Revue de jurisprudence « Restructuration sociale »

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Revue de jurisprudence « Restructuration sociale »
Revue de jurisprudence
« Restructuration sociale »
JANVIER 2016
REVUE DE JURISPRUDENCE « RESTRUCTURATION SOCIALE »
(Janvier 2016)
L’adhésion à un congé de mobilité n’empêche pas le salarié
d’en contester le motif économique : …………………………………………………… ....... p. 3
Cour de cassation 12 novembre 2015
Précisions sur l’étendue du contrôle de l’administration
sur un PSE négocié : …………………………………………………………………………
Conseil d’Etat 7 décembre 2015
p. 4
La non-transmission au CE des réponses de l’employeur
aux observations de l’administration peut invalider la procédure : ……………………… p. 5
Un PSE peut contenir des « différences de traitement »
fondées sur l’âge, mais sous conditions : ……………………………………………….... ..... p. 6
Cour de cassation 9 décembre 2015
Co-emploi au sein d’un groupe, la Cour de cassation réaffirme
son approche restrictive : …………………………………………………………………… . p. 7
Cour de cassation 10 décembre 2015
L’ADHÉSION À UN CONGÉ DE MOBILITÉ N’EMPÊCHE PAS LE SALARIÉ
D’EN CONTESTER LE MOTIF ÉCONOMIQUE
Une salariée, visée par un projet de licenciement économique, accepte la proposition de congé
de mobilité que lui présente son employeur dans le cadre de l’accord de gestion prévisionnelle
des emplois et des compétences en vigueur au sein de l’entreprise.
La salariée décide ultérieurement de saisir la juridiction prud’homale d’une demande de
résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur afin d’obtenir des
dommages et intérêts pour licenciement économique sans cause réelle et sérieuse.
La question qui se posait alors aux juges était de savoir si la salariée pouvait valablement
contester la rupture de son contrat de travail, alors même que l’acceptation de la proposition
de congé de mobilité entraine la rupture du contrat de travail d'un commun accord avec
l’employeur à l'issue du congé.
Pour la cour d’appel, la décision de la salariée d’adhérer au congé de mobilité emporte la
résiliation amiable de son contrat de travail et non un licenciement économique stricto sensu.
La cour d’appel en déduit alors que la salariée ne pouvait plus contester la rupture de contre
de travail après avoir adhéré au congé de mobilité.
Telle n’est pas la position de la Cour de cassation. Dans son arrêt du 12 novembre 20151, la
Cour de cassation censure la décision de la cour d’appel en soulignant que le congé de
mobilité fait partie des mesures d’accompagnement du licenciement économique et, qu’à ce
titre, la salariée a le droit d’en contester le motif économique.
Cette décision n’est pas à proprement parler surprenante.
En effet, tirant les conséquences de l’article L.1233-3 alinéa 2 du code du travail, selon lequel
« toute rupture du contrat de travail »2 résultant d’une cause économique relève du chapitre
consacré au licenciement pour motif économique, la Cour de cassation s’était déjà prononcée
de manière similaire à propos du congé de reclassement3 et de la convention de reclassement
personnalisé devenue ultérieurement contrat de sécurisation professionnelle (CSP)4. Elle en
avait alors déduit l’obligation pour l’employeur de notifier préalablement au salarié le motif
économique de la rupture.
Bien que la Cour de cassation ne se prononce pas sur ce dernier point dans son arrêt du 12
novembre 2015, il ne paraît pas déraisonnable de penser que l’employeur est également
soumis à l’obligation de notification préalable du motif économique de la rupture dans le
cadre du congé de mobilité.
Cass . Soc. 12 novembre 2015, n°14-15430
A l’exclusion de la rupture conventionnelle
3 Cass. Soc. 5 mars 2008, n°07.41964
4 Cass. Soc. 17 mars 2015, n°13-26.941 et Cass. Soc. 14 avril 2015, n°13-26941
1
2
3
PRÉCISIONS SUR L’ÉTENDUE DU CONTRÔLE DE
L’ADMINISTRATION SUR UN PSE NÉGOCIÉ
Les sociétés Darty et fils et A21 Darty Paris Ile-de-France, qui constitue l’unité économique
et sociale Darty Ile-de-France, ont engagé une procédure d’information-consultation de leur
comité d’entreprise sur un projet de réorganisation comportant un projet de licenciement
collectif pour motif économique et un PSE. Parallèlement à cette procédure, une négociation,
lancée avec les organisations syndicales, a abouti à la conclusion d’un accord collectif
majoritaire fixant le contenu du PSE. Transmis à la DIRECCTE, cet accord est implicitement
validé par l’administration.
Contestant la régularité de la procédure d’information-consultation des représentants du
personnel et la validité de l’accord collectif majoritaire, le syndicat CGT Darty Ile-de-France
saisit le tribunal administratif et sollicite l’annulation pour excès de pouvoir de la décision
implicite de validation du PSE prise par l’administration.
