Italie : « Aware Migrants » ou les dangers vécus par

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Italie : « Aware Migrants » ou les dangers vécus par
Italie : « Aware Migrants » ou les dangers vécus par les migrants
Lefigaro.fr, par Pierre Jova, Publié le 29/07/2016
Le gouvernement italien et l'Organisation
internationale pour les migrations (OIM) lancent
ce vendredi une campagne pour informer les
candidats au départ des dangers du voyage vers
l'Europe. Destinée à l'Afrique de l'ouest, elle
insiste sur les violences des passeurs.
«C'est une route vers mène vers l'enfer».
Tchamba, 36 ans, fait face à la caméra, en plan serré. Originaire d'Afrique de l'ouest, il
témoigne des conditions de sa traversée de la Méditerranée vers l'Europe. «Que vous alliez
mourir ou que vous alliez vivre, les passeurs veulent juste vous faire avancer et encaisser
l'argent», dit Tchamba, contraint de monter sur un bateau gonflable de fortune avec sa femme
et son enfant. «J'ai passé cinq mois en prison», raconte de son côté Jessica, emprisonnée en
Libye, et menacée de viol. «J'ai beaucoup souffert en Libye. Trop de tortures, trop de
menaces», abonde Déjeuna, des sanglots dans la voix. Toutes ces vidéos se terminent par un
seul message: «Be aware» (soyez conscient).
La parole aux migrants
La campagne Aware Migrants (Migrants conscients), lancée vendredi, vise à informer les
candidats à l'immigration vers l'Europe des dangers d'un tel voyage, en diffusant des
témoignages de migrants par les réseaux sociaux, la télévision et la radio, dans une quinzaine
de pays d'Afrique de l'Ouest et du Nord. Le budget de 1,5 million d'euros a été fourni par le
ministère de l'Intérieur italien.
«En poursuivant leur rêve, les migrants se retrouvent en plein cauchemar», a expliqué jeudi le
ministre de l'Intérieur, Angelino Alfano. Ce dernier, ancien dauphin de Silvio Berlusconi, a
rejoint le gouvernement de Matteo Renzi en créant son propre parti conservateur, le Nouveau
Centre-Droit. Sous cet angle gouvernemental, cette campagne pourrait ressembler à
l'opération Sovereign Borders (Frontières souveraines), lancée par l'Etat australien en 2013.
Elle consiste à dissuader les migrants de rejoindre l'Australie par un déploiement militaire et
une campagne aux slogans chocs, tels que: «No way, you will not make Australia home» (pas
question, vous ne pourrez pas vous installer en Australie).
Pourtant, Aware Migrants ne reçoit qu'un soutien financier du gouvernement italien. Elle est
d'abord organisée par l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). Cette agence
intergouvernementale basée à Genève a pour mission originelle d'aider les migrants à
s'insérer dans les pays où ils arrivent. «Cette campagne est la conséquence de nos
nombreuses années d'expérience en Italie et en Afrique», explique Flavio Di Giacomo, porteparole de l'OIM à Rome. Devant les 480 migrants en moyenne morts chaque mois en mer,
depuis le début de l'année 2016, l'organisation estime qu'il est urgent de prévenir les
migrants des dangers auxquels ils s'exposent. «La Méditerranée est un cimetière!», s'exclame
Flavio Di Giacomo. «Le but de cette campagne n'est pas d'empêcher les migrants de venir,
mais de les informer, et de sauver des vies», explique-t-il.
Aware Migrants repose sur les témoignages des migrants, parvenus en Europe, ou repartis
dans leurs pays d'origine. «Notre idée est de leur donner la parole. Beaucoup ne parlent pas
des violences et des traumatismes qu'ils ont subi pendant leur voyage. Ils ont honte, et ne
veulent pas bouleverser leurs familles restées sur place. Il faut pourtant dire la vérité et
informer ceux qui sont tentés de partir», plaide Flavio Di Giacomo.
Français I A.A 2016-2017 Lecture supplémentaire
La campagne est soutenue par la chanteuse malienne Rokia Traoré, très populaire en Afrique
de l'Ouest. Elle vise en priorité les populations du Nigéria, du Mali, de Guinée et de Côte
d'Ivoire. Elle cherche enfin à lutter contre la propagande des passeurs et des trafiquants, qui
utilisent beaucoup les réseaux sociaux. «On peut comprendre ceux qui fuient les guerres ou
les dictatures, mais les migrants économiques, eux, ont le choix. Ils doivent être informés que
99% de ceux qui passent par la Libye sont victimes de violences. J'ai moi-même parlé à de très
nombreux migrants arrivés en Italie. Tous affirmaient que s'ils avaient su ce qu'ils risquaient
en Libye, ils ne seraient pas partis», affirme le porte-parole de l'OIM.
Sauver les migrants de l'enfer libyen
Livrée au chaos depuis la chute du régime kadhafiste en 2011, et la division du pays entre
bandes rivales, la Libye demeure cependant une étape obligée des migrants vers l'Europe.
«Même avec la guerre civile, la Libye est toujours perçue en Afrique comme un pays où l'on
trouve du travail», précise Flavio Di Giacomo.
Parvenus en terre libyenne, les migrants vivent pourtant un enfer. «Il y a toujours eu
beaucoup de racisme envers les Africains noirs. Mais après le renversement de Kadhafi, la
violence s'est libérée à leur égard. Ils sont vus comme des animaux. Ils sont exploités par leurs
employeurs, battus, rackettés, enlevés et torturés en échange d'une rançon de leurs familles»,
énumère le porte-parole de l'OIM. Résultat, «beaucoup venus en Libye pour y travailler se
retrouvent à traverser la Méditerranée pour fuir les persécutions», déplore-t-il.
Pour Flavio Di Giacomo, le but ultime de cette campagne d'information est d'aider les
migrants à trouver des alternatives à leur départ, pour demeurer chez eux. «Nous travaillons
beaucoup avec les pays d'origine, sur le terrain, dans l'aide au développement. C'est un devoir
moral», explique-t-il.
Selon le porte-parole de l'OIM, la campagne Aware Migrants a déjà reçu un bon accueil au sein
des migrants parvenus en Italie. En revanche, elle a été critiquée par le réseau No Borders,
partisan d'une ouverture totale des frontières, qui accuse l'OIM de soutenir «la régulation des
migrations». «Ils sont dans leur rôle», soupire Flavio Di Giacomo, avant d'ajouter: «Mais ils
n'ont pas compris le sens de cette campagne».
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