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École supérieure Estienne des arts et industries graphiques Création d’un ensemble de caractères destinés à l’édition bilingue franco-arménienne Diplôme supérieur d’arts appliqués Création typographique Promotion 2005-2007 Une typographie de diaspora EXOTISME FAMILIER Claire Agopian Exotisme familier, une typographie de diaspora Création d’un ensemble de caractères destinés à l’édition bilingue franco-arménienne Claire Agopian Diplôme supérieur d’arts appliqués Création typographique Promotion 2005-2007 École supérieure Estienne des arts et industries graphiques Avant-propos Exotique – Ce terme, employé plusieurs fois au cours de ce livret, est polysémique. Son premier sens renvoie à l’idée de ce qui provient d’un pays étranger et lointain et qui par conséquent se distingue des choses familières du quotidien. Son deuxième sens est typographique : les caractères exotiques désignent des fontes non latines. Familier – Il convient d’écarter toute connotation négative de ce terme. Son emploi dans ce livret note ce qui est ordinaire, habituel, connu. Les transcriptions latines des termes arméniens correspondent à la prononciation de l’arménien occidental. Toutefois, concernant les ouvrages publiés dans l’espace linguistique de l’arménien oriental, j’ai préféré noter la prononciation orientale. Les Arméniens possèdent un héritage de trois mille ans d’histoire écrite par l’une des plus anciennes civilisations au monde. Ses descendants sont installés en Arménie, mais surtout, partout ailleurs dans le monde. Aujourd’hui, dans les rues françaises, ce sont des noms sur les devantures d’épiceries orientales ou de magasins de prêt-à-porter : ce sont aussi des chefs d’entreprise, des footballeurs, des politiciens, des chanteurs. On les trouve partout, souvent trahis par leur patronyme finissant par « ian ». Je porte moi-même cet héritage, transmis par mon père. Et pourtant ma carte d’identité est bien française, et mes seuls liens avec ces origines arméniennes se sont longtemps résumés à des spécialités culinaires, des bribes de conversation en arménien entre mes grands-parents, un passé familial douloureux, quelques coutumes et un alphabet encadré, bien en vue dans le salon. Ces lettres me sont familières mais incompréhensibles. À quelques mots près, je ne lis pas l’arménien, je ne le parle pas, je ne le comprends pas. Mais cette ignorance a toujours été accompagnée d’un sentiment de culpabilité, qui a nourri une volonté de renouer avec mes origines. Cette situation, je la partage avec une grande partie de la nouvelle génération de la diaspora arménienne française. Depuis les premiers arrivants dans les années 1920 jusqu’à aujourd’hui, l’intégration des Arméniens les voue irrémédiablement à un abandon progressif de l’usage de leur langue. Mais entre les efforts menés par les deuxième et troisième générations pour préserver cette langue et cette culture et la soif de retour aux sources des plus jeunes, la bataille est loin d’être perdue. Si l’on change de point de vue, les descendants de la diaspora possèdent l’avantage de la mixité culturelle. Alliant au quotidien français les bribes d’un héritage arménien, les récits familiaux et l’imaginaire formé autour de la patrie perdue sont à l’origine d’une nouvelle culture riche et hybride. Comment cette situation peut-elle nourrir la création d’une nouvelle typographie arménienne ? Comment envisager la cohabitation de l’arménien et du français dans l’édition ? L’identité arménienne 9 11 12 17 La naissance d’un peuple La langue arménienne La fondation de l’identité nationale Entre Orient et Occident 19 La grande scission 19 Un peuple en diaspora 20 Une nouvelle patrie pour l’Arménie La typographie arménienne Les Arméniens une nation au singulier ? 9 41 L’héritage écrit et typographique 41 La naissance d’un système d’écriture 46 Les formes manuscrites 52 Les formes typographiques au plomb 61 La typographie dans les éditions arméniennes contemporaines 61 67 69 73 Une typographie à deux visages La question de l’italique Cohabitation de caractères latins et arméniens Translittération et transcription 23 La diaspora arménienne en France 75 Bilan 23 26 30 31 34 De l’installation à l’intégration De l’intégration à l’assimilation ? Lutter contre l’assimilation Vers une définition de la diaspora arménienne Une identité, des identités 77 Construction du projet 77 Sur quelles bases concevoir une typographie de diaspora ? 78 Quelles pistes de travail ? 79 Quels impératifs ? 39 Bilan 85 Conclusion 86 Bibliographie 91 Remerciements L’identité arménienne au singulier ? une nation Les Arméniens La naissance d’un peuple Selon la légende, le peuple arménien fut engendré par Haïk, le titan blond aux yeux clairs venu du Nord. Ainsi, les Arméniens se nomment eux-mêmes Hay et leur pays Hayastan. L’histoire répond au mythe puisqu’il y a environ trois millénaires, des Thraco-Phrygiens issus des Balkans profitent de la chute de Troie pour attaquer l’empire Hittite au cœur de l’Asie mineure et s’installer dans les vallées de l’Euphrate. Ce peuple est considéré comme l’ancêtre des Arméniens. Au début du vie siècle avant J.-C., ils franchissent l’Euphrate et se mêlent aux Ourartiens dans les vallées du futur plateau arménien, alors même que la brillante civilisation d’Ourartou qui unifiait les tribus hourrites succombe sous les coups des Mèdes. Les protoArméniens s’allient aux Perses pour repousser les attaquants, et avec le roi Tigrane l’ancien, la genèse du peuple arménien se poursuit dans le giron de l’Empire perse achéménide. La langue arménienne est imposée aux vaincus ourartiens et les deux peuples fusionnent pour donner naissance au pays dont le nom apparaît pour la première fois autour de 520 avant notre ère : l’Arménie. La civilisation iranienne imprègne le pays, avec notamment son vocabulaire social et administratif et la religion de Zoroastre. Mais en 331 avant J.-C., à la faveur de la défaite de l’Empire perse face aux troupes d’Alexandre, l’Arménie s’émancipe pour fonder le royaume d’Arménie, terrain où les influences iraniennes et hellènes se mêleront. 11 La langue arménienne Les Arméniens, une nation au singulier ? L’identité arménienne Carte du plateau arménien, L’Arménie à l’épreuve des siècles, Annie et Jean-Pierre Mahé, Découvertes Gallimard, Paris, 2005. L’Arménie historique n’a pas les mêmes frontières que la république d’Arménie actuelle, qui n’en est qu’une petite partie. Historiquement, le territoire de l’Arménie s’étendait sur 300 000 km2 aux confins du Caucase, de la Turquie et de la Perse (actuel Iran). 12 Son origine et son évolution Les Arméniens voient en leur pays, situé au pied de l’Ararat biblique, le lieu de renaissance de l’humanité après le grand déluge. Le mythe attribue à chacun des trois fils de Noé la paternité de grands peuples : Sem aurait engendré les Hébreux, les Arabes et les Syriens, Cham les Africains, et Japhet les Perses, les Indiens, les Grecs... et les Arméniens. Japhet est considéré comme étant l’arrière-grand-père de Haïk. Avec le grec, l’indien et l’arménien partagent bel et bien un même ancêtre : l’indo-européen, qui serait à l’origine d’une grande partie des langues de l’Europe et de l’Asie. L’arménien, qui émerge autour du viie siècle avant notre ère, est une des plus anciennes langues indo-européennes encore parlées de nos jours. Elle est issue de la famille thraco-phrygienne, mais elle diffère des autres langues de cette famille (la plupart ont aujourd’hui disparu) et des langues voisines du plateau arménien ou d’Asie Mineure. Au cours de son évolution, l’arménien n’a conservé qu’environ quatre cents mots hérités de la langue thraco-phrygienne, alors qu’il a intégré près d’un millier d’emprunts à l’iranien. On retrouve aussi quelques éléments issus du grec et du syriaque, acquis lorsque ces nations exerçaient leur influence sur l’Arménie, mais l’empreinte laissée est moindre. De plus, les divers emprunts ont ensuite été altérés pour se fondre dans la langue, et si l’on considère le fonds du lexique, les caractéristiques de la déclinaison, l’ordre des propositions, l’esprit même de la langue, l’arménien reste bien indo-européen. Avant le ve siècle où, pour la première fois, la langue arménienne est matérialisée par l’écriture, il est difficile de déterminer l’état exact de l’arménien. Avec son nouvel alphabet, l’arménien classique (grapar) se fixe pour la postérité. Extrêmement riche, clair, et très souple, il permet d’exprimer toutes les nuances de la pensée, au même titre que le grec ou le latin. Cette forme persiste aujourd’hui dans la liturgie arménienne. Comme toute langue, l’arménien a évolué au cours des siècles : la prononciation, le vocabulaire et la grammaire ont subi des changements importants. De l’arménien classique à l’arménien moderne 13 (achkharhapar) qui émerge à l’initiative d’intellectuels à la fin du xixe siècle, la langue a été synthétisée et simplifiée. Les deux branches de l’arménien Grâce à leur alphabet commun, l’unité linguistique subsiste jusqu’au viiie siècle entre les régions occidentales et orientales de l’Arménie, partagées en 387 entre l’Empire perse et l’Empire byzantin. Mais dès les xiie–xiiie siècles, on distingue nettement les parlers orientaux et occidentaux (regroupant chacun plusieurs sousdialectes). Au xixe siècle, sous l’appellation d’arménien moderne, ce sont en fait deux dialectes qui acquièrent leurs lettres de noblesse : l’arménien occidental se forme à Constantinople, l’arménien oriental à Tiflis. Leurs différences résident essentiellement dans la prononciation des consonnes occlusives, dans l’emploi de quelques formes grammaticales et dans quelques expressions idiomatiques. Cependant cet écart linguistique et culturel persiste encore aujourd’hui entre la République d’Arménie (située sur une partie de l’ancienne Arménie orientale) et une grande partie de la diaspora, issue de l’Empire ottoman (Arménie occidentale). La fondation de l’identité nationale Les Arméniens, une nation au singulier ? L’identité arménienne Quatre événements déterminants Au carrefour de deux mondes, l’Arménie vit aux ive et ve siècles plusieurs événements fondateurs qui détermineront durablement son identité nationale. Une identité qui, à l’époque, ne dépend pas uniquement de la nation mais qui implique un positionnement par rapport aux grands empires et centres culturels voisins. Ainsi, la définition de l’appartenance culturelle arménienne passe par le choix entre l’Orient et l’Occident, par l’identification religieuse (mazdéisme ou christianisme) et politique (empire grec ou empire perse). › Au début du ive siècle, le roi Tiridate iv accepte le témoignage de saint Grégoire l’illuminateur et se convertit : l’Arménie devient le premier État chrétien du monde. Sa voisine, la Perse des Sassanides, adepte d’une forme de zoroastrisme particulièrement offensive, ne lui pardonne pas d’avoir adopté la religion de son ennemi romain. 14 Cette situation, combinée à d’autres facteurs, mène au partage de 387 : l’Arménie est divisée en deux royaumes distincts soumis l’un à l’Empire perse, l’autre à l’Empire byzantin. › Un siècle plus tard, le Catholicos Sahak (pontife des Arméniens) encourage Mesrop Machtots, ancien fonctionnaire de la chancellerie perse Arsacide entré en religion, à créer un alphabet pour l’arménien. Il sera mis au point entre 392 et 406 et diffusé en un temps record grâce à la période de paix sous le règne de Vramchabouh ier. Cette création inaugure l’âge d’or des Arméniens : très vite, la Bible est traduite, accompagnée d’une littérature profane (avec notamment de nombreuses historiographies) et religieuse abondante et de qualité en arménien, permettant d’imposer l’usage de cet alphabet. › Dès le milieu du ve siècle, une guerre de religion s’engage avec les Perses. Pendant un siècle, au fil de batailles, les Arméniens parviennent à rejeter définitivement le mazdéisme et à demeurer chrétiens. › À cette époque également, les Arméniens ne s’associent pas aux dogmes imposés par l’Église de Byzance. Cette divergence théologique les place en situation de schisme. Une Église nationale est fondée, dotée d’un chef spirituel propre, seule instance ayant alors autorité sur tous les Arméniens, qu’ils soient sujets grecs ou perses. Un alphabet fédérateur Parmi ces événements, le plus marquant aux yeux de tous les Arméniens est la création de cet alphabet unique : bien plus qu’une mutation culturelle, il a permis la survie d’une identité arménienne, en dépit des nombreuses catastrophes qui se sont abattues sur ce peuple. On a récemment fêté les mille six cents ans d’existence de cet alphabet, qui reste très jeune en comparaison de la plupart des écritures alphabétiques du Proche Orient (avec notamment le premier alphabet sémitique pour le phénicien, formé au xive siècle avant notre ère) et de l’alphabet grec, qui apparaît au ixe siècle avant J.