La responsabilité de protéger

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La responsabilité de protéger
Agnès Gautier-Audebert, «La responsabilité de protéger», Revue Ubuntou, no 1, 2013, pp. 49-65.
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La responsabilité de protéger: une obligation collective en
quête d’application par la communauté internationale
Agnès Gautier-Audebert1
Résumé
Issue du devoir d’ingérence, un droit individuel, la responsabilité de protéger est conçue comme une
obligation collective, juridiquement contraignante, dont les bases sont désormais multiples et variées. La
R2P, dans le langage onusien (« RtoP »), impose une réaction qui passe avant tout par la prévention et, à
défaut, par l’intervention. Néanmoins, elle ne réussit guère, dans la réalité, malgré son invocation de plus
en plus fréquente, à l’emporter sur la pratique individualiste des États, qui, malheureusement, empêche le
Conseil de sécurité de l’ONU de fonctionner et d’assurer sa responsabilité principale de maintenir la paix
et la sécurité internationale.
Abstract
Stemming from the duty to interfere, an individual obligation, the responsibility to protect is conceived as a
collective obligation, legally binding, the bases of which being from now on numerous and varied. The
RtoP in the UN lingo imposes a reaction that privileges prevention and, failing that, intervention.
Nevertheless, despite its being put forward more and more frequently, it does not succeed much, in reality,
in prevailing over the individualistic practice of the states which, unfortunately, prevents the UN Security
Council from functioning and ensuring its main responsibility that is to maintain international peace and
security.
Mots clés
Responsabilité de protéger- Droit international humanitaire- ONU- Conseil de sécurité- Assemblée
générale- Secrétaire général des Nations Unies- Organisations régionales- Prévention- Intervention.
Keywords
Responsibility to protect- International humanitarian law- UN Security Council- General AssemblySecretary-General of the United Nations- Regional organizations- Prevention- Intervention.
1
Maître de conférences en Droit public à l’Université Paris 8, membre du Laboratoire GERCIE-FEDRES à
l’Université F. Rabelais de Tours (France).
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Introduction
En 2001, la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des
États (CIISE) rend un rapport qui fait état de la notion de « responsabilité de protéger »,
R2P dans le langage onusien (« RtoP »). Depuis lors, les idées émises ont été
développées et mises à l’épreuve, aussi bien par la communauté internationale dans son
ensemble, les organisations internationales, l’Organisation des Nations Unies (ONU) en
particulier, sans oublier les États pris individuellement. Plusieurs étapes importantes sont
à retenir quant à l’évolution du concept : le Rapport du Groupe de personnalités de haut
niveau sur les menaces, les défis et le changement de 2004 qui reprend un certain nombre
d’idées émises par la CIISE et développe les solutions ; le Document final du Sommet
mondial de l’ONU en 2005 qui formalise l’obligation, suivi des rapports annuels du
Secrétaire général des NU sur la question. Le quatrième et dernier rapport du 25 juillet
2012 a été présenté à l’Assemblée générale de l’ONU (AGNU) le 5 septembre 2012 : il
rend compte de l’actualité de la responsabilité de protéger.
La conclusion générale est que, en vertu de cette responsabilité de protéger, les
États ont l’obligation de protéger leurs populations des crimes les plus graves, à savoir les
crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre2.
Issue du devoir d’ingérence, un droit individuel, la responsabilité de protéger est
conçue comme une obligation collective, juridiquement contraignante, dont les bases sont
désormais multiples et variées. Néanmoins, elle ne réussit guère, dans la réalité, malgré
son invocation de plus en plus fréquente, à l’emporter sur la pratique individualiste des
États.
I. La responsabilité de protéger, un devoir individuel devenu une obligation
collective
Assise sur de nombreux fondements, la notion de responsabilité de protéger doit
aussi pouvoir être mise en œuvre : si l’État a cette charge première, d’autres entités
doivent le seconder voire le suppléer.
A. Des fondements multiples
Aussi bien des textes, de plus en plus nombreux, que des personnalités rendent
compte de la responsabilité de protéger : à chacun sa façon d’entériner le principe pour
une mise en œuvre effective.
2
Lien établi entre la sécurité humaine et la responsabilité de protéger : Ernest-Marie Mbonda, « La sécurité
humaine et la « responsabilité de protéger » : vers un ordre international plus humain ? », Colloque des 29
et 30 octobre 2007 « Ethique de la coopération et responsabilité envers les sociétés humaines », AECI,
URL : http://www.aceci.org/documents/CollResp2Protect.pdf. Hassan Abdelhamid, Michel Bélanger, JeanMarie Crouzatier, Stéphane Douailler, Joseph Maila, Ernest- Marie Mbonda, Ciprian Mihali, Etienne
Tassin, Sécurité humaine et responsabilité de protéger. L’ordre humanitaire international en question,
Paris, Editions des archives contemporaines, 2009, 155 p.
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1. Des textes officialisant la responsabilité de protéger
Le premier document d’importance sur la responsabilité de protéger est le rapport
de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États (CIISE)
rendu en décembre 2001 sur le thème principal de « la responsabilité de protéger3 ». Cet
organisme international indépendant est mis en place dans le but de rapprocher voire de
concilier les deux principes que sont la responsabilité qu'a la communauté internationale
de réagir aux violations massives des règles humanitaires et la nécessité de respecter la
souveraineté des États. Cela revient à étudier en réalité la question du « droit
d'intervention humanitaire ».
Dans ce cadre, la Commission distingue plusieurs responsabilités, celle de
prévenir, celle de réagir et enfin celle de reconstruire : à charge aux États d’en assurer la
mise en œuvre.
Ces responsabilités sont à nouveau invoquées dans le rapport du Groupe de
personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement 4 : rendu en
décembre 2004, il envisage de donner à la responsabilité de protéger un caractère
opératoire, octroyant de la sorte à l’ONU la possibilité de recourir à la force pour des
raisons humanitaires, en appelant à la responsabilité des États de faire cesser les
génocides et autres crimes considérés comme les plus graves5.
La consécration arrive en 2005 : le Document final du Sommet mondial de
l’ONU se réfère à la « responsabilité de protéger », sous le titre précis du Devoir de
protéger des populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique
et les crimes contre l'humanité , précisant que les gouvernements « sont disposés à mener
à cette fin, en temps voulu, une action collective résolue, par l’entremise du Conseil de
sécurité, lorsque les moyens pacifiques se révèlent inadéquats et que les autorités
nationales n’assurent manifestement pas cette protection6 », l’objectif étant d’éviter de
nouvelles violations graves et massives des droits humanitaires tels qu’elles ont eu lieu au
Rwanda et à Srebrenica7.
