The Legitimation, Practice, and Future of Private Copying

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The Legitimation, Practice, and Future of Private Copying
e.Bulletin du droit d’auteur
avril – juin 2003
DOCTRINE ET OPINIONS
JUSTIFICATION, PRATIQUE ET AVENIR DE LA COPIE PRIVEE
Un document fondé sur l’exemple du dispositif de copie privée en Allemagne
Reinhold Kreile, professeur et docteur*)
Jürgen Becker, professeur et docteur**)
Sommaire
I.
Protection de la propriété intellectuelle et évolutions technologiques
1.
Justification d’une réglementation statutaire relative à la copie privée
2.
Le point de vue européen
II.
Cadre législatif du droit de copie privée : exemple de la loi allemande sur le droit
d’auteur (l’« UrhG »)
1.
La reproduction à usage privé ou personnel (Article 53 de l’UrhG)
2.
Le droit à rémunération
*)
a)
Les titulaires de droits
b)
Justification de la redevance payée par les fabricants de matériel et de
supports vierges
c)
Réglementation statutaire relative aux montants de la rémunération
d)
La position du gouvernement allemand sur le dispositif actuel et
l’avenir de la copie privée
e)
Le débat sur la classification des enregistreurs numériques
f)
La compatibilité des règles relatives à la copie privée avec la
Convention de Berne révisée et l’Accord sur les droits de propriété
intellectuelle touchant au commerce (ADPIC)
Reinhold Kreile, Professeur et docteur, Président-Directeur général de la GEMA (Société allemande de
gestion collective des droits d'exécution et de reproduction mécanique des oeuvres musicales).
**)
Jürgen Becker, Professeur et docteur, Vice-Président exécutif et Conseiller juridique principal de la GEMA.
Original : anglais
e.Bulletin du droit d’auteur
avril – juin 2003
III.
3.
La légitimité du droit à rémunération en ce qui concerne les fabricants de
supports vidéo et audio
a)
La nécessité de répercuter indirectement les coûts sur les utilisateurs
finaux
b)
Une charge indirecte pour les deux branches de l’industrie, avec
possibilité de répercussion
4.
Les types de droits concernés
5.
La ZPÜ (Zentralstelle für private Überspielungsrechte), société allemande de
perception pour la redevance due pour la copie audiovisuelle privée ;
6.
La perception des redevances auprès des fabricants et des importateurs de
matériel audio et vidéo et de cassettes audio et vidéo vierges
7.
La redistribution des recettes sur les redevances
8.
La redistribution des recettes au sein des différentes sociétés de perception
concernées
L’avenir de la copie privée à l’ère du numérique
-2-
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Malgré l’adoption de la Directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 par le Parlement
européen et le Conseil sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits
voisins dans la société de l’information1, l’Union européenne (UE), dont l’engagement en
faveur de la suppression des frontières nationales entre États Membres est entier, ne pourra
échapper au travail nécessaire pour éliminer un obstacle particulièrement encombrant et
difficile à la création d’une Europe libre, juste et équitable : l’hétérogénéité du traitement de
la copie privée, qui fausse la concurrence. Chacun a sans doute pu constater qu’il est
impossible de maintenir un système dans lequel plus de la moitié des citoyens de l’UE doit
acquitter des taxes ou des redevances en guise de rémunération de la copie privée – c’est-àdire, l’achat et l’utilisation d’enregistreurs audio ou vidéo et/ou de cassettes vierges ou
d’autres supports d’enregistrement – afin de garantir la protection des créateurs et de leurs
œuvres, alors que l’autre moitié n’est pas soumise à cette obligation. Par ailleurs, il est de
plus en plus clair que ce paradigme d’une concurrence faussée, qui est aussi préjudiciable
pour les compositeurs, les auteurs et les exécutants de leurs œuvres que pour l’industrie qui
fabrique le matériel et les cassettes vierges, ne disparaîtra pas avec le simple abandon du
régime de rémunération appliqué par les États membres concernés, dans certains cas depuis
plus de 25 ans. En effet, les redevances perçues pour la copie privée ont été conçues pour
respecter le principe de la propriété tel qu’il est défini dans les constitutions des différents
États : la concurrence ne sera rééquilibrée que lorsqu’il existera un régime de rémunération
européen relatif à la copie privée, s’appliquant à l’ensemble des États membres.
Pour des raisons politiques (en l’occurrence, l’incapacité d’obtenir une majorité), la
Commission européenne n’a pas beaucoup avancé dans son travail d’harmonisation en ce
qui concerne la copie privée, ce qui l’a conduite à rayer ce problème de la liste des chantiers
prioritaires. Il est d’autant plus indispensable de procéder à l’analyse et à la description des
principaux éléments et des spécificités de ces régimes de rémunération. Le choix de
commencer par présenter le point de vue allemand sera facile à comprendre : le régime de
rémunération allemand est non seulement le dispositif réglementaire et statutaire le plus
ancien d’Europe (ayant été créé en 1965), mais également, depuis 1985, le plus complet.
L’obligation d’acquitter des taxes ou des redevances concerne aussi bien le matériel
d’enregistrement que les supports vierges (cassettes vierges), c’est-à-dire, les deux types de
produits industriels qui, une fois réunis, permettent la pratique de la copie privée.
I.
Protection de la propriété intellectuelle et évolutions
technologiques
1.
Justification d’une réglementation statutaire relative à la copie privée
En introduisant une rémunération statutaire pour la copie privée, le législateur a
voulu relever le défi posé par la technologie, tout en remplissant son obligation d’assurer la
protection de la propriété intellectuelle.
Les différents États membres de l’Union européenne font unanimement référence,
dans leur régime juridique, à la notion de la « propriété intellectuelle ». Tel est le terme
employé en droit français, tandis qu’en Angleterre, il s’agit de l’intellectual property ; le
geistiges Eigentum du droit allemand, lui, est tiré de la Constitution de ce pays. Même si
certains auteurs cherchent actuellement à débarrasser cette notion de sa « revendication
métaphysique » -- ne serait-ce que pour éviter qu’elle soit réduite à un droit « naturel », ce
qui diminuerait son importance et sa pertinence dans les débats relatifs au droit, à la théorie
1
Journal officiel, 2001, No. L 167/10.
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juridique et à la politique juridique2 — nul ne souhaiterait la disparition de ce terme si
engageant3.
Il conviendra de se tenir à la définition communément acceptée de la « propriété
intellectuelle4 », la « notion de propriété intellectuelle visant à résumer en peu de mots la
justification de la protection juridique. Elle permet par ailleurs de classer la législation
relative aux droits d’auteur parmi les éléments permettant de garantir le droit à la propriété
[…]. Enfin, elle vise à expliciter la nécessité d’accorder autant d’importance à l’intérêt des
auteurs qu’à celui des propriétaires de biens ». Cette explication se suffit à elle-même. Par
ailleurs, nul n’ignore que, dans la mesure où la loi sur le droit d’auteur traite également des
droits liés à la personnalité, elle ne se limite pas au seul droit de propriété et ne doit donc pas
« être traitée, dans ses différentes déclinaisons, comme la propriété de biens ».
Même si la doctrine des droits naturels, qui a servi, dans un premier temps, à
légitimer la loi sur le droit d’auteur (qui a tant fait pour avancer le travail délicat de
sauvegarde des intérêts des auteurs) fait l’objet de débats plus récents et plus animés, la
concrétisation de la « propriété intellectuelle », facilitée par cette doctrine reste essentielle et
pertinente pour la loi sur le droit d’auteur. La suppression d’une partie de ces droits, même
infime, correspondrait à un retour en arrière dans un processus d’évolution, comme celui,
tout à fait pertinent dans le débat actuel, qu’annonçait Emmanuel Kant : « Ainsi, toute
cognition humaine trouve ses origines dans l’intuition, pour devenir ensuite un concept et
pour finir en idées5 ». Les droits de propriété intellectuelle, comme les droits de l’homme, ne
doivent pas différer en quoi que ce soit des autres droits : ils doivent évoluer selon une
dynamique qui leur est propre, en étant soutenus jusqu’à ce que les droits de propriété
intellectuelle soient reconnus en droit, de façon positive, dans tous les pays du monde.
