Le dossier: sommaire - Collège André Bauchant Château
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Le dossier: sommaire - Collège André Bauchant Château
Samedi 13 mars 2010: sortie théatrale au Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes/Paris « Les Naufragés du Fol Espoir » pour tous les élèves des niveaux 3ème et 4ème du collège. (avec les soutiens de la Ville de Château Renault, du Conseil Régional, du Conseil Général, du collège, et du FSE) Ça y est, le spectacle du Théâtre du Soleil « Les Naufragés du Fol Espoir » est prêt. La 1ère a eu lieu le 3 février. Les spectateurs et la presse sont enthousiastes: « Spectacle splendide au Théâtre du Soleil! Un enchantement! » Le Monde, mardi 16 février « Quatre heures de spectacle survolté... à la façon du cinéma muet!... Ariane Mnouchkine a décidé de donner de la joie à son public » Télérama 20 février « Le spectacle embarque le public sur le bateau d'un bonheur collectif... Il le fait sur le ton de l'épopée comique et de la complicité... » Libération, vendredi 19 février Ce que raconte l'histoire: Dans un grenier une étudiante trouve un vieil enregistrement où son grand père, Félix, ancien patron d'une guinguette des bords de la Marne, « Le Fol espoir », raconte comment en 1914 il a mis son établissement et son personnel à la disposition d'une équipe de tournage, au début du cinéma muet. C'est l'histoire d'émigrants partis en bateau de Cardiff, en 1895, pour rejoindre l'Australie, et échoués en Terre de Feu, dans un désert d'eau et de glace... Les spectateurs sont ainsi immergés dans le film en train de se faire: la première scène montre Rodolphe de Habsbourg dans le pavillon de chasse en Autriche, en 1889. Il est assassiné à cause de ses principes révolutionnaires, qu'il partage avec son ami Jean Salvator. Jean Salvator échappe aux meurtriers de Rodolphe. On le retrouvera en Terre de feu... Les spectateurs passent ainsi des scènes de tournage (vagues du cap Horn, tempêtes de neige, indiens menacés par la cupidité des colonisateurs, lois de la fraternité...), aux scènes « réelles » dans ce début du xxe siècle où toutes les utopies semblaient possibles: progrès scientifiques, techniques, sociaux, démocratiques... Comment croire alors que la guerre allait peut-être empêcher d'achever le film? Départ 9h30 (être au collège à 9h15). Prévoir un (ou 2) pique nique (possibilité de déjeuner au théâtre: plats chauds de 5 à 9€). 14h/1750: spectacle, avec entracte. Retour collège 21h. Chaque classe sera accompagnée par 2 professseurs. Sachez qu'Ariane Mnouchkine et les comédiens sont impatients de nous accueillir dans leur théâtre. Bien cordialement Les professeurs du collège André Bauchant Le dossier: sommaire 1- Le projet 2- « Les Naufragés du Fol Espoir »: entretien avec Ariane Mnouchkine 3- Extraits du texte d'Hélène Cixous 4- Choix de notes entendues pendant les répétitions 5- Chronologie succinte − David Griffith, un pionnier du cinéma − Une mise en scène en abîme 6- Entretien avec Ariane Mnouchkine « le Théâtre du Soleil: le théâtre ou la vie » 7- Entretien avec Jean Jacques Lemêtre, musicien Entretien avec Nathalie Thomas, costumière 8- Le Théâtre du Soleil: repères chronologiques 9- L'Europe à la veille de la Première Guerre mondiale, par Stephan Zweig Jean Jaurès, extrait du dernier discours 10- Lectures essentielles autour de thèmes de la pièce 11- Article de presse « Les Naufragés du Fol Espoir »: Le Monde du mardi 16 février 12- Article de presse: Libération du 19 février 1 Les Naufragés du Fol Espoir par le Théâtre du Soleil La troupe du Théâtre du Soleil voyage avec Les Naufragés du Fol Espoir, nouvelle création collective, mi-écrite par Hélène Cixous, inspirée d’un mystérieux roman de Jules Verne, sur une proposition d’Ariane Mnouchkine. Une communauté de passagers d’infortune échappés d’une catastrophe maritime aspire à connaître une seconde naissance sur une île vierge, là où redevenir maître de son destin est possible. Pourquoi avez-vous décidé de monter ce spectacle ? Ariane Mnouchkine : L’idée du spectacle m’est venue en lisant un livre posthume de Jules Verne, Les naufragés du Jonathan, que son fils a « revu ». La fable est magnifique et le spectacle en est proche, même s’il n’a plus rien à voir avec l’ouvrage. Il s’agit de migrants, de travailleurs – ouvriers, artisans, prêtres, comédiens, jeunes premiers, jeunes premières, capitalistes, philosophes, intellectuels - qui partent pour l’Afrique et arrivent ailleurs. Ils s’expatrient pour trouver du travail. Les membres de ce groupe social communautaire vivent donc ensemble, par hasard, pour un projet commun. Dans le roman de Jules Verne, les migrants partent de San Francisco. Pour nous, ils partent de Cardiff, vont vers l’Australie et arrivent ailleurs. Le roman se déroule dans les années 1892 mais tout commence en 1914. L’époque de 1914 très présente dans les esprits nous a inspirés pour les costumes. C’est l’histoire d’un “fol espoir“ et d’une époque tumultueuse. Et comme dans de nombreuses histoires de bateau, se produit un naufrage qui le fait flamber. Comment avez-vous travaillé sur la fiction de Jules Verne, où le bateau de migrants Le Fol Espoir est aussi une promesse d’aventure et de liberté ? A. M. : Cela faisait longtemps que nous n’avions pas travaillé sur une fiction en création collective. Nous avons retrouvé la joyeuseté, la belle humeur du travail de troupe, son aspect radieux et épanoui dans le respect de la vérité.... Jules Verne est toujours en train de brasser l’avenir. Il est mort en 1905, l’ouvrage a été écrit quelques années avant sa mort. Tout est déjà inventé à cette époque : l’électricité, le cinéma, Marx, Freud, l’anarchisme, etc. De la même façon qu’il essaie de comprendre comment vont être les sous-marins de l’avenir, il s’applique à projeter les sociétés de l’avenir. Je le trouve réactionnaire au début, paternaliste et presque raciste. Mais peu à peu, le créateur d’un monde