la maison des sœurs - Mairie de Lanslevillard

Transcription

la maison des sœurs - Mairie de Lanslevillard
Mémoires de Lanslevillard
n° 6
"La maison des sœurs"
Novembre 2011
L’association
« Mémoires de Lanslevillard »
remercie toutes les personnes
qui ont participé à la réalisation de ce document
en acceptant de témoigner
ou de prêter des photographies.
"La maison des sœurs" est édifiée sur un terrain donné par Mr Valentin
DEMAISON au lieu-dit "Pré Sybille" vers 1870. C'est le frère de ce dernier, Mr
Charles DEMAISON, Archiprêtre à MODANE qui s'est occupé de la
construction. Le financement a été assuré par des dons. Le Père Charles
DEMAISON est l'un des grands donateurs. La Fabrique en a sans doute effectué
la gestion.
La construction est réalisée par des maçons italiens avec l'aide des frères du Père
Charles. Les pierres sont transportées l'hiver sur des traîneaux et sont posées
pendant les beaux jours.
Destinée à être une école pour les jeunes filles, à la demande des Villarins, elle
ouvre le 25 Octobre 1875. Elle est gérée par la congrégation "Saint Joseph" de
Saint Jean de Maurienne. Trois religieuses sont nommées pour s'occuper de
l'éducation des jeunes filles. Elles perçoivent une dotation annuelle de 700
Francs or. Deux salles sont réservées à l'enseignement. Le fonctionnement sera
identique jusqu'à la séparation de l'Eglise et de l'Etat en 1905. A partir de cette
date les jeunes filles vont avec les garçons à l'école laïque. Cette dernière, avant
d'être construite place des ARCHERS, était située rue des ROCHERS, au niveau
des garages communaux. La mairie était dans le même bâtiment. Cependant
certaines jeunes filles continuent d'aller à l'école religieuse et une certaine
rivalité s'installe, surtout lors du Certificat d'Etudes.
"La maison des sœurs" devient donc une école maternelle. L'enseignement est
toujours dispensé par des religieuses de la Congrégation "Saint Joseph". Les
enfants, garçons et filles, âgés de 3 à 7 ans apprennent le petit catéchisme pour
préparer la première communion qui se reçoit vers l'âge de 7 ans. Les religieuses
ne sont désormais que deux et ne perçoivent plus de rémunération. Les
habitants leur apportent de quoi se nourrir et leur font des dons. L'une d'elles est
également infirmière et se rend chez les personnes qui lui en font la demande.
Elles participent aussi à la vie religieuse du village et assurent la surveillance
des enfants lors des offices.
L'enseignement comprend l'apprentissage des mathématiques – soustractions,
additions, multiplications – et de la lecture à partir de livres comme " la miche
de pain ".
L'hiver, en complément de l'affouage de bois donné par la commune, les enfants
fournissent chaque jour un morceau de bois.
Le jeudi les jeunes filles de 12 à 13 ans apportent leur goûter ou leur repas de
midi. S'il fait beau on mange dehors. Cette journée est consacrée à des travaux
pratiques comme la cuisine, la couture etc... et s'appelle " l'ouvroir".
Pendant l'occupation de l'armée italienne, les sœurs continuent d'assurer leur
enseignement. A la première évacuation, du 14 juin au 15 août 1940, les sœurs
retournent au sein de leur congrégation, à Saint Jean de Maurienne pour revenir
ensuite avec les Villarins.
Après la deuxième évacuation, du début octobre 1944 au printemps 1945, les
religieuses ne reviendront pas. Le bâtiment est alors occupé par des familles de
Villarins dont les maisons ont été détruites.
En 1944, les allemands occupent Lanslevillard. La population a du mal à
cohabiter avec les militaires. En effet, ils viennent se servir dans les maisons
pour se nourrir.
Début octobre, les Villarins doivent faire face à une nouvelle épreuve : l'unique
pont du village est dynamité. Ordre est donné à la population de quitter
Lanslevillard. Heureusement, les villageois ne verront pas les allemands
incendier le village le 10 octobre 1944. Toutes les maisons seront brûlées à
l'exception du quartier de l'église et la maison des sœurs.