La formule est nouvelle en tant que règle posée au sein d’un document officiel de
l’ONU, impliquant de la sorte tous ses États membres : auparavant, c’était le droit ou
devoir d’ingérence qui était invoqué8. Cependant, que ce soit le terme même ou ce qu’il
3
Rapport publié par le Centre de recherches pour le développement international, URL : http://idlbnc.idrc.ca/dspace/bitstream/10625/17566/6/116999.pdf.
4
Site de l’ONU, URL : http://www.un.org/french/secureworld/.
5
Lettre du 1er décembre 2004 adressée au Secrétaire général des NU (A/59/565): « Le Groupe souscrit à la
nouvelle norme prescrivant une obligation collective internationale de protection, dont le Conseil de
sécurité peut s’acquitter en autorisant une intervention militaire en dernier ressort, en cas de génocide et
d’autres tueries massives, de nettoyage ethnique ou de violations graves de droit international humanitaire,
que des gouvernements souverains se sont révélés impuissants ou peu disposés à prévenir » IX A 3) §203 p.
61.
Peu après, en 2005, le Secrétaire général souscrit à cette obligation collective, dans son rapport « Dans une
liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de l’homme pour tous » (A/59/2005).
6
Sommet de 2005, URL : http://www.un.org/french/summit2005/.
7
A/60/L.1
§138
à
140 ;
résumé
du
Document
final,
URL :
http://www.un.org/french/summit2005/overviewF.pdf.
8
Laurence Boisson de Chazourne et Luigi Condorelli, « De la « responsabilité de protéger », ou d’une
nouvelle parure pour une notion déjà bien établie », RGDIP, 2006, p. 11.
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signifie, l’ingérence est très difficile à accepter par les États, ces derniers se révélant très
susceptibles quand leurs droits souverains peuvent être atteints9 ; de plus, le principe de
non-intervention dans les affaires intérieures risque d’être détourné de son sens premier
dès lors que l’ingérence est autorisée, et ce même dans un but noble, sauf à le définir
précisément10. A l’inverse, le fait que les États exercent leur souveraineté sur leur
territoire et leur population implique de leur part qu’ils s’engagent davantage et fonde
même leur responsabilité en la matière.
En outre, si le devoir d’ingérence relevait davantage de la volonté individualisée
des États, la responsabilité de protéger tente une approche plus universelle ; en faire ainsi
une obligation collective est novateur11. Le Document de 2005 rappelle à chaque État, à
chaque organisation internationale et à la communauté internationale dans son ensemble,
élargissant le public concerné, ses obligations en matière de prévention, de protection et
de répression des crimes de génocide, de guerre, de nettoyage ethnique et contre
l’humanité. Il constitue une confirmation solennelle de la R2P, rappelant que de telles
violations sont prohibées par les principes fondamentaux de l’homme, le jus in bello (le
droit de la guerre ou des conflits armés) et le jus cogens (normes impératives du Droit
international public), et, à l’instar des documents qui suivront, servant ainsi de modèle, il
insiste sur les moyens utilisables, tant individuels que collectifs, tant diplomatiques,
humanitaires et tous autres moyens pacifiques que coercitifs, en s’appuyant sur les
chapitres VI et VII de la Charte des Nations Unies12.
Le 12 janvier 2009, le Secrétaire général de l’ONU remet un rapport à
l’Assemblée générale, sous forme d’un document de travail et de coopération avec les
États membres, sur « La mise en œuvre de la responsabilité de protéger13 ». Trois piliers
sont définis : « la responsabilité première de l'État en matière de protection; l'assistance
internationale et le renforcement des capacités; et une réaction résolue et en temps
voulu. ». Se basant sur le Document final de 2005, il développe le mandat de l’ONU et
des États qui ont en charge le soin d’appliquer le principe ; il met l’accent sur la
prévention et, à défaut, la réaction à adapter aux circonstances.
Le deuxième rapport, en 2010, intitulé Alerte rapide, évaluation et responsabilité
de protéger, fait déjà le constat de la mise en œuvre de la responsabilité de protéger telle
qu’elle avait été définie en 2005 et soulève principalement la question de la prévention
pour pouvoir intervenir rapidement avant qu’il ne soit trop tard14.
Anne Peters, « Le droit d’ingérence et le devoir d’ingérence – vers une responsabilité de protéger », Revue
de droit international et de droit comparé, 2002, p.289.
9
Rahim Kherad, « Du droit d’ingérence à la responsabilité de protéger », R. Ben Achour et S. Laghmani,
Les droits de l’homme : une nouvelle cohérence pour le droit international. Actes du Colloque de Tunis,
Paris, Pedone, 2008, 332p. : le droit ou devoir d’ingérence n’apparaît pas comme le synonyme de la R2P,
celle-ci apparaissant davantage comme un palliatif.
10
Mario Bettati, « Du droit d’ingérence à la responsabilité de protéger », Outre-Terre, 2007/3, n°20, p. 381.
11
Barbara Delcourt, « La responsabilité de protéger et l’interdiction du recours à la force : entre
normativité et opportunité », dans Actes du Colloque de la SFDI, juin 2007 - Paris X Nanterre, Paris,
Pedone, 2008, p. 305 : l’auteure étudie la notion de R2P, en tant que norme ou principe, sa valeur juridique
posant problème.
12
Emmanuel Decaux, « Légalité et légitimité du recours à la force : de la guerre juste à la responsabilité de
protéger », Droits fondamentaux, 2005, n°5, p. 1 : l’auteur analyse les différentes étapes des documents
précités.
13
Rapport du 12 janvier 2009 (A/63/677).
14
Rapport du 14 juillet 2010 (A/64/864).
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Le troisième rapport, en 2011, porte sur « Le rôle des Accords régionaux et sousrégionaux dans la mise en œuvre de la R2P » : l’accent est mis sur la réponse régionale à
apporter aux problèmes rencontrés, à la fois du fait du rapprochement géographique et en
raison de l’implication logique du voisinage15.
