I/ Les représentations sociales - Inter

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I/ Les représentations sociales - Inter
I/ Les représentations sociales
« … Avec la racialisation des représentations sociales de l’immigration, c’est tout
l’imaginaire social qui est en cours d’imprégnation : On assiste à une lepénisation non
seulement des esprits, mais aussi des mentalités et qui prend la forme d’un racisme sélectif,
voire d’un racisme interne. »
Pierre-André Taguieff.
I/ 1 : Définitions
La catégorisation sociale joue un rôle important dans la construction identitaire, notamment
en ce qui concerne la dimension sociale de l’identité.
Les particularités structurelles des sociétés dans lesquelles évoluent les individus ont une
incidence sur les orientations directrices du développement de leur personnalité. Cependant
contrairement à ce qui se passe dans les sociétés traditionnelles, le sujet est, dans les
sociétés multiculturelles
modernes,
confronté
à
de
« nombreuses
significations
1
extraculturelles propres aux sous-groupes en présence . »
Les représentations et l’imaginaire social de la société dans laquelle évoluent les individus
vont donc avoir une incidence tant sur le développement de leur personnalité que sur leur
construction identitaire. L’étude de ces représentations sociales permet donc d’appréhender
efficacement la manière suivant laquelle chaque société, et chaque individu à l’intérieur de
celle-ci, comprennent le monde et la place qu’il y tient.
Dans un premier temps définissons les catégorisations et représentations sociales et la place
que tiennent dans celles-ci les stéréotypes et les préjugés.
a) Représentations et catégorisations sociales :
1
C. Camilleri, G. Vinsonneau, Psychologie et culture : Concepts et méthodes, Armand Colin, 1996.
Les représentations sociales s’élaborent à partir de matériaux très divers : Images, formules
sémantiques, réminiscences personnelles ou souvenirs collectifs (mythes, contes), clichés
dérivés de la connaissance vulgaire (blagues, dictons, croyances, superstitions), idées reçues
(préjugés, stéréotypes)2. Leur émergence est contingentée par le contexte politique et
sociohistorique. Pierre Mannoni nous rappelle qu’elle se joue sur une triple scène :
- La scène 1, constituée par l’imaginaire individuel où apparaissent les représentations
individuelles (images, vécus, fantasmes).
- La scène 2, qui est celle de l’imaginaire collectif et où apparaissent véritablement les
représentations sociales (du cliché et du préjugé aux contes et aux mythes).
- Enfin, la scène 3, composée de « la réalité sociale agie, où se manifestent les actions
socialement représentées. »
Moscovici
a proposé plusieurs définitions des représentations sociales, toutes
complémentaires : Nous retiendrons qu’elles sont selon lui conçues comme des « ensembles
dynamiques (…), « des théories » ou des « sciences collectives » sui generis, destinées à
l’interprétation et au façonnement du réel. [Elles renvoient à] (…) un corpus de thèmes, de
principes, ayant une unité et s’appliquant à des zones, d’existence et d’activité, particulières
(…). Elles déterminent le champ des communications possibles, des valeurs ou des idées
présentes dans les visions partagées par les groupes, et règlent, par la suite, les conduites
désirables ou admises.3 »
La représentation sociale est à la fois produit et activité : En tant que produit, « elle désigne
des contenus, s’organise en thèmes et en discours sur la réalité », mais elle constitue
également une activité mentale, « un processus, un mouvement d’appropriation de la
nouveauté et des objets.4 »
Il s’agit donc d’un type particulier de pensée générée par le groupe et les acteurs sociaux : « Il
s’agit d’une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée
pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social. […]
2
Pierre Mannoni, Les représentations sociales, PUF, 1998.
Serge Moscovici, La psychanalyse, son image et son public, Paris, PUF, 1976.
4
Jean-Marie Seca, Les représentations sociales, Paris, Armand Colin, 2002.
3
On reconnaît généralement que les représentations sociales, en tant que système
d’élaboration régissant notre relation au monde et aux autres, orientent et organisent les
conduites et les communications sociales […], la diffusion de connaissance, le développement
intellectuel et collectif, la définition des identités personnelles et sociales, l’expression des
groupes et les transformations sociales.5 »
La représentation sociale dépend des deux processus essentiels que sont l’objectivation et
l’ancrage :
L’objectivation, qui se déroule en plusieurs phases (sélection, formation du
schéma figuratif, naturalisation) « permet à un ensemble social d’édifier un savoir commun
minimal sur la base duquel des échanges entre ses membres et des avis peuvent être émis.6 »
L’ancrage complète ce mécanisme d’objectivation en enracinant la représentation sociale
(constituée d’éléments résumant l’objet qu’elle appréhende) dans l’espace social afin d’en
faire un usage quotidien.