-C. Depuis Ourartou et jusqu’à l’époque romaine, les Arméniens n’ont pourtant pas ignoré l’écriture : ils ont connu le cunéiforme, l’ourartien, l’araméen, le grec et le latin. Pourquoi alors avoir attendu si tard pour se doter 15 Le philosophe David Anhard, entrée de chapitre, manuscrit du xiiie s., Matenadaran, Erevan. La révélation divine de Mesrop Machtots, Gravure, Livre de prières, Grégoire de Narek, Venise, 1789. d’un alphabet ? Pour Jean-Pierre Mahé, c’est peut-être parce que l’écriture – empruntée aux autres – était un instrument de pouvoir et de répression, tandis que tout ce qui exprimait la vitalité de la réflexion était de tradition orale. Les trois auteurs du ve siècle qui relatent la vie de Mesrop Machtots et la création de l’alphabet évoquent, mêlé aux données historiques, le rôle d’une inspiration divine : « […] il se réfugie dans la prière. Alors il aperçoit, non pas dans un songe en sommeil ni dans une vision en état de veille, mais dans l’atelier de son cœur, apparaissant aux yeux de son âme, le poignet d’une main droite écrivant sur une pierre : et, de même que les traces s’impriment sur la neige, la pierre retenait toutes ces formes assemblées. Et non seulement cela lui apparut, mais tous les détails s’accumulèrent dans son esprit comme dans un vase ».1 Une telle charge symbolique peut se justifier par les enjeux de la création d’un alphabet à partir de rien : au ive siècle, deux changements importants de la situation de l’Arménie vont rendre capitale la création d’un système d’écriture arménien. Il répond à des impératifs nationaux : l’écriture arménienne naît dans une période de crise. En 387, le royaume d’Arménie est partagé entre les deux empires voisins. Pour la première fois, l’unité de la nation est rompue. Du côté romain, les sujets sont menacés d’assimilation. Du côté des Perses sassanides, le pays est livré aux pressions politiques et religieuses des Sassanides qui n’ont pas accepté sa christianisation. Ce partage crée une opposition durable entre l’Arménie occidentale, tournée vers l’Asie mineure, et l’Arménie orientale, proche de l’Iran. Il sert aussi des impératifs religieux : il s’agit de résister aux persécutions des mazdéistes en dissipant en partie la suspicion d’hellénisation (due à l’adoption de cette religion) et de consolider le christianisme naissant en traduisant la Bible en arménien. De plus, il s’accompagne de la mise en place d’une langue officielle parmi les dizaines de dialectes de l’arménien : le parler de l’Ararat, le plus pur et raffiné, parlé à la cour. L’alphabet permet de se passer du grec et du syriaque dans le domaine religieux, et du perse dans le domaine administratif. In Histoire de l’Arménie, Moïse de Khorène, Traduction d’Annie et Jean-Pierre MAHÉ, Gallimard, 1993. Les Arméniens, une nation au singulier ? L’identité arménienne 1 16 Situation politique de l’Arménie à l’époque de la création de l’alphabet, L’Arménie à l’épreuve des siècles, Annie et Jean-Pierre Mahé, Découvertes Gallimard, Paris, 2005. « L’imagerie populaire a […] conservé vivante jusqu’à aujourd’hui cette tradition où l’Histoire se mêle à la légende pour souligner un des moments clés de l’affirmation nationale, qui s’inscrit dans une série d’événements fondateurs pareillement nimbés de l’auréole du mythe et à forte charge idéologique. » Trente-huit lettres pour une unité de langue, d’écriture et de religion, qui cimentent le peuple arménien malgré le naufrage de l’État et qui seront un élément puissant de cohésion dans son histoire face à l’adversité. Trente-huit lettres qui cristallisent en somme tout l’héritage arménien : sous sa charge mythique et sacrée, on retrouve la peur de n’avoir jamais acquis définitivement son pays, mais aussi l’affirmation d’une différence que l’on veut défendre avec ténacité, même sans la structure d’un État. C’est une situation surprenante puisque, pour continuer à exister, le peuple arménien s’appuie sur un alphabet qui justement, sans cette volonté de faire persister une identité, serait voué à l’oubli. Une étroite relation d’interdépendance s’est tissée entre le peuple arménien et son écriture. 17 « Quelques remarques sur l’alphabet arménien », Anaïd Donabédian, in Slovo, revue du CERES, n°14, Paris, INALCO, 1994. Entre Orient et Occident Ainsi, l’identité arménienne s’est formée au contact des grandes civilisations du Moyen-Orient, mais elle a aussi tissé de nombreux contacts avec l’Occident qui ont influencé sa nature. Entre la fin du xie siècle et le milieu du xiiie siècle, les Arméniens se replient en Cilicie à la suite de plusieurs invasions et développent une brillante culture : ils mêlent à leurs racines ancestrales de nouvelles influences essentiellement occidentales. Pour la première fois de leur histoire, les Arméniens jouissent d’une façade maritime et communiquent avec l’Occident sans passer par l’intermédiaire de Byzance. Les ports ciliciens accueillent de nombreux marchands italiens, catalans ou provençaux. Les rois suivent le modèle de la monarchie féodale et des seigneurs francs entrent à leur service. Sur le plan religieux, le Catholicos tente de rompre l’isolement doctrinal de l’Église arménienne. Depuis au moins le ve siècle, les Arméniens sont un peuple de marchands entre l’Asie et l’Europe. À la fin du Moyen-Âge, ils sont présents dans tous les grands ports méditerranéens (Venise, Livourne, Marseille, etc.) et néerlandais, pour vendre les produits asiatiques en Europe et rapporter en Orient des techniques occidentales. C’est ainsi qu’ils tentent d’instaurer l’imprimerie dans l’Empire ottoman (qui gouverne alors les sujets arméniens), mais le sultan interdit son usage sous peine de mort. Ce sont alors les colonies marchandes arméniennes d’Occident qui accueillent les premiers ateliers d’impression. Le premier ouvrage, publié vers 1511 à Venise, inaugure la « ligne éditoriale » des nouveaux imprimés arméniens : à l’inverse de l’Occident, elle est essentiellement religieuse. Malgré le mécénat des marchands arméniens, les imprimeries se heurtent à des difficultés qui limitent fortement la production jusqu’en 1695. En effet, la création d’un atelier et la gravure de poinçons arméniens sont coûteuses, Rome applique souvent une censure draconienne sur les livres imprimés arméniens, et leur acheminement vers l’Orient est long et périlleux. De plus, les imprimeurs éditeurs sont presque tous des ecclésiastiques et leur objectif est essentiellement culturel, alors que les imprimeurs européens Les Arméniens, une nation au singulier ? L’identité arménienne Carte des implantations des imprimeries arméniennes des xvie et xviie siècles, Le Livre arménien à travers les âges, Raymond H. Kévorkian et Jean-Pierre Mahé, 1985. 18 19 Jean-Jacques Rousseau en costume arménien, lithographie de Belliare d’après Latour, vers 1840. Les Arméniens, une nation au singulier ? La grande scission Grâce à l’Italie, l’Europe voit également l’émergence des premiers orientalistes, qui s’intéressent à l’Orient chrétien et à sa littérature. On publie des sommes dédiées aux langues orientales, des traductions latines de textes arméniens, des dictionnaires et des grammaires d’arménien à l’usage des Européens… Tout au long du xixe siècle, Paris est un des centres les plus prestigieux de l’arménologie occidentale. Un certain nombre de textes originaux arméniens et quelques revues sont publiés, accompagnés par plusieurs traductions françaises. 20 La grande scission sont de véritables artisans, soucieux de rentabiliser leur travail. Ce sont d’ailleurs eux qui se chargent de la gravure des poinçons arméniens, de la fonte des caractères, des gravures sur bois ou sur cuivre. À la fin du xviie siècle, les ecclésiastiques-imprimeurs s’intéressent aussi aux progrès de la science en Occident et côtoient le monde savant européen : leur objectif est de fonder une école arméno-latine en Arménie pour former aux techniques de l’imprimerie et aux sciences. Il faudra attendre le début du xviiie siècle pour voir l’imprimerie arménienne s’implanter durablement dans l’Empire ottoman : moins soumise à l’Église, elle édite des ouvrages plus laïques. Quatre ateliers se forment à Constantinople, aux portes de l’Asie mineure, et le rythme de production s’intensifie. Pour la première fois, il s’agit de véritables artisans et non plus d’ecclésiastiques. L’Europe conserve malgré tout un rôle important en cette période intermédiaire. L’élévation du niveau de vie facilite la commercialisation des imprimés, notamment dans la capitale, peuplée en 1700 de 60 000 Arméniens, puis dans l’Est arménien. Elle contribue à la naissance d’une élite intellectuelle hors du cadre religieux mais dans laquelle la tradition chrétienne garde un rôle majeur. Un peuple en diaspora Depuis près d’un millénaire, la population arménienne ne se limite plus aux terres appartenant ou ayant appartenu à l’Arménie. Installée à la lisière des empires, elle a été plus d’une fois dispersée. Lorsque Byzance conquiert l’Arménie au xie siècle, la majeure partie de la population s’exile vers l’ouest (vers la mer Noire et la Bulgarie), vers le nord-ouest (vers la Pologne et l’Ukraine), ou, pour un grand nombre de nobles et de prêtres, vers la Cilicie. À partir du xvie siècle, les guerres continuelles et l’engagement des Arméniens dans le commerce les poussent à fonder des colonies marchandes en Europe : on les trouve à Venise, Livourne, Ancône, Marseille, Amsterdam ou Paris. Ils sont bientôt présents sur toutes les étapes des grandes routes commerciales menant de la Chine et des Indes vers la Russie, la Méditerranée, l’Europe occidentale et la mer du Nord. La ville de Marseille porte encore des traces de ces négociants arméniens devenus notables et où leurs descendants se sont installés : on y trouve la rue d’Arménie, baptisée vers la fin du xviie siècle. À partir de 1453, les Sultans ottomans encouragent l’installation d’Arméniens sur le territoire de l’Empire, en leur concédant le droit à une autonomie communautaire et religieuse. Les dispersés s’unissent autour de l’Église apostolique arménienne jusqu’au xviiie siècle, où un nationalisme arménien prend forme, stimulé par la création, à l’étranger, de journaux, d’écoles, d’associations et de partis politiques. Ceci attire les soupçons des Ottomans, qui le pensent soutenu par leur ennemi russe : les massacres de 1894-1896 et de 1909 se soldent par la mort de 150 000 Arméniens, et poussent à l’émigration, notamment vers les États-Unis. Le 24 avril 1915, les autorités ottomanes organisent la déportation vers la Syrie et le massacre de trois quarts des deux millions d’Arméniens vivant sur leur territoire (en Anatolie orientale, anciennement Arménie occidentale), perpétrant le premier génocide du xxe siècle. La totalité des survivants émigrent vers l’Arménie russe, l’Égypte, l’Iran, l’Argentine, la France ou les États-Unis, où existaient déjà des communautés locales arméniennes importantes. 