Le dernier en date de 2012 insiste encore et encore sur l’intervention, la
prévention n’étant pas suffisante à elle-seule : son titre, Responsabilité de protéger :
réagir de manière prompte et décisive, rend parfaitement compte du déficit constaté en
matière de réaction face aux crimes de guerre, crimes de génocide et crimes contre
l’humanité. En listant les moyens d’action, il reprend à son compte la possibilité d’utiliser
des méthodes coercitives, liant très fortement la prévention à l’intervention, celle-ci ne
pouvant raisonnablement pas être exclue sans dénaturer le sens même de la notion de
responsabilité de protéger16.
En parallèle, l’Assemblée générale de l’ONU adopte par consensus, le 14
septembre 2009, sa première résolution sur la responsabilité de protéger17, la formule
« R2P » en devient l’expression courante dans la langue onusienne. Elle va d’ailleurs
engager un débat sur la notion, ouvert à tous les États, qui se poursuit, notamment après
chaque rapport rendu par le Secrétaire général. Le troisième dialogue interactif informel
ayant eu lieu en 2011.
Outre les documents officialisant la notion, des personnalités vont prendre en
main le concept pour son application concrète.
2. Des personnes au service de la responsabilité de protéger
La responsabilité de protéger contre les crimes de guerre, crimes contre
l’humanité, crimes de génocide et crimes d’agression va continuer à être mise en exergue
par d’autres intermédiaires, non plus par des organes indépendants mais par des
organisations internationales prenant partie, l’ONU en particulier, dont la vocation
première est d’assurer le maintien de la paix et de la sécurité internationales.
Ce sont les événements qui vont provoquer le rappel de la notion en septembre
2006, pour éviter une nouvelle catastrophe humanitaire au Darfour. Cependant, le
Conseil des droits de l’homme de l’ONU ne réussit qu’à constater les faits, « le Soudan
[ayant] enfreint sa responsabilité de protéger, consacrée au rang de principe de droit
international », « le gouvernement soudanais [ayant] agi « de concert » avec les milices
janjawids responsables des massacres et des déplacements de population18 ». L’ « échec
collectif » est reconnu19.
Confirmée en 2008, la R2P fait l’objet d’une forme d’institutionnalisation, par la
création le 14 février 2008 du Centre mondial pour la responsabilité de protéger, à
15
Rapport du 28 juin 2011 (A/65/877).
Rapport du 25 juillet 2012 (A/66/874), URL : http://www.un.org/Docs/journal/asp/ws.asp?m=A/66/874.
17
A/RES/63/308.
18
Communiqué de presse ONU, 12/03/2007.
19
Rapport 2009 I.5. p. 4.
De même, le rapport de 2004 du Groupe de personnalités de haut niveau insiste sur les traumatismes
humanitaires pour leur associer des échecs répétés des NU, constatant la lenteur de réaction de la
communauté internationale (§42).
La CIISE constatait les mêmes défauts (rapport p.56, §6.23).
16
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New York20, et le 21 février 2008 par le Secrétaire général de l’ONU, M.Ban Ki-Moon,
du poste de Conseiller spécial sur la responsabilité de protéger, occupé par
l'Américain Edward Luck, avec rang de Sous-secrétaire général21. Celui-ci est associé au
Conseiller spécial pour la prévention du génocide au sein du Bureau conjoint pour la
prévention des génocides et la responsabilité de protéger, les deux ayant un rôle à jouer
dans le développement de ce concept de droit international et surtout dans la prévention,
tant un niveau régional qu’international, pour « repérer les signes de problèmes
potentiels », comme le soulignait Ban Ki-moon, le 7 avril 2009, lors de la
commémoration du 15e anniversaire du génocide au Rwanda22.
Ces documents et personnes au chevet du principe ne sauraient suffire pour
assurer l’application de la responsabilité de protéger ; seuls les États, individuellement ou
en organisations, ont la possibilité, à condition d’en avoir la volonté, de la mettre en
œuvre.
B. Une mise en œuvre à la charge des États, des organisations internationales et de
la communauté internationale dans son ensemble
Les États, individuellement, peuvent et doivent agir : l’action individuelle existe
sans être néanmoins très efficace. C’est pourquoi l’action collective doit prendre le relai,
par l’intermédiaire des organisations internationales et de la communauté internationale
dans son ensemble, ce que les textes de base précités rappellent.
1. L’action individuelle étatique
Deux types d’États sont concernés, ceux dont la population est atteinte par des
crimes de guerre, de génocide ou contre l’humanité et ceux qui ne sont pas touchés
directement mais qui souhaitent intervenir pour y mettre fin.
Les premiers sont bien évidemment alertés et interpellés par la communauté
internationale pour qu’ils réagissent comme il se doit et fassent cesser les actes commis :
à eux de défendre leur population et de rendre la justice en arrêtant les suspects et
menant les procès qui s’imposent. Le Document final de l’ONU de 2005 les rendait
responsables, individuellement. Or, la communauté internationale doit les aider à
accomplir leur devoir, notamment en participant à assurer une meilleure gouvernance
dans le pays, l’égalité des chances, le respect des droits fondamentaux et les principes
démocratiques, leur violation continuelle provoquant des « conflits identitaires » qui
mènent à des violences sur la population civile, devenue le bouc émissaire23. De manière
préventive, les États concernés peuvent tenter de stopper l’hémorragie en réprimant les
discours appelant à la violence 24, en interceptant les cargaisons d’armes25 ou en agissant
20
Centre qui a déjà rendu des rapports sur le sujet (exemple : audition parlementaire des 20-21 novembre
2008 aux NU, URL : http://www.ipu.org/splz-f/unga08/s1.pdf).
21
Site du Bureau du conseiller spécial pour la prévention du crime de génocide, URL :
http://www.un.org/fr/preventgenocide/adviser/index.shtml.
22
Communiqué de presse ONU, 07/04/2009.
23
Rapport 2012 p.3 §6.
24
Le Pacte des droits civils et politiques de 1966 condamne ces incitations et appels à la haine.
25
Rapport 2012 p.4 §11.
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directement sur les personnes susceptibles de commettre de tels crimes ou les ayant
commis 26: sa souveraineté est ainsi préservée27. De même, la possibilité existe à un État
partie à la CPI (Cour pénale internationale) de saisir son procureur afin qu’il engage une
enquête sur les crimes commis sur son territoire, ses services de police et de justice ne
pouvant faire face : ce fut le cas du Mali en juillet 201228. C’est une autre façon de
protéger sa population : à défaut d’efficacité des autorités étatiques, le recours à la CPI
est tout à fait fondé et justifié29.