Dans tous les pays civilisés, le droit à la propriété est reconnu comme un droit de
l’homme, la propriété de biens et le droit de disposer de ses biens à sa guise comptant parmi
les éléments les plus importants de la liberté de l’individu. Les biens et la liberté – comme
l’ont prouvé, de façon magistrale, les démocraties occidentales – sont la terre fertile qui
nourrit l’inspiration et la diversité culturelle, qui, à leur tour, permettent de servir et de
satisfaire les besoins spirituels et intellectuels de tous les êtres.
La décision de préserver l’indivisibilité de la notion de propriété est à la fois
classique et fondamentale. Les hauts tribunaux allemands ont ainsi fait montre d’une
constance impressionnante dans leurs décisions, en évitant systématiquement l’utilisation de
qualificatifs en parlant de la propriété. Aussi, les « biens matériels », les « biens réels », ou
les « biens reconnus dans la loi relative aux droits d’auteur » -- c’est-à-dire, la propriété
« intellectuelle » -- constituent des termes spécifiques, des notions incontestablement
subsidiaires, quelles que soient leurs applications respectives.
Si la loi sur le droit d’auteur reconnaît chaque œuvre d’art comme étant propre à son
auteur, elle ne cherche pas à empêcher d’autres individus de jouir de cette œuvre. Bien au
2
3
4
5
Cf. Reinhold Kreile, Vervielfaeltigung zum privaten Gebrauch, eine Herausforderung an den Kulturstaat
und seine Urheberrechtsgesetzgebung [La reproduction à usage privé : un défi pour les Etats civilisés et leur
législation relative aux droits d’auteur], ZUM 1991, p. 104.
Cf. Manfred Rehbinder, Urheberrecht [Loi sur le droit d’auteur], 12th Ed., 1987, p. 52.
Cf. Heinrich Hubmann, Urheber- und Verlagsrecht [Lois relatives aux droits d’auteur et au droit d’édition
des éditeur], 6e Ed., p. 54 f.
Immanuel Kant, Kritik der reinen Vernunft [Critique de la raison pure], 1781, Vol. II of Wilhelm
Weischedel's Edition, 1956, p. 604.
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contraire, les œuvres originales sont conçues pour être diffusées et publiées, pour être
accueillies par un public. En revanche, les auteurs et les diffuseurs de ces œuvres doivent
pouvoir percevoir les fruits pécuniaires de leurs réalisations, les réalisations intellectuelles
méritant, en principe, le même niveau de protection que toutes les autres réalisations. Par
conséquent, la loi sur le droit d’auteur accorde en principe aux auteurs le droit exclusif de
disposer de leurs œuvres et de les utiliser à leur guise.
Or, aujourd’hui, en raison du développement de techniques d’enregistrement
modernes, ce n’est pas tant l’utilisation par l’acquisition qui soulève un problème juridique,
mais l’utilisation par la copie privée. En disposant d’un matériel d’enregistrement et de
reproduction, ainsi que de supports vidéo et audio pour l’enregistrement, les auditeurs et les
spectateurs peuvent « s’enrichir en accédant directement à la réalisation créatrice », sans
avoir à passer par l’achat, par exemple, de livres ou de supports audio et vidéo préenregistrés, etc. Ainsi, en raison des progrès technologiques, le droit des auteurs d’autoriser
et d’interdire ne peut plus être assuré pleinement vis-à-vis de tous les utilisateurs6.
Les législateurs de la majorité des États membres de l’UE ont reconnu très tôt que,
les évolutions technologiques aidant, la notion juridique d’un droit d’interdire dans le cadre
de la loi sur le droit d’auteur ne pouvait fonctionner, l’interdiction de la copie privée ne
pouvant être mise en application. Adopter une telle interdiction serait ne pas tenir compte de
la réalité, tout en affaiblissant l’autorité et la crédibilité de l’appareil judiciaire. Il serait
impossible d’imposer cette obligation aux utilisateurs, compte tenu de leur nombre
important et de leur anonymat, d’autant que, ni les législateurs, ni les auteurs ne souhaitent
compromettre la protection par la loi de la vie privée des utilisateurs7. Il faut donc faire
accompagner les progrès technologiques par une loi (sur le droit d’auteur), dont la mise en
application serait progressive.
Dans la plupart des États membres, les législateurs ont prévu un régime de cette
sorte. Après avoir, dans un premier temps, autorisé la copie à usage privé ou personnel,
seule décision possible du point de vue de la politique juridique, ils ont remplacé le droit des
auteurs d’interdire ou d’autoriser, par le droit à rémunération, qui venait alléger l’effet de la
rémunération perdue. C’est pourquoi il existe, à présent, des régimes de rémunération dans
tous les États membres de l’UE, à l’exception du Royaume-Uni, de l’Irlande et du
Luxembourg.
2.
Le point de vue européen
Pour expliquer son intervention dans le domaine de la loi sur le droit d’auteur, la
Commission européenne a cité l’incidence de plus en plus fréquente, au cours des dernières
années, de problèmes relevant de ce droit au sein de la Communauté, problèmes qui
touchent directement le Marché commun et sa mise au point.
Les nombreuses affaires examinées par la Cour européenne de justice confirment
cette tendance. Mais la problématique des droits d’auteur ne se limite pas aux obstacles au
mouvement transfrontalier de biens et de services, puisqu’elle englobe également les
initiatives visant une action commune dans le domaine culturel, notamment dans la diffusion
transfrontalière. L’importance de la loi sur le droit d’auteur s’accroît, comme la Commission
l’a très justement fait remarquer, au fur et à mesure des évolutions structurelles de
6
7
Paul Kirchhof, Der verfassungsrechtliche Gehalt des geistigen Eigentums [L’essence constitutionnelle de la
propriété intellectuelle], in: Festschrift for Wolfgang Zeidler, 1987, p. 1646.
Cf. Haimo Schack, in: Festschrift for Willi Erdmann, pp. 165/170.
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l’industrie et des entreprises. Aujourd’hui, la créativité et l’imagination figurent au nombre
des « matières premières » les plus importantes pour l’Europe. La Commission a donc
estimé qu’il serait nécessaire de prendre des mesures au niveau communautaire « pour
éliminer les disparités dans les dispositions et les modalités statutaires, qui constituent des
écueils, et pour empêcher l’apparition de nouvelles disparités qui pourraient être
préjudiciables au Marché commun ».
Pour cette raison, la Commission européenne a estimé que la reproduction
d’enregistrements audiovisuels à usage privé constituait un problème particulièrement
important. Après avoir déjà consacré le troisième chapitre de son « Livre vert sur le droit
d’auteur et le défi technologique » à ce sujet, en juin 1988, elle a annoncé, dans son
« Programme de travail dans le domaine des droits d’auteur et des droits voisins », du
17 janvier 1991, qu’elle s’engageait à traiter ce problème au niveau de la Communauté, en
proposant un projet de directive sur la copie privée de supports audio et audiovisuels.
Dans ce programme de travail, la Commission européenne a annoncé sa position
remarquable en ce qui concerne la loi sur le droit d’auteur et la protection de la propriété
intellectuelle, puisqu’elle s’allie à tous les créateurs d’Europe8.
Pendant le déroulement du Programme, la Commission européenne avait sans doute
compris que, dans un cadre juridique tel que celui de la Communauté européenne, la
protection de la propriété intellectuelle par la Constitution, sur laquelle s’appuient les
différentes revendications de participation aux fruits des réalisations créatrices, ne pouvait
être assurée tant que les pays de l’UE feraient appliquer des normes différentes en la
matière, tout en favorisant une intégration de plus en plus grande par ailleurs. Bien que la
Constitution de la Communauté, c’est-à-dire, les différents Traités de Rome, ne comprenne
aucun catalogue explicite des droits fondamentaux, comme le fait, par exemple, la
Grundgesetz allemande, la Communauté remplit néanmoins tous les critères d’une
démocratie de droit, selon la tradition de l’Europe occidentale et de l’Amérique.
Effectivement, au sein de la Communauté, les droits fondamentaux constituent des principes
juridiques communément admis qui, conformément aux décisions de la Cour de justice
européenne, doivent trouver leur origine dans les traditions constitutionnelles communes des
États membres. Chaque citoyen de l’UE peut affirmer ces droits vis-à-vis de l’autorité
communautaire, l’UE ayant l’obligation de les respecter immanquablement dans son action
législative.