nouveau se libère de ses préjugés. Il imagine la naissance d’une société, il met à jour une communauté en partance, sous l’inspiration d’idéologies déjà présentes à l’époque et dont certaines sont malheureusement encore influentes. Le spectacle n’est pas adapté mais conçu « d’après un roman de Jules Verne ». Quelle est sa forme ? A. M. : D’un côté, la fiction à travers l’écriture d’Hélène Cixous balaie le roman et de l’autre, les scènes improvisées de la troupe entourent cette vision initiale. C’est une création collective agissante comme dans Les Éphémères, avec une composition en abyme : une histoire dans une histoire dans une histoire… Comment la fiction et la vérité s’épousent-elles sur la scène ? A. M. : C’est un jeu à plusieurs niveaux : l’histoire du bateau et ceux qui la racontent. D’un côté, la Folie et de l’autre, l’Espoir : il faut trouver l’équilibre, et tenir la vérité et la fiction, en même temps. .. Que souhaiteriez-vous que soit Les Naufragés du Fol Espoir ? A. M. : J’aimerais que le spectacle soit drôle et émouvant... Les Naufragés du Fol Espoir est l’accomplissement d’un spectacle d’aventures, ceci à travers l’échauffement de l’imaginaire dont l’appui est le corps de l’acteur, qui tente d’insuffler du désir, du courage et de l’esprit au spectateur. Extraits des propos recueillis par Véronique Hotte, décembre 09 2 Les Naufragés du Fol Espoir : Extraits du texte d'Hélène Cixous Nous voilà en été de l’an 1895, c’est peut-être tout de suite après en 1904. Quels bonheurs ces jours-ci ! Nous sommes aux commencements merveilleux du plus enthousiasmant des siècles, le vingtième, ce temps électrique, qui arrive en accélérant de toutes ses vitesses. Pensez ! On n’a jamais vu, depuis la révolution galiléenne, une telle concentration de découvertes. En sciences, la révolution est totale, absolue : ici nous avons la logique formelle, ici la théorie des ensembles. Ici « La Science et l’Hypothèse » ce texte révolutionnaire de Poincaré, et voici en 1905 la loi de Planck et il s’ensuit la théorie de la mécanique quantique. Nous allons bientôt cesser d’être plus lourds que l’air, si ça continue. Et par ici, l’essor éclaireur des continents intimes, l’élan de la psychanalyse. Cette année Freud trouve les clés de l’inconscient. C’est cette sensation de Phare qui inspire les fabuleuses explorations de Jules Verne. En ces quelques années, disons de1890 à 1914, tout a changé. Il n’y a pas un recoin de physique, de mathématique, chimie, biologie, qui ne soit bouleversé. Si La Paix, on en parle, on y pense tellement, c’est que tous ces « progrès » techniques et politiques, ne vont pas sans un progrès paradoxal : la guerre aussi mûrit, nourrie de jalousies, de rivalités, d’appétits démesurés. Le monde en s’agrandissant fait croître les voracités. Cette époque fabuleuse c’est aussi le temps amer des avidités impérialistes, des inflammations nationalistes. L’Europe veut manger les autres continents. La petite Angleterre a un estomac gros comme deux continents, la France s’étale sur l’Afrique et jusqu’en Asie, l’Allemagne ne décolère pas. Les dragons fouettent l’air de leurs queues meurtrières. N’y pensons pas. Jamais l’art n’a été aussi fastueux. L’opéra nous enivre. Et voilà le cinématographe ! Naturellement la première chose qu’il fait, à cette époque où le Voyage est devenu la chose du monde la mieux partagée, c’est d’aller dans la Lune. Et si nous y allions ? Si nous cherchions la lune sur la terre ? De quoi aurait-elle l’air ?. Ce serait une île. Imaginons. On pourrait y tracer le modèle de l’humanité future. On dessinerait la démocratie idéale trois mille ans après Eschyle. Jaurès a bien dit dans son premier éditorial du 18 avril 1904 que « l’Humanité n’existe pas encore, ou bien elle existe à peine… » Il voulait parler de l’Humanité humaine, naturellement, l’humanité humaniste, l’humanité-égalité, justice, partage. L’Humanité ! « L’Humanité n’existe pas encore » mais elle viendra. Et Jaurès a dit : ou elle existe « à peine ». Eh bien, si cet « à peine », c’était nous. On prendrait la peine de la faire naître à peine, un peu, modestement, idéalement, scène par scène. Jusqu’où irons-nous ?! Plus loin que l’Inde, plus loin que le Chili et l’Argentine ! Aujourd’hui, nous sommes le 29 Juin 1914. Qu’est-ce qui pourrait nous arrêter ? Hélène Cixous, 16 octobre 2009 3 Les Naufragés du Fol Espoir : les répétitions Choix de notes entendues (notes d'Ariane Mnouchkine) … mars-oct. 09 2 mars : Entre stage et répétitions Ma stratégie va être de rester dans la forme que nous avons expérimenté la semaine dernière, le thème de ce petit stage de cinq jours va être le naufrage, l’île déserte, un bateau plein d’émigrants qui vont vers où ? — à vous de choisir — et n’y arrivent pas parce qu’ils font naufrage. Sur une île sans personne, avec d’autres îles autour, habitées celles-ci. Ce bateau est chargé de toute la société, une troupe de théâtre bien sûr, des brigands, des galériens, des fous, des voleurs, des capitalistes, des industriels, des doux idiots, des philosophes, des jeunes premiers, des jeunes premières comme s’il en pleuvait, des vieux premiers, des vieilles premières, des étrangers, des marchands chinois, indiens, des agriculteurs, tout cela, partis pour coloniser une terre pour eux nouvelle (…) Un bateau d’émigrants, pas une croisière, des gens qui partent parce qu’ils ont tous eu des malheurs chez eux, ou parce qu’ils ont un esprit d’aventure, ou de cupidité. Il y a de tout sur ce bateau, des enfants, des hommes, des femmes, des vieux, des pauvres, des riches, des ruinés, des galériens, des anarchistes… 18 mars – L’épopée des pionniers: Il y les pionniers du cinéma, et les pionniers de cette aventure au bout du monde... C’est décrit dans tous les livres sur l’époque, ils comprenaient qu’ils assistaient à la naissance d’un nouvel art. Il n’y avait rien d’autre que la magie, la découverte. Ils inventaient le cinéma. 