Analyse

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Analyse
LA FANTAISIE DES MOTS
UN AUTRE MOT POUR LE GIRLPOWER ?
Analyse
Décembre 2011
Anne Snick, Coordinatrice asbl
Flora
Notre langue n’est pas toujours si belle… Nous utilisons couramment des mots laids, démodés ou
mal considérés. Un programme matinal de Klara, la station classique de la VRT, revient sur la
langue pour mettre sur la sellette ces mots. Objectif : leur trouver une alternative. À la recherche
de mots plus beaux, dont la sonorité fait moins mal aux oreilles, qui provoquent moins de débats
et qui sont plus adaptés, les auditeurs sont appelés à donner leurs idées. Ces alternatives sont
ensuite compilées dans un livret. Le mot « GIRLPOWER » est remis en question. Comment mieux
parler des luttes féministes ?
À BAS LE GIRLPOWER
Liesbeth Van Impe, chef de la rédaction politique pour le quotidien
« Het Nieuwsblad » n’aime pas le terme « GIRLPOWER » :
« Quand les femmes luttent pour l’égalité des droits, des choses
étranges se produisent quelquefois. Personnellement je n’ai jamais
compris ce qui était libérateur dans le fait de bruler son soutiengorge, ou pourquoi raser ses aisselles était une question idéologique.
Mais bon, il fallait sûrement être là pour comprendre. Ce que je ne
comprendrai jamais, c’est pourquoi nous pensions que le féminisme
allait se dépoussiérer en utilisant le terme « GIRLPOWER ».
Dans les années 90, le féminisme n’était peut-être pas encore démodé, mais la plupart des
féministes l’étaient. Beaucoup ont estimé que la bataille avait déjà été menée avant dans les années
‘70. De nouveaux modèles de féminisme devaient alors être trouvés. Dans le délire collectif, le
phénomène des « SPICE GIRLS » semblait être une bonne idée. À la télévision, on retrouvait de
nouvelles héroïnes : les jeunes femmes comme « BUFFY contre les vampires » faisaient rayonner
une nouvelle conscience de soi, le « GIRLPOWER », en d’autres mots. » (1)
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Le GIRLPOWER est un mouvement et phénomène culturel et féministe porté par les idoles de la
musique pop des années 90. Le groupe britannique des Spice Girls lance la tendance qui est
récupérée par la suite dans divers milieux, de la mode à la TV.
« Certes, le féminisme nécessiterait un bon époussetage. Et il pourrait être bien plus ludique. Tout
cela était si sérieux jusqu’ici. Pas étonnant d’ailleurs que les femmes aient reçu cette réputation de
pince-sans-rires. Mais le « GIRLPOWER » comme une alternative ? Non, ce n’était vraiment pas une
bonne idée.
Tous ces nouveaux modèles féminins avaient une chose en commun : non
seulement, elles représentaient le succès (certains personnages féminins
sauvaient le monde à la TV chaque semaine), mais elles ont aussi lancé la
mode, en sauvant le monde en hauts talons et en sachant quel rouge à
lèvres était à la mode une semaine et démodé la suivante. Jeunes, belles,
confiantes et prêtes à dépenser beaucoup d’argent pour des vêtements,
du maquillage et des accessoires, bref, ces modèles devenaient le rêve de
tout commercial. Pas étonnant car elles ont été créées par des
commerciaux.
Les filles du GIRLPOWER devaient être cool et sympathiques, mais la
réalité est plus triste. Il ne s’agit pas de femmes influentes mais de filles aisées au pouvoir d’achat
plus important. Et le terme GIRLPOWER en devient un mot désagréable. La lutte des femmes n’est
pas finie mais nous avons urgemment besoin de meilleurs mots. » (2)
POUR RESUMER
C’est un fait : le langage féministe conduit parfois à confusion. Nous n’avons donc pas hésité à
envoyer nos commentaires à Klara :
Le terme GIRLPOWER tente sûrement d’être plus sexy pour des jeunes filles aisées. En fait, il propose
la même image arbitraire des luttes pour l’égalité que le terme FEMINISME. On passe de FEMME à
GIRL et de ISME à POWER. Ce nouveau terme semble être plus une capitulation de la société face au
marché plus qu’une profonde révision du concept. Merci à Liesbeth Van Impe de le remettre en
question. Merci à Espresso de lui offrir une tribune pour trouver une alternative.
Récapitulons : les premières féministes se sont battues pour plus d’égalité dans les positions phares
de la société. L’objectif était d’obtenir une participation égale de femmes et d’hommes dans les
positions de pouvoir qui définissent les processus de développement économique et politique. Elles
se sont plaintes de leur condition limitée de femme au foyer, cantonnée à la maison, à la sphère
privée, adonnée au travail domestique et travail de soin. Elles ont alors introduit le terme de GENRE
pour indiquer les différences entre les caractéristiques biologiques des deux sexes et les positions
sociales qui leur sont attribuées par des mécanismes de pouvoir. Divers slogans étaient scandés :
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« Le privé, c’est aussi du politique ! », « Intégrons les femmes dans le développement (women in
development) ! ». Et c’est à ce moment que sont apparues de nouvelles réflexions : deux choses
imprévues/ inattendues se sont produites.