N’ayant obtenu l’annulation de la décision ni en première instance ni en appel, le syndicat
CGT Darty Ile-de-France décide de former un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.
Le Conseil d’Etat, dans son arrêt du 7 décembre 20155, rejette le pourvoi et confirme, à la
suite de son arrêt de principe Danthony6, que le régime des nullités en droit administratif est
restrictif car il tend à sauvegarder l’acte administratif.
-
Sur la régularité de la procédure de consultation des instances de représentation du
personnel :
Le syndicat CGT Darty Île-de-France soutenait que la version du PSE remise en séance de
CHSCT différait de celle envoyée avec la convocation des membres du CHSCT (le nombre
de licenciements n’étant pas le même). Pour le Conseil d’Etat, cette irrégularité affectant la
procédure de consultation ne faisait pas obstacle à ce que le CHSCT exprime son avis en toute
connaissance de cause et n’était donc pas susceptible de vicier la procédure.
Pour le Conseil d’Etat, les irrégularités de la procédure d’information-consultation du CE
relative à un projet de licenciement collectif ne peuvent pas entacher de nullité la décision de
validation de la DIRECCTE lorsque les éléments du projet de licenciement collectif figurent
dans l’accord majoritaire.
-
Sur la procédure de négociation
Le syndicat CGT Darty Île-de-France soutenait que les délégués syndicaux n’avaient pas
disposé d’un délai suffisant pour prendre connaissance de certaines informations relatives au
nombre de postes supprimés et au contenu du PSE. Le Conseil d’Etat considère qu’une telle
« irrégularité » n’est pas de nature à entraîner la nullité de l’accord.
5
CE, 7 décembre 2015, n° 383856, Darty
6
CE, ass., 23 décembre 2011, n°335033, Danthony
4
LA NON-TRANSMISSION AU COMITE D’ENTREPRISE DES REPONSES DE
L’EMPLOYEUR AUX OBSERVATIONS DE L’ADMINISTRATION
PEUT INVALIDER LA PROCEDURE
La société Call Expert Languedoc-Roussillon a été placée en liquidation judiciaire et un
mandataire liquidateur a été désigné. Celui-ci a élaboré un document unilatéral fixant le
contenu du PSE pour la société, document que la DIRRECTE a, par la suite, homologué.
Contestant la régularité de la procédure d’information-consultation du CE, l’Union local CGT
d’Alès et région ainsi qu’une salariée de l’entreprise ont respectivement saisi le tribunal
administratif aux fins de voir annuler pour excès de pouvoir la décision de l’administration
homologuant le document unilatéral.
Si le tribunal administratif de Nîmes a rejeté cette demande, la Cour administrative d’appel de
Marseille l’a accueillie et a, par la même, occasion annulé la décision de première instance.
Le mandataire judiciaire a alors décidé de se pourvoir devant le Conseil d’Etat.
Dans son arrêt du 7 décembre 20157, le Conseil d’Etat confirme l’arrêt de la cour
administrative d’appel sur le fondement de l’article L.1233-57-6 du code du travail.
Rappelons qu'aux termes de cet article, « L'administration peut, à tout moment en cours de
procédure, faire toute observation ou proposition à l'employeur concernant le déroulement de
la procédure ou les mesures sociales prévues à l'article L.1233-32. Elle envoie simultanément
copie de ses observations au comité d'entreprise ou, à défaut, aux délégués du personnel et,
lorsque la négociation de l'accord visé à l'article L.1233-24-1 est engagée, aux organisations
syndicales représentatives dans l'entreprise. L'employeur répond à ces observations et
adresse copie de sa réponse aux représentants du personnel et, le cas échéant, aux
organisations syndicales ».
Or, en l’espèce, plusieurs documents transmis par le mandataire judiciaire à la DIRECCTE en
réponse à des observations formulées par l’administration, notamment une note d’information
relative à la situation économique et financière du groupe Call Expert, n’avaient pas été
adressés au comité d’entreprise. De fait, le comité d'entreprise n'avait pas disposé, en temps
utile, des éléments d'information disponibles qui lui étaient nécessaires pour apprécier la
situation économique et financière du groupe auquel appartenait la société Call Expert et
n’avait, dans ces conditions, pas été mis à même d'émettre son avis en toute connaissance de
cause.
Cet arrêt du Conseil d’Etat vient illustrer la règle selon laquelle si le défaut de communication
par l’employeur de sa réponse à l’administration sur les capacités économiques et financières
du groupe ne constitue pas nécessairement une irrégularité substantielle, il en va tout
autrement si cela a eu pour effet de fausser les débats, d’empêcher le comité d’entreprise de
faire des propositions et des suggestions ou encore de l’empêcher de rendre son avis en toute
connaissance de cause.
7
CE, 7 décembre 2015, n° 381307
5
UN PSE PEUT CONTENIR DES « DIFFÉRENCES DE TRAITEMENT »
FONDÉES SUR L’ÂGE » MAIS SOUS CONDITIONS
En raison des évolutions technologiques permettant le pilotage des avions sans le concours
d’officier mécanicien navigant (OMN), Air France a mis en place un plan de départs
volontaires concernant 89 OMN au cours de l’année 2007. Ce plan prévoyait le versement
d’indemnités de départ différenciées en fonction de l’âge des salariés concernés : les plus
jeunes étant mieux indemnisés que les plus âgés.
