A LA POURSUITE DU SANGLIER DE SABLE… LES ARMOIRIES
Transcription
A LA POURSUITE DU SANGLIER DE SABLE… LES ARMOIRIES
A LA POURSUITE DU SANGLIER DE SABLE… LES ARMOIRIES DU MAGNY-DANIGON Nicolas VERNOT La situation de l’héraldique communale dans l’arrondissement de Lure étant quelque peu confuse, il ne nous paraît pas inutile de rappeler, en introduction, les grandes étapes de l’histoire des armoiries municipales du secteur. Sous l’Ancien Régime, les seules localités de ce qui deviendra l’arrondissement de Lure à porter des armoiries sont des bourgs ceints de murailles : Faucogney, Héricourt, Lure, Luxeuil, et peut-être Conflans-sur-Lanterne et Granges-le-Bourg. Hormis Saint-Loup-surSemouse qui semble avoir fait usage d’armoiries dès la IIIe République et Aillevillers qui en adopte sous Vichy, toutes les armoiries des autres communes de l’arrondissement sont postérieures à la Seconde Guerre Mondiale. La plupart de ces armoiries ont été créées dans les années 1980, période au cours de laquelle toutes les communes de Haute-Saône ont reçu une proposition qui a trop souvent été considérée comme le véritable blason de la commune, alors qu’il ne s’agissait que d’un projet imaginé par un particulier (Monsieur Camille Heidet, d’Essert), de surcroît fréquemment erroné. Pourtant, nombre de ces projets ont été adoptés en toute confiance par les communes. Deux raisons principales expliquent ce malentendu : - D’une part, le commentaire commençait par la phrase « la description héraldique du blason de la commune est la suivante…», alors qu’il aurait été moins ambigu d’annoncer, d’entrée, qu’il s’agissait simplement d’un projet composé pour la circonstance, et non d’un blason « retrouvé », comme beaucoup l’ont cru. - L’aspect ancien de certains dessins est dû au fait que beaucoup de ces blasons communaux étaient en réalité des photocopies tirées d’un traité d’héraldique illustré sans rapport avec la Franche-Comté, Le blason des armoiries de Hiérosme de Bara, publié pour la première fois à Lyon en 1581 et réédité par Jean de Bonnot en 1975. Une fois photocopiés, les écus de ce traité ont été « distribués » aux communes sur la base d’un lien imaginé entre l’histoire locale et le blason sélectionné. C’est ainsi, par exemple, que Breuches-lès-Luxeuil a reçu un écu à trois croissants, censés symboliser la « fidélité ». En réalité, ce dessin était tiré de la page 56 du traité, dans la section consacrée aux astres, et n’a jamais eu aucun rapport avec Breuches. Pour d’autres communes, il fut affirmé encore plus abusivement que l’écu attribué avait appartenu à une ancienne famille locale. C’est ainsi que des dizaines de communes haut-saônoises ont reçu et adopté des armoiries dénuées de fondement historique (Ailloncourt, Arpenans, Autrey-lès-Cerre, Les Aynans, Bourguignon-lès-Conflans, La Côte…). Par la suite, le procédé d’attribution a été diversifié, mais les erreurs et les abus se sont maintenus: par exemple, certaines armoiries seigneuriales ont été systématiquement déformées (dents de scie des Vaudrey renversées à Melincourt et Moimay, cornes de cerfs des Wurtemberg mal représentées à Chagey), d’autres ont été mal interprétées (Vy-lès-Lure…). Plus grave encore, sur les armoiries de villages dépendant autrefois de l’abbaye de Lure, celle-ci a généralement été représentée par un soleil, alors que l’astre était l’emblème de la ville de Lure et non de son abbaye. Pour représenter l’établissement religieux, c’est une crosse ou, mieux encore, la célèbre main bénissante, qui s’imposait. De même, la clef est aujourd’hui considérée comme l’emblème de la seigneurie de Passavant, et les localités de Champagney et Plancher-lès-Mines, qui en dépendaient, ont par conséquent intégré ce meuble à leurs armoiries. Malheureusement, cette attribution établie par Monsieur René Simonin, de Champagney, à partir du sceau de Jean de Passavant, seigneur de Saulx en 1260, est fautive. En effet, il a existé plusieurs localités et familles portant le nom de Passavant, en FrancheComté et bien au-delà en France, et ce Jean de Passavant n’avait rien à voir avec la seigneurie détenue par les abbés de Lure. Les recherches menées par Jean Hennequin à partir du bornage font apparaître que c’est une main appaumée (variation sur le thème de la main bénissante) et non une clef, qui était l’emblème de Passavant… La liste des erreurs commises est loin d’être close et inclut également l’attribution fautive de couronnes murales à cinq tours à des communes qui n’auraient pas dû en posséder plus de trois... Face à ce constat, il est heureux que des communes cherchent à se doter d’armoiries fidèles tant à leur histoire qu’aux règles de l’héraldique, surtout lorsqu’elles allient la vigueur à la sobriété, comme c’est le cas au Magny-Danigon. Blasonnement des armoiries du Magny-Danigon, officialisées le 27 novembre 2010 D'or à la fasce de gueules surmontée d'un sanglier courant de sable. Ecu timbré d’une couronne murale à trois tours d’or, ajourées de gueules. A la pointe de l’écu est appendue la Croix de Guerre 1939-1945 avec étoile de bronze (Dessin de Nicolas Vernot). Bref historique