Pan sur les doigts !
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Pan sur les doigts !
6/12/01 11:01 Page 1 M ED EC IN dossier-pdf-FMC-2137 jean Dossier du généraliste n° 2137 - mardi 18 septembre 2001 Pan sur les doigts ! Fractures des métacarpiens et fractures des phalanges des doigts longs Dr Eric Roulot* (texte et photos) Les progrès des techniques d’ostéosynthèse ne doivent pas faire oublier que les fractures des métacarpiens et des phalanges nécessitent, dans environ 85 % des cas, un traitement orthopédique de première intention. Il faut choisir entre restitution ad integrum de l’anatomie fonctionnelle, donc l’immobilisation, et lutte contre l’enraidissement, donc une mobilisation précoce. Le recours à des spécialistes de la main évite à ces patients d’importantes séquelles, au traitement souvent complexe et aux résultats parfois décevants. SOMMAIRE • Le respect de la fonction. p.2 – Rappel de quelques notions fondamentales. • Les mécanismes de déformation. p.4 2 • L’examen clinique de la main traumatisée. p.5 1 • Traitement : mobilisation sans instabilité. p.7 Photo 1. Radiographie de face d’une fracture consolidée de la première phalange. L’axe de la phalange semble correct. – Traitement orthopédique. – Traitement chirurgical. – Les lésions déterminent les traitements. – Le cas du pouce. – Le cinquième métacarpien. – Fractures articulaires. Photo 2. L’examen clinique du même patient permet de constater qu’il existe en fait un cal vicieux rotatoire important, responsable d’une gêne fonctionnelle importante au serrage du poing. ME DE CIN Photo 3. L’intervention réalisée consiste en une ostéotomie de « dérotation », ostéosynthésée par une double plaque vissée miniaturisée qui permet une rééducation immédiate pour éviter tout accolement tendineux. 3 1 6/12/01 11:01 Page 2 M ED EC IN dossier-pdf-FMC-2137 jean Dossier du généraliste n° 2137 - mardi 18 septembre 2001 Le respect de la fonction Rappel de quelques notions fondamentales fractures des métacarpiens et des phalanges des doigts longs [voir schéma I] sont fréquentes et responsables d’arrêts de travail parfois prolongés, sources d’un important retentissement socio-économique (la durée moyenne d’arrêt travail pour une fracture de la première phalange varie de quatre à huit semaines). Le principe de leur prise en charge repose, comme pour toute fracture, sur la réduction et la stabilisation du foyer fracturaire. Mais elle impose aussi une mobilisation précoce, seule capable de lutter contre l’œdème, les adhérences tendineuses et l’enraidissement articulaire. • Les arches métacarpiennes. La main de l’homme parvient à tenir correctement une balle, avec un parfait contact sur toute sa surface, parce qu’elle est en forme de cupule à double concavité palmaire, longitudinale et transversale [voir schéma II]. Cette double concavité est essentielle à préserver. Elle est le fait, pour l’arche longitudinale, de ILLUSTRATIONS JEAN CLAUDE RIPA L Les dix-neuf os des métacarpiens et des phalanges qui peuvent se fracturer. ES I l’aspect courbe des métacarpiens sur une vue de profil et, pour l’arche transversale, de la mobilité des métacarpiens autour de l’axe fixe médian constitué par le bloc des deuxième et troisième métacarpiens avec, en externe, la colonne du pouce hypermobile et, en interne, les quatrième et cin- Les arches transversale et longitudinale de la main. ME DE CIN II quième métacarpiens mobiles dans le plan antéro-postérieur. Cette configuration permet à la paume de la main d’adopter une géométrie variable, allant d’une position à plat, pour frapper ou prendre appui sur le sol, à une position en boule pour frapper poing serré, en passant par la position de l’aumône (concave pour transformer la main en cupule). • Le carpe tolère mal les déformations. Les deuxième et troisième métacarpiens fixes sont solidement amarrés au carpe et ne tolèrent aucune déformation [voir schéma III]. Tout déplacement fracturaire doit donc être soigneusement recherché et traité. Les quatrième et cinquième métacarpiens, au contraire, arrivent, grâce 2 6/12/01 11:01 Page 3 M ED EC IN dossier-pdf-FMC-2137 jean Dossier du généraliste n° 2137 - mardi 18 septembre 2001 à leur mobilité, à compenser une certaine imperfection de réduction dans le plan antéro-postérieur. • Les phalanges à la