8 avril – La genèse : Ce qui est intéressant c’est que la Magellanie raconte la naissance d’un pays, alors qu’ils sont à l’aube de la fin d’un monde. (…) Et il faut faire ce film, en trois jours... 30 avril – Les choix : Ils ne tourneront de la Magellanie que les épisodes essentiels, ce qui est virtuel dans le roman, ce qu’on sent que Jules Verne a voulu faire. Ils ne veulent tourner que ce qui est politique. 21 mai – Le bruit des ondes : Il y a la musique de Jean-Jacques dont vous pouvez en entendre l’onde longue, et dont vous devez aussi en entendre la vibration intérieure, le miroitement, le scintillement… 21 mai – L’embarquement : C’est un départ. Il y a une foule, il y a mille personnes qui partent et tout à coup la caméra focalise sur une pauvre famille blême de terreur, il y a un malheur qui se prépare là… Cette famille, du coup, elle représente beaucoup de choses, et finalement va représenter toute l’immigration, la séparation, le désespoir. Au départ, ils quittent des gens très chers, puis le cœur de l’aventure leur donnera l’envie de se retourner vers l’avenir. 27 mai – Comme au carnaval : Une mise en abyme doublée, voire triplée : l’acteur du Soleil qui joue un acteur de chez LaPalette qui joue un personnage de la Magellanie qui joue une farce sur le bateau... 4, 16 juin – La vitalité de la Belle Epoque : C’est quelque chose qui va revenir dans mes demandes, l’énergie de l’époque... Malgré cette misère, à travers cette lutte, ils ont la gaieté de l’esprit, parce que certains croient en Dieu, d’autres croient en l’avenir, d’autres au socialisme. Ils ont un avenir… Les réactionnaires aussi, les capitalistes aussi, les colonialistes aussi hélas ont tout un avenir qui s’ouvre devant eux... 4, 10 août - Sur le chemin d’une grande découverte: Ils sont tous des expérimentateurs. Ils cherchent. Ils découvrent, ils inventent, ils expérimentent, c’est plus grand qu’eux. Ce qu’ils font avec leur misérable petit bout de fil, de drap, de glaçon, c’est plus grand qu’eux et c’est cela qui les tient tous ensemble comme sur un tapis volant... 10 août – Faire un Jules Verne : Nous ne faisons pas un Shakespeare, ni un Tchekhov, nous faisons un Jules Verne, nous faisons une épopée où les personnages sont là pour raconter une histoire. Il y a une histoire édifiante, une utopie, un rêve (…) il y a une histoire qui nous donne les moyens de raconter de façon innocente un rêve historico-politique, et de ré-insuffler de l’émotion dedans (…) Quand je vois ces mots et ces êtres dans un bateau de bric et de broc avec de la neige en papier, ça me raconte tout le début du XXème siècle. (…) Comment ces gens si simples, si populaires, si confiants dans l’art du cinéma, et nous dans l’art du théâtre, comment osent-ils faire une chose comme ça, lancer des boules de neige en papier avec une soie levée sur des poulies pour faire une tempête ? 11 août – Mises en abîme : Je veux savoir si je demande quelque chose de trop compliqué. Tout le monde cherche, tout le monde rêve, les personnages de la Magellanie se disent « on crée le monde nouveau », au studio ils se disent « on crée le cinéma nouveau », et nous on se dit « on crée le théâtre nouveau » (rires). (…) La tension est dans le voyage. Ils filment un voyage, ils font un voyage vers l’avenir, vers le cinéma. La tension c’est « est-ce que Lapalette a le bon cadre ? » Ils sont tous sur le bord de la falaise et nous sommes au bord de l’envol. 25 août – Un spectacle politique : Je pense qu’actuellement le spectacle le plus politique qu’on puisse faire, c’est un spectacle qui rende un peu de joie, de croyance, d’enthousiasme, de clarté, d’espoir en l’être humain. Il n’y a rien d’autre à dire que cela aujourd’hui, et pour cela, oui, c’est du corps. 4 Les Naufragés du Fol Espoir : Chronologie succinte 1520 - Magellan découvre enfin le passage qui portera son nom, prouvant la rotondité de la Terre. 1830 - Découverte du canal de Beagle (d'après le nom du bateau anglais qui le découvre au cours d'une expédition océanographique) 1833 - Sur le même bateau, Charles Darwin navigue sur le canal de Beagle et y trouve son inspiration pour sa théorie de l'évolution. 1877 -Thomas Edison dépose le brevet du phonographe 1878 - Eadweard Muybridge invente le mouvement cinématographique (24 images seconde). C'est lui, le véritable inventeur du cinéma 1881 - Traité Chili-Argentine se partageant la Patagonie. Fin éphémère d'une querelle sans fin. 1889 (janvier) Assassinat de Rodolphe de Habsbourg et Maria Vetsera à Mayerling 1890 - Disparition mystérieuse de Jean de Habsbourg 1895 ( 28 décembre) Naissance du cinéma: 1ère projection publique d'un film, à Paris, par les Frères Lumière 1897 Jules Verne écrit le manuscrit qui deviendra Les Naufragés du Jonathan 1914 (29 juin) Assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo 1914 (31 juillet) Assassinat de Jaurès au Café du Croissant à Paris 1914 (3 août) L’Allemagne déclare la guerre à la France 1924 Blaise Cendrars écrit L'Or 1928 1er film parlant 1946-1947 -José Emperaire effectue le dernier voyage d'étude sur les indiens Alakaluf, qu’il appelle les "nomades de la mer" alors en voie de disparition, aujourd'hui totalement disparus. Les Naufragés du Fol Espoir : un hommage aux pionniers du cinéma « Comme autant d'enfants inventant des jeux inédits, nous bricolions quotidiennement ce jouet tout neuf qui était alors le cinéma... Notre seule ambition était de montrer des choses aux gens. Et pourtant puisque j'évoque les événements qui ont salué, au début de ce siècle, les premiers pas du cinéma, j'avais quant à moi des semelles trouées et pas d'argent pour les faire réparer. Pendant dix ans , j'aurai vécu misérablement, tremblant souvent de froid ou mouillant ma chemise de transpiration, et l'estomac toujours vide... » David Griffith. Griffith (1875 – 1948). D'abord acteur de théâtre, il se tourne vers le cinéma. Entre 1908 et 1914, Griffith va tourner plusieurs centaines de films. Il utilisera