Parmi les droits fondamentaux des individus, réaffirmés par la Cour européenne de
justice, la protection de la propriété et, partant, de la propriété intellectuelle, a la primauté.
S’il est vrai que, dans n’importe quel pays de l’UE, le principe du traitement national
tel qu’il est promulgué dans la Convention de Berne pourra prévenir toute discrimination
contre les auteurs issus d’autres pays de l’UE, il ne peut empêcher que les auteurs européens
se trouvent face à un paysage juridique hétérogène, certains pays acceptant de leur accorder
ce que d’autres leur refuseront. Les régimes de rémunération des différents États membres
de l’UE sont les suivants : dans le domaine audio et vidéo, trois pays (le Royaume-Uni,
l’Irlande et le Luxembourg) n’ont prévu aucune disposition ; seulement six pays (la
Belgique, l’Allemagne, la Grèce, l’Italie, le Portugal et l’Espagne) ont un régime de
rémunération prenant en compte les deux domaines (avec des taxes ou des redevances sur le
8
Programme de travail de la Commission dans le domaine des droits d’auteur et des droits voisins, COM (90),
584, version définitive du 17 janvier 1991, p. 2 f.
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matériel et les supports d’enregistrement vierges) ; dans les autres pays, les taxes ne sont
dues que sur les supports audio et vidéo vierges. Aussi, à terme, les différences qui
persistent dans le contenu des différentes lois sur le droit d’auteur et dans le niveau de
protection assuré aux auteurs ne pourront plus être tolérées, en raison des inégalités sociales
qu’elles engendrent en Europe. Indépendamment de la Convention de Berne, les titulaires de
droits allemands ne comprendraient pas, par exemple, qu’un auteur du Royaume-Uni, Etat
membre de l’UE, puisse bénéficier du régime de rémunération allemand, tandis qu’un auteur
allemand reviendrait du Royaume-Uni sans avoir perçu la moindre rémunération.
L’harmonisation des sous-sections de la loi sur le droit d’auteur, qui figure au
Programme de travail, a été décidée par la Commission européenne pour mettre fin à des
disparités évidentes et contraires au principe de traitement égalitaire et au principe du
Marché commun tel qu’il sont promulgués dans les traités communautaires.
Il va sans dire que la Commission européenne, en préparant ses projets
d’harmonisation, se laisse guider par la réglementation existante des États membres de la
Communauté, en s’y référant dans la mesure où elle peut servir de modèle pour l’ensemble
de la Communauté.
Le programme de travail de 1991 mettait l’accent sur l’importance de garantir la
protection de la propriété intellectuelle au sein de la Communauté européenne. Les années
suivantes ont vu plusieurs tentatives de faire avancer encore ce dossier, jusqu’à la
présentation d’un projet de directive relative à la copie privée.
Mais ce n’est qu’avec la « Directive du Parlement européen et du Conseil sur
l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de
l’information9 », qui est entrée en vigueur le 22 juin 2001, que la Commission européenne a
repris le sujet de la copie privée. Or, dans cette Directive, la Commission n’a pas proposé
d’harmoniser l’obligation de verser une rémunération liée à la copie privée, mais,
conformément à l’Article 5 2b) de la Directive, a autorisé des exceptions à la loi sur la
reproduction, notamment en ce qui concerne la reproduction de supports audio et
audiovisuels à usage privé. Ainsi, les États membres de l’UE peuvent, s’ils le souhaitent,
introduire ou maintenir des exceptions dans le cas de ces formes de reproduction.
Simplement, la mise en application d’une telle exception nécessiterait le « versement d’une
rémunération ». Par ailleurs, les exceptions autorisées au vu de l’Article 5 2b) « ne sont
applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation
normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts
légitimes du titulaire du droit » (Article 5, paragraphe 5). En d’autres termes, les États
membres ayant introduit une exception relative à la copie privée sous forme de rémunération
statutaire peuvent maintenir cette exception, aux côtés du régime de rémunération introduit
par la loi. Quant à l’éventuelle distinction entre la copie analogique et la copie numérique, la
Directive n’impose pas de faire respecter certaines exigences. En particulier, elle n’exige
pas que la copie numérique soit exclue des limites imposées en matière de copie privée. En
revanche, le considérant 38 sur la Directive souligne qu’il convient de « tenir dûment
compte des différences existant entre copies privées numériques et analogiques et de faire
une distinction entre elles à certains égards ». Le considérant 39 indique que, « Lorsqu'il
s'agit d'appliquer l'exception ou la limitation pour copie privée, les États membres doivent
tenir dûment compte de l’évolution technologique et économique, en particulier pour ce qui
9
Voir ci-dessus, note 1.
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e.Bulletin du droit d’auteur
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concerne la copie privée numérique et les systèmes de rémunération y afférents, lorsque des
mesures techniques de protection efficace sont disponibles. »
S’agissant de la reproduction à l’aide de technologies analogiques, la Directive
(Article 5 2b) indique, sans ambiguïté, qu’il n’est plus admissible de ne pas prévoir un
régime de rémunération spécifique pour la prise en compte des droits des auteurs. L’Article
5 2b, récemment introduit, permet aux États membres de prévoir des exceptions relatives à
la copie privée à usage personnel, dont la copie numérique. En revanche, la compétence
réglementaire restera du ressort des législateurs nationaux.
II.
Cadre législatif du droit de la copie privée : exemple de la loi
allemande sur le droit d’auteur (« UrhG »)
1.
La reproduction à usage privé ou personnel (Article 53 de l’UrhG)
L’article 53 de l’UrhG autorise la reproduction, directe ou indirecte, d’œuvres dont
les droits d’auteur sont protégés, à condition que : le nombre des copies ne dépasse pas
sept ; les copies soient à usage privé ; les copies soient fournies gratuitement. Pour traiter ce
cas, le législateur allemand s’est écarté du principe du droit exclusif de l’auteur d’autoriser
la reproduction et la diffusion de ses œuvres, en s’appuyant sur la notion de « licence
statutaire » pour la copie privée tout en y associant une obligation essentielle de verser une
rémunération à l’auteur. Il a ainsi réconcilié les intérêts du grand public avec ceux des
auteurs.
2.
Le droit à rémunération
a)
Les titulaires de droits
Le principe de la libre pratique de la copie privée est nécessairement assortie d’un
droit à rémunération, conformément à l’article 54 de l’UrhG, qui introduit l’obligation de
verser des taxes pour toute forme de reproduction réalisée à l’aide de médias technologiques
de pointe (appareils et supports vierges). Ce droit à rémunération existe depuis 1965 pour les
fabricants de matériel (appareils d’enregistrement audio et vidéo) et depuis 1985 pour les
fabricants de supports vierges (cassettes audio et vidéo).
Conformément à l’Article 54(1) de l’UrhG, c’est l’auteur de l’œuvre qui est le
titulaire. Mais il existe d’autres titulaires de droits, notamment ceux qui perçoivent des
droits d’auteur ancillaires. En effet, l’article 70 les place dans le champ de l’article 54. Il
s’agit des auteurs de manuels scolaires et universitaires (Article 70(1), UrhG), des personnes
ayant réalisé une révision d’un editio princeps (Article 71(1), UrhG), des intermittents du
spectacle et des organisateurs (Article 84, UrhG), des fabricants de supports audio (Article
85(3), UrhG), des producteurs de films (Article 94(4), UrhG) et des producteurs de dessins
animés (Articles 95 et 94(4), UrhG).
D’après l’article 54h(1), UrhG, les demandes de rémunération doivent s’effectuer par
le biais d’une société de perception. On évite ainsi les situations qui mettraient face à face
les personnes devant acquitter des rémunérations et celles pouvant prétendre à une
rémunération, ces dernières étant bien trop nombreuses.
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e.Bulletin du droit d’auteur
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b)
Justification de la redevance payée par les fabricants de matériel et de supports
vierges
En introduisant une taxe sur le matériel et les supports vierges dans l’article 54 de la
loi allemande sur le droit d’auteur, les législateurs allemands ont voulu compenser les pertes
engendrées par les ventes de supports audio, qui permettent la copie privée. En règle
générale, cette rémunération doit être supportée par les individus qui, par la copie privée,
s’approprient les œuvres de tiers. Ce sont eux, en effet, qui enfreignent la loi sur le droit
d’auteur et doivent donc en supporter le poids économique, en acquittant une taxe. Or, le but
de la taxe couplée sur le matériel et les supports vierges est d’associer l’utilisateur final à
cette rémunération, de façon indirecte.