bonne longueur. L’harmonie de l’enroulement des doigts et du serrage nécessite que la longueur de chacun des maillons de la chaîne digitale soit scrupuleusement respectée. Le traitement devra donc s’attacher à éviter tout raccourcissement d’une phalange ou d’un métacarpien en réduisant notamment les fractures obliques ou spiroïdes. Les deuxième et troisième métacarpiens fixes sont solidement amarrés au carpe. III Les axes des doigts fléchis doivent converger vers la base de l’éminence thénar. • La convergence des doigts. Afin que tous les doigts puissent toucher la pulpe du pouce en même temps (en pince pollici-digitale), il est nécessaire qu’ils puissent converger vers l’axe du tubercule du scaphoïde (relief osseux palpé dans l’axe de la gouttière du pouls radial, à la base de l’éminence thénarienne [voir schéma IV]). Cette convergence est un élément fondamental à vérifier lorsqu’un patient présente une fracture d’un métacarpien ou d’une phalange. Il s’agit d’un piège classique, cause d’erreurs thérapeutiques fréquentes. En l’occurrence, il faut se méfier des déplacements en rotation car, outre la gêne occasionnée pour la prise pollici-digitale, un trouble rotatoire peut avoir des conséquences catastrophiques : lors du serrage du poing, par exemple, le doigt, pour la prise de force, viendra chevaucher les doigts voisins perturbant ainsi gravement l’enroulement et le serrage [photos 1, 2 et 3]. * Chirurgien de la main, hôpital Lariboisière et Institut de la main (Clinique Jouvenet, Paris). ME DE CIN IV 3 6/12/01 11:02 Page 4 M ED EC IN dossier-pdf-FMC-2137 jean Dossier du généraliste n° 2137 - mardi 18 septembre 2001 Les mécanismes des déformations Les déplacements observés au cours des fractures des métacarpiens et des phalanges sont assez stéréotypés, car les insertions tendineuses y sont nombreuses et exercent une traction qui va conditionner le déplacement et son caractère souvent prévisible. V Sous l’action conjuguée des interosseux et des tendons fléchisseurs, le fragment distal des métacarpiens se fléchit. 1. Tendon extenseur 2. Interosseux 3 et 4. Tendons fléchisseurs. VI Pour les métacarpiens Sous l’action des interosseux, le fragment proximal d’une fracture diaphysaire de la première phalange se fléchit, entraînant une angulation à sinus dorsal. Les interosseux et les fléchisseurs puissants vont favoriser la bascule palmaire du fragment distal, avec un déplacement en flessum parfois important comme pour les fractures du col du métacarpien [voir schéma V]. Pour le premier et le cinquième métacarpien, les petites fractures articulaires rompent souvent les 2 La fracture de la deuxième phalange située en amont de l’insertion du tendon fléchisseur superficiel développe une angulation à sinus palmaire. 1.Tendon du fléchisseur profond 2.Tendon du fléchisseur superficiel. 1 VIII La fracture de la deuxième phalange située en aval de l’insertion du tendon fléchisseur superficiel développe une angulation à sinus dorsal. ME DE CIN Les interosseux par leurs insertions vont également produire un raccourcissement et un déplacement rotatoire dans le sens de la pronation pour les deuxième et troisième métacarpiens, et de la supination pour le quatrième et le cinquième métacarpien. Le sens de la spire, au cours des fractures obliques et spiroïdes, va, lors du raccourcissement, conditionner également le sens de la rotation. VII 4 6/12/01 11:02 Page 5 M ED EC IN dossier-pdf-FMC-2137 jean Dossier du généraliste n° 2137 - mardi 18 septembre 2001 connexions avec les solides insertions ligamentaires qui restent fixées sur le petit fragment en place et qui assuraient la stabilité articulaire, laissant le métacarpien soumis aux fortes contraintes de traction exercées en haut et en arrière par le long abducteur du pouce, pour le premier métacarpien, et par le cubital postérieur pour le cinquième métacarpien. Il s’agit, alors, de véritables fractures luxations articulaires imposant une réduction généralement chirurgicale. Un mécanisme similaire existe pour les deuxième et troisième métacarpiens, avec un déplacement en luxation postérieur consécutif à la traction exercée par les tendons radiaux. Pour les phalanges Les fractures diaphysaires de P1 se déplacent en recurvatum du fait de l’action de l’extenseur sur le fragment distal et du rôle abaisseur