21 La population réfugiée au Proche-Orient ou en Europe orientale sera dispersée à partir de 1939 suite aux crises internationales qui affecteront ces régions. Ce génocide est l’événement fondateur de la « Grande diaspora ». La majorité des millions d’Arméniens dispersés dans le monde partagent la mémoire de cette catastrophe qui les a définitivement éloignés de leur terre historique. Privés de leur citoyenneté, les Arméniens restent en situation d’apatrides jusqu’à ce qu’on leur reconnaisse le statut de réfugiés en 1924. Actuellement, on compte environ 7 millions d’Arméniens dans le monde, dont seulement 3 millions en Arménie. Deux millions d’entre eux vivent en Russie, 1,5 million aux États-Unis, 460 000 en Géorgie et 450 000 en France. On les retrouve aussi en plus petit nombre en Ukraine (150 000), au Liban et en Argentine (130 000). Cependant les statistiques varient considérablement selon les sources. L’exemple le plus flagrant est la Turquie, où l’on dénombre plus de 2 millions d’Arméniens, ou de 40 000 à 80 000, c’est selon. Il est en effet difficile de déterminer qui est arménien ou qui ne l’est pas. La répartition est rendue impossible par le temps écoulé (quatre générations se sont succédés), les enfants issus de mariages mixtes, la conversion à la religion musulmane d’Arméniens de Turquie, etc. Les critères sur lesquels on peut aujourd’hui se baser pour déterminer qui est arménien ou qui ne l’est pas sont fluctuants et il n’existe plus de limite claire. Une nouvelle patrie pour l’Arménie Les Arméniens, une nation au singulier ? La grande scission Après l’effondrement de la Russie et de l’empire Ottoman au lendemain de la Première Guerre mondiale, les Arméniens orientaux créent la République d’Arménie indépendante, qui ne subsistera que deux ans. En 1921, sous la protection des Bolcheviques, naît la République soviétique d’Arménie, qui intègre en 1936 la République socialiste soviétique. Le rapatriement vers la RSSA ne concerne que peu de personnes entre 1918 et 1948 : les Arméniens vivant ailleurs ne la reconnaissent pas comme leur État. 22 Ce n’est qu’à l’éclatement de l’URSS, et plus de six cents ans après le dernier État arménien autonome (le Royaume de Cilicie), que l’Arménie accède à son indépendance en proclamant le 21 septembre 1991 la République d’Arménie. Elle englobe les territoires arméniens anciennement soviétiques, mais la partie sud de l’ancienne Arménie reste sous domination turque. Il ne s’agit donc pas de la restauration de la « mère patrie » que les Arméniens attendaient. Au lieu d’attirer à elle les rejetons de la diaspora, le République d’Arménie subit une nouvelle vague d’émigration, due aux conditions économiques défavorables : le pays peine à se remettre du tremblement de terre de 1988 et il reste enclavé par le blocus imposé par la Turquie et l’Azerbaïdjan. Les soixante-dix ans passés sous la domination communiste ont approfondi le fossé déjà existant entre les Arméniens occidentaux, tournés vers l’Europe occidentale et la France, et les Arméniens orientaux, tournés vers la Russie et l’Europe de l’Est. Alors que la langue avait déjà bifurqué en deux branches, la formation de la grande diaspora accentue ces divergences : l’arménien occidental, en acquérant le statut de langue de diaspora, est voué à évoluer coupé de toute référence, tandis que l’arménien oriental propulsé comme langue d’État, est remanié et normalisé sous l’action de la politique soviétique. Cette rupture s’opère aussi dans les mentalités et l’inclination culturelle : le Rideau de fer met en opposition ces deux situations radicalement différentes et installe une méfiance mutuelle entre l’Arménie soviétique et la diaspora. Actuellement, face à la chute de l’empire communiste et à la libéralisation sauvage qui a pris place dans le pays, les Arméniens d’Arménie tentent de gérer ce bouleversement de valeurs. Culturellement, le pays est resté très conservateur, mais aujourd’hui les jeunes étudiants et les artistes cherchent à « faire craquer la société patriarcale ». 23 La diaspora arménienne en France Les Arméniens, une nation au singulier ? La diaspora arménienne en France Famille arménienne devant sa boutique, Valence, Fonds du Centre du patrimoine arménien. 24 De l’installation à l’intégration L’intégration par le travail Au sortir de la Première Guerre mondiale, la France est en reconstruction, mais elle manque d’hommes. Dès 1922, elle accepte l’immigration collective des Arméniens d’Anatolie, devenus apatrides à la suite du génocide de 1915, des bouleversements politiques du Proche-Orient, de l’indépendance confisquée de la république d’Arménie et de l’abandon des Arméniens par les Alliés. À leur arrivée en France, il sont directement recrutés par les entrepreneurs français. On leur offre la sécurité et la paix françaises, ils apportent leur force de travail. Ces paysans et artisans sont embauchés comme manœuvres et achètent dès que possible un lopin de terre à peu de frais, pour tenter de s’enraciner à nouveau après des années d’errance. Mais entre 1922 et 1936, les Arméniens se caractérisent surtout par une grande mobilité géographique. Très vite, de petites communautés (alimentées par des migrations ultérieures) se forment au gré des embauches, autour des mines, des usines, des chantiers le long de la côte méditerranéenne, mais aussi en remontant vers le nord suivant l’axe rhodanien : Gardanne, La Ciotat, La Seyne, Nice, Valence, Lyon, Decines, Pont-de-Cheruy, Saint-Chamond, Saint-Étienne, le Creusot, Decazeville, et même au-delà à Toulouse et Bordeaux. Ces villes constituent des villes relais vers Paris, qui aura déjà attiré en 1926 la moitié des Arméniens de France. De véritables villages arméniens se recréent, où les immigrés se regroupent selon leur bourg d’origine en Asie Mineure, à Alfortville, Issy-les-Moulineaux et Arnouville. La crise économique de 1931 condamne beaucoup d’Arméniens au chômage mais permet leur reconversion. Ils se tournent vers le travail à domicile et vendent leur production à la manière des forains sur les marchés. Ils gagnent leur indépendance grâce au travail acharné de tous les membres de la famille. Comme les enfants des ouvriers français, les enfants d’Arméniens connaissent peu à peu les bienfaits de l’ascenseur social : par la fréquentation des écoles françaises et l’obtention de diplômes, ils accèdent à des métiers auxquels leurs parents n’ont pas pu prétendre. Ce sont des médecins, des professeurs, des avocats, des chefs d’entreprise. 25 La communauté bénéficie à nouveau d’une « élite » (qui avait été éliminée en Turquie) tandis que dans son ensemble elle accède au statut de « classe moyenne ». Les Arméniens, une nation au singulier ? La diaspora arménienne en France « Un Turc ! Un Turc ! » lithographie de Guillaume Bourdet, 1830. « Le béotisme parisien confond sous la dénomination du Turc, tout Persan, Arabe, Arménien ou Juif d’Asie qui peut se trouver à Paris. Ce Turc devient un objet de curiosité et d’étonnement, on le suit, on se le montre comme on fait d’un ours ou d’un chameau. » « L’entre-soi » communautaire À leurs débuts, les communautés arméniennes en France sont très soudées et vivent repliées sur elles-mêmes. Ce sont des îlots rassurants dont les membres partagent une même langue, une même culture, les mêmes traditions, alors que les contacts avec « l’extérieur » sont limités : les Arméniens ne parlent pas français et sont considérés comme les plus étranges des étrangers par les Français. Ils ne ressemblent pas aux Italiens, aux Espagnols ou aux Polonais déjà présents : ils sont orientaux, leur langue est inconnue et illisible, leur vêtement « exotique ». La population française ignore les liens séculaires qui unissent l’Arménie et la France, et n’a jamais entendu parler de la cuisine, des mœurs ou de la religion arméniennes. La famille décimée et dispersée par le génocide et l’exode se reconstitue en France et reste, pour la première et la deuxième génération, un modèle et une norme : entre les deux guerres, les mariages endogames sont une règle permettant de perpétuer la langue et la nation. Cet espace « d’entre-soi » est marqué par une activité associative intense : associations de compatriotes où s’expriment la nostalgie et la mémoire « visuelle » de la terre perdue, partis politiques, associations humanitaires ou de bienfaisance pour les membres de la communauté en difficulté ou les orphelins du génocide. Les églises arméniennes sont encore un autre espace de regroupement. Dès mars 1927, l’Union nationale arménienne joue un rôle clé en travaillant à préserver la communauté de son assimilation (de sa dissolution) dans le pays d’accueil. Elle prend en charge l’éducation des enfants en leur enseignant l’écriture arménienne et l’histoire du pays, pour les préparer à un éventuel retour dans les terres ancestrales, mais favorise aussi leur insertion par des cours initiant à la culture française. Elle veille aussi à la morale communautaire et représente la communauté auprès des autorités. Dans cet écrin communautaire, les Arméniens vivent une renaissance culturelle : à Paris entre 1919 et 1939, quatre-vingt-sept périodiques et des milliers d’ouvrages sont publiés en arménien. 26 Autour du quotidien Haratch (« En Avant »), une dizaine d’écrivains arméniens donnent une expression littéraire moderne à leur expérience d’exilés dans les métropoles occidentales. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il devient clair que la présence des Arméniens en France n’est plus temporaire. Leur intégration est accélérée par leur naturalisation, à partir de 1946. Les structures associatives se révèlent être de véritables passerelles vers l’extérieur du groupe : les Français voient les Arméniens s’intégrer dans leur société non pas à partir d’une communauté tentaculaire, mais par le biais de valeurs partagées représentées par ces structures (le socialisme, la religion catholique, …). L’intégration de l’individu passe cependant par la désintégration progressive du groupe primaire : la notion de communauté, bien que toujours présente, s’estompe. Cette situation illustre un nouveau rapport avec la « mère patrie » : alors que les premières et deuxièmes générations maintiennent serrés les liens de la communauté dans l’espérance d’un retour, les générations suivantes ont abandonné cette perspective. Ces liens sont plus lâches, mais elles maintiennent toujours certains contacts avec ces origines : langue, cuisine, religion… Les mariages mixtes vont accentuer cette tendance puisque l’un des conjoints n’est plus en mesure de transmettre la langue et l’histoire arméniennes. Ils constituent une porte de sortie de la communauté autant qu’une porte d’entrée dans la société française et un métissage des identités. Intégration – Action par laquelle un individu ou un groupe s’incorpore à une collectivité, à un milieu, selon des critères sociaux, économiques, ethniques, culturels, linguistiques, … Assimilation – Action par laquelle un individu ou un groupe perd ses spécificités et est rendu semblable au reste de la communauté. 27 De l’intégration à l’assimilation ? Aujourd’hui les Arméniens se sont parfaitement intégrés socialement, culturellement et économiquement à la société française, mais cela au prix d’une dilution progressive de l’identité arménienne initiale, celle de la première génération d’immigrés. L’heure est à la prise de conscience d’un danger : celui de l’assimilation. La langue arménienne, premier témoin de l’état de la transmission de cette identité, a fait l’objet de nombreuses études. Anaïd Donabédian1 résume bien la nouvelle situation linguistique créée par la dispersion. Quatre-vingts ans après, on observe que selon les foyers d’implantation, la pratique linguistique a évolué différemment : › Au Proche et Moyen-Orient, la communauté arménienne bénéficie d’un statut collectif officiel qui possède son propre système d’enseignement et s’organise autour de quartiers où la langue arménienne est véhiculaire. Ce sont les foyers où la situation linguistique et culturelle est la mieux protégée, avec notamment le Liban, « figure de proue pour l’arménien occidental », une référence pour la linguistique, la culture et l’édition. Cependant cette situation favorable connaît quelques menaces en Turquie et en Syrie, et l’émigration de la communauté arménienne du Liban a affaibli sa position d’exception. › En Amérique du Nord et en général sur tout le continent américain, les communautés sont tolérées dans la mesure où elles représentent un état transitoire vers l’intégration à l’américaine : dès la troisième génération (et ce, quelle que soit l’origine ethnique) les descendants de migrants s’affranchissent de la communauté et perdent ses comportements linguistiques et sociaux caractéristiques. L’édition en langue arménienne est limitée, le bilinguisme de la presse est systématique et l’arménien occidental ne fonctionne pas comme une langue véhiculaire. L’exception est l’arménien oriental, récemment implanté en Californie par une immigration massive d’Arménie, qui joue encore un rôle véhiculaire. In « Langues de diaspora, langues en