paysage epidemiologique de l`infection a vih1
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PAYSAGE EPIDEMIOLOGIQUE DE L’INFECTION A VIH1 PARMI LES PROSTITUEES AFRICAINES G. REMY* RESUME Depuis 1985, trois épidémies régionales semblent s’être simultanément développées parmi les prostituées africaines. Les prévalences évoluent toutefois de façon variée selon des réseaux de sites. Cette diversité ne peut relever des seuls biais d’enquête. Le temps est parfois impliqué : des décalages chronologiques se manifestent. Mais certains profils d’évolution sont irréductibles à d ’ a u t res. Ils seraient notamment dif f é renciés par la façon dont se combient les conditions et modalités, d’une part de l’exercice de la prostitution, d’autre part du recours par les hommes à celle-ci. Ils pourraient aussi refléter l’hétérogénéité biologique du virus et son inégal potentiel épidémique. Les discontinuités géographiques observées seraient les témoins de l’entrecroisement de l’environnement viral et du “paysage” de la prostitution, l’un et l’autre variés dans l’espace. Mots-clés : Afrique sud-saharienne, infection à VIH1, prostitution, dynamique géographique, dynamique épidémiologique. ABSTRACT Epidemiological landscape of HIV1 infection among African prostitutes Since 1985, three regional epidemics seem to develop simultaneously among the African prostitutes. However, the prevalences evolve differently according to the sites. This diversity cannot be only an effect of survey’s biases. Sometimes, the time is involved : some chronological delays are observed. But some evolution’s patterns are unique. they may be differenciated by the way of which are associated the conditions and modalities of, on one hand, the practice of prostitution and, on the other hand, the men’s heterogeneity of the virus and his irregular epidemic potentialities. The geographical * Centre d’études des espaces épidémiologiques, E.H.E.S.S., 2, rue de la Charité, Marseille 13002. Médecine d'Afrique Noire : 1998, 45 (5) limits observed may be the effect of the crossing of the viral environment and the pr o s t i t u t i o n ’s landscape, each one being spatially varied. Key-words : Subsaharian Africa, HIV1 infection, prostitution, geographical dynamic, epidemiological dynamic. En raison principalement de la diversité de leurs partenaires, les prostituées africaines sont spécialement exposées à une contamination par voie sexuelle. Elles sont des agents efficaces de la diffusion du VIH1 au sein des collectivités (16, 19). Notre objectif est d’apprécier la dynamique de l’infection virale parmi les prostituées des villes de l’Afrique sud-saharienne, de préciser les discontinuités qui l’affectent dans l’espace, dans le temps, et de rassembler des éléments susceptibles de les éclairer. METHODES ET LIMITES A cet effet, nous mobilisons les résultats des enquêtes sérologiques réalisées par les équipes médicales, publiés ou diffusés lors de Conférences (1). Ils permettent, non sans réserves, d’une part de confronter certains aspects de la géographie de l’infection au début et à la fin de la période d’observation (1985-94), d’autre part, dans les sites bénéficiant d’enquêtes répétées, de caractériser l’évolution des prévalences. Les limites de cette double analyse sont nombreuses. En premier lieu, en raison de la nature de la prostitution (3, 7) : diverses formes sont observées, et elles peuvent coexister dans les mêmes sites. Les prévalences diffèrent sensiblement selon le “niveau” socio-économique des prostituées ou le mode d’exercice de leur activité ; elles peuvent varier d’une enquête à une autre parce que l’échantillon de femmes examinées est diff é r e m m e n t constitué. En second lieu, parce que les enquêtes réalisées sont peu nombreuses, irrégulièrement réparties, rares ou absentes dans de nombreux pays ; le plus souvent, seules PAYSAGE EPIDEMIOLOGIQUE… 287 les capitales bénéficient d’enquêtes répétées. Tous les résultats retenus concernent des villes, mais le caractère urbain de celles-ci est très