Les seconds, et pas seulement les pays voisins, peuvent également réagir auprès
de l’État dont le peuple subit les plus graves violations du droit humanitaire :
intervenir par le biais des ambassades, représentants politiques de base et discrets, de la
presse pour une intervention en plein jour, une façon parmi d’autres de faire pression sur
l’État en cause, constituent des moyens politiques et médiatiques qui peuvent avoir des
effets positifs30.
Plus juridiquement, les États peuvent agir en optant pour la compétence
universelle de leurs juridictions : celles-ci se réservent alors la possibilité de juger les
personnes physiques accusées de crimes de génocide, de crimes de guerre et de crimes
contre l’humanité, quelle que soit leur nationalité et quel que soit le lieu où ils se sont
déroulés. Les États agissent individuellement mais au nom de la communauté
internationale : c’est un mode de réaction intermédiaire et une réponse parmi d’autres à la
R2P. La responsabilité de protéger, telle qu’elle est définie dans le Document final de
l’ONU en 2005, exige de chaque État de la mettre en œuvre : le choix de la compétence
universelle y répond, même si les modalités d’emploi peuvent diverger31. Il s’agit aussi
d’un moyen préventif : du fait même de l’existence de juridictions nationales pouvant
être saisies, une épée de Damoclès existe au-dessus de la tête des personnes commettant
ou s’apprêtant à commettre ces crimes, les incitant à y réfléchir avant de les perpétrer ou
de continuer à les réaliser.
De nombreuses juridictions nationales ont déjà rendu des décisions de culpabilité
à l’encontre de personnes jugées pour la commission de tels crimes ou sont en instance de
le faire32.
26
CIJ, 26 février 2007, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide, Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro : aux dires de la Cour, la Serbie a violé son
obligation de prévenir des crimes de génocide commis à Srebrenica.
27
Ernest-Marie Mbonda, op.cit. : la souveraineté de l’État doit être sauvegardée, sauf s’il n’assure pas la
responsabilité de protéger son peuple, celle-ci étant prioritaire.
28
FIDH, 18 juillet 2012, « Le Mali saisit le Procureur de la Cour pénale internationale sur les crimes
commis au nord », URL : http://www.fidh.org/Le-Mali-saisit-le-Procureur-de-la-11975.
Ce fut le cas également en Centrafrique, la CPI ayant été saisie en 2007 suite au désistement des autorités
en place.
29
Mario Bettati, op.cit., p.386 : l’auteur fait référence au « droit d’ingérence judiciaire ».
30
Exemple de la Suisse qui souhaite réformer l’ONU, « arguant que le recours au droit de veto du Conseil
de sécurité est « difficilement justifiable » en cas de génocides, de crimes de guerre ou de crimes contre
l’humanité », Communiqué de presse ONU, 25/09/2012.
31
Agnès Gautier-Audebert, « L’exercice de la souveraineté de l’État hors de ses frontières : le choix de la
compétence universelle des juridictions nationales », Politeia, n°22, décembre 2012.
32
Thomas Besse, « Génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre dans la législation française.
Un
état
des
lieux
du
droit
français »,
COJITE,
2012,
URL :
http://www.cojite.org/tl_files/cojite/contenu/Divers/textes_cdg_cch_g.pdf.
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Préventivement, des actions individuelles ont aussi leur rôle à jouer : saluées par
le Secrétaire général des Nations Unies, il s’agit par exemple de la création d’un Conseil
inter-agences de prévention des atrocités aux États-Unis, de la mise en place par le Costa
Rica, le Danemark et le Ghana, d’un « réseau de points focaux dans les capitales des
États membres pour prévenir et faire cesser les atrocités de masse » et de l’organisation
de conférences sur ces thèmes, à l’instar de l’Argentine, de la Suisse et de la Tanzanie,
pour en développer les causes et les remèdes33. Néanmoins, l’action collective ne peut
être que plus efficace.
2. L’action collective menée par les organisations internationales
Si les États ont l’obligation de réagir face aux violations graves du jus cogens,
dont l’interdiction de commettre les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et
les crimes de guerre font partie, ils doivent le faire à titre individuel ou bien en collectif
au sein d’organisations internationales.
La Cour internationale de justice l’a rappelé à juste titre dans son avis de 2004
concernant l’édification du mur en Palestine : « respecter et faire respecter » les
Conventions de Genève de 1949 sur le droit de la guerre constituent des obligations
solidaires pesant sur tous les États, la communauté internationale, l’ONU et ses organes
décisionnaires ; ne pas reconnaître de telles situations illégales et les faire cesser relèvent
de leurs devoirs34.
Le Conseiller spécial sur la responsabilité de protéger et le Bureau conjoint pour
la prévention des génocides et la responsabilité de protéger précités ont également la
charge de prévenir la communauté internationale qu’un risque existe et que la réponse
doit intervenir au plus vite pour éviter la dégénérescence de la situation : c’est un rôle
d’alerte. Bien évidemment, l’ONU est la première à être concernée, l’Assemblée
générale et le Conseil de sécurité étant les organes principaux propres à pouvoir
réagir35. Ce dernier a parfaitement joué ce rôle quand il a saisi la Cour pénale
internationale des crimes commis au Darfour et en Libye, l’impunité des criminels
n’étant plus d’actualité36. Si cette réaction du Conseil de sécurité rend compte d’une saine
gestion des problèmes que connaissent ces pays, elle n’est pas pour autant systématisée
dès lors que se produisent les pires atrocités : le cas de la Syrie est souvent cité puisque
de nombreux appels à l’organe principal de l’ONU l’incitent à recourir aux services du
Procureur de la CPI pour qu’il engage les enquêtes nécessaires.
Toutefois, l’ONU ne peut à elle seule toujours obtenir gain de cause : le Chapitre
VIII de la Charte des NU insiste sur le rôle des organisations régionales. Celles-ci ont
Compétence universelle, en France, dossier électronique du centre international de l’université libre de
Bruxelles, URL : http://competenceuniverselle.wordpress.com/en-france/.
33
Communiqué de presse ONU, 09/08/2011.
34
CIJ, avis consultatif, 9 juillet 2004, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire
palestinien occupé, p.136, URL : http://www.icj-cij.org/docket/files/131/1670.pdf.
35
Laurence Boisson de Chazourne, « Rien ne change, tout bouge, ou le dilemme des Nations Unies »,
RGDIP, 2005, p.147 : l’auteur parle d’« éthique collective, morale et juridique, en matière de protection des
droits de l’homme et du droit international humanitaire » (p.152).