Malgré cela, les décisions des tribunaux de grande instance allemand et la doctrine
juridique allemande admettent que l’utilisateur individuel direct ne soit pas dans l’obligation
de verser une rémunération directe, mais seulement indirecte. C’est le cas lorsqu’une taxe
est perçue – conformément à la décision du législateur allemand, reprise depuis lors par
d’autres législateurs – sur le matériel et les supports servant à réaliser les copies privées, les
fabricants pouvant répercuter ces coûts sur l’utilisateur final.
Dès 1965, la Cour de justice fédérale allemande avait estimé, dans l’affaire qui
opposait la GEMA aux fabricants de matériel audio, que sans être utilisateurs d’œuvres
protégées (dans le cadre de la copie privée), les fabricants de matériel audio étaient les
« instigateurs » d’un empiètement sur le terrain régi par la loi sur le droit d’auteur. Elle a
donc décidé que ceux qui, dans leurs activités industrielles ou professionnelles, donnent au
copieur privé les outils et les moyens de faciliter la reproduction, sont également
responsables de l’atteinte aux droits des auteurs. La Cour constitutionnelle fédérale
allemande s’est ralliée à cette décision, en estimant que « l’appropriation de services créés
par d’autres […] est directement induite par les fabricants de matériel et de supports
vierges10 ». Au regard de la doctrine, d’après la Cour constitutionnelle fédérale allemande,
l’article 53 de la loi allemande sur le droit d’auteur s’inscrit bien dans le principe « d’un
système gradué pour l’association indirecte de l’utilisateur final au processus défendu par
ailleurs dans la loi sur le droit d’auteur, qui prévoit la rémunération de l’auteur pour la
jouissance privée d’une œuvre généralement garantie par une plainte directe contre les
diffuseurs de cette œuvre, ces derniers pouvant répercuter le coût de la rémunération sur les
utilisateurs ». Selon la Cour constitutionnelle fédérale allemande, les fabricants de matériel
et de supports vierges comptent également parmi les diffuseurs de l’œuvre11.
c)
Réglementation statutaire relative aux montants de la rémunération
Dans une annexe à l’article 54d(1), UrhG, le législateur allemand, en 1985, a fixé le
montant des différents niveaux de rémunération, en fonction de la nature et de l’ampleur de
l’utilisation d’un appareil. Le législateur français, par exemple, confie la définition de ces
montants à une commission créée spécialement à cette fin. Au grand désappointement des
auteurs allemands, ces montants sont inchangés depuis 1985.
Actuellement, le législateur allemand estime que les montants suivants offrent une
rémunération équitable pour les auteurs :
10
11
Décision de la Cour constitutionnelle fédérale allemande dans : ZUM 1989, p. 189 – voir aussi Manfred
Rehbinder, Urheberrecht [Loi sur le droit d’auteur], 12e édition, 2002, note de marge No. 82
Décision 31 de la Cour constitutionnelle fédérale allemande, 267.
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1.
1,28 euros pour chaque enregistreur audio ;
2.
9,21 euros pour chaque enregistreur vidéo, avec ou sans élément audio ;
3.
pour les supports audio, 0,0614 euros par heure de durée et d’utilisation
usuelle ;
4.
pour les supports audio, 0,0870 euros par heure de durée et d’utilisation
usuelle.
La variabilité des taux de rémunération appliqués aux supports vidéo et audio, en
fonction de la durée, permet d’éventuelles modifications suite au développement de
nouvelles technologies dans le domaine des appareils numériques.
Le tableau suivant propose un aperçu général des appareils et des supports
numériques disponibles sur le marché qui ont été ou doivent être intégrés au régime de
rémunération, suite à des négociations avec l’industrie.
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Synthèse des appareils et des supports numériques disponibles sur le marché ou
annoncés sous peu
Appareil numérique
Supports vierges
numériques
Enregistreur Mini disc
Mini disc
Lecteur MP3
Cartes multi-média
Cartes « Smart-media »
Cartes mémoire
(Sony)
MP3 pour téléphones
mobiles
(Nokia, Siemens,
Samsung)
Cartes multi-média
MP3 pour caméras
numériques
Cartes « Smart-media »
Enregistreurs CD
indépendants
CD-R/RW audio
Graveur de CD intégré à
un ordinateur
CD-R/RW de données
Décodeur satellite avec
disque dur intégré
Enregistreur vidéo
numérique avec disque
dur intégré
Enregistreurs DVD
DVD vierges
capacité 4.7 Go = durée de
2 heures
Graveurs de DVD
Actuellement, l’élément déterminant dans la définition des taux de rémunération sur
les supports vierges numériques ne concerne ni la taille ni la technologie du support
d’archivage, mais sa capacité, par exemple 74 minutes maximum sur les mini-disques.
- 11 -
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d)
La position du gouvernement allemand sur le dispositif actuel et l’avenir de la
copie privée
Le 19 juin 2000, l’État a publié un deuxième rapport sur le renforcement des droits
d’auteur liés à la copie privée, en se prononçant explicitement en faveur du dispositif de
copie privée actuel, tout en préconisant une augmentation raisonnable des taux de
rémunération actuels, à la fois pour le matériel d’enregistrement vidéo et audio et pour les
supports d’enregistrement vierges12.
Malgré les demandes explicites de l’industrie, l’ État a estimé qu’il ne convenait pas
d’interdire la copie numérique, une telle mesure ne pouvant être appliquée. Par ailleurs,
toujours selon l’Etat, il existe des raisons valables d’autoriser ce type de reproduction dans
le cadre d’un usage privé, entre autres, dans des limites raisonnables et à condition qu’une
rémunération équitable soit versée.
Les nouvelles techniques de reproduction et les supports d’enregistrement pertinents
doivent être explicitement intégrés aux mesures prévoyant la rémunération obligatoire. Pour
justifier cet avis, l’Etat a cité les raisons suivantes :
« Les régimes de rémunération prévus à l’article 54f de l’UrhG et à l’Annexe de
l’article 54d(1) de l’UrhG ne posent pas de limitations quant au type de matériel concerné,
tandis que le paragraphe 2 précise même que les mesures doivent s’appliquer aux techniques
de reproduction ayant un effet comparable. Aussi, toute précision supplémentaire pour
mieux définir les catégories de produits ou pour intégrer les nouvelles technologies ou les
nouveaux matériels de reproduction à cette loi, ce que demandent certains groupes, ne
constituerait qu’une explication de la loi et non une mesure législative dans le cadre de la
Constitution, ce que confirme la décision de la Cour de justice fédérale sur l’élargissement
du champ de la loi pour englober le matériel de télécopie (voir BGHZ 140, p. 326f). La
régularité des avancées technologiques semble plaider contre une énumération définitive des
différents types de matériel concerné ; au contraire, il faut préférer une réglementation
générale, la plus abstraite possible, qui se contente de citer des exemples, en laissant
l’appareil judiciaire se prononcer sur les cas particuliers.
Parmi les matériels entraînant le paiement d’une redevance obligatoire, il faut citer
les appareils et les supports de conservation qui font déjà l’objet d’une redevance obligatoire
dans la pratique. Dans le domaine audiovisuel, il s’agit des cassettes audio numériques
(DAT), les cassettes compactes numériques (DCC), les mini-disques et les CD
enregistrables (CD-R et CD-RW audio). Il faudrait également intégrer les DVD
enregistrables, ceux-ci étant comparables à des CD enregistrables. Par ailleurs, il convient
de prévoir des mesures spécifiques à l’endroit des enregistreurs MP 3 et des appareils
assimilés, destinés à la reproduction numérique de programmes musicaux sur des disques
durs fixes.
La technologie informatique doit, elle aussi, être prise en compte dans le régime de
rémunération actuelle. En effet, elle permet de stocker de vastes répertoires musicaux sur les
disques durs, à un coût modique. Les CD-R/RW de données peuvent également être utilisés
pour le stockage d’œuvres musicales à condition de disposer des bons logiciels, avec une
déperdition qualitative négligeable. Enfin, le retraitement électronique des données permet
aussi la reproduction d’œuvres publiées, en quantité quasiment illimitée.
12
Voir document Bundestag 14/3972.