varié, de la métropole à la modeste ville “rurale” ou à l’agglomération routière. Sauf exceptions (signalées), les prévalences relevées sont confirmées (test W.B., InnoLIA, RIA). Elles concernent exclusivement le VIH type 1. Une deuxième espèce virale (VIH type 2) circule en Afrique occidentale. Les séropositivités mixtes sont fréquentes dans quelques-uns des sites étudiés ; toutefois, elles ne traduisent pas nécessairement une double infection (virus recombinant, autre virus) ; elles ne sont pas prises en compte. DES SCHEMAS REGIONAUX DE LA DYNAMIQUE DE L’INFECTION Les résultats des premières enquêtes (effectuées avant 1988) donnent une image, sans doute très imparfaite de la situation initiale de l’infection. Les prostituées sont déjà fortement contaminées dans les sites étudiés en Afrique Centrale : de Pointe-Noire à Nairobi, de Bangui à Blantyre ; elles le sont particulièrement vers l’Est (Nairobi, Butaré). On ne peut retenir l’hypothèse que les prostituées sont atteintes à un niveau comparable dans tous les centres urbains situés entre les mailles de ce réseau de sites. Ce réseau est-il davantage étendu ? L’infection est peu présente dans des sites camerounais, et par ailleurs dans les rares villes étudiées au Nord-Est (Addis-Abéba, Djibouti) et au Sud (Durban) du continent. On ne sait depuis quand les prostituées sont ainsi fortement contaminées, sauf à Nairobi : des enquêtes sérologiques rétrospectives (sérums stockés) signalent une montée explosive des prévalences au début des années 1980 (18). L’infection est développée par ailleurs, à un niveau modéré, dans un second réseau de sites localisé au centre de l’Afrique occidentale (des villes ivoiriennes, Bamako et Ouagadougou). Elle l’est peu dans des villes situées à l’Est de ce réseau (Niamey, Cotonou) et très peu au Nigéria. Elle serait absente ou sporadique vers l’Ouest, notamment au Sénégal. Selon les enquêtes les plus récentes (réalisées depuis 1990), l’image géographique de l’infection s’est profondément transformée. Des prévalences considérables sont observées à nouveau à Nairobi et dans diverses villes de Tanzanie, dans une partie au moins du réseau urbain éthiopien et à Djibouti. Ce pôle s’étend-il en direction du Sud ? L’infection est présente à un très haut niveau (test non précisé ou non confirmé) à Lilongwe et Harare. Sur l’autre versant du continent, la situation apparaît hétérogène. les prévalences sont élevées dans de grandes villes en Afrique du Centre-Ouest (Kinshasa, Yaoundé et Douala) et au centre de l’Afrique occidentale (Abidjan, Bamako, Cotonou et Porto-Novo). Elles sont modérées (Niamey, Lagos) ou faibles (Maradi et Maiduguri, réseau urbain sénégambien) dans les lieux étudiés de part et d’autre de la Côte d’Ivoire. Une partie des sites étudiés lors des premières enquêtes ne le sont pas lors des plus récentes, et inversement. Pour préciser la dynamique épidémiologique de l’infection, nous prenons en compte les sites pour lesquels des résultats sérologiques sont connus pour trois années ou plus, dont (sauf exceptions) au moins une au début de la période d’observation et une autre à la fin. Au-delà des incertitudes qui pèsent sur ces résultats et compromettent leur comparaison, des profils contrastés de la dynamique de l’infection se distinguent. Tableau n°1 : Situation initiale et évolution de l’infection parmi les prostituées 1985 1986 1987 1988 1989 ] [ 1990 1991 1992 1993 ] 0 0 0,7 4,4 5,3 4,3 1994 Absence, sporadicité initiale Sans évolution St Louis (Sénégal) [ Pénétration engagée Mogadiscio (Somalie) Maiduguri (Nig.) [ Pénétration plus ou moins active Dakar (Sénégal) M’Bour (Sénégal) 0 0 0 ] 0 0,2 [ 0,8 2,4 0,4 0,4 0 0,9 1,9 ] 2,4 2,9 1,3 0,9 2,5 4,1 8,4 9,6 Médecine d'Afrique Noire : 1998, 45 (5) G. REMY 288 1985 Thiès (Sénégal) Kaolack (Sénégal) Ziguinchor (Sénégal) Gambie Urbain Durban (RSA) Lagos (Nigeria) 1986 [ 1987 1,6 0 0 0 1,3 0 1988 1989 ] 0,8 [ 0,8 ] 0 0,5 0,6 2,1 *3,2 [ 1,7 ] [ 1990 1991 1992 1993 0,8 0,9 0,4 11 1,4 8,1 1,9 8,3 1,1 *8,0 8,5 12 ] 15 1994 4,0 7,4 5,7 