36
Résolution S/RES/1593 du 31 mars 2005 (saisine de la CPI de la situation au Darfour depuis le 1 er juillet
2002) ; Résolution S/RES/1970 du 26 février 2011 (saisine de la CPI de la situation en Libye depuis le 15
février 2011).
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un rôle fondamental à jouer dans la mise en œuvre de la R2P puisqu’elles sont au plus
près des événements et qu’elles peuvent, à juste titre, intervenir plus rapidement37. Ce
n’est pas sans logique que le troisième rapport de 2011 du Secrétaire général des NU
mette en exergue leur importance et que le dialogue qui a suivi à l’AGNU ait porté sur ce
thème. Cependant, l’intervention de l’OTAN (Organisation du traité de l’atlantique
nord) au Kosovo, non autorisée par le Conseil de sécurité, malgré les aspects
humanitaires alarmants, fut très discutée38.
La situation au Mali a également fait l’objet d’exhortations répétées de la Haut
commissaire des NU aux droits de l’homme, Navi Pillay, auprès de la communauté
internationale pour obtenir une réaction. Le Conseil de sécurité a d’ailleurs appelé la
CEDEAO (Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest) à prendre en main la
situation et envisager l’intervention sur place d’une force régionale39. Par ailleurs, le Mali
a lui-même exhorté le Conseil de sécurité à voter la création d’une force d’intervention
militaire internationale pour l’aider à reconquérir le nord du pays 40. La CEDEAO ainsi
que la Ligue des États arabes ont également joué leur rôle d’intermédiaire dans les
conflits en Côte d’Ivoire et en Libye. Les Accords régionaux sont ainsi mis à l’épreuve.
D’ailleurs certaines organisations ont prévu des modalités d’action dans leurs
actes constitutifs. C’est le cas de l’Union africaine (UA) qui a adopté ce principe comme
fondement de l’organisation : l’Acte constitutif du 11 juillet 2000 précise en effet
qu’aucun régime ne peut se dérober derrière le concept de souveraineté pour décimer une
population sans être tenu responsable des crimes commis. Le principe de nonintervention dans les affaires intérieures d’un État est rappelé mais pour autant,
l’organisation régionale a le droit d’intervenir en cas d’incapacité de ses États membres à
protéger leur population lorsque de tels crimes ont lieu41.
De même, le Traité de Lisbonne sur l’Union européenne a consacré un chapitre 3
à l’aide humanitaire, l’article 214 §1 TFUE prévoyant de « porter assistance et secours
aux populations des pays tiers, victimes de catastrophes naturelles ou d’origine humaine,
et à les protéger », en coordination notamment avec les Nations Unies (§7)42.Mais quels
que soient les destinataires des revendications, si les appels sont entendus, ils ne sont pas
toujours suivis d’effets.
II. La responsabilité de protéger, une obligation voire un principe invocable
L’obligation en tant que telle inclut de multiples actions possibles pour la rendre
opérationnelle, que ce soit avant que l’irréparable n’arrive ou pendant voire après la
dégénérescence du problème. Malgré tout, les États émettent des réserves à la voir
s’appliquer.
37
Communiqué de presse ONU, 13/07/2011; AG/11112, 65e session, 12/07/2011.
Rapport 2001 p.1, §1.2.
39
Communiqué de presse ONU, 17/09/2012.
40
Le Monde, 24/09/2012.
41
Art.4 : « L’Union africaine fonctionne conformément aux principes suivants :…(h) Le droit de l’Union
d’intervenir dans un État membre sur décision de la Conférence, dans certaines circonstances graves, à
savoir : les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre l’humanité;… », URL : http://www.africaunion.org/Official_documents/Treaties_Conventions_fr/Acte%20Constitutif.pdf.
42
Rapport 2012 p.13 §42 : le Secrétaire général cite également l’OSCE, la Ligue des États arabes, l’OTAN
et la CEDEAO, celle-ci étant intervenue en Sierra-Leone, Guinée-Bissau et Côte d’Ivoire.
38
57
Agnès Gautier-Audebert, «La responsabilité de protéger», Revue Ubuntou, no 1, 2013, pp. 49-65.
revue-ubuntou.org
A. De la prévention à l’intervention
Le Secrétaire général des Nations Unies fait état des procédés utilisables pour
agir, en amont et en aval. Les événements qui ont déjà permis leur mise en œuvre
autorisent de croire en la capacité de la communauté internationale à ne pas abandonner
les populations en danger.
1. L’inventaire des moyens mis à disposition
Alors que le Secrétaire général avait défini le troisième pilier de la R2P comme la
« réaction résolue et en temps voulu » dans son premier rapport de 2009, celle-ci devient
« prompte et décisive » en 2012. Pour ce faire, il répertorie les moyens qui sont
susceptibles de mettre en œuvre la responsabilité de protéger, surtout le troisième pilier,
en prenant appui sur la Charte des Nations Unies en ses chapitres VI (moyens de
règlement pacifique des conflits), VII (moyens coercitifs en cas menace contre la paix ou
de rupture de la paix ou d’agression) et VIII (Accords régionaux): limitée aux crimes de
guerre, contre l’humanité et de génocide, et même si chaque situation est différente, la
R2P peut néanmoins être assurée grâce à de nombreux moyens que la CNU met à
disposition et qu’il citait déjà en 2009. Et d’ailleurs, la prévention et l’intervention vont
de pair43.
Ainsi qu’il a été déjà indiqué, l’existence même de la Cour pénale internationale
constitue désormais un recours non seulement envisageable mais très réactif : sa mise en
fonction rapide ainsi que les procès et enquêtes en cours en répondent. Son rôle préventif
est tout aussi important44.
La création d’une commission d’enquête internationale, telles que celle qui a
été mise sur pied en 2009 en Guinée et celle qui a été décidée en 2011 pour la Syrie45,
peut à la fois établir la réalité des faits et empêcher de nouveaux crimes.
