moved more and more in the direction of a conception of ego failure as the basis of mental disorder, and herein lies real hope for scientific advance”. La Civilisation, ma Mère : “Est-il vrai que l’homme parviendra finalement à dominer l’univers entier, à l’exception de lui-même?” Driss Chraïbi, écrivain paradoxal disait en 1961 en parlant des écrivains maghrébins de langue française : “qu’ils n’ont pas été marqués par des livres, des citations ou des pensées, au contraire nous avons poussé dans un jardin à la française comme autant de chiendents et nous faisons notre entrée dans la vie comme du chiendent”. Confluent, n.15, septembre-octobre 1961, cité par Jean Déjeux Littérature maghrébine de langue française. Ib, p.295. Gérard Genette Ib. Page comportant habituellement la liste des livres déjà parus et le nom de la maison d’édition. Dans l’interview accordée par Chraïbi à Basfao, il est revenu à plusieurs reprises sur ce livre qui semble être la conjuration de la peur de la mort de la mère, Basfao pense qu’il s’agit d’un “Fort- Da” littéraire. On se souvient que le “Fort-Da”, dans la théorie Freudienne, c’est l’enfant qui fait disparaître et reparaître la mère. De la même manière Chraïbi faisait mourir le personnage de mère dans un livre pour le faire revivre dans le suivant. Confirmé par un questionnaire envoyé par Jeanne Fouet en 1995 auquel Driss Chraïbi a répondu. L’inspecteur Ali à Trinity college et L’inpecteur Ali et la CIA. Interview accordée à Basfao, en 1975 Ib. p.716. Cf. les travaux de Jean Piaget. Sarah Kofman 1985, L’enfance de l’art. Une interprétation de l’esthétique freudienne. Galilée. P.142. Voir extrait annexe 4. Lignes 40-43. Ib. Ligne 48. Déjà vu dans le paragraphe sur les sens. Répétition en tête d’un groupe syntaxique d’un mot ou d’un groupe de mots. Voir extrait annexe 4. Ligne 14. Cf. 1ère partie. Voir extrait annexe 4. Lignes 26-27. Figure symétrique de l’anaphore, la répétition se fait en fin de phrase. Ib. Lignes 20-21. Voir extrait annexe 4. Lignes 75, 86. 222 Guinoune tekst deel4 750 751 752 753 754 755 756 757 758 759 760 761 762 763 764 765 766 767 768 769 770 771 772 773 774 775 776 777 778 779 780 781 19-09-2003 21:52 Pagina 223 Ib. Entre autres Succession ouverte, p.142. Entre autres Le passé simple, pp.55, 148 ou encore Succession ouverte, p.68. Entre autres La mère du Printemps, p.88. Entre autres La civilisation, ma Mère, p.15. Hargma est un plat à base de pieds de veau, de piments forts et de pois chiches, Iben est du petit lait. Benchama, ib. p.159 citant Khatibi qui parle “d’inconsolation”. Succession ouverte, p.110. Succession ouverte pp.22, 137. Une enquête au pays p.167. Mort au Canada p.15. La Mère du Printemps p.158. Naissance à l’aube p.150. Coprolalie, idoine. Apophtegme, lendores; les titres des chapitres du Passé simple relèvent de la procédure de l’analyse chimique: Les éléments de base, Période de transition, Le réactif, Le catalyseur, Les éléments de synthèse. Julia Kristeva 1978, Recherches pour une sémanalyse. Seuil. Jacqueline Arnaud 1982, Recherches sur la littérature maghrébine de langue française. Le cas de Kateb Yacine. L’Harmattan, p.107. Voir extrait annexe 4. Interview avec Basfao, 1975, annexe de sa thèse ib. Place au soleil, Inspecteur Ali et la CIA, Inspecteur Ali et Trinity collège. La foule, Succession ouverte, Un ami viendra vous voir, La Civilisation, ma Mère, La Mère du Printemps, L’homme du Livre. Le passé simple, L’âne, Mort au Canada. Kadra-Hadjadji, ib, p.46 Nous avons souligné en italiques les récurrences. Son = le rire de la mère Julia Kristeva, Recherches pour une sémanalyse. Seuil, 1978 Les Boucs, pp.21-22, cette intertextualité nous a été indiquée par Abdelkader Benarab 1994, Les voix de l’exil. L’Harmattan p.64. Par exemple dans l’extrait ou encore le titre du roman écrit par le personnage-écrivain dans Les Boucs. Voir extrait annexe 4. Ligne 5. Ib. Lignes 53, 54. Kadra-Hadjadji le signale en citant M.Mohrt 1955, Le nouveau roman américain. Gallimard, p.72 Guy Rosolato, Essais sur le symbolique, ib. p.20. Voir extrait annexe 4. Exemple Le passé simple, p.92 : “Je connaissais le jeu. L’on dispose de figues sèches. Que l’on aplatit, perce et enfile sur un tressé de doums. Un fils du douar se charge de ce collier et s’apprête à aller le vendre. Or, à ce moment-là, il y a toujours quelqu’un qui le rappelle : ajoute cette figue, je l’ai oubliée. Des jours et des nuits tombent et, en fait de figues, c’en est finalement un plein tombereau qui prend la route du souk. Si Kettani avait sa figue à ajouter”. Sur 7 phrases, seules deux sont des subordonnées. Un autre exemple pris au hasard dans L’inspecteur Ali, p.132 “Les voisins étaient aux fenêtres et au spectacle, par familles entières. Des passants qui vaquaient à leurs occupations ralentissaient le pas, venaient vers nous, certains au trot. Il en sortait de partout. D’un autobus brimbalant descendirent en marche une douzaine de passagers. Miloud n’écrasa personne. Il était sûr de son volant. Et, sur le seuil, se manifesta soudain un policier.” Sur 7 phrases 1 seule est une subordonnée. Cité par Rosolato, Les éléments de l’interprétation. Ib. p.50. 223