13 Présence initiale à bas niveau Diffusion modérée Niamey (Niger) Diffusion forte Cotonou (Bénin) Douala (Cameroun) Yaoundé (Cameroun) Djibouti Addis-Abéba (Ethiopie) Bahirdar (Ethiopie) Dire Dawa (Ethiopie) Metu (Ethiopie) Nazareth (Ethiopie) [ 3,3 6 2,8 0,6 4,9 ] 4,5 5,4 7,1 4,6 5,9 18 9,5 9,1 17 11 5,6 9,0 19 36 32 5,6 20 [ 8,6 37 45 26 ] 25 49 48 12 32 42 54 55 69 36 52 66 35 23 21 43 Présence initiale à niveau modéré ou élevé Sans évolution Bangui (Centrafrique) Kinshasa (Zaïre) 16 27 Forte diffusion Bamako (Mali) Abidjan (Côte d’Ivoire) Niveau atteint très élevé Dar es Salam (Tanzanie) Arusha (Tanzanie) Arusha, Moshi Moshi, Moshi Nairobi (Kenya) 21 20 14 10 22 29 35 17 35 27 22 33 45 43 45 43 75 [ 61 [ 72 69 88 30 38 *35 35 [ 43 ] ] 74 47 32 ] a b b c 75 1. Uniquement VIF (sérologie mixte non comprise) en Afrique occidentale, VIF ou VIH1 ailleurs ; dans quelques sites, deux ou trois enquêtes sont réalisées au cours d’une même année : les résultats retenus concernent l’échantillon de prostituées le plus important. a. la prévalence du VIH1 seul ou associé au VIH2 s’élève de 23 % en 1987 à 42 % en 1991 à Bamako, de 27 % en 1986 à 80 % en 1992-94 a Abidjan. b. Serveuses de bar ; taux de 85 % (test non confirmé) en 1992 parmi les prostituées. c. taux de 58 % (test non confirmé) en 1986. * test non précisé 00 : effectif supérieur à 100 00 : effectif inférieur à 100 ou non précisé Médecine d'Afrique Noire : 1998, 45 (5) PAYSAGE EPIDEMIOLOGIQUE… Les prévalences sont modérées ou élevées dès 1985-87 dans des sites localisés au Kenya (Nairobi) et en Tanzanie (Das es Salam et sans doute Arusha et Moshi), en Afrique du Centre-Ouest (Kinshasa, Bangui), au centre de l’Afrique occidentale (Abidjan, Bamako). D’autres sites, plus ou moins proches des précédents, sont investis à un bas niveau : Addis-Abeba et Djibouti, Yaoundé et Douala, Cotonou et Niamey. Situés plus à l’écart, Mogadiscio et Durban, Lagos et Maiduguri (Nigeria), diverses villes du Sénégal et de Gambie ne sont pas ou guère atteintes. Dans les sites initialement les plus touchés, l’infection évolue différemment. Elle progresse à Bamako et Abidjan. Ailleurs, un palier paraît avoir été atteint ou approché dès les premières enquêtes ; les prévalences se maintiennent à un niveau très élevé à Nairobi et Dar es Salam, très inférieur à Kinshasa, à Bangui (en 1989). L’infection se développe dans presque tous les autres sites mais très diversement. Une violente épidémie envahit les prostituées à Addis-Abéba et d’autres villes éthiopiennes, à Djibouti. Mogadiscio demeure à l’écart. Les prévalences s’élèvent à Yaoundé et Douala ; dès 1992, elles atteignent des valeurs peu différentes de celles relevées à Kinshasa et Bangui. L’infection se diffuse dans les sites étudiés à l’Est de la Côte d’Ivoire : avec vigueur à Cotonou, de façon modérée à Niamey et Lagos, discrète à Maiduguri. A l’ouest, elle s’est introduite à bas niveau dans la plupart des villes sénégalaises, dans le réseau urbain de Gambie. Des enquêtes complémentaires seraient nécessaires pour préciser ou confirmer la dynamique géographique et épidémiologique de l’infection. Les prévalences initiales sont contrastées. Explosive, la progression des prévalences signale l’intrusion d’un puissant phénomène épidémique. Plus modérée, elle est souvent discontinue : des accélérations suggèrent qu’un seuil de “décollage” serait franchi ; des plafonnements témoignent qu’un seuil de “saturation”, ou d’équilibre serait atteint. Toutefois les profils sont peu différents dans des sites proches. De mêmes profils paraissent se répéter, décalés dans le temps, dans des groupes de sites à nouveau peu distants. Organisés autour de lieux déjà atteints lors des premières enquêtes, des schémas régionaux se distinguent. L’épidémie qui investit Nairobi au début des années 1980, puis Addis-Abéba quelques années plus tard, se caractérise par une montée fulgurante des prévalences jusqu’à un niveau considérable. Un tel niveau s’observerait dans plusieurs autres sites sur le versant oriental du continent. 