Très vite, les femmes Afro-Américaines ont mis à jour la situation de ces féministes de classes
moyennes blanches qui ont pu mener leurs carrières car elles ont délégué leur maudit travail de soin
à d’autres femmes. Le travail de soin ne disparait pas parce qu’on le méprise. Les mécanismes de
genre (qui attribuent des rôles sur base mais des relations de pouvoir et pas sur base des
caractéristiques biologiques ) semblent ne pas être seulement liés au sexe mais aussi à d’autres
fractures sociales (comme l’origine ethnique, le niveau scolaire, la classe socio-économique). De
nombreuses féministes ont pris conscience du glissement de ces mécanismes de pouvoir : à l’origine
entre hommes, ces mécanismes qui ont fait souffrir les femmes pendant longtemps risquent de se
reproduire désormais entre femmes, de différentes conditions sociales. La bataille pour le pouvoir
semble donc avoir seulement été déplacée. Il est essentiel ici de croiser les facteurs de fractures
sociales pour comprendre que ce ne sont pas uniquement des luttes de pouvoir entre hommes et
femmes mais aussi entre femmes de classes moyennes et femmes plus fragilisées, entre vieux et
jeunes, entre personnes scolarisées et non scolarisées, etc. De plus en plus de gens ont compris que
pour parler d’égalité, nous devons accorder d’abord plus d’attention à l’autre, au plus vulnérable et
pas au plus puissant (tel qu’Emmanuel Levinas le soutient).
Mais une chose encore plus grave s’est ajoutée à cela. Les « processus de développement »
auxquels les femmes carriéristes voulaient participer mènent à différentes crises et sont tout sauf
durables. Même des experts masculins (par ex, Prof. Dr. Bernard Lietaer(2)) ont souligné que les
crises financières, économiques, écologiques et sociales sont créées par un modèle occidental de
développement trop patriarcal et trop masculin, où l’argent bancaire (3) est le seul moyen
d’échange et de valorisation. Et bien que de nombreuses féministes veulent encore concurrencer les
hommes pour les positions clés de la société dans un modèle de développement patriarcal (ou
empreint de valeurs dites “masculines” telles que la concurrence et la compétition), beaucoup de
femmes ET d’hommes veulent au contraire mettre en avant des valeurs féminines (comme la
collaboration et la solidarité). Ces personnes ne veulent plus mesurer et valoriser tout par un argent
qui met en concurrence via les intérêts. L’objectif est ici de passer du « Women In Development »
vers le « Gender As Transition » (raccourci : du WID au GAT).
Ne nous méprenons pas : nous avons encore besoin des stratégies WID. Aussi longtemps que les
femmes ne participeront pas au pouvoir, le pouvoir restera masculin, non pas parce qu’il sera exercé
avec une prépondérance d’hommes mais surtout parce qu’il se base apparemment encore et de plus
en plus sur des rapports de pouvoir, sur la concurrence et l’exclusion. Qu’on parle donc de
WOMENPOWER ou de GIRLPOWER nous importe peu ! “En avant la Marieke ?”
Mais outre les stratégies WID, il est urgent de développer des modèles pour donner forme au GAT.
Car une fois que ces « GIRLS » auront atteint le « POWER » dans une mesure suffisante, elles devront
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avoir des modèles et des stratégies qui font la différence, qui proposent un autre modèle de
développement plus durable. Sinon, on peut aussi bien laisser les hommes seuls bousiller la planète.
C’est pourquoi Flora propose un autre mot (meilleur ou complémentaire à GIRLPOWER) qui irait du
WID au GAT. Ces initiales ne sont pas très sexy, mais en tapant WID-GAT-debat sur le clavier de
l’ordinateur (machine masculine dont on a affirmé qu’elle pensait de façon humaine), une correction
orthographique nous propose WINDGATDEBAT. et bien, oui, parfois on y fait pas mal de vent, mais
espérons que cela s’avère une tempête dans un verre d’eau.
À savoir aussi, Flora en tant que réseau d’expertise dédie une part de sa mission à l’élaboration de
stratégies GAT. Les recherches-actions du réseau impliquent des hommes et des femmes pour
avancer ensemble dans une même direction. Flora utilise le genre comme la notion la plus
appropriée pour éviter ou casser les monopoles qui témoignent, par définition, de valeurs
masculines. Les gens resteront toujours des femmes ou des hommes. Chacun porte en lui des talents
pour aider à construire les générations futures. Flora puise son inspiration dans les luttes féministes
mais nous comprenons que le terme féminisme est peu attrayant pour les hommes. Flora préfère
parler de durabilité ou de résilience, sachant que le développement durable est inconcevable sans
briser le monopole des valeurs (et des systèmes de valorisation) dites masculines.
(1) Traduction, Liesbeth van Impe, http://radio.klara.be/radio/10_espr…
(2) Lietaer, B. (2011). Au cœur de la monnaie. Systèmes monétaires, inconscient collectif, archétypes
et tabous. Paris : Editions Yves Michel.
(3) Lisez aussi : Tu ne l’as pas volé ! Quand l’économie ne gère plus, les citoyens tentent leur chance
pour un système plus solidaire.
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