exercé par la dossière interosseuse sur le fragment proximal [voir schéma VI]. Lors des fractures diaphysaires proximales de P2, la grande puissance du fléchisseur superficielle attire le fragment distal en flexion et donc la fracture en flessum [voir schéma VII]. Par contre, si le trait de frac- ture passe en aval de l’insertion du fléchisseur superficiel, celui-ci agira sur le fragment proximal avec une déformation fracturaire alors en recurvatum [voir schéma VIII]. Enfin pour les fractures de P3, si le trait de fracture détache l’extenseur, il se produit une déformation en maillet avec arrachement d’un petit fragment osseux articulaire dorsal laissant la phalange soumise aux seules contraintes en flexion du fléchisseur profond sur P3. Une fracture plus distale que le fléchisseur ne sera, elle, soumise à aucune contrainte de tractions par les tendons. L’examen clinique de la main traumatisée L’examen clinique reste fondamental : il permet d’apprécier certains paramètres qui échappent à tout autre examen. Les déformations des doigts sont souvent difficiles à apprécier à cause de l’œdème et de la douleur, mais vérifier la bonne convergence en flexion des doigts vers le tubercule du scaphoïde et la conservation de l’arche métacarpienne transversale reste indispensables. P il reste indispensable, car les examens radiographiques sont systématiquement pris en défaut dans l’appréciation des troubles rotatoires. L’explication de cette difficulté à apprécier un trouble rotatoire à l’aide d’une radiographie est d’ailleurs assez simple. Si, par exemple, on imprime à un manche à balai coupé transversalement une rotation de l’un des deux bouts tout en maintenant un contact parfait au niveau de la zone de coupe, celui-ci paraîtra tou- ME DE CIN apprécier cette bonne convergence des doigts, il faut examiner la main fermée, avec les métacarpo-phalangiennes (MP) et les interphalangiennes proximales (IPP) fléchies et les interphalangiennes distales (IPD) tendues ; les doigts doivent alors tous se diriger vers le tubercule du scaphoïde, relief osseux palpé dans l’axe de la gouttière du pouls radial, à la base de l’éminence thénarienne. Cet examen est parfois difficile à réaliser sur une main douloureuse et gonflée, mais OUR jours parfaitement droit quel que soit l’angle de vue. Pour les traits spiroïdes, le piège reste le même puisque, selon le principe de la spire, la rotation est possible en conservant un axe droit au prix d’un petit raccourcissement qui, à lui seul, n’a rien d’affolant pour le praticien non averti. L’intégrité de l’arche métacarpienne transversale est appréciée en posant les deuxièmes phalanges en appui sur le plan d’une table lorsque le poing 5 6/12/01 11:02 Page 6 M ED EC IN dossier-pdf-FMC-2137 jean Dossier du généraliste n° 2137 - mardi 18 septembre 2001 est fermé. Les têtes des métacarpiens des doigts longs doivent alors dessiner un arrondi harmonieux, sans impression d’effacement d’une des têtes métacarpiennes [photo 4]. Photo 4. Examen de l’arche métacarpienne transversale. Le poing est examiné fermé et posé sur le plan de la table. On constate un effacement net de la tête du quatrième métacarpien, consécutif à une fracture avec raccourcissement de la longueur du métacarpien. Une bascule importante du col d’un métacarpien pourra provoquer, outre un effacement dorsal de la tête du métacarpien, une saillie de celle-ci en palmaire. On recherchera aussi une plaie cutanée qui, associée à une fracture, fera porter le diagnostic de fracture ouverte et imposera alors la vérification du vaccin antitétanique, la mise en route d’une antiobioprophylaxie rapide, puis le parage et la suture de la plaie sans délai. L’appréciation de l’intégrité de l’appareil tendineux et vasculo-nerveux doit également être consignée. 