DS – Étude de doc. : « La citoyenneté romaine (144 apr. J.

Transcription

DS – Étude de doc. : « La citoyenneté romaine (144 apr. J.
DS – Étude de doc. : « La citoyenneté
romaine (144 apr. J.-C.) »
[CA v1.3]
« Voici ce qui, de beaucoup, entre toutes choses, mérite le plus d’être vu et
admiré : c’est ce qui concerne le droit de cité. Quelle grandeur de conception ! Rien
jamais n’a ressemblé à cela. En effet, vous avez séparé en deux groupes tous ceux
qui étaient sous votre pouvoir – par ces mots, je désigne l’ensemble du monde
civilisé : à la partie qui avait la meilleure grâce, la noblesse et les capacités les plus
grandes, vous avez donné la plénitude [= totalité] des droits politiques ou même la
communauté de race : pour le reste, vous l’avez soumis et réduit à l’obéissance. Ni
la mer ni l’étendue d’un continent ne peuvent être un obstacle à l’obtention de la
citoyenneté ; dans ce domaine, l’Asie n’est pas séparée de l’Europe. Tout se trouve
ouvert à tous ; il n’est personne digne du pouvoir ou de la confiance qui reste un
étranger. […] Comme nous l’avons dit, vous avez, en hommes généreux, distribué à
profusion [= en grande quantité] la cité. Vous n’en avez pas fait un objet
d’admiration en refusant de la partager avec quelqu’un d’autre ; au contraire, vous
avez cherché à en rendre digne l’ensemble des habitants de l’Empire ; vous avez
fait en sorte que le nom de Romain ne fût pas celui d’une cité, mais le nom d’un
peuple unique. […] Vous avez fait passer la ligne de partage entre les Romains et
les non-romains.[…] Depuis que ce partage est réalisé, nombreux sont ceux qui,
dans chaque cité, sont les concitoyens de vous-mêmes autant que ceux issus de
leur propre race, bien que quelques-uns d’entre eux n’aient encore jamais vu votre
cité. Il n’est pas besoin de garnisons dans leurs acropoles, car partout, les hommes
les plus importants et les plus puissants gardent pour nous leur propre patrie ».
P. Aelius Aristide, Éloge de Rome (144 apr. J.-C.) traduction d'A. Michel, 1969
Note : Aristide est un nom grec
Questions [expliquer à l'aide de connaissances]
1 - Présentez le document (auteur, nature, etc.)
2 - Qui peut devenir citoyen à cette époque ? Quelle différence est faite entre les
provinces ?
3 - Quelles sont les différences avec la citoyenneté à Athènes (au 5e s. av. J.-C.) ?
4 - Quelle est l’étendue de l’Empire à cette époque ? Qu’est-ce qui en fait l’unité
selon Aristide ?
5 - Expliquez le point de vue de l’auteur, en le justifiant et en le critiquant.
Correction – Étude de doc. « La citoyenneté romaine (144 apr. J.-C.) » [CA v1.2]
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Note importante : il est évident qu'une petite partie des analyses et connaissances qui suivent
suffisait à un élève pour obtenir la note maximale (en particulier, pour la Question 1, qui a,
volontairement, été développée très généreusement pour bien démontrer qu'il est sans utilité ni
nécessité de copier la notice mais que celle-ci est à exploiter).
Principaux défauts constatés : Q1) Tendance à copier la notice « brute » sans l'exploiter. Le terme
« Éloge » semble très largement incompris... ; Q2) Oubli de l'exemple, provincial et utilisable, des tables
julio-claudiennes (pourtant étudiées) ; Q3) Tendance à mélanger Athènes et Rome et à ne pas
comparer ; Q4) Mauvaise connaissance des limites de l'Empire romain [revoir la carte du Livre étudiée
en classe]. Manque d'ordre de grandeur, avec des surfaces données de 10 km² ! (pourtant superficie et
population françaises actuelles – 0,55 millions de km² et 66 millions d'hab. - avaient été données en
repère]. Romanisation oubliée ! ; Q5) Confusion fréquente avec la période d'après 212 apr. J.-C.
Q1) - Présentez le document (auteur, nature, etc.) : dans cet extrait de discours, différents points de rédaction
(ex. : « vous avez, en hommes généreux ») suggèrent que le public est constitué de citoyens romains très
certainement membres de l'élite dirigeante (les sénateurs ? l'empereur – Antonin en 144 – même ?) car les
flatteries abondent. En effet, c'est un éloge, l'auteur célèbre la grandeur de la cité de Rome, simple village latin
devenu, en quelques siècles, un Empire gigantesque (d'un point de vue politique, il n'y a un empereur que
depuis - 27 av. J.-C. - Auguste – mais la conquête territoriale date largement de la République romaine). Dans
cette expansion spectaculaire, la particularité que Rome soit la seule cité antique à répandre aussi largement
son droit de cité (ou citoyenneté), a joué un rôle essentiel. Cette insistance de l'auteur, sur ce point, n'est pas
surprenante : la cité, une ville avec ses campagnes, est l'unité politique fondamentale du Monde antique (y
compris dans l'Empire romain). Ce discours n'est pas improvisé mais soigneusement rédigé en utilisant les
meilleures techniques de l'art oratoire romain (ou rhétorique des Grecs). Étant donné son sujet et son public,
l'original est, très certainement, en latin (plutôt qu'en grec). L'auteur est né en Grèce (cf. Aristide) mais il est
citoyen romain (cf. P. Aelius Aristide). Alors que l'Empire romain est à son apogée (les dernières grandes
conquêtes datent de l'empereur Trajan au début du 2ème s.), il est un parfait exemple d'une romanisation
réussie.