Les représentations sociales se composent de deux systèmes complémentaires (le système
central et le système périphérique), eux-mêmes hiérarchisées en éléments descriptifs,
fonctionnels, normatifs plus ou moins négociables (voir tableau ci-dessous). Ces deux systèmes
ne sont pas structurés et organisés une fois pour toute.
Elément(s) de définition,
Fonctionnel(s) ou normative(s),
plus ou moins négociables
Noyau ou système central
Système périphérique
Eléments descriptifs
Fonctionnels / d’attente
Structure des représentations sociales. (D’après Jean-Marie Seca, op. cité, page 80)
Deux attributs définissent les éléments du noyau central: Ils peuvent avoir une utilité pratique
(référence fonctionnelle pour l’action) et ils se caractérisent par une dimension prescriptive
5
6
Denise Jodelet (Ed.), Les représentations sociales, Paris, PUF, 1989.
Jean-Marie Seca, op. cité.
(normativité) parce qu’ils sont liés à l’affectivité. Les éléments du système périphérique sont
quant à eux rapportés et déterminés par le noyau central. Plus diversifiés et plus flexibles, ils
forment la partie quantitativement la plus présente dans les énoncés discursifs et les symboles
dans lesquels se développent les représentations. Ils forment en quelque sorte l’interface entre
le système central et les situations concrètes.
En tant que savoir pratique de sens commun, les représentations sociales ont plusieurs
fonctions : « Catégorisation cognitive des objets, d’identification sociale et individuelle,
d’orientation et la prescription des comportements, de référentiels ou de gisements de savoirs
pour les justifications ou les rationalisations.7 » Comme le souligne Moscovici, les
représentations sociales contribuent essentiellement aux processus de formation des conduites
et d’orientation des communications sociales. Cependant, par leur rôle joué dan la
construction de la réalité, en tant qu’elles forment un système symbolique, les représentations
sociales ont également une fonction référentielle qui se traduit par des processus de
catégorisation et d’attribution et qui joue un rôle prépondérant dans l’identification sociale et
individuelle.
Les représentations sociales jouent donc un rôle déterminant dans les productions identitaires,
« régulant les relations entre groupes (ancrage, fonctions normatives et organisatrices du
noyau central, principes organisateurs), [elles] sont, avant tout, des moyens que se donnent
ceux-ci pour assurer leur cohésion et un consensus minimal. Etre en groupe, c’est se
représenter comme tel à travers les signes, les emblèmes, les images et les croyances
communes.8 » Le collectif, en se représentant socialement, est donc le lieu d’un nivellement
catégoriel (assimilation interne, création d’un endo-groupe) en même temps qu’il s’oppose à
un autre groupe ou à d’autres groupes (créations de catégories identitaires et d’exo groupes.)
Selon G. Vinsonneau, la catégorisation est une opération fonctionnelle pour le sujet
percevant : Elle lui permet d’opérer l’économie de la découverte de l’environnement, d’y faire
des prédictions et d’en maîtriser les évènements, tout en maintenant stable et cohérente
l’image de cet environnement : « Lorsqu’il s’agit d’autrui, la catégorisation définit
habituellement un groupe social à partir d’un critère, par exemple ethnique dont le choix
s’accompagne de conséquences extrêmement importantes. L’analyse de ces classes
7
8
Jean-Marie Seca, op. cité.
Jean-Marie Seca, op. cité.
d’éléments relève de caractères constants : l’égocentration, la simplification, la condensation
et la rigidité dont le stéréotype fournit la meilleure illustration. »
b) Les stéréotypes :
Les stéréotypes reflètent un réseau grossier de représentations mentales du monde. Ils sont,
comme toute catégorisation, des moyens d’en réduire la complexité. Le stéréotype apparaît
ainsi comme « un élément de la structure des représentations »9. Il est inscrit dans la durée et
offre une grande résistance au changement, puisqu’il est indépendant de l’expérience.
Le stéréotype, en tant qu’« expression de la personnalité collective », est transmis à l’individu
par le milieu social « au moyen de l’éducation, des véhicules médiatiques, quelles que
puissent être, par ailleurs, les expériences personnelles de l’individu.10 »
Cependant, comme le rappelle Sander L. Gilman11, « chacun de nous crée des stéréotypes
(...). Nous ne pourrions agir sans leur aide (…). La création de stéréotypes reflète un
processus que tout être humain en voie de devenir un individu se voit forcé d’accomplir. Le
processus d’individuation et de séparation suppose notamment que l’enfant intériorise des
images de plus en plus complexes des personnes qui vivent dans le monde tel qu’il le
perçoit. » Images qui, nous l’avons vu, sont véhiculées et transmises par le groupe. Christiane
Villain-Gandossi revient en effet à plusieurs reprises sur cet aspect social du stéréotype, dont
elle rappelle les fonctions de maintien de la cohésion du groupe12 :
- Au niveau « commutatif », le stéréotype favorise la communication dans le groupe,
en faisant l’économie de répétitions et de redondances de choses déjà assimilées, sur
lesquelles le groupe s’accorde. « L’effort d’assimilation intellectuelle que doit faire le
récepteur en est réduit grâce aux processus automatisés de réflexion implicite. »
- Au niveau « psycho-sociologique », le stéréotype organise l’identification/inclusion
9
Christiane Villain-Gandossi, La genèse des stéréotypes dans les jeux de l’identité/altérité Nord-Sud in
Stéréotypes dans les relations nord/sud, Hermes N°30, CNRS Editions, 2001.