Les familles emportent avec elles un minimum de vêtements et d'objets et vont
se réfugier dans le bassin Chambérien où elles passeront tout l'hiver. Cependant,
avec l'arrivée des beaux jours de mai 1945, les villarins ne supportent plus
l'exode. Presque tous rentrent chez eux. Mais quelle désolation en arrivant au
village ! Ils ne retrouvent rien, tout a brûlé.
Un comité se met alors en place pour reloger provisoirement les villageois. C'est
ainsi que la maison des sœurs, grosse bâtisse aux nombreuses pièces, accueille
plusieurs familles, trente-deux personnes en tout. Elles vont être réparties
comme suit :
Les pièces du rez-de-chaussée font quatre mètres vingt de hauteur. Il y a deux
pièces à droite, deux pièces à gauche.
La famille Manuel Jean-Baptiste, composée de huit personnes sera logée à droite
et les dix membres de la famille Damé Eusèbe à gauche.
Il faut user d'ingéniosité pour optimiser l'espace. On décide de couper les pièces
horizontalement. Ainsi, de deux pièces on passe à quatre.
Chez la famille Manuel Jean-Baptiste,
la chambre des enfants se trouve au dessus
de l’épicerie et il faut y accéder par une échelle.
La seconde pièce sert de cuisine et de café.
La chambre des parents se situe aussi au dessus
et on y monte également par une échelle.
Chez la famille Damé Eusèbe, deux pièces, cuisine et chambre, composent le
rez-de-chaussée. Au dessus, on trouve deux autres pièces auxquelles on accède
par une échelle également.
Il n'y a aucun confort. Pas de chauffage ni d'eau courante. Aussi, il faut aller
chercher l'eau au lavoir qui se trouve à cinquante mètres de la maison. L'hiver ce
n'est pas facile, avec la neige et la glace.
Ces deux appartements sont séparés par un long couloir et un grand escalier qui
mène au premier étage. Au bout de ce couloir se trouve un balcon couvert qui
nous conduit aux toilettes extérieures : deux petites pièces avec un trou au
milieu. Inutile de dire qu'il est impossible de s'asseoir et qu'il n'y a pas de chasse
d'eau. Les excréments se retrouvent huit mètres plus bas, direction la fosse
septique.
En hiver, il gèle et on hésite à se servir de cet endroit. Aussi on emprunte la
« crose », petite rigole qui se trouve derrière les vaches à l'étable.
Pour rejoindre le niveau inférieur, au bout du couloir, un escalier descend à
l'étable à droite, et à la cave, à gauche, toutes deux voutées.
La cave divisée en casiers permet à chaque famille de stocker les provisions,
notamment les pommes de terre. Le moindre petit espace est utilisé.
Le sous sol
Écurie
Rue saint Roch
Caves
Mais revenons au premier étage.
Bernard Étienne Frédéric
Les postières
Filliol Jean-Baptiste
Rue saint Roch
Au sommet du grand escalier plusieurs pièces s'offrent à nous.
Une salle unique, qui fait office de chambre et de cuisine, abrite la famille
Bernard Étienne Frédéric, composée de quatre personnes. Comme il n'y a pas de
cheminée dans la pièce, un trou a été percé dans le carreau de la fenêtre pour
faire sortir le tuyau du poêle, car, bien sûr, il faut avant tout penser à se chauffer.
Cependant, au moindre coup de vent, la fumée est refoulée dans la pièce, et l'air
devient irrespirable. Mais soit, la pièce est tempérée ! Les deux fils, Auguste et
André, eux, dorment au grenier où l'air est glacial. Le linge mis à sécher gèle.
Pour améliorer l'isolation d'un petit coin de ce grenier, Jean-Baptiste Manuel a
tendu la bâche de son camion contre un mur.
Pourtant, malgré la rusticité de l'endroit, les deux garçons sont bien vite rejoints
par d'autres jeunes gens souhaitant échapper à la promiscuité.
Le grenier
Rue saint Roch
La famille Filliol Jean-Baptiste, composée de quatre personnes vit quant à elle,
dans deux pièces, une cuisine et une chambre, et les demoiselles Filliol dites
«les postières », bénéficient de trois pièces, dont une qui sert d'agence postale.