des armoiries communales Grâce aux recherches établies par Mademoiselle Lucienne Piquard, on peut rétablir, en les complétant, les grandes étapes de l’histoire des armoiries communales. Sous l’Ancien régime, la commune de Magny-Danigon n’a jamais possédé d’armoiries. En revanche, les armoiries de la famille noble qui portait le nom du village sont décrites par Julien Mauveaux dans son Armorial de la principauté de Montbéliard et des seigneuries en dépendant, paru à Montbéliard en 1913. D’après Duvernoy, nous dit-il, le sceau de Jeannette du Magny (-Danigon, dans la seigneurie d’Etobon) était en 1367 orné d’armoiries : « de… à une fasce de… [accompagnée] en chef d’un sanglier en pleine course ». Il est à noter que cette description est fautive sur deux points : - d’une part, il manque le mot « accompagnée » devant « en chef », ceci afin d’expliciter l’emplacement du sanglier, en haut par rapport à la fasce (bande horizontale) ; - l'expression « en pleine course » n'existe pas en héraldique : on dit « courant ». Depuis 1994 au moins, le projet de faire de ces armoiries celles de la commune était dans l’air et un croquis nous en avait été transmis (ci-dessous). Les couleurs choisies étaient or (jaune) pour le champ, gueules (rouge) pour la fasce et sable (noir) pour le sanglier. Les raisons de ce choix ne nous sont pas parvenues, mais il est judicieux dans la mesure où les règles de l’héraldique sont parfaitement respectées et que ces couleurs se trouvent être celles de la seigneurie d’Etobon et du pays de Montbéliard dont relevait la commune. En revanche, le croquis en question représentait le sanglier courant de la gauche vers la droite, ce qui est une erreur. En effet, au Moyen Age, le chevalier tenant son bouclier du bras gauche (voir ci-contre), les figures qui l’ornent devraient regarder vers la gauche également afin d’affronter l’ennemi et non de lui tourner le dos, signe de lâcheté. Malheureusement, ce croquis erroné a servi de modèle à une sculpture en grès rose réalisée à la mémoire des mineurs du Magny-Danigon ayant travaillé dans les mines de charbon de Ronchamp, fermées en 1956 (voir ci-dessous). Réalisée par le sculpteur Patrick Babka en 2003, cette jolie stèle se situe dans la forêt de Ronchamp, au lieu-dit l’Etançon. Les couleurs sont figurées par le code héraldique en usage : pointillés pour le jaune, hachures verticales pour le rouge, quadrillage pour le noir. Pour la première fois, la commune de Magny-Danigon est représentée par un blason, mais malheureusement erroné… Monument commémoratif des houillères de Ronchamp Vue générale et détail Photos Jean-Jacques Parietti Quelles armoiries pour Magny-Danigon ? Récemment, la municipalité a sollicité l’auteur de ces lignes par l’intermédiaire de Mademoiselle Piquard, manifestant le souhait d’officialiser des armoiries communales fidèles à son histoire et aux règles de l’héraldique. Le dessin que nous avons soumis aux élus incluait trois préconisations. Il importait en effet : - impérativement de représenter désormais le sanglier dans la bonne direction (courant vers la gauche). Le fait que sur le monument de Ronchamp, il soit tourné vers la droite devra être regardé comme une variante désormais erronée (mais qui n’empêchera pas l’évocation des mineurs de la commune, puisque Magny-Danigon est le seul village du secteur ayant le sanglier pour emblème). - D’ajouter la Croix de Guerre 1939-1945 avec étoile de bronze sous la pointe de l’écu. Cette décoration commémore les quarante jeunes gens des Forces Françaises de l’Intérieur du maquis de Chérimont qui succombèrent aux balles allemandes le 18 septembre 1944, soit au cours de l’affrontement, soit lors de leur exécution dans le cimetière après avoir été faits prisonniers. - de surmonter l’écu d’une couronne murale afin de rééquilibrer l’ensemble. Symbole des libertés municipales, elle permet de distinguer les armes des communes de celles des familles. Elle rappellera l’ancien château du village, qui serait d’ailleurs à l’origine du nom de la commune : Magny-Danigon aurait été à l’origine le « magny dam Hugon », c'est-à-dire « la demeure du seigneur Hugues » (le comte Hugues de Bourgogne). Il est à noter que l’utilisation de cette couronne demeure facultative. Ces trois préconisations ont été retenues par la municipalité qui, par délibération du 27 novembre 2010, a officiellement fixé ses armoiries selon le dessin et le blasonnement que nous lui avons transmis, à savoir : D'or à la fasce de gueules surmontée d'un sanglier courant de sable. Ecu timbré d’une couronne murale à trois tours d’or, ajourées de gueules. A la pointe de l’écu est appendue la Croix de Guerre 1939-1945 avec étoile de bronze. Sources - Informations transmises par Melle Lucienne PIQUARD et M. Jean HENNEQUIN. Courrier de la municipalité posté le 29 septembre 1994. Julien MAUVEAUX, Armorial de la principauté de Montbéliard et des seigneuries en dépendant, Montbéliard, 1913. SALSA, La Haute-Saône, Nouveau dictionnaire des communes, t. IV, Vesoul, 1972, p. 31-35. Nicolas VERNOT, Inventaire des armoiries communales comtoises, archives personnelles.