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DISSERTATION 1 Sujet La mort chez les Modernes. Intro 1 Intro 2 Intro 3 Intro 4 || || || || I. Le morbide moderne Intro générale En se définissant comme une esthétique radicalement neuve, la Moderna a cultivé sa différence par la provocation et le démantèlement (certes timide, encore) de ce qui la précédait. Les artistes modernistes ont accordé une place de premier plan au thème de la mort parce qu’ils étaient hantés par une vision apocalyptique de leur époque, ce qui a suscité mainte désapprobation chez leurs contemporains. a. La complaisance thématique On ne peut qu’être frappé par la surabondance du thème de la mort durant la Moderna. Quelques-uns des poèmes les plus marquants de la période lui sont consacrés, d’une manière ou d’une autre, ainsi qu’à l’angoisse qu’elle génère. On pense d’abord à « Mora », d’Antun Gustav Matoš, paru en 1907, la pièce la plus longue de son opus (290 vers). Le poème montre le poète à la lisière de la mort, et combattant contre celui qu’elle envoie : un monstre cauchemardesque et protéiforme. La figure du Cauchemar est riche de sens ; le combat est psychologique, spirituel et politique tout à la fois. Du côté serbe, on pense au fameux « Нирвана » de Vladislav Petković Dis, paru en 1911. La mort est ici évoquée comme un processus psychologique qu’on ne peut endiguer et qui amène au néant, au « nirvana ». Il en va de même pour certaines des nouvelles les plus lues des modernes, même si on ne peut dire que le thème de la mort y soit moteur. Ainsi de « Duga », texte écrit et publié par Dinko Šimunović en 1907. On est loin d’un quelconque happy end, et l’auteur n’hésite pas à rajouter à la mort absurde de sa jeune héroïne, noyée dans un marécage pour avoir voulu devenir un garçon en passant sous un arc-en-ciel, le suicide de ses parents désespérés. b. La conscience apocalyptique Ce pessimisme général reprend à nouveau frais un thème plus précis, déjà en vogue à l’époque, mais abordé jusque-là de manière réaliste : la décadence des élites et des valeurs traditionnelles. Les modernes se font les fossoyeurs d’un monde qui, une fois disparu, laisse place au vide, un peu à la manière d’Hermann Broch qui parlera d’« apocalypse joyeuse » pour parler de cette époque. Cette conscience apocalyptique — parfois insouciante, parfois d’autant plus angoissée qu’elle n’invoque le secours d’aucun dieu — s’exprime chez un nouvelliste croate comme Janko Leskovar. Contrairement à Gjalski, qui peint la décadence de la noblesse croate avec réalisme, Leskovar s’attache dans Propali dvori (1896) à retracer la psychologie de son héros principal, Pavle Petrović, en adoptant pour ce faire une narration fragmentée. C’est cette même impression de fin du monde, d’avènement d’une modernité implacable que laisse la lecture de Нечиста крв (1910), de Borisav Stanković. Dans ce livre, le moderne marque la disparition des structures sociales encadrant la sauvagerie des instincts. Sofka, la magnifique et orgueilleuse héroïne, tombe entre les mains de la réalité masculine : l’inconsistance de son père, qui la marie contre son gré afin de payer ses dettes ; la perversité finale de son mari, qui l’amènera aux pires bassesses. c. La réaction anti-moderne Le thème morbide vient bousculer la narration classique et la non moins classique esthétique du Beau, et quand les détracteurs de la Moderna émettent des reproches à l’encontre des nouveaux artistes, c’est en majeure partie à cause de cet attrait malsain pour la mort, la laideur, le chaos, qui remet en cause l’esthétique traditionnelle. C’est ainsi qu’en Croatie, des intellectuels renommés de la fin des années 1890 ont initié contre la génération montante une querelle sur la signification de l’Art ; ils reposent sur une analyse lucide, sans complaisance, du bouleversement des goûts que manifeste et engendre l’Art nouveau. L’ironie du sort veut qu’en Bosnie-Herzégovine, on ait qualifié de moderne un écrivain qui était l’ami de la jeune génération croate mais n’en partageait pas la manière de sentir : Safvet-beg Bašagić. Rendant visite au bâtiment de la Sécession en 1897, il a dénoncé dans « Dojmovi iz Secesije » la corruption du goût que représentait à ses yeux les œuvres des artistes viennois : « Iz lica joj bieda bije, / Iz očiju teku suze, / S usana se zloba smije / Eto slike nove Muze. // Ako je to svietu