- 12 -
e.Bulletin du droit d’auteur
avril – juin 2003
Dans la mesure où la copie privée numérique continue d’être autorisée, il convient de
prévoir des taux de rémunération différents pour les reproductions analogiques et les
reproductions numériques. On peut justifier des taux de rémunération plus élevés pour les
reproductions numériques en expliquant qu’en règle générale, elles sont d’une qualité
sensiblement meilleure, tout en étant moins longues à réaliser. Elles s’adaptent bien mieux
aux besoins des utilisateurs – notamment, pour la compilation de programmes musicaux ou
de textes – et, de plus, peuvent s’intégrer directement à des archives électroniques ou à des
réseaux en ligne. Cependant, étant donné que la reproduction numérique nécessite peu de
dépenses, on peut se demander si elle ne fera pas l’objet d’une utilisation excessive, sans but
réel.
Quant aux CD-R enregistrables et aux supports ré-enregistrables, comme les CD-RW
ou les mini-disques, il convient de prévoir des taux de rémunération différents, les
utilisateurs ayant la possibilité, en effaçant des plages et en réenregistrant de nouveaux
programmes sur leurs mini-disques ou leurs CD-RW, de copier de nouvelles œuvres
protégées, sans avoir à acquitter les redevances correspondantes. »
e)
Le débat sur la classification des enregistreurs numériques
En Allemagne, les fabricants et les importateurs ont longtemps refusé d’acquitter une
redevance sur les graveurs de CD. Aussi, dès qu’est apparue une affaire que la ZPÜ
(Zentralstelle fuer private Ueberspielungsrechte — Organisation centrale de défense des
droits relatifs à la copie privée) jugeait représentative, celle-ci a été présentée au Conseil des
arbitrages de l’Office des marques et brevets allemand. L’Organisation centrale souhaitait
que le Conseil émette une proposition d’accord prévoyant un taux de rémunération cumulée
de 2,5 Deutschmarks (1,28 euros) plus 18 Deutschmarks (9,20 euros) – soit un montant
global de 20,50 Deutschmarks (10,48 euros) – à titre de « rémunération équitable », telle
que définie par le paragraphe 1, lignes 1 et 2 de l’Annexe à la l’article 54d de l’UrhG, étant
donné que le matériel concerné pouvait servir, de façon vérifiable, d’appareil
d’enregistrement audio indépendant, tel que défini au paragraphe 1, numéro 1 de l’article
54d de l’UrhG, et d’appareil d’enregistrement vidéo à part entière (avec ou sans audio), tel
que défini au paragraphe 1, no. 2 de l’annexe à l’article 54d de l’UrhG.
Le défendeur a affirmé qu’il était inadmissible d’appliquer les articles 53 et 54 de
l’UrhG aux graveurs de CD, étant donné qu’une telle action nécessiterait la définition d’une
distinction nette entre la reproduction analogique et la reproduction numérique. En effet, le
législateur n’avait envisagé que la reproduction analogique en prévoyant les dispositions
légales actuelles, entrées en vigueur en 1965. Par ailleurs, l’installation de dispositifs
techniques rendant la copie impossible, nés dans l’intervalle, aurait rendu caduque toute
demande de rémunération dans le cadre de l’article 54(1) de l’UrhG, puisqu’il serait
possible, dans le domaine numérique, de remplacer le régime de rémunération forfaitaire
existant par un système de règlement individuel des droits d’auteurs, administré par
l’organisme de gestion des droits numériques.
Dans sa proposition d’accord, datée du 4 mai 2000 et rendue le 5 mai 2000, le
Conseil des arbitrages ne s’est pas rallié à ce point de vue. Il n’a notamment pas voulu
reconnaître de différence juridique entre les formes analogique et numérique de la
reproduction. Aussi a-t-il proposé, en soutenant la ZPÜ, que le répondant (Hewlett Packard
GmbH) indique le nombre de graveurs de CD du modèle correspondant vendus ou
commercialisés en Allemagne depuis le 1 février 1998 en acceptant d’acquitter une
redevance de 17,00 Deutschmarks (8,69 euros) et 7 % de TVA sur chaque graveur de CD
- 13 -
e.Bulletin du droit d’auteur
avril – juin 2003
concerné, ayant été vendu ou commercialisé pendant la période correspondante, d’après les
informations données.
Le défendeur, c’est-à-dire Hewlett Packard GmbH, a refusé cette proposition
d’accord à l’amiable, ce qui a mis la ZPÜ dans l’obligation de se retourner vers les
tribunaux, en intentant un procès en plusieurs étapes, devant le Tribunal régional de
Stuttgart. Alors que le procès était en cours, une proposition d’accord à l’amiable révocable,
proposée par le Tribunal – selon laquelle le défendeur fournirait des informations
exhaustives sur les graveurs de CD commercialisés par son groupe depuis le 1er février
1998, en acceptant de verser une redevance de 3,60 DM (1,84 euros) et 7% de TVA sur
chaque graveur de CD vendu ou commercialisé par le Groupe en Allemagne entre le 1er
février 1998 et le 21 novembre 2000, ainsi qu’une rémunération de 12 DM (6,14 euros) et
une TVA de 7 % pour chaque graveur vendu ou commercialisé par le Groupe en Allemagne
depuis le 22 novembre 2000 – a été révoquée par Hewlett Packard.
L’accord révoqué, l’action en justice s’est poursuivie devant le tribunal de première
instance (le Tribunal régional), qui a rendu une décision partielle le 21 juin 2001. Cette
décision, favorable à la ZPÜ mettait Hewlett Packard en devoir de :
o
fournir des informations relatives aux graveurs de CD vendus ou commercialisés
en Allemagne depuis le 1er février 1998 ;
o
indiquer les modèles et le nombre des graveurs de CD vendus ou commercialisés
depuis le 1er mai 1999, pouvant fonctionner avec ou indépendamment d’un
ordinateur individuel.
Cette décision, qui était assortie d’un argumentaire très détaillé, s’appuie sur le droit
à l’information sous les formes suivantes :
1.
La ZPÜ avait le droit de faire valoir son droit à l’information ;
2.
l’intégration des graveurs de CD au champ de la loi existante sur la production
privée de copies numériques dans le cadre de l’application des articles 53 et 54
de l’UrhG ; et
3.
la loi conventionnelle de la nouvelle Convention de Berne et l’Accord sur les
droits de propriété intellectuelle touchant au commerce (ADPIC).
C’est seulement après l’intervention du Ministère fédéral de la justice, dans le cadre
d’une médiation entre l’industrie et les titulaires de droits, que les fabricants des graveurs de
CD, qui sont par ailleurs membres de BITKOM (Association fédérale des entreprises
d’information, des fournisseurs de télécommunications et des nouveaux médias), se sont
déclarés prêts à trouver un accord pour éviter le prolongement du litige. Un accord général,
élaboré avec la ZPÜ, a ainsi été trouvé : il prévoit, jusqu’au 31 décembre 2003, une
rémunération de 6,00 euros sur chaque graveur de CD.
- 14 -
e.Bulletin du droit d’auteur
avril – juin 2003
f)
Compatibilité des règles relatives à la copie privée avec la Convention de Berne
révisée et l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle touchant au
commerce (ADPIC)
Pour justifier son opposition à la prise en compte des matériels numériques en ce qui
concerne la rémunération prévue dans la loi relative à la copie privée, l’industrie a
systématiquement fait valoir que cette prise en compte serait contraire à l’Article 2 de la
Convention de Berne révisée ou aux articles 9 et 13 de l’Accord sur les ADPIC. Le tribunal
régional de Stuttgart, dans la décision décrite ci-dessus, a eu raison de ne pas admettre ce
point de vue. Le Tribunal a bien compris que la loi conventionnelle de l’ADPIC avait
vocation à guider les États dans la définition des normes nationales en matière de droits
d’auteur. Il a estimé que l’application des règles allemandes en matière de copie privée
(Articles 53 et 54 de l’UrhG), y compris pour la reproduction numérique, respecte
parfaitement les « trois niveaux » d’exigence dans ce domaine. En effet, les exceptions
autorisées par la législation nationale (droit d’interdire, reconnu à l’auteur) portent sur un
cas spécifique et bien défini (premier niveau) qui n’entrave pas l’exploitation normale de
l’œuvre (niveau 2), sans pour autant empiéter de façon excessive sur le droit de l’auteur
(niveau 3). Le Tribunal indique : « Au contraire, tant que le titulaire des droits individuels
ne sera pas en mesure d’exercer pleinement son droit d’interdiction à l’aide de mécanismes
de protection fiables et universels contre la reproduction, il pourra, grâce à cette
rémunération forfaitaire, percevoir ne serait-ce qu’une modeste reconnaissance pour les
enregistrements et les copies réalisés dans la sphère privée13.»