289 On ignore quand l’infection s’est propagée parmi les prostituées à Bangui et Kinshasa, introduite à Yaoundé et Douala. La situation endémique observée dans les premières dès 1985 pourrait s’imposer en 1992-94 dans les secondes. Toutes les enquêtes effectuées en Afrique occidentale saisissent un processus de diffusion : déjà actif en 1985-87 dans la partie centrale, récemment engagé vers l’Est et l’Ouest. S’agit-il d’un même phénomène épidémique en voie d’extension ? Cotonou connaîtrait une évolution semblable à celle observée quelques années plus tôt à Abidjan et Bamako. Dans certains sites, les prévalences cesseraient de progresser : à un niveau élevé à Abidjan, modeste dans d’autres (Lagos, Niamey, Kaolack). UN DIALOGUE DONT LES TERMES SONT VARIES Selon les données connues, l’infection manifeste un puissant dynamisme géographique. Au sein des groupes de prostituées, elle évolue selon des profils distincts. Ces derniers ne peuvent relever de seuls biais d’enquête. Le temps serait parfois impliqué : des décalages chronologiques se manifestent dans le cadre des trois schémas régionaux individualisés. Toutefois, d’un schéma à l’autre (et à l’intérieur du schéma ouest-africain ?), les profils semblent irréductibles. Le système de transmission fonctionne différemment. Les conditions offertes par les prostituées à la circulation du virus retiennent généralement l’attention (3, 14) : la façon dont, par leurs comportements, elles s’exposent à une infection ; les facteurs qui peuvent accroître ou réduire les risques d’une contamination. La première est souvent appréciée par le biais du nombre de partenaires. Celui-ci varie selon les sites : il est aussi élevé à Kaolack ou Mogadiscio qu’à Nairobi ; il est sensiblement plus limité à Kinshasa et Yaoundé, mais également à Addis-Abéba. Sans doute ses liens avec le risque d’une contamination sont-ils brouillés par d’autres aspects de celle-ci. Les analyses consacrées à l’influence qu’exerceraient certaines pratiques (hygiène sexuelle, injections…) n’apportent pas des éléments concluants.Les autres MST sont reconnues favoriser la transmission du virus : les individus sont davantage infectieux et susceptibles (13, 20). Les prévalences de la syphilis et de la gonococcie sont généralement très élevées parmi les prostituées (21, 22) : ni l’une ni l’autre ne serait discriminative. Le dialogue que les prostituées entretiennent avec l’infection pourrait être différencié par certaines modalités de leur Médecine d'Afrique Noire : 1998, 45 (5) 290 activité. La durée de la prostitution varie sensiblement selon les sites : ainsi elle serait élevée (3 à 5 ans en moyenne) à Nairobi, plus limitée à Dakar, faible à Maiduguri. Lorsque les effectifs se renouvellent rapidement, les prostituées de fraîche date, provisoirement indemmes, tiennent une place importante ; les plus anciennes, infectées se retirent. Toutes se déplacent fréquemment (8). Lorsqu’elles arrivent dans un lieu, elles sont inégalement infectées selon leurs itinéraires antérieurs et leurs contacts avec des partenaires contaminants. L’infection pénètre plus tôt et se développe plus rapidement à Cotonou qu’à Lagos, pourtant très proche : la plupart des prostituées viennent dans le premier cas de pays situés à l’Ouest, où l’infection est déjà bien développée (1), et dans le second d’autres régions du Nigéria, peu touchées (6). Une discontinuité comparable est observée à Djibouti, où les prostituées sont souvent éthiopiennes (17) et Mogadiscio où elles sont presque toutes somaliennes (2). Le dialogue entre les prostituées et le virus est par ailleurs médiatisé par les partenaires masculins, très peu étudiés. Ils peuvent être inégalement infectés et infectants. Le rôle aggravant des MST ne peut être apprécié et celui, “protecteur” de la circoncision soulève des interrogations (10, 15). Des enquêtes récentes, le plus souvent nationales (5) établissent que le recours par les hommes au “sexe commercial” est très diversement fréquent. Aussi variées que les formes