10
Christiane Villain-Gandossi, La genèse des stéréotypes dans les jeux de l’identité/altérité Nord-Sud, op. cité.
11
Sandler L. Gilman, L’Autre et le Moi, stéréotypes occidentaux de la race, de la sexualité et de la maladie,
PUF, 1996.
12
Christiane Villain-Gandossi, Gilles Boëtsch, Les stéréotypes dans les relations Nord-Sud : Images du physique
de l’autre et qualifications mentales in Hermes n°30, déjà cité.
de l’individu à une communauté, une collectivité de valeurs communes tout en
effectuant l’altérisation/exclusion de l’Autre. « L’Autre est alors perçu à la fois
comme celui qui est exclu du groupe et qui peut en menacer son intégrité. »
Les stéréotypes renvoient ainsi a des oppositions radicalisées, incitant principalement les
sujets qui y sont sensibles à s’arrêter à des jugements hâtifs sur un individu sur la base de son
appartenance catégorielle (ethnique, « raciale », religieuse, de nationalité ou de classe).
Geneviève Vinsonneau considère que « le stéréotype correspond à l'
aspect cognitif des
préjugés, c'
est à dire qu'
il rassemble des caractères appliqués régulièrement et de manière
rigide à tout membre d'
un corps social donné, en raison précisément de cette appartenance.
Un stéréotype suppose donc un consensus relatif à des traits (...). A la différence du préjugé,
qui désignerait une attitude, une tendance à évaluer favorablement ou non un objet, le
stéréotype ne comprendrait que des croyances ou des opinions concernant les attributs que
véhiculent un groupe social et ses membres.»13
c) Les préjugés :
Le préjugé implique le rejet de l’ « autre » en tant que membre d’un groupe envers lequel on
entretient des sentiments négatifs (catégorisation négative). Allport14 a ainsi défini le préjugé
comme une attitude négative ou une prédisposition à adopter un comportement négatif envers
un groupe ou envers les membres d’un groupe qui repose sur une généralisation erronée et
rigide. « On peut ainsi entretenir des préjugés à l’endroit des membres de n’importe quelle
catégorie sociale autre que la sienne et envers laquelle on éprouve des sentiments
défavorables15. »
L’approche psychanalytique met en avant le caractère fonctionnel rempli par le préjugé
(mécanisme de défense, refoulement, déplacements et projections,…). Jahoda, se propose
ainsi de définir le préjugé comme « (…) l’attitude hostile envers un « hors-groupe » [qui] ne
13
Geneviève Vinsonneau, Inégalités sociales et procédés identitaires, Armand Colin, Paris, 1999.
Allpport, G.W., The nature of prejudice, Addison-Wesley, Cambridge, 1954.
15
Bourhis R.Y., Gagnon A. et Moïse L.C., Discrimination et relations intergroupes, in Bourhis R.Y. et Leyens
J-P. (Eds), Stéréotypes, discrimination et relations intergroupes, Margada, Liège, 1999.
14
peut être modifiée par l’expérience et remplit une fonction psychologique chez celui qui
l’adopte. 16»
Les travaux de Coslin et Winnykamen17 ont mis en lumière le rôle important des inégalités
sociales et les conséquences de ces dernières sur les modalités de développement et
d’intériorisation des stéréotypes au sein d’une société où se pose le problème de l’intégration
de diverses minorités issues de l’immigration. Nous verrons que si ces inégalités ont un rôle
important dans le maintien des stéréotypes relatifs aux populations issues de l’immigration
africaine, leur construction est bien antérieure : Leur genèse semble s’inscrire dans l’héritage
colonial et dans le racisme qui lui servait de justification.
16
Marie Jahoda, Relations raciales et santé mentale in Le racisme devant la science, UNESCO (textes de 1948),
Gallimard, 1960.
17
Coslin P., Winnykamen T., Contribution à l’étude de la genèse des stéréotypes, Psychologie française, 26 (1),
39-48, 1981.