3.
La légitimité du droit à rémunération en ce qui concerne les fabricants de
supports vidéo et audio
Comme lors de l’introduction, au niveau national, du droit à rémunération statutaire
pour les auteurs, les opposants au droit d’auteur en ont inlassablement référé à la
Commission européenne durant la période précédant l’adoption d’une réglementation
communautaire dans le domaine de la copie privée.
Ayant réussi à faire supprimer les taxes dues sur les cassettes vierges au RoyaumeUni suite au projet de loi sur le droit d’auteur de 1985, un groupe de pression dont la
composition n’est pas clairement établie a redirigé ses efforts vers Bruxelles contre la
rémunération pour les cassettes vierges. Sous la direction d’une Campagne pour les droits
touchant à la copie domestique (CDCD), ce groupe œuvre pour empêcher la mise en
application d’une obligation de verser une rémunération liée à la copie privée.
Les arguments avancés par les opposants au dispositif de copie privée sont bien
connus14 : d’une part, pour s’assurer que tous les acteurs endossent leur part de
responsabilité, ils prétendent que tous, notamment les organismes de diffusion, doivent
participer à la rémunération, puisqu’en diffusant des émissions adaptées à l’enregistrement,
ceux-ci étaient à l’origine de la copie privée ; d’autre part, ils avancent le fait que les
dispositifs nationaux actuels ne peuvent pas garantir que l’argent perçu par les sociétés de
perception sera effectivement versé aux titulaires de droits. Ils souhaitent ainsi faire
comprendre que ces régimes de rémunération s’appuient sur des systèmes extravagants, qui
se caractérisent par des procédures et des relations extrêmement complexes. Mais aucun des
arguments avancés jusqu’à présent ne résiste à une analyse sérieuse.
13
14
Cour régionale de Stuttgart, Décision partielle du 21 juin 2001, in: ZUM 2001, p. 614.
Voir Kreile, op. cit. (2e note de pied de page, ci-dessus), p. 110 ff.
- 15 -
e.Bulletin du droit d’auteur
avril – juin 2003
a)
La nécessité de répercuter indirectement les coûts sur les utilisateurs finaux
Conformément aux intentions du législateur allemand – d’autres législateurs
européens ayant, depuis lors, présenté des arguments similaires – la redevance introduite sur
le matériel vise à « accorder une rémunération pour les pertes liées à la baisse des ventes des
disques phonographiques, en raison du phénomène de la copie privée ». L’amendement de
1985 à la Loi sur le droit d’auteur « a respecté cet objectif ». « La création d’une taxe
globale sur les cassettes vierges et le matériel était destinée à toucher les utilisateurs finaux
de façon indirecte. Il convient effectivement de faire porter la charge par les personnes qui, à
travers la copie privée, s’approprient les réalisations de tiers de façon concrète. Ils empiètent
sur les droits autres et doivent donc supporter la charge économique en acquittant une taxe
(qui sera reversée). » Selon la Cour constitutionnelle fédérale, cet acquis social, qui
constitue désormais une norme juridique dans l’Article 54 paragraphe 1 de la Loi sur le droit
d’auteur, concourt à l’objectif d’« accorder, à ceux qui participent à la rémunération, un
dédommagement, étant donné que dans la reproduction de disques phonographiques sur
d’autres supports (par exemple, des cassettes audio, des cassettes vierges, voire des disques
compacts), on exploite les réalisations de tiers, notamment d’auteurs et de fabricants de
supports audio15. »
Cette vision de la Cour constitutionnelle fédérale doit maintenant être amplifiée. En
effet, si la description des objectifs recherchés dans l’Article 54, paragraphe 1 de l’UrhG
(c’est-à-dire, de garantir une « rémunération équitable » pour la reproduction de supports
audio et vidéo) est bien juste, elle ne recouvre pas toute la réalité de la copie privée. La
vision de la Cour constitutionnelle fédérale ne tient notamment pas compte du fait que les
médias de stockage enregistrables et effaçables ne sont pas utilisés exclusivement à cette fin,
mais très souvent, pour l’enregistrement d’émissions de radio et de télévision lors de leur
diffusion, ou encore de représentations publiques en tous genres. Ainsi, le régime de
rémunération promulgué dans l’Article 54 de l’UrhG trouve sa justification dans deux
éléments : d’une part, la rémunération des pertes subies en raison de la baisse des ventes de
supports audio et vidéo ; et, d’autre part, la jouissance d’œuvres acquises par
l’enregistrement d’émissions et de représentations16.
Il s’ensuit que le droit statutaire à rémunération vise essentiellement à garantir aux
titulaires de droits une compensation pécuniaire, étant donné que, dans l’expérience
pratique, les œuvres protégées par la loi sur le droit d’auteur sont reproduites dans la sphère
privée, sans qu’il en résulte une quelconque indemnité pour les titulaires de droits.
S’agissant de la doctrine juridique, la position du législateur sera donc incontestable,
comme le sera la définition des groupes à qui il incombera de verser une rémunération, ces
groupes « étant directement à l’origine de l’appropriation de réalisations intellectuelles de
tiers17».
15
La Cour constitutionnelle fédérale, dans sa décision du 3 octobre 1989 : ZUM 1990, p. 353 f.
Le classement, en termes de doctrine juridique, du droit à la compensation dans le cadre de la Section 54 de
l’UrhG comme étant un “droit à part entière”, par différents tribunaux, comme par la Commission européenne,
n’est pas sans importance pour la redistribution des recettes de ces taxes par les sociétés de gestion collective,
qui doivent donc redistribuer des taxes perçues non seulement pour le droit de représentation, mais également
pour des droits mécaniques.
17
Voir la décision du 11 octobre 1988 de la Cour constitutionnelle fédérale dans : ZUM 1989, p. 189.
16
- 16 -
e.Bulletin du droit d’auteur
avril – juin 2003
b)
Une charge indirecte pour les deux branches industrielles, avec possibilité de
répercussion
On peut d’ores et déjà confirmer au législateur allemand que ses dispositions
relatives à la copie privée, dans la loi allemande sur le droit d’auteur, ont permis de résoudre
un problème fort complexe, de la manière la mieux adaptée, ayant réussi à concilier les
intérêts de nombreuses parties – les auteurs, l’industrie du matériel, les fabricants de
cassettes vierges, les utilisateurs des œuvres – d’une façon adaptée et applicable, et « en
cherchant à ce que la charge soit portée à égalité par les deux branches de l’industrie18». Il
convient de reconnaître aussi la réussite des législateurs d’autres pays qui ont introduit des
dispositifs comparables, même si ceux-ci – comme c’est le cas en France, par exemple –
comportent des restrictions dans la rémunération liée aux cassettes vierges. Le montant
global de la rémunération sur les cassettes vierges en France est néanmoins comparable à
celui de l’Allemagne, où une redevance globale est perçue sur le matériel et les cassettes
vierges ; ainsi, en France, les taxes sur les seules cassettes vierges doivent être sensiblement
plus élevées pour pouvoir générer une somme équivalente à celle du système de
rémunération allemand « dual system », qui tient compte du matériel et des cassettes
vierges. Dans la mesure où, dans le système de rémunération allemand, le paiement de la
redevance est pris en charge par les deux groupes bénéficiant directement de la possibilité
d’utiliser des œuvres protégées, celui-ci semble mieux adapté et plus équilibré du point de
vue de la politique industrielle, qu’une simple redevance sur le matériel ou une simple taxe
sur les cassettes vierges.
Compte tenu de la valeur considérable des œuvres intellectuelles en libre accès pour
la copie privée par des tiers, et au vu des ventes générées par les fabricants de matériel audio
et vidéo ainsi que des supports audio (en 2001, le chiffre d’affaires global de l’industrie
informatique s’est élevé à 38,6 milliards de Deutschmarks - soit un peu moins de 20
milliards d’euros19-) le montant de la rémunération en l’Allemagne en 2001, de 118 millions
de Deutschmarks (soit environ 60 millions d’euros) issus des redevances globales sur les
matériels et les cassettes vierges pour la reproduction dans un cadre privé des œuvres
protégées par les lois directes ou ancillaires sur le droit d’auteur, semble plutôt modeste.