danger : le cas de l’arménien occidental », Les Langues en danger, 2000. Les Arméniens, une nation au singulier ? La diaspora arménienne en France 1 28 › En Europe occidentale et plus particulièrement en France, les communautés n’ont pas de statut juridique, conséquence du modèle de l’État-Nation. Les principes sont différents de ceux en vigueur aux États-Unis, mais la société française est tout autant intégrative. Malgré une certaine idéologie du droit à la différence, la situation n’est pas changée : l’arménien n’est plus une langue véhiculaire. Cependant, la linguiste constate que depuis son émergence, l’arménien occidental a toujours été en situation de langue dominée, ce qui n’a pas empêché sa consécration par un important héritage littéraire au xixe siècle, et ce qui ne manque pas de rassurer quant à son avenir. Les travaux de chercheurs tels qu’Anaïd Donabédian, Robert Der Merguérian, Martine Hovanessian, Sylvia Kasparian ou Sylvia Topouzkhanian permettent de faire un point plus précis sur l’état de la langue arménienne en France. Les locuteurs Toutes les personnes parlant l’arménien occidental (dialecte majoritaire de la diaspora) sont en contact avec une culture dominante, ce qui signifie qu’aujourd’hui aucun d’entre eux n’est monolingue. De plus, on observe une perte de qualité de la pratique de la langue et une diminution du nombre de pratiquants d’une génération à l’autre. Les locuteurs passifs (ou « semi-locuteurs ») sont très largement majoritaires. Pourtant, bien que l’arménien soit aussi très perméable au français (et aux langues avec lesquelles il est en contact en général), il garde une relative vivacité, surprenante au regard de la situation : c’est tout le paradoxe de la langue arménienne. Si d’une part la qualité de l’arménien parlé, livré à lui-même, manque en diaspora de normes homogènes auxquelles se référer, on constate d’autre part que plusieurs écrivains en langue arménienne publient encore régulièrement, même si les tirages sont limités. Cette production littéraire est rédigée dans une langue soignée, dans une volonté de préserver la langue intacte, puisqu’elle est le symbole ultime de l’identité arménienne. Pour Anaïd Donabédian, de ces deux tensions contradictoires d’éparpillement et d’unification naît la dynamique d’évolution de la langue en diaspora. 29 Le mode d’acquisition La transmission par le milieu familial est plus ou moins effective selon les situations. Pour les familles issues de la première vague d’immigration (années 1920), elle est en régression, sauf dans certains milieux intellectuels ou militants. Mais les parents sont généralement de moins en moins compétents et la disparition de la première génération les prive d’un modèle. Au sein des familles arrivées du Moyen-Orient depuis les années 1970, la mémoire de la pratique véhiculaire est plus proche, la transmission de la langue est donc meilleure. Cette partie de la communauté permet la régénération de la pratique de la langue. Alors que sa transmission est essentiellement orale, l’école permet l’apprentissage de l’écriture. En réponse au déclin de la langue, l’apprentissage dans les établissements scolaires est en forte croissance depuis bientôt une décennie, alors qu’il était auparavant une exception. Mais ce sont principalement les structures communautaires (associations, églises) qui jouent ce rôle. Ainsi, les jeunes de la troisième ou quatrième génération qui n’ont pas appris l’arménien dans leur enfance ont l’opportunité de se réapproprier la langue. Les Arméniens, une nation au singulier ? La diaspora arménienne en France La pratique et les fonctions Dans sa forme orale quotidienne, la langue arménienne emprunte beaucoup de mots au français et le dialogue est généralement bilingue. L’usage exclusif de l’arménien est rare et considéré comme moins pratique. Pourquoi alors continuer à l’employer ? Il s’avère que l’usage de cette langue ne relève pas essentiellement d’une fonction de communication, mais plutôt d’un choix volontaire lié à une fonction symbolique. Il permet de communiquer sur le « même terrain », de faire jouer le sentiment d’appartenance commun, ou même de crypter le message pour ne pas se faire comprendre d’un entourage français. Pareillement, l’insertion de termes arméniens dans le parler français instaure une complicité entre le locuteur et le récepteur. Ce sont des termes liés au folklore arménien, des mots n’existant pas en français (par exemple pour la cuisine), ou des formules de salutation. La possibilité liée au bilinguisme de choisir le code grâce auquel on s’exprime engendre aussi une acceptation ludique et plaisante de la communication. 30 Dispersés sur tout le globe, les Arméniens sont, malgré leurs efforts, menacés d’assimilation. Ils s’efforcent alors par tous les moyens et où qu’ils se trouvent de préserver leur originalité, leur langue et leurs traditions. Cependant l’isolement d’une communauté a souvent pour conséquence la persistance de rites, d’expressions langagières, de traditions disparues : les diasporas sont souvent considérées comme plus conservatrices que le pays d’origine. Des identités inédites émergent pourtant d’éléments culturellement différents : ceux d’origine arménienne, déformés, stéréotypés, réinventés, et ceux issus du pays d’accueil. « Enracinés, intégrés, francisés, à mi-chemin entre l’assimilation et la ‹ réarménisation › due aux derniers venus d’Arménie, de Turquie, du Liban, d’Iran, les Arméniens de France – un terme qui englobe des groupes hétérogènes – ont conservé une identité culturelle. Mais l’identité arménienne n’est plus un héritage. C’est une reconstruction où les exigences variées de la modernité se combinent à des fragments de tradition – langue, religion, écriture, idéologie du travail, famille, cuisine, musique – et au travail de la mémoire sur la fracture du génocide et sur l’errance. » Anaïde Ter Minassian, Les Dossiers d’archéologie n°117, décembre 1992, réactualisé par l’auteur en 2004. 31 Lutter contre l’assimilation Quels sont les points communs assez forts pour travailler à la préservation d’une langue, d’une mémoire, d’une culture ? Plusieurs facteurs culturels, événementiels, associatifs, contribuent à fédérer les Arméniens, mais on s’accorde généralement sur le pouvoir de la langue pour préserver l’identité arménienne. Bien plus qu’un instrument de communication, elle porte la charge de valeur centrale de l’identité culturelle arménienne. Comme nous l’avons déjà évoqué, son usage se fait autant, sinon plus, pour les « raisons du cœur » que pour communiquer un simple message. Faute d’avoir pu emporter des biens ou des objets lors de l’exode, les rescapés arméniens n’ont pu transmettre que des objets ayant trait à la survie. Cette absence de liens tangibles avec le passé oblige les exilés à reconstruire leur environnement en s’appuyant sur les éléments immatériels de leur spécificité culturelle, dont la valeur symbolique se trouve d’autant plus augmentée : la langue et à plus forte raison l’alphabet arménien. En effet, Robert Der Merguérian1 explique que selon les liens qui les unissent, le rapport entre le système d’écriture de la langue d’un peuple et le peuple qui s’en sert revêt une importance différente. › Si le lien est uniquement pratique, comme lorsqu’un alphabet est utilisé par plusieurs peuples pour consigner leur langue, ce lien est faible, et l’alphabet utilisé peut être changé pour des raisons politiques. › Si ce lien est historique, culturel, national, comme pour l’alphabet arménien, ce lien est indissociable. Les lettres, symboles de l’identité nationale, sont arborées fièrement, comme d’autres arboreraient un drapeau. Cet alphabet qui a permis aux Arméniens « de connaître la sagesse et l’instruction, de comprendre la parole de l’intelligence »2, permet aujourd’hui de lutter contre l’assimilation du peuple arménien. Pour Robert Der Merguérian, « l’assimilation, la forte intégration interviennent quand l’individu, la communauté, perdent la conscience d’appartenir et de partager des valeurs culturelles communes. L’assimilation peut être évitée par la mise en valeur des différences, des particularités, l’originalité des éléments identitaires : montrer que vous êtes distincts par la culture, la foi, la langue. Parmi les valeurs fondamentales originelles arméniennes, celles qui la distinguent de toutes les autres cultures, la langue arménienne occupe indiscutablement une place primordiale. Dans la mesure où l’alphabet matérialise la langue, il lui donne un visage. On peut affirmer que parmi les facteurs marquant l’identité nationale arménienne, l’alphabet arménien est le facteur le plus éminent. » Vers une définition de la diaspora arménienne « Diaspora » est un terme à la fois complexe et banal, utilisé depuis plus de deux mille ans pour décrire des réalités très différentes. La généralisation de son utilisation lui a conféré de nombreuses couches de sens, si bien qu’aujourd’hui, on entend aussi bien parler de « diaspora juive » que de « diaspora gay ». La confrontation de la réflexion de plusieurs auteurs permet de mieux définir la situation de diaspora pour le peuple arménien. La définition étymologique de Catherine Wihtol de Wenden1 nous apporte une vision d’ensemble de ce terme : « Du grec ‹ spirô ›, je sème. Les diasporas désignent les peuples dispersés hors de leur territoire, en référence à l’exil des juifs. On parle aujourd’hui de diaspora quand un même groupe national ou ethnique est réparti entre plusieurs pays d’accueil, qu’il entretient un fort sentiment communautaire, que des réseaux transnationaux fonctionnent entre les membres du groupe à travers le monde et que des associations contribuent à défendre leurs intérêts collectifs. » Stéphane Dufoix2, lui, s’attache à montrer l’étendue des significations véhiculées par « diaspora ». Dans le cas des Arméniens, l’utilisation de ce terme peut faire référence à : In « Diasporas, retours, nostalgie », Diasporas, Histoire et Société n°8, 2006. 2 In Les Diasporas, Presses Universitaires de France, 2003. 1 In L’Alphabet arménien, Centre culturel Sahak-Mesrop, 2006. 2 Selon Korioun, historien arménien du ve siècle. Les Arméniens, une nation au singulier ? La diaspora arménienne en France 1 32 33 Apatridie – Situation d’une personne qu’aucun État ne revendique comme ressortissant national. État – Groupe d’hommes fixé sur un territoire déterminé soumis à une même autorité et pouvant être considéré comme une personne morale. Nation – Groupe d’hommes auxquels on suppose une origine commune, qui se caractérise par la conscience de son unité et la volonté de vivre en commun. État-Nation – Vision selon laquelle à une nation correspond un État. Cette conception tend à assimiler toutes les composantes d’un même État pour former cette nation. › une population : l’ensemble statistique des dispersés et de leurs descendants, › une communauté ethno-culturelle organisée sur plusieurs territoires, › une condition à la fois historique et morale qui peut être interprétée comme étant positive ou négative : « vivre en diaspora », › un espace géographique de dispersion sous-entendant l’éloignement d’une terre d’origine. À propos de cette terre d’origine, Stéphane Dufoix précise que « le terme diaspora postule l’existence d’une communauté qui représente à la fois la conscience commune de l’absence physique de la patrie et sa présence symbolique. Il permet aussi d’englober les dispersés dans un seul et même cadre significatif, indépendamment de leurs différences sociales, économiques, politiques, culturelles, etc. » Enfin, il évoque les problématiques de diaspora dont les membres sont tiraillés entre leur héritage culturel et celui de leur pays d’accueil par les termes évocateurs de « terres rêvées et promises, conversions et fidélités ». Anaïd Donabédian,1 quant à elle, explore la notion de diaspora sur l’exemple arménien selon trois facteurs. Le facteur quantitatif. Les diasporas sont « un lieu où l’on ne peut pas se compter »2. En effet, comment compter ces « étrangers invisibles », unis pas un solide sentiment identitaire, mais parfaitement intégrés à la culture environnante ? Le facteur qualitatif. La chercheuse retient trois critères étroitement liés qui lui semblent déterminants pour le sentiment identitaire, plus précisément pour le rapport à la langue : › la migration originelle a pour cause directe des événements collectifs violents et non des motivations individuelles d’ordre économique. › la collectivité entretient une relation mythique avec la terre d’origine, qui s’explique par le fait que des circonstances politiques rendent impossible le retour. 