liepo, / Onda zbogom umjetnosti ! » On est loin de la Bosnie paradisiaque et peuplée de fraîches jeunes femmes que chante naïvement Bašagić dans son œuvre, lequel de ce point de vue répond tout à fait aux exigences du néo-classicisme autrichien de son époque. Ccl-transition avec reprise de la problématique La réaction de Bašagić est éclairante dans la mesure où il décrie non pas l’inscription de la mort dans une thématique large et approchée de façon élégiaque, mais son évocation crue et naturaliste. C’est la présence d’un monde charnel en putréfaction, méchant, qui le fait fuir. II. Le corps et la mort Intro générale L’obsession morbide ne doit pas occulter le fait qu’elle n’est que la conséquence d’un phénomène plus général de l’histoire de l’art à la fin du 19e s. : la soudaine prééminence du charnel dans un monde d’où la transcendance a disparu. Cohabitent ainsi dans le mouvement moderne des écrivains aussi opposés, en apparence, que le dionysiaque Milan Begović et le névrosé Milutin Cihlar Nehajev en Croatie, ou le patriote Aleksa Šantić et le pessimiste Sima Pandurović en Serbie. La présence du corps se décline ainsi de la danse macabre au sensualisme, en l’absence de Dieu. a. Danse macabre : le corps grimaçant Dans la complaisance morbide, le plus caractéristique de la Moderna est probablement le rictus qui se dessine sur les lèvres du sujet lyrique face au corps démembré, détruit, en cours de putréfaction de la bien-aimée. Ainsi, dans « Balada » (1907), Matoš s’accuse-t-il avec fierté : « Ja sam krivac najveći, / Ako tvoje kosti / Rastrgane plaču u ledu špitalja, / Mjesto da ih maze ruke tvoga kralja ». Apologie du démembrement, aux antipodes de la caresse qui découvre au corps son unité, la poésie moderne voit facilement le squelette de la mort au détour d’un vers (voir Matoš, toujours, dans « Doña Muerte » (1910)). Dans l’opus graphique d’un Tomislav Krizman, on remarque ainsi (« Udarac sudbine », c. 1908 ?) l’utilisation d’un vert cadavérique, avec des personnages au visage légèrement verdâtre lui aussi. Le thème du pourrissement se décline jusqu’à la volonté suicidaire d’effacement du corps, corollaire chez Janko Polić Kamov, dans « Intermezzo » (1907), de l’effacement du “corps” de l’écriture : la feuille, comme l’expriment ces vers qui se répètent : « Podignite lomaču i sažgite tijelo moje ; / (…) ne čitajte djela moja i sažgite hartiju ». Ce qui est à l’œuvre derrière ces provocations, c’est la fascination pour la dimension la plus physique de la mort : la décomposition des chairs, qui entraîne avec elle la déconfiture de l’esprit. b. L’énervement L’esprit s’effondre sous les coups du charnel, qui ôte à l’âme sa volonté et é-nerve l’homme. Celui-ci n’est plus qu’un pantin aux mains de son instinct ou de son inconscient, et sombre dans la folie. L’aliénation mentale est un thème récurrent des modernes, en Croatie comme en Serbie. Pandurović, dans « Светковина » (1908), s’amuse à dépeindre un jour de fête dans un asile psychiatrique (« Сишли смо с ума у сјајан дан »), du point de vue d’un aliéné, si bien que le poème reste assez hermétique. Cependant, ce qui est plus caractéristique, c’est que les modernes abolissent la frontière entre raison et folie ; sans ramener cette opposition au continuum que l’hygiénisme décrit entre bonne et mauvaise santé mentale, ils pénètrent, par le jeu de la focalisation interne, dans les pensées intimes de personnages hypersensibles, jusqu’à frôler l’insensé. Dans sa courte nouvelle « Misao na vječnost » (1891), Leskovar dépeint ainsi un instituteur instable qui termine dans la folie ; de même, le roman Bijeg, publié en 1909 par Nehajev, donne à voir de l’intérieur un intellectuel névrotique en perpétuel décalage avec son milieu. c. Le corps érotique, un corps en disparition Le bizarre, l’atypique et, à tout prendre, le déliquescent, le dégénérescent ont pour pendant l’érotisme entendu au sens de la recherche du plaisir charnel pour lui-même. En effet, l’opposition entre Éros et Thanatos n’est qu’apparente, comme l’expliquait Nietzsche à la même époque : ils trouvent tous deux leur source dans le corps devenu finalité en luimême. C’est pourquoi Milan Begović, avec son recueil poétique Knjiga Boccadoro (1900), où s’exprime un amour tout sensuel pour la marquise Zoe Boccadoro, ne dit rien de plus que les chantres du morbide : la défaite de l’âme et, au-delà, d’une