4 Radiographies systématiques Les radiographies sont systématiques et reposent, le plus souvent, sur de simples incidences de face et de profil, complétées au moindre doute par des incidences de trois quarts. Le deuxième et le cinquième métacarpiens sont difficiles à bien voir sur les incidences de profil à cause des superpositions osseuses ; on les rend visibles en mettant la main de profil : — en pronation de trente degrés pour le deuxième métacarpien ; — en supination de trente degrés pour le cinquième métacarpien. Les traits de fracture : a = fracture transversale b = fracture oblique c = fracture oblique à biseau long d = fracture spiroïde e = fracture métaphysaire proximale f = fracture métaphysaire distale g = fracture articulaire h = fracture comminutive ME DE CIN IX 6 6/12/01 11:02 Page 7 M ED EC IN dossier-pdf-FMC-2137 jean Dossier du généraliste n° 2137 - mardi 18 septembre 2001 Traitement : mobilisation sans instabilité La mobilisation précoce reste la meilleure méthode pour lutter contre la séquelle la plus fréquente qu’est l’enraidissement des doigts. C’est l’objectif prioritaire. Mais cet objectif reste soumis à l’obtention d’une stabilité suffisante du foyer de fracture pour ne pas s’exposer à un déplacement secondaire. La chirurgie est alors parfois nécessaire. fractures sont d’emblée stables, soit parce qu’elles ne sont pas du tout déplacées, soit parce qu’elles sont stables au testing après réduction. D’autres sont stables après une courte immobilisation. Certaines, enfin, déplacées ou instables, nécessitent un traitement chirurgical qui, après réduction, peut consister : — en une ostéosynthèse légère, souvent sans ouverture du foyer de fracture, et dont la solidité reste proportionnelle à la faible agressivité du traitement ; — ou, au contraire, en une ostéosynthèse solide, qui n’est pas sans risque mais qui autorise une rééducation précoce, facteur de bons résultats. C Syndactylisation du doigt fracturé aux doigts voisins. ERTAINES • La syndactylie. L’immobilisation immédiate concerne les fractures stables. Elle est au mieux réalisée par la mise en syndactylie qui consiste à fixer le doigt traumatisé avec le doigt voisin le plus proche en taille et qui va jouer un rôle de tuteur dynamique, protégeant le doigt traumatisé des sollicitations latérales et l’entraînant à se mouvoir en flexion-extension [voir schéma X]. X Le foyer de fracture est en principe suffisamment englué en trois semaines pour autoriser une mobilisation libre, mais il faut attendre six semaines avant d’autoriser des contraintes normales. La radiographie est de peu d’intérêt pour apprécier la consolidation au début et il ne faut pas attendre une consolidation radiologique qui reste très tardive pour débuter la mobilisation. La radiographie reste, en revanche, utile pour surveiller l’absence de déplacement. ME DE CIN Traitement orthopédique • L’attelle. L’immobilisation, quand elle est indispensable, se fait le plus souvent par une attelle. Source d’enraidissement important, elle doit être d’une durée la plus courte possible. Les immobilisations en extension de la main et des doigts, particulièrement dangereuses, sont à proscrire formellement. De même, les attelles de fortune sont fortement déconseillées, car source de raideur en extension des métacarpo-phalangiennes (MP) et en flexion des interphalangiennes proximales (IPP) qui, dans les formes sévères, interdisent à terme toute utilisation de la main. L’immobilisation en position dite « de fonction » a longtemps été préconisée. Aujourd’hui, elle doit pourtant être utilisée avec beaucoup de prudence, à cause, ici aussi, d’un risque d’enraidissement encore trop fréquent. Il est plutôt recommandé, sauf cas particuliers, d’adopter une position en flexion de 80° à 90° des métacarpo-phalangiennes et en extension complète des interphalangiennes proximales et distales. Cette position, dite « intrinsèque plus », évite en effet la rétraction des puissants 7 6/12/01 11:02 Page 8 M ED EC IN dossier-pdf-FMC-2137 jean Dossier du généraliste n° 2137 - mardi 18 septembre 2001 Position d’immobilisation, dite « intrinsèque plus ». 80° XI muscles intrinsèques de la main (ceux qui prennent naissance dans la main, par opposition aux muscles extrinsèques dont le corps est antébrachial [voir schéma XI]. Les petites attelles en aluminium malléable, recouvertes de mousse protectrice, sont adaptées à ce type d’immobilisation [voir schémas XII et XIII]. On peut compléter le traitement par un plâtre ou par une résine circulaire prenant la main et le poignet (mais jamais les doigts) en englobant la partie proximale de l’attelle, lui évitant ainsi de tourner. 