Cinq salariés ont refusé l’offre de départ volontaire et les propositions de reclassement et ont
été licenciés pour motif économique. Ces salariés ont, par la suite, saisi la juridiction
prud’homale, de diverses demandes indemnitaires dont une demande en dommages-intérêts
en réparation du préjudice né de la discrimination en raison de l’âge.
La cour d’appel de Paris a débouté les salariés de leur demande, considérant que les
différences de traitement en cause ne constituaient pas une discrimination, dès lors que les
salariés plus jeunes subissaient un préjudice de carrière plus important et une minoration dans
l'acquisition des droits à pension retraite,.
Dans sa décision du 9 octobre 20128, la Cour de cassation a censuré l’arrêt de la cour d’appel
et renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Versailles. La cour d’appel a considéré que la
formule de calcul des indemnités financières retenue par Air France était discriminatoire car
elle désavantageait de manière excessive les salariés plus âgés.
L’arrêt de la cour d’appel de Versailles faisant l’objet d’un nouveau pourvoi, la Cour de
cassation enfonce le clou, dans son arrêt du 9 décembre 20159.
Elle rappelle que des différences de traitement en considération de l'âge des salariés sont
possibles dans les PSE, dès lors qu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées par
un but légitime et que les moyens mis en œuvre pour réaliser ce but sont appropriés et
nécessaires.
Encore convient-il lors que les différences de traitement faites entre salariés en raison de leur
âge ne désavantagent pas de façon trop significative une catégorie de salariés.
Or, en l’espèce, la formule de calcul des indemnités financières retenue par Air France
désavantageait de manière excessive les OMN âgés et préjudiciait ainsi de manière
disproportionnée aux intérêts des groupes d'âge désavantagés
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9
Cass. Soc. 9 octobre 2012, n°11-23143 et
Cass. Soc. 9 décembre 2015, n°14-22766 à 14-22770
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CO-EMPLOI, LA COUR DE CASSATION CONFIRME
SON APPROCHE RESTRICTIVE
La société FAYAT est devenue, en 2010, actionnaire unique de la société Etablissements J.
Richard Ducros, laquelle a été placée, en 2011, en liquidation judiciaire. Le mandataire
judiciaire a alors élaboré un PSE et procédé au licenciement pour motif économique de
l'ensemble des salariés de la société.
Les salariés ont saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes indemnitaires l'encontre
de la société FAYAT en qualité de co-employeur.
Retenant l’existence d'un lien de dépendance entre les directions des deux sociétés, la cour
d’appel a fait droit à leurs demandes et reconnu la société FAYAT co-employeur des anciens
salariés de la société Etablissements J. Richard Ducros. Elle a plus particulièrement retenu
que le fait que les dirigeants de la filiale étaient d’anciens salariés du groupe, que le président
du conseil d’administration de la filiale se rendait très régulièrement au siège de la sociétémère et était en contact téléphonique permanent avec la direction de celle-ci, que les
responsables de la société-mère avaient donné des consignes pour licencier l'ancien directeur
des ressources humaines ou envisager la mise à la retraite du responsable du service
informatique et s’étaient, par la suite, impliqués dans la recherche de reclassement au sein du
groupe des salariés de la société Etablissement J. Richard Ducros lors de la mise en place du
PSE.
Par un arrêt du 10 décembre 2015, la Cour de cassation censure la cour d’appel10.
Pour la Cour de cassation, « le fait que les dirigeants de la filiale proviennent du groupe et
soient en étroite collaboration avec la société mère, et que celle-ci ait pris durant les
quelques mois suivant la prise de contrôle de la filiale des décisions visant à sa
réorganisation dans le cadre de la politique du groupe, puis ait renoncé à son concours
financier destiné à éviter une liquidation judiciaire de la filiale, tout en s'impliquant dans les
recherches de reclassement des salariés au sein du groupe, ne pouvait suffire à caractériser
une situation de coemploi ».
Cet arrêt s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de Cassation, selon laquelle
« hors état de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut pas être
considérée comme un co-employeur, à l'égard du personnel employé par une autre, sauf s'il
existe entre elles, une confusion d'intérêts, d'activités et de direction, se manifestant par une
immixtion dans la gestion économique et sociale de la filiale »11.
Si la Cour de cassation a clairement fermé la porte à une interprétation extensive de la notion
de co-emploi, de nombreuses cours d’appel résistent encore. Il serait temps que les juges du
fond adoptent, eux-aussi, une jurisprudence plus en phase avec les réalités économiques des
groupes d’entreprise.
10
11
Cass. Soc. 10 décembre 2015, n°14-19.316 à 14-16.474
Cass. Soc. 2 juillet 2014, n°13-15.208 à 13-15.398, Molex
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