le principe du travelling, crée un véritable suspense dans l'action dramatique et fait des recherches fondamentales sur l'éclairage et l'utillisation du gros plan. Son influence gigantesque avait fait dire à Eisenstein « c'est Dieu le père, il a tout crée, tout inventé. Il n'y a pas un cinéaste au monde qui ne lui doive quelque chose. Quant à moi, je lui dois tout ». Les Naufragés du Fol Espoir : une mise en scène en abîme Extrait d'une note de répétition 11 août – Mises en abîme Je veux savoir si je demande quelque chose de trop compliqué. Tout le monde cherche, tout le monde rêve, les personnages de la Magellanie se disent « on crée le monde nouveau », au studio ils se disent « on crée le cinéma nouveau », et nous on se dit « on crée le théâtre nouveau » (rires). (…) La tension est dans le voyage. Ils filment un voyage, ils font un voyage vers l’avenir, vers le cinéma. La tension c’est « est-ce que Lapalette a le bon cadre ? » Ils sont tous sur le bord de la falaise et nous sommes au bord de l’envol... Ariane Mnouchkine 5 Le Théâtre du Soleil : le théâtre ou la vie Rencontre avec Ariane Mnouchkine. Extraits de l'entretien réalisé le 7 avril 1984. Le Théâtre du Soleil est une aventure à bien des égards. D’abord faire du théâtre, c’est une aventure, parce qu’on ne sait pas ce que c’est. D’une certaine façon, on ne sait ce que c’est que le théâtre que lorsque on en voit, quand il éclate sur scène... Un comédien, comme tout artiste, est un explorateur ; c’est quelqu’un qui, armé ou désarmé, plus souvent désarmé qu’armé, s’avance dans un tunnel très long, très profond, très étrange, très noir parfois, et qui, tel un mineur, ramène des cailloux : parmi ces cailloux, il va devoir trouver et tailler le diamant. Je crois que c’est cela que les comédiens appellent “l’aventure”. En tout cas, c’est ce que moi j’appelle l’aventure. Descendre dans l’âme des être, d’une société, et en revenir, c’est la première partie de l’aventure. La deuxième partie de l’aventure, c’est quand il s’agit de tailler les diamants sans les casser ; trouver dans le caillou la forme originelle du diamant.Et puis il y a l’aventure de ce “bateau-ci”, le nôtre, le Soleil ; c’est une aventure parce que c’est très beau, parce que c’est très dur, parce que c’est très fragile. L’aventure de ce "bateau-ci" La troupe actuelle est assez jeune ; ils ont, pour la plupart, toutes les forces de la jeunesse, et aussi ses “baisses de tension”. Pour un acteur ou une actrice, son âme, son coeur, son corps, sont ses outils de travail. “Où va-t-il chercher tout ça ?”, comme on dit, si ce n’est en lui-même ? Evidemment il va chercher dans l’observation des autres ; mais pour être capable d’observer les autres avec générosité, avec compassion, avec amour, il faut s’ouvrir. Je disais tout à l’heure : “les visions il faut savoir les recevoir”. Il faut être encore plus généreux pour recevoir que pour donner. Je crois que pour un acteur, c’est une nécessité poussée à l’extrême.... Mais si l’on ne reçoit pas, ne serait-ce que la sensation de ce miracle qu’est le moment du théâtre, si, quand un acteur rentre en scène, il ne sent pas à quel point ce moment est rare, privilégié, miraculeux, je crois qu’il n’est pas fait pour ce métier. Jouer vraiment au roi, jouer vraiment à la reine Quant à l’enfance, oui, je crois qu’il faut jouer comme des enfants. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire, d’abord, y croire, aussi simplement que cela : jouer vraiment au roi, jouer vraiment à la reine. Une des données du jeu, du théâtre, c’est le plaisir, la joie d’être là, la joie de se transformer, de s’habiller, de se déguiser, d’être aimé, de savoir que pendant quatre heures, on va répondre à un besoin. Et ce besoin est réciproque. Le théâtre rend visible la douleur, rend visible l’amour, la peur, l’interrogation, la mort, la haine, le pouvoir. Le poète rend visible l’invisible, rend sensible l’oublié, rend concret. Le théâtre, c’est pareil ; je vois une différence dans les moyens, pas plus. Le théâtre rend visible la douleur, rend visible l’amour, rend visible la peur, l’interrogation, la mort, la haine, le pouvoir Dans le rapport que tu as aux comédiens, est-ce que tu as l’impression d’assister à des naissances, de les conduire, de les pousser ? Est-ce que tu a des joies de naissances ? Absolument. On assiste à des naissances : il y a des naissances rapides, foudroyantes, flamboyantes, et il y a des naissances peut-être encore plus émouvantes : des naissances qui se sont fait très longtemps attendre. Tout d’un coup, enfin tu sens qu’il ou elle va commencer à jouer. Et puis il y a les naissances de ceux qui sont déjà nés, et qui renaissent tous les matins, tous les jours, tout le temps, et qui me surprennent tout le temps ; ça c’est très beau aussi ; oui, bien sûr, je savais qu’il était “capable de”, mais il me surprend parce qu’il va plus loin... Lorsque les acteurs n’arrivent pas à trouver un rôle, pendant une longue période, n’y a-t-il pas tension ? C’est le problème. Le problème, c’est quand quelqu’un ne trouve pas sa place. Il est inévitable qu’il y ait des moments où certains ne se trouvent pas à leur place parce qu’ils ne jouent pas ; alors il y a ceux qui ont suffisamment de force, de réflexion, d’humilité, peut-être aussi de tendresse vis à vis du public, pour accepter cela comme une période, comme une épreuve, et y trouver quand même du plaisir... A un certain moment, le comédien ou la comédienne sont seuls. A eux de jouer : ou il y a un son qui sort de leur instrument ; et on peut se mettre à travailler, ou il n’y a pas de son. Un professeur de violon disait : “Moi je ne peux commencer à enseigner le violon qu’à quelqu’un qui fait un son sur son violon... tant qu’il tape dessus, je ne peux pas ! Ce n’est pas moi, ce ne sont pas mes doigts !” Quand quelqu’un commence à estimer que la place qui lui est donnée n’est pas celle qu’il devrait avoir, il y a Drame avec un grand “D”. Entretien réalisé le 7 avril 1984. "Le théâtre ou la vie", Fruits, n°2/3 ("En plein soleil"), juin 1984, pp. 200-223 6 Le Théâtre du Soleil : la musique Rencontre avec Jean-Jacques Lemêtre, musicien Extraits de l'entretien réalisé en octobre 2003. Je suis arrivé au Théâtre du Soleil en 1979, sans rien connaître au théâtre. Je sortais d’un conservatoire et de la tradition orale, du jazz, du free-jazz, du folklore, des bals... J’y introduisais mes influences tsiganes et j’ai cherché du côté des instruments traditionnels venant du monde entier. La très grande majorité des théâtres orientaux sont non seulement accompagnés de musique, mais les acteurs, les actrices, les danseurs et les danseuses commencent par travailler la musique avant de travailler leur texte. S’imprégner pour transposer Mon travail consiste à écouter beaucoup de ces musiques, à en percevoir les sources, puis à les transposer et à expliquer aux camarades qui jouent avec moi les principes fondamentaux qui peuvent nous guider. Dans les spectacles, je mêle des instruments authentiques, des instruments que j’ai fabriqués. Une improvisation contrôlée Au Théâtre du Soleil, nous avons redécouvert le corps dans le travail des lois sur le mouvement et la parole. Dans notre culture européenne, on se souciait assez peu du corps de l’acteur (on s’en soucie un peu plus aujourd’hui). On ne considérait pas qu’un corps faisait des phrases, des membres de phrase, avec des césures, comme une langue. Les mots de la langue sont liés au corps. Dans la vie courante, on bouge et l’on parle naturellement, sans se poser de questions. Mais dès que l’on se met à jouer, que l’on invente sur le plateau, on fait mille gestes pour s’asseoir tout en parlant. Du coup, le spectateur n’entend et ne voit plus rien. Si un comédien doit s’asseoir sur un trône, il doit suivre ces quelques règles : " tu ne bouges pas en parlant, tu ne parles pas en bougeant ", " tu vas jusqu’au bout de ton mouvement. Et je le ponctue par un arrêt "... Je joue sur le corps de l’actrice ou de l’acteur, sur son rythme. C’est de l’improvisation contrôlée. Mon travail est de sentir le rythme de sa marche, car toute marche est asymétrique. Elle n’est jamais régulière, sauf dans l’armée... Si je mets l’acteur dans un rythme régulier, au bout de dix pas, nous ne sommes plus ensemble ! Une musique qui raconte Je fonctionne avec des images sonores.... Je fais office de destin, de dieu, d’élément : je suis l’air, l’eau, le feu... Je fais office de dessous et de dessus, je suis l’étoile qui clignote et qui regarde l’acteur. Tout cela, c’est le paysage. Je suis aussi la musique émotionnelle du personnage, sa petite musique intérieure. A certains moments, cette musique anticipe sur le destin du personnage. Le spectateur la reçoit. Sans qu’il ne s’en rende compte encore, elle le prévient comme une messagère.. Entretien réalisé par Jean-Claude Lallias en octobre 2003. Le Théâtre du Soleil : les costumes Rencontre avec Nathalie Thomas, costumière. Extrait d'un entretien. 1992 Je suis responsable des costumes depuis dix ans. J’ai également travaillé pour d’autres théâtres. Dans les autres théâtres, les costumes, après discussion avec le metteur en scène, sont choisis et fixés en général une fois pour toutes. On les dessine, on réalise des maquettes et on exécute à partir de là. Au Théâtre du Soleil, je ne fais ni dessins ni maquettes. Et les costumes sont toujours susceptibles d’évoluer. En fait, je travaille dans l’incertitude. Comment les costumes s’élaborent-ils alors ? Ils sont le résultat d’un travail collectif. Il y a une interaction permanente entre Ariane Mnouchkine, les comédiens et moi. Pour chaque nouveau spectacle, au début des répétitions, on commence par prendre plein de costumes des anciennes mises en scène. On les apporte dans la salle et, là, les comédiens mettent ce qu’ils veulent, telle jupe, telle tunique, tel pantalon, en totale liberté, au gré de leur improvisation. C’est au fur et à mesure de leur travail que les costumes prennent forme. Ils peuvent changer jusqu’à la veille de la première. Moi je m’ajuste au fil de la création tout en rapportant aussi mes réflexions. C’est l’imaginaire qui prime tout au long du travail. J’interviens pour le choix des teintes : on explore des gammes et très souvent on a recours à la teinture. Car, dans le commerce, les teintes que nous désirons sont souvent introuvables. Cela donne des couleurs " spécial Soleil ", réalisées expressément pour nous.On utilise beaucoup la soie, le lin aussi et parfois du drap.C’est aussi cela la richesse d’une mise en scène, cette capacité à faire jouer l’imagination des spectateurs. 7 Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil Ariane Mnouchkine est metteur en scène et directrice de la troupe du Théâtre du Soleil qu'elle fonde en 1964 avec ses compagnons de l'ATEP (Association Théâtrale des Etudiants de Paris). La troupe qui élit domicile aux portes de Paris (ancienne Cartoucherie de Vincennes) invente de nouveaux fonctionnements et privilégie le travail collectif. Le but est dès cette époque (qui précède 1968) d'établir de nouveaux rapports avec le public et de se distinguer du théâtre bourgeois pour faire un théâtre populaire de qualité. La troupe est devenue dès les années 1970, une des troupes majeures en France et dans le monde, tant par le nombre d'artistes qu'elle abrite (plus de 70 personnes à l'année) que par son rayonnement international. Attachée à la notion de « troupe de théâtre » semblable à une tribu ou à une famille, Ariane Mnouchkine fonde l'éthique du groupe sur des règles élémentaires: tout corps de métier confondu, chacun reçoit le même salaire, et sur le plateau, la distribution définitive ne se décide qu'après que plusieurs comédiens se soient exercés aux différents rôles. Le parcours du Théâtre du Soleil est marqué par une interrogation constante sur la place du théâtre et sa capacité à représenter l'époque actuelle. Cet engagement à traiter des grandes questions politiques et humaines, traités sous un un angle universel, se mêle à la recherche de grandes formes de récits, à la confluence des arts de l'Orient et de l'Occident. Repères chronologiques 1964 – 1970 LES PETITS BOURGEOIS de Maxime Gorki en 1964, CAPITAINE FRACASSE d'après Théophile Gautier en 1965, LA CUISINE d'Arnold Wesker en 1967, LE SONGE D'UNE NUIT D'ETE de Shakespeare en 1968, LES CLOWNS en 1969 (tournées au Festival d 'Avignon et en Italie). 