Les missions de maintien de la paix votées en Conseil de sécurité et mises en
œuvre par le Secrétaire général consolident les premiers efforts menés par l’État touché
ayant la volonté de protéger ses ressortissants46. D’autres missions issues d’organisations
ou arrangements régionaux sont également favorisées pour intervenir. Il s’agit en
l’occurrence des missions de suivi et d’observation47. Préventivement, l’Assemblée
générale de l’ONU ainsi que le Secrétaire général, comme tout État, ont la possibilité de
saisir le Conseil de sécurité de toute situation alarmante qui demande une réaction
appropriée ; le Conseil des droits de l’homme peut également faire part de ses
43
Jean-Marie Crouzatier, « Le principe de la responsabilité de protéger : avancée de la solidarité
internationale ou ultime avatar de l’impérialisme ? », Revue Aspects, n°2, 2008, p. 13 : l’auteur insiste sur
les moyens existants, avant même l’affirmation de la R2P, pour répondre aux violations du droit
humanitaire et que les États n’avaient pas la volonté politique d’utiliser ; c’est pourquoi il se pose la
question de la nécessité même du concept de responsabilité de protéger.
44
Rapport 2012 p.9 §29.
45
Résolution du Comité des droits de l’homme des NU S-17/1 du 23 août 2011.
46
Béatrice Pouligny, « La responsabilité de protéger (R2P) : état des débats », Humanitaire en mouvement,
avril 2010, n°5, p. 2 : la protection des civils dans le cadre des opérations de maintien de la paix répond à la
R2P ; c’est ainsi que le Conseil de sécurité semble le concevoir. L’auteure fait référence à un double emploi
voire d’un amalgame entre les deux notions.
47
Rapport 2012 p.9 §28.
58
Agnès Gautier-Audebert, «La responsabilité de protéger», Revue Ubuntou, no 1, 2013, pp. 49-65.
revue-ubuntou.org
inquiétudes, notamment après l’examen annuel de chaque État partie du respect des droits
de l’homme.
De tous les moyens utilisables et répertoriés par le Secrétaire général, les plus
contraignants sont les moins utilisés : si les États avaient insisté dans le Document final
de 2005 sur les procédés de règlement pacifique des différends, ce sont effectivement
ceux-ci qui ont servi dans la plupart des circonstances, souvent mis en œuvre par des
organisations régionales. Les procédés dits politiques ou diplomatiques, la négociation,
la médiation, les bons offices, l’enquête et la conciliation, et les procédés
juridictionnels, l’arbitrage et la Cour internationale de justice, non coercitifs, sont
privilégiés48. Les meilleurs résultats sont atteints lorsque les organisations travaillent de
concert, ONU et organisations régionales.
Toutefois, le Secrétaire général fait aussi état des moyens coercitifs issus du
Chapitre VII de la CNU que seul le Conseil de sécurité peut voter, lorsque les modes
pacifiques n’ont pas atteint les résultats escomptés, en touchant certains dirigeants ou le
pays par le gel des avoirs financiers, la suspension des aides financières ou la rupture des
relations diplomatiques, ou encore en autorisant le recours à la force. Cependant, les
problèmes qui génèrent des violations du droit humanitaire ont des origines sociétales
profondes.
2. Des progrès dépendants des sociétés en difficulté
Le Secrétaire général des NU insiste sur la R2P et les trois piliers définis attachés
au concept. Cependant, il tend à réduire l’utilisation du troisième pilier, « la réaction
résolue et en temps voulu », pour accentuer les moyens de prévention, l’intervention
collective n’ayant plus lieu d’être si les États assument correctement leur responsabilité
de protéger leur population49.
Il souhaite également qu’à chaque situation, même différente, quel que soit le
pays concerné, le souci de protection des populations l’emporte, le Conseil de sécurité ne
devant pas réagir différemment selon les cas : il est vrai que, depuis quelques années,
l’organe de décision de l’ONU tend à mieux favoriser le respect des droits
fondamentaux ; les exemples contraires l’emportent cependant dans les esprits, les crimes
commis sapant tous les autres efforts.
Autre constat de base, ce sont les difficultés et tensions que connaissent les pays
vivant ces atrocités qui en sont les causes: les problèmes sociétaux engendrent des
violences qui parfois vont au-delà de ce qui est acceptable. En intervenant en amont,
l’ONU a pu limiter voire éviter de graves violations du droit humanitaire 50. La
communauté internationale doit agir à ce niveau en aidant ses États à se stabiliser,
politiquement et subséquemment juridiquement. L’attentisme est « irresponsable et
48
Exemples : « la médiation entreprise par l’Union africaine au Kenya en 2008 et l’action menée par le
Centre régional des Nations Unies pour la diplomatie préventive en Asie centrale face aux violences
intercommunautaires au Kirghizistan en 2010 » ; envoyés spéciaux de l’ONU et de la Ligue des États
arabes envoyés en Libye et en Syrie qui confortent la collaboration entre l’organisation mondiale et les
organisations régionales, Rapport de 2012 p. 8 §23.
49
Rapport 2012 p.6 §18 et 19.
50
Communiqué de presse ONU, 18/01/2012 : cas du Kenya, de la Guinée et du Kirghizistan.
59
Agnès Gautier-Audebert, «La responsabilité de protéger», Revue Ubuntou, no 1, 2013, pp. 49-65.
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contre-productif51 ». Atteindre les OMD, Objectifs du Millénaire pour le
Développement, à l’horizon 2015, fait partie des missions de l’ONU et de la
communauté internationale dans son ensemble et tend, en grande partie, à résoudre ses
violences. Ces progrès ne peuvent néanmoins l’emporter sur les réactions très réservées
des États quant à la mise en œuvre de la R2P dès lors qu’elle peut leur échapper.
B. Des réserves des États à l’application de la responsabilité de protéger
Malgré le passé qui a vu nombre de crimes les plus graves être perpétrés, la
répétition de ces actes n’a pu permettre d’y mettre un terme. L’absence de réactions ou
des réponses tardives sont souvent de mise52. Des réponses sont proposées, mais
soumises à la volonté des États.
1. Un héritage sanglant aux leçons muettes
Le dernier rapport du Secrétaire général de 2012 rappelle les « conflits
identitaires » qui sont à l’origine de la commission de ces infractions au droit
international humanitaire, citant notamment, « l’Holocauste, les champs de la mort au
Cambodge, le génocide au Rwanda et les massacres à Srebrenica53 ». Plus récemment, au
cours des 18 derniers mois, d’autres alarmes ont été données, concernant la Côte d’Ivoire,
la Libye, le Yémen, le Soudan du sud, le Soudan et la Syrie.