1 Les Arméniens, une nation au singulier ? La diaspora arménienne en France 2 › cette situation étant ressentie comme un exil forcé et définitif, la pérennisation de l’identité et donc de la collectivité en tant que telle est une préoccupation omniprésente. Le facteur chronologique. Il existe une vision considérée par les sociologues et anthropologues comme schématique, qui présente les préoccupations des trois premières générations de la manière suivante : › 1re génération – immigration et survie › 2e génération – intégration et bien-être › 3e génération – retour aux sources et sauvegarde de l’identité Cependant, il y a bien une évolution temporelle : Pour Anaïd Donabédian, il existe « un point critique qui modifie inéluctablement le rapport à l’identité en diaspora, et dont l’effet sur la langue est fondamental : il s’agit du moment où la collectivité est confrontée à la disparition de tous les ‹ témoins › directs du mythe fondateur (autrement dit de l’événement historique ayant provoqué la migration […]). Lorsqu’une collectivité où personne n’a connu ses premiers migrants, (ce qui, dans nos sociétés, correspond à la quatrième génération) continue de vouloir faire perdurer une identité et une culture spécifique, elle se trouve alors confrontée à ce que nous considérons comme la problématique de diaspora qui s’instaure en tant que telle dès lors que la première génération est éteinte, et qu’il n’y a plus de possibilité d’accès direct à la culture d’origine. Devenues inaccessibles, la culture et la langue d’origine ne peuvent plus constituer un repère normatif valide. Ainsi, les générations confrontées à cette nouvelle situation ne peuvent échapper à une logique de la perte, qui reviendrait à renoncer à toute pérennité, sauf à constituer de nouveaux repères culturels propres à cette expérience autonome et singulière qu’est la situation de diaspora. Cet impératif cristallise toute la contradiction inhérente à la situation de diaspora : malgré cette nécessité impérieuse de nouveaux repères, le mythe fondateur étant ce qu’il est, la question de l’authenticité est omniprésente, et elle s’incarne avant tout dans la langue. » Opus cité. Richard Marientras, 1975, cité dans le même ouvrage. 34 35 Une identité, des identités Ces nouvelles générations ne sont pas homogènes. Chaque individu se situe entre deux langues, deux cultures, deux ethnies, dans ce que Sylvia Kasparian appelle « un continuum de bi-multilinguisme, bi-multiculturalisme et de bi-multiethnicité ». Les différentes situations peuvent être résumées dans le schéma suivant, réalisé d’après celui de la linguiste. biethnique 25 % arménien au moins uniethnique 100 % arménien uniculturel culture arménienne ou française biculturel culture arménienne et française unilingue compétence minimale en français ou en arménien bilingue compétence en français et en arménien Les Arméniens, une nation au singulier ? La diaspora arménienne en France Quelques exemples d’identités tissées en diaspora entre deux ethnie, deux cultures, deux langues, d’après un schéma de Sylvia Kasparian, « Parler bilinguemultilingue et identités : Le cas des Arméniens de la diaspora », Faits de langues n°18, 2001. Chaque ligne représente une situation possible pour un individu de la diaspora. Par exemple, pour l’individu gris, je me suis inspirée de ma situation : je suis 50 % ethniquement arménienne, je ne suis pas totalement bi-culturelle (je suis plus exposée à la culture française qu’à la culture arménienne) et je ne parle presque pas l’arménien. 36 « Quelquefois, je me demande qui suis-je ? Si je n’avais pas ce ‹ ian › à la fin de mon nom, je me demande si je me sentirais concerné par les Arméniens. » « Il est très difficile d’avoir une vie à deux racines : on se recommande d’une certaine origine qu’on nous a badigeonnés, on nous a badigeonnés une couche. On a grandi et on a les stries d’un arbre qui n’est pas totalement celui qui a été au départ, c’est ce qui crée le problème ! » « Nous sommes du vin mélangé avec de l’eau. On n’est plus pur ! L’identité arménienne n’existe qu’en Arménie, car toutes les autres se sont influencées si peu que ce soit avec le pays dans lequel ils vivent. » « Ils culpabilisaient vachement au niveau de la langue arménienne. Mon père disait que celui qui ne parlait pas arménien, n’était pas arménien. » « L’arménité, c’est l’arménien de la diaspora. Il est débile de chercher de l’arménité pure. Ceux qui culpabilisent se font juger par des gens comme eux. Qui est-ce qui est en droit de juger ? ... En général je m’entends très mal avec les Arméniens typiquement arméniens. La culture arménienne actuellement est une culture de mœurs, de bouffe, de mode de vie. La culture française, cinéma, bouquins, éducation : toute une culture moderne est mise à jour et c’est avec cela qu’on vit. » « C’est un choix de mode de vie. Je suis forgé avec différents courants, et je n’ai plus rien à voir avec ces courants. Je ne suis par Arménien, Libanais ou Français mais le résultat de ces différents facteurs. […] Ce sont des trucs immuables que, ni je revendique, ni je rêve, mais dont j’ai conscience. » 37 Extraits de témoignages recueillis auprès de jeunes Arméniens de Paris. On observe différents niveaux d’identification au groupe ethnique et culturel arménien, Sylvia Kasparian, opus cité. Les Arméniens, une nation au singulier ? La diaspora arménienne en France La commémoration du Génocide, chaque 24 avril, réunit tous les Arméniens d’Arménie et de diaspora. Plus généralement, et schématiquement, on constate plusieurs attitudes envers ces origines dans l’ensemble de la diaspora arménienne française. › Une minorité de « militants » : ils travaillent à la reconnaissance politique de l’Arménie occidentale, ont fait pression pour la reconnaissance du génocide, ou se battent pour que l’arménien continue d’être parlé et écrit. › D’autres sont moins impliqués mais développent parfois des relations essentiellement économiques, touristiques ou humanitaires avec l’Arménie. Ils parlent bien ou assez bien l’arménien, perpétuent quelques éléments de la tradition, continuent les spécialités culinaires... Mais dans l’ensemble, il n’y a plus de désir de retour : la République Arménienne n’attire pas (ce n’est pas la terre d’origine de la majorité de la diaspora, le pays est assez pauvre...) alors que l’on est bien installé en France, et que l’on se sent aussi français. › Enfin, les personnes de la troisième ou la quatrième génération (dont moi-même) parlent et lisent peu ou pas l’arménien, ont été élevées principalement à la française et ne se sentent pas forcément arméniens. Mais elles envisagent cet héritage sous forme d’éléments rapportés, parfois de stéréotypes, desquels ils sont familiers. Il peut s’agir, encore une fois, des spécialités culinaires arméniennes, qui représentent cependant plus qu’une anecdote : elles sont consommées lors de repas familiaux à l’occasion desquels les générations se rassemblent, les récits familiaux de l’installation en France resurgissent, des mots arméniens sont échangés… Il peut aussi s’agir d’éléments évoquant l’idée d’Arménie (le pays ou la culture) : la musique nostalgique jouée par les instruments traditionnels, les hauts plateaux désolés où les anciens Arméniens avaient bâti leurs églises, leurs monastères de pierre rouge, les khatchkars, croix de pierre sculptées, l’Ararat avec ses sommets enneigés, les événements historiques racontés avec leur charge mythique (l’inspiration divine de Mesrop Machtots, le roi transformé en sanglier avant de se convertir, Haïk), les couleurs du drapeau arménien, le clan familial, et bien sûr, la langue et l’alphabet. 38 › en haut : Lac de Van et l’église Sainte-Croix d’Aghtamar. › à gauche : Le Khatchkar est une stèle de pierre où la croix sculptée est un symbole de l’arbre de vie dont les racines remontent vers le ciel, au-dessus de la roue de l’éternité. 39 C’est précisément sur cette situation de quatrième génération que je veux me pencher. Comme nous l’avons vu précédemment, elle en préoccupe beaucoup, inquiets de voir l’usage de la langue, figure de proue de la culture arménienne diasporique, s’appauvrir ou se perdre. Mais il serait réducteur d’en rester là. Bien que la disparition du témoignage porté par la première génération soit préoccupante, elle permet aussi une réinterprétation de l’identité arménienne. De nouveaux repères culturels se forment, à la croisée de la culture française familière, c’est-à-dire vécue au quotidien, et de l’héritage arménien, librement interprété mais toujours « exotique », vécu comme une épice que l’on ajoute pour donner du goût à l’ordinaire. Ce groupe hétérogène que l’on nomme diaspora arménienne évolue entre ces deux référents, qui nourrissent une nouvelle identité hybride et singulière, perpétuellement en construction. Cette situation me semble particulièrement intéressante comme base d’une réflexion sur la typographie arménienne de diaspora. L’héritage écrit et typographique arménienne typographie La La naissance d’un système d’écriture Les lettres de Mesrop Machtots L’alphabet arménien, apparu soudainement à l’échelle de l’histoire des écritures et dont la forme était dès le départ si aboutie qu’elle est aujourd’hui encore employée et inchangée, est tout de même le fruit de plusieurs années de recherches menées par Mesrop Machtots. Celui-ci se dirige d’abord vers l’évêque syrien Daniel, qui tente d’écrire l’arménien à l’aide de l’alphabet araméen (ou syrien, les termes sont équivalents). Il s’agit d’un compromis politique : en ne s’inspirant pas de l’alphabet grec mais d’un système d’écriture déjà en usage dans l’empire sassanide, la suspicion du roi de Perse n’est pas éveillée. Mesrop travaille alors avec Daniel à l’amélioration de son alphabet, mais il renonce bientôt à cette solution qui semble insuffisante pour exprimer entièrement les phonèmes de la langue arménienne. En effet, l’araméen est un alphabet sémitique et ne permet donc pas de transcrire les voyelles. Jean-Pierre Mahé1 explique l’importance pour Mesrop d’obtenir un alphabet phonétique : « Il ne suffisait pas de les voir pour les lire, il fallait ajouter au signal visuel la mémoire auditive, se rappeler l’usage quotidien des mots, mobiliser toute sa compétence linguistique. Quand on ne peut pas lire une écriture si l’on ne parle pas la langue qu’elle enregistre, l’écrit perd son autonomie et devient un simple auxiliaire de l’oralité. Mais justement, puisque l’oralité était païenne, tout l’effort de Machtots visait à s’en affranchir. L’alphabet qu’il voulait créer ne devait pas servir de simple prolongement à la parole profane, mais de support à la parole de Dieu. Pour fixer en arménien une révélation totalement étrangère à la mythologie païenne, il fallait rompre avec la mémoire collective et donner toute son autonomie à la face écrite du langage. Cela n’était possible que si l’on optait pour un alphabet entièrement phonétique. » Mesrop décide alors de synthétiser les esquisses de Daniel avec les lettres grecques. Celles-ci paraissent plus appropriées, puisqu’elle traduisent une langue indo-européenne, comme l’arménien, et qu’elle possèdent des voyelles. Il s’inspire aussi du sanscrit, du In « L’alphabet arménien et les saints traducteurs », L’Alphabet arménien, Centre Sahak Mesrop, Marseille, 2006. 