1970 -1980 «1789 » création collective sur la Révolution Française en 1970, puis « 1793 » (tournées en France, à Berlin, Londres, Belgrade), 384 000 spectateurs. L'AGE D'OR en 1975, création collective qui cherche à raconter avec les masques de la Commédia dell'Arte notre monde contemporain (tournées à Varsovie, Venise, Milan), 136 000 spectateurs. En 1977 Ariane Mnouchkine réalise le film MOLIERE avec les comédiens du Théâtre du Soleil (le film a été présenté au cinéma « Balzac » pour les élèves des niveaux 4ème et 3ème lors d'une rencontre avec des comédiens). MEPHISTO en 1979 d'après Klaus Mann (tournées en France, au Festival d'Avignon, Rome, Berlin, Munich), 160 000 spectateurs. 1981 -1998 RICHARD II en 1981, LA NUIT DES ROIS en 1982 et HENRI IV en 1984 (Festival d'Avignon, Munich, Los Angeles, Berlin), 253 000 spectateurs, dont 80 élève du collège Bauchant. L'HISTOIRE TERRIBLE MAIS INACHEVEE DE NORODOM SIHANOUK, ROI DU CAMBODGE en 1985, pièce écrite par Hélène Cixous (spectacle vu par 25 élèves du collège) puis L'INDIADE en 1987 (spectacle vu par 250 élèves du collège). IPHIGENIE A AULIS d'Euripide en 1990 puis L'ORESTIE d'Eschyle (AGAMEMNON en 1990, LES CHOEPHORES en 1991, LES EUMENIDES en 1992. (tournée en France, et à Amsterdam, Sicile, Berlin, Montréal, New York, Vienne), 287 000 spectateurs, dont 75 élèves du collège. LA VILLE PARJURE de Hélène Cixous en 1994. TARTUFFE de Molière en 1995 (Festival d'Avignon,tournée à Vienne Copenhague, Berlin), 122 000 spectateurs, dont 120 élèves du collège et du lycée Beauregard .ET SOUDAIN DES NUITS D'EVEIL en 1997, création collective, avec Hélène Cixous. 1999 – 2006 TAMBOUR SUR LA DIGUE de Hélène Cixous en 1999 (tournée à Bâle, Anvers, Montréal, Tokyo, Séoul, Sydney), 150 000 spectateurs, dont 50 élèves du collège. LE DERNIER CARAVANSERAIL en 2003, spectacle en deux volets qui relate les destins des réfugiés de par le monde. (Festival d'Avignon, tournées à Rome, Berlin, New York, Melbourne, Athène) 185 000 spectateurs, dont 25 élèves du collège. LES EPHEMERES en 2006, spectacles en deux parties (Festival d'Avignon, tournée à Athènes, Buenos Aires, Porto Allegre, Sao Paolo, Vienne, New York) 145 000 spectateurs, dont 55 élèves du collège. Le film sera diffusé sur ARTE. En février 2010, le Théâtre du Soleil créera son nouveau spectacle Les Naufragés du Fol Espoir 8 L'Europe à la veille de la Première Guerre mondiale, par Stefan Zweig (1881 -1942) Pacifiste convaincu, Stefan Zweig quitta l'Autriche pour l'Angleterre en 1934 puis il s'établit au Brésil. L'optimisme... « Quarante années de paix avaient fortifié l'organisme économique des pays, la technique avait accéléré le rythme de l'existence, les découvertes scientifiques avaient empli de fierté l'esprit de cette génération ; un essor commençait, qui se faisait presque également sentir dans tous les pays de notre Europe. Les villes devenaient plus belles et plus populeuses d'année en année, le Berlin de 1905 ne ressemblait plus à celui que j'avais connu en 1901, et le Berlin de 1910, à son tour, le dépassait de beaucoup. Chaque fois que l'on revenait à Vienne, à Milan, à Paris, à Londres, à Amsterdam, on était étonné et comblé de joie. Les rues se faisaient plus larges, plus fastueuses, les bâtiments publics plus imposants, les magasins étaient plus luxueux et aménagés avec plus de goût... Même nous, les écrivains, le remarquions à nos tirages qui, en ce seul espace de dix années, avaient triplé, quintuplé, décuplé. Partout s'ouvraient de nouveaux théâtres, de nouvelles bibliothèques, de nouveaux musées. Partout on allait de l'avant... Une merveilleuse insouciance avait ainsi gagné le monde, car enfin qu'est-ce qui aurait bien pu interrompre cette ascension, entraver cet essor qui tirait sans cesse de nouvelles forces de son propre élan ? Jamais l'Europe n'avait été plus puissante, plus riche, plus belle, jamais elle n'avait cru plus intimement à un avenir encore meilleur. Et le côté obscur... " Mais ce qui nous rendait si heureux recelait en même temps un danger que nous ne soupçonnions pas. La tempête de fierté et de confiance qui soufflait alors sur l'Europe charriait aussi des nuages. L'essor avait peut-être été trop rapide. Les États, les villes avaient acquis trop vite leur puissance, et le sentiment de leur force incite toujours les hommes, comme les États, à en user ou à en abuser... Car chacun se flattait qu'à la dernière minute l'autre prendrait peur et reculerait... La guerre allait-elle vraiment nous assaillir sans que nous sachions pourquoi ni dans quel dessein ? Lentement - beaucoup trop lentement, beaucoup trop timidement, comme nous le savons aujourd'hui ! - les forces opposées à la guerre se rassemblaient. Il y avait le parti socialiste, des millions d'êtres de ce côté de la frontière, des millions de l'autre côté... et nous aussi, nous étions dans les rangs des ennemis de la guerre, nous autres écrivains, mais toujours isolés dans notre individualisme, au lieu d'être unis et résolus. L'attitude de la plupart des intellectuels était malheureusement celle de l'indifférence passive, car par la faute de notre optimisme, le problème de la guerre, avec toutes ses conséquences morales, n'était absolument pas entré dans notre horizon intérieur." Stefan Zweig Jean Jaurès (1859 -1914) Dirigeant politique important, Jean Jaurès prononça des discours restés célèbres. En 1902 il participe à la fondation du Parti socialiste français