certaine anthropologie chrétienne dans la civilisation européenne. Paradoxale pourrait donc sembler, à première vue, la vogue spiritualiste parmi les poètes de la Moderna. En réalité, ce spiritualisme entérine la dichotomie entre corps et âme et, chantant la seconde, veut oublier le premier. Il est donc tout à fait justifié d’entendre sonner, dans les accents néo-platoniciens de symbolistes tel Dučić ou Vidrić, le glas d’une vie raisonnée des sens. La bien-aimée n’est plus qu’un ange, le chant à l’amour s’affranchit de toute mention corporelle ou presque, comme dans « Ljubavi » de Musa Ćazim Ćatić ou « Строфе једној жени » de Jovan Dučić : ce dernier admire une femme uniquement pour en voir vu « сјајни сен на таласима, / И стопе на песку ». La pesanteur de la corporalité n’existe plus que comme conséquence, et non plus en soi. Ccl-transition avec reprise de la problématique La présence de la mort signifie donc la victoire du monde physique sur le mental et en même temps sa disparition au profit d’un spiritualisme complaisant. La mort du corps et la survie de l’âme dans l’éther relèvent d’une philosophie typique de la Moderna, puisée chez Hegel, et mâtinée de Schopenhauer et de Nietzsche. III. Mort et renaissance Intro générale a. L’appel patriotique Aussi bien le penchant morbide des modernistes n’exclut pas tout espoir dans l’existence et son amélioration. Ils souscrivent à l’idée de la dialectique historique et enclenchent un mécanisme avant-gardiste : la mort devient mise en scène symbolique du désir d’un monde nouveau, d’un univers de liberté, un champ sémantique que l’on retrouve tout particulièrement dans leurs écrits politiques. À l’intérieur même du domaine littéraire, la mort moderniste devient parfois une figure purement rhétorique, destinée à susciter chez le lecteur une émotion extra-littéraire. Les exemples sont très nombreux, en Croatie comme en Serbie ou en Bosnie-Herzégovine. Qu’on se souvienne, par exemple, de ce passage fameux de « Mora » où Matoš dénonce « turski bastioni, / Bataljoni švapski, Dužda galioni. / (…) podlost lažljivog Bizanta, / Sofizam Beča, pohota Budima, / Labirinat mračni katakompskog Rima » ; qu’on se souvienne, encore chez Matoš, de « 1909. », où est donnée une description mifantastique, mi-naturaliste de la Croatie pendue au gibet. Le poète, en une sorte de rite de purification, s’y lave de la sueur sanglante de la suppliciée. C’est exactement la même veine qu’on retrouve en Serbie, par exemple dans le recueil Ми чекамо цара (1913) de Dis, où le bohème chante sa patrie sur un ton désabusé, parmi les incendies et la pourriture, et non de façon exaltée. De même, Milan Rakić s’est fendu d’une suite de poèmes intitulée « Косовски циклус », dont le premier, « Божур », se termine par les mots suivants : « — Из многе крви изникнуо давно, / Црвен и плав, Косовом божур цвета ... ». C’est le même thème du sang versé que chez Matoš ; il semble que la renaissance nationale passe par l’effusion de sang et la mort, ce qui, sous la plume de Rakić, prend un tour éminemment chrétien. On aurait tort de croire que ces vers patriotiques sont en-dehors de l’esthétique moderniste ; et c’est plutôt en ne rangeant que les poètes maudits parmi les modernes que l’on se fourvoie. b. Les lendemains qui chantent Parfois, les modernes savent être plus engagés encore et se distinguent par leur activisme dans la sphère politique. Le groupe praguois des « jeunes-Croates » a ainsi lancé une revue en 1897 (de courte durée) où les problématiques littéraires ne trouvent que peu de place ; c’est surtout l’idée yougoslave et la fin de l’empire austro-hongrois qu’ils appellent de leurs vœux. Et lorsqu’ils parlent des belles-lettres, leurs idées s’inspirent du socialisme : Milan Šarić dénonce ainsi la place prédominante qu’occupe l’aristocratie dans la littérature croate, et la presque absence du « peuple ». Mort et liberté : mort à l’oppresseur, liberté pour l’opprimé. La rhétorique nationaliste de Petar Kočić exprime, dans un édito de son journal qui est un véritable poème en prose, la révolte et la soif de liberté. Il s’y adresse en symboles à une Liberté semblable à une déesse de la fécondité, voluptueuse, sensuelle, féconde, cruelle aussi, nourrie du sacrifice des hommes : « Mnoga se svježa krv lila za Te i u ime Tvoje ! » Conclusion générale Ccl 1 || Ccl 2 A formuler selon l’introduction ||