Mais il convient de rappeler que l’industrie de l’électronique grand public table, pour une
grande partie de ses bénéfices, sur le fait que le matériel vendu permet la copie privée. Ce
serait donc une erreur de se laisser impressionner par des recettes globales de 118 millions
de Deutschmarks (soit environ 60 millions d’euros). Etant donné que les créations
intellectuelles pouvant être enregistrées grâce au matériel électronique et aux supports audio
et qui le sont effectivement, valent des milliards, cette somme ne représente qu’une partie
infime de la valeur des œuvres enregistrées et ne constitue absolument pas une rémunération
équitable pour les pertes liées à la copie privée.
4.
Les types de droits concernés
L’obligation de verser une rémunération dans le cadre des dispositions statutaires sur
la copie privée (Articles 53 et 54 de l’UrhG) concerne tous les processus de la reproduction
privée de supports audio, de cassettes audio et vidéo, d’émissions de radio et de télévision,
18
19
Cour constitutionnelle fédérale, op. cit.
Cf. Die Welt [quotidien], 25 avril 2002, p. 15.
- 17 -
e.Bulletin du droit d’auteur
avril – juin 2003
etc. Ce papier laissera de côté toute la problématique de la reprographie, qui constitue un
domaine à part, bien qu’elle nécessite également une réglementation au niveau européen.
S’agissant de la perception et de la redistribution des recettes des redevances, il
faudra commencer par bien définir le nombre des titulaires de droits concernés par la copie
privée.
D’après la loi allemande sur le droit d’auteur, il existe quatre grands types de droits
en ce qui concerne la reproduction d’œuvres adaptées à l’enregistrement à partir de supports
audio ou vidéo ou à partir d’émissions de radio et de télévision :
o
les droits d’auteur sur des œuvres existantes (musiques avec ou sans paroles ;
textes littéraires ou journalistiques ; modèles de romans, scénarios, traductions
de scénarios, modèles visuels) ;
o
les droits d’auteur sur des films (notamment les films créés par leur metteur en
scène et, éventuellement, les droits des chef-opérateurs, des responsables de la
rédaction, etc.) ;
o
les droits d’auteur ancillaires détenus par des artistes de la scène (acteurs,
danseurs, musiciens) ;
o
les droits d’auteur ancillaires détenus par des producteurs de disques
phonographiques, conformément à l’Article 85, UrhG, et les producteurs de
films, conformément à la l’Article 94, UrhG.
Etant donné qu’il serait impossible pour tous les auteurs et tous les ayant-droits dans
le cadre du droit d’auteur ancillaire de faire valoir ce droit auprès des fabricants de matériel
d’enregistrement audio et vidéo et de cassettes audio et vidéo vierges, à qui il incombe
d’acquitter une redevance, le législateur allemand a confié cette tâche aux sociétés de
gestion collective20, qui relèvent de l’Office des marques et brevets allemand, en précisant
que chaque titulaire de droits doit recevoir une « rémunération équitable » des redevances
perçues.
5.
La ZPÜ (Zentralstelle für private Überspielungsrechte), société allemande de
perception pour la redevance due pour la copie audiovisuelle privée
Afin de mieux faire respecter le paiement des droits à rémunération qui leur sont
confiés et d’accroître leur efficacité, les sociétés de gestion collective allemandes se sont
regroupées pour créer la ZPÜ21 (Organisation centrale pour les droits touchant à la copie
privée), une société de droit civil allemand. Les statuts de cette organisation prévoient que
sa représentation sera assurée par le Conseil exécutif de la GEMA. La GEMA veille par
20
Actuellement, les sociétés de gestion collective sont les suivantes :
GEMA (société de gestion des droits de représentation musicale et la reproduction mécanique)
VG Wort (société de gestion des droits littéraires)
VG Bild-Kunst (société de gestion des arts graphiques)
GVL (société pour l’exploitation des droits d’auteur ancillaires)
VFF (société de gestion des droits des producteurs de cinéma et de télévision)
GWFF (société de gestion des droits touchant au cinéma et à la télévision)
VGF (société de gestion au bénéfice des œuvres cinématographiques)
GÜFA (société pour le droit de reprendre et d’administrer les droits de diffusion cinématographique)
21
La ZPÜ est composée des sociétés de gestion citées en note de pied de page 18.
- 18 -
e.Bulletin du droit d’auteur
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ailleurs à ce que la ZPÜ dispose de tout ce qui lui est nécessaire pour la réalisation de ses
activités. Les redevances perçues seront – après déduction des frais de gestion –
redistribuées parmi les différentes sociétés, en respectant des quotas définis conjointement
par les sociétés de gestion collective, en fonction des droits détenus par chacun des
organismes.
6.
La perception des redevances auprès des fabricants et des importateurs de
matériel audio et vidéo et de cassettes audio et vidéo vierges
Le droit à rémunération concerne les fabricants de matériel mais aussi les fabricants
de supports vidéo ou audio, c’est-à-dire les cassettes vierges et les supports vierges
numériques manifestement conçus pour la reproduction d’œuvres (Article 54(1) de l’UrhG).
Outre les fabricants, les importateurs et les revendeurs devront également verser une
redevance. En revanche, la responsabilité collective ou secondaire sera annulée d’avance par
la loi, si un revendeur achète, au cours d’un semestre, des supports vidéo ou audio contenant
moins de 6 000 heures de durée et moins de 100 pièces de matériel. Les fabricants de
matériel conçu à des fins neutres, au vu de la loi sur le droit d’auteur seront exemptés de la
redevance obligatoire, comme les fabricants de matériel et de cassettes vierges destinés à
l’exportation. De même, les cassettes pré-enregistrées ne seront pas soumises à une taxe
obligatoire, n’étant pas manifestement conçues pour l’enregistrement.
Tous ceux qui fabriquent (produisent) ces articles seront des fabricants de fait, pour
la loi. Toute entreprise locale qui fait fabriquer du matériel ou des cassettes par une autre
entreprise ne sera pas considérée comme un fabricant, étant donné qu’elle commercialise
peut-être ce matériel pour la première fois dans son pays, sous sa marque ou son logo22.
Outre les fabricants, tout importateur ayant des activités commerciales sera tenu responsable
à titre de débiteur collectif, l’importateur étant celui qui réalise l’introduction ou la
réintroduction commerciale du matériel ou des supports vidéo ou audio dans le champs
territorial de la Loi sur le droit d’auteur.
Le recensement du matériel d’enregistrement et des supports vidéo et audio importés
est facilité par l’obligation pour les importateurs commerciaux de déclarer toutes leurs
activités et par le devoir d’information des revendeurs. L’importateur commercial est en
principe obligé de faire une déclaration écrite du type de matériel importé et des quantités
concernées tous les mois, avant le 10e jour de chaque mois.
Le devoir d’information du revendeur l’oblige aussi à indiquer le nom de ses
fournisseurs. Cet instrument de contrôle, « l’information du revendeur », s’est révélé
extrêmement utile.
La loi oblige les sociétés de gestion collective allemandes à signer des accords
globaux avec les associations dont les membres doivent acquitter une redevance dans le
cadre de la Loi sur le droit d’auteur. La perception par la ZPÜ s’effectue à un taux de 80 %
(2001) environ, d’après les modalités définies dans les accords globaux avec les associations
ou les confédérations de fabricants ou d’importateurs de matériel audio ou vidéo et de
cassettes vierges audio ou vidéo ; l’obligation statutaire respecte les intérêts des sociétés de
gestion collective et des associations qui doivent acquitter les redevances. Si l’avantage pour
les sociétés de gestion collective réside dans la suppression de formalités administratives
22
BGH [Cour de justice fédérale], GRUR 1984, p. 518.
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e.Bulletin du droit d’auteur
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fastidieuses, les membres des associations soumises à la rémunération obligatoire
bénéficient d’un escompte de 6 %, accordée par la ZPÜ aux signataires des accords globaux.
7.