Q2) - Qui peut devenir citoyen à cette époque ? Quelle différence est faite entre les provinces ?
En dehors des citoyens par la naissance, il est possible d'acquérir le droit de cité. La citoyenneté romaine n'est
pas ouverte à tous : il faut être un homme et libre. Cela ne suffit pas. Service de l'empire et richesse sont les
critères essentiels. Il faut également montrer que l'on est romanisé : maîtriser le latin, porter la toge, participer
aux cultes religieux (en particulier celui de l'empereur), etc. En pratique, cela signifie que l'on peut,
éventuellement, devenir citoyen par : la faveur de l'empereur ; un long service militaire ; une charge
municipale ; un affranchissement par un maître lui-même citoyen romain... (cf. cours). Selon Aristide, Rome a
« séparé en deux groupes tous ceux qui étaient sous son pouvoir ». Il n'évoque pas ainsi la division
administrative provinces sénatoriales/impériales (cf. carte du livre p. 61, étudiée en classe). Il s'agit plutôt de
distinguer dans l'Empire les provinces les plus « civilisées » c'est-à-dire romanisées (et donc dignes de recevoir
largement la citoyenneté) des autres (en général de conquête plus récente). Par exemple, dans le cas gaulois,
la Narbonnaise est nettement distinguée de la « Gaule chevelue » (cf. table julio-claudiennes). Plus encore, la
distinction passe à l'intérieur même des provinces : « les hommes les plus importants et les plus puissants »,
romanisés précocement et faisant preuve de fidélité obtiennent, en récompense, la citoyenneté. C'est un
honneur et des privilèges (ex. : taxes). L'Empire s'appuie ainsi sur les élites locales (oligarchies) en plus des
légions (cf. garnisons). « Pour le reste, vous l’avez soumis et réduit à l’obéissance » : même dans les provinces
très romanisées, les hommes pauvres, en particulier les paysans, restent très majoritairement des sujets
(pérégrins).
Q3) A Rome et à Athènes, la majorité de la population est exclue (femmes, esclaves, enfants...). Pour les deux
cités, le droit du sang existe pour les hommes libres, majeurs et nés d'une union légitime (père citoyen et mère
fille de citoyen). La principale différence : il est quasi impossible d'acquérir la citoyenneté athénienne (il faut un
vote de l'ecclesia !) ; à Rome, surtout si l'on est romanisé et riche, c'est envisageable (cf. Q2 et le cours), même
pour un esclave (affranchissement fréquent à la différence d'Athènes). Ce flot permanent de nouveaux citoyens
a été un grand atout de Rome dans ses guerres (cf. les problèmes d'effectifs des Athéniens et des Spartiates).
Q4) - Quelle est l’étendue de l’Empire à cette époque ? Qu’est-ce qui en fait l’unité selon Aristide ?
L’Empire s'étend sur 5 millions de km² et compte ~ 70 millions d'habitants de l’Europe du Nord (jusqu'à l'Ecosse
et l'ouest de l'Allemagne) à l’Asie occidentale et même au désert de l’Afrique du Nord (Sahara). Protégé par le
Limes, il comprend la Gaule, les littoraux du sud de l’Europe, dont la Grèce, le Proche-Orient, soit presque tout
le pourtour méditerranéen : la Méditerranée est un véritable « lac romain ». Pour Aristide, Rome a su donné une
unité à l’Empire qui forme une « communauté de race » c’est-à-dire un peuple uni malgré la diversité des
origines ethniques, des langues, des religions... grâce à une romanisation intense et réussie : dans les villes,
fondées sur le même modèle, le latin (ou le grec en Orient) est devenu la langue de communication, la toge est
portée, des mosaïques ornent les villas... (cf. le cours). Aristide, lui-même, a romanisé son nom (cf. Aelius).
Q5) - Expliquez le point de vue de l’auteur, en le justifiant et en le critiquant : Aristide est dithyrambique à
l’égard de Rome. Il en est lui-même bénéficiaire en ayant reçu la citoyenneté. C'est également l'apogée de
l'Empire romain, période remarquable de paix et de prospérité. Il ne faut pas trop s'étonner qu'il « oublie » les
exclus - paysans des provinces, esclaves, femmes... - la société est dure, très hiérarchisée - forte inégalité
sociale, civique et juridique (droit romain, latin...) ; le régime politique est autoritaire et militarisé. Il faut
attendre le fameux édit de 212 pour qu'en quasi totalité (?) les hommes libres deviennent citoyens romains.