de la prostitution, les conditions et modalités de ce recours sont sans doute impliquées. Ainsi, d’un côté, de nombreux immigrés recourant chacun peu souvent à la prostitution, se renouvelant constamment, peuvent mal assurer le relais du virus entre les prostituées. De l’autre, un effectif limité d’hommes durablement implantés, ayant des rapports fréquents avec des prostituées en raison de leur statut économique ou social peuvent constituer un important réservoir du virus. Les profils de l’infection parmi les prostituées refléteraient dans chaque site la façon dont se combinent les déterminants et comportements qui caractérisent d’une part l’exercice de la prostitution, d’autre part le recours par les hommes à celle-ci. Une telle combinaison se répéterait dans des sites partageant une même “culture” de la prostitution (4). Mais ces profils peuvent aussi être diversifiés par le virus. L’hétérogénéité génétique de ce dernier est reconnue. Plusieurs groupes et sous-groupes circulent au sein des collectivités africaines (12) ; ils sont irrégulièrement répartis. Dotés de spécificités biologiques (vitesse de replication, charge virale), ils pourraient être inégalement aptes à se Médecine d'Afrique Noire : 1998, 45 (5) G. REMY transmettre, à provoquer une infection ; une double contamination pourrait influer sur la résistance immunitaire. Le virus qui s’est introduit il y a quelque temps déjà à Kinshasa, et s’y est diffusé à un niveau relativement peu élevé, est-il le même que celui qui s’est propagé de façon fulgurante à Nairobi ? L’hypothèse que des profils de l’infection seraient différenciés par le virus et son potentiel épidémique ne saurait être exclus (9, 14). Dans les limites des données connues, au moins trois épidémies progresseraient simultanément au cours de la période d’observation : au Nord-Est du continent, dans les pays du golfe de Guinée, en Afrique occidentale. Les relations qu’elles ont pu entretenir dans le passé se prêtent à des scénarios variés. D’un champ épidémique à l’autre et à l’intérieur d’un même champ, les profils de l’infection peuvent être variés : leur “pente” et ses ruptures, les niveaux atteints. L’influence du temps mise à part, la nature et le jeu des facteurs impliquées demeurent incertains. Les connaissances virologiques actuelles signalent que le processus épidémique pourrait être animé par diverses populations virales. Celles-ci caractériseraient des systèmes épidémiologiques distincts, au sein desquels leurs relations avec les autres acteurs de la transmission seraient différentes. Selon une autre hypothèse, les profils seraient principalement différenciés par l’un ou l’autre aspect de la dynamique des “groupes-noyaux” (prostituées et partenaires) : la façon dont ils se forment, fonctionnent, se renouvellent. L’analyse menée suggère que les deux hypothèses pourraient être complémentaires. La diversité régionale des profils de l’infection serait l’effet de disparités respectives de l’environnement viral et du “paysage” de la prostitution. Non sans relations associées notamment à la mobilité humaine (dispersion d’un virus par des sujets infectés), l’un et l’autre se modifieraient sous l’influence de facteurs spécifiques, à des échelles qui leur sont propres. Les discontinuités géographiques relevées seraient les témoins de leur entrecroisement, l’un différenciant les empreintes épidémiologiques de l’autre ou inversement. Le jeu des déterminants de la dynamique de l’infection se renouvellerait dans l’espace. Des études conjointes (virologiques, épidémiologiques, socio-géographiques) réalisées dans des groupes-noyaux de part et d’autre de discontinuités seraient spécialement instructives. Leurs résultats éclaireraient sans doute aussi la diversité régionale des profils de l’infection observés par ailleurs dans la population générale. PAYSAGE EPIDEMIOLOGIQUE… 291 BIBLIOGRAPHIE 1 - BIGOT A., BODEUS M., BURTONBOY G. et al. Prevalence of HIV infection among prostitutes in Bénin. 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