L’un des plus récents concerne en effet ce pays : plus le conflit dure, plus il sera
difficile de le résoudre. Sans être les seuls, les pays voisins touchés par la guerre civile
dénoncent l’absence d’intervention : en effet, on tombe dans ce cas sur le blocage du
Conseil de sécurité, de par le veto dont les cinq États membres permanents (France,
Royaume-Uni, États-Unis, Chine, Russie) peuvent faire usage, la Chine et la Russie
l’ayant opposé à chaque tentative de résolution optant pour une réaction sur le terrain54,
pour secourir les populations et aider la justice à faire son œuvre55. L’AGNU a su prendre
la relève56, soutenant la Ligue des États arabes dans ses démarches pour mettre fin aux
violences et soutenir la transition politique mais tout en confirmant « son attachement
inébranlable à la souveraineté, à l’indépendance, à l’unité et à l’intégrité territoriale de la
51
Rapport 2012 p. 15 §52 ; rappel de la formule de la présidente du Brésil en septembre 2011 de la
« protection responsable » qui « consiste à agir de la bonne manière, au bon endroit, au bon moment et pour
les bonnes raisons » (p.15 §50 et 53).
52
Philippe Moreau Defarges, Droits d’ingérence dans le monde post-2001, Paris, Science-Po, 2006, 77 p. :
les désillusions font suite aux premières bonnes impressions.
53
Rapport 2012 p. 2 §4.
54
Projet avorté de résolution du 4 février 2012, mais vote des Résolutions 2042 du 19 avril 2012 et 2043 du
21 avril 2012 créant la mission de supervision des NU en Syrie.
55
Mario Bettati, op.cit. p. 381: « 1) un principe de libre accès aux victimes des catastrophes naturelles et
politiques, pour les organismes porteurs de secours ; 2) un usage éventuel de la force pour protéger les
convois humanitaires ; 3) une intervention armée possible pour protéger les victimes face à leurs
bourreaux ; 4) dans ces deux derniers cas, seule une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU peut
décider ou autoriser une opération de contrainte militaire ; 5) enfin des poursuites judiciaires internationales
à des fins préventives et répressives s’organisent progressivement contre les responsables des crimes les
plus graves ».
56
Résolutions A/RES/66/176 du 19 décembre 2011 et A/RES/66/253 du 16 février 2012 ; Communiqué de
presse ONU, 14/09/2012 : résolution du 3 août 2012.
60
Agnès Gautier-Audebert, «La responsabilité de protéger», Revue Ubuntou, no 1, 2013, pp. 49-65.
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République arabe syrienne57 ». Le soutien aux organisations régionales trouve ici toute
son acuité. Les conseillers spéciaux n’ont pas non plus hésité à réagir 58 ainsi que le
Conseil des droits de l’homme en créant une commission d’enquête internationale
indépendante chargée d’enquêter sur les violations des droits de l’homme en Syrie59.
Nombre d’États et d’organisations plaident la cause de l’intervention humanitaire, à
l’instar du Secrétaire général des NU, dans ce conflit, mais aussi de manière plus générale
dès lors que des populations souffrent des crimes les plus graves.
Néanmoins, la crainte des États existe quant à la façon d’interpréter le principe
de la responsabilité de protéger : à quel moment et dans quelles circonstances le droit
d’intervention peut-il exister ? Qui en décide ? Le risque de manipulation d’un tel
principe fait craindre le pire aux États, appréhendant toute atteinte à leur souveraineté,
par l’exercice d’une forme d’ingérence : néanmoins, si l’État arrive, par ses propres
moyens, à contrer les pires exactions, la communauté internationale n’a pas à pallier ses
insuffisances, la souveraineté de l’État allant donc de pair avec la R2P60. C’est pourquoi
l’alerte rapide de tout risque ou de commission des crimes les plus graves peut empêcher
de faire appel à une action collective.
En réponse à ses réserves, aux dires du Secrétaire général des NU, « personne n’a
le monopole de la vertu, du recul ou du jugement61 », d’autant plus que le principe défini
en 2005 ne peut que connaître des évolutions allant au-delà de ce qui avait été consacré
alors, les circonstances ayant connu des événements qui ne peuvent que susciter un
engouement plus important encore ; « on ne peut attendre que la théorie soit
perfectionnée pour commencer à répondre aux situations urgentes dans le monde62 »,
dixit le Conseiller spécial sur la responsabilité de protéger, Edward Luck.
C’est la communauté internationale dans son ensemble, par l’intermédiaire de
l’ONU et en particulier du Conseil de sécurité qui a des pouvoirs de voter des résolutions
contraignantes à l’égard des États. Toutefois, au regard des événements survenus en
Libye et en Syrie, le Conseil de sécurité autorisant l’intervention dans l’un mais pas dans
l’autre, il est impossible de s’en tenir uniquement aux capacités de l’ONU, qui demeurent
dépendantes de ses membres permanents et de leur droit de veto.
Si le renvoi devant la Cour pénale internationale fait partie de l’arsenal des
moyens de lutte contre l’impunité, les États émettent de même des réserves quand il
s’agit d’aider la juridiction à arrêter les suspects, ce à quoi réplique le Procureur de la CPI
57
Communiqué de presse ONU, 16/02/2012; Plan d’action du 2 novembre 2011 et décisions des 22 janvier
et 12 février 2012 de la Ligue des États arabes.
58
Réaction des deux conseillers spéciaux, pour la prévention du génocide et pour la responsabilité de
protéger, du Secrétaire général des NU, face à la crise en Syrie : rappelant à la communauté internationale
ses engagements lors du Somment mondial de 2005, elle doit donc « assumer sa responsabilité de
protéger », les attaques en cause pouvant constituer des crimes contre l’humanité (Communiqués de presse,
ONU, 10 février 2012, 14 juin 2012).
59
Résolutions S-16/1 du 29 avril 2011, S-17/1 du 23 août 2011 créant une commission d’enquête
internationale indépendante chargée d’enquêter sur les violations des droits de l’homme en Syrie, S-18/1 du
2 décembre 2011, 19/1 du 1er mars 2012, S-19/22 du 23 mars 2012, S-19/1 du 1er juin 2012, 20/22 du 6
juillet 2012. La commission d’enquête travaille sur les crimes de guerre et contre l’humanité qui seraient
commis par le gouvernement syrien (Communiqué de presse ONU, 23/02/2012).
60
Rapport 2012 p.6 §18.
61
Communiqué de presse ONU, 13/07/2011.
62
Ibid.
61
Agnès Gautier-Audebert, «La responsabilité de protéger», Revue Ubuntou, no 1, 2013, pp. 49-65.