35° 45° XII Plâtre immobilisant le poignet avec attelle digitale palmaire. XIII ME DE CIN Plâtre immobilisant le poignet avec attelle digitale dorsale. • La réduction orthopédique d’une fracture peut, dans certains cas, être suivie d’une rééducation précoce, comme pour les fractures de la diaphyse de P1 lorsqu’elles sont immobilisées dans une orthèse thermomoulée en position « intrinsèque plus », avec mobilisation immédiate des interphalangiennes proximales comme pour les fractures de col de métacarpien. Cette mobilisation précoce protégée limite les risques de déplacements fracturaires, mais doit cependant être surveillée radiologiquement au départ. Il en va de même pour les fractures stables de P2 et de P3 qui autorisent — sous couvert d’une attelle courte en extension de l’interphalangienne distale — la mobilisation immédiate de l’interphalangienne proximale. Le principe directeur est de n’immobiliser que les maillons de la chaîne digitale indispensables à la stabilité fracturaire, en évitant d’immobiliser une articulation non concernée, surtout lorsqu’il s’agit d’une articulation aussi essentielle que l’interphalangienne proximale, qui a fortement tendance à l’enraidissement. 8 6/12/01 11:02 Page 9 M ED EC IN dossier-pdf-FMC-2137 jean Dossier du généraliste n° 2137 - mardi 18 septembre 2001 Traitement chirurgical Lorsque la fracture est manifestement instable, il faut réaliser une ostéosynthèse. La chirurgie est pratiquée sous anesthésie régionale, par bloc axillaire, le malade étant hospitalisé durant vingt-quatre heures. Mais le traitement chirurgical peut être ambulatoire en cas de fracture isolée sans gros délabrement des parties molles. A travers peau Le brochage percutané, dans la mesure où il ne nécessite pas un abord du foyer de fracture, limite considérablement les risques infectieux et les risques de nonconsolidation consécutifs au « dépériostage » du foyer de fracture, indispensable en cas de chirurgie à ciel ouvert. La stabilisation obtenue est ainsi souvent assez médiocre, mais elle a l’avantage de permettre une mobilisation précoce, éventuellement protégée par une orthèse segmentaire. Les techniques de brochage sont nombreuses et obéissent à certains principes généraux. Il faut éviter que les broches ne traversent ou Photo 5. Fractures multiples avec conservation des axes digitaux et traits de refend articulaires simples pour les deux interphalangiennes proximales ; trait comminutif pour l’interphalangienne distale. La conservation de la congruence articulaire et la difficulté prévisible de l’ostéosynthèse imposent un traitement orthopédique, et un début prudent de la rééducation dès la fin de la troisième semaine. 5 ne bloquent les articulations non fracturaires. Elles doivent souvent être positionnées par deux, en croix ou parallèlement, pour éviter la rotation autour de l’axe d’une seule broche. On les retire systématiquement, en général six semaines après leur pose. Elles sont souvent faiblement enfouies dans les tissus sous-cutanés pour ne pas s’exposer à l’infection et rester ac- cessibles à une ablation facile en consultation. Pour les métacarpiens, les brochages transversaux assurent une bonne stabilité, au prix d’un risque iatrogène faible ; ils permettent de traiter à peu près tous les types de fracture en stabilisant le métacarpien fracturaire par le métacarpien sain voisin. Les bro- Photo 6. Fracture à deux étages. — La fracture de la base de P3 soulève, surtout par son volume, le problème de la congruence articulaire qui est menacée avec un risque de subluxation palmaire de la troisième phalange. — La fracture de la base de P2 s’assimile, en revanche, à un arrachement de la plaque palmaire dans le cadre d’une entorse par traumatisme en hyperextension. Son petit volume ne la rend pas menaçante pour la congruence articulaire, le risque étant surtout lié à l’enraidissement en flexion de l’interphalangienne proximale. ME DE CIN 6 9 6/12/01 11:02 Page 10 M ED EC IN dossier-pdf-FMC-2137 jean Dossier du généraliste n° 2137 - mardi 18 septembre 2001 Photo 7. Fracture de la base de P1 (fracture de Bennett). Le fragment de petite taille est trompeur. Il s’agit de fractures très instables. Elles se déplacent très volontiers et ont des conséquences redoutables. Elles sont très chirurgicales. 