et en 1904 il fonde le quotidien l'Humanité. Il est assassiné à Paris par un militant nationaliste, le 31 juillet 1914. Lyon, 25 juillet 1914. Extrait du dernier discours Citoyens, Je veux vous dire ce soir que jamais nous n'avons été, que jamais depuis quarante ans l'Europe n'a été dans une situation plus menaçante et plus tragique que celle où nous sommes à l'heure où j'ai la responsabilité de vous adresser la parole. Ah! citoyens, je ne veux pas forcer les couleurs sombres du tableau, je ne veux pas dire que la rupture diplomatique dont nous avons eu la nouvelle il y a une demie heure, entre l'Autriche et la Serbie, signifie nécessairement qu'une guerre entre l'Autriche et la Serbie va éclater et je ne dis pas que si la guerre éclate entre la Serbie et l'Autriche le conflit s'étendra nécessairement au reste de l'Europe, mais je dis que nous avons contre nous, contre la paix, contre la vie des hommes à l'heure actuelle, des chances terribles et contre lesquelles il faudra que les prolétaires de l'Europe tentent les efforts de solidarité suprême qu'ils pourront tenter... Eh bien! citoyens, dans l'obscurité qui nous environne, dans l'incertitude profonde où nous sommes de ce que sera demain, je ne veux prononcer aucune parole téméraire, j'espère encore malgré tout qu'en raison même de l'énormité du désastre dont nous sommes menacés, à la dernière minute, les gouvernements se ressaisiront et que nous n'aurons pas à frémir d'horreur à la pensée du cataclysme qu'entraînerait aujourd'hui pour les hommes une guerre européenne... Jean Jaurès 9 Les Naufragés du Fol Espoir : lectures essentielles Faire du cinéma Lectures Georges Méliès, Georges Sadoul (Cinéma Aujourd’hui, Seghers) Histoire générale du cinéma, tome 2 : Les pionniers du cinéma, Georges Sadoul (Denoël) Documentation photographique Cinématographe, invention du siècle, Emmanuelle Toulet (Découvertes Gallimard) Films Le lys brisé (1918), A travers l’orage (1920), Griffith La croisière du Navigateur (1924), Le Figurant (1929), Keaton L’Aurore, Murnau (1927). Napoléon, Gance (1927). La petite marchande d’allumettes, Renoir (1928) La troupe, la bande LaPalette Lectures Registres du Vieux Colombier I, Jacques Copeau (Gallimard). Ma vie, mes films, Jean Renoir (Champs Flammarion). Le cinéma, Mr Griffith et moi, Lilian Gish (Ramsay poche cinéma) Les idées Lectures Ecrits politiques, Victor Hugo (Le livre de poche). Le monde d’hier, Stefan Zweig (Seuil) Le socialisme en France et en Europe (XIXème-XXème siècle), Michel Winock (Points Seuil Histoire) Histoire de l’anarchisme, Jean Préposiet (Tallandier) La guerre Lectures L’année 14, Jean-Jacques Becker (Armand Colin) La France en guerre, 1914-1918, Jean-Jacques Becker (Editions Complexe) La Sainte face, Elie Faure (Bartillat) La Magellanie En Magellanie, Jules Verne (Folio) Le naufrage Lectures Typhon, Joseph Conrad (Gallimard) L’homme qui rit, Victor Hugo (Gallimard). Les Travailleurs de la Mer, Victor Hugo (Gallimard) Le bateau dans les glaces Lectures Journal de mon expédition au Pôle sud, Robert Falcon Scott (L ‘école des loisirs) L’odyssée de l’Endurance, Ernest Shackleton (Petite Bibliothèque Payot) Documentation photographique Le grand défi des pôles (Découvertes Gallimard) Films L’éternel silence (film sur expédition de Scott). South (film sur expédition de Schackleton) Les Indiens Lectures Qui se souvient des hommes, Jean Raspail (Robert Laffont) Quand le soleil voulait tuer la lune, Anne Chapman (Metailié) L’or Lectures Cavalier seul, Patricio Manns (Phébus) Documentation photographique: La fièvre de l’or (Découvertes Gallimard) 10 "Les Naufragés", quel voyage ! Quel voyage ! Quand vous sortez du Théâtre du Soleil, après avoir vu les quatre heures des Naufragés du Fol Espoir, vous êtes secoué, pensif et comblé, comme après une lecture qui vous a emmené dans une enfance ouverte à tous les vents du voyage, au bout du monde et de l'utopie, avec "de l'inconnu, de l'amour, de l'aventure, de l'ambition, du danger, de l'amitié", comme l'annonce le programme. Mais il y a beaucoup plus : ce sentiment de bonheur extraordinaire que donne le théâtre quand il est porté par un élan collectif comme celui du Soleil. Un élan capable de tout réinventer devant les spectateurs, l'enfance de l'art, le mouvement de la vie, l'envol des idées, et des images, des images, mamma mia !, aussi belles que celles de Jules Verne, dont la lecture a inspiré le spectacle d'Ariane Mnouchkine. Les Naufragés du Fol Espoir empruntent leur titre aux Naufragés du "Jonathan", un roman difficilement trouvable (sauf par Internet), signé Jules Verne mais écrit par son fils Michel, d'après En Magellanie (Folio n° 3201), un manuscrit laissé par son père à sa mort, en 1905, et jugé trop noir par l'éditeur Hetzel. Ariane Mnouchkine et Hélène Cixous, coauteur du spectacle, se sont inspirées de ces deux livres, tout en puisant aussi dans Le Phare du bout du monde (Folio n° 4036). Mais le spectacle est totalement celui de la troupe, qui navigue entre la Terre de Feu et une guinguette bien française, Le Fol Espoir, le 29 juin 1914. "Jamais jour n'avait été aussi lumineux !", dit une voix off. Eh oui, rien ne semble alors devoir arrêter le progrès : chaque jour apporte son lot de nouveautés - zeppelin, chemin de fer, téléphone, gramophone et cinéma, cet art naissant dont est fou Félix, le patron du Fol Espoir. Cet homme enthousiaste prête le grenier de sa guinguette à Jean, qui veut réaliser un film. Jean ne doute pas que l'art a sa part dans le grand mouvement vers l'avenir, où l'espoir de la fraternité s'ouvre aux nouvelles générations. Il se lance dans son entreprise : tourner l'histoire d'émigrants partis en bateau de Cardiff, en 1895, pour rejoindre l'Australie, et échoués en Terre de Feu, dans un désert d'eau et de glace. Ainsi, le plateau du Soleil est porté par un double mouvement, liant le théâtre et le cinéma. Et c'est merveille de voir comment tout cela s'agence