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en rappelant aux États leur devoir de collaborer avec la Cour63. Les trop nombreux défis
semblent échapper à la bonne volonté de quelques-uns.
2. Des réponses aux défis parfois insurmontables
Le défi principal consiste à faire le nécessaire, soit en termes de prévention soit en
réactions actives et notamment malgré le blocage du Conseil de sécurité. La réforme de
ce dernier s’impose dès lors qu’une tentative de réponse est apportée64.
Le rapport de 2004 sur les menaces, les défis et le changement rappelait le
principe de base, qu’est celui de la prohibition du recours à la force, auquel faisait face
une exception, celle qui est autorisée par le Conseil de sécurité : les personnalités
proposaient alors cinq critères pour que ce recours puisse être voté et mieux encadré, à
savoir la « gravité de la menace, légitimité du motif, dernier ressort, caractère
proportionné des moyens et mise en balance des conséquences65 », critères initiés par la
CIISE66.
Néanmoins, le blocage du Conseil de sécurité par l’usage du droit de veto par
les membres permanents implique d’autres alternatives : si le rapport de 2004 ne fait
référence qu’au recours à la force tel que le Conseil de sécurité le vote, l’AGNU peut
aussi prendre la relève, la Résolution 377 « Union pour le maintien de la paix » ou
Acheson de 1950 lui permettant de pallier cet obstacle ; et à défaut d’une prise en charge
par l’Assemblée générale, les organismes régionaux pourraient assurer l’intervention67.
Cette hiérarchie de décision est la plus vraisemblable en vue d’une action concrète.
Cependant, elle est également la plus discutée et contestée en raison du manque de
légitimité qui autoriserait un recours à la force. D’ailleurs, le Secrétaire général des NU
part du principe que l’intervention régionale ne peut qu’être autorisée que par le Conseil
de sécurité68, tout comme la CIISE estimait que cet organe était le mieux à même de
« s’occuper des questions d’intervention militaire à des fins humanitaires », étant chargé
par la Charte des NU de la responsabilité principale du maintien de la paix et de la
sécurité internationales (art.24 §1 CNU)69. Toutefois, selon la Commission indépendante,
un vote favorable de l’AGNU pourrait, à défaut d’être contraignante, exercer une
pression supplémentaire sur le Conseil de sécurité70 ; quant aux organisations régionales
qui officieraient, à défaut des précédents, la CNU exige l’autorisation du Conseil de
sécurité même si la pratique la transforme en demande a posteriori71. Insister sur le rôle
déclencheur du Conseil de sécurité renforce la conception de responsabilité de protéger
en tant qu’obligation collective.
Pour éviter ce conflit de compétences entre les différentes entités, le rapport de
2004 recommande aux cinq membres permanents de ne pas faire usage du droit de
veto. C’est effectivement la plus simple et la plus sage des recommandations, tout en se
63
Résolution AGNU AG/11163 du 26/10/2011.
Laurence Boisson de Chazourne, op.cit., RGDIP 2006, p.11.
65
Rapport 2004 p.13.
66
Rapport 2001 p.36, §4.15 et s..
67
Laurence Boisson de Chazourne, op.cit., RGDIP 2005, p. 147.
68
Rapport 2012 p. 11 §35.
69
Rapport 2001 p. 54, §6.14.
70
Ibid. p. 57, §6.29 et 30.
71
Ibid. p. 59, §6.35; art.53 CNU.
64
62
Agnès Gautier-Audebert, «La responsabilité de protéger», Revue Ubuntou, no 1, 2013, pp. 49-65.
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révélant la plus difficile à négocier. Lors de la rédaction du rapport de la CIISE, un des
représentants d’un membre permanent du Conseil de sécurité avait proposé qu’un « code
de conduite » définisse les conditions d’usage du droit de veto en cas de crise
humanitaire grave : à défaut de révision de la Charte des NU, ce que la CIISE n’espérait
pas pour tout de suite, la prise en main par les États de leur propre usage du droit de veto
pouvait laisser présager une « évolution très positive72 ».
La réforme du Conseil de sécurité pourrait résoudre un grand nombre de problèmes, le
rapport de 2004 rapportant les différentes formules imaginées pour assurer une meilleure
représentation de la communauté internationale au sein de ce conseil décisionnaire73.
Mais cette révision de la Charte des Nations Unies dépendant des membres du Conseil de
sécurité, l’heure de la réflexion ne s’est pas encore écoulée.
Néanmoins, en 2001, la CIISE avait émis des recommandations : tout d’abord, à
l’attention de l’Assemblée générale des Nations Unies, celle de voter une résolution
rappelant les principes fondamentaux de la responsabilité de protéger, ce qui sera fait en
2009 ; ensuite, au Conseil de sécurité, de se définir des lignes directrices en cas de
nécessité d’intervention militaire et d’éviter de recourir au droit de veto, ce qui ne s’est
pas toujours traduit dans les faits ; enfin, au Secrétaire général de donner suite au rapport
de la Commission indépendante, ce qui se réalisera grâce à ses rapports annuels et à la
création des postes de conseillers spéciaux. On peut en conclure que le rapport de la
CIISE a vu la plupart de ses recommandations entendues74.
Comme le conclut le Secrétaire général des Nations Unies dans son rapport de
2012, « l’inaction est exclue…Il faut continuer à améliorer l’efficacité et la
cohérence de la mise en œuvre de la responsabilité de protéger75 ».
72
Ibid. p. 56 §6.21.
Rapport 2004 p.73 §249 et s..
74
Rapport 2001 p.81 §8-28 à 30.
75
Rapport 2012 p18, §59 et 61.
73
63
Agnès Gautier-Audebert, «La responsabilité de protéger», Revue Ubuntou, no 1, 2013, pp. 49-65.
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Biographie
Agnès Gautier-Audebert, Maître de conférences en Droit public à l’Université Paris 8
Saint-Denis, membre du Laboratoire GERCIE de l’Université F.Rabelais de Tours,
enseignements et publications en droit international public et en droit de l’Union
européenne : « Leçons de Droit des relations internationales » Ellipses 2011 ; Domaine
maritime international, TIDM, OCDE, Institutions et Pouvoir judiciaire de l’UE :
Jurisclasseur Droit international ; « L’exercice de la souveraineté de l’État hors de ses
frontières : le choix de la compétence universelle des juridictions nationales. », Politeia,
n°22, décembre 2012 ; Leçons de Droit de l’Union européenne » à paraître Ellipses
2013.
65