7 A ciel ouvert Il est parfois nécessaire de réaliser une ostéosynthèse en abordant le foyer de fracture. Cette 8 ostéosynthèse doit être la plus solide possible : il s’agit de démarrer la rééducation immédiatement afin de limiter les accolements cicatriciels. Les différentes techniques pour ces ostéosynthèses très stables font appel aux vis, aux cerclages, aux clous centromédullaires, aux plaques vissées. Le matériel miniaturisé peut souvent être définitivement laissé en place, mais son volume gêne parfois la bonne coulisse des structures tendineuses, rendant alors l’ablation du matériel indispensable. Cette ablation doit en principe être différée d’au moins six mois. Photo 8. La même fracture après déplacement. Remarquez la luxation de la base du premier métacarpien et l’importante fermeture commissurale, responsable d’un handicap fonctionnel majeur. ME DE CIN chages centromédullaires sont plus élégants, mais leur stabilité est moins bonne. La stabilisation par minifixateur externe reste à part. Elle permet une stabilisation fiable, sans qu’on ait besoin d’aborder le foyer de fracture. Elle rend donc de grands services, mais elle est le plus souvent réservée, étant donné son encombrement et la nécessité de soins fréquents, aux cas difficiles ou aux gros délabrements cutanés, avec risque infectieux important interdisant toute mise en place de matériel. Les lésions déterminent les traitements • La prise en charge des fractures diaphysaires est uniquement conditionnée par la nécessité de respecter l’axe du doigt et du métacarpien, sans laisser persister de troubles rotatoires ni de raccourcissement. • Les fractures articulaires sont, quant à elles, soumises à la nécessité d’une restitution parfaite de la congruence articulaire, sous peine de laisser persister une marche d’escalier sur la surface cartilagineuse, responsable par la suite de douleurs et d’arthrose. L’attitude thérapeutique est donc très chirurgicale en cas de déplacement. Cependant l’importance et la fréquence des enraidissements articulaires observée avec ce type de 10 6/12/01 11:02 Page 11 M ED EC IN dossier-pdf-FMC-2137 jean Dossier du généraliste n° 2137 - mardi 18 septembre 2001 Photo 9. Fractures non déplacées et consolidées des quatrième et cinquième métacarpiens. Ces fractures attirent l’attention et ont fait méconnaître la luxation carpométacarpienne des quatrième et cinquième rayons dont le pronostic est, de loin, bien plus sévère. ce seuil, se pose le risque d’incongruence arthrogène ou d’instabilité articulaire [photo 6]. Le cas du pouce 9 chirurgie, la difficulté de réaliser une ostéosynthèse de qualité sur des fragments généralement très petits et souvent multiples incitent à beaucoup de prudence. Si chirurgie il y a, elle doit être hautement spécialisée [photo 5]. L’attitude sera d’autant moins interventionniste qu’il s’agit d’une interphalangienne distale, car son arthrodèse, en cas de douleurs résiduelles, reste peu invalidante et de réalisation secondaire facile. Au contraire, en cas d’incongruence, une atteinte de l’interphalangienne proximale ou de la métacarpo-phalangienne donnera plus souvent lieu à un traitement chirurgical, étant donné l’importance capitale de ces articulations dans la fonction de la main. tion, voire de l’arrachement tendineux (mallet finger ou rugby finger) que de la fracture. En général, un arrachement osseux de plus du tiers de la surface articulaire (seuil de volume fracturaire) fait passer le problème de la fracture au premier plan. Au-delà de • Les fractures de la base du premier métacarpien, quand elles ne détachent qu’un petit fragment interne, ne doivent pas abuser le praticien. Le petit fragment en question correspond en réalité à la zone d’amarrage des solides ligaments stabilisateurs de l’articulation trapézo-métacarpienne (fracture de Bennett [photo 7 et schéma XIV]). Ces frac- Dans la fracture de Bennett, le premier métacarpien se déplace en haut et en arrière sous l’action du long abducteur du pouce (1). Le même mécanisme se retrouve pour les fractures articulaires de la base du cinquième métacarpien sous l’action du cubital postérieur (2). XIV ME DE CIN • Quant aux petits arrachements osseux qui ne compromettent pas vraiment l’intégrité de la surface articulaire, leur traitement dépend de la structure anatomique qu’ils soutiennent (ligamentaire, tendineuse ou capsulaire). Selon les cas, leur prise en charge peut davantage relever du cadre de l’entorse ou de la luxa- 11 6/12/01 11:02 Page 12 M ED EC IN dossier-pdf-FMC-2137 jean Dossier du généraliste n° 2137 - mardi 18 septembre 2001 Photo 17. Fracture articulaire « en miroir » de l’interphalangienne distale, avec perte de la bonne congruence articulaire. Dans la mesure où il s’agit d’une articulation distale, le traitement peut être orthopédique car, en cas d’arthrose, les conséquences fonctionnelles sont moins graves et mieux tolérées que pour une interphalangienne proximale. 