1 43 Les 38 lettres de l’alphabet de Machtots, lettrage de Karo Tiratourian, 1963. zhend et du pehlvi. Mais il veut obtenir des lettres que l’on puisse lire aisément à distance et dont la beauté soit conforme à leur rôle de transcription de la parole de Dieu. Il se rend donc à Samosate, où il fait part de son projet à Rufin, un prêtre calligraphe grec. Celuici redessine chacun des caractères pour leur donner leur forme canonique, qui servira ensuite de modèle à tous les copistes. Dès son retour au pays, il met en route la traduction des livres saints avec ce nouvel alphabet, qui, deux ans après sa création en 404, sera déjà diffusé. Grâce à l’écriture, le vocabulaire s’enrichit de mots spécialisés et des notions jusqu’alors étrangères deviennent familières et sont exprimées par des mots précis, permettant à l’horizon mental arménien de s’ouvrir à toutes les connaissances du monde. Les lettres mises au point par Mesrop Machtots fonctionnent comme un instrument phonétique complet. L’alphabet comporte 8 voyelles et 28 consonnes et se lit de gauche à droite. Il véhicule une forte charge mythique et religieuse, comme en témoignent par exemple la signification attribuée aux lettres : ayp, la première lettre, est l’initiale du nom divin Astvatz et le ké, lettre finale, est l’initiale du Christ. Ces lettres sont de véritables icônes. À la fin du xiie siècle, deux lettres latines, o et f, sont ajoutées pour transcrire certains mots étrangers, portant le nombre de caractères à 38. La typographie arménienne L’héritage écrit et typographique Des hypothèses sur l’origine du dessin Les chercheurs ont pu comprendre plus précisément l’origine des lettres en analysant leur structure. De leurs travaux se dégagent deux hypothèses qui m’intéressent particulièrement puisqu’elles correspondent à deux logiques différentes de création d’un caractère : le tracé et la forme. 44 Cursive grecque Forme de transition Alphabet arménien L’hypothèse la plus traditionnelle montre que l’alphabet grec a été un véritable terreau pour la création de l’alphabet arménien. En effet, pour les phonèmes ayant un équivalent dans les deux alphabets, l’ordre alphabétique de l’arménien est directement inspiré de celui du grec. Frédéric Feydit reconstitue pour chaque caractère une forme de transition qui rend compte de la manière dont le tracé arménien a dérivé du tracé grec. Celui-ci a été déformé jusqu’à être méconnaissable pour que les sassanides n’accusent pas les Arméniens d’hellénisation. 45 Dérivation des caractères arméniens à partir de leurs prototypes grecs, interprétation d’un schéma d’Anaïd Donabédian d’après Feydit. Serge Mouravieff propose un autre hypothèse plus récente et radicalement différente, selon laquelle les caractères arméniens seraient conçus à la manière d’un cryptogramme. On observe effectivement la présence de modules récurrents dans le tracé des caractères. La conception se serait alors déroulée selon deux étapes : Ա Զ Մ Ս Բ Ը Ն Տ Վ Ժ Թ Հ Է Խ Յ Ս Ծ Ր Ճ Գ Թ Շ Ֆ Օ Ջ Դ Կ Պ Ք Ղ Դ Լ Ռ Օ Ո La typographie arménienne L’héritage écrit et typographique › Les caractères arméniens ayant une correspondance en grec semblent être formés à partir de 5 modules combinés à une ligne positionnée de quatre façons différentes. Ce répertoire de combinaisons pourrait représenter les lettres de Machtots avant qu’il ne les confie au calligraphe Rufin. 46 Ց Չ Ե Contruction des caractères primitifs, interprétation des schémas d’Anaïd Donabédian réalisés d’après Feydit. Ձ › Dans un deuxième temps, les caractères non représentés sont élaborés hors de cette grille. Il s’agit des consonnes affriquées (des consonnes constituant un phonème double, comme ts, dz...), qui peuvent toutes être obtenues à partir de la seule affriquée du grec, le dzeta, réduite à une sorte de boucle, sur laquelle sont effectuées des combinaisons de transformations – inclinaison, ouverture, orientation. Ces lettres ne sont donc plus constituées arbitrairement, mais selon une motivation phonologique. 47 Les formes manuscrites › en haut à gauche : Inscription gravée sur pierre, 1785, musée d’Histoire, Erevan. › à gauche : Évangile de Hayouts Tar, bibliothèque des Mékhitaristes de Venise. La typographie arménienne L’héritage écrit et typographique › à droite : Évangile d’Etchmiadzine, 989, (reliure du vie siècle, miniature du viie siècle.) L’écriture erkatagir ou « lettres de fer », est formée de caractères onciaux dessinés par Machtots et Rufin. Leur apparence hiératique et majestueuse les consacre à l’écriture des textes sacrés. Les erkatagir sont tracés à la plume épaisse et présentent un fort contraste de pleins et de déliés. Lorsque ces déliés se font si fins qu’ils disparaissent, ces caractères prennent l’allure de lettres au pochoir. Les lettres se succèdent selon un rythme très régulier : beaucoup possèdent une forme très similaire ne variant que par un seul tracé, leur largeur est homogène, les quelques tracés dépassant de la ligne de base ou de la hauteur générale des signes ne le font que très légèrement, et l’on ne trouve que trois lettres franchement montantes ou descendantes. Les erkatagir sont par la suite devenues les majuscules de l’alphabet moderne. D’autres formes viennent peu à peu s’ajouter au répertoire, au service d’une copie plus simple et plus rapide. 48 › en haut à droite : Gravure lapidaire, cathédrale de Mren, début du viie siècle. › à droite : Inscription, 1297, Luigi Tonini, Rimini nel secolo XIII, vol iii, 1862. 49 › p.46 : Manuscrit du xive siècle, Matenadaran, Erevan. La typographie arménienne L’héritage écrit et typographique › p.47 en haut à gauche et à droite : évangile de Pitsak, bibliothèque des Mékhitaristes, Venise. Une modification du dessin donne naissance à l’écriture bolorgir ou « écriture ronde », dont le premier témoin date de 981. Contrairement à son nom, celle-ci est d’apparence plutôt carrée : les tracés sont souvent droits et quasiment orthogonaux. Autour de ces lignes de caractères très réguliers, en « chemin de fer », viennent se greffer les appendices, plus dansants, des montantes et des descendantes. Ces lettres penchées présentent moins de contraste de plein et de délié que les majuscules. Les attaques et les terminaisons sont soit soulignées par un discret coup de plume, soit par une légère inflexion du tracé. Les bolorgir sont d’abord réservées aux textes profanes puis utilisées aux côtés des majuscules dans les écritures saintes à partir du xiie siècle. Ces dernières restent cependant bien mises en valeur : elles sont tracées en rouge, bien plus hautes que la hauteur des minuscules et se posent sous leur ligne de base. 50 51 Trésor des mesures, poids, nombres et monnaies du monde entier, Erevan, Matenadaran,1753. Vers la fin du Moyen Âge apparaît une forme plus cursive, la notrgir ou « écriture de notaire ». Plus dépouillée et plus rapide pour l’écriture comme pour la lecture, elle se caractérise par un tracé plus droit et en « pattes de mouches », où le ductus est considérablement simplifié. Elle est aujourd’hui tombée en désuétude. › à gauche : évangile de Luc, xie siècle, Patriarcat arménien, Jérusalem. › à droite : Première page de l’évangile de Marc, Collections du Matenadaran, éditions Erébouni, Erevan, 2000. La typographie arménienne L’héritage écrit et typographique Dans les textes bibliques, la structure de la capitale se change souvent en lettrines ou en lettres ornementales, formées d’éléments végétaux, de motifs d’animaux ou de personnages. Cette vitalité décorative semble élever la lettre capitale au rang d’icône. 52 53 Les formes typographiques au plomb La typographie arménienne L’héritage écrit et typographique Livre du vendredi, Yakob Merapart, imprimerie D.I.Z.A, Venise, 1511-1513. Le premier livre imprimé en arménien présente des caractères qui – bien que verticalisés – cherchent à se rapprocher le plus possible du modèle manuscrit. Les premières formes gravées s’inscrivent dans la continuité des lettres manuscrites, tout comme les premiers caractères latins de plomb cherchaient la plus grande ressemblance avec l’écrit, et donc avec le gothique, modèle employé à l’époque : il s’agit de transférer les formes existantes à un autre médium. Ainsi, les casses arméniennes comportent initialement des abréviations, des ligatures, des lettrines et des caractères ornementaux. Les erkatagir ont servi de modèle pour les majuscules, les minuscules découlent de la forme la plus élégante de bolorgir et les notrgir sont parfois utilisés comme nos italiques. Les capitales font toujours l’objet d’un « traitement de faveur » : elles se placent toujours sous la ligne de portée et sont au moins aussi hautes que les montantes : elles sont aussi généralement plus grasses et gardent leur aplomb, même si le texte est composé en caractères obliques. Pour Ari Topouzkhanian, ceci s’explique par le fait que les capitales ont été dessinées telles qu’elles apparaissent normalement, en titrage, grandes et droites. Pour une question d’économie, ce sont ces mêmes caractères qui sont utilisés en texte de labeur, au lieu de graver un nouveau jeu de capitales penchées et alignées. On peut aussi envisager qu’outre des contraintes d’économie de temps, de place et d’argent, cette situation reflète le rapport tout particulier entretenu par les Arméniens avec la lettre et en particulier son archétype : la lettre capitale. On n’a pas oublié le caractère sacré et national qu’elle véhicule. Il ne me semble donc pas étonnant que sa mise en valeur dans la page de texte par ces différences d’alignement et d’axe ait perduré si longtemps. 54 55 La culture arménienne s’est depuis toujours formée à la croisée de l’Orient et de l’Occident. Il en est allé de même pour sa typographie : comme nous l’avons évoqué plus haut, les premiers caractères arméniens ont été gravés et composés par des artisans occidentaux, et ce jusqu’au xviiie siècle, lors de l’installation des premières presses arméniennes dans l’Empire ottoman. Il est donc normal que l’apparence des premiers livres arméniens présente beaucoup de similitudes avec les imprimés européens. › à gauche : Page de titre du Livre du saint Vardapet Machtots, Constantinople, 1714. › en bas : Caractères du Planisphère arménien, gravés par les frères Adriaan et Peter Damiann Schoonbeeck, Amsterdam 1696. La typographie arménienne L’héritage écrit et typographique On retrouve en typographie les « capitales pochoir », tandis que d’autres sont traitées à la manière des didones et de leur fameuse épaisseur « cheveux ». 56 Calendrier Grégorien, page de titre, 1584. Les caractères arméniens ont été gravés à Rome par le français Robert Granjon en 1579. Il semble qu’il ait réalisé deux dessins différents, l’un pour le texte de labeur, l’autre, plus grand, utilisé ici comme titrage. Ces derniers caractères possèdent une chasse plus large et sont plus souples : ils paraissent directement inspirés d’un tracé à la plume plus « enlevé ». Cependant ils ont été interprétés à la manière d’un mono-chasse : la structure employée est celle des capitales, mais les caractères sont dessinés de façon à obtenir des montantes et descendantes comme s’il s’agissait d’un bas-de-casse. On remarque aussi que le Տ (dioun) arménien n’a pas été copié sur le S latin : le Ո (vo) n’est pas non plus un U retourné. Granjon semble avoir cherché à préserver les caractéristiques propres aux formes arméniennes en s’inspirant directement de textes calligraphiés. Dictionarium armeno-latinum, Francesco Rivola, Milan, 1621. Le dessin des caractères arméniens tente de se rapprocher du modèle de la capitale romaine. 57 Bible, page de titre, Oskan Erevantsi, Amsterdam, 1666. Les caractères, bolorgir et notrgir, ont été dessinés par Christophel Van Djick, graveur des Elzéviers. On voit apparaître sur les pages de titre des dates en chiffres arabes, importées de fontes latines, alors que l’arménien utilisait auparavant ses lettres pour écrire les nombres. L’emploi de ces chiffres est aujourd’hui la règle générale. › en haut : Machtots (Rituel), édité par Abgar Tokhatsi, Constantinople, 1569. › en bas : Dictionnaire arménien-italien, xviiie siècle. La typographie arménienne L’héritage écrit et typographique On observe ici deux stades de stabilisation de la structure typographique. Les caractères sont affinés et géométrisés, tout en gardant une certaine élégance grâce à la légèreté et à la longueur des appendices montants et descendants. Plus tard, l’axe sera redressé, les chasses régularisées, et les montantes et descendantes domestiquées, permettant d’obtenir des lignes de texte très homogènes. 