et avance. Il n'y a rien dans le grenier de la guinguette. Il faut bricoler des décors, trouver les comédiens, dompter la technique. Tout le monde s'y met, accrochant des filins à des poulies, tirant des décors peints, inventant mille astuces. La première scène montre Rodolphe de Habsbourg dans le pavillon de chasse de Mayerling, en Autriche, en 1889. Il est assassiné à cause de son credo révolutionnaire, qu'il partage avec son ami Jean Salvator : "Au XXe siècle, il y aura une nation extraordinaire, elle s'appellera l'Europe. Deux siècles plus tard, elle s'appellera l'Humanité." Jean Salvator échappe aux meurtriers de Rodolphe. On le retrouvera en Terre de Feu, où se croisent des utopistes et des requins capitalistes, des missionnaires et de pauvres hères, des amoureux et des solitaires, sur cette terre des Indiens Alakalufs menacés par la cupidité des colonisateurs. C'est fou tout ce qu'on traversera, dans cette épopée tournée en France au moment où l'Europe bascule. Au fil des jours, la vie devient électrique dans le grenier où le temps presse : la guerre est déclarée le 3 août 1914, et le film n'est pas terminé. Voilà tout ce que raconte le spectacle du Soleil, qui revendique l'innocence et donne autant que les rêves peuvent imaginer : les vagues furieuses du cap Horn, des tempêtes de neige et des scènes d'aventure restituées avec une invention et une beauté à couper le souffle, des moments graves et d'autres burlesques. Mais, plus fort que tout, il y a cet esprit de troupe porté par le désir de ne jamais renoncer. En ce sens, Les Naufragés du Fol Espoir racontent aussi l'histoire du Théâtre du Soleil, qui fête ses quarante-cinq ans. Là aussi, quel voyage ! « Le Monde » 16 février 2010 11 La Belle Epoque du Soleil Sitôt le seuil franchi, d’un siècle on rajeunit. Le Théâtre du Soleil a toujours eu à cœur de repousser les frontières de la représentation. Chez Ariane Mnouchkine, le spectacle commence hors de la salle et bien avant l’heure. Le hall est redécoré pour chaque nouvelle production, les acteurs se mêlent au public, servent au bar ; les loges sont ouvertes, on assiste au maquillage ou aux derniers essayages. Dans les Naufragés du Fol Espoir, la reconstitution de la Belle Epoque est particulièrement réussie. Avant le début de la pièce, on déambule dans un Paris 1900 qui tient du pavillon d’exposition universelle et de la brasserie des grands boulevards. Aux murs, les publicités alternent avec des reproductions de gravures de livres de Jules Verne publiés aux éditions Hetzel. On est au temps de l’aéroplane et du cinématographe, des garçons de café à moustache et des chapeaux à voilette, des siphons et des bocks de bière. Le «Fol Espoir» inscrit au fronton du théâtre est une guinguette des bords de la Marne, qui abrite une salle de projection. Y règne Monsieur Félix, négrillon clownesque féru de cinéma. Qui va mettre l’établissement et le personnel à la disposition d’une équipe de tournage en mal de studio et de figurants. Nous sommes à l’été 1914 et la représentation avance sur deux niveaux : l’histoire (l’Europe à la veille de la guerre) et la fiction (le film qui se tourne, adapté d’un récit de Jules Verne). Et c’est à la poursuite d’une double utopie, théâtrale et politique, que la troupe du Soleil convie les spectateurs. Dont certains se sentiront rajeunir non d’un siècle, mais de trente ans au moins. Les Naufragés du Fol Espoir reprend le fil des spectacles qui, au long des années 70, firent la gloire de la compagnie créée par Ariane Mnouchkine (1789,1793, l’Age d’or). Les références esthétiques ne diffèrent guère (si l’on admet que le cinéma muet est une forme de théâtre masqué), les ambitions politiques non plus (il s’agit à nouveau de donner corps à l’idée de communauté révolutionnaire). Le film que tournent Jean La Palette et son infatigable sœur Gabrielle (clone hilarant d’Ariane Mnouchkine) est l’histoire d’un voyage vers un monde meilleur. Sur le navire où ils embarquent pour l’Australie, la lutte de classes fait rage entre les émigrants de fond de cale et les passagers de première classe. Le naufrage en Terre de Feu fera d’eux les pionniers d’une république socialiste qu’ils tentent d’instaurer sur l’île Hoste, à une encablure du cap Horn. Les espoirs et les échecs des personnages du film font écho à la vraie histoire. L’été 1914 est radieux, le tournage du film joyeux : comment croire à la guerre alors qu’on fait l’expérience de l’humanité triomphante ? Le spectacle embarque le public sur le bateau d’un bonheur collectif d’autant plus précieux que menacé. Il le fait sur le ton de l’épopée comique et de la complicité. Les fans sont ravis comme rarement, et les allergiques au catéchisme constatent avec soulagement l’abandon presque total du ton prêchi-prêcha qui transformait souvent pour eux les projets du Soleil en épreuve. L’immersion dans le film en train de se faire est particulièrement réussie, avec des changements de décor virtuoses et touchants, tout un déploiement de machinerie artisanale et désuète, avec des gags récurrents : les ventilateurs poussifs qui ne brassent rien, la même mouette que l’on ressort à toutes les latitudes et divers trucages dérisoires et épatants, proches de l’univers poético-déglingué de Royal de Luxe. Les mauvaises langues relèveront que les acteurs sont plus convaincants muets que quand ils ouvrent la bouche ; mais c’est d’autant moins grave que les tableaux du film occupent la plus grande part. D’autres trouveront que la musique de Jean-Jacques Lemêtre n’y va pas, une fois de plus, avec le dos de la cymbale, continuellement appliquée à souligner et à plaire. Mais elle aussi remplit son rôle «d’époque» : une illustration qui brasse large, de l’Internationale à la Traviata. L’assassinat de Jaurès, le 31 juillet 1914, sonne le glas du «Fol Espoir». Mais l’équipe de tournage a eu le temps d’achever le film et de rêver. De parier sur l’avenir. « Libération » 19 février 2010 12