17 tures entraînent quasi systématiquement un déplacement en luxation dorsale externe du métacarpien (par la traction exercée par le tendon long abducteur du pouce), avec une fermeture commissurale aux conséquences très graves pour la fonction de la main [photo 8]. Ces fractures sont donc chirurgicales. Il en va de même de la plupart des fractures de la base du premier métacarpien et un avis chirurgical reste indispensable dans tous les cas. • Les fractures de la base de P1, lorsqu’elles détachent un petit fragment externe ou interne, sont assimilées à des entorses des liga- ments latéraux internes ou externes. L’attitude doit être chirurgicale en cas de laxité importante, sous peine de voir cette laxité, au traitement difficile, se chroniciser. • Les autres localisations fracturaires sur le pouce se rapprochent du mode de prise en charge des doigts longs. Le cinquième métacarpien • Pour les fractures de la base, le mode de raisonnement est directement inspiré de celui du pou- ce, avec une attitude très chirurgicale pour les petits arrachements osseux de la partie externe de l’articulation. Cette fois, le déplacement est postéro-interne en raison de la traction exercée par le tendon extenseur lunaire du carpe. • Pour les fractures plus étendues de la base du métacarpien, il faut se méfier de l’association très fréquente à une luxation carpométacarpienne du cinquième rayon, de diagnostic radiologique souvent difficile et de traitement toujours chirurgical [photo 9]. Pour les fractures du col, le déplacement en bascule palmaire Photo 18. Fracture séparationenfoncement de la base de P2, avec non seulement une perte importante de congruence articulaire mais, en plus, une subluxation dorsale de la deuxième phalange au pronostic fonctionnel redoutable. L’intervention chirurgicale est nécessaire, mais reste difficile. ME DE CIN 18 12 6/12/01 11:02 Page 13 M ED EC IN dossier-pdf-FMC-2137 jean Dossier du généraliste n° 2137 - mardi 18 septembre 2001 > MESSAGES CLES Les fractures du col du cinquième métacarpien et de la houppette phalangienne sont de traitement assez systématiquement orthopédique et peuvent tolérer un petit défaut de réduction. Toutes les autres fractures déplacées imposent une réduction, puis une immobilisation, et il faut être particulièrement vigilant à détecter par l’examen clinique tout déplacement rotatoire qui passe volontiers inaperçu sur les radiographies. Certaines fractures, par leur petite taille, peuvent être faussement rassurantes, telles que les fractures de Bennett du premier métacarpien ou leur équivalent sur le cinquième métacarpien, et les fractures-arrachements tendineux ou ligamentaires qui sont très souvent en fait synonymes de lésions graves et très souvent chirurgicales. Les fractures articulaires sont de traitement difficile et de pronostic réservé, surtout quand elles touchent les interphalangiennes proximales et les métacarpo-phalangiennes ; leur traitement impose un avis spécialisé. Compte tenu de la sévérité fonctionnelle des séquelles possibles en cas de traitement inadéquat, il reste de bonne pratique de prendre un avis spécialisé plutôt par excès que par défaut. Fractures articulaires Lorsque les fractures articulaires concernent un petit fragment osseux arraché, elles correspondent en général à une lésion à type d’arrachement ligamentaire et relèvent du mode de prise en charge des entorses. Quant aux arrachements de la face dorsale de la base de P2 ou aux arrachements de la face palmaire de la base de P3, s’il s’agit d’arrachements tendineux, le traitement est alors toujours chirurgical, avec réinsertion du fléchisseur profond sur la base de P3 (rugby finger) et de la bandelette médiane de l’extenseur sur la partie dorsale de la base de P2 (sous peine de déformation progressive en boutonnière). Lorsque le fragment est volumineux (menaçant la