La redistribution des recettes sur les redevances
En élaborant le cadre réglementaire de la rémunération liée à la copie privée, sous
forme d’amendement à la Loi sur le droit d’auteur, le législateur allemand s’est délibérément
abstenu de prévoir des dispositions statutaires quant à la redistribution des recettes des
redevances, se contentant de préciser que chaque ayant-droit devait toucher une
rémunération équitable sur ces recettes. Le législateur avait de bonnes raisons de privilégier
la retenue. En effet, partant d’une situation abstraite, il était quasiment impossible de fixer
des quotas de répartition équitables et juridiquement recevables, puisque l’équité de la
répartition des droits dépendrait de la participation effective des différents acteurs à la
création de l’œuvre en question. La problématique est particulièrement complexe dans le
domaine du cinéma, et continue de donner lieu à des litiges, en fait et en droit, entre les
différentes sociétés de gestion collective du monde cinématographique, puis entre ces
sociétés et leurs homologues au sein de la ZPÜ.
Le Ministre de l’intérieur allemand et l’Office des marques et brevets allemand, dont
relèvent les sociétés de gestion collective allemandes, expliquent qu’il appartient aux
sociétés de collection concernées de définir les critères d’une juste redistribution des
redevances et de trouver des compromis durables quant à ces critères. Le cas échéant, si une
position est jugée trop controversée, elles sont invitées à faire expliciter les principes de la
loi par les tribunaux. Mais jusqu’à présent, les différentes parties ont préféré la voie du
compromis durable, suite à un examen comparé de leurs intérêts, à la voie des tribunaux.23
8.
La répartition des recettes au sein des différentes sociétés de perception
concernées
Les différentes sociétés de perception membres de la ZPÜ répartissent les sommes
perçues entre les titulaires de droits d’après les quotas définis au préalable et conformément
aux statuts et aux régimes de répartition internes.
La GEMA, dont le régime de répartition sera présenté ci-après à titre d’exemple, doit
répartir les sommes qui lui sont confiées, au titre de la copie privée audio et vidéo, à des
compositeurs, des paroliers et des éditeurs. Lors de la redistribution, une distinction est faite
entre les redevances audio et vidéo en tenant compte de frais supplémentaires occasionnés
par la redistribution des recettes de l’année précédente dans les domaines sur lesquels
portent les accords relatifs à la copie privée, c’est-à-dire, en priorité, la diffusion et les
supports audio. Ce dispositif permet de remplir l’exigence statutaire selon laquelle un auteur
doit recevoir une rémunération pour toute œuvre adaptée à l’enregistrement et dont le genre
laisse penser que l’enregistrement aura lieu.
On garantit ainsi que, grâce aux régimes de répartition des différentes sociétés,
conçus par les titulaires de droits eux-mêmes, tous les titulaires de droits pourront bénéficier
de la rémunération statutaire liée au matériel et aux cassettes vierges.
23
Pour connaître les modalités de redistribution actuelles, voir Reinhold Kreile, Einnahme und Verteilung der
gesetzlichen Geraete- und Leerkassettenverguetung fuer private Vervielfaeltigung in Deutschland — Ein System
hat sich bewaehrt [La perception et la redistribution de la compensation statutaire liée au matériel et aux
cassettes vierges destinées à la copie privée en Allemagne – un dispositif qui a fait ses preuves], in: GEMA
Jahrbuch [Rapport annuel] 2002/2002, p. 121 ff.
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e.Bulletin du droit d’auteur
avril – juin 2003
III.
L’avenir de la copie privée à l’ère du numérique
Depuis l’arrivée des enregistreurs et des supports d’enregistrement vierges
numériques sur le marché, les fabricants, et notamment les fabricants de matériel
d’enregistrement numérique, représentés en Allemagne par l’association BITKOM
(Association fédérale des entreprises d’information, des fournisseurs de télécommunications
et des nouveaux médias) ne cesse de répéter qu’il convient, à l’« ère du numérique », de
faire remplacer le régime de rémunération forfaitaire pour la copie privée par un dispositif
prévoyant le règlement individuel des droits d’auteurs. L’industrie voudrait convaincre le
grand public et les décideurs politiques, notamment le législateur européen et les législateurs
nationaux, que les dispositifs de gestion numérique des droits (GND) peuvent favoriser la
création de licences individuelles, y compris dans le domaine de la copie privée, ce qui
permettrait pour les auteurs, une rémunération équitable et en rapport avec leur
participation, et pour les utilisateurs, une redevance proportionnelle à leur utilisation. Le
règlement individuel rendrait la rémunération forfaitaire caduque. Pour les autres aspects,
l’industrie préconise une interdiction catégorique sur la copie numérique à usage privé.
Pour les titulaires de droits d’auteur directs et ancillaires, aussi, il ne fait pas de doute
que le règlement individuel doit, en principe, être préféré aux régimes de rémunération
forfaitaire. C’est seulement en deuxième recours, afin de défendre les droits des auteurs, que
l’on doit utiliser le régime de rémunération forfaitaire. L’introduction de dispositifs DRM
est donc souhaitée par les titulaires de droits et par les sociétés qui les représentent, ce
souhait se transformant en soutien fort dès que la situation le permet. Mais, comme le
confirment plusieurs études récentes, on ne peut fermer les yeux sur l’utilisation des médias
de stockage numérique dans la sphère privée pour la reproduction d’œuvres protégées.
Ainsi, même à l’ère du numérique, on voit se perpétuer une pratique en cours depuis des
décennies dans le domaine analogique, avec le matériel audio et vidéo, ou encore avec des
photocopieuses et les médias afférents. Les méthodes de reproduction classiques, tels que
l’enregistrement d’émissions de radio et de télévision au cours de leur diffusion, comme la
reproduction de livres et de revues ne peuvent être traitées par le système de règlement
individuel. Par ailleurs, il est facile, aujourd’hui comme hier, de contourner les dispositifs de
protection conçus pour rendre impossible la fabrication de CD « piratés » ou la distribution
de musique par Internet.
L’Etat fédéral allemand, ayant subi des pressions de la part des acteurs industriels à
ce sujet, a – en conformité avec son second rapport, déjà cité, sur le développement de la
rémunération dans le cadre de la loi sur le droit d’auteur – continué de préconiser le régime
de rémunération forfaitaire pour la reproduction privée d’œuvres protégées, y compris dans
son « projet de loi sur la réglementation des droits d’auteur dans la société de
l’information », qui est la transposition en droit national de la Directive européenne précitée
sur les droits d’auteur dans la société de l’information24. Contrairement à l’opinion du
Conseil fédéral – la deuxième chambre du Parlement allemand, composée des membres des
gouvernements des états – sur ce projet, l’Etat fédéral estime que seul le régime de
rémunération forfaitaire, bien éprouvé, peut garantir la rémunération équitable de la copie
numérique à usage privé, y compris en ce qui concerne l’exigence de couverture
géographique universelle. L’Etat explique clairement que, pour le règlement individuel de la
copie numérique, il n’existe « à présent aucun système global opérationnel et communément
admis remplissant les exigences de sécurité des différentes parties, tout en étant capable de
s’intégrer aux infrastructures organisationnelles nécessaires ». Par ailleurs, « l’élaboration
24
voir ci-dessus, Note de pied de page 10.
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e.Bulletin du droit d’auteur
avril – juin 2003
de mécanismes de protection techniques » était « jusqu’à présent, ni suffisamment bien
définie, ni assez sophistiquée, qu’il s’agisse de la technologie avec fil ou de la technologie
sans fil ». De plus, l’Etat fédéral a bien fait comprendre, en amendant l’Article de l’UrhG,
que la copie privée est autorisée, y compris avec des outils numériques, ce qu’a toujours
contesté l’industrie. L’égalité de traitement statutaire des formes numérique et analogique de
la reproduction par l’Etat fédéral s’appuie sur l’idée suivante : tant qu’il sera impossible de
contrôler la copie à usage privé, l’interdiction sur la copie privée sera impraticable, même si
la technologie de reproduction utilisée était proche25.
On peut donc penser qu’à part l’intégration des dispositifs de gestion des droits
numériques, l’Allemagne restera fidèle à son dispositif éprouvé concernant la copie privée et
le droit à rémunération.
25
Voir la contre-déclaration de l’Etat fédéral sur l’avis du Conseil fédéral du 27 septembre 2002, sur un projet
de loi relatif à la réglementation des droits d’auteur dans la société de l’information (au 6 novembre 2002).
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