A cet étage, comble de bonheur, il y a des toilettes où l'on peut s'asseoir. Certes
elles ne ressemblent en rien à celles d'aujourd'hui, mais une planche fait office
de lunette et surtout elles se trouvent dans une pièce fermée, non soumise aux
intempéries.
Dans cet univers de misère, il fait malgré tout bon vivre, car tout le monde a le
cœur à l'ouvrage. Il faut reconstruire. Personne ne laisse son voisin dans le
besoin et le premier Noël sera très joyeux, chacun offrant sa charcuterie,
notamment des saucisses.
La cohabitation dans "la maison des sœurs" durera quatre ans, puis de nouvelles
habitations seront construites et, petit à petit, les familles intègreront leur
nouveau domicile. C’est Odile Chevallier et son fils Constantin qui partiront les
derniers en 1956.
La maison restera inoccupée jusqu’en 1960.
Cet épisode de la vie de Lanslevillard marquera les villageois et toutes les
familles garderont une profonde amitié les unes envers les autres.
Le 20 septembre 1946
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1 Eusèbe Damé
2 René Filliol
3 André Bernard
4 Mario ?
5 Odette Manuel
6 Auguste Bernard
7 Catherine Damé
8 Louis Damé
9 Germaine Damé
10 Raymond Damé
11 Ida Damé
12 Baptistine Damé
13 Casimir Damé
14 Aline Manuel
15 Aimé Manuel
16 Christine Filliol
17 Jean-Baptiste Filliol
18 Joséphine Bernard
19 Jean-Baptiste Manuel
20 Etienne Bernard
21 Emma Manuel
22 Germaine Manuel
23 Maurice Damé
24 Marcel Filliol
25 Martine Manuel
26 Jean Damé
27 Emile Manuel
Nous avons évoqué "La maison des sœurs", mais nous n'oublions pas les autres
familles qui ont vécu les mêmes difficultés dans d'autres quartiers de
Lanslevillard.
Dès la fin de l’année 1960, "La maison des sœurs" devient Chantelouve, ou
Maison des Sœurs de ''La Clayette’’. Elle est d'abord louée par le préfet du petit
collège des Maristes de Lyon, pour y envoyer les enfants en vacances d'hiver.
Très vite, l’association Charles Péguy organise des classes de neige. Un
responsable de séjours se rappelle avec émotion les débuts de la station avec des
'' fils neige '' puis l'arrivée des premiers téléskis. Pendant les semaines
inoccupées la Maison, accueille des classes de neige Belges.
Des élèves de l'école primaire, des collégiens et des lycéens, citadins pour la
grande majorité, peuvent de cette façon découvrir la montagne et la nature.
Pendant 40 ans sont organisés des classes de neige, des colonies ainsi que des
stages de musique et de découverte. C'est ainsi que le groupe musical de
Sainte-Marie qui se produit dans le monde entier a souvent effectué des séjours
de musique en été dans cette maison.
Au fil des années, les équipes d'encadrement de ces séjours, instituteurs et
éducateurs, ont su tisser des liens d'amitié avec les Villarins, comme Mr Gineste
et Mr Texier. Les Maristes ont essayé de vivre le mieux possible en symbiose
avec le village au niveau des approvisionnements, des projets et même des
réparations. Des personnes des différentes communes, Lanslevillard,
Lanslebourg, ou encore Termignon assurent des livraisons à Chantelouve. Des
Villarins sont également impliqués dans le fonctionnement de la Maison,
notamment à la cuisine et à l'entretien. En ce qui concerne les transports, au
début des années 60, pour venir de Lyon les enfants prennent le train jusqu'à
Modane puis ensuite le car pour arriver à Lanslevillard.
En 1971, "la maison des sœurs" est agrandie. Les travaux sont confiés à
l’architecte Georges Adilon qui agrémente la salle à manger du bas, d’un œil de
bœuf (fenêtre ronde) donnant à la fois sur l’église et la Dent Parachée.
Fin 2010, devant les demandes de mise aux normes trop exigeantes de la part de
l'Administration, le bâtiment est vendu à la Commune de Lanslevillard.