58 59 La typographie arménienne L’héritage écrit et typographique À la fin du xixe siècle, la typographie arménienne se développe selon deux directions biens distinctes. D’une part, comme nous l’avons vu précédemment, les caractères issus des formes manuscrites, stabilisés, adoptent leur forme emblématique : géométriques, anguleux, noirs. Ce sont des fontes au gris très dense et vibrant. D’autre part, certains caractères se nourrissent des formes latines classiques. Ils perdent leur aspect massif, leur axe se verticalise et les formes alors très anguleuses s’adoucissent. Parfois, c’est la structure même de la lettre qui est modifiée pour la rendre plus latine ou plus homogène avec les autres caractères – ainsi des lettres telle que ս (sé) et ո (vo) sont quasiment assimilées au u ou au n. Le rapport de pleins et de déliés s’équilibre et la lettre est parfois dotée de larges empattements. Ces emprunts, généralement menés avec beaucoup de finesse, forment une typographie arménienne surprenante à deux visages. 60 61 Ces caractères, très réguliers, présentent presque tous la même chasse. Caractères typographiques de plomb utilisés en Arménie soviétique, collection personnelle : Ari Topouzkhanian. La typographie dans les éditions arméniennes contemporaines Le quotidien national Haratch est toujours composé en caractères classiques, Paris, 6 janv 2006. NSBolorgir et NSNotrgir, dessinés par Nerses Boyadjian pour NorStandard fonts, États-Unis. Le caractère Նորգիրք (Norguirk) est dessiné par Rouben Taroumian, 1995. On remarque la persistance de certains « archaïsmes » dans le dessin des majuscules, liés à la volonté de les faire ressortir. Celles-ci dépassent les montantes et les descendantes, sont plus noires que les bas de casse, et leur axe est droit. Plus particulièrement, le Ա présente toujours sa petite boucle, héritée des plus anciens manuscrits. Anthologie de la poésie arménienne, 2006, Marseille. Extrait de la casse d’Ara br, fonte système pour MacOs 9, dessinée par Ari Topouzkhanian. Ces fontes ont été dessinées pour Apple pour la photocomposition puis pour l’ordinateur, d’après les caractères les plus utilisés dans des imprimeries arméniennes du Liban, de France et des ÉtatsUnis, et dans les imprimeries religieuses : Catholicosat de la Grande maison de Cilicie à Anthélias au Liban, Patriarcat arménien de Jérusalem, Couvent des pères Mékhitaristes de Venise et de Vienne. Une typographie à deux visages Cette étude est fondée sur les caractères les plus fréquemment employés dans un échantillon de livres consultés en bibliothèque et en libraire. On peut ainsi observer qu’au cours du xxe siècle, la typographie arménienne confirme sa « bipolarité » amorcée au xixe siècle. Formes traditionnelles arméniennes Aujourd’hui encore, on trouve des ouvrages composés à l’aide de caractères directement issus des formes traditionnelles de la typographie au plomb arménienne. Bien que leur dessin se soit affiné et presque rationalisé au service d’une meilleure lisibilité, ces caractères se situent dans une filiation directe avec les bolorgir. L’ensemble garde aussi un aspect très noir et un interlettrage lâche très caractéristiques, probablement pour éviter que les appendices ne s’entrechoquent. Ces fontes, utilisées dans l’espace arménien oriental aussi bien que dans l’espace occidental, marquent aujourd’hui un léger déclin, mais elles représentent néanmoins l’image canonique de l’imprimé arménien. L’usage des notrgir en labeur a été abandonné à la fin du xixe siècle. Cette forme n’est aujourd’hui employée qu’occasionnellement comme caractère décoratif. 63 Formes latinisantes En parallèle, la typographie arménienne continue de se développer en écho aux évolutions de la typographie latine. L’usage de ces polices de caractères s’est généralisé et touche autant les imprimés de diaspora occidentale que ceux de diaspora orientale ou d’Arménie. › en haut : ՀՐԱՆՏ ՍԱՄՈՒԷԼ, ՕՐՈՒԱՆ ԽՕՍՔԵՐ, Orouan khoskyèr, Hrant Samouel, Paris, 1982. D’autres polices s’affilient aux linéales modernistes, avec plus ou moins de radicalité : l’éventail des possibilités s’étend des formes complètement géométrisées jusqu’à un traitement plus « humaniste » de la linéale. Dans la droite lignée des caractères de plomb présentés aux page 56 et 57, certaines polices s’inspirent des formes latines classiques. Extraits de casses d’Ara mr, Ara kr, et Ara ar, fontes système pour MacOs 9, dessinées par Ari Topouzkhanian. ԵՐԿՈՒ ԾԻԱՆՆԵՐ, ԱՆԱՀԻՏ Ն. ԴԱՒԻԹԵԱՆ, Yergou Dziannouïrr, Anahid N. Taouitian. La typographie arménienne La typographie dans les éditions arméniennes contemporaines Extraits de casses d’Ara mr, Ara kr, et Ara ar, fontes système pour MacOs 9, dessinées par Ari Topouzkhanian. 64 › en bas : Sayat-Nova, Odes arméniennes, édition bilingue, L’Harmattan, 2006. La typographie arménienne La typographie dans les éditions arméniennes contemporaines NSImpact, NSMistral, NSBernhard, NSCooper, NSAvantGarde, dessinées par Nerses Boyadjian pour NorStandard fonts, États-Unis. Au xxe siècle, et d’autant plus depuis la photocomposition et la numérisation, pléthore de fontes sont créées d’après les modèles latins. Ainsi, les catalogues de typographie arménienne sont dotés de polices portant les noms de Arial, Trebuchet, Mistral, Avant-Garde, Bernhard, Baskerville… Ces caractères sont conçus de façon à rappeler le dessin de leur homonyme latin, mais il s’agit plus d’une ressemblance que d’une réelle extension de ces polices aux caractères arméniens. 66 Caractères de titrage La typographie arménienne n’en oublie pas pour autant de cultiver ses spécificités. En écho à la production toujours vivace de lettres ornementées peintes ou gravées, de nombreuses polices proposent des alphabets de capitales ornementées. Les formes et les motifs s’inspirent des anciennes lettrines ou se composent de formes géométriques. Bien que cette tendance perde aujourd’hui un peu de terrain, on n’en retient pas moins une très grande vitalité dans la création de caractères ornementaux et de titrage, évoluant en marge de la création occidentale et affirmant toujours haut et fort leur particularité arménienne. 67 › à gauche : Tables de caractères décoratifs arméniens, Fred Africkian, Erevan 1984. › à droite : Typographies artistiques, Karo Tiratourian, Erevan 1963. Les lettrages peints ou gravés par des artistes sont souvent la source d’inspiration des polices décoratives. La question de l’italique Si l’on demande à n’importe qui de définir ce qu’est une italique, la réponse est généralement : « c’est une écriture penchée ». En typographie latine, l’italique représente pourtant bien plus. À sa naissance, entre les mains de Francesco Griffo et Alde Manuce, elle était une typographie cursive (sa structure étant donc différente du romain) et entièrement autonome. Plus tard, elle sera utilisée comme caractère de contraste avec le romain, afin de signifier l’introduction d’une seconde voix, d’une seconde couche de sens dans le discours écrit. Aujourd’hui, la notion d’italique répond toujours à cet usage, mais le dessin de ces caractères s’est diversifié. Une italique peut ainsi présenter soit une structure particulière dûe à la cursivité, soit une chasse moindre, soit un axe oblique, soit les trois en même temps – cette liste n’étant bien entendu pas exhaustive. Or nous avons vu que la typographie arménienne a abandonné l’usage du notrgir comme forme d’italique, qui était effectivement une version cursive de l’arménien, et qu’à l’origine, les caractères courants sont déjà penchés. Ceci explique peut-être pourquoi l’arménien ne semble pas avoir de code typographique précis concernant l’usage d’une forme apparentée à notre italique. En effet, lorsqu’il s’agit d’intégrer une citation à un texte, on remarque que l’alternative employée répond bien à la logique de contraste. Si le caractère de texte est droit, le contraste se fera avec un caractère oblique, et inversement. On notera aussi que des italiques (des caractères cursifs) ont été créées pour les polices arméniennes imitant le plus les formes latines à empattement. Mais la référence ne se situe pas au niveau des formes calligraphiées de l’arménien, qui, sur les manuscrits, n’ont jamais emprunté cette rondeur. Il s’agirait plutôt d’une transfusion de la structure italique à l’arménien. La pratique calligraphique contemporaine et les écritures personnelles présentent des pistes intéressantes de cursivité. Ա Ա Ա Ա Բ Բ Բ Բ Գ Գ Գ Գ ա ա ա ա բ բ բ բ Le Mshatakan, famille de police installée par défaut sur les ordinateurs Apple, regroupe un regular, un oblique, un bold et un bold oblique, comme aujourd’hui beaucoup d’autres polices arméniennes. › en haut à droite et en bas : Tables de caractères décoratifs arméniens, Fred Africkian, Erevan 1984. › en haut à gauche : Modèles d’écriture dans un manuel d’arménien. 69 գ գ գ գ Cohabitation de caractères arméniens et latins Parfois, le contraste des typographies différencie nettement l’arménien du français. Harmonisation ou différenciation ? Lorsque des textes arméniens et français sont amenés à cohabiter, il est intéressant de noter l’attitude adoptée, qu’elle soit volontaire ou pas. Les deux alphabets vont, par essence, créer des gris typographiques différents. En effet, alors que l’alphabet latin se caractérise par des formes assez variées, beaucoup de rondeurs contrastant avec des lignes plus droites, l’arménien lui paraît plus hiératique. Cette impression naît de l’aspect très vertical de ses lettres et du faible nombre de courbes. Parfois, cette différence est exacerbée par l’usage d’un caractère arménien très classique avec une elzévirienne latine. L’arménien ressort alors encore plus par sa noirceur, son axe oblique, ses formes quasi-géométriques, ses tracés coupés net. Par comparaison, le latin paraît beaucoup plus clair, ses empattements lui apportant une subtilité contrastant avec la rudesse de l’arménien. D’autres fois, ce sont des caractères, traditionnels ou latinisants, qui ont été choisis séparément selon les typographies à disposition ou le goût personnel. Quelle qu’en soit la raison, on constate que dans la majorité des ouvrages bilingues franco-arméniens, les deux langues sont clairement différenciées. Ce contraste peut entrer au service d’ouvrages didactiques (manuel d’apprentissage de l’arménien, dictionnaire), puisque le sens émerge justement de l’opposition de ces deux langues. En revanche, certains livres bilingues présentent un choix de typographies au dessin ou à la graisse proches. L’intention est ici d’harmoniser le plus possible le latin et l’arménien afin d’obtenir un gris optique homogène. Cette solution est souvent utilisée lorsque les deux langues sont mêlées dans le même texte. D’autres fois, les typographies latines et arméniennes s’harmonisent. 71 Les typographies multilingues En réponse à ce besoin d’harmonisation, des familles de polices multilingues ont été créées : elles mettent à disposition une police latine avec une ou plusieurs autres polices non latines, toutes conçues selon la même logique et destinées à cohabiter. À cette fin, elles présentent des gris typographiques équivalents et une similitude de dessin. Certaines d’entre elles servent le principe d’universalisation par une uniformisation de toutes les écritures autour d’un modèle latin pré-conçu. D’autres ménagent, au sein d’une couleur générale de la famille, des espaces de liberté où les particularités des écritures non latines peuvent s’exprimer. Le Calouste, projet de diplôme réalisé par Miguel Sousa, un ancien étudiant du MA Typographic Design de Reading, présente ce principe subtilement appliqué à l’arménien. Celui-ci possède un axe très légèrement oblique et un traitement différent des empattements, qui le situent à mi-chemin entre le romain et l’italique des caractères latins. La typographie arménienne La typographie dans les éditions arméniennes contemporaines Romain 72 Arménien Italique Patria Nour Patria et Nour ont été dessinés par Hrant Papazian et sont diffusés par The Microfonderie, Californie. Alors qu’habituellement le latin est dessiné en premier et que les autres formes alphabétiques découlent de ce dessin, Hrant Papazian a ici commencé par l’arménien et en a fait découler le latin. Ces deux polices forment une famille de caractères latino-arméniens très complète et offrant un même gris typographique pour les deux langues : › Patria présente, en quatre graisses, un arménien droit aux formes souples, un latin romain au dessin anguleux et un latin italique à l’axe presque vertical. Ainsi, Papazian a fait évoluer le dessin de l’arménien vers les formes du latin, et inversement. › Nour reprend les dessins du Patria pour l’arménien et le latin romain, mais avec un axe oblique. Papazian laisse ainsi ouvertes toutes les possibilités de combinaisons entre l’arménien et le latin. 