Sur l`île d`Oléron, Roule ma frite carbure à l`huile de

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Sur l`île d`Oléron, Roule ma frite carbure à l`huile de
Sur l'île d'Oléron, Roule ma frite
carbure à l'huile de friture recyclée
Le Monde.fr | 29.01.2013 à 13h53 • Mis à jour le 29.01.2013 à 14h00
Par Pierre Le Hir - Oléron (Charente-Maritime) Envoyé spécial
Un jerricane d'huile dans le réservoir, et roule la "barquette" !
Le petit nom donné par l'association Roule ma frite à son
"véhicule local et collectif de transport social", alimenté avec de
l'huile de friture recyclée.
Roule ma frite, la barquette... On croirait une blague de
potache, si l'initiative ne s'appuyait sur un travail mené depuis
plusieurs années sur l'île d'Oléron, avec le soutien des
collectivités territoriales et des acteurs locaux. "Au début, tout
le monde nous prenait pour des rigolos. Aujourd'hui, les gens
se sont appropriés notre démarche", jubile Grégory Gendre, 34 ans, fondateur de l'association.
Cet enfant du pays, ex-journaliste économique et ancien chargé de communication de Greenpeace,
s'est lancé en 2007 dans la collecte et le recyclage des huiles alimentaires usagées. La voie avait été
ouverte en Allemagne dans les années 70, par des militants alternatifs du mouvement autonome,
puis suivie un temps à Marseille, au début des années 2000. Roule ma frite-17 (pour CharenteMaritime) a pris le relais, en s'enracinant dans le tissu économique et social d'Oléron.
"ICI, IL FAUT S'ENTRAIDER"
Le principe est simple. Un véhicule utilitaire – roulant lui-même à l'huile recyclée – récupère les
huiles de friture usagées des restaurants, snacks, campings, collèges, maisons de retraite ou
particuliers. Un ramassage quotidien est organisé en été, quand la population de l'île grimpe de
25 000 à 250 000 habitants, une à deux par semaine le reste de l'année, chaque litre d'huile
consommé pour le transport permettant d'en collecter entre 50 et 60. Coût du service pour la petite
centaine d'adhérents : 50 euros de cotisation annuelle, certains versant volontairement jusqu'à 100
ou 150 euros.
Pierrick Moisy, qui tient le restaurant Le P'tit Bouchon à Saint-Pierre-d'Oléron, est un convaincu de la
première heure. "Cela m'évite, gratuitement ou presque, d'apporter
mes huiles usagées en déchetterie, explique-t-il. Et la valorisation de
ces déchets sur place est un bon point pour l'environnement et
l'économie locale. Ici, il faut s'entraider."
Le liquide gras est traité dans un atelier artisanal, sur l'écopôle de la
communauté de communes. "L'an dernier, nous avons fait 22 000
litres", annonce Romain Gaudier, responsable de l'installation. Le
produit décante en bidon, le temps que se déposent les impuretés,
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avant d'être filtré sous vide. Il en sort une huile couleur d'ambre clair, vendue aux adhérents 70
centimes le litre. Un prix imbattable qui "aide certaines familles à boucler les fins de mois".
PREMIER TEST : LE PETIT TRAIN TOURISTIQUE
Chaque jour, Roule ma frite reçoit, de toute la France, des appels d'automobilistes voulant passer
commande. "Nous ne sommes pas pompistes, répond Romain Gaudier. Ce que nous voulons, c'est
réduire l'empreinte carbone. Et faire de la pédagogie avec les restaurateurs, en les incitant à
proscrire l'huile de palme, cause de déforestation."
Avec les anciens moteurs diesel, l'huile de récupération peut être utilisée pure, sauf lors des grands
froids, qui la rendent moins fluide. Pour les moteurs à injection plus récents, il faut la mélanger au
diesel et un kit de bicarburation est nécessaire. Un premier test à grande échelle a été réalisé en
2010 et 2011, avec le petit train touristique de Saint-Trojan. Roule ma frite veut aujourd'hui prolonger
l'expérience avec sa "barquette", pour y véhiculer travailleurs saisonniers, demandeurs d'emploi,
personnes âgées isolées, scolaires ou utilisateurs des Restos du cœur.
Problème : en France, rouler à l'huile de friture – qui n'est pas
homologuée comme carburant, et qui échappe donc à la taxe
intérieure sur les produits pétroliers – est interdit. L'association
espère, comme cela avait été le cas pour le petit train, une
dérogation de la Direction générale de l'énergie et du climat. Au
ministère de l'écologie qui préconise, comme additif au diesel, les
esters d'huiles alimentaires, produits par des groupes industriels
et aux performances environnementales supérieures, elle fait
valoir que l'huile de friture est moins polluante que le diesel pur,
surtout quand elle est recyclée en circuit court.
Au cas où le fisc s'en mêlerait, elle a tout de même provisionné quelques milliers d'euros. "Reste à
savoir comment on taxe le kilomètre social", observe Grégory Gendre.
"À VISAGE DÉCOUVERT"
En attendant, l'équipe persévère, "dans l'illégalité peut-être mais à visage découvert". Cela, avec
l'appui des communautés de communes. "Dans un territoire insulaire comme le nôtre, toute action
originale prouvant que le développement durable n'est pas une théorie fumeuse, mais peut se mettre
en oeuvre de façon concrète, est la bienvenue", défend Jean-Claude Mercier, directeur du syndicat
mixte du pays Marennes-Oléron. En octobre 2012, Roule ma frite a même reçu une "mention
spéciale" lors de la remise par Ségolène Royal, présidente (PS) de la région Poitou-Charentes, des
"trophées croissance verte-innovation".
La petite entreprise sociale et solidaire, qui compte désormais quatre salariés et qui va créer une
société coopérative d'intérêt collectif, n'est pas en panne d'idées. Exemples : faire tourner à l'huile de
friture un chariot-élevateur pour bateaux, en partenariat avec les pêcheurs ; s'associer avec un
constructeur automobile pour mettre au point des moteurs adaptés à l'huile végétale ; ouvrir un
centre de méthanisation des déchets organiques ; créer une unité de recyclage des coquilles de
moules en adjuvant au plastique ; imaginer, avec le centre de recherche sur le carbone renouvelable
de Poitou-Charentes, Valagro, une filière de valorisation des algues...
Autant de projets conçus comme "des solutions de gestion des déchets et de production d'énergie
locales, simples et pas chères".
Pierre Le Hir - Oléron (Charente-Maritime) Envoyé spécial
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