congruence ou la stabilité articulaire), le traitement est souvent difficile et chirurgical : soit parce que le fragment est déplacé et nécessite une réduction [photos 17 et 18], soit parce que, bien que non déplacé, il relève d’une synthèse pour permettre une mobilisation très précoce. Un avis chirurgical reste dans tous les cas indispensable, car les séquelles sont fréquentes et redoutables et leur traitement très incertain. Dr Eric Roulot Les associations lésionnelles Les gros délabrements relèvent toujours d’une prise en charge en milieu spécialisé. Les fractures avec ouverture cutanée, même punctiforme, sont des fractures ouvertes et nécessitent à ce titre, et indépendamment de l’aspect de la fracture, une prise en charge spécialisée, avec, pour les ouvertures franches, un parage, une stabilisation de la fracture et une antibioprophylaxie. ME DE CIN Les fractures des métacarpiens et des phalanges sont fréquentes et leurs conséquences sur la fonction de la main souvent sévères en cas de mauvais traitement initial. est souvent bien toléré, et d’autant mieux que le patient possède une articulation métacarpo-phalangienne souple en extension, lui permettant de compenser facilement le flessum fracturaire. Il faut alors impérativement se méfier d’un possible trouble rotatoire associé, que seul l’examen clinique peut déceler et qui impose une réduction. La limite de tolérance de la bascule palmaire est aux environs de 40°, mais varie selon les patients. On peut, dans tous les cas, réduire orthopédiquement ce déplacement sous anesthésie locale. L’immobilisation fait ensuite appel à une attelle en position « intrinsèque plus », prenant les quatrième et cinquième doigts en syndactylie et laissant les interphalangiennes proximales et le poignet libres. 13 6/12/01 11:02 Page 14 M ED EC IN dossier-pdf-FMC-2137 jean Dossier du généraliste n° 2137 - mardi 18 septembre 2001 Cas particuliers Les métacarpiens des doigts médians. Le quatrième métacarpien, mobile, peut tolérer un déplacement en bascule palmaire d’une vingtaine de degrés. En revanche, les deuxième et troisième métacarpiens sont fixes et ne peuvent compenser un déplacement en flessum ; ils ne tolèrent donc aucun déplacement [photos 10 et 11]. 12 Photo 12. Fracture oblique courte déplacée en recurvatum. Le traitement orthopédique est possible avec réduction puis immobilisation des métacarpo-phalangiennes. La mobilisation immédiate des interphalangiennes proximales évite l’enraidissement des doigts. 14 Photo 14. Luxation unguéale presque toujours associée à une fracture de P3. 10 Photo 11. Les deux fractures ont été synthésées par des microvis et par une même voie d’abord. La rééducation peut être immédiate. 11 Les fractures de la diaphyse de P1 requièrent le plus souvent un traitement orthopédique par plâtre de Thomine. Mais sa réalisation technique reste difficile et au mieux réalisée sous courte anesthésie pour obtenir une réduction correcte et un moulage parfait du plâtre [photos 12 et 13]. 13 Photo 13. Fracture après consolidation sans cal vicieux. Le résultat fonctionnel est de ce fait excellent. Les fractures de la diaphyse de P2 sont chirurgicales lorsqu’elles sont déplacées et instables après réduction. Les fractures extra-articulaires de P3 doivent être le plus souvent traitées orthopédiquement, une petite attelle en tuile immobilisant uniquement l’interphalangienne distale. Les fractures très comminutives de la houppette phalangienne peuvent alors évoluer vers une pseudarthrose, souvent asymptomatique, aboutissant paradoxalement à une bien meilleure conservation de la fonction que lors d’une prise en charge chirurgicale [photos 14, 15 et 16]. ME DE CIN Photo 10. Fractures spiroïdes des troisième et quatrième métacarpiens. Le déplacement rotatoire du troisième métacarpien n’est pas tolérable et impose l’intervention chirurgicale. 15 Photo 15. La radiographie retrouve effectivement une fracture non déplacée de la houppette phalangienne, à trait transversal. Elle peut être traitée orthopédiquement une fois la luxation unguéale réduite. 16 Photo 16. Même fracture de face après consolidation. Le trait de fracture reste visible très longtemps et il ne faut pas attendre la consolidation radiologique pour rééduquer, car la radio est toujours très en retard sur la clinique. 14