73 D’autres familles présentent des exemples intéressants de polices multilingues, bien qu’elles ne traitent pas l’arménien. Par exemple, le Maiola de Veronika Burian, publié chez FontFont, et le Gentium, dessiné par Victor Gaultney pour son MA Typographic Design à Reading, présentent des caractères grecs dont la souplesse les rapproche de son origine calligraphique. Gentium Translittération et transcription Afin de s’adresser à ceux qui ne lisent pas son alphabet, de communiquer par internet ou dans un but d’étude, des systèmes de translittération et de transcription des phonèmes arméniens en caractères latins ont été mis au point. La translittération permet, à l’aide de lettres latines et de signes diacritiques, de faire correspondre une seule lettre latine à chaque lettre arménienne, mais présente l’inconvénient de n’être pas compréhensible à moins d’avoir appris ce code. Il s’agit d’une notation précise, utile à l’étude universitaire de l’arménien. La transcription, plus instinctive et moins précise, nécessite un minimum de codes, mais demeure accessible à n’importe qui et permet de donner une idée générale de la prononciation. Les phonèmes arméniens sont transcrits à l’aide de plusieurs lettres latines si besoin, quelques signes diacritiques sont employés, mais les lettres gardent en majorité leur prononciation française habituelle. Il s’agit de la méthode employée dans ce livret, avec parfois quelques libertés pour la simplifier encore, le but n’étant pas d’étudier précisément la linguistique arménienne. › Page suivante : Table de caractères de tranlittération et de transcription de l’alphabet arménien. La translittération présentée est celle mise au point par Hübschmann, Benvéniste et Meillet. La transcription est soumise aux prononciations de l’arménien oriental ou occidental. Maiola La typographie arménienne La typographie dans les éditions arméniennes contemporaines Le Synafia de Natalia Chuvatin, dessiné pour son diplôme de DSAA de création typographique, fonctionne lui aussi comme une rencontre à mi-chemin pour atteindre un même gris typographique : le russe, d’ordinaire très anguleux est adouci, tandis que le latin, plus rond, est verticalisé. 74 75 ԱԲ ԳԴԵ Զ Է Ը ԹԺ Ի Լ Խ ա բ գ դ ե զ է ը թ ժ ի լ խ translittération a b g d transcription orientale a b gu transcription occidentale a p k e z ē � (ǝ) tʻ � i l x d é - yé z è e t - th j i l kh t è - yè z é e j i l kh t Ծ Կ Հ ՁՂՃՄ Յ ՆՇ Ո Չ Պ ծ կ հ ձ ղ ճ մ յ ն շ ո չ պ c k h j ł č m ts k h dz r tj dz g h tz r dj y n š m i - h n ch o - vo tch p m n ch o - vo tch b y o čʻ ՋՌՍՎ Տ Ր Ց Ւ Փ Ք Օ Ֆ ջ ռ ս վ տ ր ց ւ փք օ ֆ � � s v t cʻ w pʻ kʻ ō f dj rroulé s v t rchuinté ts iu p k o f dch rroulé s v d rchuinté ts u ô f 76 r pfort kfort p La typographie arménienne semble bicéphale, tendue à la fois vers son riche héritage et vers les formes latines. Entre ces deux directions opposées se trouve un vaste espace encore peu exploré, mais qui entre en écho avec cette identité hybride et librement interprétée que se composent les membres de la diaspora. Ceux-ci disposent en Occident d’un nouveau terrain de jeu pour faire évoluer la typographie arménienne, entre l’exotisme de ses formes traditionnelles archétypiques, conservées avec nostalgie, et l’aspect familier de la typographie latine à laquelle elle est constamment exposée. Construction du projet axe droit angularité géométrie noirceur axe oblique Sur la base des recherches menées cette année et formulées dans ce livret, je propose de dessiner un ensemble de caractères latins et arméniens de diaspora destinés à l’édition bilingue. Il ne s’agira pas de polices pour l’étude universitaire, mais bien de caractères conçus pour un usage littéraire courant : en somme ; un caractère par et pour la diaspora. Je souhaite ainsi donner un visage typographique à l’identité hybride des Arméniens de diaspora occidentale. Sur quelles bases concevoir une typographie de diaspora ? Puisque mon travail porte sur le dessin de caractères de lecture courante, il ne s’agit pas de prendre en compte uniquement les structures de l’arménien et du latin, mais je vais aussi considérer celles d’un caractère de contraste tel que l’italique. Voilà donc les ingrédients dont je vais disposer librement, comme les Arméniens de diaspora forment chacun leur identité en réinterprétant leur héritage arménien et occidental. Il s’agit de créer un dialogue entre les typographies arméniennes et latines, et non pas d’imposer l’uniformisation de l’une sur le modèle de l’autre. ա arménien droit ա arménien oblique 79 a latin romain a latin italique axe droit rondeur élégance finesse cursivité Quelles pistes de travail ? › Avec l’alphabet latin, les notions de romain et d’italique mettent en regard typographie et écriture manuscrite. Il pourrait être intéressant d’appliquer ces notions à l’arménien (en dessinant par exemple des caractères cursifs au lieu des caractères obliques) en s’inspirant des premiers manuscrits jusqu’aux écritures personnelles contemporaines. Pour l’arménien comme pour le latin, ce sont des formes manuscrites contemporaines des débuts de l’imprimerie (fin xve et xvie siècles) qui ont servi de modèle aux premiers caractères de plomb et dont les formes persistent encore aujourd’hui. Dans cette logique de temporalité, une typographie de diaspora pourrait aussi être témoin des formes manuscrites actuelles de diaspora. › Il est possible de dissocier fortement trois niveaux de contraste pour l’arménien : capitales géométriques, bas-de-casse hybrides et caractères cursifs. Ces pistes de travail se centrent sur la conception d’un ensemble de caractères autour d’un « air de famille ». L’arménien et le latin ne présenteraient pas le même gris optique, mais partageraient assez de points communs (chasse, graisse, gabarit général…) pour pouvoir cohabiter harmonieusement. › Le passage par l’écriture en mêlant les lettres arméniennes et latines dans un même texte pourrait permettre de les travailler ensemble pour leur donner, aux unes et aux autres, une même logique de dessin, un même gris. La typographie arménienne Construction du projet › La pluspart des lettres arméniennes, formées à partir d’un petit nombre de modules, présentent une forme similaire et une chasse identique. Ceci n’est pas un problème pour qui lit couramment l’arménien. Mais comme ce n’est pas le cas de tous les Arméniens de diaspora, je souhaite tout faire pour leur rendre leur alphabet plus facile d’accès. L’un des facteurs d’une bonne lisibilité réside dans la différence. Je vais ainsi chercher à différencier les caractères arméniens par leur structure et leur dessin. 80 Inventaire des différentes structures des minuscules observées sur un échantillon de manuscrits anciens, de fontes traditionnelles et latinisantes. (extrait) Quels impératifs ? Ligatures L’arménien possède quelques ligatures usuelles : մ+ն} մ+ե} մ+ ի} վ+ ն} մ+ խ} ե+ ւ} Elles permettent d’éviter des conf lits d’ascendantes et de descendantes (comme nos ligatures fi, ff…) et sont donc indispensables. La pratique permettra de déterminer s’il est nécessaire de dessiner d’autres ligatures ou si le réglage d’approches de paires sera suffisant. 81 Ա Բ Գ Դ Ե Զ Է Ը Թ Ժ Ի Լ Խ Ծ Կ Հ Ձ Ղ Ճ Մ Յ Ն Շ Ո Չ Պ Ջ Ռ Ս Վ Տ Ր Ց Ւ Փ Ք Օ Ֆ Hauteur d’œil, montantes et descendantes des lettres arméniennes. ա բ գ դ ե զ է ը թ ժ ի լ խ ծ կ հ ձ ղ ճ մ յ ն շ ո չ պ ջ ռ ս վ տ ր ց ւ փ ք օ ֆ և ՙ ՚ ՛ ՜ ՝ ՞ ՟ ։ Transcriptions Afin que ces polices soient un outil complet, je dessinerai aussi les signes diacritiques utiles à la translittération de l’arménien1. Ponctuation Certains signes de ponctuation, placés dans le mot, étaient au départ situés sur la lettre. Depuis l’ère de la typographie, l’usage est de les placer après la lettre – ce qui évitait de graver beaucoup de caractères spéciaux ponctués. La typographie numérique a aujourd’hui résolu ce problème, il est donc possible de replacer la ponctuation sur la lettre. Mais il faut aussi savoir que les mots arméniens sont plus longs qu’en français. Un texte arménien comporte moins de blancs inter mots, il a donc l’air plus dense. La ponctuation placée après la lettre permettrait de le blanchir un peu. Quoi qu’il en soit, la pratique déterminera mon approche, étant donné qu’il ne s’agit ni d’emprunter aveuglément des usages, ni de faire allégeance à d’ancienne coutumes, mais de proposer une interprétation contemporaine de l’héritage typographique arménien. La typographie arménienne Construction du projet 1 ՚ ՛ ՜ ՝ ՞ ՟ ։ . � , « apostrophe accent d’emphase exclamation virgule molle interrogation marque d’abréviation point final point-virgule trait d’union virgule » guillemets Codage Auparavant, composer un texte en arménien était difficile. Chaque typographe codait sa fonte à sa manière : à chaque glyphe, on faisait correspondre à son goût un code. Si bien qu’un texte tapé dans la police A pouvait devenir incompréhensible s’il était passé dans la police B : les codes utilisés par la machine étaient les mêmes, mais ces codes n’appelaient pas les mêmes glyphes. Aujourd’hui, la norme Unicode attribue à chaque alphabet du monde une plage de codes qui lui est propre et à chaque lettre un code unique. Ceux-ci sont devenus une norme simple et utilisable par tous. Configuration de clavier Il existe plusieurs modèles de claviers arméniens dont l’emplacement des lettres diffère. Mais chacune de ces configurations de clavier est maintenant accompagnée d’un clavier virtuel respectant la norme Unicode. Autrement dit, une même lettre peut être placée à différents endroits sur les différents claviers, mais elle appellera toujours le même code Unicode. Il est donc évident que cette norme sera utile pour que les nouvelles fontes soient utilisables. Voir Translittération et transcription p.71. 82 83 La typographie arménienne Construction du projet La table Unicode de l’arménien présente bien un espace pour chaque lettre arménienne et la table des ligatures alphabétiques présente les ligatures arméniennes usuelles. 84 Pour mener à bien ce projet, je me positionne en tant que membre de la diaspora arménienne, avec toute la part d’objectivité et de subjectivité que cela implique. Je bénéficie aussi du conseil de personnes maîtrisant bien la langue et l’écriture arméniennes. J’espère ainsi apporter des éléments de réponse à cette question : comment la mise en regard de deux sources d’inspiration, latine et arménienne, peut-elle donner naissance à une troisième entité, une typographie de diaspora ? – mars 2007 – Références Lectures Ouvrages en arménien AGÉMIAN Sylvia.- Manuscrits arméniens illustrés dans les collections de Roumanie.- Bucarest : Éditions Meridiane, 1982. CALVET Louis-Jean.- Histoire de l’écriture.- Paris : Plon, 1996. 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Centre du patrimoine arménien, Valence : exposition et centre de documentation. Librairie orientaliste Samuelian, Paris. 89 Contacts Dr Ari TOPOUZKHANIAN, chercheur au CNRS, rédacteur en chef, créateur typographe. Pr Robert DER MERGUERIAN, chaire d’études arméniennes de l’Université de Provence. Sylvia TOPOUZKHANIAN, linguiste. Jean AGOPIAN, mon grand-père, parle et écrit couramment l’arménien. Résidents arméniens de la Maison des Étudiants Arméniens, Cité Internationale de Paris. 90 … à mes professeurs, Claire Cornet, Michel Derre, Jean-Louis Estève, Francis Freisz, Margaret Gray, Franck Jalleau, Claire Labaronne, Arnaud Martin, Sébastien Morlighem & Christine Viglino. … aux sympas, Clémence Michon, Yohanna My Nguyen, Pauline Nuñez, Jonathan Perez, Valentine Proust, Mathieu Réguer & Nathalie Wegener. merci ! grand Un … aux premières années, Adèle, Antoine, Aude, Chloé, Jean-Philippe, Lucie, Marion & Raphaël. … pour leur aide et leur conseils précieux, à Hervé Aracil, à Robert Der Merguérian, à Sylvia & Ari Topouzkhanian, à Jean-Baptiste Levée, à Arminée. … pour leur soutien et leurs encouragements, à ma famille, et en particulier mes grands-parents Jean et Noëlie, à mes amis, et en particulier Zabeth, Cath, Joël et Pierre, à mon Père. Les textes latins sont composés en Legacy Serif et Legacy Sans – Ronald Arnholm pour ITC, les titrages en Avance – Evert Bloemsma pour FontFont, et l’arménien en Mshtakan. Achevé d’imprimer par l’Imprimerie Launay en avril 2007. *